automne 1988 - Association des familles KIROUAC

Transcription

automne 1988 - Association des familles KIROUAC
Quelle est ta route? C'est la route du saint, la route du fou, la route d'arc-en-ciel, la route idiote,
1
n importe que 11 e route
C'est une route de n'importe 00 pour n' importe qui n'importe comment.
e
sommazre
t\)illill~Sl.~
_e .
avant-propos
;04
Pour qui sont ces censeurs qui sifflent sur nos têtes ?
-Rémi Ferland
Compagnons de route de la mort de Crevel à Kérouac
-Jacques Houbart
La grande dérive Haïti-Québec
-Jean-Maurice Morisset
Holding on to Kérouac
-Charles Lewis
La symbolique du pendu chez William S.Burroughs
-Claude Gratton
Letters from Jack
-Rad Anstee
Un Noël, au motel "Diplomate"
-Denis Vanier
~ Voyage du Club Jack Kérouac
-Josette Bourque
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Marie De Claye Gail Grenier Sveet
Jack Micheline
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Guy Marchamps
Yves Boisvert
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Katherine Gravel
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En Serge Wicht
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Patrice Desbiens
Yvon G)Marlène Maltais
Mario Rancourt (I)serge Mongrain
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vol.2 no . 2
bulletin du club
Jack Kérouac
1
1
comité de rédaction
Patrice Desbiens
Louis Dupont
Rémi Ferland
Eric Waddell
Serge Wicht
\
\\
collaborateurs
Rod Anstee
Yves Boisvert
Josette Bourque
Jean-René Caron
Jean Damecour
Marie De Claw
Patrice Desbiens
Rémi Ferland
Claude Gratton
Katherine Gravel
Gail Grenier Sweet
Jacques Houbart
Charles Lewis
Marlène Maltais
Guy Marchamps
Jack Micheline
Serge Mongrain
Jean-Maurice Morisset
Mario Rancourt
Denis Vanier
Serge Wicht
Josée Yvon
-------------
..
secrétariat et
abonnement
Louise Brousseau
direction artistique
Bernard Bélanger
n ' importe quelle route
129,Côte de la Montagne ,
Québec (Québec), G1K-4E6
Paraît trois fois par
année, dépot légal :
automne 1988 .
n'importe quelle route
bénéficie du support du
Secrétariat permanent
des peuples francophones.
-~
j
).,-
avant-propos
~
-
--
Le dernier numéro de "N'importe quelle route" vol. 2, no 1, a
valu à son comité de rédaction, par le biais de membres du Club
Jack Kérouac, plusieurs témoignages de fél icitation et commentaires critiques quant à la qualité -- forme et fond -- de cette
publication . Encouragé par cet élan de sympathie, le Comité de
rédaction entend bien continuer dans la même veine et profite de
la parution de ce nouveau numéro pour vous remercier de vos
remarques , critiques, essais et textes de création.
Bien amorcé dans le numéro précédent, par l'orientation faite
non seulement sur l'immensité de l'oeuvre de Kérouac , mais surtout vers le devenir de cette terre d'Amérique, le présent bulletin confirme la nouvelle "route littéraire" suivie.
Des textes de création tels que Le Bruit de l'Amérique, Blues
dans la nuit ainsi que des essais traitant ge la mort, du suicide et de pratiques religieuses diverses, démontrent cette large
ouverture d'esprit que la revue s'est donnée comme consigne.
De plus, vous trouverez également dans ce numéro, sous la rubrique "Information -- publ icité", le compte rendu du voyage que
plusieurs membres du Club ont eu la joie de faire à Lowell,
;" assachusett , à l'occasion de l'inauguration du Jack Kerouac
Memorial. Ëgalement, nous invitons tous nos créateurs et créatrices à se servir de nos pages afin de publier et de faire connaître leurs oeuvres.
Enfin pour terminer , nous avons le plaisir d'annoncer à nos membres l'organisation prochaine d'une soirée de poésie, possiblement à l ' automne, et la publication des Actes de la Rencontre
internationale Jack Kérouac en novembre prochain.
Bonne lecture à toutes et à tous ,
Le Comité de rédaction
Pour qui sont ces censeurs
qui siffi~nt sur nos tête[7il nd
sentinelle de l'esprit.
Après Radio-Canada, c'est maintenant
l'Uneq qui censure Denis Vanier. En juin
dernier, l'émission «Les Belles Heures»
nous présentait un Vanier à peu près
méconnaissable, dont les propos se
limitaient pour l'ensemble à des
monosyllabes alanguies et mélancoliques.
Une enquête auprès du principal intéressé a
révélé que l'entrevue avait été coupée et
triturée aux quatre cinquièmes, ce qu'il fut
possible de vérifier à l'audition de la version
int~grale, généreusement cédée par la société
d'Etat. Le produit final, entendu sur les
ondes ce triste après-midi de semaine, atteste
un instinct sûr dans la technique ou l'art du
montage : tout ce qui pouvait déranger
quelque escroc que ce soit, dans l'impunité
factice mais absolue que lui accordent les
lois anglaises, est disparu, c'est-à-dire tout
nom de personne, tout nom d'institution et
toute affmnation à iceux liée. On comprend
dans ces conditions qu'il ne soit resté que
quelques fleurettes.
entraîne nonobstant aux quatre coins de
Montréal, comme naguère le «Déambule» de
k, cet onirique poème sur le Chinatown.
«Noël au Motel Diplomate» constitue un
tour de force et je ne peux me souvenir
d'une description- de Montréal aussi
échevelée, baroque autant que réaliste,
zébrant l'espace comme le temps. Réjean
Ducharme dans L'hiver de force? Peut-être,
mais avec en plus la surexcitation trépidante,
la mouvance gloussante et clignotante d'une
bille roulante dans un «flipper» un soir de
pluie.
On peut comprendre que Radio-Canada
soit prudent jusqu'à l'excès. Chat échaudé
craint l'eau froide. Depuis que deux braves
citoyens ont intenté à cet organisme un
procès pour «obscénité», voilà quelques
années, suite à la diffusion de J'irai comme
un cheval fou d'Arrabal, les téléfilms
moralisateurs ont remplacé le cinéma
d'avant-garde. Normal, les contribuables
Or voilà que l'Uneq, qui pourtant a
charge de soutenir et de défendre les
écrivains, agit dans le même sens et refuse à
Denis Vanier un texte sur Montréal, sous
prétexte d'une surabondance de - noms.
Comme si une ville ne se définissait
d'abord par ceux qui y vivent! Peu .
du reste, l'imaginaire vaniérien nous '
Ct
rf
n'ont pas à payer pour des «cochonneries»,
même à des heures périphériques et
excentriques qui les rendent accessibles à
ceux-là seuls qui choisissent d'y avoir
accès. Après tout,
il faut tolérer
l'intolérance de ceux que la tolérance sans
quoi angoisserait.
Mais l'écrit! Ô Voltaire! Toi pourtant
que, va, je n'aime pas! Là aussi, la
circonspection tremblante, la «crampe
protestante» si honnie de Claudel, est
désormais de rigueur. On croit rêver, devant
tant de franchise joviale, en r~lisant Léon
Bloy ou Barbey d'Aurevilly. Evidemment,
ces seuls noms feront hurler les bienpensants. Les normes de ce qu'il faut penser
. sont aujourd'hui bien définies, surtout dans
les milieux précisément où l'on pense, c'està-dire où l'on fait profession de penser. Je
citerai donc plutôt, avec la même cordialité,
Jules Vallès et Alfred Jarry. Et qui ici
afficherait désormais la même liberté que
Valdombre ou Jules Fournier? On craint que
l'encre soit trop noire ou trop lustrée.
Certes, la mesure a du bon dans l'analyse,
mais pour autant qu'elle n'exclue aucune
investigation. Or le plus grave est
précisément que de plus en plus un interdit
pèse sur certains sujets ou sur certaines
lectures de certains sujets. Pour ne pas rester
dans le vague, je donnerai un exemple récen
et bien probant, le scandale journalistique
énorme, sans commune mesure avec le fait,
suscité par une collaboration bien placide de
M. Guy Brouillet au Devoir (7 juin 1988, p.
8). Cet homme honnête et qui me semble
aussi l'inverse a eu l'imprudence de parler
de l'apartheid en Afrique du Sud autrement
que selon le scénario manichéen traditionnel.
Sans récuser cette lecture, il a plutôt cherché
à voir le profit honteux qu'en tirent les
«démocraties» dans leur propagande, celui
d'acheter à peu de frais une bonne réputation
tout en détournant l'attention internationale
de leurs propre's injustices. En somme, une
réflexion posée et nuancée, en parallèle du
simple constat et de la réaction convenue.
L'excommunication pourtant vint aussitôt
(Le Devoir, 15 juin 1988, p. 9 et 20 juin
1988, p. 7), unanime et irrévocable, sans
nul autre fondement cependant que la
disqualification, le procédé de rhétorique le
plus bas qui soit parmi les quelques milliers
où nous puisons pour nous faire entendre de
nos semblables. Pareil ostracisme me
rappelle non sans fierté le petit brouhaha que
j'avais provoqué naguère comme étudiant,
en refusant de prendre position contre
l'Espagne franquiste, alors l'objet d'un
opprobre universel pour l'exécution de
terroristes basques. Les professeurs de la
vénérable institution que je fréquentais,
voulant peut-être nous éduquer à devenir des
bourgeois éclairés qui caressent qui n'est pourtant que le préjugé de demain
régulièrement leur bonne conscience, avaient selon le mot de Proust, je crois toujours utile
cru opportun de lire au début des classes une d'envisager une question sous un jour
protestation «en règle» contre Franco et sa nouveau, c'est-à-dire véritablement comme
politique intérieure. Au lieu d'opiner une question. Mais cela n'est parfois
gravement, je m'étais levé et avais affirmé possible que sous peine de s'exposer aux
trouver singulier qu'un collège catholique gémonies ou, pis encore, à la conspiration
condamne avec autant d'empress~ment et du silence.
sans examen un régime ami de l'Eglise et
que de telles condamnations-ne soient pas
Pourtant, la censure n'existe pas, s'il
lus quotidiennement, à ce compte, contre faut en croire la revue universitaire Voix et
les oppresseurs beaucoup plus infâmes des Images, qui n'en a pas moins, dans son
Kurdes, des Arméniens, des Tibétains ou dernier numéro, passé au caviar ma très
des Sud-Africains.
À distance, ma courte assertion sur le sujet. TI faut dire que·
remarque me paraît toujours sensée. Mais il . mes trois pages de texte ont été tripotées en
fallait se soumettre à l'opinion du jour, sous plus de quarante endroits, cela dans une
peine de passer pour fou . Ça n'a pas revue qui affirme en exergue que «les textes
changé, pour la forme, sauf que le credo publiés expriment librement les opinions de
tantôt a varié, tantôt a grossi. L'intelligentsia leurs auteurs»! Je ne veux pas ici m'étendre
s'est fermée davantage, elle a peaufiné ses i11J.!",~~~ma
dogmes. Le plus communément reçu et qui_ 1i
les recoupe tous veut que notre nation, jadis
et pendant longtemps, ait été plongée dans
une grande noirceur. Le clergé, dans son
enseignement et dans sa prédication, nous
gardait dans l'ignorance. Mais je fegillette
L'école canadienne de 1930-1931, une
revue pédagogique d'alors, à caractère
officiel, et je vois au programme de français,
pour la huitième ou neuvième année, Victor
Hugo, Théophile Gauthier, Pierre Loti,
Romain Rolland. Entre autres. Ce ne
pas les premiers venus, ni des «mangeux de
balustre». En septième année, on connaît le
sens et la conjugaison de verbes comme
«gésir», «férir» et «sourdre». Qui dit
mieux? Quant à la prédication, il faut lire les
lettres pastorales du Cardinal Villeneuve,
ridiculisé comme veule et fuyant dans la
série Duplessis et après, entre autres «Le fait
français en Amérique» et «Devoir et pratique
du patriotisme». C'est beaucoup plus frais,
plus net, plus décidé que ce qu'on peut
entendre ou lire aujourd'hui:
RIPE ROT
«TI nous faut des clairvoyants et
BLACK ROT
des forts [ ... J. Peut-être, làTARGET SPOT
dessus, faudrait-il cesser de nous
lamenter comme des enfants, et
prendre notre place comme des
hommes, non point seulement
dans la Province de Québec, dont
.. LES
nous sommes, mais dans le
Canada au total, dont nous
sommes aussi, quel que puisse
en jérémiades sur un articulet qui m'importe
être l'avenir.» (Devoir et pratique
peu et que j'ai écrit en me riant, quoiqu'avec
du patriotisme, pp. 20-21)
sincérité comme il se doit, mais il est tout de
même inquiétant qu'en démocratie, une
Mais alors, pourquoi ce parti pris revue qui se présente comme une tribune
constant, devenu une lapalissade, d'accuser pour ses intellectuels rature soigneusement
le clergé de tous les maux de notre peuple? tout ce qui peut s'inscrire en faux contre les
La réponse est toute simple. li fallait là aussi politiques officielles. On a même enlevé une
un bouc émissaire, pour que les véritables accusation toute simple et générale à savoir
responsables de notre oppression s'en tirent que le pouvoir incite peut-être les
à couvert. Qui oserait accuser l'occupant, le francophones à abandonner leur langue. Je
militaire, le financier? N'est-ce pas d'eux veux bien croire que la revue est
que le pouvoir spirituel dut accepter des subventionnée par le Conseil de recherches
ordres? TI est permis d'essayer de répondre à en sciences humaines du Canada, mais tout
ces questions autrement que par un lieu de même, les fonctionnaires n'en demandent
commun accrédité. Sans viser au paradoxe, pas tant! Cette pudibonderie stupide,
FH:Illo1ES EXP~R!~IE:-<T,
o
FÉD~RA I. ES
<<Si j'étais revenu au Canada je n'aurais jamais toléré la moindre provocation d'un nonFrançais du Canada .•.» • Jack Kérouac, Le livre des rêves. p. 146.
hypocrite et malveillante, possible surtout
dans un régime britannique, n'a d'autre but,
en ce qui nous concerne, que de nous
empêcher d'affirmer notre identité comme
peuple face à un pouvoir qui nous restera
toujours étranger et hostile. Si je ne peux en
effet, sous peine de sanction, me distinguer
en rien du pouvoir et de ce qu'il me propose
comme miroir, qui suis-je? Or cette pratique
se fait de plus en plus courante, quoique
toujours sournoise et dissimulée. Les
résultats sont visibles: il est devenu aberrant
de parler de nationalisme et Gilles Rhéaume
nous paraît un Don Quichotte plus amusant
encore que l'original (encore que j'aie
toujours détesté ce «chef-d'œuvre», le héros
m'en semblait noble et digne, aimable et
estimable, et je souffrais que l'auteur se
moquât de lui en plat bourgeois). Le pire est
qu'il sera désormais difficile de faire marche
arrière, indépendamment des questions
socio-économiques. Le Québécois est atteint
dans son intériorité même, on l'a évidé de
son passé et du peu de fierté tremblante qu'il
a jamais eu, pour le farcir de culpabilité, ce
qui fut facile compte tenu de sa générosité
proverbiale. Pour être gentil et évolué, le
Québécois doit s'ouvrir aux autres, accepter
d'être un parmi d'autres chez lui et trouver
ces autres plus intéressants et en définitive
mieux que lui, moins ploucs que lui. C'est
ainsi désormais qu'on ne fait plus aucune
référence à notre Histoire, peut-être sous
p~ine de léser ceux qui n'en étaient pas;
«Etre issus d'ancêtres qui ont civilisé un
continent, qui ont fondé les plus grandes
villes américaines, et vivre à la remorque de
toutes les minorités en leur propre province,
quelle déchéance!» (Hermas Bastien,
Conditions de notre destin national, p. 175)
Dans de telles conditions, il est impératif
de revenir à une plus juste estime de nousmêmes. «Il est grand temps de se prendre
pour le nombril du monde», comme l'a si
bien dit un poète censuré. Je demande à
Reggie Chartrand de reformer l'ordre des
Chevaliers de l'Indépendance et je l'en
remercie d'avance. Nous aurions eu besoin
de pareils compatriotes à Lowell le soir de la
Saint-Jean-Baptiste, par exemple Alphonse
Ouellet, pour rappeler à l'usurpateur anglosaxon que nous sommes toujours vivants et
que nous avons des droits sur ce continent.
Aussi longtemps que je vivrai, je reverrai
avec une netteté filmique cette scène
combien révélatrice: sur le trottoir et dans la
nuit froide de Lowell, nous contemplions,
les bras ballants et en pauvres, par la vitrine
illuminée d'un restaurant de nuit, Ginsberg
et ses Beats attablés devant des fruits de
mer. Le même Ginsberg qui nous avait
empêchés de lire sous prétexte qu'il voulait
se coucher tôt.
Oui Denis, tu as raison. Malgré les
serpents qui sifflent, nous garderons la tête
dressée et nous porterons bien haut nos
couleurs.
J~u.:ques Haubart. Littéraire érudit françai s , auteur de La traduction
de On the Raad et des oeuvres de Shakespeare.
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Un mystère
Tout suicide est sui generis:
c'est un mystère quels que soient
l a mise en scène, les bavardages
ou
l'abondance
des
dOCuments
épars sur le terrain de l'absence.
