Construire une range de 3-bet adaptée aux profils adverses

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Construire une range de 3-bet adaptée aux profils adverses
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TECHNIQUE
PAR SHARP
COACH SUR POKER-ACADEMIE.COM
3-BET ET MÉCHANT
Construire une range
de 3-bet adaptée
aux profils adverses
De nos jours, maîtriser la stratégie du 3-bet est véritablement essentiel pour devenir un joueur
gagnant aux tables de No Limit Hold’em. Car bien employé, il s’agit d’une arme efficace et
particulièrement difficile à contrer.
R
appelons que le 3-bet est
l’action de relancer un joueur
qui a ouvert les enchères pré-flop.
Si cette première relance a été
suivie par d’autres adversaires
avant que ce ne soit votre tour de parler, il est
question de squeeze. Je ne traiterai toutefois
pas de ce cas ce mois-ci, mais dans un
prochain article. Revenons-en donc à notre
sujet et à ses origines: pourquoi parler de
3-bet alors qu’il ne s’agit que d’une simple
relance ? Le terme vient en fait de l’époque
où le Hold’em se jouait en
Limit. Les montants des
mises étaient alors capés.
Voyons l’exemple d’une
partie en Limit 10/20… Cela
signifie que la taille des mises
est de 10 € pour les enchères
initiales et au flop. Elle atteint le double
(20€) pour les enchères au turn et à la river.
Pré-flop, et afin de susciter de l’action, la
première mise est forcée. Les deux joueurs à
la gauche du bouton doivent miser à l’aveugle,
sans avoir vu leurs cartes. C’est de là que
vient l’appellation “blindes”. Le premier
place une demi-mise (soit 5 €) et le second
une mise intégrale de 10 €. Les cartes sont
distribuées et si un participant souhaite
ouvrir les enchères, il doit donc placer 20 €,
soit un 2-bet, et celui qui le relance 30 €,
pour un 3-bet. Généralement, dans les règles
du Limit Hold’em, il ne peut pas y avoir
plus de quatre mises, soit trois relances sur
un même tour d’enchères.
TROIS ACTIONS AU CHOIX
Mais ce qui nous intéresse ici est bel et bien
le No Limit. Un de nos adversaires ouvre
alors les enchères. À notre tour de parole, les
regretter d’avoir jeté une main qui aurait
trouvé le jeu max ou de sous-jouer une paire
de Rois pour voir un As apparaître au flop.
• Économiser son argent afin d’en gagner.
Par définition, abandonner le coup est
d’équité nulle : nous ne gagnerons ni ne
perdrons d’argent. À moins de vouloir flamber,
si suivre la mise initiale ou la relancer perd
de l’argent en moyenne, il faut avoir la discipline d’abandonner. Les équités négatives de
toutes ces mains que l’on joue
en sachant que c’est marginalement incorrect s’additionnent
et pèsent lourd dans la balance
de nos résultats à la fin de
l’année.
• Une ligne gagnante peut
en cacher une autre.
Si nous avons paire de Rois en main, il est
évident qu’un 3-bet est profitable. Cela n’en
fait toutefois pas forcément l’action la plus
profitable. Comparer deux lignes gagnantes
est ce que l’on appelle, en mathématiques
financières, évaluer les coûts d’opportunité.
Selon notre action, notre range initiale,
composée de toutes les combinaisons possibles
de deux cartes, va donc se subdiviser en trois
catégories : range d’abandon, range de call et
range de 3-bet.
re
« Nous devons construi pant
antici
notre range de 3-bet en »
un éventuel 4-bet.
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règles du poker nous offrent trois options :
jeter nos cartes, suivre sa mise ou la relancer
par un 3-bet. En théorie, le joueur gagnant
est celui qui sait le mieux répondre à la
question suivante : de ces trois actions, quelle
est la plus profitable? Avec, pour les comparer,
l’instrument de mesure qu’est l’équité.
• Jauger les risques et accepter les effets de
nos actions.
Chacune de ces options a des conséquences
irréversibles. Il nous est arrivé à tous de
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TECHNIQUE
RANGE DE 3-BET
THÉORIQUE
Face à une ouverture adverse, notre premier
réflexe doit être d’évaluer la range de Vilain.
