Jurisprudence troubles de voisinage et sport

Transcription

Jurisprudence troubles de voisinage et sport
Partenaire ANDIISS
http://www.isbl-consultants.fr
Date: 31 mai 2015
Trouble du voisinage. L’appréciation de l’anormalité du trouble entre les mains des juges
Les troubles du voisinage nourrissent une abondante jurisprudence (voir notre commentaire ) où
l’appréciation des circonstances de fait laisse un important pouvoir d’appréciation aux tribunaux comme le prouvent deux arrêts, l’un rendu par la cour d’appel de Rennes (5 novembre 2013) et l’autre par celle de Nîmes (13 mars 2014). Dans la première espèce des riverains se plaignaient de nuisances sonores et
dans la seconde de jets de ballons. Bien que les situations soient voisines, les solutions retenues
divergent !
1-Les voisins d’un club de moto-ball, qui ne se résignent plus à subir les nuisances sonores causées par les
activités de cette association, la font assigner devant le juge des référés du tribunal de grande instance de
Carpentras. Celui-ci ordonne, sous astreinte, la cessation des matches et entraînements. L’association interjette alors appel de l’ordonnance mais sans succès.
2-La même mésaventure survient à un couple vivant dans le voisinage d’un terrain de football. Ils ont, eux, à se plaindre de la projection de ballons. Ils assignent alors l’association diocésaine propriétaire du stade devant le tribunal d'instance de Nantes pour la faire condamner sous astreinte à rehausser le grillage du terrain de football
et à les indemniser de leur préjudice. Mais ce qui vaut pour les nuisances sonores n’aboutit pas au même résultat pour la projection de ballons. La demande est rejetée par les premiers juges et l’appel se solde également par un échec. A première vue, on peine à trouver de la cohérence entre ces deux décisions rendues dans des affaires
voisines, même si pour la première il ne s’agissait que d’obtenir des mesures conservatoires. En effet, dans un cas, le trouble a été jugé manifeste et dans l’autre n’excédant pas les inconvénients normaux de voisinage.
3-Dans la première espèce, les appelants avaient agi en application de l’article 809 du code de procédure civile.
Ce texte prévoit que le juge des référés peut prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui
s’imposent « soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».
Le dommage imminent s’entend de celui « qui n’est pas encore réalisé mais qui se produira certainement si la
situation présente doit se perpétuer »[1]. En l’occurrence, le dommage était actuel. Il ne s’agissait pas de le
prévenir mais de le faire cesser. Le juge des référés devait donc rechercher si les nuisances sonores
constituaient un « trouble manifestement illicite ».
4-Un tel trouble suppose nécessairement que l'émergence sonore excède la norme réglementaire. Celle-ci est
définie par le code de la santé publique. Selon l’article R1334-31 relatif à la lutte contre le bruit « aucun bruit
particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ». A cet
égard, l’article R1334-32 précise que, lorsqu’elle a pour origine une activité sportive, culturelle ou de loisir organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, et que ses conditions d'exercice n'ont pas été fixées par
les autorités compétentes, l'atteinte à la tranquillité du voisinage est caractérisée si l'émergence globale de ce
bruit perçu par autrui est supérieure aux valeurs limites fixées par l'article R. 1334-33.
5-Le club soulevait un moyen qui mérite l’attention. Il soutenait que, dans le domaine du sport, les fédérations sportives sont les « autorités compétentes » pour déterminer les règles techniques propres à leur discipline
(art.131-16 C. sport) qui doivent s’appliquer en lieu et place des dispositions du code de la santé publique. Pour preuve de cette analyse, il produisait un arrêt du Conseil d'Etat du 11 janvier 2008 rendu dans une espèce où une
Partenaire ANDIISS
association de défense de l’environnement avait demandé l’annulation d’un arrêté ministériel homologuant un circuit de vitesse. La Haute assemblée avait, à cette occasion, affirmé « qu’il appartient aux fédérations sportives
détentrices de la délégation prévue à l'article L. 131-14 du code du sport d'édicter dans leurs règlements
techniques les règles générales relatives au bruit résultant des véhicules terrestres à moteur participant à des
manifestations sportives ». Elle ajoutait qu’il revenait « le cas échéant, au ministre de l'intérieur, lors de la
procédure d'homologation des circuits de vitesse et au préfet de département, lors de l'autorisation de
manifestations sportives, de définir les conditions d'exercice spécifiques relatives au bruit de ces manifestations.
