La Finlande et la Seconde Guerre Mondiale - 1940
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La Finlande et la Seconde Guerre Mondiale - 1940
La Finlande et la Seconde Guerre Mondiale Le chemin de Barbarossa (décembre 1941 - mai 1942) Les Américains, seuls partenaires possibles Après la réunion du 12 décembre 1941, la Finlande commença à jouer un jeu diplomatique dangereux. Sachant qu’une guerre germano-soviétique était inévitable et que si leur pays y était entraîné, cela pourrait bien signifier sa disparition pure et simple, les responsables finlandais se mirent à faire tout ce qu’ils pouvaient pour convaincre les Soviétiques qu’ils n’avaient aucune intention revancharde envers eux. Dans le même temps, la Finlande restait dépendante de l’Allemagne pour son approvisionnement alimentaire et surtout pour ses fournitures d’armes. Le programme d’exportation allemand (justement conçu pour conserver ses alliés putatifs dans la perspective d’une guerre contre l’Union Soviétique) faisait notamment miroiter la livraison d’avions de combat, de blindés et de canons antichars et antiaériens. Ces matériels devaient considérablement renforcer les capacités militaires de la Finlande, mais ils ne seraient pas livrés avant plusieurs mois. Pour éviter de fâcher les Allemands et de voir l’armée finlandaise privée des armes promises, les ouvertures diplomatiques de la Finlande en direction de Moscou furent tenues strictement secrètes, seules quelques personnalités du gouvernement et du haut commandement étant informées. En effet, beaucoup de Finlandais espéraient reconquérir les territoires perdus en 1940 et une partie du gouvernement et de l’administration était très nettement pro-allemande. C’était le cas du ministre de l’Intérieur Toivo Horelli et d’Arno Anthoni, le chef de la Valtiollinen poliisi (police d’état), les services secrets. Tous deux étaient connus tant pour leurs sympathies pour l’Allemagne que pour leur antisémitisme. L’Allemagne et l’URSS ayant toujours, en théorie, des relations amicales (bien que celles-ci s’altérassent peu à peu), on estima qu’il serait peu sage de contacter directement les Soviétiques, car les Allemands auraient pu, d’une façon ou d’une autre, être mis au courant de tels contacts. On envisagea de prendre langue avec les Britanniques et les Français, mais ce projet fut écarté, car il semblait fort peu probable que les Alliés européens aient assez de poids à Moscou pour défendre le point de vue finlandais. En revanche, il était hors de doute que les Etats-Unis pourraient influencer les Soviétiques. En plus des relations commerciales déjà établies entre les deux pays, si la guerre devait éclater entre l’Allemagne et l’URSS, l’Armée Rouge aurait très certainement besoin de certains types de matériels que seuls les Américains pouvaient fournir en quantité. Il fut donc décidé que Washington jouerait le rôle d’intermédiaire avec Moscou, d’où la lettre envoyée mi-décembre par le Président Ryti au Président Roosevelt. C’et au même moment et presque par accident que les responsables de cette délicate opération diplomatique se souvinrent de l’existence d’Eljas Erkko, homme de presse et ancien ministre des Affaires étrangères. La vie elle-même d’Eljas Erkko est extraordinaire. C’était le fils d’Eero Erkko, homme politique, homme de presse et l’un des fondateurs, en 1889, du journal Päivälehti, qui devait devenir, sous le titre Helsingin Sanomat, le plus grand journal diffusé par abonnement de Finlande et des pays nordiques. Pendant la guerre civile finlandaise, le jeune Erkko avait combattu dans les Gardes Blancs. Il avait ensuite, en 1919, été secrétaire de la commission d’état pour le commerce et l’industrie, avant d’occuper différents postes aux Affaires étrangères, dont des intérims comme attaché d’ambassade à Paris et comme secrétaire d’ambassade à Tallinn puis à Londres. A l’été 1927, il avait commencé à travailler pour Helsingin Sanomat, comme simple journaliste. En octobre, à la mort de son père, il était devenu l’un de ses deux rédacteurs en chef de cette publication. Quelque temps plus tard, la famille Erkko avait acquis la majorité des parts du journal et Eljas était devenu directeur exécutif de la société Sanoma Osakeyhtiö, qui éditait le journal. En 1931, il était devenu seul rédacteur en chef d’Helsingin Sanomat et l’était resté jusqu’en 1938, lorsqu’il avait été nommé ministre des Affaires étrangères du gouvernement Callander. Il devait rester directeur exécutif de la Sanoma Osakeyhtiö jusqu’à sa mort, en 1965. Membre du Parti National Progressiste (libéral), comme le banquier et futur président Risto Ryti, Erkko avait été ministre sans portefeuille puis ministre de l’Intérieur délégué dans le deuxième cabinet Sunila, en 1932, sans abandonner son poste de journaliste. De 1933 à 1936, il avait été député du district électoral d’Uusimaa. A ces divers titres, il avait été électeur lors des élections présidentielles de 1931, 1937 et 1940 – il le serait encore en 1943. En tant que ministre des Affaires étrangères avant la Guerre d’Hiver, Erkko s’était opposé avec vigueur à tout abandon de territoire finlandais. Il avait justifié ses positions politiques, affirmant : « l’URSS, utilisant des procédés bien connus des dictatures, vise d’abord des objectifs limités afin de renforcer sa position. Puis suivront de nouvelles exigences. » Et, croyant encore que les Soviétiques bluffaient et n’étaient pas prêts à entrer en guerre, il avait écrit dans ses carnets : « Comme c’est évident pour chacun de nous, nous n’avons pas d’autre choix que de suivre une ligne dure et de définir clairement la limite que nous refuserons de dépasser. » Même quand la guerre eut éclaté, Erkko ne regretta jamais son attitude rigide. Le dernier jour de la guerre, il dit à Väinö Tanner qu’accepter les exigences soviétiques « nous aurait détruits ». Comme Ryti, Mannerheim et d’autres figures politico-militaires de premier plan de Finlande, Erkko était, au fond, très favorable à la cause alliée, tout en étant un ferme partisan de la neutralité des pays nordiques. Non seulement il avait occupé des postes en Europe de l’Ouest, mais encore son épouse Eugenia Violet Erkko (née Sutcliffe) était Britannique. Enfin, pendant qu’il était ministre des Affaires étrangères, Erkko s’était lié d’amitié avec Arthur Schoenfeld, l’ambassadeur américain à Helsinki. Durant les négociations finno-soviétiques de 1939, il l’avait régulièrement tenu au courant de l’évolution des conversations, parfois même avant d’en discuter au sein du gouvernement finlandais. Bien qu’Erkko ne fût plus membre du gouvernement, leur relation n’avait pas changé. C’est cette amitié qui allait permettre à la Finlande de nouer clandestinement des contacts avec les Américains, faisant d’Erkko un émissaire officieux missionné au plus haut niveau. Les menaces voilées des Soviétiques En dépit des efforts des Finlandais, leurs relations avec les Soviétiques ne paraissaient guère devoir s’améliorer. Après le cadeau céréalier d’avril 1941, les livraisons de blé soviétiques avaient été sporadiques au mieux, avant de s’interrompre tout à fait en septembre. Au même moment, l’URSS renouvelait une fois de plus ses exigences concernant le nickel de Petsamo. Et dans le même temps, la propagande soviétique anti-finlandaise devenait de plus en plus virulente ; le message principal alternait entre des allusions à propos de complots finlandais contre « l’Union Soviétique éprise de paix » et des gémissements répétés sur les positions « déraisonnables » du gouvernement finlandais concernant Petsamo et d’autres sujets. Néanmoins, ces campagnes de propagande étaient intermittentes