Du sang dans le bac à sable

Transcription

Du sang dans le bac à sable
Après Elite,
Mercenary a
fait atterrir le
jeu open world
à la surface de
la planète Targ
en 1985.
« Moi, ce que j’aime dans les jeux open world, c’est la possibilité d’offrir aux
joueurs un environnement sandbox où ils peuvent s’éclater librement, sans
avoir à suivre nécessairement un scénario. Et s’ils décident de s’impliquer
dans l’histoire, alors elle sera open-ended. En fait, je crois bien que mon genre
préféré, c’est le GTA-like ! »
S
i la moitié des mots utilisés dans ce petit monologue vous sont étrangers,
ou que vous êtes en effet un inconditionnel des GTA-like, alors ce dossier
devrait vous intéresser…
Elite, sorti en 1984, est
considéré comme le
premier jeu open world.
Du sang dans le bac à sable
Petit tour au cœur des jeux « open world »
L
es sorties quasi simultanées de
Prototype et d'inFAMOUS (critiqués dans ce numéro), deux jeux
largement inspirés (qui a dit : « totalement pompés » ?) de la série Grand
Theft Auto, ont provoqué il y a peu la
floraison dans la presse spécialisée
de nombreux mots ou expressions
tels que : « open world », « sandbox »,
« monde à architecture ouverte », « environnement bac à sable », « gameplay
émergent », « GTA-like »… Des mots
qui, pour le commun des mortels, ne
signifient rien, et restent même le plus
souvent relativement flous pour les
gens qui les utilisent ! « Pouvez-vous
me citer trois jeux open world ? » Cette
question, posée aux équipes de IG
Mag, Gameblog.fr et Nolife, a suscité
des réponses pour le moins hétéroclites. Si GTA IV et World of Warcraft
reviennent le plus souvent, Zelda est
également mentionné plusieurs fois,
ainsi que des titres aussi divers que :
Super Mario 64, le dernier Prince of
Persia, Shenmue, Shadow of the Colossus, Fuel, Animal Crossing, Freelancer,
Deus Ex, Hunter…
Inspirée par la ville de New York, Liberty City (« The worst place in America ») symbolise à elle seule la saga
GTA et le libre arbitre qu’elle offre aux joueurs ; autant d’un point de vue moral que physique d’ailleurs !
Libre comme un pixel nu
Un titre « open world », c’est un
titre qui propose un environnement
de jeu ouvert. C’est-à-dire un gameplay non linéaire qui n’oblige pas le
joueur à suivre un chemin balisé d’un
point A à un point B, mais le laisse
libre de se déplacer comme bon lui
semble, à son rythme, sans avoir à
subir la contrainte d’un « niveau ».
Un jeu comme GTA IV est donc open
world, puisque le joueur peut se balader quand il veut, où il veut, dans la
ville virtuelle de Liberty City, que ce
soit à pied comme un vulgaire touriste, ou à bord d’un véhicule, et ce,
dès les premières minutes de jeu ! En
revanche, les premiers Sonic et Mario,
Tomb Raider ou encore Shadow of the
Beast, chroniqués en rubrique Rétro,
sont tous linéaires. Pour finir un niveau, on se contente, dans les jeux 2D,
d’avancer de gauche à droite, et dans
les jeux 3D de rallier le point de sortie,
en s’efforçant de survivre à tous les
obstacles (« oh un trou ! ») et autres
ennemis (« nooon, pas le T-Rex ! ») qui
se présentent devant nous…
Le jeu open world n’est pas né avec
GTA, contrairement à ce que l’on
pourrait penser ; même si le titre de
Rockstar North a popularisé le genre
au point d’en devenir l’incarnation,
l’étalon, la star ! On parle ainsi de
GTA-like (une expression signifiant
« jeu à la GTA ») pour qualifier les jeux
à architecture ouverte, comme l’on
a qualifié un temps les first person
shooters de Doom-like. Alors quel est
le premier jeu open world ? Beaucoup
citent Elite, la simulation développée
au début des années 1980 par David
Braben et Ian Bell, alors qu’ils étaient
encore à l’université de Cambridge.
Sorti par Acornsoft en septembre
1984 sur BBC Micro, Elite place le
joueur à bord d’un vaisseau spatial
dans un environnement en 3D fil de
fer. Celui-ci est libre de se déplacer à
travers la galaxie pour y faire du commerce ou piller les cargos de fret.
Succès critique instantané, Elite a été
adapté sur d’innombrables plates-
formes et s’est écoulé à près d’un
million d’exemplaires ! Pourtant, l’espace dans ce jeu n’était figuré que par
un carré noir, une poignée de pixels
blancs pour les étoiles, ainsi que des
formes géométriques représentant
planètes et vaisseaux !
La liberté s’habille en 3D
Un autre jeu régulièrement cité
comme symbole des mondes ouverts
est le Mercenary de Paul Woake, sorti
en 1985 sur Atari 800 XL. Après avoir
atterri en catastrophe sur la planète
Targ, en pleine guerre, le joueur doit
parvenir à s’en échapper. Pour cela, il
est libre de se déplacer en vue subjective sur Targ et même d’entrer dans
Sorti en 1988, Starglider 2 permettait à bord de
son vaisseau de voler en rase-mottes au-dessus
de planètes en 3D, en ayant à tout moment la
possibilité de quitter son atmosphère pour explorer
l’espace à la recherche d’une autre planète !
des bâtiments en 3D vectorielle !
En 3D ! Un monde « ouvert » en trois
dimensions comme celui de Starglider 2, de Midwinter, ou de Hunter…
Autant de jeux aux environnements
open, sortis entre le milieu des années 1980 et le début des années
1990, au moment où la 3D ouvre de
nouveaux horizons créatifs aux développeurs ! L’avènement de la 3D a
ainsi révolutionné le monde du jeu en
permettant la réalisation de vastes
mondes en 3D temps réel, bien plus
faciles à produire que des mondes
2D. Dessiner point par point un arbre
est à l’époque bien plus long, et bien
plus gourmand en termes de mémoire, que d’en générer la forme en
3D. Il est peut être moins joli, sans la
moindre feuille ou sans nid d’oiseau,
mais la 3D est alors quelque chose de
tellement neuf, de si bluffant, que
les joueurs sont non seulement
plus tolérants mais également
plus imaginatifs ! La 3D a donc
créé un monde d’opportunités
pour les game designers comme
pour les joueurs, à qui les clés
des univers explorés sont plus
ou moins confiées. Cette latitude toute neuve a entraîné
quelques dommages collatéraux. La notion de linéarité a
ainsi très vite pris une couleur
négative. Qualifier un jeu de
« linéaire », c’est le marquer
au sceau de l’infamie…