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Dentifrices
Du pareil au même
Les qualificatifs abondent: antitartre, anticarie,
antibactérien, antitaches, triple protection, etc.
Mais les dentifrices sont-ils si différents
les uns des autres?
par Jacqueline Simoneau
Photos: Réjean Poudrette
M
algré la multitude de
marques sur le marché,
il est possible de tracer
un portrait général des
dentifrices. Tous renferment des agents moussants, des
humectants (pour lier les particules et empêcher la pâte de
sécher), des abrasifs, des colorants, des saveurs et des agents
de conservation. La plupart
contiennent aussi des agents
antibactériens et du fluor, un sel
qui prend diverses appellations
selon le procédé de dissolution:
fluoristat, fluorure de sodium ou
monofluorophosphate de
sodium. Enfin, certains renferment du bicarbonate de soude,
censé s’attaquer aux taches. Ces
ingrédients sont-ils tous nécessaires? Ça dépend des points de
vue.
14 PROTÉGEZ-VOUS
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Les spécialistes en médecine dentaire consultés sont unanimes: on n’a
nul besoin de pâte dentifrice pour
prévenir la carie et supprimer la plaque dentaire, précurseur du tartre.
«La fonction première d’un dentifrice est tout simplement de rendre le
nettoyage des dents plus agréable et
plus rapide par son abrasivité, et
d’améliorer l’haleine. Les résultats
seraient les mêmes si on se brossait
les dents correctement avec une brosse et de l’eau, soutient le Dr Daniel
Fortin, prosthodontiste et professeur
agrégé à la Faculté de médecine dentaire de l’Université de Montréal. En
réalité, c’est l’action mécanique de la
brosse qui fait tout le boulot. La preuve: si on déposait de la pâte sur les
dents et qu’on ne frottait pas, il ne
se passerait rien. Un dentifrice à petit
prix fait donc aussi bien l’affaire
qu’un autre vendu à prix d’or.»
Les dentifrices s’équivalent d’une
formule à l’autre. En fait, c’est principalement l’abrasivité qui fait la différence entre eux. Une pâte trop abrasive enlève mieux les taches, mais elle
use aussi prématurément l’émail. Et
plus l’émail s’amincit, plus la teinte
jaunâtre de la couche inférieure, la
dentine, devient apparente. Il convient
donc d’éviter l’utilisation abusive et à
long terme de dentifrices trop abrasifs. Malheureusement, ce n’est guère
évident, puisque les fabricants n’indiquent pas le taux d’abrasivité sur leurs
emballages. Votre dentiste peut cependant vous donner quelques indications grâce à un tableau réalisé en
1994 à l’Université de Montréal:
«Cette étude a été faite à l’aide de
techniques reconnues, mais il serait
peut-être temps de la répéter, puisque
plusieurs nouveaux dentifrices sont
arrivés sur le marché depuis», explique le Dr Fortin. Sachez cependant
que, en règle générale, les formules
blanchissantes et pour fumeurs renferment des abrasifs plus puissants
que les dentifrices ordinaires.
Les dentifrices
sont-ils essentiels?
Qu’est-ce qui
différencie les marques?
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Avec ou sans fluor?
À ce sujet, les avis sont partagés.
Les tenants du «sans» affirment que
le fluor est un agent toxique à éviter
à tout prix. «Tout comme le mercure,
le fluor est un oxydant et un poison
enzymatique puissant relié à plusieurs problèmes de santé, déclare le
dentiste Pierre Larose. Le Dr Hardy
Limeback, professeur de médecine
dentaire à l’Université de Toronto et
consultant sur les fluorures, mentionnait dernièrement que l’eau hautement fluorée pouvait détruire les os
et les dents et nuire à la santé.» Selon
le Dr Larose, les dentifrices fluorés
seraient donc à éviter, surtout pour
les jeunes enfants, qui ont tendance
à avaler le dentifrice plutôt qu’à le
recracher.
