Plan de l`intervention

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Plan de l`intervention
L'ETRANGE NOËL DE MONSIEUR JACK
Henry Selick, réalisateur de L'Étrange Noël de Monsieur Jack et Tim Burton, auteur du
poème et des dessins à l'origine du film, débutent comme animateurs pour les studios Walt Disney
Pictures, au début des années 1980. Ils y côtoient de futurs grands noms de l'animation en volume
comme Nick Park (Wallace et Gromit) ou John Lasseter, co-fondateur de Pixar en 1986 et
réalisateur de Toy Story en 1995. Il y a, présente à cette époque chez Disney, toute une génération
d'animateurs qui envisagent leur travail dans une animation autre que le dessin animé.
En 1984, Tim Burton quitte Disney en laissant les dessins et textes préparatoires de L'Etrange Noël
de Monsieur Jack à la firme aux grandes oreilles. Pris par d'autres réalisations au début des années
1990, il confie la mise en scène du film à Henry Selick et la musique à son compositeur principal :
Danny Elfman.
L'Étrange Noël de Monsieur Jack se caractérise d'abord par le choix du stop motion (animation en
volume) comme procédé d'animation, le singularisant des longs métrages réalisés en dessins
animés, procédé d'animation plus populaire. L'animation en volume permet de traduire le
mouvement des personnages grâce à des figurines, à des objets et non pas à travers le dessin. Henry
Selick joue, notamment avec cette technique, à produire le sentiment de peur et à le désamorcer
avec des personnages effrayants visuellement mais drôles et poètes, mélangeant la comédie
musicale avec le film d'horreur. Il parvient à les unir en mettant en scène un conte se déroulant entre
trois mondes, développant chacun des visuels distincts à travers une imagerie tantôt inquiétante,
tantôt rassurante.
I Une technique d'animation particulière : l'animation en volume :
Tim Burton réalise plusieurs films en animation en volume : Vincent (co-réalisé par Rick
Heinrichs, en 1982), Les Noces funèbres (co-réalisé par Mike Johnson, 2005) et Frankenweenie
(2012).
Henry Selick réalise entre autres James et la pêche géante (1995) et Monkeybone (2001), films
combinant prise de vue réelle et animation en volume.
Les deux collaborateurs, familiers de l'animation en volume, n'envisagent pas d'autre technique pour
mener à bien le projet, s'inscrivant comme des héritiers de Ray Harryhausen et Jan Svankmajer.
1-Hommage à Ray Harryhausen et Jan Svankmajer :
Tim Burton découvre la technique de l'animation en volume grâce à des films associant le
cinéma en prise de vue réelle et stop-motion. Il accole systématiquement un nom à ce mélange,
celui de Ray Harryhausen à qui l'on doit, entre autres, les squelettes de Jason et les argonautes
(Don Chaffey, 1963). Tim Burton et Henry Selick s'inspirent particulièrement de ces personnages
pour L'Étrange Noël de Monsieur Jack puisque Jack n'est autre qu'un squelette. Les deux cinéastes
s'imprègnent également de l'approche de Jan Svankmajer, réalisateur et animateur tchèque, utilisant
lui aussi la technique de l'animation en volume. Contrairement à Ray Harryhausen qui fabrique des
figurines, Jan Svankmajer anime des objets du quotidien (couteau, vêtement, armoire, nourriture).
Le personnage de Sally, poupée de chiffons, se rapproche de cet univers brut et laisse un sentiment
d'inachevé. Ces inspirations se retrouvent dans L'Étrange Noël de Monsieur Jack à la fois dans la
technique employée et dans la création matérielle et visuelle des personnages.
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2-L'art de l'animation en volume :
Ray Harryhausen confectionne dès les années 1940 des figurines avec des armatures en bois
puis en métal, les perfectionnant de projets en projets. Revêtue d'un costume miniature, la figurine
est positionnée par l'animateur dans un décor. L'animateur enregistre ensuite une image avec la
caméra, bouge d'un demi-millimètre la figurine, enregistre à nouveau une image. L'opération est à
renouveler 24 fois pour obtenir 1 seconde de film. L'appréhension générale du mouvement de la
figurine n'est donc pas visible sur le plateau, au moment du tournage du film, mais uniquement en
projection, à vitesse normale, c'est-à-dire 24 images par seconde.
