Histoire des Systèmes Monétaires Internationaux

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Histoire des Systèmes Monétaires Internationaux
Histoire des Systèmes Monétaires Internationaux
Mr Anquetil Jean-François ECE 2 (2013-2014)
Sources principales: • Problèmes monétaires internationaux Alain Beitone, Marc Bassoni
Ed : A.Colin
• Economie internationale P.R.Krugman, M.Obstfeld Ed. De Boeck
• Nouvelle Histoire Economique : Le XIX ième siècle, J.A.Lesourd et
Cl.Gérard Ed A.Colin
• Les euro-dollars, Gérard Békerman, Coll. QSJ, PUF Paris
• De l’étalon-or à l’étalon sterling Roger Dehem
• L'union monétaire de l 'Europe, Riche P. et Wyplosz C. (1993. Points,
Edition du Seuil, Paris.
• L 'euro, Kauffmann P. (1997), Coll. Les Topos, Dunod, Paris.
• Monnaie et Systèmes Monétaires dans le monde au XX ième siècle,
J.Bourget Ed : Bréal
• La crise de 1929, J.K.Galbraith Ed. Payot
• The Monetary of the United States 1867-1960, M.Friedman et
A.Shartz, chapitre 7.
(...)
II) De l’étalon or à l’étalon de change or
1) Les conséquences monétaires de la première guerre mondiale
A) Le problème du financement de l’effort de guerre
Dès les premiers mois du conflit, les États belligérants d'Europe doivent résoudre les
problèmes posés par le financement de l'effort de guerre.
A l'intérieur, il leur faut trouver des fonds de plus en plus importants. A l'extérieur,
leurs balances des transactions courantes étant devenues déficitaires, ils doivent obtenir des
crédits pour éviter d'épuiser leurs réserves. Très tôt les cours forcés font leur apparition :
• le 31 juillet 1914, l'Allemagne suspend la convertibilité en or du mark
• Le 5 août 1914 la France prend une décision identique et relève le plafond
d’émission de la Banque de France de 6.8 milliards à 12 milliards de francs et, les uns après
les autres, les États engagés dans le conflit les imitent. Un contrôle des mouvements de
capitaux pour enrayer les sorties de métal précieux s’instaure. Seuls les États neutres ou les
belligérants lointains, moins directement affectés par les événements, avantagés par des
balances des paiements courantes devenues positives et par les entrées d'or qui en résultent,
peuvent maintenir la libre convertibilité en or de leur monnaie.
Le financement de cet effort se fait, par deux canaux : d’une part le recours à
l’impôt et d’autre part le recours aux avances de l’institut d’émission. Le recours à
l’impôt est évidemment la solution la plus saine mais aussi la plus délicate. Il est difficile de
demander à la population en guerre des sacrifices financiers importants. C’est donc la seconde
solution qui est préféré, c’est-à-dire un endettement de l’Etat. Ce dernier émet des Bons d’Etat
dont l’achat procure un intérêt. La Banque de France achète ces bons, (elle crédite le compte
du Trésor public) ce qui permet à l’Etat de régler ses dépenses par virement. C’est donc
1
principalement de la monnaie scripturale qui circule. Mais que ce soit des bons à court terme
ou à long terme, il faudra les rembourser ultérieurement.
B) les conséquences sur les masses monétaires
Tous les pays font ce type de politique, et cela a pour conséquence de faire
progresser la masse monétaire et d’en modifier la composition. En 1914, le taux de
couverture était de 70% (70% des billets avait leur contrepartie en or) en 1919, ce taux n’est
plus que de 21%
• En Italie le volume des billets est multiplié par 8
• En Allemagne, le taux de couverture est de 9% (la monnaie fiduciaire a été
multipliée par 25)
• L’Autriche a un taux de couverture de 0,35% !
En Angleterre, la situation est moins dramatique car le financement par l’impôt y fut
plus important, mais la masse monétaire a considérablement augmenté.
En ce qui concerne les pays neutres (les pays scandinaves, Pays-Bas, Suisse,
Amérique Latine) ou les belligérants lointains (États-Unis, Canada), la situation de la
couverture d’or est moins défavorable. C’est aux États-Unis que l’augmentation de la
circulation fiduciaire fut la plus forte, mais cette augmentation est compensée par l’importante
croissance du stock d’or américain (22% du stock d’or mondial en 1914, contre 40% en
1919). Ces pays peuvent garder le système de l’étalon or.
Mais dans l’ensemble cet accroissement des masses monétaires, induit une forte
inflation mondiale, dont l’origine avait commencé en 1896, lors de la fin de la Grande
dépression.
C) les problèmes du change
Lorsque les monnaies ne sont plus convertibles en or, elles flottent, et il n’y a plus de
limite théorique aux variations de change. Pourtant, si les monnaies des pays alliés à
l’Allemagne ne subissent plus de cotation (sauf dans les pays neutres) et dont on ne peut
savoir par définition leur évolution, les monnaies des autres pays (France, Angleterre) restent
relativement stables, et varient selon les victoires ou les défaites. La raison de cette relative
stabilité provient des accords passés entre alliés, notamment entre le FRF, la £ et le $. C’est
un des exemples de coopération monétaire dans les situations d’urgence.
Mais le 14 mars 1919, l’accord qui liait les alliés est abrogé. Aussitôt, les cours
connaissent d’amples fluctuations : les principales monnaies : FRF, £, DM se déprécient par
rapport au Dollar. Or dans le même temps, le retour immédiat à la convertibilité en or des
billets qui assurerait de nouveau une stabilité des changes est impossible au Royaume Uni, en
France, en Allemagne. C'est d'ailleurs à cette époque que l'économiste G. Cassel présente la
théorie des pouvoirs d'achat : les variations du change sont un moyen de garder le pouvoir
d'achat compte-tenu des anticipations des opérateurs.
Le rétablissement de l’étalon or passe donc, en théorie, par deux types de politiques.
La déflation ou la dévaluation. Il faut choisir l’une ou l’autre.
• soit on ramène le taux de couverture des billets en or à un niveau raisonnable.
Concrètement, il faut augmenter le stock d’or ou diminuer la quantité de billet en circulation.
A court terme, comme on ne peut augmenter la quantité d’or, on diminue la quantité de
monnaie en circulation par une hausse du taux d’escompte. C’est donc une politique de
déflation. L’avantage est de faire renaître la confiance (via la parité-or), l’inconvénient est de
provoquer un ralentissement des économies.
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• soit on dévalue la parité des billets par rapport à l’or et aux autres monnaies,
entérinant ainsi les nouvelles parités, reflet du nouvel ordre mondial qui émerge. L’avantage,
est que la population du pays n’a pas à subir une crise. L’inconvénient est que pour un pays
se rattacher à l’or sur la base d’une parité moins importante qu’avant guerre est le signe d’un
déclin économique.
2) La recherche d’un nouvel équilibre mondial (1922-1930)
A) Des difficultés monétaires hétérogènes...
Nul ne doutait, au lendemain de la Première Guerre mondiale, et particulièrement pas
les Britanniques, que la paix revenue l'étalon-or serait restauré. Après tout, la plupart des pays
avaient déjà connu un état de fait semblable au XIX, et avaient toujours pu revenir au cours
libre. Mais le conflit a fait naître trop de déséquilibres et cet espoir est vite déçu.
Seuls les Etats les moins éprouvés sont capables de faire l'effort de déflation
nécessaire, non sans accentuer les difficultés économiques causées par la disparition des
marchés de guerre : la crise de 1920-1921 (forte inflation nécessitant une politique de
déflation) est particulièrement sévère au Japon, aux États-Unis et au Royaume-Uni.
Les autres sont obligés pour reconstruire (France, Italie, pays d'Europe Centrale et
Orientale) ou pour payer les réparations imposées par les vainqueurs (Allemagne) de
continuer les politiques inflationnistes du temps de guerre. En 1920 et 1921, les écarts de
change se creusent considérablement. Les Etats à monnaie faible ont de plus en plus de mal à
acheter aux Etats à monnaie forte.
Les Britanniques, qui ont un besoin impérieux de débouchés nouveaux, proposent la
réunion d'une conférence sur la reconstruction de l'économie européenne, avec à son ordre du
jour, non seulement l'étude des problèmes politiques et commerciaux, mais aussi celle des
problèmes monétaires.
B)… impliquent une réorganisation : La conférence de Gênes (avril-mai
1922)
a) un échec sur le plan politique
La plupart des pays européens, y compris l'URSS, participent aux discussions. Mais,
les Américains, revenus à l'isolationnisme traditionnel avec le retour des Républicains à la
présidence en novembre 1920, sont absents.
