14 ‹ 17 Dentifrice
Transcription
14 ‹ 17 Dentifrice
Dentifrices Du pareil au même Les qualificatifs abondent: antitartre, anticarie, antibactérien, antitaches, triple protection, etc. Mais les dentifrices sont-ils si différents les uns des autres? par Jacqueline Simoneau Photos: Réjean Poudrette M algré la multitude de marques sur le marché, il est possible de tracer un portrait général des dentifrices. Tous renferment des agents moussants, des humectants (pour lier les particules et empêcher la pâte de sécher), des abrasifs, des colorants, des saveurs et des agents de conservation. La plupart contiennent aussi des agents antibactériens et du fluor, un sel qui prend diverses appellations selon le procédé de dissolution: fluoristat, fluorure de sodium ou monofluorophosphate de sodium. Enfin, certains renferment du bicarbonate de soude, censé s’attaquer aux taches. Ces ingrédients sont-ils tous nécessaires? Ça dépend des points de vue. 14 PROTÉGEZ-VOUS FÉVRIER 2000 1 2 Les spécialistes en médecine dentaire consultés sont unanimes: on n’a nul besoin de pâte dentifrice pour prévenir la carie et supprimer la plaque dentaire, précurseur du tartre. «La fonction première d’un dentifrice est tout simplement de rendre le nettoyage des dents plus agréable et plus rapide par son abrasivité, et d’améliorer l’haleine. Les résultats seraient les mêmes si on se brossait les dents correctement avec une brosse et de l’eau, soutient le Dr Daniel Fortin, prosthodontiste et professeur agrégé à la Faculté de médecine dentaire de l’Université de Montréal. En réalité, c’est l’action mécanique de la brosse qui fait tout le boulot. La preuve: si on déposait de la pâte sur les dents et qu’on ne frottait pas, il ne se passerait rien. Un dentifrice à petit prix fait donc aussi bien l’affaire qu’un autre vendu à prix d’or.» Les dentifrices s’équivalent d’une formule à l’autre. En fait, c’est principalement l’abrasivité qui fait la différence entre eux. Une pâte trop abrasive enlève mieux les taches, mais elle use aussi prématurément l’émail. Et plus l’émail s’amincit, plus la teinte jaunâtre de la couche inférieure, la dentine, devient apparente. Il convient donc d’éviter l’utilisation abusive et à long terme de dentifrices trop abrasifs. Malheureusement, ce n’est guère évident, puisque les fabricants n’indiquent pas le taux d’abrasivité sur leurs emballages. Votre dentiste peut cependant vous donner quelques indications grâce à un tableau réalisé en 1994 à l’Université de Montréal: «Cette étude a été faite à l’aide de techniques reconnues, mais il serait peut-être temps de la répéter, puisque plusieurs nouveaux dentifrices sont arrivés sur le marché depuis», explique le Dr Fortin. Sachez cependant que, en règle générale, les formules blanchissantes et pour fumeurs renferment des abrasifs plus puissants que les dentifrices ordinaires. Les dentifrices sont-ils essentiels? Qu’est-ce qui différencie les marques? 3 Avec ou sans fluor? À ce sujet, les avis sont partagés. Les tenants du «sans» affirment que le fluor est un agent toxique à éviter à tout prix. «Tout comme le mercure, le fluor est un oxydant et un poison enzymatique puissant relié à plusieurs problèmes de santé, déclare le dentiste Pierre Larose. Le Dr Hardy Limeback, professeur de médecine dentaire à l’Université de Toronto et consultant sur les fluorures, mentionnait dernièrement que l’eau hautement fluorée pouvait détruire les os et les dents et nuire à la santé.» Selon le Dr Larose, les dentifrices fluorés seraient donc à éviter, surtout pour les jeunes enfants, qui ont tendance à avaler le dentifrice plutôt qu’à le recracher. Pour la majorité des professionnels, cette prise de position est excessive. L’Ordre des dentistes soutient d’ailleurs que de nombreuses études ont clairement prouvé l’efficacité du fluor pour combattre la formation de la