et le caractère changeant de l’attitude soviétique envers la Finlande faisait que les Finlandais ne pouvaient être sûrs des véritables intentions de Staline concernant leur pays. L’ambassadeur Orlov faisait de son mieux pour garantir que l’URSS n’avait que de « bonnes et bienveillantes intentions » envers le peuple finlandais, mais quoiqu’il se montrât de meilleure compagnie que son prédécesseur, le sinistre Zotov, les dirigeants finlandais se méfiaient – on peut le comprendre – de telles assurances. Un incident sérieux survint le 3 janvier 1942, quand un bombardier SB soviétique s’écrasa près de la ville de Kuopio, en Slavonie du nord. Les Finlandais accusèrent les Soviétiques de les avoir espionnés (les violations de l’espace aérien finnois par les avions russes étaient fréquentes), alors que les Soviétiques affirmaient que le bombardier s’était perdu dans la nuit et avait passé accidentellement la frontière. Les préparatifs des Allemands Au début de 1942, les préparatifs de Barbarossa se firent plus concrets. Le 8 février, le général Dietl se rendit de Norvège à Berlin pour voir le Führer et tenter à nouveau d’obtenir qu’il révisât l’opération Silberfuchs, qu’il devait commander. Cette révision était devenue particulièrement nécessaire, car la 3e Division de Montagne (3. Gebirgsjägerdivision) du général Hans Creysing avait dû être transférée en Grèce pour faire face à l’offensive alliée dans le Péloponnèse. Ce transfert laissait Dietl avec la seule 2. Gebirgsjägerdivision pour assurer la sécurité de Petsamo (opération Renntier) et jouer le fer de lance dans la prise de Mourmansk (opération Platinfuchs). A Berlin, Dietl répéta sa proposition de l’année précédente : confier à la 2. Gebirgs (de préférence renforcée) une seule mission, celle d’occuper Petsamo, tandis que le reste du XXXVIe Corps, de concert avec le IIIe Corps finlandais, attaquerait en direction de Kandalaksha pour couper le chemin de fer de Mourmansk, isolant le port du reste de la Russie et le rendant inutile. Par la suite, si les circonstances le permettaient, il serait envisageable d’attaquer Mourmansk par le sud, en suivant la voie ferrée. A ce moment, Dietl, ayant personnellement découvert le terrain entre Petsamo et Mourmansk, était plus que jamais convaincu qu’il était tout simplement impossible d’enlever Mourmansk par l’ouest. Bien qu’Hitler continuât d’affirmer que les 120 km séparant la frontière finlandaise de Mourmansk étaient une distance ridicule, il accepta la proposition de Dietl, probablement parce que l’envoi en Grèce de la 3. Gebirgs, s’ajoutant aux exigences de la défense des côtes norvégiennes, posait un grave problème d’effectifs. Le Corps de Montagne “Norwegen” ne comptait plus que trois divisions : en plus de la 2. Gebirgs, la division SS “Nord” et la 169. ID. En guise de troupes de soutien, il fallait se contenter d’un bataillon blindé (le 40e Panzer) et d’un bataillon de DCA motorisée (le 688e Flak). Dietl, autorisé à choisir le matériel de ces unités, demanda que la plupart des blindés du 40e Panzer soient des Pz-38t d’origine tchèque, car ces petits engins étaient considérés comme plus manœuvrables que les Pz-III et IV sur les pistes et les ponts étroits de Laponie. Quant à remplacer la 3. Gebirgs par une grande unité allemande, c’était impossible. Hitler promit donc à Dietl que les Finlandais consacreraient tout spécialement une division à la protection des mines de nickel. Ce choix semblait relever du simple bon sens militaire, mais il devait s’avérer politiquement décisif quelques mois plus tard. A ce moment, l’Armée de Norvège, chargées de défendre le pays contre toute velléité des Alliés, comprenait les forces suivantes : (i) Pour la défense de la Norvège au nord de Narvik (Corps d’Armée provisoire Nagy, QG à Alta) : 199. ID, 9e Régiment SS, trois bataillons motorisés de mitrailleuses et six bataillon de police, 160 batteries d’artillerie côtière de la Heer et 56 de la Kriegsmarine. (ii) Pour la défense du centre de la Norvège (XXXIIIe Corps, QG à Trondheim) : deux divisions d’infanterie. (iii) Pour la défense du sud de la Norvège (LXXe Corps, QG à Oslo) : trois divisions d’infanterie. De son côté, Dietl et son XXXVIe Corps disposaient des forces suivantes pour les opérations offensives prévues : (a) Pour l’opération Platinfuchs (coupure de la voie ferrée allant à Mourmansk) : autres éléments assignés au XXXVIe Corps, c’est à dire : 169. ID, Division SS “Nord”, 40e Bataillon Panzer, deux bataillons d’artillerie motorisée, une batterie de Nebelwerfer, deux batteries de Flak statique, un bataillon d’armes lourdes, deux bataillons de construction et un de pontonniers. La participation active d’une division finlandaise était attendue. (b) Pour l’opération Renntier (contrôle de Petsamo) : 2. Gebirgsjägerdivision, 688e Bataillon de Flak (motorisé), deux batteries de canons de 105 mm et une de Nebelwerfer, un bataillon de communications et un de construction, plus des éléments finlandais dénommés Bataillon Ivalo (ou détachement Petsamo) : trois compagnies d’infanterie et une batterie d’artillerie de campagne. Mais Dietl demanda que ces éléments finlandais fussent portés à toute une division finlandaise. ……… Les forces de Dietl devaient évidemment pouvoir compter sur un appui aérien. Le 27 avril 1942, les Finlandais assurèrent les Allemands qu’ils pourraient utiliser les terrains d’Helsinki, Kemi, Rovaniemi et Kemijärvi. Les bombardiers de la Luftwaffe chargés d’attaquer le canal de la Baltique à la Mer Blanche (le canal Staline) devaient ravitailler à Helsinki. Le 4 mai, l’utilisation du terrain de Malmi fut interdite à l’aviation finlandaise et le 5, ce fut au tour du terrain de Vaasa. Le 11 mai, l’Escadron 44 reçut l’ordre de se redéployer de Kemi à Siikakangas, ce qui fut fait le 18 mai. Le 13 mai, l’Escadron 13 fut transféré d’Utti à Vesivehmaa et dès le lendemain, Utti, évacué, fut placé sous le commandement direct de l’état-major général des forces aériennes. Le terrain de Kemijärvi fut remis aux Allemands le 17 mai. Dès le 14 mai, le terrain de Petsamo avait été préparé pour accueillir les avions allemands, mais ceux-ci n’arrivèrent que le 20. Six aérodromes (Malmi, Vaasa, Kemi, Utti, Kemijärvi et Petsamo) étaient donc à la disposition des Allemands (même si ces derniers ne devaient jamais utiliser Kemi). Les contacts au niveau du commandement se développèrent parallèlement. Le 8 mai, le général Waldemar Erfurth, de l’OKH, arriva à Helsinki, où il devait devenir le principal représentant militaire allemand. En sens inverse, des officiers de liaison finlandais étaient envoyés à la Luftflotte 1, en Allemagne (début mai) et à la Luftflotte 5, à Kirkenes (le 16). Pendant ce temps, des officiers de la Luftwaffe inspectaient les terrains de Malmi et d’Utti (le 13). Les graviers de la piste d’Utti ne plurent pas du tout à ces officiers et la piste de Malmi fut considérée comme trop courte – cinq maisons durent être démolies et un bon nombre d’arbres coupés pour la rendre utilisable par la Luftwaffe. D’autres officiers allemands inspectèrent les terrains de Laponie. Le 12 mai, les premiers avions militaires allemands se posèrent en Finlande, à Rovaniemi – trois Storch de l’Armeekette [Fern] (AKe.