Quelles ranges de mains pour nos 4-bets?

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Quelles ranges de mains pour nos 4-bets?
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TECHNIQUE
PAR SHARP
COACH SUR POKER-ACADEMIE.COM
BET ET MÉCHANT
Quelles ranges de mains
pour nos 4-bets ?
Avec l’avènement de la génération Internet, le jeu pré-flop est devenu plus agressif que jamais. Les ranges
de 3-bet se sont considérablement élargies et il est loin le temps où une simple relance suffisait à s’assurer
le contrôle du coup. Pour faire face à ce regain d’agressivité, la meilleure défense est bien souvent
l’attaque et la contre-stratégie standard offre donc une large place au 4-bet. Encore faut-il savoir utiliser
cette arme à bon escient.
P
artons d’une situation classique
au Hold’em. En premier de
parole, nous sommes très
excités en découvrant deux Dix
noirs. Nous ouvrons les enchères.
Tout le monde passe jusqu’au bouton qui…
patatras, surenchérit notre relance initiale.
Nous faisons face à un 3-bet. Même si cette
situation est devenue courante, elle n’en
demeure pas moins désagréable. S’il
bluffe avec 7♠6♠, notre main est
nettement en avance. Mais en
relançant, nous prenons le risque de
nous enferrer contre une paire d’As
ou de Rois.
Dans l’incertitude, nous sommes tentés de
payer. C’est d’ailleurs validé par le théorème
de polarisation. Car s’il sait ce qu’il fait,
l’adversaire a forcément une range de 3-bet
polarisée :
• Un Pôle Valeur. Il 3-bet les mains en avance
sur notre propre range pour partir à tapis
pré-flop, et il suit avec celles qu’il juge profitables pour voir un flop en position.
• Un Pôle Bluff. Il 3-bet en bluff un troisième
ensemble constitué de mains trop faibles
pour payer la mise initiale, mais qui ont les
qualités requises pour bluffer, et il jette
le reste.
Face à une range polarisée, le théorème
indique de payer plutôt que de relancer. Quel
intérêt en effet de faire coucher les bluffs
adverses tout en s’empalant sur le haut de la
range de notre concurrent? Et pourtant, il
existe une règle d’or au poker: payer un 3-bet
hors de position est toujours une erreur!
Dans le cas présent, étant donné que notre
paire de Dix est largement dominée par son
Pôle Valeur, si l’adversaire a une range de
3-bet équilibrée, la meilleure ligne de jeu est
moins d’avoir AA, il est dangereux de laisser
l’adversaire voir le flop et de le laisser prendre
l’avantage ou trouver l’équité nécessaire pour
aller à l’abattage. Avec la position, ce risque
est contrôlable. Sans elle, il est un écueil fatal.
Il est généralement incorrect d’investir plus
de 25% de son tapis sans aller au bout. Le
pot devient alors tellement gros par rapport
à notre stack que nous avons la
cote pour engager le reste contre la
plupart des ranges adverses. En
suivant le 3-bet, nous nous
retrouverons devant une décision
difficile au flop. Suivre la mise nous rapproche
dangereusement du seuil fatidique au-delà
duquel il est incorrect de jeter, et toute relance
nous engagera à aller au bout. Le rapport des
masses donne la force du levier à l’adversaire.
Il peut, en risquant une part marginale de
son stack, nous placer face au choix désagréable
d’engager notre tapis ou de jeter. À l’inverse,
le 4-bet retourne la situation et place
l’opposant face au même dilemme.
de position
« Payer un 3-bet hors
! »
est toujours une erreur
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donc de jeter. Mais pourquoi le théorème de
polarisation ne s’applique-t-il pas dans ce cas
précis ? C’est que deux autres principes
fondamentaux du poker, la nécessité de
protéger le pot et l’effet de levier, prennent le pas.
PRINCIPE DE LEVIER ET SEUIL
D’ENGAGEMENT
Un pot à 3-bet contient généralement plus
de 20 blindes. Si nous faisions face à un
joueur qui 3-bet le top 3% des meilleures
mains {JJ+ et AK} et bluffe les 6% des mains
les plus faibles (les 32o, 42o et autres 72o),
nous ne prendrions que peu de risques à
nous contenter de suivre pré-flop. Ce profil
n’existe qu’en théorie, et les mains du Pôle
Bluff de l’adversaire ont souvent plus de
30% d’équité contre notre range de call. À
CALIBRER SES 4-BETS
Nous sommes en NL100, les blindes sont de
0,5€/1€ et les tapis de 100 blindes. Nous
ouvrons les enchères à 3,50 €, le bouton
relance à 10 €. Un 4-bet nous donne alors
l’avantage de l’effet de levier. En relançant à
25 €, nous offrons une excellente cote à
l’adversaire. Il doit ajouter 15 pour un pot de
Photo : Hugues Fournaise
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36,50. Mais s’il paye, il aura investi 25% de
son tapis et atteint le seuil d’engagement. Il
n’a pas la marge de manœuvre pour aller
voir un flop et réajuster sa décision. Il doit
faire le choix maintenant pour le reste de son
tapis. Relancer plus cher est donc inutile!
