2000-33 Cholésterol et risque d`accident vasculaire cérébral: un rôle

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2000-33 Cholésterol et risque d`accident vasculaire cérébral: un rôle
Schweiz Med Wochenschr 2000;130:1157–63
Peer reviewed article
G. Devuyst, J. Bogousslavsky
Service de neurologie,
CHUV, Lausanne
Perfectionnement
Cholestérol et risque d’accident
vasculaire cérébral: un rôle
pour les statines?
Summary
Cholesterol and stroke risk: a role for statins?
Atherosclerosis is the most common cause of
vascular diseases, but the relevance of cholesterol has only been definitely associated with
coronary artery disease and peripheral vascular disease. In comparison, the role of cholesterol in stroke is, while a tempting assumption,
subject to controversy in the literature. The
crucial question – is cholesterol a risk factor
for stroke? – remains open. Recent trials with
statin drugs, such as 4 S, CARE, LIPID and
WOSCOP, have created a new wave of enthusiasm by showing decreased risk of stroke in
the statin-treated patients. However, these
trials are most often designed for patients with
a known history of coronary artery disease. In
contrast, studies investigating the impact of
statins in the secondary prevention of stroke
are still lacking. Moreover, the beneficial
effects of statins on clinical events may involve
non-cholesterol mechanisms. In regard to
stroke prevention, there is no absolute evidence
to recommend the use of statin drug therapy.
Keywords: stroke; transitory ischaemic attack;
hypercholesterolaemia; LDL cholesterol;
statins
Zusammenfassung
Obwohl die Atherosklerose die häufigste Ursache von Gefässerkrankungen darstellt, ist das
Cholesterin als definitiver Risikofaktor erst bei
der Herzgefässerkrankung und der arteriellen
Verschlusskrankenheit anerkannt. Die Bedeutung des Cholesterins beim Hirnschlag bleibt
in der Literatur umstritten. Die entscheidende
Frage – ob Cholesterin ein Risikofaktor für
den Hirnschlag ist – ist unglöst. Neue Studien
wie 4 S, CARE, LIPID, und WOSCOP haben
zwar durch die Senkung des Hirnschlagrisikos
beim Statin-behandelten Patienten eine neue
Welle des Enthusiasmus hervorgerufen; diese
Studien wurden allerdings oft bei Patienten
mit bekannter Herzgefässerkrankung durchgeführt. Studien zur Sekundärprophylaxe des
Hirnschlags existieren noch nicht, und Statine
sind auch für andere Wirkmechanismen als
nur die Senkung des Cholesterinwerts bekannt.
Es bestehen also zurzeit ungenügende Beweise,
um Statine für die Hirnschlag-Prävention zu
empfehlen.
Keywords: Hirnschlag; transiente ischämische
Attacke; Hypercholesterinämie; LDL-Cholesterol; Statine
L’athérosclérose est la cause la plus fréquente
des maladies cardio-vasculaires, mais le rôle du
cholestérol n’a été définitivement démontré
que en association avec la maladie corona-
rienne et l’artériopathie des membres inférieurs. En revanche, le rôle du cholestérol dans
l’accident vasculaire cérébral (AVC) demeure
tentant mais est toujours sujet à de nombreuses
Résumé
Correspondance:
Dr méd. Gérald Devuyst
Service de neurologie
CHUV – BH-07
Rue du Bugnon 46
CH-1011 Lausanne
1157
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controverses dans la littérature. Par conséquent, la question cruciale – le cholestérol estil un facteur de risque pour l’AVC? – reste
toujours ouverte. Les études récentes avec les
statines telles que les études 4 S, CARE, LIPID
et WOSCOP ont soulevé une nouvelle vague
d’enthousiasme en démontrant une réduction
du risque d’AVC chez les patients traités par
une statine. Cependant, ces études s’adressaient essentiellement à des patients ayant une
histoire connue de maladie coronarienne, alors
qu’il n’existe pas actuellement d’étude publiée
sur le rôle des statines dans la prévention secondaire de l’AVC. En outre, les effets des statines ne sont pas encore totalement élucidés et
impliqueraient même des mécanismes ne passant pas par le cholestérol. Il en découle qu’au
stade actuel il n’existe pas d’évidence absolue
pour recommander l’utilisation des statines
dans la prévention de l’AVC.