[F]) Laponie. Le jour suivant, ce fut au tour de trois Do 17P et d’un Ju 52, avant un Fw 58 le 14 et un He 111 le 15, transportant des équipes des communications de la Luftflotte 5. Le même jour, des avions de reconnaissance allemands se déployèrent à Tikkakoski, près de Jyväskylä. Au 17 mai 1942, la fraction de la Luftflotte 5 destinée à participer à Silberfuchs était ainsi organisée : – à Kirkenes : 12 chasseurs Bf 109 et 5 chasseurs lourds Bf 110, 36 bombardiers en piqué Ju 87 et 3 bombardiers Ju 88. – à Banak : 15 bombardiers Ju 88, 2 bombardiers He 111 et un groupe d’avions de liaison et de reconnaissance He 115 et Do 18. – à Rovaniemi : 3 bombardiers Do 17 et 9 Hs 126 de reconnaissance. – à Kemijärvi : 7 Hs 126 de reconnaissance et 11 Ju 52 de transport. Il faut y ajouter 9 chasseurs Bf 109 qui devaient être basés à Petsamo à partir du 20 mai. Cette force aérienne était parfaitement insuffisante. La plus grande partie des appareils de la Luftflotte 5 (soit environ 200 avions) avaient été conservés pour défendre la Norvège – ce qui était après tout la principale mission allouée à cette force aérienne. Avec à peine plus de cent avions affectés à Silberfuchs, il ne semblait guère possible d’assurer un appui au sol, de détruire les installations portuaires de Polyarnyy et de Mourmansk, d’interdire la voie ferrée allant à Mourmansk, de détruire les terrains soviétiques et d’opérer contre la marine de guerre russe dans l’Arctique. ……… Le déploiement des forces de l’Armée de Norvège destinées à Silberfuchs était en lui-même une entreprise considérable. Dans l’extrême nord, seule la 2. Gebirgsjägerdivision et quelques troupes de soutien (en tout 14 500 hommes) étaient déjà dans la région de Kirkenes au début de l’année. La plupart des autres unités destinées à participer à la protection du grand nord norvégien et aux opérations Renntier et Platinfuchs devaient encore être acheminées jusqu’au nord de la Norvège. La voie maritime était la seule pratique, car la route 50, au sud de Narvik, devait d’abord traverser plusieurs fjords avant d’atteindre Bodö – ensuite, sur les 140 km séparant Bodö de Narvik, il n’y avait plus de route du tout. Au nord de Narvik, la route était impraticable en hiver en raison du manque d’équipements de déneigement adéquats, et elle l’était d’avril à juin en raison du dégel. La 199. ID et de nombreux autres éléments représentant des milliers d’hommes furent donc transportés par bateau le long de la côte norvégienne, arrivant à bon port fin avril. De son côté, la Division SS motorisée Nord (environ 12 000 hommes) passa par la Suède pour gagner Narvik, d’où elle dut être transportée par bateau jusqu’à Kirkenes, où elle arriva le 1er mai avant de se rendre par la route à Rovaniemi, qu’elle atteignit le 5 mai. Enfin, les autres forces destinées à Platinfuchs furent transportées en Finlande en deux opérations de transport naval : Blaufuchs 1 et 2. La première achemina la 169. ID et ses unités de soutien (soit 19 400 hommes) de Stettin à Oulu. La seconde emmena le QG du XXXVIe Corps et les unités de corps d’armée (en tout 10 600 hommes) d’Oslo à Oulu. Ces mouvements par mer, commencés le 30 avril, étaient terminés le 6 mai. Ces unités furent ensuite envoyées par le train en Laponie. Tous ces éléments devaient être ravitaillés grâce à d’importants dépôts constitués en Norvège sur l’ordre d’Hitler dès la fin de 1940, mais qu’il fallut transporter par bateau jusqu’à Kirkenes. Des mouvements de troupes aussi importants ne pouvaient être dissimulés, notamment ceux des unités du XXXVIe Corps à travers la Finlande. Officiellement, il fut annoncé que la Wehrmacht avait décidé de renforcer la couverture du grand nord norvégien, et le XXXVIe Corps reçut l’ordre de ne pas aller à l’est de la ligne Oulu-Rovaniemi avant le 13 mai. Moins officiellement, une opération de diversion fut organisée, sous le nom de Harpune (Harpon). Il s’agissait carrément de faire croire aux préparatifs d’une invasion de l’Angleterre menée d’une part par des forces partant de Norvège (d’où la concentration de troupes dans ce secteur), d’autre part par des forces partant du Danemark, d’Allemagne et même des côtes françaises ! Cette diversion aurait eu plus de vraisemblance un an plus tôt (quand elle avait été élaborée), mais les services secrets allemands n’avaient pas cru bon de l’annuler. Au bord du gouffre En avril 1942, les Allemands invitèrent à nouveau une délégation militaire finlandaise à venir discuter de « questions concrètes concernant la sécurité de la Finlande et de l’Allemagne ». Le général Heinrichs et son équipe arrivèrent à Berlin le 15 pour une conférence de trois jours avec l’OKW et l’OKH, comme en 1941. Cette fois, le général Jodl leur expliqua que si, l’année précédente, une guerre entre l’Allemagne et l’Union Soviétique avait « par bonheur été évitée », la situation apparaissait cette fois encore plus grave. Selon lui, « les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Fr… hem, Alger » conspiraient pour pousser l’URSS à faire la guerre à l’Allemagne. En l’absence d’autre solution, celle-ci serait forcée de « prendre les mesures appropriées pour sa protection ». La plupart des entretiens furent une répétition de ceux de la conférence de mai 1941, à commencer par la demande par les Allemands d’une puissante attaque finlandaise sur le front sud dès l’ouverture des hostilités, la sécurisation des voies maritimes en Baltique et l’envoi d’officiers de liaison allemands au QG de Mikkeli. De leur côté, les Finlandais réitérèrent leurs demandes de céréales, de carburant et d’armements. Les Allemands demandèrent cette fois, non seulement l’envoi d’une division finlandaise pour soutenir les forces chargées de participer à Platinfuchs, mais aussi celui de toute une division pour appuyer la sécurisation de Petsamo (opération Renntier). En échange, la 163. ID devait être envoyée de Norvège en Finlande à travers la Suède pour soutenir les opérations finlandaises le long de la rivière Svir. Mais ce mouvement devrait attendre l’ouverture des hostilités. Heinrichs précisa que ses supérieurs devraient donner leur accord à un tel échange de bons procédés. Les Finlandais ne manquèrent pas d’interroger les Allemands sur la situation en Grèce après le débarquement allié dans le Péloponnèse. La réponse allemande fut que si les combats étaient effectivement violents, le Péloponnèse était un excellent terrain défensif. Si par hasard il n’était pas possible de les rejeter à la mer dans l’immédiat, les Alliés seraient aisément contenus par les forces de l’Axe, la péninsule formant un grand camp de prisonniers que les Italo-Allemands n’auraient même pas besoin de ravitailler. Le conflit en Méditerranée n’aurait donc aucun effet sur une « possible » guerre contre l’URSS. Pendant ces négociations, un nouvel incident grave survint entre la Finlande et l’Union Soviétique. Le 17 avril, le D/S Jäämeri, un cargo finnois allant de Tallinn à Lübeck, fut abordé et saisi par la marine soviétique dans les eaux internationales, puis reconduit à Tallinn, où son équipage fut emprisonné. Le gouvernement finlandais dénonça immédiatement cette action come un acte de piraterie et exigea la libération et le rapatriement de l’équipage, ainsi que la restitution du cargo. En réponse, les Soviétiques affirmèrent que le navire était soupçonné d’avoir tenté de faire passer en Allemagne des secrets militaires capitaux et que l’équipage était soupçonné d’espionnage. L’affaire provoqua un scandale public en Finlande et mit une nouvelle fois à rude épreuve les relations finno-soviétiques. Un conflit armé semblait de plus en plus probable. Le 18 avril, la délégation Heinrichs revint de Berlin et rapporta à Mannerheim, Walden et Ryti le contenu de ses entretiens avec les responsables militaires allemands. La demande allemande d’envoyer, non seulement une division vers Mourmansk, mais une autre vers Petsamo leur paraissait traduire le fait que la Heer était à court d’hommes en raison des combats menés dans le Péloponnèse, des nécessités de l’occupation de la France, de la