Le Monochrome - Les Dits de L`Art

Transcription

Le Monochrome - Les Dits de L`Art
AC2 - Le Monochrome
L’invention du monochrome
Qu’est-ce qu’un monochrome ? Dans le monochrome, la couleur, unique et uniforme, posée la plupart du temps en aplat
ramène l’œuvre à un geste radical. Son vocabulaire volontairement est restreint au strict minimum : planéité du tableau,
frontalité de la toile, spécificité de sa matière résumée à un seul ton s’affirme comme un mode d’expression. En 1883 : un
geste ironique d’Alphonse Allais au Salon des Incohérents soulève un questionnement sur la modernité : la peinture
moderne ne vaut-elle pas plus qu’un panneau ou au contraire, par le prisme de la modernité, un tableau couleur unique et
uniforme peut-il prétendre au statut d’œuvre d’art ? (Récolte de la tomate par des cardinaux apoplectiques au bord de la
mer Rouge /Procession de jeunes filles chlorotiques par temps de neige/ Stupeur de jeunes recrues apercevant pour la
première fois ton azur, ô Méditerranée !)
Matisse remplit sa toile de rouge, puis la gratte pour ôter la couleur : seuls les citations d’œuvres et les contours non peints
des objets dénotent la figuration. La couleur n’atteint sa pleine expression que lorsqu’elle est organisée, lorsqu’elle correspond à l’intensité de
l’émotion de l’artiste.
§ l’atelier rouge, 1911, h/t,
Malevitch (Suprématisme) est en quête d’une dimension spirituelle. Le blanc est l’ouverture vers l’infini, comme le dernier
rempart donnant sur le vide, la couleur est menée vers son indépendance vis-à-vis de la forme.
§ Carré rouge: peinture réaliste d’une paysanne en deux dimensions 1915, h/t, 53 x 53 cm Musée des arts russes, St.
Petersburg /Carré noir sur fond blanc, 1914-1915 cgp /Carré blanc sur fond blanc, 1918
Rodtchenko (Constructivisme) à un geste radical concret: les 3 couleurs primaires sont mises sur le même plan, chacune sur
un support équivalent. C’est Le degré zéro de la peinture
§ Rouge, jaune, bleu, 1921, h/t, 1921
Il faut attendre le fin des années 1950 pour voir réapparaître, avec la remise en cause de toutes les données picturales, le
problème du monochrome en des termes de question de fond et de bord.
§ Robert Rauschenberg (né en 1925) White Painting [seven panel], 1951 Collection de l’artiste
§ Ryman Untitled 1959 et Surface Veil II, 1971
La couleur comme expérience personnelle Au 20e siècle, l’adjectif monochrome, devient un substantif, puis un genre
au même titre que le paysage ou le ready-made. Le monochrome fait partie de ces pratiques qui ont remis en cause les
manières traditionnelles d’envisager la création.
Comme le ready-made et la performance, il apparaît dans les années 1910.
Pratiques qui disparaissent quasiment à la fin des années 1920, pour réapparaître après le Seconde Guerre mondiale et les
années 1950.
Apologie de la couleur proche du monochrome: on sent un refus de la limite qui ôte une certaine radicalité du geste mais
vont naître des variations sur un même thème comme le Color Field Painting.
Pour Robert Ryman (né en 1930) le monochrome est ce qui lui permet de mesurer les effets de chaque matériau et
support …
Ad Reinhard (1913-1967): rejette l’existentialisme mystique. « Ce sont les dernières peintures que l’on peut peindre. L’art en tant
qu’art et tout le reste est tout le reste » (annonce l’art minimal et l’art conceptuel) Ultimate Painting nø 6 1960 cgp
Barnett Newman (1905 – 1970) s’exprime depuis 1948, par des peintures « Color Field », allégorie de l’univers, art
métaphysique, image de l’absolu, œuvre symbolique de l’Idée Vraie. Shining Forth (to George) 1961
Mark Rothko (1903 – 1970) De dimensions gigantesques, ses tableaux sont conçus pour absorber le spectateur dans
l’univers de l’artiste, au plus près de ses préoccupations (condition mortelle de l’homme, l’éphémère, le sort…), dans un
rapport d’intimité. No. 61 (Rust and Blue) 1953
En France, Yves Klein et en Italie, Fontana et Piero Manzoni, redéfinissent, quant à eux, l’objet même de la peinture.
