AMPÈRE, J[ean]-J[acques] - Trésor de la langue française au Québec

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AMPÈRE, J[ean]-J[acques] - Trésor de la langue française au Québec
AMPÈRE, J[ean]-J[acques], «Promenade en Amérique. La Nouvelle Angleterre et la Nouvelle
France», dans Revue des Deux Mondes, vol. 17, 15 janv. 1853, p. 292-319. [TÉMOIGNAGE DE
1852]
Écrivain et historien français né à Lyon (Rhones-Alpes) en 1800, fils du physicien André-Marie
Ampère. Il enseigna à la Sorbonne et au Collège de France. En 1848, il est élu à l'Académie
française. À l'invitation d'éditeurs, il fit de nombreux voyages et vint en Amérique du Nord entre
1851 et 1852. La Grande Encyclopédie situe le voyage en 1851; dans son édition de 1910-1911,
l'Encyclopaedia Britannica donne également 1851 mais, dans celle de 1969, c'est 1852 qu'elle donne
comme date dudit voyage en Amérique. Ce sont les impressions de voyage de l'auteur que l'on
retrouve dans Promenade en Amérique.1 Il mourut en 1864.2
« A peine débarqué [à Montréal], une querelle survenue entre deux charretiers fait
parvenir à mon oreille des expressions qui ne se trouvent pas dans le dictionnaire de l'Académie,
mais qui sont aussi une sorte de français. Hélas! notre langue est en minorité sur les enseignes,
et, quand elle s'y montre, elle est souvent altérée et corrompue par le voisinage de l'anglais. Je lis
avec douleur : manufactureur de tabac, sirop de toute description; le sentiment du genre se perd,
parce qu'il n'existe pas en anglais; le signe du pluriel disparaît là où il est absent de la langue
rivale.
Signe affligeant d'une influence étrangère sur une nationalité qui résiste, conquête de la
grammaire après celle des armes (1)! Je me console en entendant parler français dans les rues.
On compte par écus, par louis et par lieues. Je demande l'adresse de M. Lafontaine 3 , qui n'écrit
pas des fables, mais qui est le chef d'un ministère libéral et modéré, et j'apprends avec un certain
plaisir qu'il demeure dans le faubourg Saint-Antoine. Le faubourg Saint-Antoine de Montréal est
beaucoup plus agréable que celui de Paris : il est plus propre, moins bruyant; c'est un vrai
faubourg champêtre, avec beaucoup de jardins. Le faubourg Saint-Antoine, au temps de Mme de
Sévigné, devait ressembler à cela. »4 (p. 305)
« Avant de rentrer dans la ville [Montréal], j'ai désiré gravir la hauteur qui la domine et lui
donne son nom; mais, de ce côté, je ne pouvais pénétrer qu'en traversant des propriétés
1
Promenade en Amérique sera publié en 2 volumes chez Michel Lévy et Frères en 1855. Ampère dédia son
ouvrage à Alexis de Tocqueville.
2
Larousse 1866; Le Petit Robert 2. Dictionnaire universel des noms propres,1986; SIMARD, Mythe et reflet de la
France, p. 34.
3
Il s'agit de Louis -Hippolyte La Fontaine.
4
Édition Michel Lévy, pp. 106-107.
particulières.
J'ai franchi plusieurs portes et plusieurs cours sans rencontrer personne; enfin une
bonne femme, occupée à jardiner, m'a dit, avec un accent plein de cordialité et très-normand :
Montais, m'sieu, il y a un biau chemin. En montant, j'ai trouvé de beaux arbres et une vue
admirable. Par delà l'arc bleu du Saint-Laurent s'étendaient des montagnes peu élevées, dont les
tons gris cendré ou gris de perle se détachaient sur les nuages ou se noyaient dans la lumière. La
ville se montrait par-dessus les arbres qui étaient à mes pieds; la cathédrale et plusieurs clochers
gothiques dessinaient comme une silhouette blanche sur le ciel.
Ainsi qu'on vient de le voir, l'accent qui domine à Montréal est l'accent normand.
Quelques locutions trahissent pareillement l'origine de cette population, qui, comme la population
franco-canadienne en général, est surtout normande. Le bagage d'un voyageur s'appelle butin, ce
qui se dit également en Normandie et ailleurs, et convient particulièrement aux descendans des
anciens Scandinaves. J'ai demandé quel bateau à vapeur je devais prendre pour aller à Québec;
on m'a répondu : Ne prenez pas celui-là, c'est le plus méchant. Nous disons encore un méchant
bateau, mais non ce bateau est méchant. Nous disons un méchant vers, quand par hasard il s'en
fait de tels; mais nous ne dirions pas, comme le Misanthrope :
J'en pourrais, par malheur, faire d'aussi méchans.
Pour retrouver vivantes dans la langue les traditions du grand siècle, il faut aller au Canada. »5 (p.
306)
« M. Garneau, qui a bien voulu être mon obligeant cicérone, a écrit une histoire du
Canada, fruit de recherches consciencieuses et animée d'une sympathie sincère pour la France,
qui n'est du reste que de la justice historique.
Quelques imperfections de langage disparaîtront
dans une nouvelle édition qu'il prépare aujourd'hui; je les regretterai presque : elles sont une
expression de plus de la séparation que nous avons laissée s'accomplir et une accusation contre le
gouvernement qui l'a lâchement permise.
J'ai été admirer la belle cascade qui porte le nom si français de Montmorency et visiter les
cultivateurs des environs de Québec, chez lesquels les mœurs de la vieille France vivent dans
toute leur intégrité.
La colonisation du Canada ne fut point composée de gens sans aveu,
d'aventuriers de bas étage, mais d'honnêtes campagnards, de petits gentilshommes et de soldats.
On m'assure même qu'un bâtiment qui apportait une population moins respectable fut renvoyé
avec elle en France. Aussi l'habitant canadien (le mot de paysan n'est pas connu) est-il en général
5
Ibid., pp. 108-109.
religieux, probe, et ses manières n'ont rien de vulgaire et de grossier. Il ne parle point le patois
qu'on parle aujourd'hui dans les villages de Normandie. Sous son habit de bure grise, il y a une
sorte de noblesse rustique. Quelquefois il est noble de nom et de race, et descend de quelque
cadet de Normandie. Nous avons, par exemple, rendu visite à un habitant qui menait la vie d'un
paysan aisé et s'appelait M. de Rainville. »6 (p. 309)
(1) Un poète canadien7 s'est plaint de cette invasion de l'anglais dans des vers comiquement
barbares :
Très souvent, au milieu d'une phrase française,
Nous plaçons sans façon une tournure anglaise.
Presentment8 , indictment, impeachment, fireman,
Sheriff, writ, verdict, bill, roast-beef, foreman.
6
Ibid., pp. 115-116.
7
Il s'agit de Michel Bibaud.
8
On lit presentpment dans le texte.

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