Norvège et autres pays, alors que l’attaque de l’URSS allait exiger des forces gigantesques. Si cette demande trahissait une certaine faiblesse allemande, les responsables finlandais décidèrent d’accepter, car cela leur permettait d’envoyer au nord du pays des forces suffisantes pour protéger Petsamo et la Laponie si les choses tournaient mal avec les Allemands. Bien sûr, si c’était finalement contre l’URSS que le conflit avait lieu, ce déploiement était logique. Le 20 avril, Mannerheim, Ryti, Walden, Kivimäki, Heinrichs et les autres responsables finlandais se réunirent pour accepter officiellement, comme ils l’avaient fait l’année précédente, l’ensemble des demandes allemandes, sous réserve des garanties déjà demandées en 1941 : indépendance du pays, retour aux frontières de 1939, livraison régulière de céréales et refus de faire franchir la frontière par les troupes finlandaises en l’absence d’une incursion soviétique. ……… La suite des négociations se déroula à Helsinki du 24 au 27 avril. Il s’agissait cette fois de régler les détails de la coopération des forces allemandes et finlandaises. Ces entretiens décidèrent d’attribuer la responsabilité des opérations au nord d’Oulu à l’Allemagne. Décision facile : la région était très peu peuplée et n’était pas essentielle à la défense des provinces du sud. De plus, les Finlandais affectèrent non deux, mais trois divisions (45 000 hommes) aux forces allemandes qui devaient opérer dans le nord du pays : la 6e Division, intégrée au XXXVIe Corps allemand, la 11e Division, chargée de la couverture de Petsamo avec la 2. Gebirgs, et la 3e Division, qui, avec les 8e et 9e Bataillons de Gardesfrontières, devait former le IIIe Corps finlandais, constituant la réserve des forces déployées dans le nord du pays. Ces déploiements permettaient à l’armée finlandaise d’être presque aussi nombreuse que l’armée allemande dans la région. Enfin, la Luftwaffe fut autorisée à utiliser les aérodromes de Helsinki et de Kemijärvi. Cependant, les Allemands furent dûment avertis qu’aucune invasion ne devait être lancée à partir du sol finnois sans agression préalable, et que toute tentative de transformer le gouvernement finlandais en équipe de collaborateurs à la Quisling provoquerait la fin de toute coopération germano-finlandaise. Après les rencontres d’Helsinki, néanmoins, l’OKW considéra que la Finlande était pleinement engagée dans la guerre au côté de l’Allemagne, même si aucune décision politique officielle n’avait encore été prise. De son côté, le haut commandement finlandais comprit bien que la réunion d’Helsinki signifiait que le conflit germano-soviétique était à présent inévitable. Le 29 avril, à Kiel, les négociations se poursuivirent, concernant cette fois la coopération navale. Il fut convenu que la Kriegsmarine minerait l’entrée du Golfe de Finlande dès le début des opérations. ……… Le 2 mai, les premières forces allemandes commencèrent à arriver à Petsamo, que la Division SS Nord devait traverser sur le chemin de Rovaniemi. Le 3, la 169. ID débarqua dans les ports du Golfe de Bothnie, d’où elle embarqua immédiatement dans des trains à destination de Rovaniemi. Le 9 mai, des mouilleurs de mines allemands escortés par des vedettes lance-torpilles arrivèrent en Finlande, les uns ouvertement, sous prétexte d’une visite d’amitié, les autres en se dissimulant dans les îles finlandaises de la Baltique. Le même jour, le Royaume-Uni annula toute autorisation de trafic naval à partir de Petsamo pour protester contre le passage de troupes allemandes en territoire finlandais. ……… Ce n’est que le 4 mai que le parlement finlandais fut informé, quand les premiers ordres de mobilisation furent envoyés pour les troupes chargées de protéger les phases suivantes de la mobilisation, telles que les gardes-frontières et la DCA. La commission des Affaires étrangères se plaignit que le Parlement ait été contourné lors de la prise des décisions clés, exigeant qu’il soit désormais tenu au courant. Néanmoins, ces protestations n’eurent aucune traduction concrète. L’ambassadeur suédois, Karl-Ivan Westman, écrivit qu’il était impossible de faire confiance au parlement finlandais en matière de politique étrangère à cause des “sextuplés” prosoviétiques, les six députés de l’aile gauche du parti social-démocrate. Le 8 mai, quand l’agence de presse soviétique TASS rapporta qu’aucune négociation n’était en cours entre l’URSS et l’Allemagne, Ryti et Mannerheim décidèrent de retarder la mobilisation, car l’Allemagne n’avait donné aucune des garanties demandées par la Finlande. Le 9 mai, le général Waldemar Erfurt, qui avait été nommé le 6 mai officier de liaison de l’OKW auprès de l’état-major finlandais, signala à Berlin que la Finlande refuserait d’achever sa mobilisation en l’absence des garanties réclamées. Néanmoins, la mobilisation finlandaise se poursuivit, mais seulement pour les forces déployées en Laponie. Le 10 mai, le maréchal Keitel envoya à Helsinki un message affirmant que les garanties demandées par les Finlandais étaient accordées. Le 11, le commandement des 3e, 6e et 11e Divisions fut transféré aux forces allemandes de Laponie. Le 12, la mobilisation générale reprit, avec deux jours de retard. Le 15 mai, le gouvernement finlandais ordonna l’évacuation de 45 000 personnes vivant près de la frontière soviétique. Enfin, le 16, le chef d’état-major général finlandais, Erik Heinrichs, fut informé par l’OKW que l’offensive allemande était sur le point de commencer. La guerre des Trois Jours Prélude : 17 mai – Barbarossatag vu de Finlande L’opération Barbarossa commença officiellement le 17 mai 1942 à 04h00, mais dès 03h06, 15 Ju 88 du Kampfgruppe 806 partis de Prusse Orientale avaient commencé à larguer 30 mines magnétiques dans le port de Kronstadt, près de Leningrad. Leur mission remplie, ces appareils allèrent se poser à Utti pour ravitailler avant de rentrer à leur base. Le même jour, 20 autres Ju 88 de la Luftwaffe traversèrent l’espace aérien finlandais pour aller bombarder des terrains d’aviation de Leningrad et miner la Néva, avant d’aller ravitailler à Utti. Plusieurs dizaines d’autres appareils allemands ravitaillèrent à Utti ce jour-là avant d’aller attaquer le territoire soviétique. Le 18 mai, des avions allemands partis de Malmi bombardèrent le canal Staline, tandis que des bombardiers de la Luftflotte 1 poursuivaient le minage du port de Kronstadt avant d’aller, comme la veille, ravitailler à Utti. Les Finlandais avaient observé ces opérations sans y participer. ……… En Baltique du nord, Barbarossa avait commencé en fin de journée le 16 mai, quand des bâtiments allemands embusqués au milieu des îles finlandaises avaient mouillé deux grands champs de mines dans le Golfe de Finlande, l’un à l’entrée du Golfe, l’autre au milieu. A partir de 07h25 le 17 mai, trois sous-marins finlandais, les Vetehinen, Iku-Turso et Vesihiisi, participèrent aux opérations de minage en mouillant neuf petits champs de mines entre Suursaari et la côte estonienne. Dès les premières heures du 17 mai, les Finlandais, craignant que les Soviétiques s’emparent des îles Åland (démilitarisées depuis le traité de Moscou) et s’en servent, avec la base d’Hanko, pour fermer les routes maritimes allant de Finlande en Allemagne et en Suède, lancèrent l’opération Kilpapurjehdus (Régate) pour occuper ces îles les premiers. Plus de vingt transports escortés par les navires de défense côtière Ilmarinen et Väinämöinen et par les canonnières Uusimaa, Hämeenmaa et Karjala participèrent à l’opération. Dans le port de Sottunga, ces navires furent attaqués par des bombardiers soviétiques, mais ne subirent aucun dommage. Pendant