EYB 2014-242362 – Résumé Commission des relations du travail

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EYB 2014-242362 – Résumé Commission des relations du travail
EYB 2014-242362 – Résumé
Commission des relations du travail
Delgadillo c. Blinds to go Inc. (Le Marché du store inc.)
197783 (approx. 34 page(s))
18 août 2014
Décideur(s)
Monette, Benoît
Type d'action
PLAINTE en vertu de l'article 123.6 de la Loi sur les normes du travail.
REJETÉE. PLAINTE en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail.
ACCUEILLIE.
Indexation
TRAVAIL; CONTRAT DE TRAVAIL; CONTRAT À DURÉE INDÉTERMINÉE;
CONGÉDIEMENT DÉGUISÉ; NORMES DU TRAVAIL; RECOURS; PLAINTE
POUR CONGÉDIEMENT SANS CAUSE JUSTE ET SUFFISANTE; RECOURS
EN CAS DE HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE; RÉINTÉGRATION DU
SALARIÉ; modification des conditions de travail; employeur refusant les congés
accordés en vertu d'une entente; employeur alléguant un abandon volontaire de
l'emploi ou une démission; fin d'emploi à l'initiative de l'employeur; indélicatesses
de l'employeur ne constituant pas du harcèlement psychologique
Résumé
Le plaignant a été embauché en 1999 à titre de directeur des technologies de
l'information. L'employeur exploite deux usines fabricant différents types de
stores. Au fil des années, le plaignant a négocié avec l'employeur diverses
ententes concernant sa rémunération.
En 2007, l'employeur lui a demandé d'assurer la direction de l'usine de Montréal,
et ce, pendant une période de quelques mois afin de lui permettre de former la
relève qui assumerait la direction de l'usine. Le plaignant a accepté d'assumer
cette nouvelle fonction selon certaines conditions négociées avec l'employeur.
Bien que ce dernier affirme que le plaignant acceptait alors que son emploi
prendrait fin en 2010 afin de prendre sa retraite, la preuve ne permet pas de
conclure à l'existence d'un contrat de travail à durée déterminée. En l'absence
d'une entente explicite à cet effet, le contrat de travail à durée indéterminée du
plaignant ne s'est jamais transformé en contrat à durée déterminée.
À plusieurs reprises, l'employeur a modifié les conditions de travail du plaignant
avec son consentement. En 2009, les parties avaient conclu une entente selon
laquelle le plaignant pourrait s'absenter pour des périodes prolongées pour la
période de 2010 à 2012 afin de se rendre au Chili où il tentait de démarrer un
projet relatif à la production du vin. Cependant, en 2011, l'employeur a modifié
unilatéralement cette entente en avisant le plaignant qu'il ne pourrait plus
s'absenter pour des périodes prolongées et que s'il s'absentait du 28 février au
22 mai 2012, comme il l'avait annoncé, son absence serait considérée comme
un abandon de son poste. La décision de l'employeur de mettre fin à l'emploi du
plaignant à la suite de cette dernière absence constitue un congédiement et non
un abandon volontaire de l'emploi. Le plaignant n'a jamais manifesté l'intention
de démissionner ou d'abandonner son emploi.
L'employeur a plutôt procédé à un congédiement déguisé en modifiant l'entente
qui permettait au plaignant de s'absenter deux fois par année, pendant au moins
trois ans.
La plainte à l'encontre d'un congédiement sans cause juste et suffisante doit
donc être accueillie. La réintégration ne constitue pas, cependant, une mesure
de réparation appropriée compte tenu de la rupture du lien de confiance entre les
parties.
Quant à la plainte à l'encontre d'une situation de harcèlement psychologique, elle
doit être rejetée. Les commentaires reprochés à l'employeur constituaient une
indélicatesse ou un manque de tact, mais il ne s'agissait pas de gestes
humiliants pouvant être assimilés à du harcèlement.
EYB 2014-242362 – Texte intégral
COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
197783
CM-2012-2892, CM-2012-3959
DATE : 18 août 2014
DATE D'AUDITION : 18 juin 2014
EN PRÉSENCE DE :
BENOÎT MONETTE, JUGE ADMINISTRATIF
Roberto Delgadillo
Plaignant
c.
Blinds to go Inc. (Le Marché du store inc.)
Intimée
Roberto Delgadillo (le plaignant) dépose à la Commission des normes du
travail, le 15 mars 2012, une plainte selon l’article 123.6 de la Loi sur les normes
du travail, RLRQ, c. N-1.1 (la LNT), dans laquelle il soutient avoir fait l’objet de
harcèlement psychologique de la part de Blinds to go Inc. Le Marché du store
inc. (l'employeur). La dernière manifestation de cette conduite aurait eu lieu le 5
mars 2012. Il dépose une deuxième plainte selon l’article 124 de la LNT dans
laquelle il affirme avoir fait l’objet d’un congédiement sans cause juste et
suffisante le 5 mars 2012.
LE CONTEXTE
[1]
La Commission a d'abord entendu le moyen préliminaire de l'employeur
selon lequel le plaignant était un cadre supérieur. Il soutenait que le plaignant
n'était pas admissible au recours selon les articles 124 et suivants de la LNT.
[2]
Le 5 juillet 2013, la Commission rejetait par décision interlocutoire ce
moyen préliminaire (2013 QCCRT 0327). Les faits relatifs à ce dossier font partie
intégrante de la présente affaire.
LA PREUVE
LA PÉRIODE D'EMPLOI À TITRE DE DIRECTEUR DES TECHNOLOGIES DE
L'INFORMATION
[3]
Le plaignant entre au service de l’employeur, le 25 octobre 1999, à titre de
directeur des technologies de l’information, bien qu’à l'origine le poste devait en
être un de vice-président. Il souligne que son nouvel employeur l'a placé devant
le fait accompli et qu'il n'a pas eu d’autre choix que d'accepter le poste de
directeur puisqu'il avait déjà avisé son employeur de l'époque, Rôtisserie SaintHubert, de son départ.
[4]
Nkere Udofia occupe le poste de vice-président de l'entreprise. Il relate
que c'est à la suite d'une évaluation complète des besoins de l'entreprise et de
l'impact sur l'organisation qu'un poste de directeur des technologies de
l'information a été créé plutôt qu'un poste au niveau de la vice-présidence.
[5]
L’employeur exploite deux usines où l’on fabrique différents types de
stores et compte une centaine de magasins de détail. L’entreprise emploie près
de 1 000 employés.
[6]
Lors de son entrée en fonction, le plaignant obtient un salaire de
120 000 $ et un bloc de 40 000 options d’achat d’actions. Plus tard, il en obtient
50 000 autres pour un total de 90 000.
[7]
En avril 2002, le plaignant reçoit un prêt garanti de 100 000 $ à même les
options d'achat d'actions qu'il détient parce que l’employeur a décidé de ne pas
rendre l'entreprise publique. Huit autres cadres de l'entreprise ont également
bénéficié de ce programme.
[8]
De son entrée en fonction jusqu’à juillet 2007, le plaignant travaille surtout
avec monsieur Udofia, bien que de temps à autre il ait à collaborer avec le
président, Stephen Shiller, qui occupe le poste depuis peu, à ce moment.
[9]
En août 2004, monsieur Udofia propose au plaignant un nouveau plan de
rémunération étalée sur une période de cinq ans. Le salaire passe à 200 000 $,
auquel s’ajoute un boni annuel. Celui-ci doit être payé au plus tard à la fin de la
cinquième année. Il doit atteindre un minimum de 250 000 $ et un maximum d’un
million de dollars, selon le performance du plaignant et la rentabilité de
l’entreprise. De plus, selon la version du plaignant, monsieur Udofia consent un
bloc de 150 000 actions (« restricted stock shares ») au plaignant. Ces actions
pouvaient être encaissables progressivement sur cinq ans. La valeur de ces
actions était susceptible d'augmenter.
[10] En octobre 2006, le plaignant demande à pouvoir encaisser une partie
des actions que lui a accordées l'employeur. Il veut aider financièrement sa sœur
qui est gravement malade au Chili.
[11] Monsieur Udofia nie avoir consenti 150 000 actions au plaignant. Il est vrai
que des discussions ont eu lieu sur le sujet, mais elles ne se sont pas
concrétisées puisque, par la suite, l'entreprise a décidé de ne pas en émettre.
[12] De son côté, Stephen Shiller (monsieur Shiller), le président de
l'entreprise, dit au plaignant que les actions qui lui ont été consenties n'ont
aucune valeur. Il a proposé de lui faire un autre prêt, celui-ci de l’ordre de
grandeur de 35 000 $.
[13] Richard Shiller est le frère du président et le responsable du Service des
ressources humaines chez l'employeur. En novembre 2006, il présente au
plaignant un nouveau document ayant pour effet de consolider les deux prêts
que l'employeur lui a accordés totalisant la somme de 135 000 $.
[14] Selon Richard Shiller, le plaignant refuse de signer parce que le document
prévoit un remboursement alors qu'il avait été convenu en 2002 que le prêt de
100 000 $ serait garanti à même les options d'achats d'action qu'on lui avait
accordées.
[15] Les parties ont finalement convenu que le plaignant recevra un prêt de
35 000 $ qu'il devra rembourser à même ses bonis. Ce qu'il a fait en août 2007.
LA PÉRIODE D'EMPLOI À L'USINE DE MONTRÉAL
[16] Le plaignant relate qu'à son arrivée chez l'employeur en 1999, à titre de
directeur des technologies d'information, l'employeur venait d'embaucher une
nouvelle équipe à la direction afin de diriger l'usine de fabrication de Montréal.
Celle-ci devait être en mesure de concrétiser les objectifs stratégiques de
l'employeur, soit de fabriquer un produit de qualité dans les 48 heures suivant la
commande.
[17] L'expérience avec cette nouvelle équipe s'est avérée un échec majeur,
celle-ci étant incapable d'atteindre les objectifs de la direction. L'employeur a
congédié la tête dirigeante de cette équipe et, par la suite, ses membres ont
graduellement tous quitté l'entreprise. Lors de la rencontre de planification
(« kick-off meeting ») du 6 février 2007, l'employeur y fait largement référence.
[18] Selon le plaignant, l'employeur s'est retrouvé sans équipe de direction
pour l'usine de Montréal. Vers la fin de 2006 ou le début de 2007, il a alors
demandé au plaignant d'assumer la direction de l'usine de Montréal.
