L`ÉPREUVE DE RORSCHACH Principes d`analyse interprétative1

Transcription

L`ÉPREUVE DE RORSCHACH Principes d`analyse interprétative1
Université Rennes 2
L’ÉPREUVE DE RORSCHACH
Principes d’analyse interprétative1
I. LES CRITÈRES DE COTATION ET LE PSYCHOGRAMME
Hypothèses interprétatives
1. Critères d’appréhension
1.1. Réponses globales
1.2. Réponses de détail
1.3. Mode d’appréhension
1.4. Succession
2. Critères esthésiques (ou déterminants)
2.1. Réponses-forme
2.2. Réponses kinesthésiques
2.3. Réponses-couleur
2.4. Réponses de clair-obscur
2.5. Réponses d’estompage
3. Critères de contenu
3.1. Contenu animal
3.2. Contenu humain
3.3. Autres contenus
4. Autres critères
4.1. Banalités
4.2. Critères complémentaires
II. ORGANISATION DE L’INTERPRÉTATION
1. Analyse synchronique et analyse diachronique
2. Plan d’analyse pour l’interprétation
Références bibliographiques
Annexe
Tableau comparatif des différentes lignées structurelles en psychopathologie
(d’après Jean Bergeret)
1
- Texte : Claude BOUCHARD, MC Psychologie, Université Rennes 2 – version : décembre 2012.
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 1
L’ÉPREUVE DE RORSCHACH
Principes d’analyse interprétative
I. LA COTATION – Hypothèses interprétatives
1. Critères d’appréhension
Le premier constat à faire, pour analyser une réponse Rorschach, est de considérer si le
sujet a utilisé l’ensemble de la tache ou seulement une partie de celle-ci. Dans le premier cas, on
parlera d’une appréhension globale (symbolisée par la lettre G) ; dans le second cas, d’une
appréhension de détail (symbole D).
En fait, on s’aperçoit qu’il existe plusieurs façons de produire une réponse globale, et
plusieurs façons aussi de produire du détail.
1.1. Réponses globales
1.1.1. Définition
On distingue principalement quatre types de réponses globales :
a) La G simple (ou G primaire) : lorsque la réponse correspond à une appréhension
perceptive immédiate, directe, et le plus souvent unitaire, de la tache.
Exemples :
 pl. V : "un oiseau"
 pl. X : "feu d’artifice"
 pl. I : "c’est un masque de renard".
b) La G combinée (ou G secondaire, dite encore : G organisée) : lorsque la réponse
correspond à un ensemble composé de plusieurs éléments associés ou articulés entre eux, la
combinaison pouvant être simultanée ou successive.
Exemples :
 pl. I : "une femme emportée par deux anges" ("femme" = partie médiane, "anges" =
parties lat.)
 pl. VIII : "un blason avec des animaux et des armes dessinés dessus"
 pl. III : "un couple qui danse dans une fête, sous des lampions" ("lampions" = rouge
sup. lat.).
c) La G confabulée (ou DG) : lorsque la réponse correspond à un ensemble produit par
généralisation à partir d’un détail (vision de type pars pro toto).
Exemples :
 pl. I : "un crabe" (à cause d’un détail vu comme "pinces")
 pl. VII : "un oiseau" (à partir d’une impression de "plumes" au niveau de détails
saillants).
Soulignons que :
"Le DG vrai n’est cotable que si le détail a déterminé la réponse et non pas s’il en
précise a posteriori la composition." - (Rausch de Traubenberg, Boizou, 1977, p. 21)
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 2
d) La G contaminée : lorsque la réponse correspond à la fusion de deux (ou plusieurs)
images intriquées, télescopées, et dont la combinaison est absurde.
Exemples :
 pl. VIII : "des souris qui mangent leur corps" ("souris" = rose lat., "leur corps" =
parties médianes)
 pl. III : "des hommes à tête d’oiseau" (noir).
Certains auteurs ont distingué d’autres types de réponses G. Citons seulement :
e) La réponse Gbl : lorsque le sujet spécifie que l’ensemble interprété inclut les espaces
intermaculaires (= espaces blancs internes à la tache ou entre deux parties de la tache).
Exemples :
 pl. I : "une tête d’animal, avec ses yeux et sa bouche" (= "yeux" et "bouche" = détails
blancs int.)
 pl. II : "une coupe de la colonne vertébrale avec le canal rachidien".
f) La G limitée ou G) : lorsque le sujet interprète l’ensemble de la tache, dont il retire
secondairement une partie.
Exemples :
 pl. V : "une chauve-souris... sans les antennes" (= saillies sup.)
 pl. IV : "un gorille avec de grosses pattes, sauf ça en bas" (= partie axiale inf.).
Récapitulatif des réponses et symboles :
˗
˗
˗
˗
˗
˗
G = G simple
G comb. = G combinée (ou organisée)
G confa (ou DG) = G confabulée
G conta = G contaminée
Gbl = G avec détails blancs
G = G limitée
N.B. : Par convention, et pour la seule planche III (à l’endroit), lorsque le sujet perçoit
des personnages (quels qu’ils soient) dans le noir latéral, on cote systématiquement ces réponses
en G, même si le rouge n’y est pas intégré.
1.1.2. Valeur interprétative
Soulignons d’abord deux points importants :
a) La structure du stimulus étant très variable d’une planche à l’autre, la réponse G
n’aura pas la même valeur de synthèse selon la planche concernée. Les planches I, IV, V, VI
favorisent plus facilement une appréhension globale que les planches II, III, VII, VIII, IX, X.
Un auteur américain, Samuel Beck, a même imaginé un coefficient spécial (coefficient
Z) permettant de pondérer la valeur synthétique de la réponse G selon les planches (Beck,
1967).
b) Qu’il s’agisse d’une réponse globale ou d’une réponse de détail, les critères de
l’appréhension ne présentent pas tant d’intérêt significatif pour eux-mêmes, que pour leur
proportion réciproque (mode d’appréhension) et leur succession (lorsqu’il y a plusieurs
réponses pour une même planche). (Voir plus loin pour ces concepts.)
Pour interpréter la signification du facteur G dans un protocole donné, il faudra donc
considérer :
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 3
- sa fréquence : l’approche globale, synthétique, est-elle fréquente dans ce protocole ?
ou bien rare, impossible… ?
- son occurrence selon les planches : s’agit-il de G "faciles" (c’est-à-dire qui peut-être
aisément perçue et traitée à part, en soi, en fonction de la structure de la tache) ou de G
"élaborées" ?
- sa place dans une série d’interprétations : le sujet commence-t-il par une approche
d’ensemble de la tache, qu’il détaille ensuite, ou l’inverse ?
- les déterminants qui lui sont associés et la qualité de ces déterminants : s’agit-il d’une
globalité plutôt déterminée par la forme de la tache ? est-elle plutôt "vague", plutôt
"impressionniste" ? correspond-telle à une mise en action, voire une mise en scène du
percept ?...
- éventuellement aussi les contenus qui lui sont associés : la globalisation est-elle
coïncidente avec un contenu particulier ou une qualité particulière de contenu ?
"Le G n’a pas et ne peut avoir de signification psychologique univoque étant donnée la
diversité des processus qui le suscitent. (...) En résumé, l’analyse du processus de
globalisation doit se faire en fonction de la distribution des G dans le test, de la qualité
intrinsèque de leur organisation, de la plasticité de celle-ci, et des moments associatifs
ou affectifs qui y sont donnés." - (Rausch de Traubenberg, op. cit., p. 45 et 47)
1.2. Réponses de détail
1.2.1. Définition
Comme les réponses globales, les réponses de détail sont susceptibles d’apparaître de
plusieurs manières :
a) La réponse D proprement dite : lorsqu’il s’agit de parties "qui s’imposent le plus"
(Rorschach), c’est-à-dire dont les qualités de structure perceptive (forme, position, contraste...)
permettent facilement leur traitement comme sous-ensembles.
Exemples :
 le rouge médian de la planche III
 la partie médiane inférieure de la planche IV
 le rose de la planche IX.
b) La réponse Dd (ou "petit détail") : lorsqu’il s’agit soit de parties correspondant à des
découpes inhabituelles, peu fréquentes de la tache ; soit de parties minuscules de la tache, "qui
échappent presque toujours au sujet normal" (Rorschach).
Exemples :
 pl. V : la fine saillie sur le bord supérieur de la partie latérale
 pl. II : partie supérieure du noir latéral.
"Contrairement aux D, les Dd ou "détails de l’image qui restent après qu’on a éliminé
les détails statistiquement les plus fréquents" ne s’imposent pas. Qu’ils soient
minuscules ou qu’ils couvrent une surface plus grande que certains D, ou qu’ils
concernent des D pris dans une position insolite, ils dépendent bien plus du sujet que de
la structure perceptive de la tache. Si certaines planches les suscitent plus que d’autres
ce n’est pas en fonction de leur configuration, mais bien plus en fonction de leur valeur
spécifique et de l’écho émotionnel qu’elles éveillent. Le Dd constitue donc un élément
plus personnel, plus projectif où le sujet crée plus qu’il ne perçoit." - (Rausch de
Traubenberg, op. cit., p. 54)
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 4
c) La réponse Dbl (ou détail blanc) : lorsque le sujet interprète les espaces blancs à
l’intérieur de la tache, ou parfois en bordure de la tache (Dbl de bordure).
Pour Rorschach, le Dbl est une variante du Dd. Les auteurs contemporains distinguent :
Dbl et Ddbl, selon qu’il s’agit d’un détail blanc clairement distinct (comme dans les planches I,
II, IV, VII, IX), ou d’un détail blanc plus rare ou plus petit (par ex. : l’espace intermaculaire
entre le bleu et le rose-orangé à la planche VIII).
d) La réponse Do (ou "détail oligophrénique")2 : ainsi dénommée par Rorschach parce
qu’il l’a d’abord observée chez les oligophrènes, il s’agit d’une réponse traitant un élément isolé
par rapport à un ensemble habituellement interprété en G ou en D.
Exemples :
 pl. V : "une aile" (= moitié lat. de la planche)
 pl. III : "un sein de femme" (= saillie interne des "figures humaines")
 pl. IV : "des pieds" (= détails lat. inf.).
1.2.2. Cotation
Il n’est pas toujours facile de distinguer entre les réponses D et Dd, puisque
l’un de leurs critères de différenciation est fréquentiel. Le plus simple, en cas de doute, est de se
guider au moyen des listes établies par certains auteurs. En France, le manuel magistral de
Cécile Beizmann (Livret de cotation des formes dans le Rorschach, 1966) reste une référence
encore très utilisée.3
D’autre part, on pourra parfois trouver des combinaisons de détails, que l’on pourra
alors écrire : DD, DdD, DblD, DdDbl, etc. – selon le type de détails associés.