En 4-bettant, on donne ainsi la possibilité à
notre rival d’engager son tapis ou d’abandonner. Par conséquent, une range de 4-bet
doit être polarisée. Le Pôle Valeur est constitué
des mains avec lesquelles nous acceptons
d’aller à tapis. Les frontières de ce pôle vont
dépendre des caractéristiques de l’adversaire,
de nos positions respectives et de la dynamique de la partie. Mais quels que soient ces
paramètres, ayez toujours une range plus
serrée que celle de Vilain.
Face à un joueur qui va à tapis avec le top 5%
{TT+, AQ+, AJs}, vous ne gagnerez rien
d’autre qu’introduire de la variance dans vos
résultats à 4-bet pour valeur la même range.
En vous engageant avec le top 3% {AK, JJ+},
vous jouerez 100 blindes avec 58% d’équité,
range contre range. Soit un gain théorique
moyen de 16 blindes à chacun de vos tapis
(lire tableau ci-contre).
3-bet à 10. Nous relançons à 25 et il fait tapis
pour 100 €. Ce joueur a une range de 5-bet
très large {TT+, AQ+ et AJs}, soit le top 5%.
Il nous demande 75 € pour en gagner
126,50. Nous avons donc besoin de 40%
d’équité. Contre sa range, nous pouvons
payer son tapis avec {TT+, AQs et AKo}.
Avec 22 ou A♠5♠, nous avons une décision
facile sur le 3-bet. Nous jetons notre main ou
optons pour un 4-bet en pur bluff. Avec QQ
ou AK, nous sommes favoris contre la range
de 5-bet adverse et ravis de partir à tapis.
Mais les décisions marginales sont beaucoup
plus difficiles à prendre…
Avec le top de notre range d’abandon
Par exemple, A♠Q♦ et 99 sont deux mains
solides contre la range de 3-bet, mais qui
n’ont pas les 40% d’équité nécessaires contre
celle de 5-bet. AQ ayant 36,6% et 99 environ
38%. Pour ne pas avoir à choisir, dans cette
situation, trop de joueurs font l’erreur de
suivre le 3-bet. Il ne faut pas s’attacher à une
main médiocre et savoir reconnaître que ces
jeux ne valent pas mieux qu’un bluff. Grâce
CONSTRUIRE SA RANGE DE 4-BET
SAVOIR ABANDONNER UNE
MAIN MARGINALEMENT FORTE
Nous sommes en NL100, les blindes sont de
0,5 €/1 € et les tapis de 100 BB. Nous
ouvrons depuis le cut-off à 3 € et le bouton
à ses bloqueurs, AQo est une très bonne
main à transformer en bluff. Malgré une
meilleure équité contre la range, il y a moins
d’intérêt à 4-bet 99. En revanche, si l’adversaire est capable de payer le 4-bet, nous
avons alors tout intérêt à le faire en semibluff avec le top de notre range d’abandon :
AQo, AJ, KQ ou les paires moyennes
(88-TT).
Avec le bas de notre range de call du 5-bet
TT ou A♠Q♠ ont exactement 40% contre la
range de 5-bet adverse. Un 4-bet engageant
notre tapis revient donc à jouer à pile ou face
pour 100 blindes. Nous n’avons rien à
gagner ni à y perdre. Le seul résultat à long
terme sera d’augmenter la variance.
Si vous préférez la prudence ou si vous êtes
prompt au tilt lorsque vous êtes perdant, il
est plus sage de coucher ces mains face au
3-bet. Si en revanche, flamber ne vous fait
pas peur et si vous estimez que votre opposant
est susceptible de perdre ses nerfs en perdant
son tapis, optez pour un 4-bet. Il est
nécessaire de planifier ses actions à l’avance.
Pôle Valeur
Décision marginale
RANGE DE 5-BET ADVERSE
Serrée {QQ+, AKs} Moyenne {JJ+, AK}
Large {TT+, AQ+, AJs}
AA, KK
QQ+, AKs
JJ+, AK
AKs
AKo
TT, AQs
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TECHNIQUE
Investir 25 blindes dans un 4-bet avec ces
mains pour les jeter sur un 5-bet est
une erreur.