[19] Monsieur Shiller relate que vers la fin de 2006 ou au début de 2007, le
plaignant lui a confié qu’il entendait prendre sa retraite à la fin de son programme
d’incitatifs qui prenait fin au mois de janvier 2010. Il entendait exploiter un
vignoble au Chili et il devait y passer beaucoup de temps, puisque la vente de vin
impliquait une politique de marketing.
[20] Monsieur Shiller en a discuté avec le vice-président, monsieur Udofia. Il
fallait assurer la succession du plaignant. Comme monsieur Udofia, un ingénieur,
pouvait assumer la direction de l’informatique pendant une certaine période de
temps, il a suggéré de muter le plaignant du Service des technologies de
l'information à la Direction de l’usine de fabrication de Montréal.
[21] Malgré ce transfert à l’usine, la direction croyait que le plaignant pourrait
former une personne qui pourrait le remplacer à l’informatique. On pensait à
Itesh Barot. On croyait qu’il pourrait également former des candidats capables de
lui succéder à la direction de l'usine.
[22] Au retour des vacances du plaignant, au mois de mars ou avril 2007, la
direction a voulu s’assurer que le plaignant était sur la même longueur d’onde.
Elle a proposé un arrangement avec le plaignant.
[23] Dans les faits, le plaignant n'était absolument pas intéressé à ce poste de
directeur d'usine parce qu'il risquait de perdre son expertise en informatique, ce
qui avait une plus grande valeur sur le marché. Selon le plaignant, messieurs
Shiller et Udofia ont mis beaucoup de pression pour qu'il accepte le poste. Il a
rencontré monsieur Udofia à l'usine du New Jersey. Ce dernier lui a fait
comprendre qu'il ne pouvait pas refuser le poste. En contrepartie, l'employeur
convenait d'une nouvelle entente. En voici les grandes lignes selon la
compréhension du plaignant:
1) Le prêt de 100 000 $ accordé en 2002 est effacé en contrepartie de la
remise des actions et des options d'achats d'actions;
2) le plaignant revient à son poste d'origine après une période de 9 à 12
mois passée à l'usine;
3) le salaire de base reste le même;
4) Comme on était à mi-chemin du programme quinquennal de bonis mis
en vigueur en 2004 et que le plaignant n'avait touché que 29 000 $ à
date, il voulait qu'on lui paie, avant d'assumer le nouveau poste, la
moitié, soit : 125 000 $ - 29 000 $ = 96 000 $.
[24] Le plaignant et monsieur Udofia se seraient entendus sur cette
proposition. Ce dernier aurait dit qu'il communiquerait avec monsieur Shiller, afin
de produire un document qui contiendrait les quatre éléments de cette entente.
[25] Comme prévu, monsieur Shiller a rencontré le plaignant. Il situe cette
rencontre le ou vers le 15 mai 2007, mais les discussions se sont poursuivies
durant une semaine. Ils ont discuté de la transition et de la succession. En retour
d’un plan de bonis amélioré, le plaignant devait former le personnel afin
d’assurer sa relève à l'usine de Montréal.
[26] Lors de la rencontre, le plaignant se rend compte que la proposition que
lui fait monsieur Shiller n'est pas identique à celle que lui a faite monsieur Udofia.
Celle-ci portait sur l’annulation du prêt de 100 000 $ que lui avait fait l’entreprise
et de ses conséquences fiscales et, en considération de cet avantage, le
plaignant renonçait à son bloc d’options d’actions et aux actions qu'il possédait.
Le plaignant exigeait de ne pas passer plus de 9 à 12 mois à l’usine et de
pouvoir terminer les deux dernières années à son poste d'origine, soit à titre de
directeur des technologies de l'information. Puis, comme il voulait continuer à
vivre à Montréal la moitié de l’année, il a été question qu'il travaille à titre de
consultant pour l’entreprise six mois par année.
[27] Selon la version de monsieur Shiller, celui-ci a griffonné une feuille en
inscrivant les paramètres d’une entente. Le plaignant a complété cette feuille en
inscrivant certaines données au bas de la page. Il précise que le plaignant était
d’accord avec les grandes lignes de ce brouillon.
1) Le plaignant serait en poste à l'usine de fabrication pour une durée de
9 à 12 mois. Il reviendrait dans son poste d'origine à l'été 2008 à
raison de 250 000 $ sur une base annuelle;
2) il resterait en emploi encore pour une période d'au moins 18 mois;
3) il pourrait éventuellement travailler à titre de consultant six mois par
année;
4) le prêt de 100 000 $ accordé en 2002 serait annulé en retour de la
remise des actions et des options d'achats d'actions.
[28] Selon monsieur Shiller, le plaignant exigeait aussi qu'on lui paie
immédiatement 150 000 $ sur le boni auquel il avait droit en vertu du plan
quinquennal conclu en 2004. Monsieur Shiller a refusé cette demande, puisque
cette entente prenait fin en janvier 2010.
[29] Le plaignant aurait accepté l'offre de l'employeur et aurait demandé que
l'on formalise celle-ci par un document.
[30] De son côté, le plaignant situe au 19 juin 2007 la rencontre avec monsieur
Shiller. Ce dernier a déjà en sa possession un document qu'il remet au plaignant.
Avant même que le plaignant en prenne connaissance, monsieur Shiller constate
qu'il contient une coquille. C'est l'année 1010 qui apparaît et non 2010. Il fait une
correction manuscrite, la paraphe et demande au plaignant de faire de même.
[31] Le point 1 du document précise qu'en considération de la remise de ses
options d'achats d'actions et ses actions qu'il détenait, le plaignant n'aurait plus à
rembourser le prêt de 100 000 $ que lui avait consenti l'employeur. Le point 2
prévoit que le plaignant accepte le poste de directeur d'usine pour une période
de 9 à 12 mois au terme de laquelle il reprendra son poste d'origine à titre de
directeur des technologies de l'information. Il accepte également de soutenir et
former l'équipe qui assumera son remplacement.
[32] Le point 3 précise que les derniers détails relatifs au boni du plan
quinquennal seront réglés à son échéance, soit le 30 janvier 2010. Enfin, pour le
point 4, le plaignant se fait dire par monsieur Shiller qu'il a été ajouté pour des
considérations fiscales, afin de pouvoir effacer le prêt de 100 000 $.
You have advised Blinds To Go of your intention to terminate your
employment relationship with Blinds To Go as of January 31, 2010 but
give Blinds To Go the right to retain you as a consultant thereafter during
the 6 months of the year when you are not in Chile (but reachable during
the other 6 months of year while you are living in Chile.) Terms and
conditions of such retention will be discussed at the appropriate time
(convenient to both you and Blinds To Go).
(reproduit tel quel)
[33] Un peu plus tard, le plaignant est allé voir monsieur Shiller relativement à
cette dernière clause. Ce dernier lui a dit : « Tu ne me fais pas confiance? »
[34] Richard Shiller relate que son frère est venu le voir à la mi-juin 2007. Il lui
remet alors une feuille manuscrite qui reflétait le contenu d’une entente
intervenue entre le plaignant et son frère. À partir de la feuille manuscrite, son
frère lui demande de préparer un document.
[35] Puis, Richard Shiller se rend au bureau du plaignant afin de lui présenter
le document qu’il avait préparé. Il voulait être sûr qu’il reflète les discussions
entre ce dernier et son frère. Le plaignant aurait lu le document et lui aurait
répondu que le deuxième paragraphe du point 1 lui causait des problèmes parce
qu’il désirait que l’on oublie le prêt de 100 000 $ que l’employeur lui avait
consenti. Il désirait également que l’employeur assume les aspects fiscaux de ce
prêt. Pour le reste, il ne semblait pas y avoir de problème.
[36] Il ne se rappelle pas si le plaignant a souligné qu’il y avait une coquille ou
une erreur de frappe sur le document, puisqu’il indiquait l’année 1010 plutôt que
2010.
[37] Richard Shiller a alors préparé un second document en faisant les
corrections demandées qu’il a présentées au plaignant probablement le même
jour. Ce dernier s’est déclaré satisfait. Par la suite, il en a avisé son frère.
[38] Monsieur Shiller a revu le plaignant à son bureau avec les deux
documents préparés par son frère. Le plaignant en a pris connaissance. Il a
trouvé une coquille puisque l'année indiquée était 1010 plutôt 2010. Monsieur
Shiller l'a corrigée et les deux hommes l'ont paraphée. Le document a satisfait le
plaignant et les deux hommes se sont serré la main.
[39] De cette entente, il était clair pour monsieur Shiller que l'emploi du
plaignant se terminerait le 30 janvier 2010, soit à la fin du plan de bonis
quinquennal. Jamais, par la suite, le plaignant ne l'a contesté.
[40] Le plaignant affirme qu'il n'a jamais voulu démissionner de son emploi et
qu'il n'a jamais demandé à ce que cette clause soit ajoutée au document.
[41] Il ajoute n'avoir jamais discuté de ce document avec le frère de monsieur
Shiller, Richard. Dans les faits, Richard Shiller n'a jamais été un interlocuteur
pour le plaignant, et ce, pour toute sa période d'emploi. Il discutait avec monsieur
Udofia et monsieur Shiller (Stephen) uniquement.
[42] Le plaignant débute à l'usine de Montréal au début de juillet 2007. La
journée même, l'employeur congédie son prédécesseur, un certain Stéphane
Monssen. En juin 2008, il informe son employeur de son désir de reprendre son
poste d'origine. L'employeur lui apprend que monsieur Barot, qui a remplacé le
plaignant au Service des technologies de l'information, a été transféré aux ÉtatsUnis à titre de directeur bien que tout le reste de l'équipe informatique soit resté à
Montréal.
[43] À l'été 2008, le plaignant ne revient pas à son poste d'origine malgré une
nouvelle demande de sa part. À ce moment, les cadres qu'il a formés à l'usine de
Montréal ne sont pas en mesure d'assurer la relève. Monsieur Shiller lui
demande de former deux autres gestionnaires, ayant plus de potentiel, qui
pourraient le remplacer à la direction de l'usine. Le plaignant accepte.
[44] En octobre et novembre 2008, le plaignant doit s'adresser à l'employeur
pour le paiement de son boni, alors que tous les autres directeurs l'avaient reçu.