Exemples :
 pl. II : "une fusée qui décolle" (blanc + rouge inf. = DblD)
 pl. VIII : "un animal qui marche au bord d’un lac" (rose lat. + bleu = DD).
Toutefois, les réponses qui interprètent deux parties symétriques de la tache, et même si
ces deux parties ne composent pas une réponse G, sont seulement cotées D (ou Dd, selon le
cas).
Exemples :
 pl. VIII : "deux animaux" (détails lat. en rose = D)
 pl. II : "des bonshommes qui se tiennent par la main" (noir = D)
 pl. IV : "un bec d’oiseau (= extrémité de la saillie sup. à gauche)... et là un autre (=
même détail, à droite)" (= Dd).
1.2.3. Valeur interprétative.
Les remarques générales formulées pour les réponses globales demeurent valables pour
les réponses de détail. On peut toutefois ajouter les précisions suivantes :
a) La réponse D n’a pas le même caractère d’évidence selon qu’elle survient dans les
planches à structure fermée, compacte (pl. I, IV, V, VI) ou dans les planches à structure
composée ou découpée (pl. II, III, VII, VIII, IX, X). Dans le premier cas, la réponse D suppose
un travail perceptif plus analytique que dans le second cas où les D s’imposent plus facilement.
b) Concernant la réponse Dd, nous avons dit son caractère de perception plus arbitraire
que pour la réponse D. Elle peut éventuellement avoir une signification affective ou
"caractérielle" : évitement, prudence, vigilance, méticulosité, souci d’originalité...
2
3
- Oligophrénie : terme ancien désignant, en psychopathologie, une arriération mentale.
- Voir aussi : Rausch de Traubenberg (1990, p. 52-54), et plus récemment : Azoulay & al. (2012).
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 5
c) La réponse Dbl a d’abord été interprétée par Rorschach comme une réponse
d’ "attitude oppositionnelle", dans la mesure où elle correspond à un renversement figure / fond
de la tache par le sujet. Les cliniciens contemporains sont plus nuancés.
"Le Dbl a une valeur d’autant plus intellectuelle qu’il est donné en fin de planche et que
son déterminant est formel, d’autant plus affectif qu’il apparaît en première ou unique
réaction et que son déterminant est informel. (...) Le Dbl, inversion figure-fond, est
également attirance par le vide, le manque, l’incomplétude. Une surcharge de réponses
Dbl indique une propension à utiliser la projection en tant que mécanisme de défense.
Ce n’est pas le cas des réponses figure-fond où il y a nivellement des deux modes
perceptifs." - (Rausch de Traubenberg, op. cit., p. 64)
d) La réponse Do n’est pas forcément liée à une insuffisance intellectuelle (oligophrénie) comme le pensait Rorschach.
"La valeur interprétative des Do est tripartite, ils indiquent une approche mentale, ils
ont force affective et force défensive.
"En tant qu’approche mentale ils ont une signification négative d’incapacité
d’intégration lorsqu’ils sont parsemés dans le protocole sans qu’un contenu précis y
soit attaché. Ils ont une signification positive, de vigilance hyper-critique, de rigueur
objective allant jusqu’au perfectionnisme et empêchant, à la limite, l’émergence de
besoins personnels.
"L’aspect affectif réside dans l’inhibition que les Do expriment, inhibition devant les
associations spontanées dont l’évocation et la répression provoquent une anxiété plus
ou moins intense : celle-ci peut très bien être élective, liée à une problématique
particulière, apparaissant donc à des planches précises ou avec des contenus
spécifiques.
"L’aspect de mécanisme défensif des Do est enfin à souligner dans la mesure où il
empêche l’intrusion de fantaisies inacceptables et où il évite le contact direct avec un
affect perturbateur : dans ce cas on trouve dans le protocole des réponses Dd, des
réactions plus formelles que spontanées et davantage de réponses K que C." - (Rausch
de Traubenberg, op. cit., p. 66-67)
1.3. Mode d’appréhension
1.3.1. Comme précédemment indiqué (voir notre texte : Introduction à l’épreuve de
Rorschach : principes d’utilisation et de cotation), c’est moins la proportion de chaque modalité
d’appréhension (en G ou en D) qui importe pour l’interprétation dans l’épreuve de Rorschach,
que leur rapport respectif ou mode d’appréhension.
Pour Hermann Rorschach, le mode d’appréhension moyen (pour un nombre moyen de
34 réponses cotables) était :
8 G (24 %) - 23 D (68 %) - 2 Dd - 1 Dbl
soit : environ 1 G pour 3 D.
Ces proportions moyennes sont en fait variables selon le nombre total des réponses (en
général, plus ce nombre est élevé, plus il y a de réponses D – et inversement) et selon l’âge du
sujet. Elles différent aussi selon les auteurs (types de consignes, systèmes de cotation, données
socioculturelles...). On pourra se référer préférentiellement, pour la pratique française, aux
moyennes établies par Beizmann (1974) et par Loosli-Usteri (1965).
1.3.2. Pour écrire la formule du mode d’appréhension, il suffit de reprendre la série
conventionnelle : G – D – Dd – Dbl – Do, et de souligner les localisations dont le pourcentage
est supérieur à la moyenne, de surligner celles dont le pourcentage est inférieur à cette
moyenne. (On barre le symbole correspondant aux localisations absentes, non représentées dans
le protocole traité.)
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 6
Ce qui signifie : une forte proportion de localisations globales, très peu de loca-lisations
en "grands" détails (D), une proportion moyenne de "petits" détails (Dd), et pas du tout de
détails blancs (Dbl).
1.3.3. Intérêt interprétatif
Rorschach considérait que le mode d’appréhension du sujet nous renseigne surtout sur
la manière dont celui-ci utilise ses capacités intellectuelles. Pour Rorschach, l’intelligence inclut
notamment : la qualité de l’attention, la disponibilité associative, la fonction logique,
l’originalité et la richesse des associations, l’adaptation au "monde associatif des contemporains" (op. cit., p. 47-61.) Partant de là, Rorschach proposait de définir des types d’appréhension, tels que : le type G pur, le type G+, le type G, le type D pur, etc.
L’expérience des cliniciens a, depuis, montré que les modes d’appréhension ne peuvent
être traités aussi schématiquement :
"Rorschach a établi un schéma attribuant à chaque type d’appréhension une
signification mentale nettement circonscrite. Mais aujourd’hui, nous savons trop bien
dans quelle mesure ce type dépend de facteurs affectifs pour nous permettre de nous
servir d’un schéma qui attribue à chacun d’eux des valeurs si absolues. Comme tous les
autres facteurs du test, le type d’appréhension ne peut être apprécié à sa juste valeur
que par rapport au résultat tout entier. Il dépend de facteurs affectifs tout autant que de
facteurs mentaux (...). Il forme, pour ainsi dire, le pont entre la vie mentale et affective."
(Loosli-Usteri, 1965, p. 45)
Les auteurs d’aujourd’hui proposent d’interpréter les modes d’appréhension selon la
notion de "fonctionnement cognitif" :
"Nous préférons en effet substituer le terme de "cognitif" à celui d’ "intellectuel" car il
nous semble que le Rorschach renseigne davantage sur les modalités d’approche et de
contact dans une visée de connaissance du monde environnant, en particulier à travers
les modes d’appréhension qui en sont le support initial, plutôt que sur les aspects plus
généraux et complexes inhérents à l’ "intelligence".
"Ces considérations nous conduisent à une hypothèse de base concernant les modes
d’appréhension : leur analyse ne rend pas seulement compte des capacités intellectuelles du sujet, mais aussi de leur intrication avec d’autres dimensions psychiques
dans un processus significatif de la façon dont s’établit – comme le dit D. Anzieu – sa
perception, sa prise de contact et son rapport au monde. Il s’agit bien là de la relation
que le sujet vit et élabore avec son environnement et avec ses objets. Les significations
des modes d’appréhension sont par là-même à considérer dans leur multidimensionnalité... " - (Chabert, 1983, p. 96-97)
1.4. Succession
Enfin, dernier critère d’évaluation de l’appréhension perceptive dans l’épreuve de
Rorschach, la succession des modalités d’approche perceptive G, D, Dd pour chacune des
planches et d’une planche à l’autre.
"Les modes de succession apportent (...) des renseignements très précieux sur les
capacités logiques et les qualités de méthode d’un sujet, sur la régularité de ses
activités, la stabilité et la constance de ses réactions affectives. L’humeur joyeuse ou
dépressive influence les modes de succession. Quand ceux-ci sont troublés, il faut
toujours rechercher quelle est la part de l’affectivité ou celle proprement mentale du
trouble constaté." - (Beizmann, 1974, p. 171)
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 7
À partir du type fictif d’une succession normale dans l’ordre : G-D-Dd, Hermann
Rorschach a distingué cinq types de succession :
˗ ordonnée : lorsqu’elle correspond au type standard G-D-Dd, mais sans rigidité ;
˗ inversée : succession Dd-D-G (= démarche inductive, constructive, ou combinatoire
: l’analyse précède la synthèse) ;
˗ rigide : lorsque la succession (quelle qu’elle soit) est systématique et immuable (le
même phénomène peut être repéré dans une séquence répétitive et systématique de
rotations pour chaque planche) ;
˗ relâchée : si elle irrégulière, changeante (= labilité, instabilité) ;
˗ incohérente : lorsque les modalités d’appréhension se succèdent de façon hétérogène, sans aucun ordre repérable.
Bien entendu, on ne peut évaluer la succession qu’à la condition de disposer de
plusieurs réponses par planche. Sinon, on dira simplement que la succession est nulle.
2. Critères esthésiques (ou déterminants)
Selon Rorschach, la réponse peut être influencée par trois types différents de facteurs
esthésiques (du grec : aisthêsis, sensation) :
- la forme (ou morphesthésie)
- le mouvement (ou kinesthésie)
- la couleur (ou chromesthésie).
À ces trois déterminants majeurs, Rorschach a suggéré ultérieurement d’ajouter le
facteur du clair-obscur. Dans la nomenclature française, le clair-obscur de Rorschach est
distingué en deux facteurs différents :
- le clair-obscur
- l’estompage (critère dérivé du "clair-obscur" de Rorschach).
2.1. Réponses-forme
2.1.1. Définition
On parle de réponses-forme (cotées F), lorsque ce sont les contours, la configuration de
la tache (qu’elle soit vue en entier ou en partie) qui déterminent la réponse du sujet.