Or, un mystère n'est pas une
chose i ncompréhens i b le (ce qu i
serait
le
non-sens
parfait),
mais une chose incomprise par
ceux qui le subissent, au niveau
de la berge ou du lit, quand
on se penche sur le cadavre.
C'est un objet dont la subjectivité nous échappe.
Pour se rapprocher de
l'être
incompris, quand il ne nous reste
que le souvenir des ombres au
fond de la caverne, il est bien
commode d'enquêter sur des cadavres
particulièrement
exquis,
ceux des célébrités, voire des
écrivains, - eux qui ont beaucoup
disserté, sur toi et sur soi,
sur la vie et l i l mort, et dont
le métier justement n'est pas,
comme
certains
modernes
l'ont
bêtement
imaglne,
de
simuler
l'incomprésible mais de frôler
l'incompris .
Ceci dit, nous croyons devo ir
affirmer nettement ici que les
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.·...... ....
....
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est
chasseur
vice versa
la proie, le sujet et vice versa
l'objet. Au terme: l'être privé ~
explose et l'être publ ic implo se ,
mais il arrive aussi, dan s l'hi stoire des baleines ou des cacha· lots, qu'il n'y ait pas de chasseur
apparent.
Des
troupeaux
entiers de ces géantes créatures
viennent s'échouer sur un rivage
anonyme. On dit qu'elle se suicident.
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écrivains en question ne constituent en aucune façon des cas
privilégiés,
des
aristocrates
du suicide, comme s'il y avait
une sorte de "sang bleu" de la
mort. Ce sont encore moins des
modèles idéologique s. Ce ne sont
que des cas cliniques mieux connus
et documentés, et don c plus utiles
au départ d'une extrapolation,
cette manoeuvre hardie que Pierre
Sipriot
encourage
obstinément
dans ses Cahiers.
Deux hécatombes
Depuis que l'homme existe, que
sa. stature se dessine à l' intersect i on du corps phys i que et
du corps social, un petit nombre
de valeurs définit le règne anthropologique:
l 'homme issu de
Dieu,
image de Dieu, ou son
prochain qui pour les chrétiens
n'est autre que le Christ, est
la valeur suprême, et de là
découle évidemment le principe
essentiel
qui
doit régir les
relations d'homme à homme: "Tu
ne tueras point".
Ce capital moral de l'humanisme
est permanent: ses valeurs originelles ne sont pas des robes
qu'un grand couturier comme JeanPaul Sartre - porte-parole grimaçant d'une civilisation décapitéepourrait assaisonner à sa guise.
--
individu
considéré
comme
un "salaud" au siècle de Périclès
provoque
aujourd'hui
la
même
réaction, et, si les morts de
l'antiquité pouvaient dialoguer
avec
nous,
leurs
morali s tes
seraient d'accord avec les nôtres,
pour l'essentiel. Ce sont les
moeurs qui dérivent dans le temp s ,
pas la morale. Sinon, comment
pourrions-nous comprendre, pratiquer aussi librement le théâtre
d'un auteur comme Térence, par
exemple, qui écrit trois siècles
avant J.-C.?
Si les valeur s
basiques
dérivaient
tellement,
nous ne pourrions pas comprendre
la moindre réaction de ses pe r so nnages après vingt-trois s i èc l es
de modernisation!
Certes, pendant des mill é nair es,
d'innombrables
crimin e l s
ont
bafoué l 'homme et enfreint l'interdit de la religion la plus
profonde.
Mais
le
mal
était
toujours connu comme tel et la
valeur
essentielle
préserv ée .
En outre, le partage rigoureux
entre Dieu et César, entre la
charité et la justice - loi non
écrite,
sauf
dans
l'Écriture,
mais strictement vécue par les
peuples
ouvrait, au cours de
cette longue suite de siècles,
jusqu'à la première génération
du XXe,
l' espoi r d ' un refuge
auprès de l'autel ou du glaive.(l)
Après
les deux hécatombe s du
demi-siècle
14/18 et 39/45cet équilibre humaniste est tragiquement compromis. Il ne s'agit
pas seul ement de l'impact des
progrès
techniques
dans
le
domaine de l'artillerie, de la
guerre chimique, puis nucléaire,
dans le domaine de l'aéronautique
et des missi les
qui font de s
victimes militaires par millions.
o
1
!,
Depuis la révolution soviétique
de 1917, un monstre froid apparaît
sur la scène historique: c'est
un nouveau type d'État totalitaire, non seulement parce qu'il
concentre
tous
les
pouvoirs,
mais parce qu'il nie la légitimité , l'existence même d'un contrepouvoir divin ou religieux, et
pratique une féroce politique
athéiste. Cette rupture de la
vieille dialectique entre Dieu
et César est sans doute un des
événements les plus dramatiques
de l'histoire des hommes .
L'effrondrement de toute tran scendance dans un seul pays va se
révéler beau coup plus grav e que
le s orgies sanglantes des affrontements milit aires. On va s 'apercevoir qu e l'accroi ssement de
l a densité éta t ique, san s contrepouvoir spiri tuel, opère.... .comme
un véritable "trou noir') dans
la c ivilisation planétaire . Très
rapid ement,
l'être
humain
se
dévalue: famines et de structions
des
implantations
paysannes,
déportations des minorités racial es , purge des classes moyennes
au fur et à mesure de leur formation,
prolifération du goulag
et révolution s dites cul turelles
vont about i r en que 1ques décenni es
au massacre de plusieurs dizaines
de millions de personnes. Mais
ce n'est pas tout, la maladie
est contagieuse: dès les années
vingt,
un
totalitarisme
noir
se trouve induit par le totalitarisme rouge, s'opposant à lui
ou flirtant avec lui selon la
conjoncture. De ce fait, encore
plusieurs millions de victimes
JUlves, russes, sans parler des
résistants européens de nombreuses
nations
viennent
alourdir
le
bilan des sacrifices humains .
Des âmes sensibles
Dans les nations industrielles,
les
mieux
informées
sur
le
cataclysme militaire, les plus
touchées par l a cri se économi que
et l a dépression idéologique,
les ondes de choc d'une épidémie
suicidaire
tous les prétextes
seront bons: la disparition de
Rudolf Valentino ou les poignants
accords du disque "sombre dimanche" - vont interférer avec les
s pasmes nauséeux du rejet antidémographique. Mais plus graves
encore seront les réaction s des
"âmes
sensibles"
arti s tes,
écrivains, intellectuels
eux
...',
···i·
·~:
. ..'
,
.... ..........
.
,
~"""
""",-
.
qui fournissent au public des
vitrines, des programmes ou de
pseudo-mi roi rs où chacun cherche
à se trouver.
Contr airement à toute hypoth èse
hum aniste, le déchaînement inouï
des violence s et le mépri S éhonté
de l a personne va déchaîn er dans
de nombreux cercles où règnent
le s "âmes se nsibles" profes s ionne ll es une sorte de sur enchère.
Alor s que Cés ar abus e et tire
à lui la couverture, l es clercs
en grand nombre ne songent pas
à sauver la part de Dieu, mais
il s en remettent. Ils selai s sent
séduire, non pas par la politique,
ma i s par les r ecette s et les
ru ses du pouvoir cynique. Comme
ils ne repré se ntent rien dans
le champ de forces, i 1.s vont
donc
d'emblée
constituer des
groupes
parasitaires,
des
"compagnons
de
route"
d'une
révolution qui d'ailleurs les
ren i fl e avec dégoût et s'efforce
de leur imposer une discipline
rigoureuse .
On imagine les contradictions
hurlantes, les palinodies, les
alternances
d'exclusions/adhésions, les séances de paires
de claques et de coups de pi ed
aux
fesses
qui
ont
ponctué
l'activité théâtrale de ces histrions
du
prolétariat.
C'est
toute l'histoire d'un surréalisme
qui a contraint même les plus
grands à sombrer dans le ridicule.
Louis Aragon, par exemple, qui
conchiait le drapeau français
dans l es années 20, nous l'avons
entendu, au cours d'un conseil
de rédact i on des Lettres frança ises, dans les années 50, s'opposer
a l a parution d'une critique
d'une pièce de Jean Genet, sous
préte xte qu'il avait un jour
montré un milicien en train de
se faire foutre par un SS sur
les toits de Paris. Quant à André
Breton, il s'était lui aussi
rallié à la "décadence", organisant à l a même époque des cocktails speclaux où l'on pouvait,
en compagnie d'Alain ' Jouffroy
son vassal, glaner des petits
fours ou des grains de caviar
entre les cuisses d'un e femme
nue affalée sur le buffet.
Le comble de l'immanence
Les "compagnon s de rout e" ont
parfois eu l'honneur de mettre
en cause cette comédie r évolutionnaire. Saisir par la vérit é dramatique de leur propre personnage
il s ont tout s implement enjambé
l es feu x de l a r ampe: et ce fut
l e suicide, plus ou moin s truqué
ou mis en scène, mais un élan
pour revenir au vrai. Par le
fait, quand on adopte un e morale
fondée sur la violence et le
meurtre, le suicide est la solution la plus honorable.
Dès 1917, avec la révolution
russe
en
arrière-plan,
André
Breton fit la connaissance -à
la première du drame d'Apollinaire "Les Mamelles de Tirésias"d ' un "officier anglais qui menait
grand tapage, et qu i revolver
au poing, menaçait de tirer à
balles sur les spectateurs". (2)
C'était Jacques Vaché, auteur
de
deux
textes
d'in spiration
dadaiste, qui "jugeait l'oeuvre
trop littéraire et blâmait fort
le procédé des costumes". Heureusement il ne tua personne ce
jour-là, mais quelque temps après ,
on retrouva cet esthète assez
frénétique, avec un ami, terrassé
par
une
"overdose"
d'opium.
C' était
le
6 janvier
1919 .
"Jacques Vaché, écrit André Breton
dans Les pas perdus, s'est suicidé à Nantes que l que temps aprè s
l'armistice. Sa mort eut ceci
d'admirable qu'elle pas sa pou r
accidentelle .
Il
absorba,
je
bourg par Breton qui, dans Vu
par un écrivain de l'URSS, avaIT
insulté les surréalistes.
crois, quara'n.t è ,
s d'opium ...
Il est fort·' "
le que ses
malheureux
ignoraient
l'usage de
et qu'il
voulut disparaissant commettre,
à leurs dépens,
une dern i ère
fourberie drôle."
Un autre modèle d'André Breton,
Arthur
Cravan,
se
présentait
lui-même, dès 1914, comme "chevalier
d'industrie,
marin
sur
le Pacifique, muletier, cuei lleur
d'oranges en Californie, charmeur
de serpents, rat d' hôte l, neveu
d'Oscar
Wilde,
bûcheron
dans
les forêts géantes, ex-champion
de France de boxe, petit-fils
du chancelier de la reine, chauffeur d'automobile à Berlin, cambrioleur, etc." Arrivé à Paris
en 1912, il avait fréquenté les
cubistes et publié quelques numéros de la revue Maintenant dont
il était "l'unique collaborateur".
Antisémite, fasciné par la boxe
et la brutalité physique,
il
méprisait les arts et les lettres.
Il eut ce mot admirable: "Quand
on a la chance d'être une brute,
il faut savoir le rester". Il
est probable qu'un jour de pure
franch i se, il se prit en dégoût.
En 1920, il se trouvait sur un
rivage du golfe du Mexique. Il
monta en barque, part i t à la
rame et ne revint jamais.
Le suicide est le comble de
l'immanence. Comment ne s' imposera i t-i l pas à un grand poète
russe, dans la capitale de la
transcendance
défunte?
Quand
on chante l'idéal révolutionnaire,
comment peut-on - à moins d'avoir
l'échine molle d'un Gorki - supporter la montée du stalinisme,
les massacres et
la barbarie
au jour le jour? Plus grave encore
peut-être:
Mafakovski,
puisque
c'est à lui qu'on pense, avait
pour compagne cette Lili, soeur
d'Elsa
Triolet,
qui
évoluait
-
1
1 ~
dans la mouvance de la police
secrète. Le 16 mars 1930, la
grande pièce de Mafakovski, Les
ba i ns, présentée à Moscou, au
théâtre de Meyerhold, fut très
mal accueillie. Il devait déclarer
le 9 avril, à l'Institut Plekhanov
d'économie
nationale;
devant
une salle houleuse: "Quand je
serai mort, vous lirez mes oeuvres avec attendrissement - certains rient
et maintenant,
tant que je suis vivant, on dit
de moi beaucoup de sottises de
toutes sortes, on m'injurie ... "
Le 14 avril
1930,
Mafakovski
se tuait dans son petit logement.
Il habitait dans une rue voisine
de la Loubianka: on n'eut pas
besoin de le transférer.
Le baiser de la mort
Le baiser de la mort du communisme
ne sévissait pas seulement dans
la patrie du socialisme. Dans
la nuit du 18 au 19 juin 1935,
René Crevel, allait fixer à son
po i gnet gauche un morceau de
carton portant son nom et prénom,
et ouvrir le gaz. Homosexuel,
communiste,
c'était
un
des
surréalistes
les
plus
doués.
Lui aussi souffrait intensément
de
la
contradiction
entre
l'exigence spirituelle du poète
et le cynisme brutal du marxisme.
Il avait protesté contre l'exclusion d'André Breton qui lui apparaît "plus et mieux que jamais
au service de la Révolution".
Enfin, il avait été ulcéré par
le fait
que
les surréalistes
ne
pourraient
pas
s'exprimer
au Congrès des écrivains pour
la défense de la culture, alors
que les Gide et les Malraux
allaient se dandiner "de l'opportunisme journalistique à un révolutionnarisme esthétique opiacé
et
montparnassien".
La
cause
de
cette
exclusion:
plusieurs
souffl ets i nfl i gés à Il ya Ehren-
1 l faut dire que,
chez René
Crevel, le compagnonnage de la
mort - ou l'accouplement de la
poésie et du marxisme
était
depuis des années au centre d'une
méditation désespérée. Dès 1924,
Daniel, le narrateur de son premier
roman,
Détours,
caresse
l'idée d'un suicide au gaz. En
1925, il répond à l'enquête des
surréalistes:
"Le suicide estil une solution?"
"On se suicide, dit-on, par amour,
par peur, par vérole. Ce n'est
pas vrai. Tout le monde aime
ou croit aimer; tout le monde
a peur, tout le monde est plus
ou moins syphi l itique.Le suicide
est un moyen de sélection. Se
suicident ceux-là qui n'ont point
la
quasi
universelle
lâcheté
de lutter contre certaine sensation d'âme si intense qu'il la
faut bien prendre, jusqu'à nouvel
ordre,
pour une sensa t i on de
véri té.
Seule
cette sensation
permet d'accepter la plus vraisemblablement juste et définitive
des solutions: le suicide".
Dans Mon corps et moi, (3) il
va encore plus loin, sublimant
"l'élan de mort":
"Rien ne prévaut contre cette angoisse dont
est pétrie notre chair même et
qui, nous desséchant d'une soif
de vér i té, doucement nous pousse
au pays des miroirs
absolus: ·
la mort. Aucun effort ne s'opposera jamais à l'élan mystérieux
qui n'est pas l'élan vital, mais
son merveilleux contraire, l'élan
mortel."
Le fond de l'abîme
Dès l a fi n de l a deux i ème guerre
mondiale, l'épicentre de la crise
de consci ence va se dép lacer
aux États-Unis.L'engagement
important de ce pays dans le conflit,
le rôle de la diaspora
juive face aux images de l 'holocauste,
la
responsabilité
de
Truman dans le lancement de deux
bombes atomiques sur le Japon,
la poussée des Noirs, qui ont
combattu au coude à coude avec
les blancs, en faveur de droits
civiques, tout cela va provoquer
un choc cul turel qui, dans les
mi lieux intellectuels,
rappelle
certains
aspects
du mouvement
surréaliste.
Très rapidement, à New York,
Chicago, Denver, San Francisco,
de petits groupes d'avant-gardistes, que l'on bapti serait bientôt
les "beatniks"
installent des
dépôts d ' explosifs esthétiques ,
sous le contrôle de s nouveau x
maîtres: Wi 11 î am Burroughs, A11 en
Ginsberg, Jack Kérouac, Lawrence
Ferlinghetti,
Gregory
Corso,
Jack Gelber. Il s'agit bien sûr
d'insulter l'ignoble bourgeois,
de détruire la littérature tout
en . en faisant,
de pratiquer
la fabuleuse écriture automatique
et le sous-freudisme: on reconnaîtra des tics de Dada ou des
accents d'Antonin Artaud. Mais
une dérive impressionnante apparaît.
D'abord,
le
projet
grotesque
d'un couplage de la classe ouvrière et de l'avant-garde artistique
ne saurait prendre corps dans
le contexte américain. Au début,
Allen Ginsberg essaya bien de
répandre
la
parole marxiste,
déclamant sur la religion qui
est "l'opium du peuple" ou sur
"l'oppression"
des
Américains
qui étaient tous à la fois des
capitalistes et des esclaves.
Léo, le propre père de Jack
Kérouac,
d'origine
canadiennefrançaise, lui répondit un jour,
lui typographe qui joignait difficil ement 1es deux bouts, que
le peuple avait le droit de croire
ce qu'il voulait, que cette liberté était la base de l'Amérique
et que les Américains étaient
morts pour la préserver. Il critiquait la plupart des amis de
son fils parce que c'était des
"types incapables de produire" .