LES ABSENCES AU CHILI
[45] En mars 2009, le plaignant fait un bilan de sa situation. Il ne croit plus
pouvoir retourner à son ancien poste qui a été transféré aux États-Unis et il est
en train de perdre toute son expertise en informatique. Il tente alors de se
repositionner dans l'entreprise. S'il doit rester à l'usine, il veut avoir la possibilité
de se rendre au Chili deux fois par année pour y créer des occasions d'affaires.
En retour, il est prêt à former la relève.
[46] Le 31 mars 2009, monsieur Shiller reçoit un courriel du plaignant qui
l'informe qu'il entend se rendre au Chili deux fois par année. Monsieur Shiller
n'est pas enchanté par cette situation, mais les cadres en formation n'étaient pas
encore prêts à assumer la relève à l'usine.
[47] Monsieur Shiller et le plaignant se sont rencontrés au mois d'avril 2009.
Dans un premier temps, ce dernier aurait demandé, une fois de plus, de pouvoir
retourner à son ancien poste. Monsieur Shiller lui aurait fait comprendre qu'il
avait encore besoin de lui à l'usine. Les deux hommes ont négocié et en seraient
venus à une entente.
[48] Celle-ci laisse à l'employeur le choix quant à la forme que pourrait prendre
le travail du plaignant. Monsieur Shiller a accepté que le plaignant poursuive son
travail, à temps partiel, à compter du mois de février 2010. Pendant cette
période, il conserverait le statut de salarié. À ce moment, monsieur Shiller
refusait d'envisager un statut de consultant. Selon le plaignant, les deux hommes
auraient également convenu que le plaignant s'absenterait pour se rendre au
Chili, soit deux fois 6 semaines en 2010, deux fois 9 semaines en 2011 et,
semble-t-il, deux fois 12 semaines en 2012. En tout temps, le plaignant devrait
être joignable. Dans un courriel du 14 décembre 2009, la responsable de la
comptabilité écrit au plaignant : « Can you also let me know the months you plan on
working in Mtl for next year so that we can budget accordingly?”
[49] Monsieur Shiller dit qu'il a consenti à ce que le contrat de travail du
plaignant se prolonge d'un an incluant deux absences de six semaines chacune.
Il n'y a pas eu d'accord pour que le plaignant poursuivre son travail comme
consultant sur une période de trois ans.
[50] En mai 2010, même si les choses progressent, les deux cadres formés
par le plaignant ne sont pas encore prêts. Le plaignant s'absente pour le Chili
deux périodes de six semaines.
[51] Pendant ses séjours, le plaignant fait des recherches afin d’acheter des
terres pour la culture du raisin destiné à la fabrication du vin. Il fait une offre
d’achat à cette occasion.
[52] Lors de son deuxième séjour en 2010, il a également négocié pour l’achat
d’une terre, mais le propriétaire demandait trop cher. Au bout du compte, il n’a
rien acheté.
[53] En 2010, le plaignant apprend que le prêt de 100 000 $ consenti en 2002
et garanti par ses options d'achats d'actions a été traité comme un salaire et non
comme un gain en capital, tel qu'il avait été convenu à l'époque. À cause de ce
traitement fiscal différent, le plaignant subit un manque à gagner de 50 000 $.
[54] Le plaignant s'en plaint et après accord avec l'employeur, il réussit à
récupérer le montant sous forme d’allocations de dépenses.
[55]
Puis, le plaignant affirme ne pas avoir reçu son boni pour 2011.
[56] Monsieur Shiller précise qu'après la fin du plan quinquennal incitatif en
2010, l'entreprise ne l'a pas renouvelé. Il n’y a pas eu de boni de distribuer après
2010, ni pour le plaignant ni pour aucun autre cadre.
[57] En février 2011, le plaignant écrit à monsieur Shiller. Il l'informe qu'il
s'absentera deux fois et que chaque absence sera d'une durée de neuf
semaines. Monsieur Shiller lui rappelle qu'ils ont convenu de six semaines à
l'origine. Le plaignant s'absente pour une autre période de neuf semaines au
printemps 2011. À l'automne 2011, le plaignant s'absente pour une autre période
de neuf semaines.
LES FAITS AYANT MENÉ À LA FIN D'EMPLOI
[58] Selon la version de monsieur Shiller, celui-ci n'a jamais consenti à ce que
les périodes d'absences du plaignant passent de six à neuf semaines. Bien que
frustré, il a accepté ces absences qui n'étaient pas sans causer de problèmes,
puisque l'usine demandait la présence d'un directeur à plein temps.
[59] Il ajoute qu'il n'a jamais dit au plaignant qu'il resterait au sein de
l'entreprise à titre d'employé lorsque la relève sera prête. Il était ouvert à ce qu'il
travaille à titre de consultant.
[60] À son retour du Chili, à la fin du mois d'octobre 2011, monsieur Shiller
informe le plaignant qu'il désire le rencontrer afin de discuter des besoins de
l'entreprise et des absences du plaignant pour les années 2012 et 2013.
[61] Le plaignant affirme que monsieur Shiller se disait prêt à maintenir la
relation contractuelle au-delà de 2011, mais il voulait changer les termes de
l'entente d'avril 2009. Dès février 2011, l'employeur remet en question les deux
périodes d'absence de neuf semaines. Afin de faire pression sur lui, l'employeur
ne lui a pas payé le boni de 2011 et a retenu ses allocations de dépenses.
[62] Pour le plaignant, l'employeur ne voulait plus honorer l'entente parce
qu'elle lui coûtait chère, d'autant qu'il venait de l'informer que la relève pour
l'usine était prête. Dans les faits, l'employeur n'avait plus réellement besoin de lui
et c'est la raison pour laquelle monsieur Shiller lui a demandé de démissionner. À
57 ans, le plaignant ne pouvait se permettre de laisser son emploi.
[63] Monsieur Shiller lui a parlé d'un contrat de consultant. Le plaignant n'était
pas contre, mais il voulait un écrit.
[64] Vers la fin de 2011, les événements se précipitent et les choses
dégénèrent. Le plaignant rappelle l'entente d'avril 2009.
[65] Pour le plaignant, l'employeur changeait encore une fois ses conditions de
travail. Dans le même courriel, l'employeur lui dit qu'il était prêt à l'accommoder
une dernière fois et, à la fin, lui impose un ultimatum. Il s'est contenté de lui
répondre qu'il n'entendait pas démissionner.
[66] Monsieur Shiller affirme avoir toujours eu de bonnes relations avec le
plaignant, sauf à la fin lorsque ce dernier a tenté d’obtenir de l’argent. Il répète
qu’il n’a jamais demandé au plaignant de démissionner.
[67] Il réaffirme que le plaignant voulait quitter son emploi pour se rendre au
Chili et qu’il n’a fait que l’aider dans ce sens. Il ne lui a jamais demandé de
travailler à titre de consultant.
[68] Le 1er février 2012, le plaignant écrit à monsieur Shiller, afin de connaître
ses intentions. Il l'avise également qu'il entend s'absenter du 28 février au 22 mai
2012. Il avait déjà loué un appartement et sa femme avait obtenu ses vacances.
[69]
Monsieur Shiller lui répond :
Roberto,
I am not sure why you are writing me this unless it's for your transition to
Chile
A per my last exchange with you, I explained that I would not be able to
approve another leave of absence, as the business cannot sustain that
with someone in a leadership position.
Unfortunately, if you do leave, it would be against my explicit directives,
and you will be deemed to have abandoned your position.
(reproduit tel quel)
[70] Le 5 mars 2012, le plaignant reçoit un courriel de l'employeur l'informant
de sa fin d'emploi rétroactive au 25 février 2012.
[71] Par la suite, il a fait une réclamation à l'assurance-emploi. L'employeur a
contesté. La Commission de l’assurance-emploi, après un refus initial, a accepté
de lui verser des prestations et l'employeur a porté cette décision en appel. Il
s'est désisté quatre jours avant l'audience.
[72] Selon le plaignant, l'employeur lui a demandé de démissionner, à de
nombreuses reprises. Dans les derniers mois, monsieur Shiller ne lui adressait
plus la parole et l’écartait lors des réunions.
[73] À la même période, monsieur Barot, le responsable de l’informatique,
informe le plaignant que le message véhiculé par l'employeur entourant les
circonstances de son départ est qu'il avait quitté l'entreprise pour agir à titre de
consultant. Le plaignant souligne que ces faussetés ont affecté sa santé.
[74] Le plaignant affirme qu'il ne possède pas de vignoble au Chili et ne tire
pas de revenus d'un vignoble. Il est vrai que sa grand-mère a possédé des
terres, mais elle a presque tout vendu. C'est finalement, l'un de ses oncles qui a
acheté le peu qui restait.
[75] Antoine Filion est au service de l’employeur depuis 2007. Auparavant, il
était à la Société des alcools du Québec, c’est pourquoi il connaît bien le vin.
Après deux ans dans les magasins et à l’usine américaine, il a été muté à l’usine
de Montréal, en juillet 2009.
[76] Monsieur Filion a travaillé en étroite collaboration avec le plaignant qui
avait comme mandat de le former, lui et son collègue Stéphane Benoit, à titre de
gestionnaires. Dans les faits, l’objectif de la formation visait à ce qu’ils puissent
prendre la relève du plaignant lorsque ce dernier quitterait l’entreprise. C’est
effectivement ce qui s’est produit puisqu’à compter du départ du plaignant, au
mois de février 2012, ils ont assumé la direction de l’usine de Montréal.
[77] Monsieur Filion relate avoir sympathisé avec le plaignant, puisqu’ils
aimaient le vin. Ce dernier lui parlait fréquemment de son projet de se rendre au
Chili, afin d’exploiter un vignoble. Il disait qu’il possédait une terre avec sa famille
et que, pour le moment, il vendait le raisin à une dame du nom d’Apostole afin
qu’il soit transformé en vin. Le plaignant ne lui a jamais parlé de son désir de
retourner à son poste de directeur de l’informatique après avoir assuré la relève
à l’usine.
[78] Monsieur Benoit reprend essentiellement les propos de monsieur Filion. Il
relate que le plaignant, à son retour du Chili au mois d’octobre 2011, l’aurait
avisé ainsi que son collègue Filion, qu’ils étaient prêts à prendre la relève de
l’usine de Montréal. Le plaignant aurait transmis cette information à monsieur
Shiller.