Exemples :
 pl. I : "un insecte"
 pl. VII : "deux têtes de femmes" (= tiers sup.)
 pl. IX : "deux hippocampes" (= orangé).
Dans la mesure où la réponse F est le type de réponses le plus fréquemment fourni,
Hermann Rorschach a suggéré d’en apprécier, de plus, la qualité d’adéquation perceptive aux
caractéristiques du stimulus, en distinguant des réponses F+ ("bonnes" formes) et des réponses
F. Le critère distinctif est un critère fréquentiel.
"Pour exclure autant que possible les appréciations subjectives, la seule voie à suivre
était celle de la statistique. On a pris pour norme et pour base les réponses-forme qui
avaient été données le plus fréquemment par un nombre assez grand de sujets (environ
100), jouissant de leur intégrité mentale. On a obtenu ainsi une certaine zone normale
de la vision des formes, un grand nombre de réponses qui reviennent souvent et qui
doivent être notées comme de bonnes formes (...), les réponses-forme moins bonnes,
moins nettement vues, sont notées F. Malgré l’existence d’une zone centrale statistiquement définie, il reste une certaine latitude au jugement subjectif pour apprécier ce
qui est meilleur ou moins bon que ces "bonnes" formes normales, mais on arrive à
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 8
déterminer avec une sécurité approximative quelles sont les formes meilleures et les
formes moins bonnes que les réponses normales." - (Rorschach, op. cit., p. 11)
Remarquons au passage le flou et la fragilité de ces critères chez Rorschach lui-même,
qui n’indique ni la population exacte de son échantillon, ni le seuil choisi pour considérer
qu’une réponse-forme peut être considérée comme F+ ou comme F. Malgré les précautions
statistiques prises, l’établissement des F+ est donc en partie empirique, et certains cliniciens
préconisent même ne pas coter et de ne pas prendre en compte dans l’analyse du Rorschach la
qualité des réponses-forme (Minkowska, 1956).
De nos jours, on peut se référer à des tables mises au point par divers auteurs classiques,
et dont on pourra trouver une compilation systématique dans le Manuel de cotation des formes
dans le Rorschach de Cécile Beizmann (1966), ou à des tables plus récentes mais toujours
empiriques et très relatives.
Dans certains cas, il sera difficile de départager entre une F+ et une F, notamment
lorsque le contenu de la réponse ne permet pas cette évaluation (ex : "un monstre", "un morceau
de squelette", "des îles", "une sorte d’animal"...). On cotera alors la réponse en F±. (Dans le
calcul du F+ %, les réponses F± comptent pour un demi-point.)
H. Rorschach a en effet proposé de mettre en compte la proportion de bonnes formes
par rapport au nombre des réponses-forme dans un protocole donné (ou F+ %). Plus tard, Bruno
Klopfer a complété ce F+ % par un pourcentage des réponses-forme, ou : F%, adopté et utilisé
notamment en France.
2.1.2. Valeur interprétative
Dans le système de Rorschach, la réponse F en elle-même est moins significative que le
F+ %. On peut toutefois remarquer qu’elle correspond à une saisie perceptive qui se fait en
fonction de la structure du stimulus : "... elle est donc effort d’organisation rationnelle, mais
aussi effort d’adaptation au stimulus" - (Rausch de Traubenberg, op. cit., p. 73).
D’où l’idée que le F % va pouvoir nous informer "… sur le mode de réaction spontanée
à une situation, en l’occurrence d’examen, mode suggérant un abord plus intellectuel et
socialisé qu’affectif et personnel. Elevé, il peut être interprété comme une mise à distance des
aspects affectifs, et trop bas, comme une trop forte ingérence de ces mêmes aspects" (ibid.,
p. 73).
David Rapaport a proposé d’évaluer, en plus du F %, un F % élargi incluant
au nombre des réponses uniquement formelles (F), celui des réponses à déterminant composite
(CF, FC, EF, FE, ClobF, FClob).
Quant au F+ %, Hermann Rorschach considère qu’il constitue "une première
composante de l’intelligence" - (Rorschach, op. cit., p. 49).
"(Le F+ %) nous renseigne sur les capacités d’attention du sujet et mesure la précision
de la pensée et des processus associatifs. Toutefois, comme pour la plupart des autres
facteurs du Rorschach, le F+ % dépend non seulement du facteur intelligence, mais
également de facteurs affectifs." - (Beizmann, 1974, p. 183)
En fait, et dans la mesure où il repose sur le double critère d’une fréquence d’apparition
et d’une précision perceptive, il est difficile d’attribuer au F+ % une signification univoque.
"Ceci justifie amplement la distinction à faire entre le F+ % optimum et le F+ %
maximum, le maximum – 95 à 100 % – correspondant à la rigidité extrême avec
valorisation d’un contrôle intellectuel au détriment du contact spontané et l’optimum –
85 % – permettant une adaptation intellectuelle plus souple.
"L’évaluation des formes dépend, qu’on le veuille ou non, de la propre tolérance de
l’examinateur face à l’ambigüité et de sa plasticité perceptive et il convient de se méfier
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 9
aussi bien de ses tendances par trop objectives que de ses désirs d’aller au-devant du
sujet." - (Rausch de Traubenberg, op. cit., p. 76)
2.2. Réponses-mouvement
2.2.1. Définition
On dira qu’il y a réponse-mouvement ou réponse kinesthésique, lorsque l’interprétation de la tache par le sujet est déterminée non seulement par la forme, mais aussi par une
impression de mouvement ou de mobilité.
En France, on distingue quatre types de réponses kinesthésiques :
a) La kinesthésie humaine (ou K) : lorsqu’une forme humaine est vue en mouvement,
qu’il s’agisse d’un mouvement ou d’une action clairement exprimée, ou d’une attitude, une
posture, une relation, ou une intention.
Exemples :
 pl. II : "des clowns qui dansent"
 pl. VII : "deux femmes qui se regardent"
 pl. IV : "un géant assis sur un tronc d’arbre".
N.B. : Par convention, toute réponse d’être humain donnée à la planche III (dans le
noir) est automatiquement cotée K, même si aucun indice kinesthésique n’est claire-ment
mentionné.
b) La petite kinesthésie (ou kp) : correspond soit à une figure humaine vue en entier
mais perçue dans un petit détail (Dd), soit à une partie de figure humaine vue en mouvement.
Exemples :
 pl. VI : "deux femmes agenouillées" (Dd entre partie sup. et partie inf.)
 pl. I : "des mains qui applaudissent" (saillies médianes sup.).
c) La kinesthésie animale (ou kan) : lorsqu’il s’agit d’une forme animale vue en
mouvement, et qu’une action lui est clairement attribuée.
Exemples :
 pl. I : "un papillon les ailes ouvertes"
 pl. IV : "un ours qui se dresse sur ses pattes arrière"
 pl. X : "une araignée qui attrape une mouche" (= bleu lat. sup. + vert lat. sup.).
Pour la planche VIII, quelques auteurs cotent kan les "animaux" vus dans les D roses
latéraux (réponse banale) lorsque la planche est tenue sur le côté (< ou >), et F+ lorsqu’ils sont
vus depuis la position à l’endroit.
d) La kinesthésie d’objet (ou kob) : lorsqu’il y a attribution d’un mouvement interne à
un objet, à un élément, ou plus généralement à tout contenu non humain ou non animal.
Exemples :
 pl. IX (à l’envers) : "l’explosion d’une bombe atomique"
 pl. II : "une fusée qui décolle" (Dbl + rouge médian)
 pl. II : "du sang, ça gicle partout" (rouge).
Remarquons que le principal facteur distinctif des réponses kinesthésiques telles qu’on
les conçoit dans la nomenclature française, est le contenu de la réponse, et que l’on peut ici
repérer une redondance, dans la définition de ces réponses, entre déterminant et contenu, voire
entre déterminant et appréhension (dans le cas des kp).
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 10
Hermann Rorschach, quant à lui, ne considérait comme réponse-mouvement que celles
où "le sujet voit des figures humaines, à moins qu’il ne s’agisse d’animaux faisant des
mouvements humains (ours, singes)" (op. cit., p. 13). Les animaux ou les objets vus en
mouvement correspondaient pour lui à des réponses-forme.
"Ce sont des réponses-forme, des descriptions qui n’obéissent qu’à la forme, et
l’indication du mouvement n’est souvent qu’un enjolivement oratoire de la réponse, une
association secondaire. Cela reste vrai même quand le sujet esquisse le mouvement de
quelque manière. Il s’agit alors d’un éveil associatif de mouvements nommés, et non
pas de mouvements ressentis." - (op. cit., p. 13)
2.2.2. Valeur interprétative
Le facteur kinesthésique est au centre de l’épreuve de Rorschach, et l’on ne s’étonnera
guère d’apprendre qu’il a fait l’objet de très nombreuses discussions.
a) Les kinesthésies humaines (K) : Empiriquement, Rorschach a relevé un rapport
proportionnellement inverse entre motilité et kinesthésie : plus il y a motilité, moins il y a de
kinesthésies – et vice versa. D’où l’idée que les réponses K sont en rapport avec "une capacité
de création intérieure" et qu’elles "sont les représentantes du penchant à l’activité d’intériorisation à l’introversivité" (op. cit., p. 88).
Les cliniciens contemporains accordent au facteur K une signification plus étendue et
plus complexe. En reprenant une analyse développée par N. Rausch de Traubenberg, on peut
distinguer deux aspects en jeu dans la réponse K et qui peuvent en guider l’interprétation :
 un aspect "intellectuel sensori-moteur" : La qualité perceptive de la réponse K (facteur
F et appréhension) peut nous renseigner sur la manière dont le sujet a pu intégrer de façon
équilibrée perception et expérience imaginaire. Elle se révèle ainsi en lien avec une
représentation différenciée de soi.
 un aspect "projectif" : Le contenu humain de la réponse K suppose, d’autre part, une
expérience d’empathie (Schachtel) et un intérêt social. La K renvoie alors à une capacité
d’identification.
En bref : La diversité des significations possibles des réponses K nécessite une analyse
systématique de leurs éléments constitutifs dans un protocole donné :
˗ nombre
˗ mode d’occurrence (les planches qui favorisent le plus les K sont, dans un ordre de
fréquence décroissant, les planches III, II, I, et VII)
˗ qualité formelle
˗ contenu humain
˗ type de mouvement : Rorschach distinguait les K d’extension (mouvements
ascendants) et les K de flexion (mouvements descendants), mais on peut aussi
prendre en considération la fonction du mouvement perçu : posture, action, relation,
etc.
˗ tonalité affective de la réponse.