Keywords: accident vasculaire cérébral; accident ischémique transitoire; hypercholestérolémie; LDL cholestérol; statines
Les statines, aussi connues sous le nom d’inhibiteurs de l’HMG-CoA réductase, sont des
substances efficaces et bien tolérées pour réduire les lipides dans le sérum [1]. Plusieurs
études à large-échelle récentes étudiant l’effet
des statines chez des patients ayant des facteurs
de risque pour une maladie coronarienne, ont
également montré un bénéfice en termes de
risque d’accident vasculaire cérébral et de progression de l’athérosclérose des carotides [1].
Cependant, avant d’envisager l’impact théra-
peutique – prévention primaire et secondaire –
des statines dans l’accident vasculaire cérébral
(AVC), il est utile de reconsidérer le rôle du
cholestérol comme facteur de risque cérébrovasculaire ainsi que les mécanismes physiopathologiques potentiels qui le soutiennent et
qui constituent autant de «cibles» pour les
statines. En effet, la question cruciale – Is cholesterol a risk factor for stroke? – n’a jamais
été aussi d’actualité et en même temps l’objet
d’autant de controverses.
Introduction
Hypercholestérolémie et risque d’accident vasculaire cérébral
Le rôle du cholestérol n’a été définitivement
associé qu’avec la maladie coronarienne et
l’artériopathie des membres inférieurs, alors
que son lien avec l’AVC reste tentant mais
controversé [2, 3]. Par exemple, dans l’étude de
Framingham, aucune corrélation n’a été trouvée entre le cholestérol et l’AVC [4]. L’étude
d’Honolulu n’a également pas mis en évidence
d’association significative entre le cholestérol
et les AVC ischémiques, mais une relation inversement proportionnelle avec les hémorragies cérébrales [5]. Cependant, une autre étude
large – the Multiple Risk Factor Intervention
Trial – impliquant plus de 350 000 hommes,
révéla que le taux de mortalité lié aux AVC
ischémiques était corrélé à l’hypercholestérolémie, suggérant sans cependant la prouver
une association avec les AVC ischémiques [6].
Une autre étude comportant 69 767 participants – the Eastern Stroke and Coronary Heart
Disease Collaborative Research Group – a observé une tendance vers la réduction du risque
d’AVC ischémique parallèlement à la diminution du cholestérol plasmatique [7]. Sacco et al.
[8] ont réexaminé l’impact de tout un panel de
facteurs de risque pour l’AVC ischémique et
hémorragique. C’est ainsi que ces auteurs ont
sélectionné essentiellement cinq facteurs de ris1158
que potentiellement «modifiables» pour l’AVC
ischémique: l’hypertension artérielle, les pathologies cardiaques et en particulier la fibrillation auriculaire, le diabète sucré, le tabagisme
chronique, et l’hypercholestérolémie, par ordre
décroissant d’importance. Cependant, Sacco
et al. [8] notent que si l’hypercholestérolémie
constitue un facteur de risque «modifiable»
important pour la maladie coronarienne, en
revanche son association avec le risque d’AVC
ischémique demeure encore incertaine. Malgré
tout, Sacco et al. [8] admettent les données
selon lesquelles il existe une relation positive
entre le cholestérol total et le LDL cholestérol
et l’influence protective du HDL cholestérol
sur l’athérosclérose carotidienne extracrânienne. En outre, comme on le discutera plus
tard, les analyses secondaires des études sur la
simvastatine, la pravastatine et la lovastatine
ont révélé une réduction du nombre d’AVC
dans le groupe traité par rapport au groupe
placebo. Une autre source d’information intéressante sur la réduction du cholestérol et le
risque d’AVC chez l’homme nous vient de la
méta-analyse de Atkins et al. [9]. Dans cette
méta-analyse regroupant 13 études randomisées et contrôlées explorant l’effet d’une baisse
du cholestérol sérique – obtenue par des me-
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sures diététiques ou des médications autres
que les statines – sur la survenue d’un AVC
fatal ou non. Cette méta-analyse des «études
non-statines» a montré que la diminution du
cholestérol sérique ne réduisait ni la mortalité
ni la morbidité liées à l’AVC chez l’homme
d’âge moyen. En outre, l’analyse par régression
ne démontrait pas d’association statistique
entre l’importance de la réduction du cholestérol et le risque d’AVC fatal. Le caractère
débattu de l’association AVC–hypercholestérolémie est représentée par les enseignements
de l’analyse de 45 études prospectives «observationnelles» tels que rapportés dans le Lancet
en 1995 [10]. Ces 45 études totalisant 450 000
patients ayant présentés 13 397 AVC durant
un suivi moyen de 16 années, n’ont pas
démontré de relation indépendante entre le
cholestérol et le risque d’AVC dans le panel des
hypercholestérolémies étudiées (entre 4,73 et
6,38 mmol/l) [10]. Néanmoins, une association
entre l’hypercholestérolémie et le type d’AVC
(ischémique/hémorragique) ne peut être exclue
formellement étant-donné que le type d’AVC
n’était pas connu dans cette analyse [10]. Enfin, une association entre l’hypercholestérolémie et l’AVC pourrait se manifester pour des
valeurs de cholestérolémie situées en-dehors de
celles étudiées dans cette analyse [10]: en effet,
dans la Copenhagen City Heart Study[11], une
relation entre l’hypercholestérolémie et l’AVC
n’a été remarquée que pour des hypercholestérolémies >8 mmol/l.