Les Anglais se proposent d'obtenir de leurs alliés européens un allégement des
réparations imposées à l'Allemagne et une aide économique à la Russie Soviétique, mesures
qui permettraient à ces deux Etats de reprendre leur place dans le commerce européen au
grand bénéfice des exportateurs britanniques. Mais les Français, soutenus par les Belges et les
Italiens, repoussent toute nouvelle discussion des réparations allemandes.
Quant aux soviétiques, s'ils acceptent une aide ponctuelle d'État à État, refusent de
reconnaître, comme le voulaient français et belges, les dettes de la Russie des Tsars.
Sur le plan politique, la conférence est donc un échec total pour les Anglais.
b) L'impossible retour à l'étalon or universel
Mais les discussions sur les problèmes monétaires aboutissent à d'importants résultats.
La plupart des Etats participants parviennent à un large accord sur l'harmonisation nécessaire
des systèmes monétaires et les méthodes à mettre en œuvre pour y parvenir.
Les États réunis à Gênes constatent l'impossibilité d'un simple retour au système de
l'étalon or universel aux parités d'avant 1914 : même en intensifiant la production de métal
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précieux, le stock d'or mondial ne peut couvrir d'une manière satisfaisante la monnaie de
papier en circulation et une déflation générale est impensable ; bien peu de pays seraient
capables de la supporter (une très forte déflation entraîne un blocage de l'activité économique,
le chômage etc.).
Il est donc nécessaire d'autoriser des dévaluations permettant l'établissement de parités
nouvelles et enregistrant les dépréciations survenues. Mais cette solution ne peut s'appliquer à
tous les pays : certains, en Europe Centrale et Orientale notamment, n'ont même plus d'or
pour couvrir leur monnaie. Le rétablissement du système de l'étalon or universel, même avec
de nouvelles parités, exigerait une redistribution du stock d'or mondial, que refuseraient tous
les pays riches. Un assouplissement du principe du Gold Standard est donc jugé nécessaire.
Toutes les mesures acceptées à Gênes sont inspirées par la crainte d'une pénurie d'or et ont
pour but d'éviter une nouvelle répartition du métal précieux.
c) La convertibilité limitée en or (Gold Bullion Standard)
La conférence accepte que la convertibilité limitée,(Gold Bullion Standard) soit
substituée à la convertibilité totale (Gold Specie Standard) en cas de nécessité : au lieu d'être
changés contre des pièces, les billets ne sont changés que contre des lingots. Par cette
restriction on réserve l'or à son rôle de couverture des monnaies (cela inspire confiance) et de
moyen ultime de règlement des soldes commerciaux. Mais en rendant la conversion
uniquement en lingot, on rend la conversion potentielle moins facile, notamment pour les
particuliers.
d) L'étalon de change or (Gold Exchange Standard)
Le Gold Bullion Standard ne peut convenir aux pays presque totalement démunis d'or.
La conférence autorise donc aussi les États qui le désirent à couvrir leur monnaie de
papier, non par de l'or, mais par toute autre monnaie convertible en or. Désormais les
créances libellées en ces monnaies peuvent être utilisées par les États pour garantir les billets
qu'ils émettent. Ces monnaies sont les monnaies de réserve. Comme l'or elles peuvent servir
au règlement des soldes des balances des paiements.
Par cet artifice on permet aux États dépourvus d'or de s'intégrer quand même au
système monétaire international grâce aux prêts libellés en monnaies convertibles qui peuvent
leur être consenti, et on assure aux États riches la possibilité de conserver leur métal précieux.
Ce nouveau système monétaire se nomme le Gold Exchange Standard, l'étalon de change or.
Dans la pratique, ce système existait avant 1914 : nous avons vu que le système de
l’étalon or était en réalité un système d’étalon sterling Mais à cette époque seule la livre
servait de monnaie de réserve. Désormais toutes les monnaies convertibles peuvent avoir cet
usage : le dollar dans l'immédiat et, après le rétablissement de leur convertibilité la livre, le
franc ou toute autre monnaie.
De plus la conférence recommande à tous les États l'adoption rapide des mesures
nécessaires à la mise en application du nouveau système. Les gouvernements ont donc le
choix entre la déflation s'ils décident de revenir aux parités d'avant 1914 et la dévaluation
s'ils décident simplement de légaliser la perte de valeur de l'unité monétaire depuis 1914. La
dévaluation, lorsqu'elle est choisie, est qualifiée de politique de stabilisation.
III) les réponses nationales : Vers un rétablissement progressif des
monnaies
1) la situation dans les pays à devise clé.
La période de l'entre-deux-guerres est marquée par la compétition entre la livre et le
dollar, entre la place de Londres et celle de New York. C'est à la lumière de cette ascension du
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dollar et de ce déclin de la livre, en tant que monnaies internationales, qu'il faut analyser la
politique monétaire conduite dans les années vingt au sein de ces deux pays.
A) Les États-Unis
Aux États-Unis, le Système de la Réserve Fédérale (FED) ne fut créé qu'en 1913.
Mais, à la fin de la guerre, c’est une situation nouvelle que rencontre cette institution. Du fait
de leur stock d'or et de leur place nouvelle dans l'économie mondiale, les États-Unis,
échappaient déjà, de fait, à la contrainte monétaire internationale. Or, cette puissance
économique nouvelle, les Etats-Unis ne l'ont pas mise au service de la gestion des relations
économiques internationales, ils ont au contraire privilégié leur gestion interne. Comme il
connaissait une vive inflation dans les années 1919-1921, les autorités monétaires la
combattirent par une augmentation des taux de refinancement, (politique de déflation). Cette
hausse des taux provoqua un afflux d'or sur le territoire américain accentuant ainsi les
déséquilibres monétaires pour les autres pays.
B) La Grande Bretagne
En Grande-Bretagne, la question n'était pas de savoir s'il fallait revenir à l'or. C’était
évident ! La question était plutôt : quand ? et à quelle parité ?. Dans cette veine, le rapport
Cunliffe systématise la présentation du caractère autorégulateur de l'étalon-or et contribue a
alimenter l’idée selon laquelle « la livre doit regarder le dollar en face ». Pour atteindre un tel
résultat il fallait réduire la circulation fiduciaire, et pratiquer une politique de déflation qui
tombe à pic pour lutter contre une inflation à deux chiffres en 1919-1920. Les prix de gros
augmentèrent de 62% entre mars 1919 et février 1920. Cette augmentation de l’inflation, par
la perte de compétitivité qu’elle engendrait et la crainte de voir les créances se déprécier,
favorisai la dépréciation de la livre.
Il s’en suivi une vigoureuse augmentation des taux d’intérêt, le maintien de la pression
fiscale du temps de guerre, compression des dépenses, recherche de l’équilibre budgétaire
etc…Bref, la déflation qui suivit fut particulièrement sévère provoquant une hausse
spectaculaire du chômage (environ 20% de la population active en 1921). A partir de 1922 la
livre se redressa. Le 13 mai 1925, le Gold Standard Act rétablit la convertibilité-or de la
livre - en lingot de 400 onces, il est vrai - sur la base de la parité de 1817. (date symbolique).
Pour A. Sauvy, ce retour à l'or fut
« une question de prestige, une question de dogme, nous dirions presque une question
de religion ».
Ch. Kindleberger note que de nombreuses opinions convergeaient, en GrandeBretagne (Montagu Norman, gouverneur de la Banque d'Angleterre, en particulier) et à
l'étranger (Benjamin Strong, gouverneur de la Banque Fédérale de New York), sur la
nécessité du retour à l'or- de son côté, J. M. Keynes s'y était opposé. Cela ne l’empêcha pas
d’accepter le taux retenu (même s'il dénonça peu de temps après la surévaluation de la livre).
Ch. Kindleberger conclut :
« Le retour à l'étalon-or [...] était peut-être inévitable. Ce fut néanmoins une grave
erreur. »
En fait, la livre était manifestement surévaluée et la Grande-Bretagne en supporta les
conséquences : à court terme, baisse des prix de gros de 14% entre 1925 et 1929 (déflation), et
donc baisse du dynamisme industriel Le manque de confiance entraîna une série de crises
boursières en 1925. Le ralentissement des exportations (charbon) augmenta les dépenses pour
faire face à la concurrence étrangère. Toutes ces conséquences négatives pour l'économie
anglaise se concrétisèrent par une grève générale en 1926. Mais la principale conséquence fut
qu'il y eut une fuite de l'or vers les Etats-Unis. Pour John K. Galbraith (in, la crise de 29) cet
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or allait alimenter la spéculation à partir de 1926 aux Etats-Unis. Pour Galbraith cette décision
de Churchill, sans en être la cause unique, participa a ce qu’il appel « l’orgie spéculative ».