carie en augmentant la résistance de l’émail contre l’attaque des bactéries. «Certains dentistes holistiques ont tendance à bannir tous les produits non naturels, mentionne le Dr Jean Barbeau, microbiologiste et professeur agrégé à la Faculté de médecine dentaire de l’Université de Montréal. Néanmoins, plusieurs études ont démontré que les concentrations dans les dentifrices sont sans danger. Peu importe la dose, toutes les pâtes fluorées possèdent des propriétés antibactériennes équivalentes et agissent sur la carie.» Choisissez un produit à faible taux de fluor, puisqu’un excès chez les enfants peut entraîner une fluorose, soit des taches blanches ou brunâtres sur la surface des dents, plutôt inesthétiques. Parmi les produits non fluorés, on note la plupart des dentifrices naturels (voyez l’encadré ci-contre) et quelques marques connues, dont Sensodyne original, Pepsodent sans fluorure et Topol sans fluorure. 4 Sont-ils meilleurs au bicarbonate? Certains dentifrices renferment du bicarbonate de soude, un abrasif doux qui, selon les prétentions des fabricants, aiderait à maintenir les dents plus blanches. À cet effet, Christine Thibault, hygiéniste dentaire et auteure d’un article sur les dentifrices paru dans L’explorateur en avril 1999, mentionne: «Les dentifrices au bicarbonate de soude sont surtout conçus pour répondre au goût des consommateurs qui recherchent une image “naturelle”. On ne reconnaît pas de propriétés nettoyantes au bicarbonate. Néanmoins, en pratique privée, on constate que les patients qui utilisent un dentifrice avec une concentration élevée de bicarbonate, comme le Arm & Hammer Dental Care, ont moins de taches sur les dents.» Puisque aucune étude n’a été réalisée sur le sujet, on ne connaît pas le dosage idéal de bicarbonate. Mais plus un dentifrice est salé, plus il en contient. 5 Que penser des formules blanchissantes? Les formules blanchissantes utilisées par les dentistes renferment généralement un ingrédient reconnu, soit le peroxyde d’hydrogène ou le peroxyde de carbamide. L’efficacité des dentifrices commerciaux blanchissants contenant une de ces substances n’est cependant pas garantie: «Pour des résultats concluants, il faut réunir trois conditions gagnantes: un contact direct et uniforme avec la dent, un temps de pose suffisamment long (quelques heures) et une concentration relativement élevée (entre 10 % et 35 %). Or, les dentifrices n’agissent que le temps du brossage, soit tout au plus deux ou trois minutes, et leur concentration en peroxyde est insuffisante pour blanchir les dents. Par conséquent, inutile de débourser le gros prix pour un dentifrice blanchissant», soutient le Dr Fortin. Et les produits naturels? V endus beaucoup plus cher que les autres types de dentifrices, les produits naturels et homéopathiques touchent un public particulier, mais ils ne sont pas plus efficaces. S’ils ne renferment pas de fluor, une étude réalisée à l’Université de Montréal en 1994 a démontré que certains dentifrices naturels, dont le Tea Tree sans fluor, l’Auromère et le Vegetocaryl, sont assez abrasifs. De plus, les extraits végétaux qu’ils contiennent peuvent parfois irriter les gencives et causer des réactions allergiques. Les dentifrices homéopathiques leur ressemblent, mais ils ne contiennent pas de menthe, puisque les homéopathes considèrent que cette substance empêche la pleine absorption de leurs préparations. Les prétentions des fabricants Selon le Dr Daniel Fortin, peu d’études ont prouvé l’effet antiplaque véritable d’un ingrédient précis. Pour sa part, Christine Thibault affirme: «Certains dentifrices, comme le Crest extra blanchissant, portent la mention “combat le tartre lors du brossage” mais ne contiennent pas d’agents antitartre! C’est donc le brossage qui fait l’action.» En résumé, si ces dentifrices ne coûtent pas plus cher que les