ce temps, le fort côtier d’Alskär, dans l’archipel de Turku, était lui aussi bombardé. En fin de journée, plus de 5 000 hommes et 70 canons avaient été débarqués à Mariehamn. Simultanément, la marine finlandaise, aidée par la marine suédoise, bloquait les approches des îles Åland, qui restèrent sous le contrôle de l’armée finlandaise jusqu’à la fin de la guerre en Europe. Pendant ce temps, les batteries soviétiques d’Hanko bombardaient les positions finlandaises qui leur faisaient face. Le commandement local finlandais demanda l’autorisation de riposter, mais le tir soviétique cessa avant que cette autorisation soit accordée. A la même heure, des obus soviétiques étaient tirés sur un cargo finlandais dans le port de Petsamo, sans faire de dégâts sérieux. ……… Dans le Grand Nord, la 2. Gebirgsjägerdivision commença à exécuter l’opération Renntier dès le matin du 17. Elle passa la frontière norvégienne pour se déployer à Petsamo, où elle rejoignit la 11e Division finlandaise, déjà sur place. ……… A l’aube du 17 mai, les 16 membres de l’Osasto Marttina (Unité Marttina, spécialisée dans les patrouilles à long rayon d’action en région polaire), tous en vêtements civils, furent déposés par deux hydravions Heinkel 115 allemands en Carélie Blanche (Viena en finlandais). Leur mission, élaborée à l’initiative des Allemands, était de faire sauter les écluses du canal Staline pour interrompre le trafic entre le Golfe de Finlande et la Mer Blanche. Cependant, le commando ne devait pas tarder à découvrir que ses renseignements étaient erronés : les écluses étaient trop bien gardées pour que l’attaque ait la moindre chance de réussir. Par bonheur, l’unité réussit à rentrer clandestinement en Finlande quelques jours plus tard. L’affaire ne fut révélée que de nombreuses années plus tard, après que le canal Staline ait été débaptisé… Intermède : 18 au 20 mai – Neutralité réciproque En Europe du Nord, les militaires n’étaient pas les seuls à s’activer. Dans la matinée du 17, en dépit des attaques aériennes et des bombardements d’artillerie soviétiques contre le territoire finlandais et malgré l’utilisation par la Luftwaffe des aérodromes finlandais pour frapper l’URSS, Moscou et Helsinki avaient annoncé leur neutralité réciproque. En réponse, les Allemands s’efforcèrent de provoquer une action soviétique plus puissante contre la Finlande en poursuivant leurs activités aériennes à partir des bases finlandaises les jours suivants. Le 18, Hitler déclara en public que l’Allemagne attaquerait les Bolcheviques « (…) au nord, en alliance [im Bunde] avec les héros finlandais ». A Stockholm, l’ambassadeur d’Allemagne demanda au gouvernement suédois de discuter en urgence « une question concernant la sécurité de la région ». Il s’agissait d’autoriser le transfert de la 163. ID d’Oslo en Finlande à travers la Suède, grâce aux chemins de fer suédois. Rondement menées, ces négociations aboutirent en trois jours et dès le 21, le transfert de la 163. ID commençait. Il devait exiger plus de cent trains et il était prévu qu’il dure une quinzaine de jours. En sens inverse, le 19, le ministre britannique des Affaires étrangères, Eden, affirma devant le Parlement de Londres que la Finlande était neutre et devait le rester. ……… Pendant ce temps, comme la Finlande refusait toujours de permettre qu’une attaque terrestre soit lancée contre l’URSS à partir de son territoire, les forces allemandes dans la région de Petsamo (la 2. Gebirgs) et de Salla (le reste du XXXVIe Corps) devaient rester l’arme au pied. De plus, dans ce secteur, le mauvais temps empêchait les actions aériennes. En divers points de la frontière, il y eut des échanges de coups de feu entre gardes-frontières des deux pays, et quelques incursions de l’autre côté de la frontière de la part des deux camps, mais il n’y eut ni mort ni blessé. De même, les deux forces aériennes menèrent de nombreuses reconnaissances, violant bien souvent l’espace aérien opposé, mais il n’y eut aucun combat. ……… Le “front d’Hanko” Depuis plusieurs semaines, les Finlandais avaient observé une activité fébrile dans la base soviétique d’Hanko, enclavée en territoire finnois. Des groupes d’ouvriers creusaient des tranchées et élevaient des fortifications toute la journée et même la nuit. Les manœuvres de la garnison – infanterie, artillerie, blindés – se faisaient plus fréquentes. Le trafic naval avait considérablement augmenté : des transports débarquaient à Hanko et Lappohja des troupes, des armes et du ravitaillement. Le 13 mai, le commandant du Groupe Hanko (l’unité de l’armée finlandaise chargée de surveiller l’enclave) avait ordonné à ses troupes d’ouvrir le feu si l’ennemi traversait la frontière et tirait sur les lignes finlandaises. Le 14, le major-général Sergei I. Kabanov, chef de la garnison de Hanko, avait reçu un diplomate de haut rang de l’ambassade soviétique à Helsinki, qui lui avait indiqué que la guerre entre l’URSS et l’Allemagne, alliée à la Finlande, était imminente. Kabanov avait aussitôt ordonné à un régiment d’infanterie et à une batterie d’artillerie de prendre position le long de la frontière dans la nuit du 14 au 15. Le 15 mai, sur ordre de Moscou, toute la base fut mise en alerte et reçut l’ordre d’être prête à combattre. Le 16, les sous-marins et les vedettes rapides basées à Hanko reçurent l’ordre de quitter le port et de se redéployer à Paldiski, en Estonie. Seules six vedettes lance-torpilles restèrent sur place. Au matin du 17, le général Kabanov fut averti de l’attaque allemande. N’ayant pas d’autres instruction, il ordonna à ses troupes de « détruire toute force ennemie qui passerait la frontière, mais de ne pas ouvrir le feu sur les forces restant hors du périmètre ». En dépit de ces ordres, des postes d’observation finlandais furent la cible de tirs d’armes légères, tandis que trois avions soviétiques bombardaient Bolax en fin de matinée, sans faire de dégâts. En début d’après-midi, six mille femmes et enfants furent évacués de la base vers Tallin par bateau. Vers 18h00, Hanko fut bombardée pour la première fois, par 20 Ju 88 venant d’Allemagne, qui visaient la base des vedettes lance-torpilles. Celles-ci ayant déjà été desserrées et camouflées, aucune ne fut touchée. Dans la soirée, les autorités finlandaises permirent le passage d’un train allant de Leningrad à Hanko, mais firent ensuite démonter une partie des rails, qui furent cachés dans la forêt. Pendant ce temps, les soldats finlandais chargés – comme chaque soir – de livrer du lait à la base rapportèrent aux Russes les bouteilles vides et les informèrent, en agrémentant leur propos d’insultes antirusses, qu’il n’y aurait plus de lait finlandais pour eux. A 23h00, les responsables finlandais des secteurs militaires faisant face à Hanko reçurent l’ordre d’évacuer tous les civils de la zone située entre la frontière et la principale ligne de défense. Dans la nuit du 17 au 18, les Allemands mouillèrent des mines entre Osmussaari et Hanko. Elles devaient couler le destroyer soviétique Groznyi et endommager les destroyers Gnevnyi et Maksim Gorki. Au matin du 18, l’état-major finlandais ordonna la coupure de toutes les lignes téléphoniques entre Hanko et Tallinn (elles passaient par Helsinki). L’après-midi, la Luftwaffe revint sur Hanko, deux fois : dix avions, puis quatorze. Ces avions venaient d’Allemagne, bien que les Soviétiques aient affirmé qu’ils venaient de bases finlandaises. La nuit suivante, les Soviétiques coupèrent toutes les communications téléphoniques avec le commandement des troupes finlandaises tenant la frontière, après avoir annoncé que, désormais, « un langage plus convaincant [serait] utilisé pour