Pour la majorité des professionnels, cette prise de position
est excessive. L’Ordre des
dentistes soutient d’ailleurs
que de nombreuses études
ont clairement prouvé l’efficacité du
fluor pour combattre la formation de
la carie en augmentant la résistance
de l’émail contre l’attaque des bactéries. «Certains dentistes holistiques
ont tendance à bannir tous les produits non naturels, mentionne le
Dr Jean Barbeau, microbiologiste et
professeur agrégé à la Faculté de
médecine dentaire de l’Université de
Montréal. Néanmoins, plusieurs
études ont démontré que les
concentrations dans les dentifrices sont sans danger. Peu importe
la dose, toutes les pâtes fluorées
possèdent des propriétés antibactériennes équivalentes et agissent sur
la carie.» Choisissez un produit à faible taux de fluor, puisqu’un excès
chez les enfants peut entraîner une
fluorose, soit des taches blanches ou
brunâtres sur la surface des dents,
plutôt inesthétiques.
Parmi les produits non fluorés, on
note la plupart des dentifrices naturels (voyez l’encadré ci-contre) et
quelques marques connues, dont
Sensodyne original, Pepsodent sans
fluorure et Topol sans fluorure.
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Sont-ils meilleurs
au bicarbonate?
Certains dentifrices renferment
du bicarbonate de soude, un abrasif doux qui, selon les prétentions
des fabricants, aiderait à maintenir
les dents plus blanches. À cet effet,
Christine Thibault, hygiéniste dentaire et auteure d’un article sur les
dentifrices paru dans L’explorateur
en avril 1999, mentionne: «Les dentifrices au bicarbonate de soude
sont surtout conçus pour répondre
au goût des consommateurs qui
recherchent une image “naturelle”.
On ne reconnaît pas de propriétés nettoyantes
au bicarbonate. Néanmoins,
en pratique privée, on
constate que les patients qui utilisent un dentifrice avec une
concentration élevée de bicarbonate, comme le Arm & Hammer
Dental Care, ont moins de taches
sur les dents.» Puisque aucune
étude n’a été réalisée sur le sujet,
on ne connaît pas le dosage idéal
de bicarbonate. Mais plus un dentifrice est salé, plus il en contient.
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Que penser
des formules
blanchissantes?
Les formules blanchissantes utilisées par les dentistes renferment
généralement un ingrédient reconnu, soit le
peroxyde d’hydrogène ou le peroxyde de
carbamide. L’efficacité
des
dentifrices
commerciaux blanchissants contenant une de ces
substances n’est cependant pas
garantie: «Pour des résultats
concluants, il faut réunir trois conditions gagnantes: un contact direct et
uniforme avec la dent, un temps de
pose suffisamment long (quelques
heures) et une concentration relativement élevée (entre 10 % et 35 %). Or,
les dentifrices n’agissent que le temps
du brossage, soit tout au plus deux
ou trois minutes, et leur concentration
en peroxyde est insuffisante pour
blanchir les dents. Par conséquent,
inutile de débourser le gros prix
pour un dentifrice blanchissant», soutient le Dr Fortin.
Et les produits naturels?
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endus beaucoup plus cher que les autres types de dentifrices, les produits naturels et homéopathiques touchent un public particulier, mais ils ne sont pas plus
efficaces. S’ils ne renferment pas de fluor, une étude réalisée à l’Université de
Montréal en 1994 a démontré que certains dentifrices naturels, dont le Tea Tree sans
fluor, l’Auromère et le Vegetocaryl, sont assez abrasifs. De plus, les extraits végétaux
qu’ils contiennent peuvent parfois irriter les gencives et causer
des réactions allergiques. Les
dentifrices homéopathiques leur
ressemblent, mais ils ne
contiennent pas de menthe,
puisque les homéopathes
considèrent que cette
substance empêche la
pleine absorption de
leurs préparations.
Les prétentions des fabricants
Selon le Dr Daniel Fortin, peu d’études ont prouvé l’effet antiplaque véritable d’un ingrédient précis. Pour sa part, Christine
Thibault affirme: «Certains dentifrices, comme le Crest extra blanchissant, portent la mention “combat le tartre lors du brossage”
mais ne contiennent pas d’agents antitartre! C’est donc le brossage qui fait l’action.» En résumé, si ces dentifrices ne coûtent
pas plus cher que les autres, on ne perd... ni ne gagne rien à les essayer.