Lorsque ni les fédérations, ni ces autorités administratives n'ont fixé de telles normes, s'appliquent, de manière
subsidiaire, les dispositions des articles R. 1334-30 à R. 1337-37 du code de la santé publique ». En somme, les
normes édictées par le code de la santé publique ne s’appliquent que si les fédérations sportives s’abstiennent de définir la réglementation relative aux nuisances sonores des manifestations. Mais, le juge des référés ne fait, ici,
nullement référence aux normes édictées par la fédération française de motocyclisme pour la pratique du motoball[2]. Au lieu de cela, il affirme que « les compétences reconnues aux fédérations sportives n'autorisent pas
leurs membres à causer des troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage ». Faut-il comprendre
qu’il se réserve la possibilité d’apprécier si les mesures édictées par les fédérations sportives excèdent ou
non les inconvénients normaux de voisinage ? Quoiqu’il en soit, il estime, en l’occurrence que les intimés « subissent sur leur terrasse un niveau d'émergence dépassant très largement les tolérances admissibles, tant au
regard des dispositions réglementaires prises en application du code de la santé publique, que sur le plan de la
perception du bruit émis par rapport à l'environnement dans lequel ils ont établi leur habitat ».
6-L’emploi de l’adverbe « manifestement » par le législateur met le juge des référés dans l’obligation de démontrer que le trouble est incontestable. Or, dans la présente espèce, l’illicéité du trouble sonore est déduite
de l’unique dépassement de la norme réglementaire. Est-ce suffisant pour établir que le trouble est manifeste ?
Assurément pas, si on se réfère à un arrêt de la Cour de cassation dans une espèce où les auteurs du pourvoi se
plaignaient des nuisances provoquées par un ball-trap. Elle observe « que l'organisation des séances de balltrap, quand bien même elle eût contrevenu au Code de la santé publique au regard de l'émergence sonore de
certains tirs excédant la norme réglementaire, n'était (pas) constitutive (…) d'un trouble manifestement illicite ».
En l’occurrence, elle approuve la cour d’appel ayant estimé que l’organisation de séances de tirs deux jours par an uniquement en période diurne par une association de ball-trap et six fins de semaine par an, pour l’autre, n’excédait pas les inconvénients normaux du voisinage[3]. La seule inobservation de la loi ne suffit donc pas. Il
faut relever des éléments factuels qui prouvent le caractère manifeste du trouble. Or le juge des référés ne s’est interrogé ni sur le nombre, la durée et l’horaire des séances d’entrainement ni sur ceux des compétitions. Si
trouble il y a, comme l’attestent les constats de l’expert, il n’est pas établi qu’il soit manifeste au sens de l’article 809 du code de procédure civile.
7-En décidant la cessation des matches et entraînements sous peine d’astreinte, le juge des référés met fin à toute activité de l’association qui n’a pas d’autre choix, si elle veut continuer à fonctionner dans l’attente de la décision sur le fond, que de trouver un nouveau site. Il eut été plus respectueux pour la liberté de l’association de limiter son activité à certains jours et à certaines heures. Cette mesure aurait permis de tenir un juste équilibre
entre le droit à la tranquillité des habitants et la pratique des activités sportives, l’un et l’autre tout aussi légitimes.
8-Dans la seconde espèce, où les juges statuaient sur le fond puisque le litige n’avait pas été précédé d’un référé, les appelants devaient rapporter la preuve non pas d’une faute du club de football, mais de nuisances excédant les inconvénients normaux du voisinage. En effet, les abus de voisinage sont sanctionnés par une
responsabilité objective. « Le dommage existe indépendamment de la faute et même de l’absence de violation de
règlement »[4]. L’unique condition de mise en jeu de la responsabilité de l’auteur du trouble tient dans son anormalité qui est à la fois le fait générateur de responsabilité et son résultat.