négocier ». Puis le calme revint, en dehors de quelques vols de reconnaissance soviétiques cherchant à repérer les batteries d’artillerie finlandaises. Explosion : 21 au 24 mai – Trois jours de guerre Au matin du 21 mai, l’aviation soviétique lança une grande offensive contre la Finlande. En tout, 480 appareils attaquèrent dix-neuf cibles : les villes et les aérodromes d’Helsinki, Lahti, Turku, Vuoksenlaakso, Heinola, Selänpää et bien d’autres. Cette attaque se heurta à une forte résistance. En effet, les services d’écoute radio des Finlandais avaient intercepté un message destiné au général Kabanov, à Hanko, l’avertissant du lancement de l’offensive aérienne, et la chasse finlandaise avait pris l’air en force. Les Buffalo de l’Escadron 24 de Selänpää, les Fiat G.50 de l’Escadron 26 de Joroinen, les Morane 406 de l’Escadron 28 de Naarajärvi, les Fokker D-XXI de l’Escadron 32 de Hyvinkää et les Messerschmitt 109E de l’Escadron 34 de Kymi revendiquèrent la destruction de trente-cinq bombardiers et douze chasseurs au prix de seulement deux avions, un D-XXI et un Buffalo. Revendication peut-être optimiste, mais il est certain que, le plus souvent, les bombardements avaient été très perturbés. Les dommages les plus importants furent causés à Turku, l’ancienne capitale, attaquée par cinquante avions. L’aérodrome fut rendu inutilisable pendant une semaine, tandis que la cité subissait de sérieux dégâts et que le château médiéval était endommagé. Mais au total, les pertes civiles furent relativement limitées, avec seulement 43 morts et 200 blessés. L’URSS justifia son attaque en affirmant qu’elle était dirigée contre des unités allemandes en Finlande, mais même les ambassades alliées en Finlande durent reconnaître que les plus violentes attaques avaient touché le sud et le centre de la Finlande, et des aérodromes où il n’y avait pas d’avions allemands. Les forces allemandes n’avaient d’ailleurs pas été touchées : dans l’après-midi, quatre Ju 88 du Kette/KGr.806 décollèrent de Malmi pour aller attaquer la flotte soviétique (dont le croiseur Kirov) à Kronstadt. A Helsinki, le Premier ministre Rangell déclara que la Finlande était à nouveau en guerre avec l’URSS, alors que, la veille, il avait déclaré devant le Parlement que le pays était neutre dans la guerre germano-soviétique. De son côté, la Suède réitéra sa déclaration de neutralité. Le 22, la Luftwaffe déploya à Rovaniemi quatre chasseurs Bf 109, mais c’est Heinola que les Soviétiques bombardèrent, à deux reprises, faisant six morts et 50 blessés dans la population. Le même jour, à Londres, Anthony Eden devait admettre devant le Parlement que l’URSS avait attaqué la Finlande sans provocation de la part des forces finlandaises. Le 23, les Soviétiques bombardèrent Tammisaari, Loviisa et Rovaniemi. Un Buffalo de l’Escadron 24 abattit un bombardier SB-2. Le 24, l’Escadron 16 se redéploya à Linnunlahti, près de Joensuu. Dans la journée, ses Gladiator abattirent deux hydravions de reconnaissance MBR-2 au-dessus du Golfe de Finlande. Au sol, du 21 au 24, l’armée finlandaise comme l’Armée Rouge menèrent tout le long de la frontière des reconnaissances en force, engageant le plus souvent des éléments de la taille d’une compagnie ou d’un bataillon. En dehors de l’enclave d’Hanko, le choc le plus important eut lieu le 22, quand le Soviétiques attaquèrent Parikkala. Cette attaque fut repoussée avec de lourdes pertes. ……… Le “front d’Hanko” Le 21 mai, peu avant 06h00, le général Kabanov fut informé par un télégramme du chef d’état-major de la Flotte de Baltique que les hostilités allaient commencé entre l’URSS et la Finlande. Peu après, un message radio lui signal que des bombardiers soviétiques allaient attaquer de 06h30 à 07h00 les positions finlandaises entourant l’enclave. Dès la fin de cette attaque, l’artillerie soviétique ouvrit le feu contre les positions avancées finlandaises. Morgonlandet, Prästö, Jussarö et quatre autres îles furent prises pour cibles. Le maréchal Mannerheim autorisa les forces finlandaises à répondre et l’artillerie finlandaise ouvrit le feu à 11h00 sur la péninsule d’Hanko, Kamsholma et Bromary. Canons et mortiers des deux camps échangèrent des obus jusqu’à 15h00. Les positions finlandaises furent aussi la cible de tirs d’armes légères et de mitraillages de chasseurs soviétiques, dont deux furent abattus par la DCA des fortifications côtières. Le 22, dix batteries finlandaises bombardèrent la ville d’Hanko. Le 23 et le 24, d’intenses activités de patrouille se déroulèrent tout autour de l’enclave. Les Finlandais préparèrent pour le 25 un bombardement systématique de l’enclave, tandis que les Soviétique planifiaient de puissants raids aériens sur les positions finlandaises entourant Hanko. Mais aucun de ces plans ne devait se réaliser. L’accord de Washington L’ouverture des négociations avec l’URSS Depuis le mois de décembre, les plus hauts responsables finlandais étaient entrés en contact avec le gouvernement américain par l’intermédiaire de l’ancien ministre Eljas Erkko et de l’ambassadeur américain, Arthur Schoenfeld. Grâce à ces contacts, Washington était au fait des craintes et des espoirs des Finlandais. L’administration Roosevelt avait tenu au courant le gouvernement soviétique, mais Staline semble avoir cru à un bluff et aucun rapprochement ne s’était produit entre l’URSS et la Finlande, comme l’incident du bombardier en janvier et la crise du Jäämeri au mois d’avril l’avaient démontré. Tensions et méfiance avaient peu à peu augmenté et le déclenchement de Barbarossa ne fit qu’empirer la situation. Les Américains savaient que le temps était compté avant que la Finlande soit trop engagée dans la guerre pour pouvoir l’en tirer sans casse. Une paix négociée restait possible tant qu’il n’y avait que trois divisions allemandes en territoire finlandais et que les forces finnoises n’avaient pas pénétré en URSS. C’est avec ces éléments à l’esprit que le Secrétaire d’Etat Cordell Hull convoqua les ambassadeurs soviétique et finlandais, Maxim Litvinov et Hjalmar Procopé, pour leur expliquer le désir du gouvernement américain de « trouver une solution pacifique à la tension qui altère actuellement les relations entre l’Union Soviétique et la Finlande ». Aucune décision ferme ne sortit de la réunion, car les deux ambassadeurs devaient consulter leurs gouvernements respectifs. Le 23 mai, le président Roosevelt envoya un message à Staline et un au Premier ministre Rangell, leur demandant de « faire preuve de la plus grande prudence en cette situation ». Dans son message à Staline, Roosevelt faisait clairement allusion aux conséquences de l’évolution des relations soviéto-finlandaises sur l’application de la loi Prêt-Bail à l’URSS. Il rappelait aussi aimablement que les Etats-Unis étaient en guerre avec l’Allemagne depuis plus de cinq mois et qu’une grande partie de l’aide qu’ils pouvaient apporter à leurs alliés avait déjà été affectée – ce qui voulait dire que l’URSS ne pouvait espérer de la part des Américains une aide automatique et illimitée. En Finlande, quelques-uns des plus hauts responsables proposèrent que la Finlande profite des difficultés de l’URSS pour exiger des concessions en échange d’un cessez-le-feu et d’un accord de non-agression. Ces concessions allaient de la restitution des territoires perdus en 1940 à l’évacuation de l’enclave d’Hanko, que le président Ryti avait auparavant décrit comme « un pistolet chargé pointé sur la tempe de la Finlande ». Mais Ryti lui-même et Mannerheim s’opposèrent à l’émission de telles exigences, soulignant que Viipuri était bien trop important en tant que “verrou de Leningrad” pour que les Soviétiques