Selon la dynamique de la partie, son profil et
sa position relative au bouton, nous devons
déterminer s’il a une range serrée, c’est-à-dire
composée de mains fortes, ou bien large, et
donc plus facilement attaquable.
Le 3-bet rouvre les enchères et redonne la
parole au premier relanceur. S’il réplique par
un 4-bet, avec des tapis de 100 blindes,
notre choix se réduit alors à abandonner ou
à jouer pour tout notre stack. Nous ne pouvons
donc pas nous contenter d’engager une partie
si importante de notre tapis pour simplement aller voir un flop. Nous devons construire notre range de 3-bet en anticipant un
éventuel 4-bet.
Cela nous conduit à polariser notre range de
3-bet. Avant même que la notion de range
polarisée ne soit introduite, le théoricien
David Sklansky l’a d’ailleurs soulignée dans
un célèbre article intitulé “Ne transformez
pas As-Dame en 72o”. Même si AQ est effectivement en avance sur la range d’ouverture
adverse, c’est une main qui n’a pas assez
d’équité contre la range avec laquelle il va
partir à tapis. Pourquoi donc 3-bet avec une
main profitable à défendre? Mieux vaut le
faire avec 72o, nous ne perdrons pas d’équité
à jeter sur un 4-bet (voir graphique ci-contre).
• Quelles mains pour le pôle valeur ?
Pour y figurer, une main doit être favorite
contre la range avec laquelle l’adversaire va
engager son tapis. Une main qui constitue le
bas de la range adverse ne sera pas assez forte
pour être dans la range de 3-bet. Par exemple,
en table pleine, un joueur ouvre en premier
de parole. Il a un style extrêmement serré à
ce poste, ouvrant 3% des mains, soit {JJ+,
AK}. Sur un 3-bet, il jette deux fois sur trois
et 4-bet avec le tiers de sa range, soit {AA et
KK}, pour 1% des mains.
Que faire alors avec une paire de Rois au
bouton ? Avec 22,6%, KK est loin d’avoir
l’équité nécessaire pour s’engager contre
la range de 4-bet adverse {AA, KK}. Avec
62,6% contre la range {JJ+, AK}, il est
hautement profitable de suivre l’ouverture
concurrente. Avec paire de Rois, le 3-bet est
une lourde erreur, et partir à tapis est une
catastrophe. Contre ce profil, la range de 3-bet
doit se limiter à paire d’As et aux bluffs.
• Quelles mains dans le pôle bluff ?
Idéalement, on veut bluffer avec des mains
trop faibles pour suivre la relance. Quitte à
piocher dans l’immense ensemble qu’est
la range d’abandon, autant sélectionner les
meilleures de ces mains. Des jeux à peine
trop faibles pour suivre une mise feront
d’excellents candidats à une relance. Si un
adversaire paye le 3-bet, mieux vaut avoir
relancé avec ATo, K9s, QJo, 56s ou T8s,
plutôt qu’avec 72o, 93s ou J2o.
Nous voulons également maximiser nos
chances de bluffs. Avoir en main un bloqueur,
c’est-à-dire une carte très présente dans la
range avec laquelle l’adversaire défend contre
un 3-bet, diminue la probabilité d’échec d’un
bluff (voir tableau page suivante).
ÉQUILIBRER SA RANGE
DE 3-BET
Sans aucun historique et dans l’absolu, il est
profitable de 3-bet en position la plupart des
adversaires avec n’importe quelles cartes en
main. Les jeux avec lesquels ils peuvent
confortablement contrer le 3-bet et s’engager
à tapis sont infimes par rapport à leur range
RANGE DE 3-BET POLARISÉE
Pôle de 3bet pour valeur
Range de call
Pôle de 3bet en bluff
Range d’abandon
Pôle valeur : mains ayant une équité positive pour partir à tapis sur un 4-bet adverse.
Range de call : mains bénéficiant d’une équité positive pour suivre la relance, mais
trop faibles pour le pôle valeur.
Pôle de 3-bet en bluff : mains que l’on prévoit de jeter sur un 4-bet adverse.
Range d’abandon : mains qu’il n’est pas profitable de défendre.