En décembre 1960, Fer li nghett i
avait été à Cuba et s'était fait
dorloter par Fidel Castro, qui
sait fort bien comment on manipule l'âme sensible des artistes.
Ferlinghetti essaya au retour
d'enrôler Kéroua c dans un comité
pro-cubain. Mais celui-ci répond it
sèchement: "C'est ici précisément
que je fais ma propre r évolution,
à Northpor t et c'est l a Révolution américaine!" Et il lui dit
un autre jour que les révoluti~n­
naire s "inventent tous les jours
de
nouve lles
raison s
pour
massacrer les gens". De fait,
éta it-c e la résistance des
travailleurs
(qui souvent à
l'aube, les chassaient des bars
où ils débarqua i ent ivres et
drogué s ) ou l'expérience de la
génération d'entre-deux guerres?
- les beatniks ,ne se sont guère
engagés politiquement, sauf Ginsberg dans certains mouvements
pacifistes ou en faveur de la
"décriminal isation" de la drogue.
Ils devaient toutefois trouver
le chemin d'une autre forme
d'aliénation.
Du crime au suicide
Comme nous l'avons évoqué dans
un précédent Cah i er, (4) un écrivain mineur, au talent amorti
par 1es excès, Wi 11 i am Burroughs,
s'est comporté comme une sorte
de gourou de la beat generation.
Comme tous les drogués "rationnels", il se traîtait à petites
doses,
mais
surtout
veillait
à
s'entourer d'une
clientèle
d'intoxiqués à laquelle il vendait
sa propre "récolte" ou les produits chimiques de ses grossistes.
Un bon système ne saurait fonctionner sans idéologie, ce fut
celle des blacks angels, des
assasins
du
"syndicat",
dont
les outils étaient la seringue
et le surin. Les jeunes blancsbecs comme Kérouac se mi rent
à fréquenter avec un respect
horrifié le "milieu" de Times
Square, sur lequel ils firent
un véritable transfert politique.
N'étai è nt-i1s pas
les ennemis
d'un e injuste société? Eux-mêmes
man i aient le couteau: ainsi le
jeune Lucien Carr poignarda avec
son couteau de boy-scout David
Kammerer qui le pour su i va it de
ses assiduités, et Kérouac fut
même arrêté quelque temps pour
non dénonciation du crime. Le
ténor de l a beat generation ne
cachait pas son admiration pour
les héros de ces drames sordides.
Ne f allait-il pas en finir avec
le vieil homme, comme disait
Burroughs?
Dans les bars louches où Burroughs
les introduisait, la vie d'un
homme ne pesait pas lourd. Un
soir, un gangster appelé Lucky
tomba amoureux de la maîtresse
de Kérouac, et, comme un type
du bar saluait la jeune femme,
le gangster poignarda le type.
Kérouac observait fasciné cet
univers brutal. Comme l'écrira
son biographe, Gerald Nicosia,(5)
il se rendait compte que ces
gens "avaient perdu foi dans
la bonté humaine et qu'ils recherchaient
une
post-intelligence
post-humaine,
une
post-âme".
Et c' éta it Burroughs qu i leur
ouvrait
ce
"nouvel
univers",
à base d'alcool et de drogues.
De même que la criminalité politique
engendre
une
épidémie
suicidaire,
le mépris de la
personne humaine est indivisib1e,de même il arrive à la criminalité
"ordinaire" de provoquer un tel
syndrome, dans la rue ou dans
les prisons. C'est ainsi qu'une
crapule nommée Phil White, excellente
relation
de
Burroughs,
le mentor de Kérouac, un beau
jour se pend i t: ce ne sont pas
les marchands de vins et de spiritueux qui s'en plaignirent, car
il avait la mauvaise habitude
de les abattre en faisant son
marché. Néanmoi ns, Kérouac cont inua it à su ivre Burroughs: il
se comparait à un des provinciaux
de Balzac en train d'explorer
"la grande
vi lle
maléfique",
voire même en compagnie d'un
autre "Balzac" dans les bas-fonds
de Paris! Étrange comparaison.
Parmi les "explorateurs" de la
beat generation, on ne saurait
passer sous silence le cas de
Bill Cannastra, un jeune légiste
diplômé d'Harvard, qui devint
un ami intime de Kérouac en 1948.
C' éta it un fanatique de la mort :
il lui arrivait parfois d'en
menacer autrui - lorsqu'il essaya
un jour de brûler un de ses amismais le plus souvent c'était
sa propre vie qu'il jetait dans
la balance,
en précipitant
au milieu des voitures, dansant
pieds nus sur du verre brisé,
plongeant sa tête dans un fourneau
à gaz sans l'allumer. Passionné
de peinture, d'opéra, de jazz,
il se saoulait à mort, mais cela
ne l ' empêchai t pas de se livrer
à son plaisir favori, le voyeurisme. Ce fut sans doute un des
Plus grands voyeurs de tous 1es
temps. Il ne se contentait pas
d'avoir foré des trous dans sa
salle de bains: il escaladait
les toits, glissait le long des
gouttières, sautait au dessus
des buses de ventilation, pour
s'informer avec la plus grande
preclslon sur la vie privée des
gens. Le soi r du 12 octobre 1950,
Cannastra et des anfis avaient
pris le métro de New York, en
sortant
d'une
réunion.
Comme
la rame allait sortir de Bleecker
Street station, quelqu ' un aperçut
une serveuse noire appelé Winnie,
et Cannastra bondit par la fenêtre
pour aller la rejoindre . Ses
amis essayèrent de le retenir,
ma i s sa tête se fracassa contre
un pylône du tunnel.
Suicide ou pas? Comme dans le
cas de Jack London, autre modè le
de Kérouac, c'est un suicide
à peine mystérieux. Moins ponctuelle, la fin de Jack Kérouac
ne laisse place à aucune interprétation. Rêvant d'une sainteté
ou d'une experlence mystique,
il ne devait trouver aucun maître
véridique pour lui indiquer le
chemin du sacrifice. Il "fit
semblapt" de décrocher dans la
débauche, l'alcool et la drogue,
refusant soins et médicaments.
Il ne fit aucun geste contre
soi: ce fut un suicide passif.
Il l'a expliqué d'ailleurs un
jour, avec une sorte d' humour
religieux, lorsqu'il confia "qu'étant catholique, il était obligé
de prendre l a porte au ra lent i".
Il mourut en 1969, à 47 ans.
L'École de Guerre du désespoir
Serons-nous taxé d'antimilitarisme
si
nous remarquons simplement
que les stratèges de l'École
de Guerre prennent moins de risque que ceux des tranchées? Chez
les "compagnons de route de la
mort", il en est de même . On
pouvait lire dans Time du 21
septembre 1987 que les anciens
combattants de la beat generationles survivants - s'étaient réunis
à Lawrence, dans le Kansas. Les
maîtres à penser étaient au complet: William Burroughs, 73 ans,
Allen Ginsberg, 61 ans (écrit:
"J'ai vu les meilleurs esprits
de ma génération disloqués par
la folie".), de même que le vieux
gourou cal ifornien Timothy Leary
qui a poussé tant de jeunes gens
dans l'enfer de la drogue. La
plupart des autres, l'infanterie
{(Les textes de Vanier
tiennent du cristal
de roche . Rarement
cette fin de siecle
aura donné une parole
aussi méticuleusement
gigantesque.»
Françoise Favretto.
25 (Belgique)
I~ e nsuel
du génie, sont morts . Burroughs
et
Ginsberg
sont
maintenant
membres de l'American Institute
of Arts and L"':'e7t:':te:':':r::':s-.~~~~::":"':~~
Un des derniers "compagnons de
route de la mort" qui se soit
suicidé - avec sa troisième femme,
Cynthia - c ' est Arthur Koestler,
à Londres,
le 3 mars 1983.
L'auteur du Zéro et l'infini,
écoeuré par le communisme qui
l ' avait longtemps empoigné, s'était orienté vers une théorie
de l'invention scientifique et
de la création esthétique. Il
semblait
fasciné
par
l'étude
des
tendances
suicidaires
de
l'espèce humaine, et poursuivait
la recherche d'une spiritualité
nouvelle. Lui et sa femme étaient
membres de la Société d'Euthanasie
volontaire. Il a légué avant
son suicide plusieurs centaines
de milliers de livres à une université anglaise afin qu'elle
mène des recherches de parapsychologie. Pour la découverte d'une
transcendance,
c'est
trop
ou
pas assez.
( 1) A notre époque où le partage
n'existe
plus,
l'idée
de
"grâce" devient inintelligible
et César jette le glaive
après la cognée.
(2) L'aventure des surréalistes,
de
Jean-Jacques
Brochier,
Stock, 1971 .
(3) Jean-Jacques Pauvert, roman,
1974 .
(4) No 3 - S. Freud et la drogue.
"Au delà des beatniks, la
génération du suicide".
(5) Memory Babe, 1983.
--
-
LA GRANDE DÉRIVE
HAïTI-QUÉBEC
Jean
en plus obèses. Dubois et Dorsinville sont implacablement
condamnés. r~i norita ires mi norisés dans les sables mouvants
où le ciment précontraint du
"melting pot" ne leur laisse
aucune chance: ce sont d'éternel s "boat people" sans quai à
la merci d'éternels "underdogs"
déracinés.
Sous le titre géologique de
Dérive continental e (Continental Drift), Russell 3anks Vlent
d'ecrlre l'un des très grands
romans de la Franco-Améri que.
"Voilà, lit-on sur la jaquette,
l 'histoire de Bob Dubois, un
jeune collet bleu avec deux
fi 11 es, deux femmes, trop de
dettes, et qui décide par une
nuit enneigée du temps des
fêtes qu'il déteste sa vie.
Parti se débattre en Floride à
la recherche du rêve américain,
il n'y rencontrera qu'un univers de cauchemar (et mourra
assasiné)."
Voilà, faut-il
s'empresser d'ajouter, 1 'histoire de Vanise Dorsinville,
une jeune femme contrainte par
la famine et la répression de
quitter Haïti avec son bébé et
son jeune neveu. Seule survivante d'un convoi de "boat people", partie désespérément à la
recherche de l'espoir et de la
liberté par la Floride, elle
sombrera dans la folie.
Ce roman hyper-réaliste, où une
violence extrême vient hanter à
chaque page l'épopée maganée
des Ëtats-Unis de l'envers du
triomphe, met donc en sèène
deux personnages à l'accent
autant mythi que que déri soi re
Le
French-Canadien
franco-américain et la SlackHaïti enne franco-créal e. Hap pés par ce chancre monstrueux
nommé ~1i ami qui doi t dévorer de
plus en plus de l'ethnique issu
des quatre coins des Amériques
pour nourrir ses palmeraies
synthétiques aux tissus de plus
Au-delà des combats interethniques incessants que se 1ivre
1 'Améri que
sous-waspe
pour
savoir quel minoritaire réussira le plus rapidement et le
plus goulûment possible à se
conformer à l'image du "Big
Brother" millionnaire, débonnaire, philanthrope et raciste,
ce livre dévoile une réalité
que seul peut-être un "NewEnglander" tel Russell Banks
pouvait révéler sans doute son
ampl eur.
Ai nsi, Conti nental
Drift se présente-t-ll comme le
roman de la non-rencontre Québec-Haïti a travers l'empire
yanqui.
Morisset
Qu ' il. me soit permis de dédier ce t ext e à Berthe Monsset, don.t i~ e s t
dit lI. Za page cinquant e et un : "une ferrvne du village (d 'AUanchéJ qui
Ut les Le ttres pour le monde".
.
sont en anglais (Pissed, Making
a
Kill ing,
Sell ing
out).
Cependant, tous les chapitres,
quels qu'ils soient, offrent,
en guise d'exergue, un dessin,
un
vét i ver
ca rac téri st i que
qu'on trace sur le sol durant
les cérémonies vaudoues.
La
dédicace du livre est d'ailleurs écri te en créole : "Yun
seul dwet pas capab' mangé
gombo" (Un seul doi gt ne peut
pas pel er une pomme - tradu ction libre).
On peut donc
affirmer sans hésitation que ce
livre s'inscrit sous le double
signe du vaudou et la présence
spirituelle des Loas.
Je crois qu'il importe au
départ de dire quelques mots de
la structure et de la présentation formelles du livre. Entre
les deux chapi tres d'introduction et de con clusion, intitulés respective ment Invocation et Envoi où l'auteur nous
parle, se parle, allant jusqu'à
s'adresser directement à ses L'auteur nous indique clairepersonnages, se profile une ment d'ailleurs de quel côté
double trame.
Tandis qu'un penche son invocation .
"Ce
premi er chapitre se déroul e n'est pas, écrit-il, une mémoiNouvelle-Angleterre re qu' il nous faut pour racondans la
d'un ex-franco, le second cha- ter cette histoire... pour
pitre prend place en Haïti. raconter la triste histoire de
~ais le lecteur se voit aussiRobert-Raymond Dubois.
Ce
tôt ramené en Amérique blanche n'est pas une mémoire qu'il
au troisième chapitre pour se nous faut, c'est une vieille et
retrouver ensuite en Haïti, et sainte colère, c'est une comainsi de suite en al ternance. passion grande ouverte et cet
Cette double trame, procédant amour pour le soleil que peut
d'un double espace géographique éprouver un homme du nord. Car
-- le nord et le sud -- et d'un il s'agit d'une homme blanc et
doubl e espace ethna-hi stori que chrétien obsédé par la race et
-- mi-franco, mi-yanqui -- mi- le sexe, obsédé par l a hon te
franco -- mi-créol e -- se con- qu'éprouve l 'Améri ca in moyen
j ugue peu à peu en une seul e pour l' histoire de son pays .
dimension : l'espace Miami.
Ceci est une histoire américaine de la fin du vingtième sièLes titres des "chapitres haï- cle et nul n'a besoin d'une
tiens" sont toujours en créole muse pour la raconter. C'est
(Battérie Macconique,
Grand pl utôt quel que chose comme un
Chemin, Gan Malice O!), les loa, ou un "mouth-man" dont a
ti tres des "chapi tres yanqui" beso in, quelque chose comme une
voix qui fait se tenir la parole devant et non pas derri ère
(p. 1-2)".
Une quête face à une fuite
La quête de Robert-Raymond
rJubois (né à Catamount, /Jouvel-Hampshire et dont le nom se
prononce DouBoyze pour mieux
incarner le tri omphe de l a
quintessence waspe), 1a quête
de Franco qui ne sait pas et ne
sa ura jamais ce qu'il cherche à
travers une mort qui ne lui
aura rien appris sur la vie ...
l a quête de ce nouveau Jack
~érouac n'a d'égale que la fuite de Vanise Dorsinville.
Née à All anché, Port-de-Pai x,
au nord d'Haïti, Vanise Dor sinvi 11 e est une étrange pers onne
sur le sol doré de la Nord- Amérique. Il s'agit d'une nouvelle venue dont le nom n'a même
pas encore atteint le niveau de
co nscience phonétique susceptible de lui mériter un surnom de
la part de l'Anglo-Amérique et
de ses assimilés.
"Crisse
d' Haïtiens, y peuvent même pa s
parler anglais.
Hay tee (Haïti)" [p. 141]. "y vivent comme
des chiens, on peut pas dealer
avec eux comme avec des gens
normaux" [p. 21 8].
"On peut
jamais se fier aux Ha ïti ens de
la façon dont on se fi e à tous
les autres gens. Ils sont diffé rents, en que lque sorte. On
dirait des fois qu'il s const ituent presque une au tre espèce,
avec leurs grands yeux i nnocents, leurs mouvements pru-
~
sait qu'il existe mais il ne se
fie pas à Lui pour quoi que ce
soit.
Rooert-Raymond Dubois
a ime sa femme et ses enfants.
Il a une petite amie.
Il a
horreur de sa vie." [ ... ] "Il
est en vie mais sa vie est morte." [p. 14]
Pas la peine
d'insister davantage, RobertRaymond Dubois est le prototype
même du bi g-white-ass imil ateda11-american en instance de
macoutisme par rapport à luimême.
-.
-
.
-
--
-
------- .
-
~
\. .
'.
..
Quant à Vanise Dorsinville,
ell e souffre pour sa part
d'une déformation congénitale
encore plus grave, pour ne pas
dire d'une maladie incurable.
El1 e est atteinte d' haïtianité.
Frenchée, créole, noire,
anal phabète et vaudouï sante,
son existence est une menace
même à la stabilité démocratique de l'Amérique chrétienne .
dents, leur étrange
parler." [p. 330]
façon
de
Dubois n'est pas différent ni
étrange lui.
Duboi s est un
homme normal.
Un homme qui
parle anglais, lui, et ne parle
même que cela.
Il est devenu
yanqui à plein temps, même si
ses grands-parents ne parlaient
pas un traître mot d'anglais
avec de qu i tter le Canada.
Dubois parle anglais, lui, et
n'arrive qu'à crier "Bienvenu
(sic) au Belinda Blue" à la
cargaison de "boat people" qui
se retrouve dans son bureau au
large de Moray Key.
"Comprendez English?"
C'est tout ce
qu'il peut dire avec la "demidouzaine de mots et de phrases"
of "Québécois qu'il a appris
par accident lorsqu'il était
jeune, malgré la stricte interdi cti on de
parl er
frança i s
qu'avait émise son pêre." [p.