Lucio Fontana (1899 – 1968) Poète de l’espace, Fontana élabore un "ailleurs" purement conceptuel à travers ses Concepts
spatiaux puis va jusqu’à profaner la toile monochrome en la perforant ou la lacérant pour « ouvrir l’espace ». Concetto
spaziale 1950 cgp / Attese (T 104) Attentes 1958
Piero Manzoni Cremone 1933 -Milan 1963 crée des "achromes", réduisant l’expressivité à un niveau tout à fait
primaire. Achrome, 1958, Achromes, tableaux uniformément blancs, dont la particularité est d'être trempés dans une
solution de plâtre et de colle et dont les formes sont données par le plissé ou la texture de la toile
« Yves Klein, le monochrome » ou « le peintre du vide »
L’œuvre d’Yves Klein émane d’une conception nouvelle de la fonction de l’artiste. Celui-ci n’est jamais à proprement parler
l’auteur d’une œuvre puisque, selon lui, la beauté existe déjà, à l’état invisible. Sa tâche consiste à capter les forces cosmiques
pour les révéler aux autres hommes : l’œuvre d’art n’est que la trace de la communication de l’artiste avec la nature : "Mes
tableaux ne sont que les cendres de mon art".
La diversité des techniques qu’Yves Klein met en œuvre tout au long de son parcours obéit en effet à une même intuition.
Des 1er monochromes du début des années cinquante, qui manifestent la sensibilité à l’état pur, aux "peintures de feu" de la
dernière année de sa vie où l’un des quatre éléments s’exprime sous la direction de l’artiste, c’est le cosmos qui devient visible.
Loin d’être une démarche artistique formaliste, l’activité d’Yves Klein est donc gouvernée par une cosmologie qui fait du
monde le principal acteur de l’art. C’est cette idée du monde comme œuvre que Klein apporte au Nouveau Réalisme. Mais
si tout son travail est dirigé par une nécessité spirituelle qui l’a conduit à élargir le champ des techniques artistiques
habituelles, toute la génération suivante, qui refuse l’objet esthétique, a su hériter de ses innovations, par-delà son parti pris
mystique.
Les Monochromes Klein réalise au Club des solitaires sa 1ère exposition Yves, peintures, où il présente des monochromes de
différentes couleurs. A cette occasion, il rencontre le jeune critique d’art Pierre Restany.
§ Monochrome vert (M 77), 1957 Pigment pur, liant synthétique et enduit sur toile montée sur bois
Suivront Yves, propositions monochromes à la galerie Colette Allendy de Paris et en 1957 Proposte monocrome, epoca blu à Milan. En
choisissant une seule couleur pour recouvrir entièrement la surface de la toile, il cherche à éviter d’introduire dans la peinture
un élément qui lui est extérieur, comme l’interprétation psychologique d’une forme. Mais surtout, la couleur est pour lui le
moyen d’atteindre la sensibilité. Klein réduit ses monochromes à la seule couleur bleue, la plus abstraite des couleurs. "Le bleu
n'a pas de dimension, il est hors dimension, tandis que les autres couleurs, elles, en ont. Ce sont des espaces pré-psychologiques (…). Toutes les
couleurs amènent des associations d'idées concrètes (…) tandis que le bleu rappelle tout au plus la mer et le ciel, ce qu'il y a après tout de plus
abstrait dans la nature tangible et visible".
§ Monochrome bleu (IKB 3), 1960 Pigment pur et résine synthétique sur toile marouflée sur bois atteint par son degré de
pulvérulence pigmentaire compact et sensible au moindre souffle, à des phosphorescences violacées qui matérialisent la
"couleur de l'espace-même".
(Bleu breveté par l'artiste en 1960 sous le nom International Klein Blue)
La trilogie des couleurs
§ l'ex-voto réalisé pour le sanctuaire de Sainte-Rita de Cascia, une boîte divisée en trois compartiments rempli de poudre
d'or, de pigments bleus et de pigments roses qu’il avait offerte en 1961 à la "Sainte de l'impossible".