.En conclusion, les États-Unis se refusaient à assumer leurs responsabilités sur le plan
international et la Grande-Bretagne poursuivait la chimère d'un retour à sa domination passée.
2) Du mark au reichsmark (1919-1924)
A) La banqueroute allemande
A la fin de 1919, la situation monétaire de l'Allemagne est difficile : une encaisse or
plus faible qu'en 1914, une circulation fiduciaire qui a très fortement progressé, un taux de
couverture de la monnaie papier qui est tombé à 9 %, une dette intérieure de plus de 200
milliards de marks. L'instabilité de la situation politique allemande provoque d'importantes
variations du cours du mark sur les marchés des changes, mais les gouvernements allemands
maîtrisent encore la situation.
En avril 1921 les exigences alliées (suite au traité de Versailles en juin 1919) sont
connues1 : l'Allemagne doit verser 132 milliards de marks-or au titre des réparations et doit
subir un impôt de 26 % sur les exportations pendant 42 ans.
La révélation de ces conditions provoque immédiatement une méfiance générale et
une fuite devant le mark qui, en se dépréciant, conduit à une augmentation des prix des
importations, précipitant ainsi la hausse des prix intérieurs. Il se produit donc un phénomène
cumulatif qui s’auto-entretient. (méfiance sur le DM ⇒ dépréciation du DM ⇒ inflation ⇒
méfiance sur le DM etc.….)
Ce phénomène d’inflation s’autoalimente car les entreprises allemandes ne rapatrient
plus les revenus procurés par les (rares) exportations, les possédants et les spéculateurs
achètent des devises étrangères, les particuliers et les commerçants constituent des stocks, les
détenteurs de bons à court terme se font rembourser, les impôts sont payés avec
retard...Certes, les autorités mettent en place un contrôle de sortie des capitaux, mais cela ne
suffit pas, car les milieux d’affaires en position de force dans l’appareil productif
bénéficiaient d’une liberté pour se soustraire à la contrainte fiscale2.
Cette incapacité à financer les dépenses publiques par l'impôt, en raison de ces fuites
de capitaux, conduisit à un financement monétaire (escompte des bons du Trésor). Ce dernier
est-il la source de l'hyperinflation ? Pour certains cela ne fait pas de doute.
1
En réalité, l'Allemagne ne payera qu'une faible partie des réparations prévues qui
furent renégociées sous l'égide des USA à travers les plans Dawes (1924) et Young (1929).
C'est d'ailleurs à l'occasion de la mise en place du plan Young que fut créée la Banque des
Règlements Internationaux : l'Allemagne payait sa dette à la BRI qui investissait les sommes
reçues en Allemagne. Le moratoire Hoover en 1931 mit fin au paiement des réparations
allemandes, de même qu'en 1932 furent annulées les dettes entre Alliés.
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Les rapports de force politiques et sociaux internes à l'Allemagne semble donc avoir
joué un rôle décisif. Ainsi, Roger Dehem met l'accent sur le rôle négatif de la « classe des
possédants ». Michel Aglietta et André Orléan (La violence de la monnaie 1982) parlent de
l'opposition des milieux d'affaires :
« Ceux-ci bénéficiaient, du fait de leurs positions de force dans l'appareil productif et
bancaire, d'une certaine liberté pour se soustraire aux contraintes fiscales. La première
échappatoire fut l'évasion des capitaux, en dépit du contrôle institué par les autorités. »
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Pour d'autres, l’élément fondamental est la causalité évoquée précédemment qui
prévaut : la spéculation contre le mark qui s'est déchaînée à partir de l'été 1922, a dopé
l'inflation et provoqué un processus d'indexation généralisée des prix. On retrouve la
causalité: dépréciation du change - hausse des prix - hausse de la quantité de monnaie mise en
évidence par Albert Aftalion
« Dès 1921 le mark cesse de servir de réserve de
valeur : sa fonction d'accumulation du pouvoir d'achat est
détruite par les perspectives de hausse des prix » (Maurice
Flamant - l'Inflation - PUF 1975).
Peut-être avec la secrète pensée de démontrer l'impossibilité du règlement des
réparations, pendant longtemps les autorités allemandes ne font rien pour enrayer la
détérioration de la monnaie : le taux de l'escompte reste fixé à 5 % ; les banques accordent
largement du crédit aux entreprises qui investissent à bon compte; la Reichsbank émet
massivement des billets pour faire face aux besoins d'une économie de plus en plus active et
d'une circulation monétaire qui s’accélère.
« A la fin de 1922... le mark cesse d'être un
instrument de mesure des valeurs : on tend à coter celles-ci
en dollars et autres devises étrangères. La monnaie
allemande ne conserve que sa fonction minimale, celle
d'intermédiaire dans les échanges » (Maurice Flamant).
L'occupation de la Ruhr en 1923 par les Français (décidé par Raymond Poincarré
pour obtenir en nature des réparation allemandes et pour faire pression sur l’Allemagne)
précipite le mouvement de fuite devant la monnaie. le kilo de pain coûtait 428 milliards de
marks à Berlin. En 1923, on ne cote plus en marks ; on se réfère à des quantités physiques de
marchandises. Dans les dernières semaines la Reichsbank ne suffit plus à fournir les billets
qu'émettent et fabriquent aussi les Lànder, les villes, les entreprises. Le 15 novembre 1923
c'est la fin : le mark a pratiquement perdu toute valeur.
B) La naissance d'un nouveau système monétaire
Le redressement, très rapide, est l’œuvre du ministre des finances, le docteur Luther
et du directeur de la Reichsbank le docteur Hjalnar Schacht.
le 15 octobre 1923 fut crée la Rentenbank (une institution de droit privé), dotée d'un
capital de 3 200 millions de marks-or gagés sur les biens réels de la nation (terres agricoles et
capital industriel, commercial et bancaire). Le 15 novembre 1923, un important retournement
psychologique se produisit (d'où la stabilisation brutale du change) avec l'émission à la même
date des premiers rentenmarks émis à raison de 1 rentenmark pour 1000 milliards de marks
par la Rentenbank.
Cette monnaie obtint la confiance du public en raison d’une part de la confiance
qu’inspirait H.Schacht, et d’autre part de la qualité de la nouvelle monnaie : limitation de la
quantité émise, possibilité de la convertir en obligations libellées en mark-or, et dont la
contrepartie réelle (terre, industrie) était supposée garantir sa valeur.
En même temps le gouvernement suivit une politique d'austérité, équilibrant
strictement le budget, augmentant les impôts, licenciant des fonctionnaires, n'hésitant pas à
ruiner définitivement de nombreux rentiers en annulant toutes les dettes anciennes de l'État.
Des emprunts furent contractés à l'étranger, au Royaume-Uni et aux États-Unis surtout. La
confiance revint peu à peu. Les capitaux revinrent. L'encaisse or se reconstitua.
De plus, les nouveaux accords interalliés sur les réparations (Plan Charles Dawes en
août 1924) avantageux pour l'Allemagne, consolident l’œuvre accomplie. (Ce plan intérieur
doit veiller au maintien de l’équilibre financier allemand. Il s’agit de prélever par l’impôt les
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sommes nécessaires sans compromettre le budget. L’acceptation de ce plan clôt une période
de cinq années de tergiversations)
En août 1924, une monnaie définitive est lancée. Le reichsmark, défini par 358
mg d'or fin, est fort proche du mark or ancien. La convertibilité en or est rétablie, mais ce
n'est qu'une convertibilité limitée : l'Allemagne adopte le Gold Bullion Standard. La
Reichsbank retrouve son privilège d'émission. La couverture de la monnaie en circulation sera
assurée pour au moins 40 % par de l'or et des devises convertibles : l'Allemagne applique
donc le Gold Exchange Standard.
3) Le cas français : Vers Le franc-Poincaré.
A) Un affaiblissement progressif du franc....
De 1919 à 1922, le franc présente une relative stabilité. Toutefois, la France compte
sur le paiement des réparations allemandes pour financer sa reconstruction, mais dans
l'immédiat, tant que les versements réguliers de l'Allemagne n'ont pas lieu, elle doit continuer
d'avoir recours aux expédients du temps de guerre pour faire face aux dépenses.
La reconstruction est en grande partie à la charge de l'État qui couvre ses dépense, par
l’impôt, mais surtout emprunt. De nombreux bons à court terme (Bons du Trésor, Bons de la
Défense Nationale, Bons du Crédit National) sont mis en vente et deux emprunts à long terme
sont lancés en 1920. Ces emprunts sont un succès car leurs rendements sont intéressant, et
permettent d’éviter l’émission de monnaie scripturale qui serait à l’origine de tensions
inflationnistes. Ainsi, la situation est stabilisée jusqu'à l'été 1922 et les prix de détail, qui
avaient augmenté en 1919, baissent en 1920 et 1921 avec la crise mondiale. De plus, le franc
se maintient sur les marchés des changes.