348]
Deveni r "Ameri can French Cana
dian" pour mieux oublier toute
cette ségrégation et ce cauchemar des "facteries" et des
"petits Canada", et pouvoir
enfin renvoyer l a monnaie de
leur pièce à ceux qui sont restés derri ère. Descend en Floride, lui avait dit son frère,
et "j e vai s mettre au travail
dès demain ton beau cul franco (l' 1·1 put your French ass to
work tomorrow)".
[ •.. ] Tu te
souv i en sà l'époque, le hockey,
quand on jouait tous l es deux
dans l'équipe du 8ishop Grenier . Les frères Dubois. The
Les
fuck i ng Duboi s Brothers.
Patins de Granite qu'on nous
appel ait dans l es journaux de
Boston. Les Dubois 30ys. Descend en Floride, on va refaire
les frères Dubois COl11l1e dans
l ' temps, sau f que ma i ntenant,
ce sera au milieu des palmiers
et de tous ces beaux culs bronzés et en bikini." [p.35-37]
La bell e affaire! Sauf qu'une
fois rendu en Floride, le bikini disparaît rapidement sous le
désenchantement.
Deveni r "exCanadien-Français" et se faire
demander par sa femme d'aller à
la plage un dimanche après
midi, en plein été de i1iami,
"alors qu'à cette époque de
l'année, les plages sont encombrées de tous ces Canuques
pleins de bruit qui n'ont pas
pu se payer le voyage en j anvier ou février. Dieu me sauve
des Franchés.
C'est la même
sorte qui nous rendait fou au
mois de juillet à Old Orchard,
dans le Maine." [p. 93]
Indeed! Robert-Raymond Dubois
parle anglais et il est blanc.
Il a donc absol ument tout ce
qu'il faut pour réuss i r dans la
Terres de la Réussite .
Mais
que se passe-t-l1 au Juste dans
sa tête?
Pourquoi ce malaise
si profond et cette fuite éperdue?
"Robert-Raymond Dubois
vote démocrate, tout comme son
père votait démocrate, il se
rend à l a messe avec sa femme
et ses enfants de temps à autre
et il croit en Di eu comme il
croit au x politiciens
il
Prise en étau entre le macoute
et le "Big Brother" il ne lui
reste plus que la fuite ... et
l'espoir incertain qu'un loa ou
un loup-garou l'emportera un
jour jusqu'au paradis dans sa
chasse-galerie.
Il Y a quelque chose de pathétiquement dérisoire dans cette
fuite incessante vers 1e "nowhere" de la liberté tronquée
et de l'intolérance démo c ratique .
Robert-Raymond Dubois et Vanise
Dors i nvi 11 e sont deux étres
traqués qui veulent si désespérément éChapper au
système
qu'il s en meurent, l'un sombrant dans l'assassinat, l'autre dans la folie. Sans avoir
jamais réussi à ne rencontrer
autre chose que leur regard
muet à travers leur course folle l'un vers l'autre.
Car si
l'Amérique ethnique arrivait à
se rencontrer un jour, c'est
toute l'Amérique waspe qui volerait en éclats.
Robert-Raymond Dubois est le
coureur des bois de l'Amérique
contemporaine, sauf qu'il n'y
aplus de bois et que le canot
d'écorce sur la rivière pure
et cri sta 11 i ne est devenu une
vielle bagnole chromée godill ant sur un "turnpike" menant
invariablement à une plage
asphaltée, une mer poll uée ou
vers la traite des réfugiés
pol itiques. Big deal!
Vanise Dorsinville est la négresse marronne de l' Améri que
contemporaine, sauf qu'il n'y a
pl us de savane où se réfugier
pour échapper au maitre et à
ses macoutes, il n' y a que le
capitaine du "boat people", ce
trafiquant d'esclaves des temps
modernes exigeant de son ballast les frais de sa propre
déportation.
Les Nègres se
négocient toujours à la téte
comme à 1 a belle époque, sauf
qu'ils se trafiquent maintenant
entre eux et qu'ils valent
moins chers que la coke sur le
marché des valeurs interlopes.
Quant à Bob Dubois, il fait
dans le trafic d'Haïtiens plutôt dans la grosse drogue.
Ti-cul un jour, ti-cul toujours.
Il y a en effet des
petits comme des grands dans
toute manutention. Il y a des
durs comme des mous.
RobertRaymond Dubois est justement un
petit et un mou, pour la bonne
raison qu'il ne peut s'empêcher
d'éprouver de l a sympathie et
de l'admiration pour sa cargaison vivante .
Il a beau être
devenu unilingue yanqui, une
espèce de waspe cathol ique, il
a conservé en 1 u i un reste de
French-Canadian,
c'est-à-dire
une incapacité intégrale et une
impuissance
atavique
devant
l'intransigeance des affaires.
Bref, il est gentil avec son
"freight".
"Bienvenu au
Belinda
Blue.
Comprendez Eng1 i sh", dit- il, un
large sourire aux lèvres. Les
Haïtiens le regardent.
Bob
regarde sa cargaison.
Il s ne
comprennent pas cette lueur de
sympathi e chez cet homme.
Il
ne
comprend
pas
cette
résistance au-delà de la mort
chez les Haïtiens.
sion. Qui est-il (1 ui RobertRaymond Duboi s) et pourquoi
est-il ici de toute façon, faisant entrer illégalement seize
Haïtiens en
Floride,
alors
qu'il devrait être quelqu'un
d'autre que lque part aillelJrs,
disons cet ex-Bob Dubois de
Catamount, tJew - Hampshire, un
gars bien beau et bien gentil
[ ... ] retournant chez lui en
fin d'après-midi, après une
journée de travail, en prenant
deux ou trois bières en regardant 1 a tél é pendant que les
enfants dorment ... " [p. 356].
Robert-Raymond
Duboi s
ne
comprend pas Vanise Dorsinvi11e
et
Vanise
Dorsinville
ne
comprend- - pas
Robert-Raymond
Dubois.
Robert-Raymond
Dubois
est
gentil, friend1y et frenché.
"A ni ce guy".
Et il ne comprend pas.
"Ce sont leurs
visages qui le troublent [ .•. ]
Ils semblent si fragiles à Bob,
si dé1 icats et si sensibles.
[p. 347] Pauvres hostie d'bâtards, murmure-t-i1 [ .•• ] Les
Haïtiens l'impressionnent.
Il
y a chez eux un mélange de pas
sivité et de volonté qu'il
n'arrive pas à comprendre. Il s
sont prêts à tout ri squer, à
tout abandonner pour échapper à
leur île...
Pourquoi font-il s
ça? Il les envie presque. Il
est leur opposé... C'est trop
facile d'expliquer le fatalisme
des Haïtiens en montrant leur
désespoi r et en di sant que 1 a
vie à Haïti est si terrible que
n'importe quoi, même la mort,
est une amé1 ioration...
Les
Haïtiens possèdent une sagesse,
une
connaissance
qu'il
n'a
pas. Ils savent quelque chose,
sur eux-mêmes, sur l' histoire,
sur la vie humaine que lui,
Bob, ne sait pas .•. " [p . 350351). Voilà le problème.
Bob a laissé sa job, là-bas, en
Nouvelle-Angleterre.
Réparer
les fournaises pleines de suie
et puncher sa carte dans le
froid de 1 'hiver. Il n'y avait
aucun espoir de s'en sortir de
ce côté. Tout comme ses pêres
avaient quitté le Canada et
leur vie d'habitant parce qu'il
n'y avait aucun espoir de s'en
sortir de ce côté non plus.
80b a tout vendu, sa ma i son
hypothéquée, son yacht de pèche
à moitié payé, ses fins de mois
ennuyantes dans les Adi rondacks.
Bob a crissé 1 'camp
avec sa fen~e Élaine Gagnon, et
ses filles pour aller rejoindre
en Floride son bandit de frêre
qui l'a précédé.
Les Dubois
Brothers, big dea1 en effet!
Bob a tout laissé et voilà
qu' il se retrouve dans une
si tuati on encore pl us désespérée. Il est devenu un "trai1er
people" faisant la contrebande
de "boat people". Qui a débusqué
la
meilleure
vie,
se
demande-t-il
dans
un
élan
d'admiration et d'écoeurement,
eux ou moi?
Désormais condamné
"Qui suis-je pour ces gens, ne
cesse-t-i1 de se demander. Que
savent-ils de moi que je ne
sais pas moi-méme? Tous savent
quelque chose à mon sujet, et
il s'agit d'un quelque chose
que je ne sais pas moi-méme.
Quelque chose de crucial, quelque chose qui fondamentalement
me définit" .[p. 355]
Il ne
peut s'empêcher de penser que
ces gens silencieux noirs de
peau,
immensément étrangers,
savent quel que chose qui rendrait sa survivance possible si
jamais il arrivait à comprendre.
Ils ne peuvent lui dire
ce que c'est, évidemment, mais
même s'ils parlaient anglais et
que lui, Bob, parlait créole,
~a ne pourrait pas ètre dit"
[p. 353].
"Pourtant, Bob est
incapable d'attribuer à la pauvreté des Haïtiens ce qu'il
perçoit comme leur sagesse"
[p. 352].
Il al' impress i on que l es Haïtiens pourraient éventuellement
rég1 er son problème à 1 ui si
jamais il arrivait à les comprendre.
Mai s il sent tout
autant confusément que s'il
arrivait vraiment un jour à les
comprendre, ces Haïtiens ne
pourraient plus alors régler
son [lroblème.
"Il leur attribue un mystérieux et puissant
pouvoir. C'est leur silence et
leur passivité qui lui font
peur et créent cet espèce de
vide qu'il se croit obl igé
d' empl ir avec sa propre con fu-
Robert-Raymond Dubois regarde
les Haïtiens.
"Yep, juste de
l'autre côté de la colline. La
terre de l' homme 1 i bre et le
pays du brave.
Vous pensez
probab l ement que l es rues sont
pavêes d'or, eh? [ ... ] Searching for America.
Comme moi,
pense 30b.
Comme mon père et
comme mon frère.
Et comme mes
enfants.
Comme nous tous.
Tous dans nos nids de corneil1 es, 1 es yeux tournés vers 1 a
Statue de l a Liberté ... America! Terre, terre! Le prob1ême
c'est que, comme Colomb et
comme tous ces types cherchant
la fontaine de jouvence, quand
tu arrives finalement en America, c'est autre chose que tu
trouves .
Tu trouves Disney
Wor1d, des terrains sous spéculation et des emprunts bancaires aux taux d'intérêts de plus
en plus élevés.
Et si tu ne
t'enlèves pas du chemin, on va
te crisser par terre, te herser
en morceaux pour co nstruire un
condo, un terrain de stationnement ou te planter une talle
d'orangers sur le corps." [p.
358]
"Dans cette terre de liberté,
rien n'est libre ... Alors me
voilà, here 1 am. r-lais le problème, c'est que j'ai cessé
d'être moi." [p. 359]
C'est pourquoi quand sonnera
l'heure de la grande rencontre
avec la Loi et l'Ordre et la
Garde
côtière,
Bob
Dubois
n'osera rien faire. Le Frenché
sympathique dont l'âme vibrait
d'émotion devant le spectacle
de l'haïtianité en quête de sa
libération, le Frenché sympathique laissera son homme à
tout
faire
b1ack-eng1ishspeaking-jamaïcain vider un à
un par-dessus bord toute sa
cargaison de passagers.
Ainsi
1 ai ssera- t- il gl i sser i nnocemment vers la mort ceux-1â même
dont la science secrète aurait
pu le sauver de sa propre mort.
Robert-Raymond Duboi s a 1 ai ssé
couler au fond de l'eau sa
rédemption.
Il est désormais
condamné.
Alors qu'une vague
agitée par quel que "hougan"
invisible pousse sur la plage
une Vanise Dorsinville épuisée
mais vivante, seule survivante
de cette hécatombe, 1 es dieux
du hockey ne peuvent rien faire
pour
Robert-Raymond
Dubois.
Les dieux du hockey sont en
effet tout à fait impuissants
en regard de l' i ntercess i on
vaudouïque.
Dans ce western de 1 a fin du
20 e siècle, où l'Amérique est
retournée à l'origine atlantique des pèlerins fondateurs, le
trafic triangulaire a resserré
ses maillons pour passer de
l'Europe / Afrique / Caraïbes à
Catamount / Miami / Port-dePaix.
Et c'est précisément
Robert-Raymond Dubois alias Bob
DouBoyze qui se retrouve l'instrument inconscient de toutes
l es forces occu1 tes mi ses en
action
par
la
spiritual ité
capitaliste et le vaudou intuab1e.
C' es t ai ns i que 1 e Frenché
apparaît encore fois cO!alle 1 e
grand entremetteur de 1 'histoire nord-améri ca i ne.
Comme son
cousin Métis-French-Canadien du
siècle dernier, dont l'état
doublement minoritaire le forçait à poursuivre l'Indien pour
le compte de l'Oncle Sam à
travers l'Ouest en expansion,
Robert-Raymond Dubois est un
être condamné dans son propre
éclatement. Et la grande quête
du Franché n'aura abouti qu'à
en faire le mercenaire de
l'Amérique waspe, en dépit de
tous ses efforts pour s'y assimi 1 er. i~eurtri er avec compassion sinon avec innocence aussi
indémontrable qu'insurmontable,
le minotaire frenché se retrouve à corps défendant l' exécuteur sans rémission des bastravaux de l'empire.
Voilà peut-être au-delà de toute autre dimension, 1 e sujet
fondamental de ce roman. Cette
espèc e de "b1asté" à l'âme sensible
qu'est
Robert-Raymond
Jubois est coupable, depuis le
début, d'un crime dont il n'est
jamais arrivé à identifier la
nature: le crime d'être historiquement minoritaire.
Co ntrairement à Vanise Dorsinville, dont le péché d'haïtianité pouvait éveiller la pitié
des dieux et nourrir l'esprit
jusqu'à la salvation physique,
Post-Scri ptum
Robert-Raymond Dubois est devenu un être sans dieu, comdamnê
dès sa naissance dans le petit
Canada, quelque part entre le
Nouveau-Monde et 1 eNew-Hampshire. Tout ce qui 1 ui reste,
c'est la défaite et la cu1pabi1 ité.
Il n'est plus French
Canadian, il n' aura jamais été
Québécois, eC le hockey qui
était sans doute le seul "médium" susceptible de pouvoir
le sauver est devenu une religion sans 10as, entièrement récupérée par 1 e pouvoi r waspe.
À l' inverse du vaudou, 1 es
"Granite Skaters" du bon Bishop
Gren i er n'ont plus aucun pouvoir dans la patinoire subtropicale
de
Miami.
Ainsi,
Robert-Raymond Dubo i sn' a plus
rien, n'est plus rien. Il n'a
jamais rien eu, de toute fa çon.
Toujours perdant, toujours coupable, il ne peut pas
ne pas mouri r. Et à défaut de
sa vie et de son triomphe, il
nous laisse donc sa mort.
On
serait donc tout à fait mal
venu de ne pas pousser l'analyse encore plus pour tenter de
savoi r cOl1l11ent il aura créé sa
mort.
Contrairement à son frère qui
s'enverra une balle dans la
tête en 1ai ssant à l'univers
entier, cOl1l11e seul témoignage
de son existence, les trois
petits mots ''l'm a fai1ure" (je
suis un raté, p. 306), RobertRaymond Dubois ne se suicidera
pas. Pas du tout. Il négociera sa mort bien autrement. Il
parti ra obsti nément à 1 a recherche de sa faute, la rédemption de sa vie, la neutralisation finale de sa culpabilité
ethnique de French-Canadien.
Robert-Raymond Dubois ne cessera alors de hanter 1 es quartiers interlopes de la nuit
mi ami en ne jusqu'à ce
qu' il
puisse trouver quel que Haïtien
susceptible de recueillir la
liasse de dollars qu'il a obtenue sur le corps assassiné
d'Halti et qui ne cesse de lui
brûler les mains, le coeur et
la conscience.
C'est alors
qu'il meurt assassiné sous les
coups de jeunes rôdeurs haïtiens venus s'emparer de l'argent qu'il cherchait à remettre
à des Haltiens légitimes de
toute façon.
Et voi là, 1 a bouc1 e est bouclée .
Ainsi,
dira-t-on,
Robert-Raymond
Duboi saura
o ffert sa mort en expiation et
sa longue quête i dent i ta ire à
travers
l' Améri que
maganée
aura-t-elle été pour le moins
rachetée par sa propre mort.
Que non, que non! Car
blème, c'est qu'il n'y
sonne pour recevoir la
Robert-Raymond Dubois.
ne .
le proa permort de
Person-
Robert-Raymond Duboi s a été
assass i né par des i ndi vi dus
anonymes qUl ne savaient ni qui
il était ni où il allait. Tout
comme les "boat people" qu'il
avait laissé mourir ne savaient
pas, eux non plus, ni d'où il
venait ni qui il était .
Il était "Bienvenu au Belinda
Bl ue" .
Il était bienvenu au
Une paire de
New-Hampshire.
patins catho1 iques au service
du hockey sans dieux d'un Bishop Grenier dépourvu de tout
pouvoir mystique.
