David Bowie, l`homme image
Transcription
David Bowie, l`homme image
David Bowie, l’homme-image, Les Echos Week-end http://www.lesechos.fr/week-end/mode-et-beaute/actualites/0216... David Bowie, l’homme-image Cecilia Delporte / Journaliste | Le 15/01 à 07:00, mis à jour à 16:12 David Bowie, l’homme-image Anthony Devlin/PA Wire/ABACA Mort le 11 janvier d’un cancer, David Bowie ne s’est pas contenté d’être en avance sur son époque par sa musique, ni de faire de sa propre personne, aux multiples transformations, une œuvre d’art. A travers les pochettes de ses plus grands disques, le créateur du Major Tom, de Ziggy Stardust ou d’Aladdin Sane a aussi su refléter les révolutions esthétiques du dernier demi-siècle. Mâle au féminin, David Robert Jones rêve depuis le quartier de Brixton, dans le sud de Londres, à d’autres contrées. Alors que la conquête spatiale passionne le monde entier, Bowie nourrit son imaginaire des premières photos en couleur de la planète Terre signées William Anders, et de l’esthétique du film 2001 : l’Odyssée de l’espace, chef-d’œuvre de Stanley Kubrick. Autant de références qui lui inspireront en 1969 son deuxième album et son premier succès auprès du public : « Space Oddity ». Le goût de l’image se devine déjà chez le jeune Britannique qui, alors âgé de 22 ans, dévoile une pochette aussi futuriste que poétique, peu après le début de la mission lunaire Apollo 11. Derrière la crinière blonde et les yeux perçants de l’énigmatique Bowie, se cache une œuvre de l’artiste franco-hongrois Victor Vasarely, le père de l’art optique. Ensemble, ils créent un tableau cinétique. Fasciné par l’art abstrait et la recherche sur le mouvement, Bowie y voit une toile de fond idéale pour raconter sa première grande histoire, celle d’un astronaute perdu dans les tréfonds du cosmos, dont l’ode Space Oddity 1 sur 5 David Bowie, l’homme-image, Les Echos Week-end http://www.lesechos.fr/week-end/mode-et-beaute/actualites/0216... accompagnera, sur la BBC, les premiers pas de l’homme sur la Lune. Si Major Tom fit entrer Bowie dans l’histoire, c’est bien l’album « The Rise and Fall of Ziggy Stardust » qui en fera une icône culturelle. La pochette laisse découvrir une silhouette gracile, aux chaussures pailletées et à la tenue hyper épaulée, l’artiste imaginant un vestiaire androgyne qui donnera ses codes esthétiques à la mouvance glam-rock. C’est en lisant la nouvelle The Wild Boys de William Burroughs – l’histoire d’un groupe d’homosexuels sadiques et anarchistes – que David Bowie trouve l’identité de cette « créature » à la sexualité débridée, qui empruntera aussi ses attributs au film Orange mécanique de Stanley Kubrick et au musicien symbole des « blousons noirs », Vince Taylor. Signée Brian Ward, et prise au 23, Heddon Street, à Londres, la photo de la pochette était à l’origine en noir et blanc, avant d’être teintée par les soins de Terry Pastor. En appliquant des couleurs artificielles, l’artiste a souhaité plonger David Bowie dans un Londres hors du temps, presque fantaisiste, où des éléments du quotidien – du panneau d’une échoppe à une cabine téléphonique (au verso) – contrastent avec la silhouette de ce messager extraterrestre. Dans les foyers britanniques, on s’étonne de cette créature hybride, qui va sidérer les téléspectateurs lors de l’émission « Top of The Pops » en 1972. Son corps, David Bowie le malmène, le donne en spectacle, suscitant l’émoi d’une société britannique encore conservatrice, qui portera bientôt au pouvoir la Dame de fer, Margaret Thatcher. Délaissant le costume de Ziggy, l’artiste devient en l’espace d’un album Aladdin Sane, « un type fou » selon ses dires, en qui il voit l’opportunité d’explorer de nouvelles audaces, musicales autant que stylistiques. L’album qui naîtra de ce personnage deviendra le plus légendaire de tous, moins pour ses morceaux que pour sa pochette. « J’étais à la recherche d’une photo emblématique, qui m’aiderait à persuader RCA que Bowie était suffisamment important pour lui assurer un traitement de superstar », confie le manager de l’artiste, Tony DeFries, qui part en 1973 à la recherche d’un des meilleurs photographes de l’époque : Brian Duffy. A lire : notre diaporama « David Bowie, l'homme-image en huit albums » « MONA LISA » DE LA POP 2 sur 5 David Bowie, l’homme-image, Les Echos Week-end http://www.lesechos.fr/week-end/mode-et-beaute/actualites/0216... C’est en sa compagnie que David Bowie imaginera, lors d’une journée à la chaleur étouffante, le plus célèbre de ses clichés, inspiré par le logo d’un banal cuiseur à riz, sur lequel était gravé un éclair rouge et bleu. Son maquilleur, Pierre La Roche, esquisse alors un premier dessin sur le visage du chanteur, tandis que Brian Duffy trace au rouge à lèvres les contours de ce motif zébré qui deviendra un emblème de l’histoire de la musique britannique. Cette pochette, qualifiée de « Mona Lisa » de la pop, offrira surtout la possibilité à Tony DeFries de