Pourtant La monnaie française est très fragile à cause de la progression de
l'endettement, et surtout, a tout moment les porteurs de bons à court terme peuvent demander
le remboursement et contraindre l'État à recourir aux avances de la Banque de France. Le
franc dépend donc principalement de « l’humeur » de ses créanciers.
B) Le franc en péril
a) Des anticipations sur les réparations allemandes déçues...
Dés l'été 1922, il apparaît que le paiement intégral des réparations n'est plus assuré, les
Anglais se montrant réticents à faire payer l’Allemagne. Aussitôt le franc commence à fléchir
sur les marchés des changes. L'occupation de la Ruhr en janvier 1923 ne rétablit pas la
situation et la banqueroute allemande provoque une brutale chute de la monnaie française.
Le gouvernement de Raymond Poincaré (sous la présidence de Millerand) réagit en
augmentant les impôts de 20 %, en relevant le taux de l'escompte à 7 % et en limitant les
dépenses de l'État. Le contrôle des changes s’intensifie : l'obligation faite aux exportateurs de
rapatrier immédiatement leurs gains et surtout l'obtention de prêts à Londres et New York
permettent un redressement rapide des cours du franc.
b) ...des provocations politiques : le Cartel des Gauches....
Mais les élections de mai 1924 sanctionnent l'échec de la politique allemande de
Poincaré et portent au pouvoir une nouvelle majorité, le Cartel des Gauches. Le slogan de la
campagne du Cartel était « Prendre l’argent où il est », ce qui n’a pas contribué à entretenir un
climat de confiance des milieux d’affaires. L'arrivée au pouvoir du Cartel des Gauches a pour
conséquence une méfiance générale des épargnants. Le franc qui venait se s’apprécier
rechute…
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De plus, le Cartel inaugure une nouvelle politique étrangère avec l’Allemagne,
symbolisé par Aristide Briand, et établit une politique de conciliation et de confiance avec
l’Allemagne s’inscrivant dans la logique du plan DAWES. Or cette nouvelle politique, si elle
semble régler une dissension (l’occupation de la Ruhr était impopulaire) signifie que le
remboursement allemand sera moindre que celui escompté. Cela contribue accentuer une fuite
devant la monnaie française.
Le plus étonnant est que les variables fondamentales de l’économie étaient plutôt
bonnes :
• de 1919 à 1926 la balance des paiements a été constamment excédentaire
• La croissance de la production industrielle supérieure à ce qu'elle était alors partout
ailleurs. En effet, la France a bénéficié de certains avantages sur le plan industriel suite à la
guerre : L’occupation par l’ennemi de la région des régions industrialisées du Nord et d’une
partie du bassin parisien à imposé l’équipement industriel de régions de remplacement.
(Péchiney et St Gobain ont construit des usines dans le Sud Est et dans le Midi. Ensuite, la
France récupère l’Alsace et la Lorraine, régions intactes et riches en minerai (houille, fer,
potasse etc..)
Dans ces conditions, la sphère réelle de l’économie étant relativement performante
(malgré des structures vieillotte et une population déclinante), les déboires monétaires doivent
s’expliquer par d’autres variables. En fait la dépréciation du franc s'explique en fait par le jeu
des anticipations autoréalisatrices des agents.
c) ...mettent le franc en péril
En juillet 1925, un emprunt à long terme n'est pas entièrement couvert. Édouard
Herriot, président du Conseil, démissionne en proclamant qu'il se heurte au « Mur
d'argent » ; il accuse financiers et industriels de lancer des campagnes alarmistes dans la
presse pour mettre le Cartel des Gauches en difficulté. Des crises ministérielles répétées
alourdissent l'atmosphère. Les retraits dans les caisses d'épargne et les demandes de
remboursement de bons à court terme se multiplient. Sur les marchés des changes le franc se
déprécie très vite.
Le 21 juillet 1926 la livre est à 243 F, les retraits dans les caisses d'épargne
excèdent les dépôts, la Banque de France refuse de nouvelles avances à l'Etat qui se
trouve à la veille d'une cessation de paiement. Un gouvernement d'Union Nationale présidé
par Poincaré et allant des radicaux à la droite est formé pour sauver le franc.
C) La dévaluation (réussie) du 25 juin 1928 et la stabilisation du franc
L'avènement du gouvernement d'Union Nationale permet, grâce à quelques mesures
techniques et surtout grâce à un retour de la confiance, une stabilisation de fait du franc de
1926 à 1928. Dés le mois d'août 1926 les économies des particuliers affluent dans les caisses
d'épargne et les souscriptions de bons à court terme reprennent tandis que les devises
étrangères, attirées par l'espoir d'une stabilisation à un cours plus élevé, viennent se placer en
France à court terme.
En juin 1928, Poincaré, partisan d'un retour aux parités d'avant 1914 et au franc
germinal (il voulait éviter de spolier les détenteurs d'emprunts à long terme) se range à l'avis
de ses conseillers : il accepte une simple stabilisation légale du franc. La loi du 25 juin 1928,
qui se substitue à celle de germinal an XI modifie la définition de l'unité monétaire : le
franc correspond à 65,50 mg d'or 9/10. C'est donc à la fois un abandon du bimétallisme et
une dévaluation de 79,69 %. La convertibilité en or est rétablie mais ce n'est qu'une
convertibilité limitée (en lingot). Ainsi la France parvient-elle tardivement à stabiliser sa
monnaie. Renonçant finalement aux parités de 1914 et à la déflation, elle ne connaît pas les
9
difficultés économiques qu'avait traversées le Royaume-Uni : si la période 1919-1928 est une
période d'instabilité monétaire, c'est aussi pour les Français une période d'expansion
économique rapide.
4) Une stabilité monétaire internationale cependant fragile
En 1928 le monde semble avoir retrouvé, sur des bases nouvelles, la stabilité
monétaire (A cette date, toutes les monnaies européennes, à l'exception du rouble3 sont
convertibles soit en or, soit en devises elles-mêmes convertibles en or). Pourtant, même si l'on
n'en a pas conscience à l'époque, le nouveau système monétaire international est bien fragile.
Le Gold Exchange Standard présente en effet deux dangers redoutables.
• Il met les pays qui l'adoptent dans une étroite dépendance les uns des autres : que
l'une des monnaies de réserve cesse d'être convertible en or pour une raison quelconque et les
pays qui l'ont adoptée pour couvrir leur propre monnaie sont entraînés à sa suite. Inversement,
qu'un pays décide brusquement de convertir en or sa monnaie de réserve et le pays qui l'a
émise, tenu de fournir le métal précieux, voit immédiatement sa propre monnaie menacée
(ex : en 1927 lorsque la Banque de France a commencé à échanger contre de l'or les livres
qu'elle détenait, la Banque d'Angleterre a été mise en difficulté).
• Il tend à favoriser l’inflation monétaire à l'échelle mondiale. « Avec 100 millions de
dollars en or, les États-Unis peuvent émettre 300 millions de billets convertibles ; c'est une
proportion parfaitement normale. Si la France a ces 300 millions de billets dans son encaisse,
elle est en droit de lui donner une valeur équivalente à celle du métal ; elle peut donc émettre
des billets de banque français pour une valeur de 900 millions de dollars. Si la Grèce acquiert
ces francs elle peut les convertir en dollars ; considérant ces 900 millions de dollars comme
une encaisse, elle peut émettre 3 fois plus de drachmes papier.., » (J.Marchal, cité par S.A.
Lesourd et C. Gérard - Histoire économique, 19e et 20e siècle, tome 1 - 1963 - A. Colin).
IV) Les conséquences de la crise de 1929
Le 24 octobre 1929 le cours des actions s'effondre à Wall Street et en une semaine des
titres cotés perdent de 40 à 60 % de leur valeur marchande. C'est la conséquence d'une
spéculation boursière qui s'était accélérée aux États-Unis depuis 1927 et qu'avait alimentée
une inflation exagérée du crédit. La grande crise qui débute ainsi à New York et se propage
rapidement dans le monde est marquée par un brutal fléchissement de l'activité économique.
Le système monétaire international mis en place progressivement après la Conférence de
Gênes ne résiste pas à la nouvelle conjoncture.
3
. Le rouble. La monnaie russe, qui s'était complètement effondrée pendant la guerre
civile, est reconstituée pendant la NEP. - En 1922 est créé le tchervonetz, défini par 7,74 g
d'or fin (10 fois le rouble de 1897) et destiné essentiellement au commerce extérieur,
entièrement nationalisé. En 1924 est émis le rouble or, défini comme l'ancien rouble par 0,774
g d'or fin et convertible à l'étranger en métal précieux ou en monnaie de réserve. (l'URSS
adopte ainsi le Gold Exchange Standard).