Le double «paradoxe» cholestérol–accident vasculaire cérébral
Comme on le voit et contrairement à la maladie coronarienne, le rôle de l’hypercholestérolémie dans la genèse de l’AVC n’est pas fermement établi, d’où il en découle un paradoxe
[12]: alors que de nombreux travaux ont
souligné le fait que la sténose carotidienne
était bien corrélée avec l’hypercholestérolémie
(HC), l’hypercholestérolémie n’a été que faiblement associée ou non associée à l’AVC ischémique [12]. Ce premier paradoxe implique
la recherche d’explications à l’absence d’association positive HC–AVC dans la plupart des
études d’observation. Certains biais de sélection de ces études initialement désignées pour
examiner les risques coronaires et secondairement neurologiques pourraient être pris en
considération à ce propos [13]: âge moyen de
la plupart des sujets (AVC survenant beaucoup
plus tard que la maladie coronarienne), mortalité due à l’hypercholestérolémie survenant
avant l’AVC, intervention «agressive» sur les
facteurs de risque cérébrovasculaire, distribution différente des sous-types d’AVC chez les sujets jeunes (davantage de dissections artérielles
ou de causes cardioemboliques, par conséquent non liées à l’hypercholestérolémie). On
peut donc se poser la question de savoir si
ces cohortes de patients sont vraiment bien
représentatives de la population générale des
patients à risque de développer un AVC.
D’autres sources d’erreur pourraient être le
petit nombre d’études cas-contrôles d’une part
et la question du sous-type d’AVC inadéquate-
ment abordée (particulièrement lorsque AVC
cardioemboliques et athérothrombotiques
sont regroupés ensemble) d’autre part. Pour
cette dernière raison, Hachinski et al. [14] ont
évalué la relation entre le cholestérol et les
AVC d’origine athérothrombotique uniquement (exclusion des AVC d’origine cardioembolique, dû à une dissection artérielle ou de
cause rare). En procédant de la sorte, Hachinski et al. [14] ont démontré un taux de
cholestérol total et de LDL cholestérol très significativement augmenté parmi les AVC athérothrombotiques par rapport aux contrôles.
Comme rapporté par Hachinski et al. [14], la
plupart des études évaluant le rôle des lipides
dans l’AVC n’ont pas pris en compte l’effet
hypolipémiant de l’AVC aigu ou de l’accident
ischémique transitoire (AIT): ce facteur peut
avoir contribué à la faiblesse de l’association
HC–AVC en «ratant» des hypercholestérolémie testées trop tôt par rapport à l’AVC aigu!
Hachinski et al. [14] ont évité ce biais en dosant le cholestérol 3 mois après l’AVC ou l’AIT
survenu chez leurs patients. Le second paradoxe tient dans la faiblesse de l’association
HC–AVC telle qu’observée dans les études épidémiologiques alors que les études sur les
statines ont montré une réduction totale du
risque d’AVC de 31% pour les individus traités par une statine! Dans le paragraphe suivant,
nous allons détaillés ces études cliniques sur
les statines et leurs enseignements sur le plan
neurologique.