Le procédé de base de l'animation en volume retient l'attention de Tim Burton et Henry Selick car il
est accessible simplement. Les cinéastes y voient l'occasion d'animer l'inanimé : de donner vie à
quelque chose qui est inerte, à un objet quelconque ou à un être mort. C'est d'ailleurs l'une des
thématiques majeures de Frankenweenie, réalisé par Tim Burton, dans lequel un enfant ressuscite
son chien récemment décédé. La technique de l'animation en volume double le propos du film, le
fond et la forme se rejoignent.
3-Une technique d'animation palpable :
L'animation en volume, contrairement au dessin animé, requiert la manipulation d'une
figurine et non d'un crayon ou d'un pinceau. Elle nécessite un travail sur la matière, la malléabilité
de l'objet à animer et l'appréhension du mouvement dans un décor en volume lui aussi. L'ensemble
compose un monde miniature.
La prise de vue, consistant en des photos successives projetées à une cadence suffisamment rapide
pour donner l'illusion du mouvement, s'approche du principe du folioscope (ou feuilletoscope, flipbook). La figurine en trois dimensions permet des créations à la fois imaginatives et matérielles,
offrant une représentation en volume de personnages ou d'objets originaux pouvant évoluer dans le
temps et l'espace et pas uniquement en dessin.
Si L'Étrange Noël de Monsieur Jack se compose de figurines en silicone, elles peuvent être
remplacées par des objets du quotidien (comme des marionnettes, des poupées ou même des stylos)
ou fabriquées avec de la pâte à modeler, du papier ou encore du fil de fer ou de la laine, permettant
de mélanger les matières et les textures tout en travaillant les volumes et les mouvements dans
l'espace.
II. Générer et désamorcer la peur :
L'univers classique du conte de fées mêle des atmosphères lourdes et légères ainsi que des
personnages typés. L'Étrange Noël de Monsieur Jack n'échappe pas à cette construction et à la
représentation de ces modèles, jouant sur la création de la peur et sa déconstruction.
La sensation d'angoisse naît de la combinaison d'un visuel particulier, comprenant des personnages
et des décors macabres, et un fond musical composé de notes graves et basses.
Cette sensation est cependant rapidement désarmée d'une part par les paroles des chansons qui
expliquent de manière poétique les états d'âme et d'autre part grâce à la gestuelle et aux expressions
du visage des personnages. Réagissant à la peur, ces derniers deviennent grotesques et drôles par
leur excès d'expressivité, traduisant une humanité exagérée. Les problèmes trouvent des solutions
comiques, dédramatisant les événements vécus par les personnages.
1-Des personnages morts mais vivants
Dans la ville d'Halloween, tous les habitants semblent avoir fait l'expérience de la mort et y
avoir survécu. Ils portent la trace corporelle d'une vie antérieure. Leur apparence est effrayante car
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funeste, évocatrice du trépas et de la décomposition qui l'accompagne. Pourtant, cette mort n'est pas
synonyme d'inertie puisque les personnages sont sans cesse en mouvement.
Jack l'épouvantail est le personnage principal de L'Étrange Noël de Monsieur Jack.
Squelette vivant au physique arachnéen, l'inconvénient majeur de cette figurine et ce qui la rend
d'autant plus effrayante, est qu'elle est dépourvue de regard. Or, comme Tim Burton le rappelle « la
première règle de l'animation est l'expression des yeux »1. Le défi fut donc de rendre humain un être
qui n'est plus tout à fait humain. Pour cela, les animateurs travaillèrent sur les mouvements des
orbites : la partie supérieure du trou remplace les sourcils qui se froncent ou s'étirent, le globe
s'élargissant ou rétrécissant pour signifier la concentration ou l'énervement de Jack. La bouche, plus
ou moins ouverte, souriante ou maussade transmet à son tour les émotions du squelette et
l'humanise, lui donne des expressions d'un être humain vivant.