acceptent de l’abandonner, surtout en tant de guerre, et que le même raisonnement pouvait s’appliquer à Hanko. De plus, la Finlande avait commencé à participer aux hostilités déclenchées par l’Allemagne contre l’URSS et, dans ces conditions, le mieux qu’elle pouvait espérer était un retour au statu quo ante bellum, sans exigences de réparations dans un sens ou dans l’autre et sans modification du système politique finlandais. Il fut finalement décidé de demander un simple cessez-le-feu, avec reconnaissance des frontières actuelles ainsi que de la neutralité et de l’indépendance de la Finlande. Tout espoir de récupérer Viipuri, Hanko et les autres régions perdues en 1940 devrait attendre une conférence de paix après la fin du conflit européen – fin qui semblait encore bien lointaine. Les troupes allemandes et le nickel de Petsamo Dans la nuit du 23 au 24 mai (heure de Washington), Hull, Litvinov et Procopé travaillèrent d’arrache-pied dans le bureau de Hull. Litvinov accusait les Finlandais de permettre aux forces allemandes d’utiliser leur territoire pour lancer des opérations aériennes et navales contre l’Union Soviétique (ce qu’il était difficile de contester), mais aussi de préparer le lancement d’une offensive terrestre, de concert avec la Wehrmacht – ce que les Finlandais cherchaient précisément à éviter par ces négociations, mais que la présence de trois divisions allemandes en Finlande, sans parler du mouvement de la 163. ID à travers la Suède, pouvait en effet laisser imaginer ! Procopé répondit en affirmant que les unités allemandes présentes en Finlande ne faisaient que « traverser le territoire finlandais sur le chemin de la Norvège ou de l’Allemagne ». Certes, quelques bateaux et quelques avions allemands avaient pu être autorisés à ravitailler dans les ports et aérodromes finlandais, mais cela n’était pas une entorse bien grave à la neutralité finlandaise. Bien entendu, Litvinov savait parfaitement ce qu’il en était, mais il avait ordre de ses supérieurs d’accepter le mensonge finlandais sans trop de mauvaise grâce. Il se trouvait néanmoins, de ce fait, en position de force pour négocier sur deux points clés des discussions : (i) Que ferait la Finlande si les Allemands refusaient d’évacuer Petsamo et la Laponie ? (ii) La Finlande continuerait-elle à vendre son nickel à l’Allemagne, si les Allemands acceptaient d’évacuer Petsamo ? ……… La première question était tout aussi délicate pour la Finlande que pour l’URSS, car il y avait à ce moment près de 60 000 soldats allemands sur le sol finlandais, principalement en Laponie, plus des éléments de la Luftwaffe, 1 100 personnels administratifs et les premiers éléments de la 163. ID en train d’arriver de Norvège par la Suède. Sans doute les forces finlandaises en Laponie étaient-elles substantielles, mais il était clair qu’expulser de force les Allemands du pays ne serait pas une petite affaire, surtout si les Finlandais devaient en même temps garder un œil inquiet sur les forces soviétiques. Litvinov, avec pas mal d’hypocrisie, proposa l’aide de l’Armée Rouge, mais les Finlandais craignirent, qui sait pourquoi, que les soldats soviétiques fussent des invités aussi difficiles à faire partir que les Allemands… Au terme des entretiens, pendant lesquels le Secrétaire d’Etat Hull dut souvent jouer les arbitres, on s’accorda sur les points suivants : 1) La Finlande serait autorisée à maintenir un niveau de mobilisation correspondant à l’état de guerre pour préserver sa neutralité armée, tout comme la Suède ou la Suisse. 2) La Finlande donnerait à l’Allemagne 48 heures pour commencer à évacuer le territoire finlandais. 3) Si l’Allemagne se refusait à commencer à évacuer ses unités dans ce délai, la Finlande prendrait « toutes les mesures nécessaires » pour assurer cette évacuation et protéger sa souveraineté. 4) L’Union Soviétique n’enverrait aucune force terrestre en territoire finlandais, quoique l’aviation soviétique puisse fournir un appui aux forces finlandaises si nécessaire. ……… Restait la question du nickel de Petsamo, qui empoisonnait les relations finno-soviétiques depuis plus d’un an. Les Soviétiques ayant occupé Petsamo à la fin de la Guerre d’Hiver, ils auraient pu tout simplement garder la région, car les Finlandais étaient incapables de la leur disputer. A l’époque, le fait qu’ils aient choisi d’évacuer la région (à l’exception de la partie alors finlandaise de la péninsule de Rybachi, soit 321 km2) avait stupéfait les Finlandais et tous les observateurs. Molotov avait alors expliqué que l’URSS comprenait l’importance pour la Finlande d’un port libre de glaces sur l’Arctique et que la Patrie des Travailleurs « ne voulait pas causer de souffrances inutiles aux Finlandais » (ce qui n’était qu’une médiocre consolation pour les centaines de milliers de citoyens finlandais forcés de quitter leurs maisons dans le sud du pays). De fait, il semble que Petsamo, à la différence de la Carélie et de la péninsule d’Hanko, n’avait pas d’importance politique, militaire ou économique pour l’URSS à la fin de la Guerre d’Hiver. Les Soviétiques se satisfaisaient alors d’occuper la péninsule de Rybachy, qui leur permettait de contrôler tout le trafic maritime vers et en partance du port de Petsamo, Liinakhamari. Si, trois mois plus tard, le gouvernement soviétique avait exprimé brusquement et énergiquement un très grand intérêt pour Petsamo, c’est que la situation politique et stratégique en Europe avait été bouleversée par la force des armes de l’Allemagne. Les Soviétiques ne s’étaient jamais préoccupés d’acheter le nickel de Petsamo, car ils disposaient de ce minerai en suffisance. Mais ils comprenaient tout à coup qu’il était de leur intérêt d’en priver une puissance hostile – nommément, l’Allemagne. Après le lancement de Barbarossa, il devenait d’autant plus important d’empêcher les usines d’armement du Reich de s’approvisionner en nickel à Petsamo, et les chefs des armées britannique, française et américaine étaient bien d’accord. Tous furent unanimes pour exiger que le nickel de Petsamo soit soustrait aux appétits allemands, par la force si besoin. Néanmoins, il était tout aussi vrai que ce nickel était une ressource économique significative pour la Finlande, surtout en temps de guerre. C’était lui qui avait permis d’obtenir de l’Allemagne des matériels militaires vitaux. Si la Finlande faisait la paix avec l’URSS, les livraisons d’armes allemandes cesseraient sans aucun doute, mais le pays pourrait encore obtenir du Reich des marchandises d’importance capitale, notamment des céréales, en échange de nickel. Et, tout aussi important : si les Allemands avaient l’assurance que les livraisons de nickel continueraient, il pourrait être possible d’éviter une guerre contre la puissante Wehrmacht sur le sol finlandais. Berlin pourrait juger préférable (du moins les Finlandais l’espéraient-ils) de ne pas tenter de s’emparer de Petsamo et de la Laponie, sachant que l’usage de la force risquerait de causer de graves dommages aux mines de nickel. Après tout, c’était un arrangement similaire qui présidait à la vente du minerai de fer de la Suède à l’Allemagne. Ce point de vue fut longuement exposé à Roosevelt et à Staline (et, par l’intermédiaire du premier, aux Anglais et aux Français). Mais pour les Alliés, la décision ne fut pas facile à prendre. D’un côté, les nécessités militaires exigeaient que tout fût fait pour prévenir une ressource stratégique vitale d’être livrée à l’ennemi. L’Allemagne occupant la Norvège, il était impossible aux Alliés d’empêcher l’industrie allemande de recevoir le minerai de fer suédois en l’absence d’une modification de la situation