"Seul le dépouillement qualitatif fera apparaître le rôle précis de la K et l’essentiel de
sa signification dans un protocole donné : en effet, un nombre suffisant de K (...) ne
signifie guère imagination créatrice ni capacité d’identification si les K ne sont
amenées que progressivement, comme composées à partir des formes isolées et
dynamisées en dernier ressort (...). Si, de plus, l’image humaine est indéterminée,
personnes, personnages, il ne sera pas question d’identification réussie." - (Rausch de
Traubenberg, op. cit., p. 89)
b) Les petites kinesthésies (kp) : Lorsqu’il s’agit de réponses kp vues dans des détails
(figures humaines entières localisées en Dd ou en Dbl) et si ces kp sont les seules kinesthésies
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 11
humaines présentes dans le protocole, elles peuvent être considérées comme un indice de nonengagement, de restriction, ou d’inhibition. Les kp de parties du corps sont d’un caractère
différent, éventuellement en rapport avec une vigilance paranoïde ou avec des processus
confabulatoires.
c) Les kinesthésies animales (kan) : Partant du constat empirique que les kan mettent le
plus souvent des activités "primaires", instinctuelles (dépendance orale, agressivité, captation...),
et qu’elles sont plus fréquentes chez l’enfant que chez l’adulte, - on a pris l’habitude de
considérer qu’elles sont représentatives d’une attitude affective infantile (régressive ou
progressive, immaturité ou création, puérilisme ou fantaisie).
d) Les kinesthésies d’objet (kob) : Dans la mesure où elles correspondent à des
mouvements vifs ou violents, et où elles sont associées à de la couleur ou à de l’estompage, les
réponses kob sont habituellement comprises comme l’expression d’une énergie pulsionnelle
conflictuelle, mais peu élaborée, non utilisée (Piotrowski). Dans le cas d’une kob plus neutre ou
plus passive ("de l’eau qui coule", "une feuille qui tombe dans le vent"...), on peut envisager la
signification d’une attitude plus passive, plus dépressive.
2.3. Réponses-couleur
2.3.1. Définition
On parlera de réponse-couleur lorsque l’interprétation de la tache par le sujet
est déterminée, outre la forme, par la couleur (présente dans plusieurs des planches). Empiriquement, Rorschach a établi que la réponse-couleur est en lien avec une certaine labilité
affective. Il en fait même la base d’une définition de l’affectivité :
"Il est vraisemblable (...) que les réponses-couleur ne représentent pas une disposition
individuelle comme les K, mais une disposition générale qui, au moins chez un certain
nombre de sujets, se soumet à la représentation consciente d’un but, et permet aux
sujets d’évoquer, de multiplier ordinairement les réponses-couleur et ordinairement
aussi de les inhiber. Cette "disposition générale" – si l’on peut encore ici parler de
disposition – est l’affectivité." (op. cit., p. 65)
De plus, constatant que les K et les C pouvaient difficilement être réprimées séparément, Rorschach leur reconnaissait un rapport intime, qu’il opposait globalement à "la vision
consciemment bonne des formes", c’est-à-dire aux réponses F.
Les auteurs plus récents ont souligné le caractère réceptif de l’effet-couleur :
"L’expérience perceptive de la couleur peut être expliquée par le concept de passivité
perceptive vis-à-vis des stimuli visuels, impliquant un arrêt momentané du travail actif
d’organisation ou une absence de capacité à accomplir ce travail. (...)
"La perception de la couleur est, à une certaine étape [du développement psychique],
antagoniste de la perception forme en ce sens que c’est une expérience plus immédiate,
plus directe, exigeant moins de capacité d’organisation et se satisfaisant d’une attitude
passive de la part du sujet. À une autre étape du développement elle aura un rôle
d’activation et d’articulation de la forme qu’elle individualisera et enrichira." (Rausch
de Traubenberg, op. cit., p. 108-110)
Rorschach a proposé de distinguer quatre types de réponses-couleur :
a) La réponse-couleur pure (ou réponse C) : lorsque la réponse est déterminée uniquement par la couleur.
Exemples :
 pl. II : "du sang" (rouge)
 pl. IX : "un incendie" - "de l’aquarelle"
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 12
 pl. VIII : "ça me fait penser à de l’eau de mer" (bleu-vert).
b) La réponse couleur-forme (ou réponse CF) : lorsque le déterminant couleur domine
l’interprétation, conjointement à un facteur formel vague ou imprécis.
Exemples :
 pl. II : "des taches de sang" (rouge)
 pl. IX : "des flammes" (orangé) - "un coucher de soleil"
 pl. X : "un bouquet de fleurs".
c) La réponse forme-couleur (ou réponse FC) : lorsque le facteur couleur est intégré
dans une réponse formelle élaborée, qu’elle complète ou qualifie.
Exemples :
 pl. III : "un nœud-papillon rouge" (rouge médian)
 pl. VIII : "un plat décoré"
 pl. X : "deux pattes de grenouille" (parties lat. du vert médian, le facteur de la
couleur étant ici à vérifier lors de l’enquête).
d) Il arrive que certains sujets utilisent le noir, le gris, ou le blanc des taches comme
couleurs (réponses-couleur achromatiques). On cotera alors ce type de réponses par le
symbole C’, en distinguant comme pour les autres réponses-couleur : C’ pure, C’F, FC’.
Exemples :





pl. V : "du charbon" (C’)
pl. II (Dbl médian) : "une plaque de verglas" (C’F)
pl. VII : "des nuages gris" (C’F avec estompage de diffusion)
pl. I : "un "loup" (masque) en tissu noir" (FC’)
pl. VII (Dbl médian) : "une lampe en porcelaine blanche" (FC’).
e) Enfin, Rorschach a repéré, chez certains sujets, des réactions de "stupeur affective et
associative plus ou moins brève, plus ou moins prolongée" face aux planches présentant de la
couleur (op. cit., p. 25). Il a dénommé ce phénomène : choc-couleur.
Par extension de cette première définition du choc, divers auteurs ont défini après
Rorschach d’autres types de "choc" : au blanc, au vide, au noir, au clair-obscur, kinesthésique,
sexuel... (voir : Loosli-Usteri, 1965, p. 120-122 et 133-134).
Attention :
 On ne cote pas le facteur couleur lorsqu’il s’agit simplement d’une nomina-tion ou
d’une énumération de la couleur (ex. : "c’est du rouge", "il y a du bleu, du vert, du
rose"... = réponses cotées Cn, non comptabilisées dans le psychogramme).
 On ne cote pas non plus la couleur lorsqu’elle n’est mentionnée que pour désigner la
partie interprétée (ex. : "là, dans le rouge, c’est un papillon", pour le détail médian
de la planche III, n’est pas une réponse-couleur mais une réponse F localisée dans un
détail rouge).
 Il n’est pas toujours facile de distinguer entre eux les déterminants CF et FC. Dans le
cas où les indications données par l’enquête ne suffisent pas à trancher, on peut se
reporter à la qualité formelle des réponses-couleur à coter (s’il s’agit d’une F et que
les réponses-forme données dans le même protocole sont F+, il s’agira plutôt de CF),
ou à la présence éventuelle de réponses C pure dans le protocole (autre indice en
faveur d’une CF).
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 13
2.3.2. Valeur interprétative
Soulignons en premier lieu que le facteur couleur ne résume pas à lui seul l’affectivité
dans l’épreuve de Rorschach. Ce n’est pas parce qu’un protocole donné ne comporte aucune
réponse-couleur que le sujet est pour autant "inaffectif". D’où la question de savoir de quelle
affectivité il s’agit dans la réponse-couleur.
"Lorsque l’on parle de réponses couleur, il s’agit bien de l’affectivité, mais peut-être
plus d’une excitabilité de l’affect que de l’affect lui-même (...). L’affectivité au sens des
réponses couleur est conçue comme une facilité à vibrer en fonction d’éléments
extérieurs à soi, le terme d’extratensivité proposé par Rorschach semble exprimer
l’attitude globale d’être facilement impressionné par la situation extérieure, événement
ou contact avec autrui. Cette attitude globale extratensive n’est guère neutre, sa
tonalité est soit négative, soit positive (...) et elle inclut de par cela même une certaine
anxiété. Il convient de préciser que l’anxiété liée à l’excitation, à l’instabilité est bien
une anxiété ou une inquiétude plutôt qu’une angoisse massive inhibitrice qui, elle, se
manifeste dans les réponses clair-obscur." - (Rausch de Traubenberg, op. cit., p. 124)
a) Le choc-couleur : Pour Rorschach, le choc-couleur témoigne d’un refoulement des
affects, notamment lorsqu’il s’agit d’une réaction négative au rouge alors que les couleurs
pastels ne provoquent pas le même malaise (choc au rouge). De manière plus générale, le
phénomène de choc indique une fragilité, une sensibilité anxieuse à la couleur (ou à certaines
couleurs)4 dont la signification est à rechercher en fonction du contexte et des modalités de son
apparition. La couleur peut par exemple servir de support à l’évocation de climats ou
d’ambiances significatifs pour le sujet : chaud/froid (couleurs "chaudes"/couleurs "froides"),
gai/triste, lumineux/sombre ou terne, air/terre, eau/feu…
b) La réponse-couleur pure (C) : Rorschach a établi empiriquement un rapport entre la
réponse-couleur pure et l’impulsivité. On peut nuancer cette proposition en constatant en fait la
diversité qualitative de la C pure :
"... car la sensibilité indifférenciée au stimulus sensoriel qu’indique la seule présence
de la réponse C est utilisée à des niveaux différents et suppose des attitudes différentes.