[79] Messieurs Filion et Benoit admettent qu’ils n’étaient nullement au courant
des échanges entre monsieur Shiller et le plaignant relativement aux conditions
de travail de ce dernier. Ils confirment qu’ils ne possèdent aucun document relatif
aux échanges qu’ils ont eu avec le plaignant relativement à son projet de retraite.
Les discussions étaient de nature personnelle.
[80] Richard Shiller précise que le plaignant lui a confié à quelques reprises
qu’il désirait prendre sa retraite à 55 ans. Il disait qu’il voulait ne pas se contenter
de vendre le raisin qu’il produisait, mais voulait le transformer en vin et le vendre.
Le plaignant lui disait qu’il voulait passer six mois à Montréal et six mois au Chili.
[81] Le plaignant affirme que l’employeur, le 9 décembre 2011, l’a obligé à se
rendre à son bureau en portant un jeans, alors qu’il s’était toujours présenté en
complet cravate. Le 13 décembre, monsieur Shiller lui écrit qu’il croyait que le
plaignant se rendait à son bureau afin de récupérer ses affaires. De son côté,
monsieur Shiller affirme avoir suggéré au plaignant de venir en jeans parce que
ce dernier était en congé.
MOTIFS DE LA DÉCISION
LES CONDITIONS D'OUVERTURE DE LA PLAINTE SELON L'ARTICLE 124
DE LA LNT
[82] Dans sa décision interlocutoire du 5 juillet 2013 (2013 QCCRT 0327), la
Commission a rejeté le moyen préliminaire de l'employeur selon lequel le
plaignant était un cadre supérieur. Elle a décidé qu'il détenait le statut de salarié
au sens de la LNT. Les autres conditions d'ouverture du recours sont admises à
l'exception de l'existence d'un congédiement. Pour l'employeur, la fin d'emploi du
plaignant correspond à un abandon de poste, à une démission, à l'arrivée du
terme d'un contrat à durée déterminée ou à des variables de celui-ci.
[83] En regard de l'existence ou non d'un congédiement, la Cour d'appel dans
l'affaire Lamy c. Kraft ltée, [1990] CanLII 2993 (QCCA) rappelle que la
compétence du tribunal ne dépend pas de la qualification faite par l'employeur de
son propre geste, puisqu'une telle approche serait trop restrictive. La
compétence d'attribution dépend plutôt de la croyance subjective du salarié
d'avoir été congédié. Il faut dépasser la qualification du geste posé par
l'employeur et analyser les circonstances qui ont mené à la fin d'emploi du
salarié.
[84] La Commission est d'avis que c'est à tort que l'employeur soutient qu'il
revient au salarié de faire la preuve d'un congédiement lorsqu'il y a eu une fin
d'emploi. La croyance de ce dernier selon laquelle il a fait l'objet d'un
congédiement suffit à remplir cette condition d'ouverture du recours.
LES CONDITIONS D'OUVERTURE DE LA PLAINTE SELON L'ARTICLE 123.6
DE LA LNT
[85]
La LNT définit le harcèlement psychologique à l'article 81.18 :
LE HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE
81.18 Pour l'application de la présente loi, on entend par « harcèlement
psychologique » une conduite vexatoire se manifestant soit par des
comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont
hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité
psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un
milieu de travail néfaste.
Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement
psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif
continu pour le salarié.
[86] De la définition fournie dans l'article de loi précitée, il ressort que quatre
critères doivent être identifiés et prouvés afin d'établir l'existence du harcèlement
psychologique : une conduite vexatoire, son caractère hostile, une atteinte à la
dignité ou à l'intégrité psychologique ou physique et un milieu de travail néfaste.
[87] Si ces quatre critères sont prouvés, il faut déterminer si l'employeur a fait
défaut de respecter les obligations prévues à l’article 81.19 de la LNT. Si la
réponse à cette question est négative, il faut rejeter la plainte.
[88] Enfin, il ressort également de la doctrine et de la jurisprudence (Bangia c.
Nadler, 2006 QCCRT 0419) que la situation doit être examinée dans son
ensemble selon la perspective d'une personne raisonnable.
[89] La Commission analysera les faits significatifs et pertinents propres à
cette plainte. Dans un deuxième temps, la situation sera examinée dans son
ensemble.
LE CONTEXTE
[90] Comme il a déjà été dit, l'employeur plaide l'existence d'un abandon de
poste, d'une démission, de l'existence d'un contrat à durée déterminée arrivé à
son terme et des variables de celui-ci. Le plaignant plaide l'existence d'une
modification substantielle de ses conditions de travail équivalant à un
congédiement déguisé au sens où l'entend la Cour suprême dans l'affaire Farber
c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846. De plus, l'employeur, pour parvenir à ses
fins, aurait commis des actes de harcèlement psychologiques à son endroit
[91] La Commission n'entend pas aborder chacune des prétentions des parties
et préfère s'en tenir à la compréhension qu'elle a de l'affaire.
[92] Ainsi, la Commission identifie quatre étapes distinctes dans la période
d'emploi du plaignant. Les faits à l'origine de la plainte se sont surtout déroulés
dans la dernière période. Il faut toutefois jeter un regard sur les faits déterminants
des périodes précédentes puisqu'ils permettent de comprendre l'ensemble du
dossier.
1re période – L'embauche et la période d'emploi à titre de directeur des
technologies de l'information – Octobre 1999 à juillet 2007
[93] Le plaignant pose sa candidature pour un poste de vice-président aux
technologies de l'information, mais au moment de l'embauche en octobre 1999
l'employeur lui attribue le titre de directeur des technologies de l'information.
[94] L'employeur justifie l'attribution du titre de directeur plutôt que de viceprésident à cause des impacts que cela aurait eus sur l'organisation.
[95] L'employeur a initié une procédure de recrutement pour un poste de
vice-président et, lors de l'embauche, n'accorde au candidat choisi que le niveau
de directeur. On pourrait croire, de prime abord, que l'employeur a mal fait ses
devoirs lorsqu'il a lancé la procédure de recrutement.
[96] Il est manifeste que le plaignant en infère bien autre chose. Celui-ci
souligne que lorsqu'il a été informé qu'il détiendrait un poste de directeur, il avait
déjà démissionné chez son employeur précédent.
[97] Il est incontestable que le plaignant a été placé devant le fait accompli.
Celui-ci infère de ce premier geste à son endroit, l'existence d'un modus
operandi, d'un mode opératoire ou d'un modèle, dans le comportement et les
stratégies de l'employeur, qui se poursuivra jusqu'à son départ.
[98] Il est évident que cette décision de l'employeur a créé une frustration
certaine chez le plaignant. La Commission reconnaît que ce geste constitue une
première modification unilatérale de ses conditions de travail et y reviendra
lorsqu'elle fera le bilan de l'affaire. Même s'il n'y a pas eu de preuve d'une perte
pécuniaire, il n'en demeure pas moins qu'un poste de directeur et un poste de
vice-président, ce n'est pas la même chose. Outre le prestige, il y a la valeur du
titre sur le marché.
[99] Lors de l'embauche, le plaignant reçoit un salaire de 120 000 $ et 40 000
options d'achat d'actions. En 2002, il recevra un autre bloc de 50 000 options. Il
ne pourra pas les réaliser parce que l'employeur a décidé que l'entreprise ne
deviendra pas publique. Avec quelques autres cadres de l'entreprise, le plaignant
recevra plutôt un prêt de 100 000 $ qu'il n'aura pas à rembourser, puisqu'il est
garanti par le bloc d'achat d'actions.
[100] Puis, l'employeur crée un programme incitatif quinquennal en 2004. Le
plaignant comprend que ce programme comporte deux volets. Le premier volet,
un salaire de 200 000 $ accompagné d'un boni de 250 000 $ à un million de
dollars qui doit être versé selon la performance et la rentabilité de l'entreprise, le
second volet, un bloc de 150 000 actions (« restricted stock shares »). Monsieur
Udofia lui aurait dit que ces actions avaient une valeur immédiate.
[101] Ce dernier dira qu'il a bien été question d'un bloc d'actions dans le cadre
des discussions qu'il a eues avec le plaignant, mais que l'employeur a finalement
renoncé à cette formule.
[102] En octobre 2006, le plaignant désire encaisser une partie des actions qu'il
croit détenir pour aider sa sœur gravement malade au Chili. Monsieur Shiller lui
aurait dit que ces actions ne valaient rien. Du témoignage de monsieur Udofia, la
Commission comprend plutôt que l'entreprise a décidé de ne pas émettre ce type
d'actions.
[103] Dans un cas comme dans l'autre, le résultat est le même pour le plaignant
puisqu'il n'a rien.
[104] Pour une deuxième fois, le plaignant a été placé devant le fait accompli.
La Commission retient de la preuve que les discussions entre monsieur Udofia et
le plaignant en 2004 avaient établi que celui-ci recevrait un salaire majoré et un
boni sur cinq ans (le premier volet). Les témoignages sont contradictoires quant
à savoir si le plaignant avait reçu des garanties en regard des actions (le second
volet), mais une chose est sûre, c'est qu'elles ont fait l'objet de discussions avec
monsieur Udofia afin d'améliorer sa rémunération.
[105] L'employeur, pour des considérations peut-être valables, n'a pas émis
d'action. Il est quand même étonnant qu'entre 2004 et octobre 2006, le plaignant
n'en ait pas été informé.
[106] Cette décision de l'employeur constitue une deuxième modification
unilatérale de ses conditions de travail. Bien que la preuve n'ait pas quantifié le
montant de cet avantage auquel il croyait avoir droit, le plaignant s'est retrouvé
devant rien.
[107] Peu de temps après, l'employeur lui consent, en novembre 2006, un prêt
de 35 000 $ qui s'ajoute à celui de 100 000 $ qu’il lui avait déjà consenti en 2004.
2e période – la direction de l'usine de montréal
[108] Monsieur Shiller relate que vers la fin de 2006 ou au début de 2007, le
plaignant lui confie qu'il entendait prendre sa retraite à la fin du programme
quinquennal incitatif, soit la fin de janvier 2010. Le plaignant désirait partager sa
vie entre le Québec et le Chili, son pays d'origine, pour y cultiver et vendre du
vin.