4-BET EN POSITION, AVANTAGES
ET INCONVÉNIENTS
Le Pôle Bluff de notre range est constitué des
mains avec lesquelles on relance le 3-bet
et on abandonne si l’adversaire engage son
tapis. N’ayant pas l’intention d’amener ces
mains à l’abattage, peu importe que nous
ayons AT, JJ ou 72o. Cependant, les
bloqueurs jouent un rôle déterminant dans
la théorie du 4-bet. Comme le résume le
tableau ci-contre, avoir un As ou un Roi en
main augmente significativement les chances
de réussite du bluff.
Voyons maintenant les cas où le 3-bet vient
des blindes et où nous avons la position.
Suivre passivement le 3-bet est désormais
une alternative forte. Conserver de la
profondeur et garder un ratio tapis par
rapport au pot élevé est à l’avantage du
joueur en position. Notre champ de
manœuvre s’élargit donc considérablement.
Construire un Pôle Valeur en évaluant les
coûts d’opportunités
Ce terme venu des mathématiques financières
souligne la nécessité d’évaluer la perte
engendrée lorsque l’on choisit entre
deux lignes de jeu. Dans ce cas
précis, le joueur qui 4-bet perd son
option de payer le 3-bet et voir un
flop en position. Cette décision est
irréversible. Même si le 4-bet est
profitable, ce n’est pas forcément la
ligne de jeu optimale.
Suivre avec les mains marginales contre la
range de 5-bet adverse
Ces mains dominent la range de 3-bet adverse.
Mais leur équité est faible ou marginale
contre sa range de 5-bet à tapis. En position,
nous ne souffrons plus du choix cornélien
entre devoir les jeter sur le 3-bet, les transformer en bluff ou engager notre tapis. Nous
pouvons maintenant nous contenter de
LE POUVOIR DES BLOQUEURS
RANGE DE 5-BET ADVERSE
Serrée {QQ+, AKs} Moyenne {JJ+, AK} Large {TT+, AQ+, AJs}
Aucun bloqueur (56s, 99) 22 combinaisons 40 combos
62 combos
As bloqueur (A2o, A7s)
18 combos (-19%) 33 combos (-18%) 51 combos (-14%)
Roi bloqueur (K5o)
18 combos (-19%) 33 combos (-18%) 55 combos (-11%)
Deux bloqueurs (AQo)
15 combos (-32%) 30 combos (-25%) 45 combos (-27%)
suivre le 3-bet et aller voir un flop. Nous
préférerons un 4-bet si notre adversaire :
• est capable de faire l’erreur de payer le
4-bet, le prix de cette erreur compensant
largement la perte d’équité sur un 5-bet ;
• est prompt au tilt lorsqu’il perd un stack ;
• est beaucoup plus fort que nous dans le jeu
post-flop ;
• ou excelle dans le jeu pré-flop, d’où la
nécessité d’équilibrer nos ranges.
LE 4-BET EN BLUFF
Le pouvoir de levier est magnifié avec la
position. Il est maintenant extrêmement
difficile, voire impossible, à l’adversaire de
suivre cette surenchère. Aucune main autre
que paire d’As n’est assez forte pour justifier
une telle ligne. En conséquence, le joueur qui
4-bet peut réduire la taille de sa relance au
Le 4-bet risque ainsi 17 pour gagner 13,50.
La surenchère est justifiée en bluff dès lors
que la grosse blinde abandonne 56% des
pots. Il est rare qu’un régulier engage son
tapis avec une range plus large que {TT+,
AQ+, AJs}, soit 5% des mains. S’il 3-bet à
une fréquence supérieure à 10%, il est profitable de le contrer avec un 4-bet. Nombreux
sont les joueurs entrant dans cette catégorie.
Ils sont, en théorie, facilement exploitables.
Prenez cependant garde au phénomène de
l’arroseur arrosé. Si celui qui 3-bet est
compétent, il est tout aussi important pour
le joueur qui 4-bet d’équilibrer ses ranges.
Nous sommes en NL100. Le bouton relance
à 3 €, et la grosse blinde 3-bet à 10 avec 72o,
le bouton 4-bet à 24. Son taux de 4-bet est de
10% dans cette configuration. Il paye le all in
avec {JJ+, AQ+}. Quelle est alors la meilleure
ligne de jeu pour la grosse blinde?
Pour les raisons expliquées plus
haut, suivre le 4-bet est incorrect.
