Dans le mille ! – Une médecine d`affaires ou une affaire de médecine

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Dans le mille ! – Une médecine d`affaires ou une affaire de médecine
Dans le mille !
Une médecine d’affaires
ou une affaire de médecine ?
par Hélène Corriveau et l’équipe de Rédiger
« Attention : mamelons dangereux ! » Votre curiosité est piquée ? Sûrement. Écrit dans
La Presse du 7 mars 1992 par Francine Pelletier, l’article sur les dangers des prothèses
mammaires a non seulement attiré l’attention par son titre accrocheur, mais a été lu,
commenté et... critiqué.
Cet article constitue un très bon exemple de l’utilisation de différents types d’arguments
destinés à convaincre un destinataire, en l’occurrence les femmes porteuses de prothèses
mammaires ou désireuses d’en avoir. La stratégie d’écriture utilisée amène le lecteur à
s’indigner devant l’étalage d’horreurs dont les prothèses sont la cause.
Seins de ferraille : cute à mort !
L’extrait suivant présente une description peu rassurante de matériaux industriels qui se
trouvent dans le produit décrié : « C’est un de ces bijoux de fin de siècle, je suppose,
d’apprendre que derrière ces poitrines voluptueuses tant convoitées se cachent de gros
sacs gélatineux, bleus de surcroît, très souvent recouverts d’une mousse industrielle, du
genre qu’on trouve dans les sofas. C’est un peu comme ces romans de science-fiction où
l’héroïne découvre tout à coup que l’homme de ses rêves... est un robot ! Cute à mort,
provocant au possible, mais un assemblage de ferraille tout de même. »
L’utilisation de l’exemple : femme + sac = robot = assemblage de ferraille donne la
mesure de la nocivité des prothèses mammaires. Derrière la poitrine voluptueuse apparaît
un spectre froid à nous glacer le sang. Il y a fort à parier qu’un malaise s’insinuera dans
l’esprit de la lectrice, qu’elle soit ou non porteuse de telles prothèses. Et comme pour
visser l’effet, Mme Pelletier nous sert un clin d’œil moins innocent qu’il n’y paraît : « cute
à mort » !
Prothèses devant l’inconnu
Continuons :
« Rappelant étrangement la controverse suscitée par le stérilet Dalkon Shield, retiré du
marché après avoir provoqué des hémorragies et même la stérilité chez de nombreuses
Rédiger. Le magazine de la rédaction professionnelle
no 1, 1996
femmes [...], les prothèses mammaires s’illustrent comme un autre de ces actes médicaux
bâclés dont les femmes, trop souvent, font les frais.
Ce qu’on sait de ces prothèses c’est que :
1. même sans ruptures du sac, des particules de silicone se répandent dans le corps ;
2. dans un pourcentage élevé de cas (70 p. cent, selon certaines études) les seins
deviennent "durs comme de la roche" ;
3. la détection du cancer du sein est rendue plus difficile à cause des prothèses. »
Quel impact ! « On ne sait presque rien », « le stérilet Dalkon Shield », « actes médicaux
bâclés »... L’horreur s’installe à mesure que l’argumentation avance. La panique est à la
porte.
Francine Pelletier fait ensuite le bilan de ce qui attend les femmes porteuses de ces
prothèses : particules étrangères qui circulent dans le corps, durcissement des faux seins,
détection du cancer du sein rendue plus difficile... Tout est en place pour provoquer
l’hystérie !
Une nocivité vraiment cachée ?
Et pour mettre le feu aux poudres : « Les preuves indubitables de la nocivité de ces
prothèses font toujours défaut, c’est vrai. Mais c’est que les manufacturiers et les
médecins ont eux-mêmes omis de procéder aux études scientifiques requises !
[...] Additionnée d’une mousse de type qu’on retrouve dans la fabrication de meubles, de
carburateurs et de filtres à l’huile, le Meme, par exemple, n’a jamais été testé pour son
degré de toxicité. Avant de lancer son produit, le fabricant s’est contenté d’une étude
restreinte, sans véritables contrôles, pilotée par un médecin qui aurait accepté de mener
une enquête, dit Nicholas Regusm, "en retour d’un certain pourcentage des ventes". » Un
chausson avec ça ? L’argumentation par l’exemple vient renforcer le premier passage sur
la notion de nocivité. Le manque d’études scientifiques et le pourcentage des ventes
accentuent l’impression d’actes médicaux bâclés et de faute professionnelle. Voilà
comment on peut profiter du « syndrome des grosses boules », comme l’appelle Francine
Pelletier. Une obsession au profit du capital. Une détresse qui rapporte.
À la lecture de ces extraits, on constate que les formules employées sont variées.
L’essentiel est de retenir que le destinataire, ici la femme concernée de près ou de loin
par les prothèses mammaires, doit être bien identifié. Par la suite, il nous faudra ajuster
les arguments en fonction des personnes visées et émailler le tout d’exemples chocs, de
données percutantes, d’images troublantes. Un truc pour développer notre sens de
l’argumentation : noter les passages particulièrement intéressants que nous rencontrons
au fil de nos lectures et analyser la mécanique de l’effet qu’ils ont provoqué sur nous. Si
Rédiger. Le magazine de la rédaction professionnelle
no 1, 1996
la méthode a réussi avec nous, elle doit pouvoir fonctionner auprès des autres. Ne reste
plus qu’à s’en servir !
Rédiger. Le magazine de la rédaction professionnelle
no 1, 1996

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