L’art de jouer sur les mots! Plusieurs produits peuvent se vanter
d’être antibactériens, puisqu’ils détruisent une partie des microorganismes. Le simple fait de se rincer la bouche avec de l’eau
dérange les colonies bactériennes et ralentit leur formation. L’utilisation d’un dentifrice avec protection antibactérienne n’empêchera
pas de nouvelles bactéries de venir s’agglutiner sur les dents
quelques minutes après le brossage. «On a une quantité industrielle de bactéries en bouche, souligne le Dr Jean Barbeau. Un
brossage régulier et efficace permet d’en réduire le nombre, mais
le concept d’action antibactérienne prolongée est plutôt utopique.»
Cela signifie simplement que le produit renferme des
ingrédients qui agissent sur la carie, la plaque, le tartre
et l’haleine... comme n’importe quel dentifrice associé à
un bon brossage.
On nettoie automatiquement ses gencives quand on se
brosse les dents, quelle que soit la préparation utilisée.
Les agents désensibilisants, tels que le nitrate de potassium, réduisent notamment la sensibilité à la chaleur et au
froid. Ils sont donc recommandés dans des cas précis,
comme lorsqu’il y a déchaussement des dents (fréquent
chez les personnes âgées). Ce type de dentifrice n’empêchera pas les saignements des gencives, qui résultent
d’une mauvaise hygiène dentaire. Demandez conseil à
votre dentiste.
Les ingrédients moussants aident à déloger les bactéries et les débris alimentaires, mais ils ne possèdent certainement pas
d’action protectrice.
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Wow! Difficile de faire plus compliqué. Le sorbitol et le xylitol sont des sucres artificiels, comme la saccharine. Les fabricants les
emploient justement parce qu’ils améliorent le goût de leur produit sans favoriser la carie. Quant aux cristaux blanchissants, il
s’agit d’agents abrasifs.
Au menu: les mêmes éléments qu’un dentifrice ordinaire et
des agents rafraîchisseurs d’haleine, comme le menthol. Ne
vous attendez cependant pas à y trouver les mêmes agents
antiseptiques que dans un rince-bouche.
Les dentistes qui favorisent une approche naturelle recommandent les dentifrices sans fluor, puisqu’ils considèrent
cette substance comme un poison. Une opinion que ne partage pas l’Ordre des dentistes du Québec, qui croit qu’à
petites doses, le fluor combat sans danger la formation de
la carie en augmentant la résistance de l’émail contre l’attaque des bactéries.
La plupart des dentifrices vendus en pharmacie affichent ce
sceau ou portent la mention «Avec des ingrédients recommandés
par les dentistes et les hygiénistes». Contrairement à ce qu’on
peut penser, ce n’est pas un gage de qualité. L’ADC vend son
logo aux fabricants dont le produit contient du fluor, qui, selon
elle, est un agent efficace de prévention de la carie et d’une utilité appréciable dans le cadre d’un programme consciencieux
d’hygiène buccale.
Mythes marketing
«Mettez-en, c’est pas de l’onguent!»
Doit-on mettre autant de dentifrice sur la brosse que le montre la pub?
Sûrement pas! Les professionnels suggèrent de n’en utiliser que l’équivalent d’un
pois, et moins encore pour un enfant de moins de six ans. Bref, la pâte qui
déborde de la brosse, c’est du marketing pour nous faire consommer davantage.
Homéopathie oblige, la menthe n’est pas un ingrédient approprié pour plusieurs dentifrices naturels.
On trouve donc sur le marché des produits aux
saveurs variées, dont le citron et,
pour les palais avertis, l’anis et le fenouil.
«La différence, c’est le prix!»
Ici encore, on nage dans les stratégies de mise en marché. Un produit à 5 $
semble meilleur qu’un autre à 1 $, et ce même s’ils sont composés des mêmes
ingrédients. Et pourtant, la fabrication industrielle d’un tube de pâte dentifrice
coûte en moyenne une vingtaine de cents...
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