(...) L’éventail des réponses symbolisées par C pur est assez large, ces réponses
paraissent se situer à deux extrêmes du point de vue de l’intensité de la participation et
du point de vue de la tonalité affective : activité impulsive, voire destructive ou
autodestructive, ou éloignement jusqu’à l’abstraction. La réponse C est une prise de
position massive dans l’engagement ou le dégagement (...). Dans le C pur, il n’y a pas
de modulation, celle-ci est apportée par les modes d’apparition de la réponse dont
l’analyse est capitale si l’on veut tenter d’en expliquer la raison d’être." - (Rausch de
Traubenberg, op. cit., p. 112-113)
c) La réponse CF : Pour Rorschach la CF est l’indice "de la labilité affective, de
l’excitabilité, de la susceptibilité et aussi de la suggestibilité" (op. cit., p. 22). Plus généralement, on considère que, dans les réponses CF, l’aspect émotionnel est moins intense
que dans la C pure, pondéré "par la présence du F qui est une tentative d’adaptation à
l’objectivité, un effort de contrôle rarement efficace du reste" - (Rausch de Traubenberg, op.
cit., p. 114-115).
d) La réponse FC : Dans la même logique progressive, graduelle entre les deux pôles C
et F, la réponse FC, enfin, apparaît pour Rorschach comme "une expression de la volonté
d’adaptation [affective]" (Rorschach, op. cit., p. 23). La couleur vient enrichir ou spécifier la
4
- La couleur peut par exemple servir de support à l’évocation de climats ou d’ambiances significatifs pour le sujet : chaud / froid (couleurs "chaudes" / couleurs "froides"), gai / triste, lumineux /
sombre, air / terre, eau / feu…
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 14
perception (à la condition, bien entendu, qu’il s’agisse d’une F+). Mais la FC peut être aussi
l’indice d’une atténuation et d’un contrôle (plus ou moins réussi) du déterminant C.
e) Les réponses-couleur achromatiques (C’, C’F, FC’) : Simplement signalées par
Rorschach (dans l’article posthume de 1923), peu étudiées depuis, ces réponses demeurent assez
énigmatiques. D’après leur occurrence constatée plutôt chez des sujets dépressifs ou
abandonniques, on considère qu’elles renvoient à une humeur dysphorique (dans le noir et le
gris), ou à une sensibilité au vide, au manque, au lacunaire (lorsqu’elles sont associées au
blanc).
N.B. : Dans le psychogramme, et afin de prendre en compte la variabilité des réponsescouleur, on n’utilisera pas la somme brute de ces réponses, mais leur somme pondérée selon le
barème suivant :
˗ C ou C’
˗ CF ou C’F
˗ FC ou FC’
= 1,5 point
= 1 point
= 0,5 point
Exemples :
 Pour un protocole comportant 1 C, 3 CF, 0 FC – la somme pondérée sera : 4,5 (pour
4 réponses-couleur).
 Ou encore : la répartition O C, 1 CF, 5 FC = 3,5 (pour 6 réponses-couleur).
D’autre part, on peut également prendre en compte le R.C. % (ou rapport-couleur),
qui correspond au pourcentage de réponses (quelles qu’elles soient) données aux trois dernières
planches VIII-IX-X par rapport au nombre total de réponses. Sur la base moyenne de 30-40 %,
on pourra apprécier par le R.C. % si la couleur présente dans ces planches a pu inhiber la
production du sujet (R.C. % inférieur à 30), ou si au contraire elle l’a facilitée (R.C. % supérieur
à 40). Ce facteur est surtout intéressant dans le cas d’un nombre de réponses-couleur faible ou
très élevé.
Exemples:
 Une somme de réponses-couleur peu élevée avec un R.C. % élevé indique qu’il y a
eu résonance importante à la couleur mais sans intégration de celle-ci dans le
processus d’élaboration des réponses, à moins qu’il ne s’agisse d’un effet de la
structure des planches VIII, IX, X (mode d’appréhension).
 Un R.C. % élevé avec une somme importante de réponses-couleur doit nous
interroger sur l’effet dominant des couleurs-pastels par rapport à celui du rouge aux
planches II et III ou à celui du noir-et-blanc interprété comme couleur.
 À l’inverse, un R.C. % faible avec une somme importante de réponses-couleur
attirera notre attention sur l’effet dominant du rouge, ou éventuellement sur celui du
noir-et-blanc (réponses de type C’).
2.4. Réponses clair-obscur
Dans sa conférence de 1922 (dite "posthume", publiée après sa mort en 1923), H.
Rorschach introduit un nouveau facteur esthésique, qu’il nomme interprétation clair-obscur (en
allemand : dunkel Farben = "couleur sombre") : "c’est-à-dire les interprétations-forme qui
tendent vers la réponse-couleur... où ce ne sont pas à proprement parler les valeurs de tonalité
des couleurs qui ont décidé mais les valeurs de clarté et d’ombre" (1923, p. 222).
Ultérieurement, les travaux de Binder (1932), puis ceux de Klopfer (1937-38) et de
Beck (1944) ont affiné ce déterminant. En France, Ombredane et Canivet (1945) ont proposé
une adaptation du facteur clair-obscur inspirée du travail de Klopfer. Ils distinguent :
˗ les réponses clair-obscur proprement dites (symbole Clob)
˗ les réponses d’estompage (symbole E)
˗ les réponses-couleur achromatiques (symbole C’).
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 15
Nous ne reviendrons pas sur les réponses C’ déjà présentées (voir supra, 2.3.1 et 2.3.2).
Nous envisagerons à présent les réponses Clob, puis les réponses E.
2.4.1. Définition des réponses Clob
Dans la nomenclature française, la réponse clair-obscur se caractérise par trois
facteurs :
 l’influence de la surface de la tache
 l’influence de son caractère foncé, sombre
 la tonalité dysphorique de la réponse.
Les réponses clair-obscur surviennent principalement aux planches noires, mais on peut
aussi en rencontrer dans de la couleur, en particulier à la planche IX (en raison du mélange des
couleurs proposé par cette planche) et parfois à la planche II.
On considère aujourd’hui que la réponse clair-obscur se rapproche davantage de la
kinesthésie que de la couleur, dans la mesure où elle implique, comme la kinesthésie, un apport
"individuel" de la part du sujet.
"Ce caractère pénible exprimé dans le thème est amené par le sujet, il constitue donc le
résultat d’une projection. Il y a d’un côté la sensibilité au stimulus foncé en tant que tel,
sensibilité qui peut s’exprimer aussi en un C’, et de l’autre côté l’apport projectif
d’images, de contenus dysphoriques menaçants. Ces images sont apparentées à celles
des cauchemars et des phobies et ont un caractère "sinistre et sidératif"; la menace
agressive qu’elles comportent provoque une réaction panique, d’impuissance,
aboutissant à une sidération ou au contraire à une activité de lutte." - (Rausch de
Traubenberg, op. cit., p. 147-148)
Sur le même principe que les réponses-couleur, on distingue trois types de réponses
clair-obscur, auxquels on ajoute le phénomène du choc au clair-obscur.
a) Le choc Clob : Lorsque le sujet exprime (verbalement ou non) une réaction de
stupeur ou d’inhibition massive, notamment face aux planches IV, I, VI. Comme pour le choccouleur, le choc Clob peut se manifester de diverses manières : "refus" (= réponse non-cotable),
mutisme, long temps de latence, réponse différée, commentaire agressif ("ce qu’elles sont
horribles, ces images !") ou franchement anxieux ("c’est sinistre !").
b) La réponse Clob pur (ou Clob) : Comme pour la C pure, l’interprétation Clob pur
n’implique pas de définition formelle du percept et exprime davantage une ambiance, un climat
d’angoisse.
Exemples :
 pl. I : "comme une menace, une impression de cauchemar"
 pl. IV : "c’est morbide... une ambiance de mort, quoi"
 pl. V : "un orage épouvantable".
c) La réponse ClobF : En ce cas, l’impression dysphorique s’associe à un facteur
formel secondaire, dans un essai plus ou moins réussi de maîtrise de l’affect.
Exemples :
 pl. IV : "peut-être une sorte d’animal, il a l’air méchant"
 pl. II : "comme dans un film d’horreur... on aperçoit des gens dans l’ombre"
 pl. IX (Dbl médian) : "c’est dégoûtant, ça ressemble à une flaque de boue".
d) La réponse FClob : Le facteur clair-obscur est ici intégré dans un détermi-nant
formel dominant.
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 16
Exemples :
 pl. I : "un masque qui fait peur"
 pl. IV : "un gorille tout noir, sale, terriblement sale"
 pl. V : "une chauve-souris de nuit, peut-être un vampire".
2.4.2. Valeur interprétative
En complément aux remarques précédentes quant à la signification générale, indicative
d’angoisse, du facteur clair-obscur, ajoutons qu’il s’associe fréquemment au déterminant
kinesthésique, et en particulier à des kinesthésies humaines. Quelques cliniciens ont préconisé
de spécifier des ClobK ou des KClob, supposés plus dynamiques et plus "adaptatives" que les
ClobF ou les FClob (Rausch de Traubenberg, op. cit., p. 150-151).
2.5. Réponses d’estompage
2.5.1. Définition
On appelle réponses d’estompage les réponses déterminées, non par le noir ou le gris
eux-mêmes, mais par les nuances d’ombre et de lumière qui peuvent y être perçues.
L’estompage s’étaie donc sur les variations tonales internes à la surface du stimulus. Il peut
aussi survenir à partir d’une tache de couleur. En raison de son caractère sensoriel, le
déterminant estompage se rapproche d’ailleurs du déterminant couleur :
"Dans la couleur comme dans l’estompage l’impact sensoriel prime, dans la K comme
dans les kinesthésies mineures l’apport projectif prime, quant au Clob, rigoureusement
défini, il suppose également plus de projection que d’estompage." - (Rausch de
Traubenberg, op. cit., p. 138)
Selon les mêmes principes que pour les réponses-couleur et les réponses clair-obscur,
on distingue trois types de réponses d’estompage :
a) La réponse E pur (ou E) : S’exprime par une impression sensorielle globale, vague,
peu différenciée.
Exemples :




pl. VI : "c’est tout doux, comme de la fourrure"
pl. VII : "une sorte de fumée, presque invisible, légère", "de la mousse à raser"
pl. IX : "quelque chose de gélatineux, c’est transparent comme de la gélatine"
pl. I : "une vision dans la brume".
b) La réponse estompage-forme (ou EF) : L’impression sensorielle liée aux dégradés
et aux ombres de la tache se complète par un déterminant formel.
Exemples :
 pl. VII : "des nuages de fumée"
 pl. IV : "c’est une vue aérienne, on aperçoit des montagnes avec les vallées, les
reliefs"
 pl. VI : "la fourrure d’un animal".
c) La réponse forme-estompage (ou FE) : En ce cas, le facteur E vient qualifier une
réponse-forme.
Exemples :
 pl. IV : "un ours en peluche"
 pl. I : "un masque en velours noir"
 pl. IV (à l’envers) : "un ravin montagneux, on voit un château au loin " (château =
détail médian inf.).
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 17
d) L’estompage peut aussi intervenir dans des réponses-couleur :
 pl. VIII : "l’intérieur d’une fleur exotique, ses pétales sont doux, comme veloutés"
(CF vérifié à l’enquête + EF)
 pl. IX : "un vase multicolore, irisé... on dirait de la pâte de verre" (FC + FE).