[109] Sans contredire monsieur Shiller, le plaignant nuance grandement ces
propos. Il reconnaît aimer le vin et surtout la culture du vin. Il est d'origine
chilienne et il a toujours rêvé d'avoir des projets en ce sens. Il ne s'en est jamais
caché et il en a parlé à tous ceux qu'il côtoyait. C'est particulièrement le cas avec
les cadres en formation Antoine Filion et Stéphane Benoit.
[110] Cela dit, il n'a jamais fixé de terme à son départ. Au contraire, lorsque
l'employeur lui consent le prêt de 35 000 $, il écrit à ce dernier qu'il entend
continuer à le servir (« to continue to serve BTG in the foreseeable future »).
[111] À la même époque, le plaignant relate que monsieur Shiller lui demande
d'aller occuper le poste de directeur de l'usine de fabrication de Montréal. Sans
entrer dans les détails, il n'est pas contesté que l'équipe en place qui assumait la
direction à l'usine avait échoué à atteindre les objectifs fixés. Il lui demandait
également de préparer une relève pour la direction de cette usine.
[112] Du témoignage de monsieur Shiller, le plaignant aurait accepté de bonne
grâce la mutation proposée. Le poste de directeur d'usine constituait en quelque
sorte un pont ou une transition entre la carrière du plaignant aux technologies de
l'information et celle future de viticulteur. Le plaignant débute à titre de directeur à
l'usine de Montréal au début de juillet 2007.
[113] L'employeur cristallise ce moment en disant que c'est à compter de
l'acceptation par le plaignant d'assumer la direction de l'usine que son contrat de
travail s'est transformé de contrat à durée indéterminée à celui de contrat à
durée déterminée. Concrètement, le nouveau contrat de travail débutait au
premier jour de travail à l'usine et se terminait au jour où la relève serait prête à
assumer la direction de l'usine.
[114] La Commission ne peut suivre l'employeur sur cette voie.
[115] Le Code civil du Québec précise les modalités de la transformation d'un
contrat à durée déterminée à celui de contrat à durée indéterminée :
2090. Le contrat de travail est reconduit tacitement pour une durée
indéterminée lorsque, après l'arrivée du terme, le salarié continue
d'effectuer son travail durant cinq jours, sans opposition de la part de
l'employeur.
[116] Bien sûr, il est possible que cela se fasse de façon consensuelle
également.
[117] La loi ne prévoit pas l'inverse. Dans ce cas, une telle transformation estelle possible sans l'accord explicite des deux parties?
[118] La Commission doit conclure, à contrario, à la nécessité d'une entente
explicite des parties à cet effet. Il n'y a rien de tel dans la présente affaire.
[119] Dans l'affaire Lamothe c. J.E. Lortie & Cie ltée, [2003] AZ-50168141
(C.S.), la Cour supérieure écrit :
[61] Pour qu'il soit considéré comme un contrat à durée déterminée, le
contrat doit contenir des mentions suffisamment explicites pour permettre
de conclure qu'il s'agit véritablement de l'intention des parties. Dans
certains cas, l'existence de clauses, qui prévoient la possibilité de résilier
le contrat en cours d'exercice ou de le renouveler à l'échéance, peuvent
en affecter la nature. Il faut aussi distinguer, lorsque c'est nécessaire, la
durée de validité du contrat de celle des conditions de travail.
[62] Finalement, il importe de noter qu'un tel contrat ne peut se présumer,
et que c'est à la partie qui allègue son existence de le prouver.
(renvoi omis)
[120] Le plaignant a souligné qu'il n'était pas intéressé au poste de directeur
d'usine puisque cela lui ferait perdre son expertise dans les technologies de
l'information. Jamais cette assertion n'a été contredite.
[121] Concrètement, si le plaignant a accepté, c'est parce qu'il n'a pas eu le
choix. Il s'est plié à l'insistance de ses supérieurs qui, il faut le dire, ont bonifié sa
rémunération. L'entente est écrite dans les termes suivants :
June 19, 2007
Dear Roberto,
1. Blinds To Go, Inc. will suspend your obligations to repay your
outstanding loan from the company in the amount of $100,000. until
February 1, 1010, at which time, assuming that you fulfill your
obligations to Blinds To Go, it will forgive the loan together with any
accrued interest. We will work with you to minimize the tax impact to
that forgiveness and, to the extent that there is personal tax liability
(after allowable deductions), then we will pay you a bonus equal to
the federal and provincial income taxes that you are required to pay.
In consideration of the above, you have agreed to relinquish all rights
to any past, stock options, grants or stock rights in Blinds To Go Inc.
whether or not they have already been granted or were to be granted
sometime in the future.
2. You will spend 9–12 months in our Plant in Montreal in a leadership
capacity under the direction of Nkere and Stephen commencing July
01, 2007. You will also lend support, on an as needed basis, to the
Information Systems Department in the Store Support Centers in
Canada and U.S. Afterwards, you will return to the Montreal Store
Support Centre in previous role in Information Systems.
3. You will continue to participate in the 5-year bonus program where
you wille earn ¼% of EBITDA of Blinds To Go. The 5-year plan
commenced on February 1, 2005 and will end on January 30, 2010
and has a floor of $250,000 and ceiling of $1 million. There will be
annual payouts based on then-current earnings and a final calculation
will be determined at year-end January 30, 2010.
4. You have advised Blinds To Go of your intention to terminate your
employment relationship with Blinds to Go as of January 31, 2010 but
give Blinds To Go the right to retain you as a consultant thereafter
during the 6 months of the year when you are not in Chile (but
reachable during the other 6 months of year while you are living in
Chile.) Terms and conditions of such retention will be discussed at the
appropriate time (convenient to both you and Blinds To Go).
As always we look forward to working with you in the future.
Sincerely,
Stephen Shiller,
President
Blinds To Go Inc.
(reproduit tel quel)
[122] L'une de ces considérations relatives à son acceptation, la deuxième,
prévoit que son affectation à la direction de l'usine durera de neuf à douze mois.
Il y restera jusqu'à la fin de son emploi, mais cela ne change rien quant à son
intention originelle qui était de revenir à terme dans son poste de directeur des
technologies de l'information. Cela corrobore son point de vue selon lequel ce
poste valait beaucoup plus sur le marché que celui d'un directeur d'usine.
[123] Jusqu'ici, il n'y a rien qui convainc la Commission de l'existence d'un
contrat de travail à durée déterminée.
[124] La dernière considération à la mutation du plaignant pourrait soutenir la
position de l'employeur, puisque le document prévoit la fin d'emploi pour le 31
janvier 2010. Il prévoit également une prolongation possible d'une relation
contractuelle, mais pas sous la forme d'un contrat de travail.
[125] Si tant est que le contrat originel du plaignant se soit transformé en contrat
à durée déterminée, il n'en reste pas moins qu'il n'est pas resté sous cette forme
puisqu'il s'est prolongé jusqu'au 25 février 2012, date de la fin d'emploi du
plaignant. Celle-ci va bien au-delà des cinq jours qui, selon les termes de
l'article 2090 du Code civil, transforment un contrat de travail à durée déterminée
en celui d'un contrat à durée indéterminée.
[126] Quant à la partie du témoignage de monsieur Richard Shiller, relativement
à la confection du document et aux échanges qu'il a eus avec le plaignant, la
Commission ne le retient pas.
[127] D'une part, le plaignant affirme n'avoir jamais traité avec Richard Shiller en
ce qui a trait à ses conditions de travail, cela se faisait avec monsieur Shiller
(Stephen) et monsieur Udofia. Cette affirmation est corroborée par toute la
preuve documentaire déposée par les parties dans la présente affaire. Richard
Shiller est toujours absent de cette correspondance, même dans celle où il aurait
joué un rôle en rencontrant le plaignant, afin de lui présenter les projets que son
frère lui avait demandé de préparer.
[128] La Commission conclut à l'inexistence d'un contrat à durée déterminée.
[129] La mutation du plaignant du poste de directeur des technologies de
l'information à celui de directeur d'usine constitue une nouvelle modification de
ses conditions de travail. Là encore, celle-ci a été accompagnée d'un ajustement
dans la rémunération.
3e Période – Les voyages au Chili
[130] Le 20 juin 2008, le plaignant écrit à monsieur Shiller pour lui dire que son
mandat à titre de directeur d'usine était rempli et manifeste son désir de
reprendre son poste de directeur aux technologies de l'information.
[131] Monsieur Shiller lui fait comprendre qu'il a toujours besoin de lui à l'usine.
Dans les faits, les cadres qui étaient en formation à ce moment ne répondront
pas aux attentes et ne seront pas en mesure d'assumer la relève. Le plaignant
devra en former d'autres, ce qui nécessite qu'il continue à diriger l'usine.
[132] Le plaignant apprend également que celui qui occupe son ancien poste
aux technologies de l'information, monsieur Barot, a été transféré aux États-Unis,
bien que le service informatique soit resté à Montréal.
[133] Dans les faits, le contrat de travail du plaignant a continuellement évolué.
Avant même son arrivée en 1999, lorsque l'employeur lui attribue le titre de
directeur plutôt qu'un poste de vice-président, on peut déjà constater l'existence
d'une modification de ses conditions de travail.
[134] Lorsque l'employeur transforme en prêt, la perte pour le plaignant de ses
options d'achat d'actions et, plus tard, de ses actions, l'employeur modifie ses
conditions de travail.
[135] En juillet 2007, lorsqu'il assume la direction de l'usine, il y a encore une
modification de ses conditions de travail. Ici, on pourrait même se poser la
question à savoir s'il s'agit ou non d'une modification substantielle de ses
conditions de travail considérant l'importance du changement et, surtout, l'impact
que cela a sur son cheminement professionnel.
[136] Dans l'affaire Lessard c. Ministère des Transports, 2013 QCCRT 0598, la
Commission écrit :
[20] La jurisprudence de la Commission des relations du travail reconnaît
en effet qu’un salarié peut être victime d’un congédiement déguisé, même
en l’absence de rupture du lien d’emploi. La décision Brault c.
Commission scolaire des Navigateurs, 2010 QCCRT 0570, en est une
illustration :
[67] Il est bien établi que le fait pour un employeur
d’imposer unilatéralement et sans motif une modification
fondamentale au contrat de travail de son employé
constitue une forme de congédiement déguisé.
