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Contactologie La « silicone-hydrogel thérapie » Cas cliniques Sylvie Berthemy-Pellet L es applications thérapeutiques des lentilles souples hydrophiles sont connues et utilisées depuis longtemps. Par ordre de fréquence, leurs indications sont : les kératites bulleuses ou les érosions épithéliales (dont les suites de PKR), le réservoir médicamenteux, le maintien de l’hydratation cornéenne, la protection contre des paupières défaillantes ou agressives, le piggy-back pour des lentilles rigides gaz perméables mal supportées, etc. Quant à leur utilisation dans certaines kératites infectieuses ou dystrophies épithéliales, la littérature n’est pas si riche que cela. En effet, ces lentilles sont associées au risque de complication infectieuse, majoré, c’est logique, par le port permanent. Et pourtant… Les lentilles silicone-hydrogel offrent de réels avantages physiologiques en ce qui concerne l’oxygénation cornéenne. En effet, comparées aux lentilles hydrogel fortement hydrophiles, elles sécurisent le port prolongé. Trois histoires instructives Voici quelques cas pour lesquels l’utilisation originale de lentilles en silicone-hydrogel a rendu de grands services. Mme M, 77 ans, atteinte d’une maladie d’Alzheimer et pensionnaire d’une maison médicalisée • Le 5 septembre 2006, elle est adressée pour une conjonctivite droite qui résiste aux corticoïdes instaurés quelques jours plus tôt. L’interrogatoire n’est pas contributif. L’examen montre une kératite disciforme sur dystrophie cornéenne bulleuse, une véritable ectasie inférieure de l’épithélium, de nombreux plis descemétiques et aucun Tyndall visible (mais il est difficile de voir la chambre antérieure). La pression oculaire paraît normale à la palpation. L’examen de l’œil gauche est normal pour l’âge. Une série de mesures thérapeutiques sont prises : - arrêt momentané du collyre corticoïde, Grenoble n° 117 • Février 2008 - injection sous conjonctivale de bêtaméthasone (Célestène®), - administration d’une pommade antibiotique pour atténuer les effets douloureux de la dystrophie épithéliale, - valaciclovir par voie orale (Zelitrex®) : 2 comprimés par jour pendant 5 jours, puis 1 comprimé par jour pour six mois. • Le surlendemain, la patiente souffre un peu moins, mais on ne note aucune amélioration locale. Un complément de traitement est donc effectué : - ablation avec un bâtonnet d’ouate de l’épithélium hernié, qui se détache spontanément dès le contact (sur près de la moitié centro-inférieure de la surface cornéenne), - nouvelle injection sous-conjonctivale de bêtaméthasone, - reprise des corticoïdes locaux, - mise en place d’une lentille thérapeutique en silicone-hydogel plan. Le lendemain (figure 1), l’amélioration est spectaculaire. La patiente, jusque-là prostrée, commence à décrire ce qu’elle ressent. • Sous antiviral, par voie générale et locale, associé à une corticothérapie, topique et en injections dégressives sur trois semaines, la cornée s’éclaircit, bien qu’il persiste quelques plis descemétiques (figure 2). Les Cahiers 13 Contactologie Figure 3. Récidive des douleurs. Figure 1. Aspect 24 heures après l’ablation épithéliale et la pose de la lentille. Figure 4. Deux jours après la récidive. maines suivantes. Les douleurs cessent, mais la cornée reste discrètement oedémateuse (figure 5). La patiente n’est plus sous valaciclovir, mais conserve localement des larmes artificielles en monodoses et des corticoïdes, à raison d’une goutte tous les deux jours. Les consultations de contrôle, mensuelles le premier semestre, ont ensuite pu être espacées. • En janvier 2008 (surveillance régulière tous les 4 mois), l’état local est satisfaisant bien que, du fait de l’œdème cornéen dystrophique persistant, la vision ne dépasse pas 0,1 P8 (figure 6). Figure 5. Aspect sous lentille. Cornée un peu oedémateuse, plis descemétiques. Figure 6. Janvier 2008 : l'état local est satifaisant mais l'acuité ne dépasse pas 0,1 P8. Figure 2. Aspect trois semaines après la mise en place de la lentille. • Deux mois plus tard, au moment de changer de lentille, l’état local est stable, mais la guérison reste incomplète. La patiente ne se plaint plus de douleur. • Début décembre, quelques jours avant le changement programmé de sa lentille, Mme M. consulte en urgence pour récidive des douleurs. La lentille est en place, l’œdème cornéen et les plis descemétiques se sont majorés, la chambre antérieure n’est plus visible. Il semble que le traitement local ait été interrompu (figure 3 et 4)…. • Nous reprogrammons des injections sous-conjonctivales : deux la première semaine, une les deux se- 14 Les Cahiers n° 117 • Février 2008 Contactologie Les infirmières de la maison médicalisée se chargent de changer la lentille chaque mois. M. F., 53 ans, myope, opéré d’un décollement de rétine rhegmatogène droit en août 2006 Cinq semaines après l’intervention, de violentes douleurs oculaires droites révèlent un ulcère dendritique limbique nasal (figure 7). Figure 7. Ulcère dendritique limbique nasal. Le patient, exigeant, demande un traitement « radical et immédiat » afin de ne pas devoir interrompre son activité professionnelle. Nous décidons : - d’ôter au bâtonnet l’épithélium lésé, qui se détache très facilement, - de poser une lentille thérapeutique en silicone-hydogel plan, - de modifier le traitement local en