2.5.2. Valeur interprétative
En France, et sous l’influence du système de Klopfer, on interprète le facteur estompage
non seulement selon la présence ou non d’un facteur formel associé (E, EF, FE), mais aussi
selon le contenu de la réponse. On distingue ainsi :
˗ l’estompage de diffusion : lorsque le contenu évoque une impression d’inorganisation, d’évanescence, ou de dissolution ;
˗ l’estompage de texture : lorsqu’il s’agit d’un contenu sensoriel, tactile ;
˗ l’estompage de perspective : lorsque les dégradés et nuances perçus dans la tache
contribuent à produire une impression tridimensionnelle (relief, profondeur, vue à
distance...).
Remarquons qu’une telle nomenclature implique une redondance entre déterminant et
contenu (nous avions déjà relevé le même phénomène à propos des réponses kinesthésiques).
Elle témoigne, de plus, de l’étonnante hétérogénéité des réponses d’estompage.
Leur exemple, enfin, renvoie à une question théorique fondamentale dans l’épreuve de
Rorschach mais encore non résolue, et que les réponses kinesthésiques nous posent aussi – à
savoir : comment, à partir de la perception d’une image statique et en deux dimensions, peut
naître une impression de mouvement, de relief, ou de contact ?...
a) La réponse E pur : On considère classiquement que la réponse E témoigne d’un
malaise anxieux, en particulier lorsqu’il s’agit d’un E de diffusion. Mais à la différence du Clob
pur qui relève plus de l’angoisse, le facteur E renverrait davantage à de l’anxiété.
"(Dans les réponses Clob pur), même lorsque l’estompage indifférencié est à la base
des réponses, il est comme investi d’une caractéristique supplémentaire plus
directement menaçante et reconnue comme telle. L’estompage pur est un milieu non
organisé, parfois caractérisé par la vacuité, mais souvent calme, où l’anxiété est très
sourde, alors que dans le Clob la réaction est beaucoup plus explicite et liée à la
proximité du danger. L’impression vague d’insécurité passive de E prend forme en
quelque sorte et devient directement anxiogène, ce qui provoque un effet de riposte
active ou de paralysie." - (Rausch de Traubenberg, op. cit., p. 141)
b) La réponse EF : La charge affective des réponses EF est moins fréquemment
dysphorique que dans les réponses E pur.
Constatons, d’autre part, que c’est surtout au niveau des réponses EF que les auteurs
français accordent au contenu un caractère différenciateur :
˗ le EF de diffusion : manifeste une sensibilité à l’instable, au fragile, au caractère
fuyant de l’objet perçu, avec tout le désarroi ou la perplexité que cela peut impliquer.
Mais il peut aussi renvoyer à un engagement perceptif prudent, peu affirmé, ou
contrôlé.
˗ le EF de texture : témoigne d’une affectivité sensorielle, qui recherche le contact
physique (la réponse EF Texture est d’ailleurs souvent accompagnée d’un geste de
toucher de la planche). La qualité (positive ou négative) de ce contact et de ses
modalités (chaud/froid, mou/dur, doux/rugueux...) sera un indice interprétatif
précieux.
˗ le EF de perspective : diffère des constructions formelles vues en perspective, par
son usage conjoint de la profondeur et de la diffusion, ou de la profondeur et de la
différenciation de plans; mais on trouvera aussi des EF de perspective comportant
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 18
des aspects de texture (par exemple, dans les réponses de reliefs géographiques vus
de loin ou aperçus en vue aérienne). Les auteurs contemporains considèrent que les
constructions spatiales de type EF correspondent à un aménagement "à distance", ou
"dans l’écart", du percept anxiogène par rapport à soi.
c) La réponse FE : Elle peut être de signification diverse, et n’implique pas forcément
un facteur d’anxiété. D’après N. Rausch de Traubenberg, la présence du facteur FE "suppose
soit une plasticité de représentation spatiale, soit une finesse intuitive dans les relations, un
certain tact et délicatesse face à autrui, soit encore une tension anxieuse devant ce qui est sousentendu et peut-être menaçant..." (op. cit., p. 144).
3. Critères de contenu
Le troisième registre d’analyse introduit par Hermann Rorschach concerne le propos des
réponses, plus couramment appelé leur contenu.
En fait, Rorschach ne s’est principalement intéressé qu’aux contenus animaux, et
secondairement aux contenus humains, avec une attention moindre encore aux autres contenus
possibles : "objets inanimés... abstractions... faits personnels" (op. cit., p. 39). Depuis
Rorschach, ces contenus autres ont été plus précisément définis (voir infra, 3.3).
3.1. Contenu animal
3.1.1. Définition
On cotera par le symbole A toute réponse figurant un animal vu en entier et par le
symbole Ad toute interprétation d’une partie d’animal. S’il s’agit d’un animal irréel, on parlera
de réponses pseudo-animales, écrites par les symboles (A) et (Ad).
Exemples :
 pl. I : "un animal avec des ailes" = G F+ A
 pl. II (saillies médianes sup.) : "des pinces de crabe" = D F+ Ad
 pl. IX (rose, à l’envers) : "la tête de Mickey" = D F (Ad).
3.2.2 Valeur interprétative
Dans le psychogramme, Rorschach retient, non pas le nombre des réponses A, mais le
pourcentage de réponses A par rapport au nombre total de réponses, ou : A%.
Dans la mesure où le contenu A est le plus fréquent et apparemment le plus facile,
Rorschach considère le A % comme "une sorte d’indice de stéréotypie... une mesure assez sûre
de la stéréotypisation aussi bien normale que pathologique sous la plupart de ses formes" (op.
cit., p. 37). M. Loosli-Usteri propose de parler ici d’ "automatisation de la pensée" plutôt que de
stéréotypie (1965, p. 89).
Dans le calcul du A %, les réponses Ad et (Ad) valent un demi-point.
D’autres auteurs ont insisté sur l’intérêt qualitatif des réponses animales :
"D’un point de vue qualitatif, quand les réponses A sont nombreuses, il faut
se livrer à une analyse plus fine pour juger du caractère socialisant ou non
de ces contenus : en effet, il arrive qu’ils soient sous-tendus non pas par des
mécanismes d’adaptation mais par une fantasmatique morbide. La surabondance
répétitive d’un bestiaire présentant une facture primitive, mal différenciée, archaïque,
témoigne davantage du primat d’une activité imaginaire ou délirante dont les aspects
désocialisés sont patents." - (Chabert, 1983, p. 219)
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 19
3.2. Contenu humain
3.2.1. Définition
On cotera par le symbole H les réponses figurant un être humain vu en entier, et par le
symbole Hd l’interprétation d’une partie de corps humain.
On rencontre parfois des contenus d’êtres humains irréels : personnages fantastiques ou
de fiction, tels démons, lutins, sorcières, personnages de dessins animés... En ce cas, on parle de
contenus pseudo-humains, cotés par les symboles (H) et (Hd) selon qu’il s’agit d’une figure
pseudo-humaine vue en entier ou partiellement.
Exemples :
 pl. II : "deux clowns qui dansent" = D K H
 pl. I (partie médiane) : "le corps d’une femme" = D F+ Hd
 pl. IV : "le Père Noël avec sa hotte et ses grosses bottes" = G F+ (H).
Catégories
Exemples
Symboles
Objet
objet usuel, objet d’art, vêtement, bijou, vase,
aliment, totem…
Obj
Botanique
arbre, fleur, feuilles, pétale…
Bot
Géographie
(dont cartographie)
île, montagne, vallée, lac, volcan, soleil,
archipel, la Bretagne, vue aérienne d’un pays
désertique, carte maritime…
Géo
Paysage
forêt au bord de l’eau, coucher de soleil,
cascade…
Pays
Élément
eau, terre, feu, air, métal, bois, pierre…
Elém
Architecture
maison, temple, château, clocher, porte,
colonne, cheminée, mur, toit, fontaine…
Arch
Anatomie viscérale
(dont radiographies)
cœur, poumons, estomac…
Anat visc
Anatomie ostéologique
(dont radiographies)
os, squelette, vertèbre, colonne vertébrale…
Anat ostéo
Sang
taches de sang, du sang,
(animal) blessé et ensanglanté…
Sang
Sexuel5
utérus, vagin, pénis…
Sex
Scène
promeneurs escaladant des rochers,
personnages qui dansent sous des lampions…
Scène
Fragment
tache, nuage, fumée, rocher, tourbillon,
éclaboussure, de la fourrure, du satin…
Frag
Symbole, signe
triangle, caducée, lettre A, blason, insigne…
Symb
Abstraction
le printemps, le 14 juillet, la richesse et
la pauvreté, la guerre, le Mal, l’amour,
de l’art moderne…
Abstr
Table des contenus autres que H et A
(d’après C. Beizmann, 1966)
5
- Ne pas confondre avec certains détails humains (Hd) ou animaux (Ad) qui peuvent avoir une
connotation sexuelle mais pas systématiquement : sein, téton, fesse, mamelle, pis, cuisse…
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 20
3.2.2. Valeur interprétative
À l’instar du A % proposé par Rorschach, les auteurs contemporains ont pris l’habitude
d’interpréter aussi, non le nombre des réponses humaines, mais leur pourcentage par rapport au
nombre total des réponses dans un protocole donné, ou : H %. (Comme pour le A %, les
réponses de détails humains Hd et (Hd) n’y entrent que pour un demi-point.)
Le H% est alors l’indice de la capacité de contact humain.
3.3. Autres contenus
Dans la classification française, outre les contenus animaux et humains, on distingue les
catégories suivantes (Beizmann, 1966, p. 20) : voir tableau ci-après.
Du point de vue interprétatif, ce sont moins les contenus eux-mêmes qui nous
intéresseront, que leur fréquence plus ou moins insistante, ou les thématiques qui peuvent
éventuellement les organiser (Schafer).
4. Autres critères
4.1. Réponses banales
Nous avons déjà indiqué les réponses banales admises par la liste française pour
chacune des dix planches de Rorschach lorsque nous avons présenté celles-ci (voir document :
Introduction à l’épreuve de Rorschach). C’est Rorschach lui-même qui a introduit ce critère, sur
une base fréquentielle empirique : ce sont "des interprétations qui sont données par un sujet sur
trois environ" (1923, p. 208).
La cotation des réponses banales s’écrit dans la marge à droite de notre feuille de relevé
des réponses (= colonne 6 du schéma présenté dans le document déjà cité).
Dans la pratique, et conformément à la logique d’une analyse toujours proportionnelle
et singulière (= clinique), Rorschach préconisait d’interpréter non le nombre de réponses
banales mais le Ban % (pourcentage des réponses banales dans un protocole donné) et la
répartition de ces réponses selon les planches (quelles réponses banales sont présentes ?
lesquelles sont absentes ?). Il considérait le Ban % comme "un autre facteur capable de nous
renseigner sur la capacité intellectuelle du sujet... Les réponses banales représentent la
participation à la manière de concevoir de la collectivité." - (1923, p. 226).