Pendant quelques mois le rouble or est coté sur les marchés des changes et ses cours
sont stables. Mais dés 1925, il faut suspendre la convertibilité en or : le déficit de la balance
commerciale soviétique (l'URSS n'exporte pas de blé comme l'ancienne Russie), supérieur à
la production annuelle d'or, ne permet pas aux autorités soviétiques de maintenir les cours.
Désormais l'URSS est isolée du reste du monde sur le plan monétaire. Le rouble est
uniquement une monnaie interne. A l'extérieur les règlements soviétiques se font en or et en
devises.
10
1) La fin de la convertibilité en or des monnaies
A) 1931 les premières conséquences monétaires de la crise, des
dévaluations subies
a) L'Allemagne isole en 1931 sa monnaie du monde extérieur
Depuis les redressements monétaires de 1923 et 1924, les capitaux américains et
anglais affluent en Europe Centrale, attirés par de forts taux d'intérêt. Placés à court terme, ils
sont ensuite investis à long terme dans une économie en expansion rapide par les banques
allemandes et autrichiennes. Les besoins de liquidités étant grands aux États-Unis et au
Royaume-Uni où la crise (1929) met en difficulté de nombreuses entreprises, ces capitaux
commencent à se replier en 1930, plaçant le gouvernement allemand dans une situation
dangereuse : il faut puiser dans les réserves d'or et de devises de la Reichsbank pour régler le
déficit de la balance des paiements, ce qui déprécie la monnaie. Autrement dit, la balance des
transactions courantes étant déficitaire, la balance des capitaux devenant elle même négative,
le solde se règle par une variation positive de la position monétaire extérieur, c’est à dire des
sorties de devises.
Quant aux banques privées, elles ont le plus grand mal à faire face aux demandes de
remboursement et elles doivent avoir recours au soutien des banques centrales. En mars 1930,
le chancelier Bruning réagit par des mesures déflationnistes (hausse des taux d’intérêt) qui
ralentissent encore l'activité économique.
L'aggravation rapide de la crise, la montée du nazisme aux élections législatives de
septembre 1930, l'annonce en mars 1931 d'un projet de rattachement économique de
l'Autriche à l'Allemagne auquel la France est hostile, accélèrent les retraits de capitaux
extérieurs.
• En mai 1931, l'une des plus grandes banques autrichiennes, la Kréditanstalt de
Vienne fait faillite. C'est la panique en Allemagne, de nombreuses banques étant à leur tour
menacées. Les achats d'or et de devises étrangères se multiplient. Les réserves de la
Reichsbank diminuent rapidement. L'Allemagne risque une nouvelle banqueroute.
Une coopération internationale se met en place. Pour lui venir en aide, le président
Hoover propose un moratoire des dettes entre États, ce qui autorise les Allemands à
interrompre provisoirement le paiement des réparations et les Banques de France et
d'Angleterre accordent quelques avances à la Reichsbank. Mais c'est insuffisant.
• Le 13 juillet 1931, pour enrayer le mouvement, le chancelier Bruning décide
d'établir un contrôle total des changes et du commerce extérieur, interdisant la sortie de l'or
et des devises. Il évite ainsi une dévaluation que l'opinion publique n'aurait pas acceptée (le
souvenir de 1923 est encore très vif) mais il doit accentuer la politique déflationniste pour
consolider la monnaie, faire baisser les prix des produits allemands et les rendre plus
compétitifs sur les marchés extérieurs.
Lorsque les nazis arrivent au pouvoir en janvier 1933, ils perfectionnent le système
mis en place par Brunning : l'or et les devises étrangères des particuliers sont réquisitionnés,
les capitaux étrangers encore présents sont définitivement bloqués ; le reichsmark devient une
monnaie à usage strictement interne, complètement isolée du monde extérieur ; les cours des
changes sont fixés par la Reichsbank en fonction des intérêts immédiats de l'Allemagne.
b) l’Abandon de l’étalon-or par les Britanniques: 20 septembre 1931 ; dévaluation et
déflation
La crise monétaire de l'Europe Centrale frappe de plein fouet le Royaume-Uni. De
nombreuses banques anglaises avaient placé des fonds en Autriche et en Allemagne, utilisant
11
souvent à cet effet des dépôts étrangers à court terme. Les faillites de banques autrichiennes
(mai 1931) et allemandes, l'établissement du contrôle des changes en Allemagne ont pour
conséquence le « gel » de ces placements britanniques qui ne peuvent être rapatriés. Les
banquiers américains et français qui avaient effectué des dépôts à Londres prennent peur et
retirent leurs capitaux. De plus, la présence au pouvoir depuis mai 1929 d'un cabinet
travailliste hostile à toute politique d'économie, entraînent une chute de confiance des
possédants.
En août 1931 l'encaisse or de la Banque d'Angleterre baisse au rythme de 2 500 000 £
par jour. Les soutiens obtenus de la Banque de France et de la Federal Reserve Bank, sous
condition d'une promesse d'équilibre du budget britannique, ne peuvent suffire à arrêter le
mouvement.
Le 23 août 1931 la plupart des ministres travaillistes démissionnent. Le premier
ministre Mac Donald, en rupture avec son parti, constitue un gouvernement d'Union Nationale
dominé par les conservateurs et prend l'engagement de dissoudre le Parlement.
Le 20 septembre 1931, pour arrêter l'hémorragie de métal précieux, le nouveau
gouvernement suspend la convertibilité en or de la livre au cours légal. Le livre flotte
désormais sur les marchés des changes. En janvier 1932 elle a perdu 31 % de sa valeur. En
juillet 1932 est créé un fonds d'égalisation des changes chargé d'intervenir sur les marchés en
achetant ou vendant des livres pour maintenir le cours au niveau souhaité. Parallèlement le
gouvernement fait adopter par le nouveau Parlement élu en octobre 1931 de sévères mesures
de déflation pour éviter une hausse des prix intérieurs et maintenir l'avantage à l'exportation
obtenu par la dépréciation de la livre. La balance des paiements se redresse lentement pour
redevenir positive en 1936.
La décision britannique du 20 septembre 1931 porte un coup beaucoup plus sévère au
système monétaire international que la décision allemande de contrôle des changes. La livre
sterling est la principale des monnaies de réserve. Tous les pays qui font avec le RoyaumeUni un important commerce et détiennent des livres en grande quantité sont obligés de
s'aligner sur la décision britannique.
Très rapidement les pays du Commonwealth (sauf le Canada qui déjà commerce plus
avec les États-Unis que le Royaume-Uni), suspendent la convertibilité en or de leur monnaie
et décident le contrôle des changes avec le monde extérieur, sauf avec le Royaume-Uni.
Désormais toutes ces monnaies sont définies uniquement par rapport à la livre dont elles
suivent le destin. Les règlements entre ces pays et les autres sont effectués par l'intermédiaire
de la Banque d'Angleterre au cours de la livre. La zone sterling est née.
c) le flottement du yen : 13 décembre 1931
De 1924 à janvier 1930 le Japon avait dû suspendre presque continuellement la
convertibilité du yen, interdire les sorties d'or de son territoire. La crise économique aggrave
une situation qui commençait seulement à s'améliorer et les déficits des paiements, qui avaient
cessé en 1929 réapparaissent dès 1930.
La décision britannique du 20 septembre 1931 frappe doublement le Japon :
• les livres sterling détenues par les Japonais dans leurs réserves de change perdent
brusquement une part importante de leur valeur (ils ne sont plus convertible en or, et la livre a
été dévaluée)
• les produits japonais ne sont plus compétitifs face aux produits de la zone sterling
sur les marchés mondiaux. Le Japon réagit très vite. Le 13 décembre 1931 la convertibilité en
or du yen est à nouveau supprimée et le yen s'effondre sur les marchés des changes. En 6 mois
il perd 57 % de sa valeur.
12
Mais en même temps, sous l'influence des militaires, le Japon s'oriente avec
l'occupation de la Mandchourie en septembre 1931 vers une coûteuse politique de réarmement
: toute politique de déflation pour consolider la monnaie devient impossible. Le 1er juillet
1932, le Japon décide le contrôle total des changes.
B) Le cas américain : une dévaluation voulue (mars 1933-janvier1934)
a) Une logique keynésienne qui s’affirme
En 1933 rien n'oblige les États-Unis à une dévaluation : malgré la crise ils détiennent
encore le tiers du stock d'or mondial et la confiance en la monnaie est entière, l'encaisse
métallique couvrant d'une manière satisfaisante une masse fiduciaire et scripturale comprimée
par la chute des activités économiques.