remplaçant le corticoïde par un anti-inflammatoire non stéroïdien et un collyre antibiotique pendant dix jours. La guérison, spectaculaire, a pu être obtenue en 24 heures (figure 8). Quinze jours plus tard, la lentille est retirée. Il persiste des cicatrices intrastromales, mais la cornée ne fixe plus la fluorescéine. Fin novembre, la guérison est complète. Le dernier contrôle date de début janvier 2008 ( figure 9). Figure 8. Aspect après 24 heures de port de la lentille. Figure 9. Janvier 2008 : guérison complète. Mme D., 64 ans, suivie depuis de nombreuses années pour une dystrophie de Cogan bilatérale et invalidante (figure 10 et 11) Myope de 5 dioptries, la patiente refuse la photokératectomie. • Le 10 janvier 2005, nous décidons : - de peller largement l’épithélium des zones lésées de l’œil droit avec la brosse d’Amoils, n° 117 • Février 2008 Figure 10. Dystrophie de Cogan OD. Figure 11. Dystrophie de Cogan OG. Les Cahiers 15 Contactologie - de poser une lentille silicone-hydrogel plan, - d’associer localement un antibiotique et un cicatrisant. Les 48 heures suivantes, de vives douleurs justifient la prescription d’antalgiques par voie générale. Dix jours plus tard, la lentille peut être enlevée (figure 12). Figure 14. Examen à fort grossissement : autre dystrophie de Cogan à avoir bénéficié d’un traitement par lentille silicone-hydrogel. Figure 12. OD : la lentille a pu être enlevée au bout de dix jours. Un mois après, la maladie réapparaissait discrètement en périphérie supérieure ( figure 13 ) (on peut d’ailleurs s’interroger sur l’ablation incomplète de l’épithélium). Figure 13. Réapparition de la maladie en périphérie supérieure (les autres images fluo sont des artefacts). • La patiente, très satisfaite sur le plan algique, demande à bénéficier du même protocole pour l’œil gauche (février 2005). Avec près de trois ans de recul, la dystrophie n’a pas récidivé de ce côté. Mme D. a cependant régulièrement recours aux larmes artificielles ou à un autre agent hydratant. Les signes fonctionnels restent très limités et les traitements épisodiques. 16 Les Cahiers Trois autres patients ont bénéficié de ce même traitement (figure 14) avec des résultats identiques. La dystrophie récidive a minima et est moins invalidante. L’une d’elle a été complètement guérie. Dans ce dernier cas, l’aspect de dystrophie Cogan, très limité et unilatéral, était probablement la séquelle d’une effraction traumatique de l’épithélium. Lentilles à fort Dk : un outil thérapeutique à ne pas négliger Ces exemples illustrent l’intérêt des lentilles à fort Dk dans des indications que l’on oublie trop souvent. Les deux premiers cas montrent que l’élimination des agents pathogènes infectieux, via l’ablation douce de l’épithélium, suivie de la pose d’une lentille thérapeutique, est efficace et rapide. Capable de soulager réellement le malade, ce traitement réduit la durée de la pathologie et limite son impact sur la vie quotidienne des patients. Pour les syndrômes de dystrophies épithéliale de type Cogan, ou sequelles de plaies epithéliales fragiles, l'ablation de l'epithélium avec une brosse est plus facile a executer en position couchée avec un blepharostat. Il se fait très aisément à la lampe à fente dans tous les cas de kératite infectieuses virales. Dans ces indications, les lentilles silicone-hydrogel semblent tout aussi efficaces que les lentilles thérapeutiques en hydrogel utilisées jusqu’alors et sont de surcroît nettement plus perméables à l’oxygène. Elles permettent d’éviter l’hypoxie liée à l’usage de pommades antibiotiques sous occlusion des paupières. En n° 117 • Février 2008 Contactologie protégeant la surface cornéenne de la conjonctive palpébrale, elles favorisent la migration des cellules épithéliales, donc la guérison. Enfin, l’humidité ambiante accélère le processus de régénération en limitant la dessiccation. Ainsi les lentilles en silicone-hydrogel ont un rôle à jouer en tant que moyen thérapeutique. Elles exercent un effet antalgique et favorisent la cicatrisation dans des conditions optimales d’oxygénation, donc de sécurité, avec pour corollaire la réduction du risque de développement des germes anaérobies. De piètres réservoirs de médicaments cependant La disponibilité immédiate des lentilles à fort Dk dans nos cabinets facilite leur utilisation thérapeutique. Cette fonction semble largement sous-estimée et il serait intéressant de conduire à ce propos des études randomisées dans la prise en charge des kératites infectieuses. En revanche, du fait de leur moindre hydrophilie, les lentilles silicone-hydrogel ne semblent pas être efficaces en tant que réservoir de médicaments. Bibliographie Ambrosiak AM, Szaflik JP, Szaflik J. Therapeutic use of a silicone hydrogel contact lens in selected clinical cases. Eye & Contact Lens 2004;30:63-7. Kampolat A, Ucakhan OO. Therapeutic use of Focus Night & Day contact lenses. Cornea 2003;22: 726-34. Mély R. Apport thérapeutique des lentilles de contact en siliconehydrogel. Réflexions ophtalmologiques 2004 ;80(9):14-8. Mély R. Les lentilles thérapeutiques. Port continu et lentilles de contact. In : Rapport de la SFOALC 2005. Lamy éditeur : 180-7. Schiffer CC. Studie zur Eignung von neuartigen Silikonhydrogel Kontactlinsen als Medikamenträger und/oder Verbandlinse. Diplommarbeit der Fachhochschule Aalen, 2003 n° 117 • Février 2008 Les Cahiers 17