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Les études statines: 4 S, CARE, LIPID, et WOSCOP
Etudes de prévention secondaire
L’étude 4 S pour the Scandinavian Simvastatin
Survival Study [15] a randomisé des patients
avec une maladie coronarienne connue et une
hypercholestérolémie pour recevoir soit la simvastatine, soit un placebo. Les patients étaient
surtout des hommes (81%) d’âge moyen (58,1
ans). Après un follow-up moyen de 5,4 ans, le
taux combiné AVC/AIT était réduit de 4,3 à
2,7%, ce qui représentait une réduction relative de 37% de ce taux dans le groupe traité
par la simvastatine (p = 0,033). Parallèlement,
les patients qui prenaient la simvastatine
avaient une réduction de 25 et 35% de leur
cholestérol total et LDL cholestérol respectivement alors que le HDL cholestérol était augmenté de 8%. Il est intéressant de noter que
dans cette étude 4 S [15] la réduction du risque
d’événements coronariens était indépendante
de la cholestérolémie. En fait, l’étude 4 S [15]
a montré que 12 événements cliniques cérébrovasculaires (AVC ou AIT) étaient évités
pour 1000 patients traités par la simvastatine
sur une période moyenne de 5,4 ans.
L’étude CARE pour the Cholesterol and Recurrent Events Trial [16] a étendu les observations effectuées dans l’étude 4 S aux patients
ayant une maladie coronarienne connue mais
avec une cholestérolémie modérée plutôt
qu’élevée. 4159 patients étaient traités par des
mesures diététiques et furent randomisés pour
recevoir la pravastatine ou un placebo. Ces
patients étaient essentiellement des hommes
(86%) d’âge moyen (59 ans) et ont été suivis
pendant une durée moyenne de 5 ans. Le taux
d’AVC était réduit de 3,52% (placebo) à
2,55% (pravastatine), ce qui correspond à une
diminution relative de ce taux statistiquement
significative (p = 0,039) de 24% [16].
The Long-Term Intervention with Pravastatin
in Ischaemic Disease (LIPID) [17] était une
étude placebo-contrôlée randomisée évaluant
l’effet de la pravastatine (40 mg/jour) chez
9014 patients (âgés de 31 à 75 ans) qui étaient
caractérisés par une histoire d’infarctus du
myocarde ou hospitalisés pour un angor instable, avec un taux de cholestérol total compris entre 155 et 271 mg/dl (218 mg/dl en
moyenne). Les patients ont été suivis pendant
6,1 ans en moyenne durant cette étude. Le taux
de mortalité total et le taux de mortalité dû à
la maladie coronarienne étaient très significativement plus bas dans le groupe traité par la
pravastatine sans effets secondaires cliniquement significatifs [17]. En ce qui concerne les
1160
AVC, leur taux passait de 3,7% dans le groupe
traité par la pravastatine à 4,5% dans le groupe
placebo, ce qui correspondait à une réduction
du risque de 19% (p = 0,048) [17]. En d’autres
termes, l’étude LIPID [17] a montré que sur une
période de 6,1 ans, 30 décès / 28 infarctus du
myocarde non mortels / 9 AVC non mortels
étaient évités pour chaque 1000 patients randomisés pour recevoir la pravastatine.
Etude de prevention primaire
L’étude WOSCOP – the West of Scotland Coronary Prevention Study [18]– a inclus des patients d’âge moyen avec une hypercholestérolémie (cholestérolémie moyenne = 272 mg/dl)
mais sans histoire connue de maladie coronarienne. Un total de 6595 hommes ont été enrôlés pour recevoir la pravastatine ou un placebo et le suivi dura en moyenne 4,9 ans. Une
diminution relative du taux d’AVC de 11% au
profit des patients traités par la pravastatine
était signalée dans cette étude [18]. Dans cette
étude WOSCOP, le gain thérapeutique absolu
était insignifiant puisque atteignant seulement
0,04% par an [19]. Cette diminution est nettement inférieure à celle mentionnée dans les
études 4 S [15] et CARE [16] et pourrait s’expliquer par la différence de populations ciblées.
En effet, on peut considérer que les études 4 S
[15] et CARE [16] sont des études de prévention secondaire puisque enrôlant des patients
avec une maladie coronarienne connue, alors
que l’étude WOSCOP [18] doit être considérée
comme une étude de prévention primaire étantdonné que les patients inclus n’avaient pas
d’histoire connue de maladie coronarienne. Par
conséquent, on peut raisonnablement admettre
que les sujets de l’étude WOSCOP présentaient
un plus faible risque cérébrovasculaire par rapport à ceux des études 4 S et CARE.