Dans un message adressé le 3 juillet 1933 à la Conférence de Londres, une
conférence monétaire internationale destinée à préparer un retour à la stabilité des changes et
dans laquelle les représentants de la France demandent un retour général à la situation de
1929, Roosevelt affirme :
« La santé économique interne d'une nation est un
plus grand facteur de son bien-être que la valeur de sa
monnaie en termes de change vis-à-vis d'autres nations. »
Le président et ses conseillers pensent nécessaire l'injection dans l'économie
d'importantes quantités de monnaie nouvelle pour relancer l'activité, « réamorcer la pompe ».
On espère d'une importante augmentation de la masse monétaire une remontée des prix
permettant aux entreprises de dégager des profits, de distribuer des revenus nouveaux aux
salariés et par suite de faire progresser la demande.
La dévaluation est l'un des moyens essentiels d'une telle politique :
• Sur le plan interne : l'encaisse métallique étant réévaluée, la Federal Reserve Bank
peut émettre d'importantes quantités de monnaie fiduciaire ou scripturale et consentir à l'État
de larges crédits. Elle présente en outre l'avantage de soulager les millions d'Américains
endettés, les agriculteurs en particulier (les dollars remboursés après la dévaluation n'ont plus
la valeur des dollars empruntés).
• Sur le plan externe : A l'extérieur, la dévaluation du dollar peut redonner aux
produits américains une compétitivité que les dépréciations de la livre et du yen leur ont fait
perdre, mais cette préoccupation est loin d'être la raison principale : le commerce extérieur n'a
pas, pour l'économie américaine, l'importance qu'il présente pour les économies anglaise et
japonaise.
b) Du dollar flottant au dollar dévalué (6 mars 1933)
• Le 6 mars 1933, le gouvernement fédéral suspend la convertibilité du dollar en
or. Le dollar flotte. Aussitôt la monnaie américaine baisse fortement sur les marchés des
changes. Mais les capitaux placés à court terme dans les banques des Etats-Unis fuient vers
Paris ou Londres.
• Le 31 janvier 1934, la dépréciation étant suffisante, le dollar est stabilisé.
Il est désormais défini par 1/35 d'once d'or fin (0,888 g). La dévaluation est de 41 %.
Le dollar redevient convertible en or selon la nouvelle définition, mais à l'extérieur seulement,
l'interdiction de posséder de l'or monnayé sur le territoire américain étant maintenue. La
stabilisation a pour effet immédiat un retour aux États-Unis des capitaux qui avaient fui.
13
C) Le cas français : des dévaluations tardives et subies
En France depuis 1926 la situation monétaire est excellente. Le franc Poincaré est
solide et attire les capitaux extérieurs en quête de sécurité. Systématiquement les réserves en
devises de la Banque de France sont converties en or. En 1930, la circulation fiduciaire est
couverte à 51 % par du métal précieux et en 1932 la France détient 27 % du stock d'or
mondial, venant immédiatement derrière les États-Unis. De plus la France fait partie du « bloc
or »
a) la participation de la France au bloc de l’or (1933-1936)
Fin juin 1933, à la Conférence de Londres, la France regroupe autour d'elle les Etats
qui ont pu respecter les principes fixés à Gênes en 1922 et qui préconisent un retour à la
convertibilité en or des principales monnaies aux parités de 1929. Ces Etats (la France et son
empire, la Belgique et le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suisse, (l’Italie, la Pologne)
constituent le « bloc or ».
Tous ces pays semblent en position forte au début de la grande crise. Le maintien de la
convertibilité en métal précieux fait apparaître les monnaies du bloc or comme des monnaies
solides et les capitaux extérieurs, fuyant l'Allemagne et le Royaume-Uni en 1931 et ÉtatsUnis en 1933 affluent.
Mais dans le même temps, si les capitaux affluent à partir de 1931 de sérieuses
difficultés apparaissent. Avec les fortes baisses de la livre sterling puis du dollar sur les
marchés des changes, les monnaies du bloc or sont des monnaies chères et la compétitivité
prix de ces pays menacé. Les balance s commerciales deviennent déficitaires.
Les gouvernement réagissent en pratiquent des politiques déflationnistes et tentent de
faire baisser les coûts de fabrication pour retrouver des prix concurrentiels sur les marchés
extérieurs (cf annexe). Mais ces politiques précipitent le ralentissement des activités. Très vite
les situations budgétaires, politiques, sociales se dégradent et refusées dans un premier temps
par les opinions publiques, s'imposent. Successivement la Belgique et le Luxembourg (1935)
puis la France, les Pays-Bas, l'Italie et la Suisse (1936) abandonnent la convertibilité en or et
dévaluent.
b) Des dévaluations réticentes et insuffisantes dès 1936
Les réformes décidées en juin 1936 après l'arrivée au pouvoir de Léon Blum entraînent
une reprise économique mais aussi une forte hausse des prix, les coûts sociaux nouveaux
imposés aux entreprises étant immédiatement répercutés dans les prix de vente, et une fuite
des capitaux et de l'or, le gouvernement s'étant refusé à établir le contrôle des changes.
L'encaisse or de la Banque de France fléchit dangereusement. La dévaluation devient
inéluctable.
Le 1er octobre 1936 la convertibilité en or est suspendue et le ministre des finances,
Vincent Auriol, fait voter une nouvelle loi monétaire : le franc est défini par un poids d'or
9/10 qui pourra varier entre 43 et 49 mg . La dévaluation est donc comprise entre 25 % et 34
% (c'est le « franc élastique »). Ce caractère « élastique » permet d’obtenir plus d’autonomie
de la politique monétaire (cf triangle d’incompatibilité de R. Mundell), car le contrôle des
changes n'est pas établi et les devises peuvent entrer et sortir librement.
Cependant, la dévaluation du 1er octobre 1936 apparaît rapidement insuffisante, à la
fois pour assurer la compétitivité des produits français à l'extérieur et pour fournir au Front
Populaire les moyens de sa politique. Les prix intérieurs continuent de monter rapidement, les
capitaux de s'expatrier. Le fonds de stabilisation des changes a de plus en plus de mal à
maintenir le franc dans les limites fixées en 1936 et l'encaisse or de la Banque de France
baisse.
14
Le 30 juin 1937, après la démission du premier gouvernement de Léon Blum, le
nouveau ministre des finances, Georges Bonnet, fait supprimer par décret la limite inférieure
fixée à la définition du franc (43 mg d'or 9/10) une nouvelle limite devant être décidée
ultérieurement. Le « franc Bonnet» est un franc flottant. Dès le 1er juillet 1937, la livre passe
de 110 F à 129 F. Mais la situation financière continue de se dégrader, le déficit budgétaire
étant de plus en plus comblé par des avances de la Banque de France. Les dangers de guerre
accentuent les fuites de capitaux.
Les mesures de redressement demandées par un second ministère Blum et comportant
notamment un impôt sur le capital et une nouvelle dévaluation accompagnée d'un contrôle des
changes étant refusées par les radicaux, c'est l'éclatement de la coalition de Front Populaire et
la formation d'un gouvernement Daladier appuyé par les radicaux et la droite.
Le 4 mai 1938 Daladier annonce que le franc sera stabilisé à 179 F pour une livre
sterling.
Le 12 novembre 1938 le nouveau ministre des finances Paul Raynaud fixe par décret
une nouvelle définition du franc : le franc est rattaché à la livre et défini par le cours de 179 F
pour une livre sterling (ce qui a cette date correspond à 27,5 mg d'or 9/10). Cette fois la
dévaluation du franc est suffisante pour faire retrouver aux produits français la compétitivité
perdue à l'étranger et le franc retrouve une certaine solidité. La chute du Front Populaire et la
stabilisation du franc ont pour conséquence un certain retour des capitaux expatriés et une
remontée de l'encaisse or de la Banque de France.
La période de l’entre deux guerre se caractérise donc par une grande difficulté de
toutes les économies à maintenir les parités or. Ainsi, malgré des embryons de coopération
monétaire, les dévaluations compétitives ainsi que le flottement des monnaies font du système
monétaire international une somme de zones monétaires, plutôt qu’un ensemble cohérent.
2) La division du monde en zones et blocs monétaires
A partir de 1936 le monde est scindé en zones et blocs monétaires qui, s'ils n'ont pas
encore une existence officielle, ont une existence de fait. Les limites de ces zones et blocs
vont désormais évoluer en fonction des événements diplomatiques et militaires.