Toutefois, dans le cas d’un protocole comportant peu de réponses ( R faible), on
évaluera le nombre des réponses banales plutôt que le Ban %, afin de réduire l’inflation de
celui-ci consécutive au faible nombre des réponses.
Le Ban % peut être intéressant à comparer au A % :
"L’augmentation du nombre de banalités allant de pair avec l’élévation du A % reflète
l’utilisation d’un mécanisme de défense, d’hypersocialisation ou d’hyper-conformisme,
mécanisme assez superficiel, mais fréquemment observé chez les adolescents ou les
adultes méfiants ou réticents à l’examen." - (Rausch de Traubenberg, op. cit., p. 185)
4.2. Critères complémentaires
Quelques auteurs ont proposé des critères de cotation spéciaux, complémentaires à la
méthode de base héritée de Rorschach, et que l’on écrit dans la colonne 6 de la feuille de relevé.
Ces critères constituent parfois de véritables échelles de "cotation parallèle", greffées sur
l’épreuve de Rorschach et souvent basées sur le contenu des réponses, telle la Grille de
représentation de soi de Nina Rausch de Traubenberg et Anne Andronikof-Sanglade (1984).
Nous ne retiendrons ici que deux exemples classiques, empruntés aux travaux de
Françoise Minkowska (1956) et de S. Fischer & S.E. Cleveland (1958).
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 21
4.2.1. Critère de Glischroïdie / Schizoïdie
À une époque où l’analyse interprétative du Rorschach était surtout quantitative, F.
Minkowska a montré l’importance aussi "du langage et des expressions employés par les sujets
testés" (1956, p. 133). S’inspirant de la psychologie phénoménologique, elle est ainsi l’une des
premières cliniciennes à avoir attiré l’attention sur les caractéristiques de l’énonciation des
réponses, à une époque où l’interprétation était encore principalement fondée sur le psychogramme. Ses études cliniques sur la schizophrénie et sur l’épilepsie essentielle au moyen du test
de Rorschach ont mis en évidence, d’une part les mécanismes de la Spaltung (clivage) décrite
par Bleuler dans la schizophrénie, et d’autre part la "mainmise" du facteur lien observable
notamment dans l’épilepsie.
"Ainsi se différencient sous le signe du langage deux mondes différents : le monde du
schizophrène fait d’abstraction, de rigidité, d’immuabilité, monde morcelé, fragmenté
avec prédominance du facteur rationnel ("rationalisme morbide" de Rogues de Fursac
et Minkowski), et le monde de l’épileptique que gouvernent le concret, le sensoriel, les
kinesthésies, tantôt adhésives, tantôt explosives, de concentration excessive, créant une
atmosphère confinée, comprimée, menant à la décharge. Les mêmes différences se
retrouvent chez les schizoïdes et les épileptoïdes (glischroïdes)." - (op. cit., p. 133)
À partir des signes repérés et systématisés par F. Minkowska, ont été proposés les
symboles Glisch et Schiz pour coter l’émergence éventuelle de mécanismes glischroïdes ou
schizoïdes dans les réponses Rorschach :
˗ on cotera Schiz les expressions telles : "coupé en deux, partagé en deux, divisé,
dissous, rongé, déchiqueté", "une tête, un cou détachés, séparés", "fragments",
"quelque chose qui manque", etc.
˗ on cotera Glisch lorsque dominent des expressions telles que : "attaché, relié,
rapproché, soudé, scellé", "coller, assembler, rassembler", les prépositions "entre",
"sur", "contre" (proximité de contact), les kinesthésies caractérisées par l’adhésivité.
Dans une clinique plus actuelle, ces indices peuvent principalement nous renseigner sur
le mode de relation d’objet exprimé par le sujet ou sur des modes défense relatifs à cette
relation d’objet (ex. : lutte contre la fusion ou au contraire contre la séparation, la discontinuité)
(voir infra, II.1).
4.2.2. Critère de Barrière / Pénétration
En 1958, à l’issue d’une recherche sur la personnalité de patients atteints d’arthrite
rhumatoïde, deux auteurs américains, S. Fischer et S.E. Cleveland, ont signalé un type
particulier de réponses Rorschach, caractérisées par une perception des limites vues soit comme
solides, soit au contraire comme fragiles. La poursuite de leurs recherches auprès de patients
psychosomatiques les a ainsi amenés à proposer une nouvelle cotation, dite BarrièrePénétration (symboles : B et P).
Dans l’épreuve de Rorschach, de tels phénomènes se repèrent à la faveur de
l’appréhension des taches et de la sensibilité du sujet au contour de celles-ci, à leur délimitation.
La cotation des réponses "Barrière" et des réponses "Pénétration" s’opère toutefois selon le
contenu des réponses et leur qualification verbale.
Les réponses "Barrière" (B) correspondent à des contenus d’objets contenants ou
pouvant faire support, et à des contenus impliquant l’idée d’isolement, d’enveloppe, d’écran, de
surface protectrice. Exemples : mur, enceinte, vase, peau, île, masque, carapace, couverture,
vêtement, qualification d’une surface (épaisseur, fermeté, texture)...
Les réponses "Pénétration" (P) au contraire insistent sur l’incertitude ou la vulnérabilité
des limites, à travers des réponses évoquant une enveloppe corporelle percée, ouverte (blessure,
saignement, dépeçage...), des réponses évoquant des points de passage entre dedans et dehors
(orifices corporels, cratères volcaniques, entrées et sorties diverses...), ou encore à travers des
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 22
réponses d’objets aux contours indéfinis ou aux surfaces perméables (nuages, transparences,
formes flétries, êtres fantomatiques...).
Une même réponse peut être cotée à la fois B et P. Exemples : "un manteau déchiré",
"une île marécageuse".
Fischer et Cleveland proposent de compter un point par indice présent, et estiment que
la proportion moyenne dans un protocole donné est de 4 réponses B pour 2 réponses P – la
variation significative étant de ± 2 points.
L’indice B-P s’est révélé d’un grand intérêt clinique pour les études sur des troubles du
schéma corporel et/ou sur l’investissement des limites corporelles (individuation, image du
corps, "moi-peau"), et sur les interactions dedans/dehors, intérieur/ extérieur qui s’ensuivent
(Vives, 1989).6
II. LA DÉMARCHE DE L’INTERPRÉTATION
1. Analyse synchronique et analyse diachronique
Pour interpréter les réponses recueillies à l’épreuve de Rorschach, nous
travaillerons constamment sur deux ensembles de données :
- celles de la cotation et du psychogramme, qui nous apportent une analyse
schématique et globale (synchronique) de l’organisation des réponses du sujet en fonction
des critères du mode d’appréhension, des déterminants et du contenu ;
- celles du discours du sujet, c’est-à-dire la façon dont les réponses cotées ont été
formulées par celui-ci et le contexte temporel, séquentiel (diachronique) de leur
énonciation.
1.1. Du point de vue du psychogramme, remarquons qu’il a surtout pour intérêt,
outre la vue d’ensemble synthétique qu’il nous apporte sur le protocole du sujet, de
faire apparaître des rapports entre les différents facteurs cotés.
Les nombres qui composent le psychogramme ne sont pas tant à lire comme des
quantités, que comme des proportions, des rapports entre les différents facteurs
cotés : ce sont des pourcentages, et relatifs à l’ensemble propre des réponses du sujet.
C’est donc une distribution interne de ces facteurs dans le protocole du sujet qui va nous
intéresser, pour nous donner déjà quelques indices généraux, interprétables comme
sensibilités électives, processus dominants, ou au contraire comme sous-représentations
significatives.
À charge pour nous par la suite, et conjointement aux autres données d’analyse, de
traduire ces constats en mécanismes psychiques et en positions psychologiques.
1.2. Du côté du discours (énoncé et énonciation), nous allons l’entendre à
plusieurs niveaux simultanément :
 au niveau sémantique et logique : nous serons attentifs au vocabulaire du sujet,
aux arguments par lesquels il décrira ou expliquera ses perceptions, aux aspects
communicationnels de son discours (aspect modal et aspect illocutoire du propos,
"discours d’accompagnement" de ses réponses par le sujet) ;
 au niveau spatial : au Rorschach le discours du sujet fait « voir » un espace qu’il
dénomme, décrit, qualifie, modifie, et parfois même met en scène. Nous
aurons ainsi une spatialité à observer, qui se manifestera par exemple par une
6
- Vives J.-M. (1989). "À propos de la cotation "Barrière" et "Pénétration” au Rorschach", Sillages,
12-25.
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 23
insistance sur du contour et de la frontière (Fischer & Cleveland) ; par des mises
en rapport d’un dedans et d’un dehors, d’un contenant et d’un contenu
(Chabert), du haut et du bas, du centre et de la périphérie (Loosli-Usteri) ; ou
encore par des directions privilégiées de l ’espace (Rorschach : kinesthésies
"de flexion" et "d’extension"). À travers ces rapports, se dit et se donne
à voir autant qu’à entendre un espace vécu – qui souvent est aussi un temps
vécu – dont il nous faudra repérer les caractéristiques, les récurrences
(constantes, insistances), les variations, les connotations subjectives, explicites et
implicites ;
 au niveau thématique, enfin, dans la mesure où le discours Rorschach désigne
"de la chose" et que l’on peut supposer que celle-ci n’est ni accessoire ni
aléatoire. Il ne s’agit pas de considérer ce contenu pour lui-même, "à la
lettre", ni de le renvoyer à une symbolique générale, a priori, à l’instar d’une
"clé des songes" – mais là encore d’en repérer les caractéristiques formelles.
C’est-à-dire : la diversité de ce contenu, ses insistances typiques, ses variations,
ou au contraire sa survenue isolée et plus ou moins cohérente par rapport au reste
du contenu. Par ex. : quels types d’actions ou de relations les réponses
kinesthésiques du sujet évoquent-elles ? quels types d’animalité interprète-t-il
(anthropomorphe, prédatrice, carnassière, enfantine, nocturne, embryonnaire,
aquatique, etc.) ? à quels moments du protocole et avec quelle fonction
survient tel ou tel contenu ? etc.