Méta-analyses
Une méta-analyse publiée par Blauw et al. en
1997 [20], incluant 13 études cliniques dévolues aux statines avec des informations suffisantes sur la survenue d’AVC dont les études
4 S et CARE, montra que la réduction du risque
total d’AVC atteignait 31% chez les patients
traités par une statine (181 dans le groupe
statine vs 261 AVC dans le groupe contrôle).
Cette méta-analyse et celle de Hebert et al.
[21] n’ont rapporté aucune augmentation des
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causes de mortalité non cardio-vasculaires (par
exemple les cancers) parmi les patients traités
par une statine. La méta-analyse de Hebert et
al. rassemblant 16 études statines randomisées
soutient-elle l’effet réducteur des statines sur
la survenue des AVC? Le taux d’AVC non fatal était de 0,93% (120/12 840) dans le groupe
statine vs 2,30% (182/7900) dans le groupe
contrôle, alors que le taux d’AVC fatal était
similaire entre le groupe statine et contrôle
(0,19 vs 0,24% respectivement). Une troisième méta-analyse, celle de Bucher et al. [22],
incluant 8 études statines pour les coronariens
a montré une réduction significative du nombre
d’AVC ischémique avec une réduction du risque
ratio de 0,76 (p = 0,01).
Par quels mécanismes agiraient les statines pour prévenir les accidents vasculaires cérébrals?
Plusieurs mécanismes par lesquels la diminution du cholestérol par les statines pourraient
réduire le risque d’AVC ont été suggérés par
Crouse et al. [23]: primo, en retardant la progression de l’athérosclérose sur les artères
extracrâniennes comme proposé par les études
sur l’épaisseur du complexe intima-média;
secundo, en stabilisant les plaques d’athérome
carotidiennes comme suggérées par les études
sur les plaques des artères coronaires; tertio,
par une réduction secondaire des AVC due à
une diminution des événements coronaires
ischémiques, et en particulier de l’incidence des
infarctus du myocarde. D’autres mécanismes
pourraient intervenir et sont actuellement à
l’étude. Les études ACAPS, PLAC-II, KAPS et
LIPID ont montré une réduction de la progression des plaques d’athérome carotidiennes et
vertébrales. Par exemple, dans l’étude LIPID,
le complexe intima-média carotidien diminuait
de 0,014 mm dans le groupe pravastatine, alors
qu’il augmentait de 0,048 mm dans le groupe
placebo. Dans l’étude PLAC-II [24]qui randomisait des patients coronaires pour recevoir
la pravastatine ou le placebo, la progression du
complexe intima-media évaluée par Duplex Bmode était moindre dans le groupe pravastatine durant les 3 années de suivi. Des résultats
similaires ont été rapportés avec la lovastatine:
dans l’étude de Hodis et al. [25] qui a étudié
l’évolution du complexe intima-média caro-
tidien durant 4 années, ce dernier était réduit
de 0,095 mm dans le groupe lovastatine tandis
qu’il augmentait de 0,046 mm dans le groupe
placebo. L’étude de Mercuri et al. [26] à quant
à elle noté que la progression du complexe
intima-média carotidien était stoppée par la
pravastatine dans les 6 mois après initiation
du traitement. Williams et al. [24] ont signalé
en 1998 une plus grande stabilité des plaques
d’athérome carotidiennes dans le groupe de
primates traités par la pravastatine en diminuant le contenu en macrophages, calcifications, et néovascularisation de ces plaques. En
outre, dans cette étude de Williams et al. [24],
la pravastatine a amélioré la fonction de l’endothélium des artères coronaires des primates
après deux ans de traitement actif. Des expériences pratiquées avec du sérum de patients
traités par de la pravastatine ou de la fluvastatine sur des myocytes artériels humains ont
révélé que la fluvastatine diminuait la prolifération des cellules musculaires lisses humaines.
En résumé, les statines pourraient agir de trois
manières différentes pour diminuer l’incidence
des AVC: (1) en diminuant le LDL cholestérol,
(2) en améliorant la fonction de l’endothélium
vasculaire, (3) en stabilisant les plaques d’athérome carotidiennes. Les statines auraient par
conséquent à la fois des effets directement sur
le cholestérol et des effets indépendants du
cholestérol.
Limites des études statines actuelles du point de vue neurologique et perspectives
Comme on l’a vu, la plupart des études ayant
exploré l’effet des statines se sont adressées à
des patients inclus pour avoir présenté une
maladie coronarienne (angor et/ou infarctus
du myocarde): il en résulte que ces études sont
à considérer avant tout comme des études de
prévention secondaire pour les événements
cardiaques tandis qu’il n’existe à ce jour aucune étude statine publiée sur la prévention
secondaire des événements cérébrovasculaires.