[68] La Cour suprême définit ce concept dans l’arrêt Farber
c. Cie Royal Trust [1997] 1 R.C.S. 846, de la façon
suivante :
Lorsqu’un employeur décide unilatéralement de modifier
de façon substantielle les conditions essentielles du
contrat de travail de son employé et que celui-ci n’accepte
pas ces modifications et quitte son emploi, son départ
constitue non pas une démission, mais un congédiement.
Vu l’absence de congédiement formel de la part de
l’employeur, on qualifie cette situation de «congédiement
déguisé». En effet, en voulant de manière unilatérale
modifier substantiellement les conditions essentielles du
contrat d’emploi, l’employeur cesse de respecter ses
obligations; il se trouve donc à dénoncer ce contrat [...].
[69] Depuis la décision de la Cour d’appel dans l’affaire
Joyal c. Hôpital du Christ-Roi [1997] R.J.Q.38, il n’est pas
nécessaire que le salarié abandonne son emploi, il suffit
qu’il ait manifesté son refus des modifications décidées par
l’employeur.
[70] Or, ce ne sont pas toutes les modifications imposées
par l’employeur qui sont susceptibles de constituer un
congédiement déguisé. Il faut également que cette
modification affecte les conditions essentielles de contrat
de travail.
[71] En effet, comme le confirme la décision Farber
précitée, des changements à la situation de travail du
salarié peuvent être explicitement ou implicitement permis
par le contrat de travail. C’est le cas, en autres, des
modifications qui découlent de l’exercice légitime des
droits de direction de l’employeur:
Par contre, l’employeur peut faire toutes les
modifications à la situation de son employé
qui lui sont permises par le contrat,
notamment dans le cadre de son pouvoir de
direction. D’ailleurs, ces modifications à la
situation de l’employé ne constitueront pas
des modifications du contrat de travail, mais
bien des applications de ce dernier. Cette
marge de manœuvre sera plus ou moins
grande selon ce qui a été entendu entre les
parties lors de la formation du contrat.
[137] Ce ne sont pas toutes les modifications au contrat de travail qui sont
susceptibles de constituer un congédiement déguisé. Pour être considérées
comme telles, les modifications ne doivent pas être permises par le contrat de
travail, elles doivent être substantielles et, bien sûr, refusées par le salarié.
Refuser une modification ne veut pas dire que le plaignant doit rompre son lien
d'emploi. Il pouvait rester en poste et refuser la modification ou encore déposer
une plainte à la Commission.
[138] Cela dit, le plaignant a accepté les changements concernant son titre
d'emploi, la modification de sa rémunération et sa mutation à l'usine de Montréal.
Jusqu'ici, il n'a jamais refusé formellement les modifications apportées à ses
conditions de travail. En tenant compte de son rapport de force limité, il a plutôt
conclu qu'il était préférable de négocier ces modifications. Donc, même si,
objectivement, l'une ou la somme des modifications subies depuis son entrée en
fonction pourraient avoir constitué une modification substantielle de ses
conditions de travail, son acceptation ne permet pas d'identifier l'existence d'une
telle modification.
[139] En mars 2009, le plaignant est conscient que ses chances de récupérer
son poste de directeur des technologies de l'information sont minces, voire
inexistantes. Il prend également conscience qu'il est en train de perdre son
expertise en informatique. Il tente alors de se repositionner au sein de
l'entreprise.
[140] Le plaignant fait le raisonnement suivant : il ne peut récupérer son poste
aux technologies de l'information, il perd son expertise dans ce domaine et il
perdra éventuellement son poste à l'usine lorsque la relève sera prête ou, à tout
le moins, on devra reconsidérer son rôle dans l'organisation. Il mise sur la seule
carte qu'il détient réellement dans son jeu : il offre un bon rendement, il est plutôt
bien perçu par la direction et, surtout, on compte sur lui pour former la relève à
l'usine.
[141] Le 31 mars 2009, il écrit à l'employeur qu'il entend se rendre au Chili deux
fois par année à compter de 2010, afin de réaliser certains projets. Dans le
courriel, il indique également à monsieur Shiller qu'il est toujours intéressé à
reprendre son poste aux technologies de l'information et qu'il reste ouvert, à plus
long terme, à une relation contractuelle qui pourrait prendre diverses formes
(« mandate », « consulting fees », « linking up while away », etc.).
[142] La Commission interprète ce geste du plaignant comme une volonté de
modifier ses conditions de travail. Ici, pour la première fois, cette demande de
modification des conditions de travail relève de son initiative.
[143] Il ressort de la preuve que monsieur Shiller et le plaignant se sont
rencontrés au cours du mois d'avril 2009 et ils ont conclu une entente. Celle-ci
portait autant sur les absences du plaignant que sur son rôle dans l'organisation.
[144] Pour la Commission, il est clair que l'entente prévoyait que le plaignant
pourrait s'absenter deux fois par année pour les trois prochaines années, soit les
années 2010 à 2012. Par après, il était entendu que cela ferait l'objet de
négociations. En retour, le plaignant devait continuer à assurer la direction de
l'usine et s'engageait à former une relève. Le plaignant continuait à recevoir son
plein salaire.
[145] À la suite de cette entente, le plaignant s'absente, deux fois six semaines,
en 2010. Il tente alors d'acheter des terres et de jeter les bases de relations
d'affaires.
[146] Au début 2011, le plaignant prévient monsieur Shiller qu'il s'absentera
deux fois neuf semaines. Le 17 février 2011, monsieur Shiller écrit au plaignant
pour lui dire qu'il y avait effectivement une entente entre eux (« a deal is a deal »),
mais qu'il croyait que ses absences pour 2011 ne seraient que de six semaines.
[147] Le même jour, le plaignant lui rappelle que sa demande initiale portait à
terme sur une absence de six mois par année et réitère son offre d'une entente
future de type « consultant ».
[148] Au printemps 2011, le plaignant s'absente neuf semaines. Il tente encore
de jeter les bases d'une relation d'affaires. Il s'absente également à l'automne
2011 où il s'engage dans une relation d'affaires avec des partenaires. Il y prend
des engagements.
[149] En juillet 2011, le plaignant se plaint de ne pas recevoir le paiement de
ses allocations de dépenses. Il s'adresse à la comptabilité qui lui répond avoir
besoin d'une autorisation de monsieur Shiller. Le plaignant s'adresse à ce dernier
pour être finalement payé en août.
[150] Le 1er novembre 2011, monsieur Shiller rencontre le plaignant. Selon la
version de ce dernier, monsieur Shiller lui aurait demandé de démissionner et
d'agir dorénavant à titre de consultant. Le plaignant aurait répondu être ouvert à
une telle proposition, mais il exige des garanties écrites.
[151] De son côté, monsieur Shiller nie avoir demandé au plaignant de
démissionner et d'agir à titre de consultant.
[152] Selon le plaignant, une rencontre se serait tenue le 2 décembre 2011. Les
positions respectives des parties auraient été les mêmes qu'au 1 er novembre
2011.
4e Période – La fin d'emploi
Le harcèlement psychologique
[153] Le 9 décembre 2011, monsieur Shiller écrit au plaignant :
I spoke to Nkere.
Would you like to come in Monday . Jeans is ok.
(reproduit tel quel)
[154] Le plaignant infère de cet écrit que monsieur Shiller a voulu l'humilier
parce qu'il lui demandait de se présenter à l'usine en jeans. Dans les faits, le
plaignant n'a jamais porté de jeans de sa vie. À cette accusation, monsieur
Shiller répond que le lundi était le jour de congé du plaignant et qu'il le dispensait
de se présenter à l'usine en complet cravate.
[155] D'abord, la preuve ne révèle pas que monsieur Shiller savait que le
plaignant ne portait jamais de jeans. Il savait cependant que le plaignant portait
toujours une tenue soignée. À la limite, la Commission peut reconnaître une
indélicatesse, un manque de tact, mais la Commission n'y voit pas de geste
humiliant qui pourrait s'assimiler à du harcèlement.
[156] Le 13 décembre 2011, le plaignant écrit à monsieur Shiller parce qu'il veut
le voir ou lui parler. On convient d'une communication en soirée. Monsieur Shiller
écrit :
Yes perfect. Call me on my cell. I thought you said you were going in to
the plant today to pick up your things. Anyways, if you are there for the
day it is good for you to talk to Stephane and Antoine and anyone else
and I would appreciate it if you give them your home number and cell so
they can reach you with any questions. Also I don't know if there are any
procedures you need to tell finance regarding year end but if there is,
please talk to Felecia and Luc and send an email with anything else you
think they need to know.
(reproduit tel quel, à l’exception du soulignement ajouté)
[157] Le plaignant infère un geste d'humiliation de la part de l'employeur qui lui
demande de venir récupérer ses effets personnels. À son avis, le texte suggère
également une demande implicite de démission ou un avis de congédiement.
[158] La Commission reconnaît que l’expression « you were going in to the plant
today to pick up your things » du paragraphe susmentionné est déroutante, puisque
le contexte ne permet pas de lui donner un sens précis. Sans qualificatif qui
précède comme l’expression du genre « get out », la Commission ne peut suivre
le plaignant. Ce n’est probablement pas sympathique, mais du point de vue
d’une personne raisonnable ce n’est pas du harcèlement.
[159] Le 15 décembre 2011, monsieur Shiller exprime la position de l'employeur
en regard du statut du plaignant dans l'entreprise. Il écrit :
[ ]
So we concluded with you a special arrangement that would allow us to
grow someone in the IT department into a leadership position, would give
you a leadership position in the plant on an interim basis, and allow you to
pursue your personal project in Chile while assisting us in the transition.
We both agreed that this would be beneficial to both you and us.
It was a very generous arrangement both in time and money and nobody
else in the company benefited from something similar.
It was always understood between us that this was a temporary measure
that would end when our resources were in place to carry forward which
you agreed made the most sense.
The position that you held was not a part-time position that could tolerate
your paid absence for weeks and weeks at a time- we did this to
accomodate you because you were helping us.
If you consider yourself an employee of BTG, then you have to agree to
act like a responsible employee of BTG– Roberto, I never asked you to
leave– that was your idea– if you want to continue working, we have full
time positions available for you to fill.
Il you do not wish to work full time, either to work on your winery or for
any other reason, then you should do the honorable thing and simply
resign. I feel like you want to leave but you just want to take some money
from the company on the way out– I don't think that is fair or reasonable.