Fille bien-aimée du Baron Samedi,
protégée des
"hougans"
tout-pui ssants, Vani se Dors i nvill e a traversé le mur de la
mort et a survécu. Et sa folie
même est la preuve de son
tri omphe et du pouvo i r de ses
dieux. ~1ais au New-Hampshire,
les 10as volent bien bas et les
loups-garous de la vieille
rel i gi on sauvage du Canada ne
peuvent plus rien. Il y a trop
longtemps qu'ils se sont défendus d'aiguiser les lisses de
1 eur traîneau et d'évoquer
leurs légendes parce qu'ils ont
trop honte de leur culture et
de leurs dieux .
L'esprit de Vanise s'est à
jamais envolé dans le carrosse
du vaudou, au mil ieu même du
rêve de Miami.
L'esprit de Dubois et à jamais
disparu dans une mort sans
lumière, au milieu même de
l'enfer de Miami .
Il s ne se seront j ama i s connus. À peine auront-ils eu le
temps d'apercevoir leurs existences respectives.
HaïtiQuébec in Mi ami v i a Ca tamount
et Port-de-Pa i x, c' éta i t sans
doute beaucoup trop demander à
l'histoire.
Continental Drift/Dérive continentale. J'al depose ce llvre
~a bib1iothêque, quelque
part entre La Piste de l'Orégon
(de Francis Parkman) et Colorado Saga (de James E. MHchener .
Je ne saurai jamais si
Henri Chatillon et Pasquine1
reconnaîtront en Robert-Raymond
Dubois leur frère de sang mais
qu'importe, eux-mêmes 1 e sauront .
Tout ce que je sais,
pour ma part, c'et que ce roman
porte indubitablement sur la
dérive séculaire des Francos
tentant de se trouver un 1 i eu
du corps et un lieu de l'esprit
-- une place au soleil, à l'ombre, sur la neige ou sur le
sable -- dans cette Amérique
waspe qui 1 es submerge de
toutes parts.
Cette Améri que
de la Terre promise qui n'est
ri en d'autre que 1 a Terre
proscrite
pour
tous
ces
minorisés de la première heure
et pour tous ces réfugiés de la
dernière heure.
J'ai affirmé pérel11ptoirement
qu'il n ' y avait personne pour
recueill i r 1 a mort de RobertRaymond Dubois et, dans le même
mouvement, la folie de Vanise
Dorsinville.
Cela est faux .
Il y a l e lecteur et aussi
l'auteur, Russell Banks, qui
termi ne son 1 ivre par ces
lignes:
"Le monde conti nue d'être ce
qu'il est.
Des livres sont
écrits, des romans, des histoires et des poèmes rempli s de
détails qui essaient de nous
dire ce qu'est le monde, comme
s i l e fa it de conna ître Bob
Dubois ou Vanise Dorsinvi11e
allait 1 ibérer ceux qui leur
ressemblent. Pas du tout. La
connaissance factuelle de la
vie et de la mort de Bob ne
vont rien changer au monde.
C'est le fait que nous célébri ons 1 a vi e de Bob et nous
pleurions sa mort qui changera
le monde . Cependant, les cris
d'encouragement ou les plaintes
d'affliction que nous témoignons pour des vies autres que
les nôtres, même si elles sont
complètement inventées -- non,
surtout s'il s'agit de vies inventées -- enl èvent au monde
tel qu'il est un peu de la
cupidité qu'il lui faut pour
demeurer ce qu'il est. La subversion et le sabotage constituent alors l'objectif de ce
livre. Va, mon livre, et aide
à détruire le monde tel qu'il
est".
H
Ceu x et celle s qui eurent l 'occ as i on de voi r l' expoposition "J ack Kérouac, Canuck et clochard cél este"
au Musée du Québec se r appelleront Rod Anstee. Les
livres exposés étaient de sa collection . Mais en
plus de concevoir cette exposition, il faut souligner, parce qu'il y a eu peu d'occasion de le faire,
que Rod fut un des arti sans effacés de la préparation
de l a Rencontre Kérouac . Ses conseil s et ses contacts avec le mil ieu "beat" furent en tout temps
pré cieux, notar.ment pour rassurer plusieurs invités
sur la validité du projet .
Charles Lewis du Ottawa Magaz i ne nous en dit un peu
plu s sur ce s péciallste et collectionneur des oeuvre s de Kérouac . Avec la permi ss i on du Ottawa Magazine , nou s r epr oduisons ici l'article de Lewls paru
CfâiiS l e numé r o de mars 1988 .
DING ON Ta KEROUAC
by
"HEY JACK KEROUAC,
think of
your mother and the tears she
cried, she cried for none other
than her l ittle boy · lost in our
little world that hated and dared
to drag him down." (From Hey
Jack Kerouac by Natal i e Merchant
and Robert Buck of 10,000 MAN1ACS)
What is this Hey Jack Kerouac?
All of a sudden Jack is back.
Jack Kerouac, born in Lowell,
Mass. to French-Canadian immigrants in 1922, who became one
of the most prol ific writers
of his generation ("the hip flask
slinging madman . •• ") i s all over
the place: in music , discussed
on radio talk shows, in magazine
articles, at conferences, and,
of course, on the bookshelves.
1t ' s a Kerouac revival, sort
of Stand outside the Towne Cinema
sorne night when the movie Kerouac
is playing, and watch the lineup: the old ones, who might
have been beatniks; the younger
ones , who might have been hippies;
and
the 18-year-olds,
who ' ve
just read On the Road for the
first time shaking their heads
and going , "Oh yeah . "
Anstee is 34 years old, born
and raised in Ottawa. He has
a secure middle-class life with
a slight '80s bent - while his
wife pursues her professional
career, he has chosen to stay
at home and raise their two young
children. Their hou se is splitlevel and comfortable , revealing
no apparent deviations from a
normal home life. Except for
one. It's on the far wall of
the mas ter bedroom - hi dden from
the light of day by curtains
that are always drawn. But more
of that in a moment.
First, we have to go back to
the summer of 1970 . Thousands
of kids across North Amer i ca
were acting out the drifter fantasy on highways and back roads.
Their thumbs out and heads held
hi gh, it ' s a good bet that many
of them had a battered copy of
Kerouac's On the Road, Dharma
Burns, or Lonesome Traveler stuffed
i n their packs .
Charles Lewis
Rod Anstee was out there too
that summer, moving along the
Trans Canada Hi ghway, but without
the benefit of Kerouac' s gu i dance
and inspiration. "1 had never
read Kerouac up to that point,"
says Anstee. "But after that
summer l wrote something about
the experience (of going across
Canada), and one of my high school
teachers said l shou l d try reaqing
On the Road . "
"What l found attracti ve i s that
he lead me into other things :
Kerouac's whole spiritual side .
The impossible blending of Catholicism and Buddhism
the way
he tri ed to force them together."
Jack Kerouac's life was a rapid
succession of writing (over 20
published
novels),
meandering
across America, wandering spiritually, drinking,
and ·finally
drinking too much. He died in
his mother's house at the age
of 47, having killed himself
with al coho 1.
Rod Anstee's life has been a
steady , reasonable journey of
finishing high school, completing
a uni versi ty degree, marrying,
having children, and living in
a sp l it- l eve l, with that bedroom
wall
where, in a way, the
divergent lives of Kerouac and
Anstee gently collide .
On the shelves and glass-enclosed
book-cases are over 250 books,
by or about Jack Kerouac. There
are first editions, . hardcovers,
paperbacks and magazines. There
are
the
nove1s,
biographies,
literary criticisms, anthologies,
and references that just mention
Kerouac in passing. And Anstee
didn 't stop at the printed word.
He' s co 11 ected v'i deos, records
and audio tapes.
towards a sports car. Zoom. 1
sang in a night c1ub~ pounded
a
piano,
had
a
rea1
Mafia
bodyguard assigned to me - went
to the Vatican with him ... Missed
my plane, forgot my bag, got
taken in by a B-gir1. Gave the
1ittle ragamuffin a dollar, a
harmonica and a pack of camels ... "
You could sit in Aristee's bedroom
and 1 i sten to Jack Kerouac read
from On the Road to the accompa- So impressive is Anstee's collecniment of Steve Allen on piano;
tion, organizers of the recent
you cou 1d lis ten to Jack and Jack Kerouac International Gathe1egendary companion Nea1 Cassady - ring in Québec City (held in
reading from Dr. Sax; you cou1d part
to
celebrate
Kerouac's
hear
actor
David
Carradine's French-Canadian
roots),
f1ew
"ta1king book" of On the Road;
him and his collection to the
or for a rea1 challenge read conference.
the 1atest Danish edition of
the same work, entitled VEJENE.
For Anstee, it was a chance to
fina1ly meet . some of the many
Then,
there
are
what Anstee peop 1e he' s been corresponding
calls the "gems" of his collec- with for years.
tion. An autographed first edition
of Kerouac's first nove1. The "One of the nice things about
Town and the City; a copy of co11ecting in the "beat scene"
Dharma Burns with the autographs is that many of the characters
of
five
rea1-1ife
characters are sti 11 around
and sti 11
(including Allen
Ginsberg)
on wi11ing to write to you and ta1k
whom the book's fictiona1 charac- to you", says Anstee.
ters were based; and a 1etter
writeen by Kerouac to an old There i s no doubt of the thr i 11
fri end, dated December 18, 1966, that the conference he1d for
that shows his definitive style: Anstee. It was, he says, such
(ta1king about a trip to Ita1y) a high point that he wonders
... "It seems my pub1isher thinks what there's left to do . He's
it was a great success . 1 lectured read a 11 the books, heard the
at the University of Naples, tapes, and now has even met sorne
almost started a riot between of Kerouac's oldest and dearest
pro-me
and
anti-me
students. friends.
He's
been
to
the
1 was rea lly swept off my feet. mountain, now there's no place
1 mean my feet 1eft the ground 1eft but to wa1k down.
in the mob outside. 1 stuck out
like a football p1ayer and ran There i s a photo of Jack Kerouac
taken in the late 1950s. He's
about the same age that Rod Anstee
is now. He is standing in front
of a vertical neon sign that
says BAR
the kind of place
"working men" go to drink. His
shirt sleeves are rolled up .
One hand is crammed into his
front pants pocket; and the other,
squeezing a cigarette, is resting
on his hip. But it ' s the face
that pulls you. The dark hair
is fall ing over a forehead that
sits above two black deep1y set
eyes . It is the face of a man
who is about to get old quick1y.
Though Jack Kerouac has been
dead for near 1y 20 years, there
are still plenty of places in
North America with vertical and
horizontal neon signs sizz1ing
out the word BAR. They're in
mil 1 towns, in the seedier side
of
inner-cities,
outside
of
factories, a10ng the docks and
near rai 1road yards. The kind
of pl aces that Jack Kerouac hung
around
in rea1· 1ife and in
fiction - soakingup booze and
atmosphere, p1aying pool, 1istening to the juke box, and picking
up the rhythm of his vision of
America. The kind 'of place Rod
Anstee wou1d probab1y be uncomfortable wa1king into;
the kind
of place a lot of people wou1d
wa1k right by.
;-----~
1
_!EROUAC
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Ottawa Magazine - Mars 1988
LA SYMBOLIQUE DU PENDU
CHEZ WILLIAM S. BURROUGHS
Claude Gratton
"Il m'a semblé être obsédé par
la pendaison ... les aspects sexuels
vous comprenez." (sic)
Wi_ll i am S. Burroughs (1)
Dès le départ, .il ne faudrait pas
se méprendre, le symbole n'est
pas le sens caché d'un signe. Au
contraire,
le
symbole
est
la
synthèse d'une signification ouverte
et éclatée. Qu'il s'agisse d'un
objet, d'un animal ou d'un comportement le signe symbol ique porte
en lui la richesse concentrique
d'une idée qui déborde la simple
compréhension littérale et immédiate.
Dans l'oeuvre de Burroughs l'image
de la pendaison est omniprésente. (2) La récurrence de l'image
revient
régulièrement.
Dans
la
majorité de
ces manifestations
la pendaison ne concerne pas . les
personnages centraux, mais bien
les secondaires, et même les figurants.
Souvent
ce
sont
des
inconnus qu i se balancent au bout
de la corde, et pour l'entière
majorité des victimes, il s'agit
de mâl es. L' image-fl ash est archétypale, brève et crue.· À titre
d'exemple, je cite Burroughs: "Nous
les avons vu pendre un garçon qui
arrivait de la campagne -- Quand
j'ai vu son cou se briser et qu'il
avait déchargé ... " (3) Je ne censure
pas la suite, l'image est laissée
en suspens et la suite ne la
concerne plus (ceux qui sont familiers avec l'écriture de Burroughs
conn ai ssent ses méthodes du Cut-Up
et de Fold-In. (4)) Il est intéressant de voir que la pendaison est
présentée par Burroughs comme étant
l'incarnation de la "mort-orgasme". (5) Il s'agit d'une première
unification
de
deux
polarités.
Dans sa structure même le symbole
de la pend a i son comporte plus i eurs
couples opposés. A priori, il faut
voir dans la pendaison l'expression
de
la coincidentia oppositurum .
D'abord l a mort-orgasme est ni
plus ni moins que la réunion d'Eros
et Thanathos (voire: la naissance
et la mort; la reproduction et
la destruction). ·C'est donc la
fusion de deux forces antagonistes
dans un même corps (célui du pendu).
La pendaison propose aussi l'image
d'une victime qui est reliée au
ciel (vers le haut) par une corde,
alors que l'attraction, la pesanteur
attire le pendu vers le bas, le
sol. Il s'agit d'un déchirement
physique qui révèle ·la dichotomie
entre pôles rivaux. Le ciel pouvant
le salut;
exprimer l'espérance,
tandi s que 1a terre dans l'oeuvre
de Burroughs représente l'enfer
démoniaque. L'enjeu dans la pendaison est évidemment celle de la
vie. Celle de la vie que l'on
supprime. La pendaison est un acte
des tructeur.
Il v i se à reti rer
la vie du corps. Et dans ce combat
entre le pendu qui jouit au moment
de
sa strangulation,
de cette
mort-orgasme, c'est la mort qui
remporte la victoire.
Il n'est
pas difficile de voir dans la
pendaison le 1ieu de la jouissance
stérile, celle du plaisir sexuel
infertile, celle de l'orgasme nonreproducteur. Au fond, Burroughs
à travers cette image véhicule
un message, celui de la sexualité
caduque. Le pendu incarne l'être
qui jouit et périt, l'être qui
éjacule sans féconder, l'être qui
meurt
sans
se
reproduire.
La
sexual ité à vide. Trois choses
m'obl igent à penser cela. Tout
d'abord,
l'expression
explicite
de Burroughs dans ses écrits et
entretiens au sujet de sa crainte
de la surpopulation. (6) La jouissance stérile est conforme à cette
peur.
La
stabilisation
ou
la
diminution de la population mondiale
est selon lui une condition sine
qua non à la survie de l'humain.
Si l'on revient à l'image du pendu
relié au ciel par une corde, il
est alse de voir que c'est par
1a
jou i ssance -mort que
l' homme
assurera sa survie. Le contraire
signifie la famine et la misère
d'une
population
incapable
de
combler ses besoins élémentaires.
La corde qui relie le pendu au
ciel, voire son salut, pourrait
être cette idée de voir le salut
humain grâce à. la diminution de
la
population
mondiale.
C'est
d'ailleurs ce qui adviendrait avec
une sexualité à vide. Le second
point qui renforce mon interprétation est son mépris ouvert de
la femme.(?) La femme est synonyme
de terre-mère,
de matrice,
de
germination, de reproduction. La
femme est celle qui donne vie.
Dans cette optique, elle est celle
qui répand la vie et multiplie.
Il est à noter que dans 1e
déchirement physique du pendu entre
le haut et le bas, le ciel et la
terre, c'est le ciel qui gagne
le corps,
au détriment de la
terre-mère. La négation de la femme,
c'est le refus de l'accouplement,
de la complétude, de l'engrossement
et de la multiplication. Le troisième point, et non le moindre,
est
l'orientation
homosexuelle
de l'auteur et de son un i vers
romanesque. On aura compri s que
(1)
(2)
Williams S. Burroughs, Le
ticket qui explosa, Paris,Union
générale
d'éditions
(col.l0/18:700), 1969: p.30.
Cf. Wi 11 i am S. Burroughs, (3)
La machine molle, Paris, (4)
U.G.E. (col.10/18:545),1968:
p.20,21,27,28,30,56,62,63,72
75,82,92,107,112,125,126,128,
136,200,203,205: voir aussi:
Le ticket qui explosa:p.13,
15,25,27, 30,31,40,67,70,141,
157,180,210,217; WSB, Havre
des saints, Paris, Flammarion, 1977:p.61,224,255,256;
WSB,
Les cités de la nuit
écarlate, Paris, U.G.E. (col .
les deux formes de l'homosexualité
conduisent à la non-reproduction.
L'homosexualité est une forme d'accouplement qui se limite aux plaisirs. L'unique but de cette orientation est confiné à la jouissance
stérile, et ne pourra jamais signifier la reproduction. Pour conclure,
il semble donc que le pendu dans
l'oeuvre de Burroughs symbolise
la sexualité à vide, celle qui
privilégie le plaisir à la reproduct ion, et man ifeste de façon
latente la crainte de l'accroissement exponentielle de la population mondiale. Crainte, qui de
nos jours, est grandement partagée,
étant donné l'épuisement de nos
richesses naturelles et les ravages
écologiques
qui
nous
menacent.