Le Vide : exposition à la galerie Iris Clert intitulée La Spécialisation de la sensibilité à l’état matière première en
sensibilité picturale stabilisée, et plus connue sous le titre Le Vide ; les vitres de la galerie ont été peintes en bleu et
l’intérieur de la pièce laissée entièrement vide. La fonction de l’artiste consiste à révéler une nouvelle sensibilité à partir de la
sensibilité première qu’est l’espace vide.
§ Les zones de sensibilités picturales immatérielles
Le 12 janvier, Yves Klein effectue son premier "Saut dans le vide", expérience qu’il reconduit et qui donne lieu à la
publication du journal
§ Le Saut dans le vide, 5, rue Gentil-Bernard, Fontenay-aux-Roses, octobre 1960 photo H Shunk
Y a-t-il une peinture après le monochrome ?
Vide de représentation et de forme, le monochrome est riche de toutes les intentions, « Entre ces
deux pôles extrêmes – la manifestation de l’absolu et le rire nihiliste –, tout l’éventail des possibilités peut donner lieu
à des versions monochromatisées. Les unes aspirent à la beauté, les autres au sublime, d’autres encore relèvent du
spiritualisme, du matérialisme, de l’ironie ou du désespoir.” Denys Riout, La peinture monochrome. Histoire
et archéologie d’un genre, éditions Jacqueline Chambon, 1996
La couleur pour la forme : Ellsworth Kelly (1923) Ses toiles apparemment impersonnelles sont en fait des
agrandissements de détails de choses vues. La forme de sa peinture est le « contenu ». Yellow with Red Triangle 1973
Corcoran coll. «Kelly va amener le regardeur par un travail très serré sur l’objet tableau, à revoir sa place dans l’espace qui
les comprend simultanément » In Artstudio, Monochromes, n°16, printemps 1990, Ann Hindry, « Ellsworth Kelly: une
investigation phénoménologique sur pans de couleur »
Que du noir ? : Pierre Soulages (1919) Depuis la fin des années 70 il a adopté d’immenses formats, très lyriques et
puissants. Le noir traité comme une sculpture par un contemplatif par un geste lent et contenu Peinture, 19 juin
1963/Peinture, polyptyque C, 1985. Soulages cherche la lumière qui naît du noir, il peint de l’Outrenoir. Si le noir recouvre
l’ensemble de la surface de la toile, le travail de la matière (stries, rythmes, formes, vibrations de lumière) crée une
composition qui lui fait échapper à la monochromie
Dans les années 70, des artistes limitent leur palette à une seule couleur sans pour autant vouloir faire de la monochromie.
Ce qui est, par exemple, le cas de Robert Ryman, Claude Rutault, Pierre Soulages ou François Morellet
Le monochrome comme vocabulaire de base
Depuis les années 70, il devient le point de passage obligatoire et le vocabulaire de base du nouveau langage de l’art
contemporain, il n’est plus une aventure, il est une donnée de l’histoire de l’art.
L'œuvre de Claude Rutault (né en 1941) s'élabore à partir d'un vocabulaire établi en 1973 dans la dé-finition / méthode:
«une toile tendue sur châssis, peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée. Sont utilisables tous les
formats disponibles dans le commerce, qu'ils soient rectangulaires, carrés, ronds ou ovales.» Sa « définition méthode », c'est
l'idée d'une « proposition à trous ». L'Autre, celui qui accueille la toile, se glisse alors dans les espaces laissés volontairement et
métaphoriquement vides, pour faire advenir quelque chose du travail en cours. Les textes de Claude Rutault sont les
consignes d'une œuvre en devenir, actualisée par son «preneur en charge» (collectionneur, musée). L'artiste a élargi son
propos en utilisant les toiles au-delà du strict rapport mur / toile: des piles de toiles, des toiles posées au sol ou contre les
cimaises.
À partir de la fin des années 80 la notion de monochromie est désormais intégrée au monde artistique.