[…]
(reproduit tel quel)
[160] De cet extrait, il ressort que monsieur Shiller reconnaît l'existence d'une
entente conclue avec le plaignant. Il est implicite que cette entente comportait
des absences en retour desquelles le plaignant devait assurer la direction de
l'usine et former une relève.
[161] Il ressort clairement de sa compréhension que cette entente avait une
portée temporaire et qu'elle avait pris fin. Sur ce dernier point, il prend la peine
d'indiquer au plaignant que des emplois à temps plein l'attendaient. Cela ne
posait pas de problème.
[162] Le lendemain, le plaignant lui répond en réitérant sa position. Il rappelle la
conclusion d'une entente en avril 2009 relativement à des absences. Celle-ci
prévoyait qu'il resterait au service de l'employeur à titre de salarié. Cette entente
tenait pour les années 2010 à 2012. Par la suite, des négociations devaient se
tenir à nouveau.
[163] Pour la Commission, il est évident que l'entente d'avril 2009 avait une
portée de trois ans et qu'elle était renouvelable. Cela de l'aveu même de
monsieur Shiller. Ce dernier écrit le 31 octobre 2011 :
Hi Roberto great to hear from you. welcome back. thought it would be
useful to meet tomorrow and discuss the future …what you see
happening in Chile and your required absence from the plant over the
next year or two .Can we meet at the office on st. joseph at 11 tomorrow
before you going to the plant ?
(reproduit tel quel, à l’exception du soulignement ajouté)
[164] Pourtant, monsieur Shiller écrit le 16 décembre 2011, soit moins de
sept semaines plus tard :
Roberto,
(…)
If our business was able to withstand your absence for many weeks at a
time for a while, that is no longer the case and you can consider this note
as formal notice of that.
Our needs have changed and you have to adapt, just like any other
employee of BTG. I don't agree that taking 18 weeks off a year is a «term
of employment» because il was the result of a special, temporary
arrangement. Even so, as I am sure your lawyer will tell you, any term of
employment can be modified with proper notice.
The position that you can assume within the company is a full time
leadership position in any of the 3 aeras we discussed. Your stature,
salary and benefits remain unchanged but obviously any of these
leadership positions requires you full time presence at work.
Il am prepared to discuss an extended leave for several weeks to
accomodate you in the short term, but after that, you will have to accept
that the needs of your business require your full time attention. That is the
long and short of it Roberto.
At least, your note is clear- you want severance before discussing
anything. Firstly, there is no obligation to pay severance in the Province of
Quebec (notice of termination is sufficient); secondly, this is especially so
when a person has not been dismissed.
(…)
Please let me know your decision no later than Monday at 5:00.
(reproduit tel quel)
[165] Dans ce courriel, monsieur Shiller réitère ce qu'il avait écrit la veille au
plaignant. Il pouvait mettre fin à cette entente en offrant un délai raisonnable. Il
se dit ouvert à discuter d'une dernière absence de quelques semaines, après
quoi le plaignant devra accepter de reprendre le travail à temps plein. Enfin, il
interprète les propos du plaignant comme une demande de délai-congé.
[166] De son côté, le plaignant interprète mal l'ouverture que lui fait monsieur
Shiller lorsque ce dernier accepte de discuter d'une absence pour une période de
quelques semaines en 2012. En écrivant qu'il entendait s'absenter du 28 février
au 22 mai 2012, monsieur Shiller considère en effet cette réponse comme de
l'insubordination. Il lui répond d'ailleurs que s'il devait s'absenter pour cette
période, il considérerait le geste comme un abandon de poste.
[167] Il y aura d'autres échanges par la suite, mais ils tourneront à vide. Le 5
mars 2012, l'employeur avise le plaignant qu'il a mis fin à son emploi,
rétroactivement au 25 février 2012, parce qu'il avait abandonné son poste.
[168] Le 30 mars 2012, le plaignant dépose une demande d'assurance-emploi
qui sera contestée par l'employeur. Ce dernier a soutenu que le plaignant n'avait
pas été congédié, mais avait abandonné son poste.
[169] La demande initiale du plaignant est rejetée. Il a fait appel, mais la
décision est réformée lors d'une révision à l'interne. L'employeur a fait appel de
cette décision, mais il s'est désisté quatre jours avant l'audience.
[170] Il ne fait pas de doute que l'employeur a fait la vie dure au plaignant. Cela
dit, l'employeur est constant dans ses propos : le plaignant n'a jamais été
congédié, il a plutôt abandonné son emploi. C'est la position que l'employeur a
maintenue constamment.
[171] L'employeur est tenace, voire rancunier, mais ce geste et les précédents
ne peuvent être assimilés à du harcèlement du point de vue d'une personne
raisonnable. Dans les faits, l'employeur défend son point de vue.
La cause juste et suffisante
L'abandon d'emploi ou la démission
[172] Pour les motifs précités, la Commission a déjà rejeté la position de
l'employeur selon laquelle, la fin d'emploi du plaignant correspondait à l'arrivée à
terme d'un contrat à durée déterminée. Le 25 février 2012, le plaignant détenait
un contrat à durée indéterminée.
[173] Dans l'affaire Bouffard c. S. Rossy inc., 2006 QCCRT 0077, la
Commission écrit :
[17] Lorsqu’il s’agit de déterminer la survenance ou l’existence d’une
démission, les principes applicables sont clairement établis par la doctrine
et la jurisprudence :
« La jurisprudence arbitrale majoritaire est à l’effet que
l’employeur doit supporter le fardeau de la preuve de la
démission du salarié.L’arbitre Marie-France Bich écrivait
ainsi dans l’affaire Turpin c. Le Château de l’Aéroport :
C’est donc ultimement à l’employeur que
devrait revenir le fardeau de persuader
l’arbitre que le salarié a démissionné, et non
au salarié de
démissionné.
démontrer
qu’il
n’a
pas
L’arbitre devra conclure en un congédiement déguisé, en
l’absence d’une preuve manifeste de l’intention du salarié
de laisser son emploi. En effet, la démission a un caractère
purement personnel qu’exprime bien l’affaire K-Mart du
Canada Ltée c. Côté :
Un abandon d’emploi ou un départ volontaire
est quelque chose qui se vit personnellement.
L’intention de quitter son poste ou son emploi
doit être manifeste. Le geste qui exprime une
démission s’inscrit dans un contexte
volontaire, libre, certain et définitif.
MM. D’Aoust, Leclerc et Trudeau ont dégagé la nécessité
d’une double volonté, pour conclure à la démission :
Pour que la démission soit valable, il faut que
deux éléments soient réunis : d’une part, on
doit retrouver une intention (volonté interne) et
d’autre part, des actes positifs (volonté
déclarée).
Pour que l’on puisse conclure à la démission, les actes
positifs du salarié doivent démontrer une volonté ferme
d’abandonner définitivement son emploi. Si les gestes
posés révèlent une intention de continuer, sur une autre
forme, la relation avec l’employeur, on ne pourra soutenir
qu’il y a démission.
La volonté interne du salarié doit s’exprimer par un
consentement libre et éclairé. Ainsi, refusera-t-on de
conclure à la démission si le geste posé par le salarié fut
irréfléchi ou si l’ensemble des circonstances ne permet pas
de conclure à une décision ferme de rompre la relation de
travail.
L’arbitre Jean-Pierre Lussier a dégagé dans l’affaire
Savard c. M.B. Data Processing une série de règles
applicables en matière de démission :
A) Toute démission comporte à la fois un
élément objectif et subjectif;
[…]
B) La démission est un droit qui appartient à
l’employé et non à l’employeur. Elle doit
donc être volontaire;
[…]
C) La démission s’apprécie différemment
selon que l’intention de démissionner est
ou non exprimée;
[…]
D) L’intention de démissionner ne se présume
que si la conduite de l’employé est
incompatible avec une autre interprétation;
[…]
E) L’expression de son intention de démission
n’est pas nécessairement concluante quant
à la véritable intention de l’employé;
[…]
F) En cas d’ambiguïté, la jurisprudence refuse
généralement
de
conclure
à
une
démission;
[…]
G) La conduite antérieure et ultérieure des
parties constitue un élément pertinent dans
l’appréciation
de
l’existence
d’une
démission.
Ces différents principes dénotent l’extrême prudence des
arbitres à conclure à une démission valide. »
(références omises)
[174] D'abord, la jurisprudence établit clairement que le fardeau de preuve
revient à l'employeur. C'est à lui de démontrer l'existence d'un abandon
volontaire ou d'une démission.
[175] Bien qu'il ressorte de la preuve que l'employeur n'a jamais utilisé le mot
«congédiement», le courriel du 5 mars 2012 de monsieur Shiller l'indique : «It is
unfortunate that you have ignored my specific request that you remain at work. In the
circumstances, I have no choice but to note that you have abandoned your employment
with Blinds to Go, effective Saturday, February 25, 2012». La Commission interprète
ces propos comme une fin d'emploi prise à l'initiative de l'employeur. On est bien
loin d'une démission ou d'un abandon d'emploi.
[176] De plus, jamais le plaignant n'a manifesté l'intention de démissionner ou
d'abandonner son emploi. Certes, lors de conversations de nature privée, il a fait
part aux cadres qu'il formait à l'usine, messieurs Filion et Benoit, de ses rêves et
projets à long terme. Il ne fait pas de doute qu'à ce moment, le plaignant leur a
fait part de son projet d'exploiter un jour un vignoble au Chili.
[177] Cela dit, il faut donner aux projets, dont a fait part le plaignant à messieurs
Filion et Benoit, ainsi qu'à Richard Shiller, leur portée réelle. La preuve non
contredite, c'est que le plaignant ne possède pas de vignoble au Chili et il n'en
exploite pas non plus. Ce que la preuve révèle, c'est que le plaignant s'est rendu
au Chili à plusieurs reprises, afin de développer des occasions d'affaires. Point à
la ligne.
[178] La preuve révèle également que ces personnes ne sont pas des
interlocuteurs du plaignant. Ils ne savent rien des négociations qui se sont
déroulées entre ce dernier et la direction de l'entreprise. Ils ne savent rien des
ententes qui ont été conclues avec l'employeur.
[179] Le comportement antérieur des parties reste le meilleur indice dans cette
affaire, afin de décider de l'existence ou non d'une démission.