9-Tous les troubles causés par le voisinage ne sont pas réparables ! En deçà d’un certain degré d’intensité, le trouble, même préjudiciable, est admis et ceux qui en souffrent ne peuvent s’en prévaloir. Ce n’est que si elle dépasse un certain seuil et « franchit la capacité de résistance de l’homme » que la gène devient insupportable
au point « d’excéder la mesure des obligations ordinaires de voisinage » et de ne plus pouvoir être justifiée.
10-L’évaluation de l’anormalité du trouble est avant tout une question factuelle nécessitant pour chaque espèce un examen au cas par cas. A la différence du référé, le juge du fond n’est nullement tenu de constater l’existence d’une violation de la règle de droit. En l’espèce, il lui fallait apprécier si la projection de ballons dans la propriété Partenaire ANDIISS
des appelants excédait les inconvénients normaux du voisinage. A cet égard, la cour relève que le terrain de
football était entouré de grillages pare-ballons dont la hauteur était de nature à arrêter la plupart des tirs. Le fait
que certains ballons frappés particulièrement haut viennent à tomber dans le jardin des appelants constituait
assurément un désagrément mais pas assez sérieux pour dépasser les troubles normaux de voisinage. La cour
ne se laisse pas impressionner par les 69 ballons dénombrés par le constat d’huissier. En effet, les appelants les
ayant conservés par mesure de rétorsion, il n’est pas surprenant qu’ils aient pu en recueillir en aussi grand nombre au bout de cinq ans. Par ailleurs, allant plus avant dans leurs suppositions, les juges estiment que ces
ballons n'ont pas forcément tous atterri chez les appelants mais ont pu tout aussi bien tomber dans la rue
adjacente et être récupéré par les appelants pour appuyer leur cause. Enfin, ils relèvent que les mesures prises
par l'association diocésaine, à la demande des intéressés, n'ont pu qu'atténuer la situation antérieure.
11-La frontière qui délimite le trouble normal du trouble anormal est propre à chaque cas d’espèce. Le concept d’anormalité est appréhendé selon un faisceau d’indices comme la localisation du trouble, son caractère continu
ou répétitif. Un trouble supportable dans la journée devient anormal s’il se poursuit la nuit[5]. S’agissant des équipements sportifs, il faut aussi prendre en considération l’intérêt que représentent les activités sportives pour la collectivité. Il y a un juste équilibre à trouver entre le droit à la tranquillité des habitants d’une zone résidentielle
et la pratique sportive qui est d’intérêt général parce qu’elle contribue à l'éducation et à l'animation de la jeunesse, concourt au maintien du lien social, et à la préservation de la santé. La proximité d’une installation sportive crée nécessairement des nuisances. La projection de ballon ou de balles de tennis dans les propriétés
voisines n’est pas rare. Le seuil de tolérance est atteint et dépassé lorsque leur nombre devient excessif[6] ou
qu’il provoque des dommages collatéraux comme la projection de balles de golf sur une toiture, nécessitant le remplacement des tuiles brisées[7].
12-En revanche, lorsque les nuisances demeurent dans des limites raisonnables, elles font partie des
désagréments inévitables du voisinage. En l’occurrence, le propriétaire de l’installation avait installé des grillages pare-ballons jugés d’une hauteur suffisante pour arrêter le plus grand nombre de tirs. Cette constatation suffisait à elle seule pour motiver le rejet de l’action.
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
En savoir plus :
Jean-Pierre VIAL, "Le risque pénal dans le sport", coll. "Lamy Axe Droit", novembre 2012
Notes
[1] Solus et Perrot, n° 1278-9.
[2] Art 10 Spécification générale des machines (Les motocycles doivent être munis d'un silencieux.
Le niveau du bruit qu'ils émettent ne doit pas dépasser les 96 décibels à 13 m/s)
[3] Civ. 2, 18 avr. 2013, n° 12-19865.
[4] CA Poitiers, 18 avr. 2012 n° 10/04489.
[5] Ainsi, il a été jugé que les cris, sifflets, klaxons et autres cornes et tambours des spectateurs d’une enceinte sportive présentaient un caractère anormal quand elles se produisaient après 21h et plus de six fois par an. Civ
2., 2 déc. 2014, n° 12-24609.
[6] CA Douai, 7 oct. 1991 : Juris-Data n° 1991-043928.
[7] CA Pau, 5 juin 1985 : Juris-Data n° 1985-041225