Puis le monochrome devient objet de dérision ou de questionnment, élément plastique que les artistes interrogent comme
jadis le monochrome interrogeait les composantes de la peinture.
Les œuvres perdent ici leur identité réelle au profit d’une recherche d’harmonie, celle de la scénographie.
Pour Rutault, le monochrome permet à l’art d’exister autrement: « Je réaffirme, dit-il, qu’au-delà du monochrome, une toile
peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée n’est en rien un dernier tableau de plus, mais bien une
ouverture sur un autre fonctionnement et d’autres relations de l’art avec les autres activités humaines », Claude Rutault, «
Réplique », Cahiers Danaé, n°2-3, automne-hiver 1987
«That's Painting Productions, Bernard Brunon. Pour tous vos travaux de peinture, travail soigné, prix compétitifs». Une
«Entreprise générale de peinture», don’t le slogan est “moins il y a à voir, plus il y a à penser”
Agencements de monochrome
De nouveaux médiums Installations Vidéo Photo Expérience Energie et lumière
Au début du 21° de jeunes artistes reviennent sur la notion de monochrome et lui redonnent une approche sensible
Depuis Marcel Duchamp et Malevitch l’action de peindre s’efface devant des attitudes où l’oeuvre fait l’objet d’investigations,
portant à la fois sur sa propre définition, sa réalité et sur le contexte de sa présentation
Alan Charlton (1948) installe et juxtapose ses tableaux en fonction de l’espace en maintenant un intervalle de 4,5 cm de
large entre les toiles. Il met encore plus en évidence le rapport profond que cet "objet/peinture/sculpture" entretient avec
l’espace et le mur qui lui sert de support. Slots Paintings 1971
Allan Mac Collum réalise des monochromes miniatures ou échantillons (critique social de l’élitisme?) Plasters surrogates
(Substituts de plâtre), 1982-1984
Tony Cragg (né en 1949), Anish Kapoor (né en 1954)
Photo : Kimiko Yoshida (1963) L’infini des visages de Kimiko se fond dans l’infini de la couleur.
§ La mariée aveuglée /La Mariée Arlequin, souvenir de Picasso.2006/La Mariée Guernica, souvenir de Picasso, 2006
Des mises en scène d’objet : Claus Goedicke(1966) le photographe allemand donne ses lettres de noblesse aux objets
triviaux. Un basculement dans le monde pictural où la nature morte est réactualisée. XI - 29, 2002. C-Print (Diasec).
Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac
La lumière du néon Dan Flavin (1933-1996) Son goût pour les angles recueillis mais aussi pour les grilles lumineuses
barrant l’accès à un recoin, voire à une pièce à la façon des iconostases, donne à cet art une dimension spirituelle
§ Hommage aux morts du Vietnam, hérissé et rougeoyant comme une croix, une couronne d’épines),
François Morrelet
La lumière, la saturation de l’espace James Turrell (1943) Ses recherches sur la lumière pure et sur la perception
continuent ce rêve de l'art à la pointe des recherches scientifiques d'une époque (Seurat, Vinci) : une invitation à une
spiritualité tangible, que chacun peut vivre et expérimenter.
§ Skyspace – Villa Lanti /Alta (White) 1967 de la série Projection Pieces cgp 2006/ Spread (2003), installation view Seattle
Cruz Diez, Maison de l’Amérique latine 2007- Salle de la Chromosaturation
Claude LEVEQUE (1953 -) Plus de lumière, 1998, échelle et tubes fluo bleus, in situ à la villa Arson, Nice
Bill Viola (né en 1951) et l’art vidéo va s’intéresser aux philosophies orientales, religions, mysticisme, cultures des pays,
cinéma, musique (John Cage), condition humaine et notamment « au passage entre la vie et la mort ».
§ Tristan et Iseuld /The Crossing, 1996
À voir en ce moment à Paris:
Jesus Raphaël SOTO, Chronochrome Galerie Emmanuel Perrotin Jusqu’au 21 février 76 rue de Turenne Paris 3°
En ce qui me concerne... de Claude Rutault imprimés 1973-2013 Galerie Michèle Didier, jusqu’au 7 février 66 rue
ND de Nazareth Paris 3°

Documents pareils