LivePoker 77
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TECHNIQUE
QUELLES MAINS DANS LE PÔLE BLUFF ?
Range de défense de
l’adversaire contre le 3-bet
Range serrée :
99+, AQ+, AJs, KQs
Range moyenne :
88+, KQ, AJ+, KJs, ATs
Range large :
TT+, AK, AQs
Aucun bloqueur (44, 72o ou 56s)
As bloqueur (A2o, A7s)
Roi bloqueur (K5o)
Deux bloqueurs au Roi (KTo)
Deux bloqueurs à l’As (ATo)
50 combos
42 combos (-16%)
43 combos (-14%)
40 combos (-20%)
39 combos (-22%)
76 combos
64 combos (-16%)
68 combos (-11%)
65 combos (-15%)
61 combos (-20%)
114 combos
98 combos (-15%)
102 combos (-11%)
98 combos (-15%)
94 combos (-18%)
d’ouverture. Et s’ils payent, dans la plupart
des cas, savoir s’ils sont devant ou derrière
post-flop relève du jeu de devinettes.
Cependant, un joueur qui pousse cette
logique trop loin et 3-bet à tout bout de
champ ne va pas faire longtemps impression
à une table de poker. Sa range de 3-bet
va apparaître pour ce qu’elle est : trop large,
trop faible et remplie de bluffs. Il verra
progressivement tous ses concurrents attaquer
ses 3-bets et perdra à son tour beaucoup
d’argent.
Pour éviter d’être facilement
exploitable, une range de 3-bet
doit donc être équilibrée. Avec une
proportion maximale pour le pôle
bluff du double du pôle valeur. Si
par exemple, il est profitable de
3-bet pour value JJ+ et AK, soit 3%
des mains, l’ensemble des combinaisons que l’on 3-bet en bluff doit représenter 6%.
Dans la pratique, nos adversaires ignorent si
nos ranges sont équilibrées. Il est donc plus
important d’équilibrer nos fréquences de
3-bets. Par exemple, nous sommes assis au
bouton en NL200, les blindes sont de 1e/2e, et
c’est notre quatrième orbite de jeu à cette
table. Le cut-off, qui semble être agressif
et compétent, ouvre les enchères à 6 e.
Supposons alors que nous ayons construit la
range de 3-bet théorique parfaite contre ce
joueur et sa range d’ouverture au cut-off.
Que, pour des raisons d’équilibre, K8s fasse
partie de notre range de bluff et pas Q7s.
Premier cas de figure, nous avons alors K8s,
mais nous avons déjà répliqué trois fois par
un 3-bet face à ce même adversaire lors des
trois premières orbites. À moins d’avoir été à
l’abattage en dévoilant une grosse main ces
trois fois, notre concurrent a toutes les raisons
de penser que notre range est faible. Je
m’abstiendrai donc de tout 3-bet en bluff et
préfèrerai coucher K8s. Nous avons maintenant
Q7s, mais nous n’avons pas encore joué une
main depuis le début de la session. Un 3-bet
en bluff a maintenant toutes les chances d’être
respecté et il est donc certainement profitable
relancer par un 4-bet. Si l’une de ces actions
est trop fréquente, le joueur devient exploitable. C’est-à-dire qu’il nous est possible
de mettre en place une stratégie clairement
gagnante contre lui. Attention, pour ce faire,
nous devons déséquilibrer notre jeu et
prêtons ainsi le flanc pour être à notre tour
exploités. Soit directement par le joueur que
l’on 3-bet, qui change son jeu pour s’adapter.
Soit par un autre adversaire qui, ayant
remarqué la manœuvre, entre dans le coup
afin de nous contrer.
• Exploiter un joueur qui jette
trop sur les 3-bets
Le niveau d’exploitation le plus
simple et le plus répandu pour
jouer un tel profil est de le
bluffer. On peut ainsi calculer
mathématiquement la profitabilité d’un 3-bet en bluff pur…
- En position. L’adversaire ouvre à 3 blindes,
le pot s’élève donc à 4,5. On 3-bet à 9. C’est
justifié s’il jette plus de 9/(9+4,5) = 66%.