[180] La Commission a déjà abordé la question de l'évolution du contrat de
travail du plaignant. La preuve révèle que le plaignant a vécu de nombreuses
modifications de ses conditions de travail dans le passé.
[181] Sa stratégie a toujours été celle de négocier afin d'en arriver à un accord
avec l'employeur. Et cela a fonctionné jusqu'à son retour du Chili au mois
d'octobre 2011.
[182] Le comportement du plaignant à ce moment est en tout point conforme à
ce qu'il était lorsqu'il négociait ses conditions de travail dans le passé.
[183] C'est l'employeur qui a changé son approche en optant pour une stratégie
plus autoritaire et, surtout, en modifiant sa position à plusieurs reprises sur une
courte période.
[184] Il revenait à l'employeur de démontrer l'existence d'une démission ou d'un
abandon d'emploi. Il a échoué.
Une modification substantielle des conditions de travail équivalant à un
congédiement déguisé
[185] La preuve révèle qu'une entente est intervenue entre l'employeur et le
plaignant portant sur les absences de ce dernier, à raison de deux fois par année
à compter de 2010. La Commission retient que l'entente prévoyait un cadre
assez précis pour les trois premières années et que, par la suite, les modalités
devaient être renégociées selon les besoins des parties.
[186] De plus, il ressort de cette entente que le plaignant devait poursuivre son
travail à titre de salarié, l'employeur refusant l'option d'une relation de consultant.
En contrepartie, le plaignant devait continuer à assurer la direction de l'usine et
s'engageait à former la relève.
[187] Le plaignant s'est absenté à deux reprises en 2010 et en 2011. Selon les
termes de l'entente, il pouvait s'absenter également à deux reprises pendant
l'année 2012.
[188] Toutefois, dès le retour du plaignant au printemps 2011, l'employeur remet
en question l'entente d'avril 2009, puisque monsieur Shiller trouve qu'une
absence de neuf semaines est trop longue. À compter de novembre 2011, il
reviendra à la charge à plusieurs reprises, afin de dénoncer cette entente et y
mettre fin.
[189] La Commission a déjà indiqué que ce ne sont pas toutes les modifications
au contrat de travail qui sont susceptibles de constituer un congédiement
déguisé. Pour être considérées comme telles, les modifications ne doivent pas
être permises par le contrat de travail, elles doivent être substantielles et
refusées par le salarié.
[190] La Commission ne s'étendra pas longtemps afin de déterminer si les
modifications au contrat de travail étaient substantielles. Il y a d'abord une
admission implicite des parties à cet effet. Le plaignant soutient qu'il a subi un
congédiement déguisé consécutif à une modification substantielle de ses
conditions de travail. De son côté, l'employeur soutient, et son procureur l'a
répété à plusieurs reprises, que les conditions d'emploi du plaignant étaient
exorbitantes en regard des autres employés de l'entreprise.
[191] Il est évident que l'employeur a modifié de façon substantielle les
conditions de travail du plaignant en mettant fin à l'entente conclue en avril 2009.
[192] Il s'agit maintenant de déterminer si ces modifications étaient autorisées
par le contrat de travail et, sur ce point, la jurisprudence indique qu'on doit alors
se référer à ce qui a été entendu entre les parties lors de la formation du contrat.
[193] Il n'y a pas de doute que la Commission doit prendre en compte ce qui a
été entendu entre les parties à l'origine. Toutefois, ce principe doit faire l'objet des
adaptations nécessaires considérant l'évolution, voire la transformation du
contrat de travail au fil des ans. Celui-ci a vraiment beaucoup changé entre 1999
et 2007.
[194] Il est inutile de les reprendre une à une, sinon pour dire que le plaignant
les a négociées durement. Cela dit, et la Commission y reviendra, le plaignant
les a acceptées.
[195] Enfin, en avril 2009, une nouvelle entente survient prévoyant les absences
du plaignant pour une durée limitée pendant au moins trois ans, deux fois par
année. Le plaignant s'absentera effectivement de son travail en 2010 et 2011.
Avant que le plaignant puisse se rendre au Chili, en 2012, l'employeur met fin à
cette entente.
[196] Pour la Commission, il est évident que le contrat de travail tel qu'il avait
évolué pendant des années n'autorisait pas l'employeur à en changer
unilatéralement les conditions, puisque le plaignant, cette fois-ci, les a refusées.
Ces conditions de travail résultaient clairement des discussions, négociations,
tractations et compromis que les parties ont menés et consentis au fil des ans et
plus particulièrement en mars et avril 2009. Non seulement, cette modification
n'était pas autorisée par le contrat, mais elle était à ce point substantielle, en ce
sens qu'elle dénaturait complètement l'entente de 2009. Elle équivalait à un
congédiement déguisé.
[197] Cela dit, même s'il n'est probablement pas nécessaire d'aller plus loin
dans l'étude du présent dossier, la Commission juge pertinent de glisser un mot
sur les motifs des parties à la base de leur position respective.
[198] Pour le plaignant, son refus d'accepter les nouvelles conditions de
l'employeur s'explique d'emblée. Il s'était engagé depuis quelques années à
l'endroit de partenaires d'affaires au Chili. Il devait les revoir au printemps 2012,
pour faire avancer les choses. Il ne pouvait pas faire autrement au risque de
perdre toute crédibilité.
[199] Il est beaucoup plus difficile d'identifier précisément les motifs de
l'employeur à la base de sa décision de modifier les conditions de travail du
plaignant. Encore, en octobre 2011, lors du retour du plaignant de son voyage,
monsieur Shiller semblait bien disposé à son endroit. C'est vrai, même s'il avait
commencé en février 2011 à faire pression sur le plaignant pour modifier certains
paramètres de l'entente. La preuve révèle qu'il tardait à payer les allocations de
dépenses du plaignant.
[200] Réellement, la seule chose qui a changé entre octobre 2011 et le début de
l'escalade de l'employeur, c'est la confirmation par le plaignant que la relève était
prête à assumer la direction de l'usine de Montréal.
[201] Il n'y a rien d'autre qui puisse expliquer le changement de cap de
l'employeur.
[202] Mettre fin à l'emploi du plaignant, parce que la relève est maintenant
prête, ne constitue pas une cause juste et suffisante au sens de l'article 124 de la
LNT. Ici, il n'est pas question de difficultés financières, de manque de travail ou
encore de suppression de poste. Sur ce dernier point, la Commission rappelle
que le poste de directeur des technologies de l'information et celui de directeur
d'usine existent toujours. En plus, monsieur Shiller indique au plaignant dans son
courriel du 15 décembre 2011:« We have full time positions available for you to fill. »
En résumé, ce n'est pas le travail qui manque.
[203] La plainte selon l'article 124 de la LNT est accueillie.
La demande de réintégration
[204] Dans sa plaidoirie, le plaignant a demandé la réintégration. L'employeur
n'a pas répliqué à cette position. La Commission en déduit que les deux parties
conviennent de la réintégration.
[205] Malgré cet accord implicite des parties, la Commission conclut plutôt que
la réintégration est impossible aux torts de l'employeur. Il devra donc assumer les
coûts relatifs à une non-réintégration.
[206] La Commission justifie la non-réintégration par le constat de la perte du
lien de confiance entre l’employeur, plus particulièrement son président monsieur
Shiller, et le plaignant.
[207] Il est clair qu’à compter du mois de novembre 2011, les relations entre les
deux hommes se sont détériorées irrémédiablement. Les courriels de
l’employeur ne mentent pas. Pour celui-ci, le plaignant voulait exercer une forme
de chantage, afin d’obtenir une indemnité de départ.
[208] Pour la Commission, il est évident que l’employeur a répliqué en faisant
pression sur le plaignant pour qu’il démissionne. Le manque de tact et
l’indélicatesse de l’employeur ne constituent peut-être pas du harcèlement, mais
ils ont été une source de problèmes pour le plaignant. Ils ont miné sa santé.
[209] Enfin, il y a lieu de reprendre un incident regrettable qui s’est produit vers
la fin de l’instruction. Pendant que le plaignant témoignait, monsieur Shiller lui a
dit : « You are a liar. » Le plaignant s’est alors levé et la Commission a dû lui
demander de s’asseoir.
[210] En s’exprimant de cette façon, même si cela a dépassé sa pensée,
l’employeur a fait son lit. Cet incident exclut d’emblée la réintégration.
[211] Dans l'affaire Carrier c. Mittal Canada inc., 2014 QCCA 679, la Cour
d'appel écrit :
[129]
En fait, selon une jurisprudence constante, avalisée par notre
cour dès 1985, la réintégration est le remède normal en cas de
congédiement sans cause juste et suffisante. C’est l’objectif même du
recours prévu par les articles 124 et s. L.n.t. – on pourrait même dire sa
raison d’être – et ce qui le distingue du recours de droit commun. Ce n’est
pas seulement que la réintégration peut être ordonnée par la CRT, elle
doit l’être, à moins que le salarié y renonce ou que l’employeur ne
démontre l’existence d’un obstacle réel et sérieux et l’impossibilité ou
l’infaisabilité d’une telle mesure. Certes, la CRT jouit d’un pouvoir
discrétionnaire à cet égard, mais d’un pouvoir discrétionnaire bien balisé
qui ne peut faire fi du principe de la réintégration.
(renvoi omis)
[212] La Commission est consciente qu'elle s'écarte de l'affaire Carrier,
précitée. Toutefois, la réintégration du plaignant, qui était probablement la
personne la plus importante de l'organisation, aurait pour effet de paralyser
l'entreprise. Cette réalité s'assimile à une impossibilité et, de ce constat, la
Commission écarte le principe de la réintégration, aux torts de l'employeur.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE
la plainte de harcèlement psychologique;
ACCUEILLE
la plainte de congédiement fait sans cause juste et
suffisante;
ANNULE
le congédiement imposé le 25 février 2012;
DÉCIDE
qu’il n’y a pas lieu de réintégrer Roberto Delgadillo dans
son emploi;
RÉSERVE
sa compétence pour
réparation appropriées.
déterminer
les
mesures
de
__________________________________
BENOÎT MONETTE
Me Hélène Bergeron, pour le plaignant
DROITRAVAIL INC.
Me Patrick L. Benaroche, pour l’intimée
STIKEMAN ELLIOTT
Date de la dernière audience : 18 juin 2014
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