Voilà une symbolique
qui déborde
10/18:1622),1981: p.116,128,
197,332;
WSB, Le job, Paris, Belfond, 1979:"P.154,
156.
WSB, La machine molle:p.28.
Au sujet de la technologie
de l' écri ture de Burroughs,
on peut consulter: N.Batt,
et
déplacement
"Rupture
dans l'oeuvre de William
Burroughs", Revue française
d'études américaines,I,1976:
p.l1, 21; du même auteur,"Bitextualité
dans
l'oeuvre
de William Burroughs", Trema,
II, 1977: p. 59,70 ;A.M.
Boyer, "Les ciseaux save nt
sans
contredit
d'une
imagerie
puissante qui touche à l'humain
dans
son
essence,
c'est-à-dire
sa survie en tant qu'espèce. Ce
combat sans fin que nous livrons
depuis des milliers d'années. Et
je crois
que lorsqu'un auteur
réussit à mettre en oeuvre le grand
jeu de la tragédie humaine, son
oeuvre au lieu d'être un cumule
de romans devient une mythologie.
Parce que sa création ne fait rien
de moi ns que nous rep lacer au centre
du monde, dans l'enjeu de notre
situation historique et critique,
et pour cela, Burroughs est aujourd'hui plus pertinent à lire
qu Homère,
parce qu' ilést le
narrateur-aveugle de la mythologie
que nous vivons et à laquelle nous
participons passivement.
1
lire", Revue des sciences
humaines (196},1984: p.l07,
117; J . F.Chevrier,P.Roussin,
"W.S.Burroughs.
L'invention
d'une
machine
d'écriture (5)
dans la machine capitaliste", Cahiers critiques de (6)
la littérature,2,1976: p.33,
34; R.Fowler, "Anti-language
in fiction", Style, XIII,
3, 1979: p. 259,278; L.Jenny,
"Sémiotique du collage inter- (7)
textuel, ou la littérature
• coups de ciseaux", Revue
d'esthétique, 3/4,1978:p.165,
182; R. Lydenberg, "Cut-up:
Negative Poetics in William
Burroughs and Ra 1and Barthes",
Comparative Literarature Studies, XV, 4, 1978:
p.414,430.
WSB, La machine molle: p.27,
85.
Cf. WSB, Havre des saints :
p.47; WSB, Le job: p.l07;
Victor Bockris, Avec William
Paris,
Denoël,
Burroughs,
1985: p. 234.
Cf.WSB, Les ar ons sauva es,
Parus UGE co1.10/18: 1142 ,
1973: p. 145; WSB, Le job :
p. 160 sq.
---
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NOYE
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-Rad Anstee
l obtained these two Jack Kerouac
letters in the early Fall of
1987
through
the
ass i stance
of the superb "Beat" bookseller,
Jeffrey H.
Weinberg. At the
time l was assembling ~aterial
for the Musée du Québec Jack
Kerouac display, "Canuck et clochard céleste: l'univers de Jack
Kérouac". The material in these
letters was so clearly relevent
to the themes & aims of this
display -- illustrating Kerouac's
interest in and understanding
of his roots in Québec -- that
there was no question that l
would have to make the necessary
sacrifices to obtain them.
In October of 1987 l made contact
with the original recipient of
these two l etters, Mr. Howard
T. Valyear of Buffalo N.Y., who
very kindly wrote me a couple
of letters explaining the background as to how he came to correspond with Jack Kerouac.
In late 1967 Mr . Valyear read
Kerouac' s SATORI IN PARIS. As
and active, amateur genealogist,
Mr. Valyear was interested in
Kerouac's quest, but was also
sufficiently
knowledgeable
to
realise from reading that book
that
there
were
routine
genealogical
sources of which
Kerouac seemed to be unaware.
And it was in a spirit of wanting
to helri out that the first wrote
to Kerouac, via his agent's office
in New York. As can be seen from
th'e initial
letter, Kerouac's
interest was sparked immediately.
In his replies, Mr Valyear steered
Kerouac to other sources, i nc l uding the Institut Généalogique
However,
Drouin
in
Montréal.
apparently -- perhaps for financial reasons
Kerouac chose
not to investigate further via
ihg Lord Agency
cio ster1
7S East
ss
st eet
~
10022
NeW York. N• •
this root and chose instead to
query his distant Québec relative,
Rev. G. Levesque of Mon tréa l,
ih a letter of July 1968 that
is reproduced in Raymonde KérouacHarvey's history of the Kerouac
family, L'ALBUM. Also, in his
replies Mr. Valyear made sorne
gentle attempts to refute sorne
of the wilder claims which Kerouac
lays out in these two letters
--legends of family history in
which
he was
probably more
interested,
finally,
than
in
the determination of fact from
fiction. Kerouac may have been
more interested in the dre~m
of hi s ancestry than in the
verification
or
rejection
of
theories or family stories, but
at the same time those things
which he chose to bel ieve about
his
fami~ Québécois
roots
are highly revealing in and of
themselves. This
is why the
letters are of some interest.
One final thing. Kerouac's continuing interest in his roots,
even after the period in the
mid-1960's which produced SATORI
IN PARIS, is further indicated
by his abortive trip to the area
of Rivière du Loup in the summer
of 1967. Lowell friend,
Joe
Chaput, chauffered Kerouac on
this journey. in MOODY STREET
IRREGULARS #18 et #19, Gerry
Ni cos i a wrote "He chose Joe to
drive him back to Canada in 1967
when he intended to research
his French-Canadian roots for
a novel he never lived to write".
Th i s unwritten nove l was perhaps
the "MEMORY BABE" which appears
on the last page of Kerouac's
handwritten
personal
directory
of the names and rea l i dent it i es
of the characters in his novels.
The list of names is also, sadly,
unfinished .
~'"
~.
~J
Un Noël, au motel «Diplomate»
Pour moi Noël fut toujours Dickens ainsi que
la «petite fille aux allumettes» et je me
demandais si en réalité elle ne serait pas
mieux de geler au coin du Boulevard Décarie
que de souiller son corps d'enfant dans l'eau
pourrite du bain tourbillon, tout cela pendant
que la dinde que mon ami et moi avions
quêtée à l'Armée du Salut pourrissait dans le
four, chez nous.
Vous rappelez-vous en fait que nous
n'existons pas, que nous ne sommes pas plus
une ville qu'un pays.
Nous faisons partie du Tiers-monde et ne
pouvons vivre que par la matière sainte de
nos bordels, de notre écriture et par la rigueur
terrestre de notre foi.
Montréal était aussi l'une des villes préférées
de Jack Kérouac.
Malgré le requiem de la Rivière des Prairies,
qui se souvient des batailles de la gang du
Ranch contre fort évidemment eux-mêmes et
de ce qui se passait entre les chapitres
«Iberville» et «Frontenac», mais surtout celui
de la rue Fullum surnommé «Sous le pont»,
comme l'a si bien décrit André Major,
aujourd'hui mis à la retraite par les plus
hautes instances de l'esprit, celles du
«Chapter South» (Laval).
Mick Jagger s'étonne de pouvoir s'y
promener sans lunettes fumées, il devrait
demander à Francœur de lui donner des
cours.
De toute façon les plotes des «Devils
Disciples» (Rosemont) ne furent qu'aussi
minimes que la peine du Christ, le simple
fantasme scatologique du Boulevard Gouin.
Ed Sanders, chanteur des «Fugs», m'obstine
que Montréal est une ville strictement
anglophone. Rien d'étonnant, il lisait «The
Gazette», écoutait le «canal 12» et
«C.H.O.M.» et demeurait au «Ritz Carlton».
Ayant détesté l'impuissance et la douleur
d'un fantasme, de même que le pléonasme
d'une telle affIrmation, il ne me demeurait
Dans tout cela, il faut réintégrer Montréalsud, car ce sont ces autres motels, celui de
Jenny Rock, le «Luna Rosa» ainsi que le
«Chalet Normand», qui furent l'objet parfait
de cette sexualité de droite qu'aucun poète
notarifié ne pourrait subir.
Quand Frank Zappa est venu il n'a jamais su
où il était.
que d'autres alternatives: être ce que je suis:
un macrobiotique urbain épris de folklore
ninja mais le seul poète à avoir soudé un texte
sur le stérilet de Phyllis Diller.
Par contre ma honte fut à son comble quand,
rue Sherbrooke, Janou Saint-Denis déclara en
public que j'étais son «grand amour
platonique».
Pendant les abus et surtout les renoncements,
Gerry Boulet, mon voisin de la rue Beaudry,
m'hurlait comme en silence «Tu me fais mal à
mon cœur d'animal». Et j'ai pleuré en
pensant à cette jeune juive des «Hell's
Angels», pourtant si loin de Montréal,
pendant que «Et c'est ainsi depuis» n'est plus
un poème mais un constat de police.
De toute façon, il n'aurait fallu qu'un peu
plus de peine pour que ce fût Longueuil. Et
pouvons-nous à peine taire le risque, au
retour du camp de nudisme, d'avoir eu à
«couper» une trentaine de voitures sur le
trottoir de la rue Langelier parce que la
«Société de Conservation du présent» était en
retard de quelques minutes pour un eXercice
théâtral, dont malheureusement pour lui Dieu
seul connaît le titre.
Pourtant tout en «coupant» nous prîmes sur
le pouce une jeune danseuse de la rue
Davidson. C'était Mylène, la fille du
UNION
J...,. c..:ri\ ... in~ 4Utl...~·ui ,
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,,'Ici le lf r . c.ût .u"""Secf'lfurIU dt' """EO.
Yeuflle-z
-e \ ~ll1e .. n
saxophoniste Gaby Johnston, mort écrasé par
un taxi dans le Vieux-Montréal lors de
l'élection du Parti Québécois et que plusieurs
critiques musicaux ne pouvaient et ne
voulaient connaître, comme Chet Baker mort
d'héroïne et de pauvreté ainsi que Patrick
Straram assassiné par la misère et
l'indifférence.
\
Noblesse oblige, dans ce cas-ci la mort ne
pourra venir que de la part d'«un commis
voyageur» de l'escouade anti-poétique.
demandez à Hubert Aquin ou peut-être à
Edgar Morin, premier Montréalais à avoir
joui devant un Matisse empoisonné.
Mais au simple niveau du fait acquis, Cioran,
n'arrêtez plus d'écrire des lettres d'amour à
Mylène qui te suce pour son plaisir à Elle et Marguerite Yourcenar, le tout emboîté et
qui pour te faire vraiment plaisir à toi te finalement destiné au «contact» de Yolande
Villemaire. alors domiciliée sur la rue
donne 1/4 d'once de hash.
Brébeuf, mangeant du yogourt au radis,
«TI n'est rien de plus effrayant que de servir agenouillée silencieusement devant les
de cobaye pour une expérience biologique figurines suintantes des rockers.
dont vous ne connaissez ni le sens ni la
Même si à peine il ne m'embrasse que comme
nature.»
un vague rapport d'estomac, il ne faut pas se
Un survivant d'Hiroshima
soustraire à l'évidence, au contraire d'un
(cité dans Truman Capote)
Jacques Ferron, l'un des assassins de Claude
Gauvreau, mort de faim rue Saint-Denis,
Montréal est une ville sale, imbue de qu'il n'y avait pas qu'à Montréal qu'un
spéculateurs, de médecins non-traitants et rapport de connaissances eût dû s'établir, que
d'agents doubles, dont aucun terroriste ne le F.L.Q. n'a fait que sourire le monde entier,
daigne même s'occuper.
et que mon amitié pour Jovette Bernier, une
autre ex-voisine, ne peut qu'établir sur le
Politiquement aucun effectif policier n'est bord de ce maudit fleuve puant qu'est le
plus harassant, dangereux et incompétent Saint-Laurent «Que je vous ai tant aimé»,
qu'en cette ville.
Mais ce que j'aime le plus de Montréal, mis à
L'Est de Montréal demeure notre seul refuge part Ginette Letondal, c'est Francine Déry,
culturel et nous avons strictement l'intention car même si elle habite «ailleurs», pour moi
c'est elle Montréal.
d'y établir un ghetto.
.~~ ...
elle r
Denis
Vllller,
",.pren ion on
~ftti _nts.
D'autre part, on ne doit et ne peut «vivre»
cette ville que «sans espoirs mais avec
convictions» (Orson Welles 1Patrick Straram
le Bison Ravi).
L'Est, là où au moins un texte est un sublime
menu, comme Francine qui a lu mes premiers
textes au «Select» rue Saint-Denis, en
m'écrivant de « ... porter bien haut mes
couleurs».
Denis Vanier
Montréal, 26 mai 1988
éphémérides, détail.
Marie De Claw, la femme-guépard, vit pour l' instant
~
t·1 ontréal .
GREAT RIVERS AND LITTLE CREEKS
Gail Grenier Sweet
A trip to Québec City
cold grey and stoney
rèminded me
of something 1 almost forgot...
that my great-grandparents
came from Canada
and 1 spent five years
studying French
and 1 used to be proud
of my beautiful maiden name,
(even searched for it in France,
and found it unexpectedly
on a little granary
next to Chateau Chillon
beside Lake Geneva)
and as a teenager
and young adu lt
1 questtoned aunts and
great-uncles and my Mémère
about the roots leading back .
1n Quebec City
for a Jack Kerouac conférence,
all nationalistic arguments
and linguistic nitpicking
seemed silly.
My tongue unfroze ,
my lips loosened,
and my French came back
(the French that · lurks and
speaks out in nightdreams).
The Québécois
were infinitely patient
with my crippled French.
My "Bonjour!"
opened their smiles .
Two college girls
at the Battlefield museum
explained about "joual",
till 1 finally understood.
(One of the girls laughed
about her father,
who speaks not a word of English,
yet will slap "Dat's owl" at the end
of his French statements.)
And 1 found
that every Quebecer
loves to say
1I0k ay li .
When 1 was growing up,
only knew 1 was Franco-American because
had a Mémère and Pépère and no one else did,
had a name no one could pronounce,
and
could sing a lullabye,
say a prayer, or
swear
in French.
1 was proud then,
and 1 st i 11 am.
ln Québec,
1 sought the Geneological Society
at Laval .
Tt was closed .
But a Québec friend named Luc
(whose mother's name was Grenier)
said something
and 1 think is true:
"Geneology is like a river," he said,
"And it ignores all the little creeks
that lead away from the river".
Now Mémère and Pépère are dead ,
and 1 probably never will
find ans wers to my questions
about where 1 come from.
Maybe all that matters
is that 1 know l'm a little creek
from a great river
and 1 know where l'm going.
THE END
,1 .
lettre à Jean-louis
f'
Nuit
pleine
de
lune,
nuit Je l'imagine cette femme, des
d'amour, de folie, lune de miel, seins superbes, gros comme des
miel de la vie, douce douce nui t. melons, et moi Je n'ai qu'une
envie, celle de me faire étoufFol ie plein la tête, tête pleine fer entre eux, pour ne p·lus
de rêves; vivre le reve afin entendre les cris de la misère
que rêver soit utile et nécessai- du monde.
re.
Ah! frère, si tu étais là, près
J'écoute
du
J.-Michel
Jarre, de moi, nous pourrions boire
les oiseaux me rappellent qu'il et boire encore à cette source
est tôt ou tard; qu'en sais-je? de vie; la vigne, ta vigne; celle
Moi! dan s mon ivresse, et puis qui est, comme tu le dis si bien
je ne veux pas vraiment savoir ... "chaude et fringante comme une
pucelle" à qui, pour la première
Comme à chaque printemps, quand fois , nous
irions baiser les
la sève monte dans les arbres, lèvres de son
sexe pour se
cette fièvre me saisit aussi; laisser, enfin, s'extasier dans
j'ai chaud, je suis chaud, je l'émerveillement de notre cosmos.
perds la tête, je laisse ma
blonde et j'en retrouve trois 1vresse,
to i qu i commandes 1a
autres et je ne sais plus ou plume et agites l'esprit; oui,
je m'en "va"! Tant pis, une autre je
voudrais
obéir et écrire
"shot" de ton eau de vie, eau toutes ces pages de ma vie, mai s
d'esprit,
qui
m' alimente,
m'irrigue et me permet cette
jouissance du tintement de ma
pisse dans le bol de toilette!
-
la main ne veut ou ne peut plus
suivre mes idées; mon esprit
s'embrume et je me laisse choir
dans ce halo de lune qui m' i llumine.
Un
ce
je
une
jour je te dirai tout, tout
que je su i s et tout ce que
ne sais pas, mais ce
autre fois.
Ave frater
et prends soin de toi!
Serge
BLONDINET
Guy Marchamps, "le plus grand poète de
Trois-Rivières", se rend fréquémment bouquiner à Montréal où, du haut de ses plus
que six pieds, il voit tout. Profitant de
cet avantage, il mit récemment la main sur
un exemplaire, assez unique, des Solitudes
de Bob Kaufman. Unique parce qu'il a
appartenu à Louis Geoffroy, et doublement
unique parce que ce dernier y a griffonné
un petit texte. Confinnation faite, il
s'agit bien de son écriture. Nous en reproduisons la teneur.