Qui plus est hors de position et
avec la plus mauvaise main du
Hold’em. Les deux alternatives
restantes sont l’abandon ou le
5-bet bluff à tapis. Afin de départager ces
deux lignes, comparons leur équité…
Équité du 5-bet = (Probabilité du bluff) x
(Équité de bluff) + (Probabilité d’être
payé) x (Équité si payé).
Calculons donc séparément ces quatre
facteurs. Le bouton 4-bet 10% et engage son
tapis avec 4,2%. On en déduit, en supposant
qu’il 4-bet l’intégralité de sa range pour
valeur, les deux probabilités suivantes :
Probabilité du bluff = 58% et Probabilité
incorrect
« Il est généralement
d’investir plus de 25%
r au bout. »
de son tapis sans alle
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minimum. Cela donne une excellente cote
aux bluffs.
Nous sommes en NL100 et ouvrons à 3 € au
bouton. La grosse blinde nous relance à 10.
Nous pouvons 4-bet à 20, la grosse blinde
n’a pas l’espace pour un 5-bet en bluff sans
dépasser le seuil d’engagement. Elle ferait
également une erreur en payant. Avec l’effet
de levier, une mise d’un tiers à un quart du
pot en continuation au flop, met en jeu le
reste de son tapis.
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Photo : Jacques Giral
TECHNIQUE
bluffs. Sachez enfin profiter des opportunités
liées à votre image à table et à la dynamique
de la partie.
QUELS AJUSTEMENTS AVEC
DES TAPIS PLUS PROFONDS ?
d’être payé = 42%. L’équité du bluff ici est
donc égale à la taille du pot : 10 + 24 + 0,5 =
34,5.
Équité si payé = (Probabilité de gagner) x
(Gains) - (Probabilité de perdre) x (Pertes).
Soit : (23,3% x 110,5) – (76,7% x 90) = 25,7
– 69 = - 43,3. 23,3% étant la probabilité de
72o de gagner contre la range {JJ+, AQ+},
simulée par itération à l’aide du logiciel
PokerStove.
Et donc, Équité de 5-bet = (58% x 34,5) +
(42% x (-43,3)) = 20 – 18,2 = 1,8 €.
Rappelons que l’abandon est toujours une
ligne de jeu d’équité nulle. On arrive alors à
cette conclusion étonnante : un 5-bet à tapis
avec 72o est une ligne de jeu supérieure à
jeter sur le 4-bet !
En extrapolant, contre un régulier qui 4-bet
trop fréquemment, le joueur qui 3-bet peut
faire tapis avec n’importe quelle main de
façon profitable. Afin de ne pas être exploitable, le volume de la range de 4-bet en bluff
ne doit pas dépasser 40% de celui de 4-bet
pour valeur. Dans la pratique, un taux de
50% est difficilement exploitable. Privilégiez
encore les bloqueurs afin de sélectionner vos
Tous les exemples de cet article concernent
des tapis effectifs de 100 blindes. La théorie
du 4-bet se trouve largement modifiée par la
taille des tapis. Avec des stacks profonds,
nous voulons relancer plus cher afin de
décourager les payeurs et essayer d’atteindre
un effet de levier identique. Attention à ne
pas tomber dans des tailles de relances
routinières. Le 4-bet est calibré sur la taille
du seuil d’engagement de 25% du tapis
effectif et pas uniquement sur la taille du 3bet adverse.
Hors de position
Si les tapis sont bien trop profonds pour
atteindre ce seuil, le 4-bet perd beaucoup de
son intérêt hors de position. Il y a alors très
peu de mains que nous 4-bettons dans le but
de partir à tapis et il est difficile d’équilibrer
nos bluffs. De plus, la probabilité augmente
de voir notre relance suivie et de faire face
à des situations difficiles post-flop. Il faut
donc prendre en considération la “jouabilité”
des mains avec lesquelles on 4-bet. Les As
assortis ou les petites consécutives assorties
deviennent de bons candidats pour le Pôle
Bluff. Ils peuvent surprendre le défenseur
post-flop et sont complémentaires des
mains du Pôle Valeur.
En position
En position, c’est l’inverse. On veut alors
élargir sa range de 4-bet pour mettre l’adversaire en position délicate. Ce dernier court
maintenant le risque de souffrir des cotes
implicites inversées. À l’instar du 3-bet avec
des tapis de 100 blindes, le 4-bet avec des
tapis de 200 blindes donne l’effet de levier au
joueur en position. S’il veut bénéficier de
l’effet de levier, l’adversaire doit lancer un
5-bet et investir énormément de blindes
dans l’opération. ■
LivePoker 79

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