Le calcium, un traitement à risque
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Le calcium, un traitement à risque
GRIO Coordonné par T. Thomas (Saint-Étienne) w w w. gr i o. or g Le calcium, un traitement à risque ? P. Dargent*, T. Thomas** (* Unité Inserm 953, Villejuif. ** Unité Inserm 1059, Saint-Étienne) L a prise d’un supplément calcique dans l’idée de “préserver leur santé osseuse” est courante chez les personnes âgées de plus de 50 ans. Pourtant, la publication en 2010 d’une méta-analyse (1) suggérant que la prise d’un supplément calcique augmente le risque de survenue d’un événement cardio-vasculaire a remis en cause le rapport bénéfice/risque d’une telle supplémentation tout-venant. Cette méta-analyse a colligé les résultats de 15 essais contrôlés et randomisés, soit un total de 12 000 participants. Tous ces essais avaient comparé la survenue d’événements cardio- vasculaires sous administration d’un supplément calcique à celle sous placebo, avec les caractéristiques suivantes : une dose de calcium supérieure à 500 mg/j, sans vitamine D associée, une population supérieure à 100 patients d’un âge moyen supérieur à 40 ans, avec un suivi supérieur à 1 mois. Pour les 5 essais dont les données individuelles étaient disponibles, les caractéristiques principales de la population étaient un âge moyen de 74,5 ans, 78 % de femmes, un poids moyen de 68 kg, des apports alimentaires en calcium de 830 mg/j, un taux sérique moyen de 25 (OH)D à 65 nmol/l et des facteurs de risque cardio- vasculaire de prévalence modérée : 28 % pour une hypertension artérielle, 10 % pour un tabagisme, 7 % pour un diabète et 15 % pour un déséquilibre lipidique. Ces données étaient similaires dans les groupes sous supplément calcique et placebo. Les résultats de cette méta-analyse interpellent : ils montrent en effet une augmentation de 30 % du risque d’infarctus du myocarde (HR = 1,31 ; IC95 : 1,02-1,67 ; p = 0,035). L’augmentation est moins importante et surtout statistiquement non significative pour le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) [HR = 1,20 ; IC95 : 0,96-1,50 ; p = 0,11] et de décès (HR = 1,09 ; IC95 : 0,96-1,23 ; p = 0,18). Ces résultats sont identiques quels que soient l’âge, le sexe et le type de supplément utilisé. Les résultats sont également similaires dans la méta-analyse incluant les essais avec données agrégées. Ces résultats ne sont pas associés à une augmentation significative de la mortalité cardio-vasculaire, mais l’augmentation est malgré tout de 9 %. On ne peut donc trancher entre une réelle absence d’augmentation ou la traduction d’une puissance statistique insuffisante, en gardant à l’esprit qu’une augmentation de 20 à 30 % du risque d’infarctus du myocarde et d’AVC n’augmenterait pas la mortalité de plus de 10 %. Les auteurs concluent donc que la mise en perspective de cet effet potentiellement néfaste sur le plan cardio-vasculaire, avec une action modeste de la supplémentation calcique sur la prévention des fractures – estimé à 10 % – (2, 3), doit faire réévaluer la place de ces suppléments dans la prise en charge de l’ostéoporose. Ces résultats, troublants, sont d’autant plus à prendre en compte qu’ils concordent avec ceux d’autres études qui ont suggéré ce risque cardio-vasculaire, avec une accélération des calcifications vasculaires et une augmentation de la mortalité chez des sujets supplémentés en calcium. En revanche, cet effet cardio-vasculaire n’est pas retrouvé chez les sujets ayant un apport élevé en calcium d’origine alimentaire, qui a même un effet protecteur (4). Il y a de surcroît des mécanismes biologiques plausibles qui pourraient sous-tendre cette relation entre la prise d’une supplémentation calcique et le risque cardio-vasculaire. En effet, une augmentation du calcium sérique se produit rapidement après la prise d’un supplément et cela peut être associé à une hausse de l’incidence des infarctus du myocarde. L’augmentation du calcium sérique associée à l’hyperparathyroïdie est elle-même liée à un accroissement du risque cardio-vasculaire et de la mortalité. En revanche, l’ingestion du calcium alimentaire semble avoir un effet moindre sur le calcium sérique. L’accroisse- ment des calcifications vasculaires est un facteur de risque connu de maladies cardio-vasculaires. L’augmentation de la coagulabilité et de l’altération du flux vasculaire est également discutée (5). Cependant, cette méta-analyse a un certain nombre de limites, qu’il faut aussi souligner, dans l’interprétation des résultats. Le risque d’événement cardio-vasculaire n’était un critère de jugement préspécifié dans aucun des essais et l’enregistrement des événements cardio- vasculaires n’était pas standardisé : il pouvait être déclaratif, inscrit dans un dossier hospitalier ou dans un certificat de décès. Cependant, cette limite ne constitue un biais que si les erreurs de classification sont différentielles entre le groupe traitement et le groupe placebo, ce qui est peu probable. Une autre critique importante de cette méta-analyse porte sur les apports totaux en calcium des groupes traités, combinant la supplémentation et l’apport alimentaire, finalement très hauts, à 1 800 mg/jour en moyenne. D’ailleurs, le risque d’infarctus du myocarde n’est retrouvé dans une analyse en sous-groupes que chez les patients ayant un apport alimentaire supérieur à 800 mg/j à l’inclusion dans l’étude. À l’inverse, il faut rappeler qu’il n’est pas certain qu’une supplémentation en calcium inférieure à 1 000 mg/j ou qu’un apport calcique total inférieur à 1 500 mg/j apporte un bénéfice osseux significatif. Pour une réponse plus formelle, il faudrait un essai clinique randomisé incluant plus de 20 000 sujets suivis pendant au moins 5 ans, ce qui laisse entrevoir de grosses difficultés d’éthique, de faisabilité et de financement. Pour la pratique quotidienne, il apparaît donc nécessaire maintenant de tenir compte davantage des apports alimentaires en calcium des patients, d’insister sur l’importance d’une alimentation variée et de ne conseiller une supplémentation médicamenteuse en calcium que chez les patients ayant des apports alimentaires insuffisants. Références bibliographiques 1. Bolland MJ, Avenell A, Baron JA et al. Effect of calcium supplements on risk of myocardial infarction and cardio vascular events: meta-analysis. BMJ 2010;341:3691. 2. Tang BM, Eslick GD, Nowson C, Smith C, Bensoussan A. Use of calcium or calcium in combination with vitamin D supplementation to prevent fractures and bone loss in people aged 50 years and older: a meta-analysis. Lancet 2007;370:657-66. 3. Bischoff-Ferrari HA, Dawson-Hughes B, Baron JA et al. Calcium intake and hip fracture risk in men and women: a meta-analysis of prospective cohort studies and randomized controlled trials. Am J Clin Nutr 2007;86:1780-90. 4. Iso H, Stampfer MJ, Manson JE et al. Prospective study of calcium, potassium, and magnesium intake and risk of stroke in women. Stroke 1999;30:1772-9. 5. Reid IR, Bolland MJ, Grey A. Does calcium supplemen tation increase cardiovascular risk? Clin Endocrinol (Oxf) La Lettre du Rhumatologue • No 373 - juin 2011 | 45 2010;73:689-95.