à Bob Kaufman
prime une négritude électronique dans des constantes de pierre
et de lumière artificielle en cet âge où la main va droit
au coeur résonne comme la peau d'un tam-tam catatonique
à la coda désamorcée au centre de girations intrépides et
mécaniques
Louis Geoffroy (1966?)
for Gerald Nicosia
The St.Lawrence is quiet
young girls·are giggling
coming home from school
remember me when the candle lights are gleaming
A black squirrel does a pirouette
A crooked Saint lighting his cup
membling his prayers high with spirit
A sacrament for the lost and damned
Raphale Perpinyan
Wandering like a ghost
in the streets of New York
Lost child
hidden in the dark of cities
from the dark of your mother
without home, or flag or country
47 years
47 millions
a deluge
a dynamic dynamo of energy
a machine gun for a typewriter
a promise never kept
To take the eyes of children
and leave us with dreams and fantasies
To be lost in American
To be lost in Siberia
without coyer or sanction of keys
with no flag or country knoweth
without toilet paper
embracing the pain of the multitudes
embracing the sky over cities
Persistant
Tenacious
across a white line
on a football field in Lowell in 1939
The followers scream for the team
One blast in the line
One drum roll
One Dutchman
One Duluoz
One dervish .
One banshee
One Le Trec
One Avinyon
One Yankee
One Saint Kerouac
One last ship returning home
One dark freighter in the night
One crooked eye underneath
One Pin-ball machine laughing
One French no se
One gaping mouth
One tired cock pissing on a fire-plug
One tortured soul singing in the deluge
One pool player without a cueball
One Greek woman loyal as anchovies
One hobo
One poet
One Priest without cloth
One Dominon
One bird
One pigeon
one lost solitary soul
One wanderer
One gypsy exploring the multitudes
One tortured genius embracing the sky over cities
Agonized crying Alvarado Street 1947
skidrow Los Angeles
amid the dungheaps and shells and ghosts of man
amid the winos and the lost and down
looking for a sign
looking for a star
looking for Christ in the gleam of a derelect
The Sireens and flashing lights
across the brows of the multitudes
in breadlines
in drunktanks
in dungeons
in darkness
in doom
in Montana
in Missula
in Mineapolis
in Denver
in Cheyenne
in Bakersfield
in Boomtown
in Britany and Boston and Manhattan
Looking for Walt Whitman
in the Lower East Side Morning
Amid old and Priests
Across the fires of childhood
Across the plains of Abraham
The tent of Jacob
to be one with word and wind
to be one with wonder
to be one with bird
to be a pen
a composer
a monkey on a stick
getting drunk with Charles Mills and Franz Kline
stumbling up Waverly Place and Hudson St. and Bleecker St.
with Zoot Sims and Charlie and Danny and booze and darkness
searching for the last of the bohemians
Stanley the ropemaker
with Dutch
At the Cedar Harold Goldfinger the alabaster nightingale
The lost sailor of the mist
The horseplayers in the stretch of Eternity
Stumbling
laughing in the night crying
embracing the shivering city
Muscatel and night jazz
wine and streets and flophouses
and cobblestones and tar and bridges and time
A genius without cover
like a bare twig in winter
sticking out of the Moors of Iceland
The skin to Rot
The bones to decay
The eye red and bleeding
The Wits silent
The tinsel fading
The firefly without fire or fantasy
The wonder crucified
The brain closed in Agony
The last solo of a wino slumping to the ground
Kerouac puking his guts and balls in the gutters of Lowell
and Long Island
and Florida
stretching his arms across the Zodiac
The vast void and mountain
kissing the angels
kissing the stars
clutching the dream that died
hugging his mother
in the night of winterland
embracing a daughter never known
out stretched his arms
his wide brow rising
touching the vastness of mountains
no more stinking Socialists
no more politicians
no more miserable mediocrities
no more football stadiums
no more intellectuals and scholars
digesting James Joyce
Proust
Baudelaire
Jack Kerouac
you had no more to give
and you gave everything you had
and that was all
everything and nothing
and you gave it all
Jack Micheline
Québec, October l, 1987
PRELUDES
La passion du jeudi soir prend un bain dans une simple tasse de
café, et l a petite s' envo le jusqu'à la -derni ère gorgée. Son
visage enfle, on se berce dans la vague de ses yeux . •• Puis le
calme après la tempête, on y voit maintenant du bleu.
Marie épluche les oignons. Les pelures sèches et brunies de la
vie s'ecossent avec le temps. Julien brasse les cartes, s'assomme au sens de l a vi e qu'il retourne en pi que, coeur ou carreau.
Des câbles électriques se tendent dans ses veines bleutées. Un
corps rond ou carré. Derrière la vitre biseautée, la silhouette
des longs visages se perpétue. Une réplique exacte du souvenir
s'insinue au passage et, le dos courbé, le jeune s'avance les
mains tremblantes, rougies par le câble trop longtemps givré .
Tout ce que l'innocent entend, malgré lui. La vie fait maintenant la sourde oreille, s'étend sur le pavé et attend.
Hier, le goéland riait, j'ai ai profité pour boire le fleuve.
Le vent se sauvait su"r l a pointe des pieds, j'ai suivi ses
traces. Puis les cailloux souriaient et venaient s'éteindre au
fond de ma poche. "Cannina Burana" sur papier, et le bonheur
existe. Une nuit s'achève, change de place avec la vie.
Prendre par la main, par les cheveux ou par les yeux, quelqu'un
prend l'air. Dehors le renard cherche la poulette brune, ou le
gri s foncé. Ell es couvent dans le poul a ill er, souffrent d' i nsomnie. La nuit est longue, durera toute l'année.
Des gens s'agitent ou restent immobiles, j'oublie l'heure; le
temps passe toutes les journées. Des personnes circulent, cherchent la sortie , sondent les pensées. Un filet d'homme s'installe et creuse l'horizon, fouille ses poumons.
Je suis la poulette blanche qui pond dans les branches, plusieurs petits cocos tombent par terre et se cassent en dix mille
morceaux . Ma crête est rose et mon oeil est vif. J'attends les
oies pour enfin m'envoler, picore le rivage, surveille d'un air
discret le signal.
Les poupées d'eau douce ou d'eaux glacées, les vestiges de tant
d'années. La rivière suit le cours de la vie sans broncher, au
même rythme que le courant.
L'emprunt verbal de nos idées troue le papier vert d'un grand
cri. L'arme de la folie persiste et franchit le lac que l'on
garde précieux, au creux de nos émotions. Une écriture calme et
posée s'inscrit en veilleuse. Rien ne bouge, seules les pensées
se succèdent.
Déhancher 1es mots et porter 1a tête haute. Un tei nt blafard
recouvre l a pei ne, et l' oub lise man i feste d'un son rauque;
j'entends les cris symphoniques de leurs matinées quotidiennes.
Toutes les guerres sont meurtrières, certaines font des prisonniers et laissent derrière de grands blessés. J'en ai vu plusieurs.
.6...
Un diapason se fait entendre; des enfants, tous vêtus de blanc,
se font prendre par la mélodie, et ce sont les canons, ceux des
fusils qui trouent le choeur des petits.
Le chocolat de mes nuits dépose un velours sur mes envies. Ma
main dessine un cercle, un oeil, deux yeux. Un océan sombre
sous les mots, lourds de compassion.
.
Le portrait usé des femmes démaquillées par le temps et les
années.
Le bonheur résiste à l'ennui et se couche tard.
Un emblème fuit le drapeau. Un tissu s'arrache de sur le mur,
la parole est dévoilée, le risque s'aventure et le poète doit
tout nier. Le bleu et le vert se côtoient. Le calme fuit et ne
veut plus revenir, on l'a retenu.
Les devoirs et les leçons s'apitoient sur leur sort. La pièce
est trop petite, la maison trop grande et les poissons se noient
à l'air ambiant. Chercher dans le bois un petit chemin, rencontrer Tarzan avec plaisir.
La senteur du chlore me monte au cerveau, le temps d'un souvenir, et puis s'enfuit sous l'ombre des chapiteaux. Les terrains
de jeux de ma mémoire sont bien achalandés. Des casques de bain
roses, des serviettes de plage trop courtes et des maillots
usés. J'avais un jour un navire, certes un petit, mais la mer
et les naufrages ne l'ont jamais capturé.
Katherine Gravel, 1988
Pa~l'"'ice Desbien8 est l'auteur de : Les Cons4quertC8S de la. vi" ..
L'Espace qui reste" L'Hotmllli nviaible/The I"vieibL. Mœc ..
Sudbury.. Dans L •apr~s~i co.rdiaquS.l Les Cascadeurs de
l.'amour. So" demi.r Livre Poènes angl.ais vi.nt d. parattre au;c
Iditions Prisi!. de Parol..
0", peut t rouver SO" po1i!:me-affiche
"Hier Vendredi.-Sai."t 6ft Tout" au bureau du CLub Jack KéroUlU:.
CAMBRIAN
COUNTRY
LE BRUIT DE
L1AMÉRIQUE
à Li se Tardif
à Claude Pé1ieu
Devant une classe d' étudiants
du Collège Cambrian
onze heures du matin et
leurs yeux vides comme les
fenêtres d'une usine abondonnée
j'ai la tête comme un trottoir
plein de craques et on marche
sur chaque craque
ça sent 1e Bryl cream et 1e Bi g Hac
ça sent le café et le trou d'cul
le silence de leurs regards me
cloue à la lumière des néons
ils sont tranquilles comme une photo
c'est un interrogatoire où on ne se
pose pas de questions
je regarde ma montre avec la nervosité
d'un terroriste
les gars veulent tous êtres des polices
et les filles veulent toutes êtres des
assistantes dentaires
je me sens soudainement comme un terroriste
avec un affreux mal de dents
je ne suis pas paranoïaque
je suis un paratonnerre qui reçoit
leurs éclairs et
il y a de l'électricité dans l'air
dans cette classe du Collège
Cambrian sous un ciel de la
couleur d'un.chèque de chômage
Tout le bruit de l'Amérique
sort de ma télévision
Mon salon devient une annonce de bière
Des femmes et des restants de poulet partout
Des hommes qui n'arrêtent pas de se toucher
en regardant un match de football
Les joueurs se pilent un par dessus
l'autre avec un bruit de ferraille
Pour eux il n'y a que la bien et le mal
les bons et les méchants
la vérité et le mensonge
Tout est si simple pour eux
comme une annonce de bière
comme des femmes et des restants de poulet écartillés
partout
Par tous les moyens à sa disposition l'Amérique
dispose de ceux qui osent pas croire à l'annonce de bière
E11 e avance
bandée comme un missile Cruise
Elle mange tout sur son chemin
tous les restants de femmes et de poulet et
toutes les dents de l'Amérique
sont noires et blanches comme un piano
un piano mécanique qui vous mord les doigts
un piano qui joue un blues
et un enfant qui joue avec
un douze sur
la pelouse de la
Maison Blanche
et dans les verres fumés miroir
du metteur en scène fou
je vois des hélicoptères dans
l'annonce de bière et
des hommes qui se lancent
des cannettes de bière
comme des grenades et
je vois l'annonce de bière
qui continue dans
toutes les chambres à coucher de
toutes les nuits de l'Amérique
Patrice Desbiens
Sudbury, 1986-1987
Patrice Desbiens
Sudbury, 1986- 1987
•
•
• • •
• • • •
• •
·If 1 d
't s
on this
1'11 meet you on the next one
and don't be 1ate •..
don't be late .•. •
(Jimi Hendrix dans Voodoo Chi1d
- Slight Reprise)
Juste comme on pense être éternel
on nous sort du bar par
le chignon du coeur.
Dehors c'est la mort
qui nous attend
souriante et bandée
comme un bouncer
qui flaire une proie
facile
'e ort s
at
juste
être éternel
on se réveille assassiné
dans une ruelle au fond
d'une ville sans nom et
sans âme où
seulement dieu et
sa gang sont
éternels.
Les lumières de l'ambulance
fouettent le corps
comme des spots à un
spectacle d'adieu
et dans les loges
les miroirs sont vides
Il n'y aura pas de rappel
Patrice Desbiens
Québec, 14 mai 1988
. .~
~r~ ·. ··
. ' ."
" .~: .
Parle nègre
parle noir dans la nuit
hulule tes blues parmi les toiles de la nuit
offre tes oraisons paiennes aux enfants bleus de la nuit
parle bouge dans la bouche des crotales
parle moche tout rond aux matous métaphoriques
car la nuit embrasse
car minuit est la berline chromée du vagabond
parle nègre aux vitrines scandaleuses
égraine tes colliers de syllabes
pour échapper au langage du trottoir frais
parle de langue en langue
pour que les détectives de la grammaire soient semés
dans le paysage sombre de la nuit
parle en notes atonales avec un chat dans la gorge
hurle tes histoires de vent dans la spirale du jeu
qui ne finit plus
parle noir dans la nuit
oublie que tu cherches à oublier
nocturne est le silence qui s'immisce dans les fibres du cri
parle fièvre parmi le jaune des lumières qui pissent sur
l'asphalte imbibée de crachats
bois la bruine
mange ton rêve de pain jusqu'au matin
broute les ruines de ton inlassable mouvement
l'artère grise où tu marches est celle-là même ou
coule ton sang
parle et vocalise nègrement même si le bourgeois cristallin
n'éclate pas dans ses bulles
va au bout de la nuit et reviens sur tes pas et repars
l'alphabet des ruelles te dira l'odeur de la mort
et de la vie tu auras appris à ne dire que l'essentiel
personne' ne sait à quel moment la terre entre dans la bouche
parle noir dans la nuit
et le jour se tiendra peinard dans les chiottes du soleil
Guy Marchamps
11 juin 1987
LES LAIDES OTAGES
Toute la «wing» se rassemble, donne des électro-chocs à l'infirmier qui avait violé la petite
Rosine inconsciente. Les deux autres matrones, Gertrude et celle qu'on appelait Guidoune,
sont alors facilement capturées.
de l'âge du bonze
frelatées au point de boire
le formol qui garde le fœtus
cette beauté qui ne s'écrit pas
cherche encore la veine-maîtresse
boit la strega
sur la gerbe des communiantes
étire la peau du silence.
Rosine n'était malgré elle qu'une incantatrice sorcière
ne portait que des brassières jaunies
de corsets agrafés de graisse
sous sa muqueuse sèche
pensait qu'elle se massait encore avec de l'huile de rose
de l'hyacinthe, du musc
mouvoir son corps comme la Chienne!
peut-être des fruits, des fleurs, des balles ou des masques tombés
le déisme à la mode
comtesses, ménagères, courtisanes, boulangères, froissant toute leur
robe de satin noir
et ces photos médiocres seront fusillées
tous ces ridotti
pendant que le restant de bois économise l'énergie.
VENIMEUSES, ATTEINTES.
Josée Yvon
Marlène Maltais
Oh de là des appats rances, parent des sous, parent déçus, et
en corps à coté, où par là, eh là bat, aux trépassages ....••.
Vois là où les édit heurts veules noue me nez. <.lu' est-ce à
dire?
Come si par la formounliée et pour tant tout temps formezsfor_
mulations, nous pour rions art rivé
à l • plu près cieux
que ce que le thé atre de la biche joue trot sous vent dent
no sales longs daim fortunés .
Faux
til croire que la tante hative peu se croire et croitre de dés ires rejoins, de ments que come un.
Peu
ton croire, si n'isme et barre bas ri noue car acter ri
s'en plu sous vent qu'autre ment,
qu 'ex siste come
une fois, si non la vague croix-yance, que
lex paie rie en ce temps et y si au ras dès frui, plu j'ut'eux,
plu d'où, plu d'Eli cieux que ceux chie- mique ment cons posés
de nos halures d'in d'ivides du . alistes cents pies tié?
Eh qu'elle
sein implorer de nous- guider sur la voix dès
coups vertes, ne se raie t'il pas mie
eux d'in voquer le
dix ables, come si la tante h~ive navet de pré tension que
la tente tation du voie heurt isme ?
No appats rances, no formes, se reines ou déca dante cas
chant comme en corps autre chose , no
edit heurts pré
textes raient-ils un come
un f-fort de vérité sain pIe
ment pour dés guster paires versements ce que de nous ils
nient aux raies en cor ps trouvées ,
nous voie y en en fin sous un jour plu nu mais me ancré
ma is me misé le jour, de ces maux ·qui en corps l'an porte
rond dit cloitre une y dent tité, et peu t'etre les notres
sons t'elles dès j'a en terrées, nous n'a lignons que l'épi
t'aphe d'l. fent tome qui luit pour tant ose sa vent turer,
sent l'avent ture bien sur, dent les part · et de ses dix
0 matic
vit sion dune pert dit s'yon,
part tee s'y on
bien art rangé
or, questrée dès
~a±sons n'anses de notre dé cade, à long jusqu'à décadanse.
Eh, allée croire que le lit et raire va nous faire voir
l'autre lit
eux ..... ....... .
~h, allée écrire de notre partie si passion
Hill faux
ré fléchir àce que d'in comme u nie cable
illia, et y reste ras, mal gré toux lait maux à lits
gnés, et mais me d'l. seul à su poser.
Hill faux
y ré fléchir, et pas trot, sang doux te
où blier que toux te tente hative reste veine anse
à mies . Fent
dos mène, nous somme cons sots mateurs, poing.
Oùblier ces pro-pots toux juste et cris à faim de
retrcuver le plaisir dudit re, juste pour dire,
juste pour par 1er. Par 1er de quoi? De toux et de rien,
et ne crin dre l'atta que la rérpi mande, +a le son suit
vente, par 1er, par ce que le véi cul le sot si aIle nous
y oh! bli je, no
mais moires nous
étangs ex t'ai
rie heure nous laits
chèrs chons à tas ton au tra ver
nos maux, ceux dès autres, épars le bi haie du pli art rivé.