Sally, le personnage féminin du film est une créature de Frankenstein (d'ailleurs, Henry Selick fait
un clin d'oeil au docteur de Mary Shelley en le nommant Finkelstein). Comme dans le texte
original, Sally est fabriquée à partir de différents fragments, non pas de corps humains, mais de
tissus. Elle est un être reconstitué, un patchwork dont les coutures/cicatrices restent particulièrement
visibles, rendant son apparence repoussante, laissant voir ses vies antérieures. Chaque partie du
corps de Sally est autonome et ne semble pas avoir besoin d'elle pour vivre, donnant lieu à des
passages horrifiques dans lesquels des bras amputés se promènent. D'autres séquences montrent la
solidarité de ses membres à son cerveau et à son cœur quand son bras amputé frappe le docteur pour
obtenir la liberté. Déjà, l'horrifique et la comédie se rejoignent. Henry Selick invite à compatir au
sort du personnage physiquement meurtri et prisonnier de son maître. Sally possède un côté
rassurant et apaisant car elle sait pardonner mais possède aussi la capacité de se recoudre.
Autrement dit, elle répare ses propres maux mais aussi ceux des autres, incarnant la bienveillance et
la dévotion.
2-L'Humour comme remède à la peur :
Henry Selick fait appel au burlesque pour désamorcer la peur générée par des situations
dangereuses. Ainsi, les personnages trouvent des solutions insolites à leurs problèmes en déformant
leurs corps, comme Sally, en se décousant mains et jambes.
Ils deviennent des figures grotesques, comme le Maire, personnage disproportionné possédant deux
visages : un joyeux, l'autre triste, indiquant son état d'esprit.
Le burlesque intervient également quand un être ou un élément incongru vient envahir un espace où
il n'a pas sa place. Ce sont les cadeaux de Noël dans la Ville d'Halloween ou bien le lapin enlevé
dans la Ville de Pâques se retrouvant face aux créatures d'Halloween. Le lapin jure avec
l'environnement d'Halloween par ses formes douces et sa couleur rose pâle.
Henry Selick joue aussi sur le retournement des valeurs. En effet, on se rend rapidement compte que
les monstres physiques sont dotés de sentiments et ne sont pas aussi méchants que leur apparence le
laisserait penser. C'est exactement ce qu'il se passe quand Jack, montrant un cadeau emballé dans du
papier, ne prend en considération que l'emballage et non le contenu. Il regarde l'extérieur des choses
mais pas l'intérieur.
Enfin, ultime retournement burlesque, la mort n'existe pas vraiment dans L'Étrange Noël de
Monsieur Jack puisque les squelettes vivent ; le corps de Sally se répare comme si, finalement,
passer l'arme à gauche n'était qu'une phase de la vie. Aussi, les personnages s'amusent avec leur
enveloppe, à l'image de Jack retirant son crâne pour mieux le contempler.
1 Tim Burton dans Tim Burton, Mark Salisbury, Tim Burton par Tim Burton, Point, France, 2012, p. 176.
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3-Une Comédie musicale macabre :
L'aspect musical amorce et désamorce également la peur. Danny Elfman, compositeur du
film, joue entre les notes graves et nostalgiques et les longues notes aiguës et entraînantes
adoucissant l'aspect macabre de l'image.
Le texte des chansons, en rime, est descriptif des émotions éprouvées pour les personnages, les
humanisant tout en expliquant le raisonnement qui conduit à leurs actes. Ces derniers prennent alors
du sens par rapport au contexte et rassurent sur les intentions. Jack ne cherche pas à détruire Noël
mais à donner de la joie car il est malheureux dans son rôle du roi d'Halloween. Bien que sa
démarche soit maladroite, elle apparaît louable, le spectateur comprend les intentions et les actes de
Jack. Le chant contredit l'aspect monstrueux des personnages et permet d'entendre, en plus de voir,
sous les apparences.
III. Un conte entre trois mondes :
L'Étrange Noël de Monsieur Jack commence par une sorte de Il était une fois rappelant
immédiatement l'introduction typique des contes de fées. S'appuyant sur cette formule, le film se
divise entre trois mondes, incarnés par trois villes : celle d'Halloween, Christmas Town et la ville du
monde normal. Ces trois univers sont mis en image de manière très différente, reflétant chacune
leurs influences cinématographiques ou picturales.
1-La Ville d'Halloween
Filmée majoritairement de nuit ou sous un ciel bas, elle fait penser aux films
expressionnistes (Le Cabinet du docteur Caligari par exemple) par l'usage répété des lignes
obliques, penchées comme si ce monde était au bord de l'effondrement. Pour la création visuelle de
ce monde, les animateurs droitiers dessinèrent de la main gauche et inversement pour les gauchers
afin d'obtenir cet aspect bancal. Les constructions sont gris foncé qu'elles soient en bois ou en
pierre, les éléments décoratifs ressemblant à du métal peint en noir donnant à l'architecture un ton
austère ponctué de notes vertes et oranges, couleurs des citrouilles à Halloween.