- Hors de position. Avec les mêmes calculs,
en supposant que l’on 3-bet à 10, la manœuvre
est justifiée depuis la petite blinde avec un
taux de succès de 68%. Et il suffit de 66% de
réussite depuis la grosse blinde.
Par conséquent, si un adversaire se couche
deux fois sur trois, un 3-bet est profitable
quelles que soient nos cartes. Du moins
jusqu’à ce qu’il s’adapte à cette stratégie. Si sa
fréquence d’abandon est très élevée, l’intérêt
d’avoir un pôle de 3-bet pour value disparaît.
Il est plus profitable, avec le top de notre
range, de suivre son ouverture et de tirer
valeur de notre main post-flop.
op faibles
« Des mains à peine tr e
pour suivre une mis
ndidates
feront d’excellentes ca
à une relance. »
78 LivePoker
de relancer Q7s dans cette configuration.
Pour élargir les enseignements de cet exemple,
il est essentiel de tenir compte de notre
image aux yeux du joueur que l’on 3-bet.
Si c’est un adversaire régulier, cette image
dépend également de l’historique des précédentes sessions. Si notre range de 3-bet perçue
est faible, nous limiterons nos 3-bets au pôle
valeur. À l’inverse, si notre range perçue est
forte, nous élargirons notre pôle bluff et
considérerons sous-jouer en payant simplement la relance avec nos grosses mains.
EXPLOITER
SES ADVERSAIRES
Face à notre 3-bet, Vilain a, à son tour, trois
options : jeter ses cartes, suivre le 3-bet ou le
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Soulignons qu’un joueur exploitable n’est
pas nécessairement synonyme de joueur
faible. Par exemple, beaucoup de réguliers en
petites limites abandonnent trop souvent
sur les 3-bets. Mais comme la moyenne des
joueurs à ces limites 3-bet insuffisamment
en bluff, avoir une fréquence d’abandon
élevée est la stratégie gagnante.
• Exploiter un joueur qui paye trop
Nous voulons essentiellement relancer cet
adversaire pour value. C’est-à-dire en élargissant notre pôle valeur à des mains
avec lesquelles il est profitable de suivre
l’ouverture. De la même façon, nous voulons
des mains jouables dans le pôle bluff,
plutôt que des bloqueurs. Si le joueur paye
énormément, nous dépolarisons notre
range de 3-bet. Notre pôle de 3-bet en
bluff disparaît alors. Plus exactement, il
fusionne avec notre pôle de 3-bet pour
valeur et pioche ses mains dans le haut de
notre range de call. L’équité que l’on perd
en jetant sur un 4-bet est alors largement
compensée par les gains engendrés lorsque
l’adversaire suit le 3-bet.
• Exploiter un joueur qui 4-bet trop
Un adversaire qui 4-bet fréquemment va avoir
trop de bluffs dans sa range. Nous pouvons
alors l’exploiter en étendant le pôle de 3-bet
pour valeur à des mains permettant de
pousser à tapis en semi-bluff. Ces jeux sont
certes en retard sur la range avec laquelle
l’adversaire paye le all in. Cependant, l’équité
d’un 5-bet est positive grâce aux gains du
pot contre les 4-bets en bluff. Les meilleures
candidates sont les paires, car elles ont
généralement une équité solide contre la
range ennemie de 4-bet pour valeur.
Les calculs de profitabilité vont dépendre de
l’importance du pot gagnable sur le 5-bet. Et
donc des tailles du 3-bet et du 4-bet. À titre
indicatif, le tableau suivant donne les équités
pour un échantillon représentatif de mains
selon l’hypothèse suivante : le bouton ouvre
à 3 blindes, la grosse blinde relance à 10 et le
bouton 4-bet à 24. Le bouton paye le all in
avec la range {TT+, AQ+}. ■
EXPLOITER UN JOUEUR QUI 4-BET TROP
Main
Équité de la main
si le bouton paye
5-bet profitable si le bouton
abandonne dans plus de…
AQo
TT
55
A3s
KQs
76s
72o
34,4%
40,3%
37,1%
30,5%
31,5%
31,6%
22,1%
43%
29%
38%
50%
49%
49%
60%
5-bet profitable si la range
de 4-bet est plus large que…
8,2%
6,6%
7,6%
9,4%
9,2%
9,2%
11,8%
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