autres, on ne perd... ni ne gagne rien à les essayer. L’art de jouer sur les mots! Plusieurs produits peuvent se vanter d’être antibactériens, puisqu’ils détruisent une partie des microorganismes. Le simple fait de se rincer la bouche avec de l’eau dérange les colonies bactériennes et ralentit leur formation. L’utilisation d’un dentifrice avec protection antibactérienne n’empêchera pas de nouvelles bactéries de venir s’agglutiner sur les dents quelques minutes après le brossage. «On a une quantité industrielle de bactéries en bouche, souligne le Dr Jean Barbeau. Un brossage régulier et efficace permet d’en réduire le nombre, mais le concept d’action antibactérienne prolongée est plutôt utopique.» Cela signifie simplement que le produit renferme des ingrédients qui agissent sur la carie, la plaque, le tartre et l’haleine... comme n’importe quel dentifrice associé à un bon brossage. On nettoie automatiquement ses gencives quand on se brosse les dents, quelle que soit la préparation utilisée. Les agents désensibilisants, tels que le nitrate de potassium, réduisent notamment la sensibilité à la chaleur et au froid. Ils sont donc recommandés dans des cas précis, comme lorsqu’il y a déchaussement des dents (fréquent chez les personnes âgées). Ce type de dentifrice n’empêchera pas les saignements des gencives, qui résultent d’une mauvaise hygiène dentaire. Demandez conseil à votre dentiste. Les ingrédients moussants aident à déloger les bactéries et les débris alimentaires, mais ils ne possèdent certainement pas d’action protectrice. 16 PROTÉGEZ-VOUS FÉVRIER 2000 Wow! Difficile de faire plus compliqué. Le sorbitol et le xylitol sont des sucres artificiels, comme la saccharine. Les fabricants les emploient justement parce qu’ils améliorent le goût de leur produit sans favoriser la carie. Quant aux cristaux blanchissants, il s’agit d’agents abrasifs. Au menu: les mêmes éléments qu’un dentifrice ordinaire et des agents rafraîchisseurs d’haleine, comme le menthol. Ne vous attendez cependant pas à y trouver les mêmes agents antiseptiques que dans un rince-bouche. Les dentistes qui favorisent une approche naturelle recommandent les dentifrices sans fluor, puisqu’ils considèrent cette substance comme un poison. Une opinion que ne partage pas l’Ordre des dentistes du Québec, qui croit qu’à petites doses, le fluor combat sans danger la formation de la carie en augmentant la résistance de l’émail contre l’attaque des bactéries. La plupart des dentifrices vendus en pharmacie affichent ce sceau ou portent la mention «Avec des ingrédients recommandés par les dentistes et les hygiénistes». Contrairement à ce qu’on peut penser, ce n’est pas un gage de qualité. L’ADC vend son logo aux fabricants dont le produit contient du fluor, qui, selon elle, est un agent efficace de prévention de la carie et d’une utilité appréciable dans le cadre d’un programme consciencieux d’hygiène buccale. Mythes marketing «Mettez-en, c’est pas de l’onguent!» Doit-on mettre autant de dentifrice sur la brosse que le montre la pub? Sûrement pas! Les professionnels suggèrent de n’en utiliser que l’équivalent d’un pois, et moins encore pour un enfant de moins de six ans. Bref, la pâte qui déborde de la brosse, c’est du marketing pour nous faire consommer davantage. Homéopathie oblige, la menthe n’est pas un ingrédient approprié pour plusieurs dentifrices naturels. On trouve donc sur le marché des produits aux saveurs variées, dont le citron et, pour les palais avertis, l’anis et le fenouil. «La différence, c’est le prix!» Ici encore, on nage dans les stratégies de mise en marché. Un produit à 5 $ semble meilleur qu’un autre à 1 $, et ce même s’ils sont composés des mêmes ingrédients. Et pourtant, la fabrication industrielle d’un tube de pâte dentifrice coûte en moyenne une vingtaine de cents... v PROTÉGEZ-VOUS FÉVRIER 2000 17