Ainsi nous voie si et cri vent et la qu'ose sang pert t'y
n'a.nse ne nous art ras che ras allah plus me te nace, que ,'
pour d'autres faims, en corps celles du thé atre de la biche,
ma.l gré que long peu ce lait sait allez à croire que ré side
au sain de la tante hative, une no . si on y next primée ail
y heure, nous ce rond tous jours près pour allée faire sous
lignée que long a pu blier, la fort me re prend drap c'est
droit, sang lait à voir j'a mais pert dus, sain pIe ment
nous y ma ginons trot sein ple ment
Et pour ma par oh s'et poser le maux delà pre mi aire per
sonne, come on dés voilent un visage? pas de par, à par
c'elle de la nez gassion qui en fait n'es pas toute fête
au nom. Le sain ple fait dé cri re et de plu ne pas résister
allah tente tassion devoir sept et cris sur qu'elle que pas
pis est jour n'alle, peu cré et le para dox et en corps ~e
et ne crin dre l'atta que la rérpi mande, la le son suit
vente, par 1er, par ce que le véi cul le sot si aIle nous
y oh! bli jef no
mais moires nous
étangs ex t'ai
rie heure nous laits
chèrs chons à tas ton au tra ver
nos maux, ceux dès autres, épars le bi haie du pli art rivé.
Ainsi nous voie si et cri vent et la qu'ose sang pert t'y
n'anse ne nous art ras che ras allah plus me te nace, que :,'
pour d'autres faims, en corps celles du thé atre de la biche,
mal gré que long peu ce lait sait allez à croire que ré side
au sain de la tante hative, une no . si on y next primée ail
y heure, nous ce rond tous jours près pour allée faire sous
lignée que long a pu blier, la fort me re prend drap c'est
droit, sang lait à voir j'a mais pert dus, sain pIe ment
nous y ma ginons trot sein pIe ment
Et pour ma par oh s'et poser le maux delà pre mi aire per
sonne, come on dés voilent un visage? pas de par, à par
c'elle de la nez gassion qui en fait n'es pas toute fête
au nom. Le sain ple fait dé cri re et de plu ne pas résister
allah tente tassion devoir sept et cris sur qu'elle que pas
pis est jour n'alle, peu cré et le para dox et en corps que
nom. Allée ça voir? Sang doute l'et cri ture aide venue pour
mo i un autre je(u), plu et tran je serte que bien d'autre,
en n'ivrant et oh
si dé ce vent capte y vent.
Ce prSt et oh je(u) mais me dune fasse mi si n'hic mi cale
ho~~e nie heuse est dé j'a faire preuve de vol honté de sain
serrer dent le je(u) dès autres, c'est ,- édit heurt · y si en
corps en qu'est-ce t'yon. Sang doux te trot de c'est ri eux,
tes cuisses sont dans tes jeans
elles sont en même temps dans mes poèmes
tes jeans accouplent
et tu marches vite
tes talon s rou ges déglacent le trottoir
ton sac à main gifle les boites aux lettres
un flacon de Bentylol tinte au fond du sac
tes main s sont des cliniques
et tu reti ens tes larmes
toutes t es l armes amères
ma t ête de cochon d' Irlandais imagine tes hanches
ail leurs que sur une affiche
aill eurs que dans l e texte de loi
aill eur s que dans ma tête de cochon d'Irlanda i s
Yves Boivert
Yves Boit1ert est l de L ' avis de Patrice
po~te8
€r!co re en "crisse" au Québec.
Gardez tOLIt aw: tcrits des Forges.
' - - -_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _--1
(:) Vou are always welcome in arly
gatheri ng. C) (Proverbe ch; no; s)
~~esae jtf!~:e i~:t~frtnst;·
Oe8bierrs~ lm
des def"tli?l"s
IL a r 4cerrmcnt l'ubl.ii!
Le t~::t te qui prJc'èdo? eat
8of::es ::i8;:;:i/t~~t ;:~~~:
Memoria L b: LalJeLl en j uin de rnier.
CHANSON OUESIERNE
Une fin de semaine à la campagne
C'est pour l'anniversaire de Lise
Florence, qui a les cheveux roux, Jean et moi
sommes arrivés avec la lune et quelques bouteilles
Sur la boite aux lettres au bord du chemin c'est écrit
Lise en gros, Roland en moyen et Matthiole en petit
Ils sont tous là et Marie et Raynald aussi
Matthiole parle; elle dit: "Ma-hi-, Aynal"
Tout le monde s'est embrassé
Ici chacun est Monsieur Séguin et sa chèvre à la fois
Roland a allumé un feu dans le foyer
Lise a mis des fleurs dans le vase qu'elle a eu en cadeau
Dans les berceuses ou sur le tapis face au feu
Nous avons chanté des chansons d'amour toute la soirée
En versant du vin dans les verres et des baisers dans les chants
Tout le monde est allé dormir
Et le feu, crépitant une dernière fois, s'est endormi
Toutes moeurs adoucies
Je suis allée dans la Galaxie noire de Lise
Chanter une vi ei 11 e chanson country
Qui parle de gouttes de voie lactée perdues à cause de l'amour
C'est dimanche à la campagne
Je quitte la Galaxie chauffée par le soleil
Le coq et ses poules marchent comme des boulettes d'ouate
La chatte Octobre court les oiseaux
Florence a les yeux tristes ou fatigués
Elle se berce près de la fenêtre dans le petit matin
Tandis que Johnny Bunga~ow traîne sur la table
Tous levés nous avons déjeuné et mangé plein de bonnes choses
De la salade aux fruits frais, des cretons, du pain à Marie
Aussi du café et de l'eau
Pendant trois jours Marie et Lise ont fait la bouffe
Pour ce jour
C'est comme Pâques et la Passion
Raynald est parti par les chemins de terre
Jean l'a rejoint et reconduit à la grand'route
Lise m'a emmené sur une montagne
Il y aune plantation de poteaux téléphànîques
au loin on voit les États-Unis couchés sur le dos
Nous les avons imités
La montagne nous chevauchait
Les cuisses pleines de terre
Au retour Lise m'a présenté sa république des animaux
C'est très Perrette et petit pot de lait
Tous ces animaux sont bien organisés
Comme ~ dans le roman d'Orwell - à chacun son 1984
Il Y a la chatte Octobre
Qui surveille les poules qui sont un paquet de nerfs
Et leurs cris comme les sons électroniques des jeux-vidéo
Le cochon Noiraud mange des légumes
Les lapins n'ont pas de nom - c'est meilleur pour la viande
Lise a de beaux yeux et de beaux canards blancs
Et une poule grise qui n'a pas d'église
C'est une mystique qui se prend pour François d'Assise
Et caquette et glousse pour tout et pour rien et pour Dieu
Nous prenons des oeufs sous les poules et nous les mangeons
Plein de jaune sur le ventre
La chèvre Isis ne cesse de nous lécher
Pendant que nous tombons dans le foin
Nos mains glissant contre tous les reins
Dehors le bou~ veut me sentir
Il y a des cornes de bois qui feront de jolies anses
La vache Rosie veut me manger
Il y a, gros comme un éléphant, le cheval Choper
Lise le fait bander avec une branche pleine de feuilles
Son pénis violet gros comme mon bras
Il fait des grimaces en souriant
Les vaches sont les filles de Bouddha
Béates en leur nirvana, ruminant leur mantra
Et le boeuf est seul et unique; c'est Mir-le-boeuf
Et je suis pour lui la princesse de Babylone
J'embrasse Lise et vais rejoindre Marie dans les champs
C'est pastoral comme une partie de baseball
Je me sens comme un berger, comme un voltigeur de centre
Je vois galopant au loin Roland sur son cheval
Il est beau· dans le vent
Il est comme le vent quand on voit le vent
Dans le ciel c'est le soleil qui s'en vient
Ou les nuages qui s'en vont
Marie est jolie
Elle a les yeux bleus et les doigts rouges
Les framboises saignent dès qu'on les touche
Marie les met dans un gros pot de verre
Nous les regardons s'écraser les unes contre les autres
Il y a des fleurs mauves qui forment un nuage bleu fébrile
Les étamines excitées par les rires des pistils
Les framboises nous tombent désormais dans la bouche
Les abeilles ne discutent jamais longtemps avec les fleurs
Matthiole parle davantage; elle dit : "Lohence, Han, Mayo"
Le soleil s'est caché et les verts ont foncé
La fin de semaine à la campagne se termine
Lise m'offre un cerisier de Jérusalem
Mais j? ne connais rien aux arbres sacrés
Et qui ttant cette terre fertile
La pleine lune orange nous reconduit
Mario Rancourt
E CINÉMA AFFIRME QU·UN TRAIN SE DÉPlAC
-
..
De la fenêtre de mon train
une cuisse me colle d' un oeil bon marché.
Einstein dans sa chaloupe attend .
Le conducteur ralentit
la cuisse se déplace
et le savant digère l'arête d'un menhir aérien.
Ma voisine se parfume
les pendus pendent aux arbres
et les poteaux répondent aux appels anonymes.
La carcasse d'un saxophone s'allonge
entre la queue d'un cheval et le sel d'une vache .
Un poisson nage entre Montréal et Baie- Jolie
et l ' électricité se cultive.
Serge Mongrai n est photogrophe . Son premier recueil. L'oeil. de
t ' idée vien t de para:tt roe aux Éc rits des Fo r ges.
Le texte qui
pr éc ède es t tiré de ce r ecuei l. .
n étai t un des poètes
québécoi s invité è'l La s oir é e de poés ie du Kerouac Memorial li
Lowell. en j uin. derni e r .
'owell,
Li eux, vi sages, paysages, con-
versations, personnages, écrits
et fictions alimentent les
découvertes.
La ville industrielle et victon enne
Massachusetts
Josette Bourque
Ferlinghetti,
Ginsberg
et
McClure lisent ou disent leurs
textes.
Avec sa voi x et son
corps, Gi nsberg attei nt un
auditoire qui l'écoute religieusement. McClure récite et,
accompagné d'un ex-pianiste des
Doors, obtient le même résultat; son "show" nous semble
dépassé et aligné sur1e pilote
automatique "Il pleut de la
pluie acide".
Le vendredi 24 juin à 18 h,
nous reconnaissons une ville
industrielle
qui
rappelle
Sherbrooke : des usines de briques rouges à troi s ou quatre
étages situées non _ loin des Durant l'entracte, ceux qui ont
à 1a
rencontre
rivières et des canaux, de participé
petites maisons modestes en . Kérouac à Québec, en octobre
bois avec les tourelles et des 1987, se saluent. Robert, un
baies vitrées, une rue princi- franco, nous présente Jane, la
pale qui présente des bâtiments fille de Kerouac : cheveux
pl us sol enne1 s avec 1es orne- noirs, regard bleu et tâches de
mentations d'inspiration grec- rousseur.
que ou romaine, en pierre ou en
À 23 h après un second entracbrique.
te, la lecture de poésie est
L'affichage révèle peu à peu terminée. Les "others" francos
les origines "francos" d'une et québécois n'ont pas pu lire
partie de ses habitants : "Côté 1eurs textes : . programme trop
autoparts", "Oue11ette market", chargé, aléas de la planification, renommée qui n'atteint
Levesque grocery store".
pas l'échelle de l'empire.
Les événements ••.
La SOl ree de poesie au Smi th Conversations entre 1es événements
Baker Center
Le soir, nous nous rendons à la
poes1e.
Au
de
soi rée
Allen Ginsberg,
programme
Lawrence
Ferlinghetti
and
"others".
Les rencontres d~ns les restaurants et les bars révèlent une
partie de ce milieu .
Cette ville industrielle avec
ses moulins de textile connaît
des
mutati ons
économi ques.
Depui s quel que temps, 1es gens
vi sîtent Lowell à 1 a recherche
des descriptions et de l'atmosphère des romans de Kérouac.
Les développeurs et les planifi cateurs associ ent une vocati on touri sti que à ce "Veni se"
industriel.
Les industries à
haute technologie s'implantent
dans cette ville non loin de
l'a ire d' i nf1 uence de 1a route
128 de Boston. Les moulins de
textil e sont recycl és en condos, en centres commerciaux, en
lofts culturels avec boutiques
d'artistes,
en coopératives
pour personnes âgées, en entrepôts ou sont abondonnés.
Comme
plusieurs
héritages,
Kérouac demeure un personnage
controversé. "A ni ce park for
the wrong guy". "Il était bon
avec sa plume, pas avec sa vie"
dit un homme dans la soixantaine qui l'aurait croi sé durant
son adolescence.
Les célébrations Kérouac ne
sont pas celles du rêve américain.
Pour ce fils d'immigrants minoritaires, le rêve
n'a pas tenu ses promesses.
Des résultats scolaires médiocres et une jambe cassée empê-
chent cet ancien joueur de
football de faire son entrée
dans le monde académique et de
gravir les échelons de la réussite sociale. Tout nia pas été
facile pour son père, puisque
1a fami 11 e a déménagé souvent
dans les différents quarti ers
de Lowell.
En Améri que, l es chances sont
là et le lignage ne compte
pas. Si l es gens ne -profitent
pas des opportunités qui offre
le libéralisme, alors quelque
choi x ne tourne pas rond dans
leur tête. Beaucoup sont appel és et peu sont él us dans ce
monde darwiniste qui sélectionne les plus forts.
L'autre
Amérique, celle des minorités,
des laissés-pour-compte, des
deux-de-pique (Boisvert, Yves,
Ga rdez tout, 1987, Éc rits des
Forges), vit 1a doul eur dl entrer dans le moule.
Cérémonie dl inauguration du
Eastern Canal Park et du monument Jack Kerouac
Le samedi 25 juin, nous nous
rendons à la cérémonie d'ouverture du Eastern Canal Park et
du monument Jack Kérouac. Sur
11 estrade,
notab 1es locaux,
représentants de 1 IËtat du Massachussets, délégués de la
francophonie, porte-parole de
la Corporation de la célébrati on Jack Kérouac, scul pteur,
amis et veuve de l'écrivain.
Les discours référaient au
développement de la ville, au
nouvel espace créé à la francophonie et, partiellement, aux
ori gi nes et à 1a vie non-conformistede l'écrivain.
Le
Club Jack Kérouac offre une
plaque en hommage à 1 lauteur et
à la francophonie d'Amérique.
Les gens ci rcul ent entre 1es
piliers triangulaires de granit
rose où
sont gravés des
extraits des romans de Jack
Kérouac.
Pas de statue, des
écrits .
Le tour littéraire de la ville
En compagnie de Roger Brunelle
et de Réginald, nous découvrons
les différents quartiers racontés dans 1 loeuvre de Kérouac et
par les témoignages de nos sympathiques guides.
paysage industriel, une maison
imposante avec une immense tour
où logeait le docteur Sax.
L'école dispensait un enseignement bilingue: en français le
matin, et en angla:is l'aprèsmidi . Le tout est illustré par
des chansons et anecdotes
tirées de 1 enfance de nos deux
guides.
Nous terminons cette
randonnée culturelle au cimetière.
"He honoured life"
gravé sur la pierre tombale,
quelques présents, bouteilles
de vi n, poèmes et fl eurs évoquent la présence de Kérouac.
1
Les clubs sociaux de Pawtucketville et de Centralville
Le soir, nous allons dans les
clubs sociaux. À celui de Pawtucketvi11 e, nous avons des
conversations amicales avec des
Nous ci rcul ons dans 1es quar- francos. Un des pl us âgés dit
ti ers
St-Jean-Bapti ste,
1e que sa femme exigeait que lion
Petit Canada, Central ville et parle français à la maison. La
Pawtucketville qui localisent 1angue parl ée vari e selon 1es
les différents domiciles de la lieux et le temps: on "switfamille Kérouac.
Le Petit che" du français à 1 'anglais si
Canada a disparu à la suite on est à la maison ou à l'usiLa langue maternelle,
d'une opération de rénovation ne.
urbaine pour faire place à transmi se par 1es femmes, cor11 Université de Lowell.
Une respond pl us à 1a vi e privée
pierre rappelle la présence des qu'à la vie publique.
immigrants d'origine francophone dans 1e paysage.
Chaque Nous termi nons notre voyage
année des francos reviennent se "semi-organisé" en roulant sur
recueill i r à cet endroit. Sur "nimporte quell es routes" qui
1es hauteurs qui dominent 1e nous conduisent de Lowell à
Québec.
Quelle est tu ruuie? C'est la route du saint. la route du fou, la ruut ...
d'arc -en-c iel. lit .·oute idiote
n'importe quelle route
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JACK KÉROUAC
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Juin 1987
Vol . 1 no. 2
On s'abonne à
n'importe quelle route
en devenant membre du
Club Jack Kérouac.
La cotisation est de
10,00$ par année
et donne droit, outre un
abonnement, aux diverses
activités du Club et à
une réduction sur les
autres publications .
Faites parvenir vos
coordonnées au
Club Jack Kérouac
129, Côte de la Montagne,
Québec (Québec), G1K-4E6
(418)692-5177
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Poems by John Montgomery
~OQtgomcry's
t<>Ull y unique poetr)'. tu.""nÎng synt..U.. =,~oiogy.
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