2-Christmas Town
A l'inverse des lignes tranchantes et dangereuses de la ville d'Halloween, Christmas Town
possède des formes rondes héritées du style de Disney. Les lignes sont douces, apaisantes. La neige
blanche s'oppose au noir charbon d'Halloween et rappelle, comme les citrouilles, la période des
fêtes de fin d'année. La lumière y est douce, caressante. Le rouge et l'or, très présents à l'image,
rappellent la chaleur du foyer et du feu de bois. Les lampes possèdent des couleurs vives qui
s'alternent avec le blanc créant une impression permanente de clignotement des lumières. Les
personnages y sont joyeux et souriants. Christmas Town constitue une représentation visuelle du
bonheur. Elle est l'incarnation du rêve alors que la Ville d'Halloween symbolise le cauchemar.
3-La Ville du monde normal
Si la visée de la Ville d'Halloween est de faire peur et celle de Noël de rendre joyeux, que
reste-t-il comme but au monde réel ? Halloween et Christmas Town possèdent une fonction et un
nom tandis que ce troisième lieu n'en possède pas, révélant son manque de caractère. Il ne se signale
ni par ses formes rondes ni par ses lignes coupantes, il navigue entre les deux, épousant
ponctuellement ces deux esthétiques sans en posséder le tempérament. Henry Selick le filme
comme un univers monotone et fade semblable à certaines représentations picturales de Grant
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Wood.
Pour faire ressentir cet ennui, Henry Selick a recours à des lignes droites, à des perspectives
cavalières proches de celles d'un architecte en bâtiments. Ce monde est pragmatique, dénué de toute
fantaisie. Les couleurs, si franches dans Halloween ou Noël y sont pastels. Diluées, elles colorent
timidement un monde sans identité, qui attend d'être diverti par les autres villes. A cette idée répond
l'absence de visage d'adulte comme si ce monde était peuplé d'anonymes. Henry Selick ne permet
pas au spectateur de sympathiser ni de compatir au sort de ces personnages-là. Traditionaliste et
bureaucratique, ce monde est impersonnel et se doit d'être contrarié par l'intervention de fêtes,
ponctuant le calendrier de quelques frayeurs ou de quelques joies, en temps voulu.
L'Étrange Noël de Monsieur Jack interroge les valeurs morales de notre société ainsi que les
modes de représentation au cinéma. Ce film est tout d'abord conçu dans un type d'animation peu
fréquent. Le stop-motion permet d'expérimenter les possibilités de l'animation en dehors du dessin
animé.
Bien que L'Étrange Noël de Monsieur Jack et Ernest et Célestine n'utilisent pas le même type
d'animation, les deux films abordent la problématique du monstre et de sa représentation tout
comme Steven Spielberg quand il décide, dans E.T., de confronter une banlieue tranquille avec
l'arrivée d'un extra-terrestre. Jack est un monstre horrible pour les habitants du monde réel et pour
ceux de la ville de Noël mais il est un monstre génial pour la Ville d'Halloween. L'Étrange Noël de
Monsieur Jack constitue une réflexion sur ce qui caractérise physiquement et moralement un
monstre, traitant de biais la question de la peur de l'autre et de l'altérité.
Inversant les stéréotypes, Henry Selick fait des morts des êtres gentils, ils incarnent, malgré les
apparences, une certaine idée du Bien et de la justice tandis que les vivants incarnent le Mal.
Se servant de la structure du conte de fées et des univers qui le composent traditionnellement,
L'Étrange Noël de Monsieur Jack fonctionne comme un récit d'apprentissage, amenant à
apprivoiser les névroses (un monstre se cache sous le lit mais en fait, il est gentil) mais aussi les
psychoses (la mort n'est pas une fin mais seulement une étape, les apparences sont trompeuses).
Enfin, la mise en chansons, l'animation en volume et les esthétiques singulières de chaque monde
offrent des possibilités d'expérimentation de représentation des mondes correspondant à leur
fonction bien plus qu'à leurs habitants.
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