On ne peut certainement pas estimer que le
risque de présentér un AIT ou un AVC est identique entre un patient cardiaque sans antécédent cérébrovasculaire et un patient non cardiaque ayant déjà expérimenté un AIT ou un
AVC. Parmi les études statines dont on dispose
actuellement, seule l’étude WOSCOP concernait des patients hypercholestérolémiques sans
histoire de maladie coronarienne. Il est justement intéressant de relever que cette étude
1161
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WOSCOP révéla la plus petite réduction relative du risque d’AVC dans le groupe traité par
la pravastatine, à savoir seulement 11%. Ce
faible résultat avait été interprété comme la
conséquence d’une population cible différente,
caractérisée par l’absence de maladie coronarienne et donc présumée à plus faible risque
de maladie cérébrovasculaire. Pour pallier à ces
limites, une nouvelle étude baptisée SPARCL
pour Stroke Prevention with Agressive Reduction of Cholesterol Levels s’intéressant aux
effets de l’atorvastatine dans la prévention
secondaire des événements cérébrovasculaires
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(AIT ou AVC) est actuellement en cours. Cette
étude SPARCL a prévu d’inclure 4200 patients
ayant expérimentés un AIT ou un AVC avec un
déficit fonctionnel résiduel discret à modéré
dans les 6 mois précédent la randomisation et
ayant un cholestérol LDL plasmatique compris entre 100 mg/dl et 190 mg/dl (2,6 et
4,94 mmol/l). Ces patients sont randomisés
pour recevoir l’atorvastatine (80 mg/jour) ou
le placebo et seront suivis cliniquement ainsi
que par dosages du LDL cholestérol pendant
une période de 5 ans.
Mesure de l’athérosclérose
Il est important de comprendre que la mesure
d’une sténose de la carotide interne n’équivaut
pas à la mesure de l’athérosclérose. La mesure
d’une sténose carotidienne par angiographie
conventionnelle (NASCET, ECST, CCA), MRA
(angiographie par résonance magnétique nucléaire), ou par ultrasons évalue en fait la lumière
résiduelle de la carotide; l’athérosclérose elle se
situe dans la paroi artérielle [27]. Une méthode
d’évaluation qui est largement interprétée
comme représentant l’athérosclérose est la mesure de l’épaisseur du complexe intima-média
(IMT pour «intima-media thickness») [27] par
ultrasons au niveau des carotides primitives
ou des carotides internes. Cependant, l’IMT du
sujet jeune sans plaques d’athérome carotidiennes représente une hypertrophie de la
média d’origine hypertensive pour une majorité d’entre eux [27]. Une autre méthode d’évaluation de la progression de l’athérosclérose
consiste à mesurer les plaques d’athérome
carotidiennes elles-mêmes en 2-D ou 3-D [27]
par ultrasons. Certains auteurs [27] préconisent un «management of arteries» en plus du
«management of risk factors» pour optimaliser la prise en charge des facteurs de risques
cérébrovasculaires et guider la thérapeutique
en cas de progression des plaques d’athérome
carotidiennes.
Conclusions
Au vu de la littérature actuelle, il faut bien
reconnaître qu’il est difficile de conclure définitivement sur l’association cholestérol–AVC
et par conséquent une réserve s’impose quant
à l’utilisation systématique des statines dans
la prévention secondaire de l’AVC. En effet, il
n’existe pas actuellement aucune étude publiée
sur l’utilité des statines chez des patients ayant
déjà expérimenté un AIT ou un AVC. Ce vide
d’informations sera bientôt comblé par l’étude
SPARCL actuellement en cours. En outre, les
mécanismes d’action des statines ne sont pas
encore clairement élucidés et feraient même
appel pour certains d’entre eux à des effets
ne concernant pas le cholestérol mais le monoxyde d’azote (NO) par exemple. Même si l’on
accepte l’effet préventif des statines, il faut se
rappeler que les statines offrent un gain de
risque absolu inférieur à 1% par an sur le plan
cérébrovasculaire. Dès lors, conseiller la prise
d’un tel traitement pour une longue période et
avec des risques d’effets secondaires reste difficile en l’état actuel des connaissances.
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