Soulignons que ces trois niveaux de discours (sémantique-logique, spatial,
thématique) sont en fait très étroitement liés, puisque c’est par exemple le repérage de
certains pronoms ("dans", "sur", "avec", etc.) qui nous donnera des indices de spatialité
particulière (inclusive, adhésive, fusionnelle, de rupture, de non lien, de lutte contre le contact
ou la fusion, etc.). Autre exemple : certains thèmes correspondront à des moments discursifs
présentant des altérations de la syntaxe ou des bizarreries logiques, qui confirmeront ou
spécifieront la valeur significative de ces thèmes.
1.3. Enfin, dans la dernière phase de l’analyse, il s’agira de transposer l’analyse formelle d’abord développée et progressivement interprétée, en une élaboration
diagnostique d’ensemble.
Pour ce faire, le clinicien doit opérer un travail de transposition analogique entre
les positions psychologiques dégagées par l’analyse formelle des réponses du sujet et
une description compréhensive du fonctionnement psychique de celui-ci.
Nous proposerons d’adopter, pour cet aspect du travail d’interprétation, un référentiel
psychanalytique (mais on peut en adopter d’autres). À l’instar des cliniciens de "l’École de
Lausanne" (Merceron, Rossel, Husain), nous nous appuierons essentiellement sur les
critères de la psychopathologie structuraliste et psychanalytique de Jean Bergeret (voir
Annexe) :
a) le mode de relation d’objet : fusionnel, anaclitique, érotisé ;
b) le type d’angoisse : de morcellement, de perte de l’objet, de culpabilité ;
c) les mécanismes de défense : déni, désaveu, refoulement – avec leurs variantes
structurales et les mécanismes associés.
2. Plan d’analyse pour l’interprétation
Avant l’étude des réponses du sujet, il est recommandé de lire deux ou trois fois la
totalité du protocole afin de s’en «imprégner» et de s’en donner une vue d’ensemble à conserver
en mémoire tout au long de l’analyse.
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 24
1ère étape: Cotation des réponses
 Déterminer les réponses cotables et coter chacune d’elles (appréhension,
déterminant, contenu), les unes après les autres, dans l’ordre de leur succes-sion.
 Coter à part les réponses nouvelles (c’est-à-dire les réponses inédites données à
l’enquête).
 Établir un récapitulatif des cotations.
 Établir le psychogramme. (Dans le cas où les réponses nouvelles sont nombreuses,
établir séparément un psychogramme des réponses nouvelles.)
2ème étape : Analyse interprétative
 Triage des réponses : repérer les traits saillants à partir du psychogramme.
 Analyse synchronique (ou formelle): interpréter les traits saillants dégagés du
psychogramme, selon la démarche d’une analyse progressive, en termes
psychodiagnostiques généraux.
 Analyse synchronique (ou séquentielle): compléter l’analyse formelle par l’étude des
réponses du sujet dans l’ordre de leur succession et en prenant en compte les
caractéristiques discursives de leur formulation (énonciation).7
3ème étape: Élaboration diagnostique
Pour cette dernière phase, il s’agit de transférer et de discuter les données d’analyse
précédentes dans les termes d’une théorie de la personnalité, à déterminer au choix du clinicien.
 Positionnement structural du sujet (analyse différentielle).
 Interprétation des conduites symptomatiques du sujet et des événements majeurs de
son anamnèse.
 Pronostic et préconisations de traitement (thérapeutique, éducatif, pédagogique,
social, judiciaire ou pénal) selon le cas et selon la demande.
--o--
7 - Il est possible de procéder à l’analyse séquentielle avant l’analyse formelle, ou de privilégier
l’une par rapport à l’autre. Tout est question de sensibilité du clinicien pour l’un ou l’autre de ces
deux niveaux d’interprétation. Il n’en reste pas moins que les deux sont différents et se complètent
utilement.
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 25
Références bibliographiques
Ouvrages généraux : psychopathologie, psychologie projective
Anzieu D., Chabert C. (1992). Les méthodes projectives, 9ème éd., Paris, PUF – coll. Quadrige,
Paris, PUF, 1ère éd., 2004.
Bergeret J. (2003). La personnalité normale et pathologique. Les structures mentales, le
caractère, les symptômes, 3ème éd., Paris, Dunod.
Braconnier A. (1998). Psychologie dynamique et psychanalyse, Paris, Masson.
Castro D. (2011). Pratique de l’examen psychologique en clinique adulte : WAIS-IV, MMPI-2,
Rorschach, TAT – Approches intégratives, 2ème éd., Paris, Dunod.
Chabert C. (1998). Psychanalyse et méthodes projectives, coll. Topos, Paris, Dunod.
Chabert C. (2008). Psychologie clinique et psychopathologie, Paris, PUF.
Ionescu S., Jacquet M.M., Lhote C. (1997). Les mécanismes de défense. Théorie et clinique,
Paris, Nathan – nouvelle éd. : 2005 (rééd. : 2012).
Mazoyer A.V. (Dir.) (2013). Cliniques et techniques projectives, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail.
Roussillon R. (Dir.) (2007). Manuel de psychologie et de psychopathologie clinique générale,
Paris, Masson.
Villerbu L.M. (1993). Psychopathologie projective. Eléments d’élaboration d’une clinique
expérimentale, Rennes, Editions ARCP.
L’épreuve de Rorschach (bibliographie sélective)
Azoulay C., Emmanuelli M., Corroyer D. (2012). Nouveau manuel de cotation des formes au
Rorschach, Paris, Dunod.
Baudin M. (2007). Clinique projective : Rorschach et TAT. Situations et épreuves –
Méthodologie – Interprétation psychanalytique, Paris, Hermann.
Beizmann C. (1966). Livret de cotation des formes dans le Rorschach, Paris, Editions du Centre
de Psychologie Appliquée.
Castro D. (2009). Neuf études de cas en clinique projective adulte : Rorschach et TAT, Paris,
Dunod.
Chabert C. (1983). Le Rorschach en clinique adulte. Interprétation psychanalytique, Paris,
Dunod – 3ème éd., 2012.
Chabert C. (1987). La psychopathologie à l’épreuve du Rorschach, Paris, Dunod – 3ème éd.,
2012.
Husain O., Merceron C., Rossel F. (dir.) (2001). Psychopathologie et polysémie. Études
différentielles à travers le Rorschach et le TAT, Lausanne, Éditions Payot Lausanne.
Loosli-Usteri M. (1965). Manuel pratique du test de Rorschach, Paris, Hermann.
Minkowska F. (1956). Le Rorschach : à la recherche du monde des formes, Paris, Desclée de
Brouwer – nouvelle éd. : Paris, L’Harmattan, 2003.
Rausch de Traubenberg N. (1993). La pratique du Rorschach, 7ème éd., Paris, PUF.
Richelle J. (Dir.) (2009). Manuel du test de Rorschach. Approche formelle et psychodynamique,
Bruxelles, De Boeck Université.
Rorschach H. (1921). Psychodiagnostic. Méthode et résultats d’une expérience diagnostique de
perception. Interprétation libre de formes fortuites, trad. fr, 8ème éd., Paris, PUF, 1993.
Rorschach H., Oberholzer E. (1923). "Contribution à l’utilisation du test d’interprétation
des formes", in : Rorschach H., Psychodiagnostic, trad. fr., 8ème éd., Paris, PUF, 1993,
p. 204-251.
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 26
Rossel F., Husain O., Merceron C. & aI. (2005). Les phénomènes particuliers au Rorschach.
Volume 1, Une relecture pointilliste, Lausanne, Payot-Lausanne.
Ouvrages spéciaux
Beizmann C. (1974). Le Rorschach de l’enfant à l’adulte. Étude génétique et clinique, 2ème éd.,
Neuchâtel, Delachaux & Niestlé – 3ème éd. : 1982.
Emmanuelli M., Azoulay C., Chabert C. (2008). Pratique des épreuves projectives à
l’adolescence. Structures, méthodes, études de cas, Paris, Dunod.
Rausch de Traubenberg ., ndroni of .
. "Représentation de soi et relation d ob et au
Rorschach : grille de représentation de soi : analyse comparée des résultats d adolescents
malades psychiques et malades somatiques", Revue de psychologie appliquée, 34, 41-57.
Rausch de Traubenberg N., Boizou M.F. (1977). Le Rorschach en clinique infantile.
L’imaginaire et le réel chez l’enfant, Paris, Dunod – 2ème éd. : 2000.
Roman P. (2009). Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent, Paris, Dunod.
Verdon B. (2012). Clinique et psychopathologie du vieillissement. Apport des méthodes
projectives (Rorschach, TAT), Paris, Dunod.
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 27
Annexe
Aspects métapsychologiques
Structures
STRUCTURES
PSYCHOTIQUES
Formes typiques
Relation d’objet
Schizophrénie
Paranoïa
Psychose maniaco-dépressive
(PMD)
Mélancolie – Démences
Déficiences mentales
(psychotiques)
Non-accès à (ou perte de)
la relation d’objet
Trouble de la différenciation moi-autre
et/ou de la séparation-individuation
(Relation fusionnelle)
Aménagements
psychopathiques
(ou "caractériels")
Perturbation précoce de la relation d’objet
marquée par une ambivalence
de l’attitude maternelle
(aimante-rejetante)
(Relation de domination violente
et de séduction utilitaire)
ORGANISATIONS
LIMITES
STRUCTURES
NÉVROTIQUES
Aménagements
pervers
Perturbation précoce de la relation d’objet
dans le sens d’une illusion
de toute-puissance narcissique
(Relation d’emprise)
Névrose hystérique
Névrose obsessionnelle
Phobies névrotiques
Trouble de l’investissement de l’objet
en tant que source de désir
et de jouissance
Inhibition
(Relation d’ambivalence)
Instance
dominante
Type
de conflit
Type
d’angoisse
Défenses
principales
Ça
Ça
avec
la "réalité"
Angoisse
de
morcellement
Déni
de la réalité
Forclusion
Idéal
du Moi
Idéal du Moi
avec :
- Ça
- réalité
Angoisse
de perte
d’objet
(dépression
anaclitique)
Déni partiel
de la réalité
(désaveu)
Clivage
du Moi
Clivage
de l’objet
Surmoi
Surmoi
avec le Ça
Angoisse
de castration
Refoulement
d’après J. Bergeret, La personnalité normale et pathologique, 3ème éd., Paris, Dunod, 1996.
Epreuve de Rorschach : principes de l’analyse interprétative / 28

Documents pareils

Le modèle de personnalité en cinq facteurs et le test de Rorschach

Le modèle de personnalité en cinq facteurs et le test de Rorschach MMPI, ou des échelles cliniques d’autoévaluation ou d’hétéroévaluation des symptômes, ils se sont généralement désintéressés des constructions théoriques et des instruments d’évaluation utilisés pa...

Plus en détail