mener une stratégie marketing inédite autour de l’album « Aladdin Sane », en réalisant, fait rarissime à l’époque, des spots publicitaires pour promouvoir le disque à la télévision. Loin d’être illustratives, les images conçues par la légende britannique suscitent de tels émois qu’elles s’affranchissent des continents et des générations. Mais son plus beau coup d’éclat viendra, en 1974, avec l’album « Diamond Dogs », au dessin signé de l’artiste belge Guy Peellaert, qui travaillait au même moment sur la couverture de l’album des Rolling Stones « It’s Only Rock’n’Roll ». Représenté sous les traits de son nouvel alter ego, Halloween Jack, une créature entre homme et félin, l’artiste laisse apparaître, sur la pochette, les parties génitales de l’animal hybride. Censurée, cette première édition vaut aujourd’hui des millions aux yeux des collectionneurs, tant les exemplaires se sont raréfiés. Posant dans un « diner » américain, David Bowie, à la gestuelle à la fois féminine et bestiale, dénonce à travers cette métaphore animalière la violence et la perversion de l’Amérique, alors plongée dans l’horreur de la guerre du Vietnam. Inspirée du roman 1984 de George Orwell et du film Freaks de Tod Browning, cette société dépeinte par Bowie est chaotique et divisée, comme celle qu’il dénoncera encore en 1977, lorsqu’il s’installera à Berlin-Ouest, aux côtés de Brian Eno et d’Iggy Pop, pour donner vie à sa trilogie berlinoise. L’HOMME DE TOUTES LES AUDACES Dans une Allemagne meurtrie, le chanteur aux mille visages s’éloigne de ses personnages fantasques pour revenir à une esthétique épurée et minimaliste. Pour la pochette de « Heroes », premier volet de ce triptyque, Bowie puise dans l’école du mime britannique et du cabaret berlinois. La main droite posée sur le 3 sur 5 David Bowie, l’homme-image, Les Echos Week-end http://www.lesechos.fr/week-end/mode-et-beaute/actualites/0216... cœur, David Bowie reproduit l’une des œuvres du peintre Erich Roquairol, Heckel, découverte lors d’une visite au Brücke-Museum. Ce tableau, qui avait déjà inspiré Iggy Pop pour son album « The Idiot », évoque l’œuvre littéraire Titan de l’auteur allemand Jean Paul, où est décrit, parmi les personnages, un homme à l’âme cynique et autodestructrice. Une noirceur partagée par David Bowie, qui évoque dans l’austérité de « Heroes » un contexte politique lourd. Trente-six ans plus tard, cette pochette iconique sera reprise sur un autre disque du chanteur, « The Next Day », où le visage de l’artiste se trouve cette fois dissimulé sous un imposant carré blanc. Bowie établit ainsi un lien avec le passé, souligne la filiation évidente entre ces deux albums à l’univers contemplatif. Ses pochettes de disques ne scandalisent alors plus, mais émeuvent par leur réalisme, comme en témoigne « Lodger » – dernier opus de l’épopée allemande –, dont l’image est à nouveau signée du photographe Brian Duffy. David Bowie a en tête, le jour de la séance photo, l’imagerie macabre du film Le Locataire, de Roman Polanski, dont l’histoire a pour décor une chambre hantée par le suicide d’un de ses habitants. Le visage défiguré, David Bowie apparaît sur la pochette à la manière d’un pantin disgracieux et désarticulé, rappelant l’Autoportrait d’Egon Schiele, un de ses peintres favoris. Cette esthétique sombre ne pouvait laisser présager le virage artistique entrepris en 1983 par l’icône pop. Jouant depuis ses débuts de son androgynie, Bowie revisite, pour l’album « Let’s Dance », les attributs liés, dans la culture populaire, à la masculinité. Adoptant la panoplie du boxer, gants aux poings et short ample, le chanteur britannique abandonne ses artifices pour redevenir Bowie. Jamais plus l’artiste n’apparaîtra grimé. Suivant l’esthétique en vogue dans les années 1980 – alors influencée par les premiers clips de Michael Jackson, Prince et Madonna –, la pochette de « Let’s Dance », loin d’être audacieuse, entrera dans la culture populaire tant le succès du disque sera phénoménal. L’album sera le plus vendu de la carrière du musicien. Coiffé d’un blond platine, Bowie embrasse l’âge d’or de l’ère dance et disco, plébiscitée outre-Atlantique. L’homme aux mille visages rendosse ses habits de dandy new-yorkais, rappelant ceux adoptés lors de l’album « Young Americans », comme pour symboliser la fin de son chapitre berlinois. Le nom de David Bowie est alors sur toutes les lèvres, dont celles d’Isabelle Adjani, qui chantera grâce à la plume de Serge Gainsbourg Beau oui comme Bowie. Les codes visuels du chanteur inspirent alors U2, Duran Duran ou Alexander McQueen, qui voit en lui l’homme de toutes les audaces, aussi bien dans la musique que dans la mode. « Blackstar », dévoilé le jour de son 69e anniversaire, sera son ultime témoignage musical et artistique. Pour la première fois en 26 albums, sombre avertissement prémonitoire, Bowie s’efface alors de la pochette, laissant l’image d’une étoile noire briller une dernière 4 sur 5