A) Les zones monétaires
Dans une zone monétaire les monnaies sont toutes rattachées à une monnaie centrale
dont elles épousent le destin. La monnaie centrale fluctue sur les marchés des changes en
fonction de l'offre et de la demande, entraînant toutes les autres, sauf évidemment lorsqu'un
contrôle des changes est mis en place dans l'ensemble de la zone.
a) La zone sterling
Elle permet à tous les pays qui en font partie de jouir d'une stabilité interne complète
des changes.
La plupart ont des balances commerciales positives avec le Royaume-Uni et disposent
ainsi sur les comptes que gèrent les banques anglaises, d'importants soldes positifs, les
balances sterling, qu'ils ont intérêt à utiliser à l'intérieur de la zone en achetant notamment des
produits manufacturés britanniques.
Complétée par les accords douaniers d'Ottawa (août 1932) la zone sterling permet au
Royaume-Uni de continuer à dominer économiquement un vaste ensemble à l'échelle de la
planète. En juillet 1940, le contrôle des changes étant établi par tous les pays du
Commonwealth (à l'exclusion du Canada), la zone sterling prend une existence officielle avec
la constitution à Londres d'un fonds commun de ressources en devises extérieures, mettant
15
ainsi à la disposition du Royaume-Uni les avoirs en dollars des pays de la zone qui ont des
balances positives avec les États-Unis.
Jusqu'à la guerre, la livre sterling, toujours détachée de l'or, flotte sur les
marchés des changes mais ses fluctuations sont contrôlées par le fonds d'égalisation des
changes. Lors de la dévaluation du dollar en 1933 le fonds la fait baisser légèrement pour ne
pas perdre totalement sur le plan commercial l'avantage acquis en 1931.
En 1939 la livre sterling a finalement perdu un peu plus de 40 % de sa valeur par
rapport à 1930, comme le dollar. A partir de l'établissement du contrôle des changes dans
toute la zone sterling en juillet 1940, la livre n'est plus négociée sur les marchés des changes
et son cours officiel est fixé à 4 dollars. (En fait elle perd beaucoup de sa valeur puisqu'elle se
négocie clandestinement à la fin de la guerre à 2,80 dollar).
b) La zone dollar
Elle est apparue plus tardivement, est beaucoup moins étendue à l'origine. En 1936 à la
conférence de Buenos Aires, les Philippines et quelques pays d'Amérique lient leur monnaie
au dollar. Elle s'agrandit en 1940, comprenant dès lors en fait tous les pays extérieurs à une
zone sterling plus petite et aux blocs monétaires constitués autour de l'Allemagne, du Japon et
de l'URSS. Elle n'a jamais d'existence officielle. Dans toute la zone le dollar, convertible en or
au taux de 35 dollars l'once d'or fin (définition du 31 janvier 1934) hors des frontières des
États-Unis, est la monnaie des échanges.
c) La zone franc
Elles se limite à la France et à son empire dont les monnaies (la piastre indochinoise,
la livre libanaise par exemple) sont définies en francs français. Elle n'a d'existence officielle
qu'à partir de septembre 1939 lorsque le contrôle des changes est établi par la France et étendu
à l'ensemble de l'empire.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la zone franc éclate, la France métropolitaine
et les territoires coloniaux qui obéissent au gouvernement de Vichy sont rattachés de force au
bloc monétaire des puissances de l'Axe. Les territoires de la France Libre entrent en fait dans
la zone sterling.
B) Les blocs monétaires : le bloc reichsmark en 1931, le bloc yen en
1932, le bloc rouble dès 1925
Dans un bloc monétaire il existe dès l'origine un contrôle total des changes.
Les taux de change entre les monnaies du bloc, s'ils résultent parfois d'accords
négociés Allemagne et Italie au début de la guerre, ils sont en réalités plus souvent imposés
par la puissance dominante. Concrètement tous les règlements avec l’extérieur passe par des
organes d’Etat qui déterminent le cours du change en fonction de ses intérêts. Ce système de
« blocs monétaires » est l’archétype de l’économie administrée.
On distingue le bloc reichsmark dès 1931, le bloc yen en 1932, le bloc rouble en 1925
16
Annexe : Compléments sur les politiques économiques
(L’intervention de l’Etat en France et le Front populaire) en liaison
avec le cours sur le SMI
Durant la décennie 1920-1930, la France connaît une progression économique
remarquable, même si elle traverse des secousses politique et monétaire importantes. La
France n’est touchée que relativement tardivement par la crise de 1929 vers 1932.
Sur le plan politique, la décennie est marquée par la création du front populaire et par
une politique structurelle d’une assez grande ampleur.
A) Le contexte des années 30
En plus de la crise externe (tous les pays développés sont touchés) s’ajoute des
problèmes internes et spécifiques. Les trois bonnes récoltes de 1932, 33, 34, provoquent une
baisse des prix agricoles importantes (-60%) (le blé) mais aussi le lait, et le vin. Or, la France
est encore un pays mi-rural, mi-industriel et toute baisse de revenu dans le secteur primaire se
répercute dans le secteur secondaire.
Si la contraction mondiale touche la production industrielle des industrie de la
première révolution industrielle (charbon, textile, acier) les industrie de la seconde révolution
industrielle (électricité, aluminium) sont moins touchées, voire épargnée : l’industrie du
raffinage poursuit une expansion rapide. Mais, au total la contraction de l’activité industrielle
est réelle et se répercute par une diminution des matières premières transportées, ce qui met,
par contagion, l’industrie du transport en difficulté : la Compagnie générale aéropostale fait
faillite en 1931. L’Etat intervient pour imposer la fusion des 4 compagnies aériennes et le
rachat de l’Aéropostale par celles-ci. C’est ainsi que naît Air France. Les compagnies
ferroviaires deviennent déficitaire en 1932, ouvrant la voie aux subventions puis à la
nationalisation des chemins de fer avec la création de la SNCF en 19384.
Sur le plan monétaire, fin juin 1933, à la Conférence de Londres, la France regroupe
autour d'elle les Etats qui ont pu respecter les principes fixés à Gênes en 1922 et qui
préconisent un retour à la convertibilité en or des principales monnaies aux parités de 1929.
Ces Etats (la France et son empire, la Belgique et le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suisse,
(l'Italie, la Pologne) constituent le « bloc or ». Tous ces pays semblent en position forte au
début de la grande crise. Le maintien de la convertibilité en métal précieux fait apparaître les
monnaies du bloc or comme des monnaies solides et les capitaux extérieurs, fuyant
l'Allemagne et le Royaume-Uni en 1931 et États-Unis en 1933 affluent. Mais dans le même
temps, si les capitaux affluent à partir de 1931 de sérieuses difficultés apparaissent. Avec les
fortes baisses de la livre sterling puis du dollar sur les marchés des changes, les monnaies du
bloc or sont des monnaies chères et la compétitivité prix de ces pays menacé. Les balances
commerciales deviennent déficitaires
Au final, le chômage inexistant en 1930, se développe :
1933 270000
1934 345000
1935 500000
Une politique de grand travaux est lancé sous le ministère André Tardieu (plan
d’Adrien Marquet, ministre du travail )
4
La Société nationale des chemins de fer (S.N.C.F.) avait été créée alors pour
quarante-cinq ans; elle avait le statut d’une société d’économie mixte dans laquelle l’État
détenait la majorité.
17
Le plan Marquet (1934) est un des rares programmes de grands travaux pour lutter
contre le chômage lié à la crise économique. grand Canal d’Alsace, fortification de la ligne
(André) Maginot)
C'est donc avant le Front populaire qu'un début d' « économie mixte » prend naissance
même si globalement il n’y a pas de politique d’ensemble.
B) La naissance du front populaire (1935)
La querelle entre les communistes et les socialistes, (Staline faisait une distinction
entre les ennemis déclarés (les bourgeois), et les ennemis camouflés (les socialistes),)
s’estompe en 1934 sous l’influence de la pression croissante qu’exerce la montée du fascisme
en Europe : Allemagne (A.Hitler), Italie (B.Mussolini), Espagne (Franco).
En Occident, le Front populaire est né (sous le nom officiel de Rassemblement
populaire) quand plusieurs dizaines d’organisations françaises de toute nature, répondent à un
appel lancé par le mouvement communisant d’Amsterdam-Pleyel, en 1934. Le Front
populaire est donc une coalition qui, unissant les forces de gauche et d’extrême gauche, se
donne comme but de défendre les libertés démocratiques contre les menaces des
«groupements fascistes». Le 14 juillet 1935, conçu pour une journée de rassemblement, le
Front populaire décida de se donner des structures permanentes.
C) L’étrange déflation de Pierre Laval (1935)
Face au manque de compétitivité, les gouvernement réagissent en pratiquant des
politiques déflationnistes : Par exemple, sous la Présidence de Albert Lebrun, Pierre Laval est
appelé à prendre la tête du gouvernement et commencera une politique de déflation en juin
1935. Cela ressemble aux politiques menées dans la zone euro depuis 2010...
• réduction générale de 10% de toutes les dépenses publiques (salaires et dettes')
• fortes taxes sur les valeurs mobilières et augmentation de l'impôt sur le revenu
• Baisse autoritaires de nombreux prix (environ 10% sur le gaz, l'électricité etc..')
• Baisse de 10% des loyers
Face à cette série de mesure, on devait s’attendre à une baisse des prix. Ce fut
effectivement le cas en juillet, mais, Alfred Sauvy rappel que dès le mois d’août 1935, les prix
commencèrent à remonter (surtout les prix à la consommation). L’activité économique suivit
ce mouvement de août 1935 à mai 1936 : 6°% dans le bâtiment, 7% dans la sidérurgie, 9 %
dans le secteur gaz-électricité, 10% dans le textile. On enregistre aussi une baisse du nombre
de faillites et de liquidation judiciaire. Les ventes de voitures neuves augmentent de 9% et
celles de camion neuf de 7%. Le chômage est freiné, et le temps de travail augmente (de 44 h
à 45,5 h en moyenne). Alfred Sauvy estime que cela correspond, au total, à une croissance du
revenu de 5%. Sauvy attribue ce résultat si contraire aux attentes à un effet de création
monétaire discret (faire escompter par la Banque de France des bons du Trésor) que Pierre
Etienne Flandin (le chef du gouvernement précédent celui de Laval) avait mis en oeuvre.
Autrement dit, une politique monétaire accommodante avait contrebalancé une politique
budgétaire restrictive, ce que justement, on ne peut pas faire dans la zone euro !
Mais, cette reprise économique ne fut pas perçue. Pire, elle fut à l’origine de tensions
inflationnistes ce qui aggravait la différence entre les prix français et étrangers. Aussi cette
méconnaissance de la reprise (y compris de la part de Laval lui-même) accéléra le processus
débuté en février 1934, a savoir, l’essor du front populaire (et la chute du gouvernement Laval
en janvier 36).
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D) Le programme du front populaire et les conséquences des accords de
Matignon (juin 1936)
Adopté et publié en janvier 1936, après de laborieuses discussions, le programme du
Front populaire apparaissait comme un catalogue de revendications. Le front populaire fut élu
en avril 1936, et aboutissait ainsi à un gouvernement à direction socialiste dirigé par Léon
Blum. Il n’entrait pas dans les intentions de ce dernier de s’en servir pour une action
révolutionnaire. À maintes reprises, il avait expliqué que l’exercice du pouvoir ne devait pas,
en de telles circonstances, entraîner de «vacances de légalité».
Mais, au cours du mois qui s’écoule avant la formation du nouveau gouvernement,
surgit, inattendue, une grande vague de grèves dans le secteur privé, avec occupation des lieux
de travail. Elle surprend les dirigeants de la C.G.T. (maintenant réunifiée avec la C.G.T.U.) et
inquiète Léon Blum. Ne risque-t-elle pas, à la fois, de rejeter les radicaux et les classes
moyennes vers la droite et d’affaiblir la France en face de l’Allemagne hitlérienne?
Le mouvement s’apaise peu à peu lorsque les accords Matignon, conclus le 7 juin
1936, accordent aux travailleurs des satisfactions qui vont plus loin que le programme du
Front populaire: augmentations de salaires (15%), semaine de quarante heures (contre 48),
deux semaines de congés payés, généralisation des conventions collectives, élection de
délégués du personnel. Toutes ces mesures devront être mises en place pour le mois de
novembre 36.
Pour les militants syndicaux, c’était la fin du patronat de droit divin. Des minorités
ardentes auraient souhaité davantage. Pour que le travail reprenne, Maurice Thorez doit
déclarer qu’il faut savoir terminer une grève (11 juin). Considérées comme des avancées
sociales significatives, les décisions se font dans l’urgence afin d’éviter peut-être le pire : une
guerre civile ? une crise de régime ?…dans la précipitation aucune étude préalable ne fut faite
pour en évaluer les conséquences.
D’après Alfred Sauvy les conséquences furent dramatiques, ou en tout non conformes
aux effets escomptés.
• Les 15% d’augmentations de salaire viennent s’ajouter à hausses réelles des salaires
(10%) : la baisse nominal des salaires fut inférieure à la baisse des prix durant les années 30 !
D’où des tensions inflationnistes déjà à l’œuvre.
• En ce qui concerne l’octroi de la semaine de 40 heures Sauvy la juge désastreuse.
Voici son raisonnement :
52 semaines de 48 heures = 2496 heures de travail annuels
Si deux semaines de congés payés (avec 48h/semaine) = 48 * 50 = 2400
Si pas de congés payés (avec 40h/semaine) = 40 * 52 = 2080
Donc la seconde mesure (la baisse hebdomadaire du travail) est 4 fois plus coûteuse
que les congés payés. La semaine de 40h équivaut à 2 mois de congés payés ! Personne
n’aurait osé proposer une telle mesure si elle avait été ainsi présentée !
Ces mesures provoquèrent une baisse du franc car le gouvernement s'étant refusé à
établir le contrôle des changes (mesure qui ressemble trop à la politique nazis..). L'encaisse or
de la Banque de France fléchit dangereusement. La dévaluation (solution dont Blum ne
voulait pas entendre parler) devient inéluctable. Elle est décidée le 25 septembre et le 01
octobre 1936 la convertibilité en or est suspendue. Notons que la dévaluation, c'est justement
ce que l'on ne peut plus faire dans la zone euro ! Dommage, car cette décision se traduit par
une reprise dans tous les domaines : la production industrielle remonte de 12°% en trois mois.
Le chômage baisse rapidement (-20%). La durée effective du travail augmente de mois en
mois, ce qui traduit une reprise de l'offre globale devant à terme entraîner une détente sur les
prix (l'inflation est encore vivace sous l'effet des importations et de la majoration des salaires).
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Mais cette reprise passe inaperçus. Les décideurs, des juristes, des littéraires, n'ont pas
les compétences pour interpréter les statistiques (tenues à l'époque par la Statistique
Générale). Quant aux économistes, A.Sauvy les accusent de ne pas savoir observer les faits et
de rester perdus dans les théories. La seule information qu'ait eut Léon Blum fut celle du
chômage, mais les chiffres données n'étant pas désaisonnalisés il ne vit pas que leur nombre
était en baisse réelle.
Or la législation sur le temps de travail va empêcher la reprise. Alfred Sauvy écrit
ainsi :
« En octobre-décembre 1936, Léon Blum a brisé une grande reprise économique (…)
en réduisant de façon rigide la durée du travail »5 . Il ajoute : « Blum ne connaissait ni la
durée effective du travail dans les usines, ni l’étendue du chômage »
Plus tard dans un autre ouvrage intitulé : de la rumeur à l’histoire (Ed.Dunod) a la
question « pourquoi Léon Blum ignore-t-il cette victoire ? « Sauvy répond « …il ne connaît
que la rumeur, y compris la presse qui ne transmet que des doléances, et il n’au autour de lui
que des juristes et des littéraires »
En Juillet 37 une nouvelle dévaluation a lieu. Les dangers de guerre accentuent les
fuites de capitaux.
Les mesures de redressement demandées par un second ministère Blum et comportant
notamment un impôt sur le capital et une nouvelle dévaluation accompagnée d'un contrôle des
changes étant refusées par les radicaux, c'est l'éclatement de la coalition de Front Populaire et
la formation d'un gouvernement Daladier appuyé par les radicaux et la droite.
Au final Sauve précise que en 1938 la production industrielle est plus basse qu'en
1925. Selon Sauvy la cause principale provient de la réduction du temps de travail.
Pour la plupart des observateurs et des décideurs politiques la Grande Crise montre
que l'on ne peut plus avoir une confiance totale et aveugle dans le laissez-faire et dans la libre
concurrence. De nouveaux besoins se font sentir : réglementer l'activité des banques, agir sur
la conjoncture, posséder des instruments d'observation et de connaissance. Les manifestations
de cet interventionnisme au cours des années 1930 sont variées : nationalisations partielles en
France, contrôle des orientations de la production en Allemagne, régulation des quantités
produites et des prix sur les marchés agricoles à l'image de l'ONIB (Office national
interprofessionnel du blé, ancêtre de l'ONIC) créé en 1936, contrôle du crédit et du système
bancaire aux États-Unis, etc. Des politiques comme le New Deal ou le Front populaire
inaugurent une série d'interventions accrues et une nouvelle régulation de l'activité
économique par l'État qui mettent fin au capitalisme libéral traditionnel.
5
Histoire économique de la France entre les deux guerres, Ed Fayard p.364
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