militaire. Au contraire, Petsamo était tout près du territoire soviétique, et la Guerre d’Hiver avait déjà montré que la région pouvait être occupée en partant de l’est. D’un autre côté, Petsamo pouvait aussi être attaqué de l’ouest, et une division allemande occupait déjà les lieux, à côté d’une division finlandaise. De plus, toute attaque soviétique rejetterait très probablement la Finlande dans le camp de l’Axe, rendant inutile tous les efforts pour sortir le pays de la guerre. Or, malgré sa petite taille, la Finlande avait prouvé sa valeur militaire lors de la Guerre d’Hiver, et grâce à l’aide allemande, son armée était à présent bien plus forte qu’en 1939. Pour la vaincre, l’Armée Rouge serait obligée de mobiliser un grand nombre d’hommes sur ce front, au détriment du front principal sur lequel elle faisait face au gros des forces allemandes. Et même si la Finlande acceptait – par miracle ! – que les Soviétiques occupent son territoire, les Allemands répondraient sans aucun doute par la force. La Finlande deviendrait alors une zone de guerre où lutteraient Allemands et Soviétiques, distrayant des forces des fronts d’importance vitale, bien plus au sud. Finalement, bien qu’il fût très souhaitable de priver la machine de guerre allemande du nickel de Petsamo, celui-ci était stratégiquement moins important que le fer des mines du nord de la Suède, auquel les Allemands avaient librement accès. Au total, il ne paraissait pas si grave que les Allemands puissent bénéficier du minerai de nickel en plus du minerai de fer. Le plus important était de s’assurer que l’Armée Rouge ne serait pas obligée de tenir 1 300 km de front supplémentaires, avec tous les problèmes que cela entraînait. Finalement, Staline fit son choix. C’était très déplaisant, mais il pouvait supporter que les Allemands récupèrent le minerai de nickel de Petsamo. En revanche, l’idée d’un front s’étendant au nord de la Baltique et jusqu’à l’Arctique, menaçant Mourmansk et mettant Leningrad en danger était beaucoup plus inquiétante. Laisser la Finlande, avec une armée intacte, jouer les tampons entre URSS et Allemagne, surveillant avec inquiétude sa frontière ouest aussi bien que sa frontière est, était une perspective bien plus agréable. Et si les Finlandais ne tenaient pas leurs promesses ? Eh bien, un jour viendrait où ils le paieraient très cher, car les Américains ne pourraient plus les soutenir et même eux devraient accepter que la Finlande devienne une République Socialiste Soviétique… Roosevelt partageait ce raisonnement (sauf, sans doute, la partie concernant la conversion de la Finlande en RSS…). C’est pourquoi tout le monde finit par tomber d’accord sur une formule d’une splendide hypocrisie : il serait interdit à la Finlande de vendre son nickel à un pays en guerre, mais bien entendu, elle aurait parfaitement le droit de le vendre à un pays neutre… Comme la Suède, par exemple, justement l’un des plus proches voisins de la Finlande ! Et celle-ci n’était sous le coup d’aucune interdiction commerciale, quelle qu’elle soit, comme le montrait le fait qu’elle vendait chaque jour son minerai de fer à l’Allemagne. Comme le savaient tous les signataires de l’accord de Washington, cela voulait dire que l’exportation de minerai de nickel vers l’Allemagne pourrait continuer sans le moindre changement (ou presque – les intermédiaires suédois allaient être les grands bénéficiaires de l’affaire). Mais du côté allié, on estimait qu’une Finlande libre et fournissant du nickel à l’Allemagne était bien préférable à une Finlande alliée à l’Axe ou même à une Finlande transformée en champ de bataille entre l’Allemagne et l’URSS. Un jour ou l’autre, il deviendrait possible d’interdire à la Suède comme à la Finlande de commercer avec l’Allemagne… La ratification parlementaire et le cessez-le-feu Les points de désaccord réglés, il était possible de s’attaquer à la question pratique de l’arrêt des hostilités. Il fut décidé que tous les actes hostiles entre la Finlande et l’URSS devraient cesser le 24 mai à 21h00, heure de Leningrad (20h00 heure d’Helsinki). Les forces des deux pays dans la région de la frontière se retireraient sur leurs positions du temps de paix. Les unités militaires allemandes devraient avoir évacué le territoire finlandais avant la fin de la journée du 26 (excepté les 1 100 personnels administratifs des centres de communications à Vaasa, Rovaniemi et Ivalo). ……… Cependant, la Finlande étant une démocratie, il fallait, pour que l’accord de Washington soit valable, qu’il fût ratifié par le parlement. Celui-ci fut convoqué d’urgence pour une session extraordinaire à midi, le 24 mai. Déclarant que « discuter en public des sujets en question risquerait de menacer la sécurité nationale », le gouvernement déclara que cette session serait tenue à huis clos. Seuls étaient présents 147 députés sur 200, et sur ces 147, la gauche était légèrement majoritaire. Des rumeurs à propos des conversations de Washington avaient commencé à courir (notamment depuis la veille, à la suite de questions posées par les Allemands, qui venaient d’apprendre que quelque chose se tramait), mais seuls les chefs des principaux groupes parlementaires avaient déjà été informés. La plupart des députés n’apprirent que pendant la session extraordinaire le véritable contenu des négociations. Ils s’attendaient plutôt à apprendre l’officialisation de l’état de guerre avec l’Union Soviétique, et c’est un parlement stupéfait qui apprit de la bouche du Premier ministre Rangell que la Finlande et l’URSS étaient parvenues à un accord à Washington. Rangell informa les députés que cet accord s’expliquait d’un côté par l’offre de paix faite par Moscou, de l’autre par le fait que la situation stratégique de l’Axe semblait sans issue, malgré les nombreux communiqués de victoire allemands : « L’Allemagne est toujours en guerre avec la Grande-Bretagne et son empire. Elle n’a pu abattre l’empire français. Elle a déclaré la guerre aux Etats-Unis et elle vient d’envahir l’Union Soviétique ! Dans ces conditions, elle ne peut avoir, à terme, aucun espoir de l’emporter, quels que soient ses alliés. C’est pourquoi nous devons faire de notre mieux pour tenir la Finlande à l’écart du conflit. » Le Premier ministre souligna qu’une fois la guerre finie, les Alliés et les Soviétiques sauraient bien reconnaître ceux qui s’étaient dressés contre eux et ceux qui s’y étaient refusés. Il fallait que la Finlande fasse partie des seconds, faute de quoi elle subirait un destin semblable à celui de l’Autriche-Hongrie à Versailles, ou pire ! « Le haut commandement de notre armée [autrement dit, le maréchal Mannerheim] est entièrement d’accord avec ces prévisions, ainsi que le Président de la République, affirma Rangell. C’est pourquoi je vous propose, au nom du gouvernement [Rangell évitait de mentionner le désaccord individuel prévisible de certains des ministres qui avaient été laissés en dehors des négociations], de ratifier l’accord conclu à Washington pour préserver l’avenir de la Finlande. » Suivirent trois heures d’un débat acharné, dans lequel l’inquiétude des uns s’opposait à la rancœur des autres. Les socio-démocrates, le Parti du Peuple Suédois et les Nationaux Progressistes annoncèrent leur approbation de la décision du gouvernement et demandèrent que le parlement émette un vote unanime. Ce fut impossible ! Les membres du Parti de la Coalition Nationale étaient divisés entre bellicistes et pacifistes. La Ligue Agrarienne (le deuxième parti du parlement après le Parti Social-Démocrate) était en majorité opposée à toute paix avec l’URSS qui n’inclurait pas la garantie du retour des territoires perdus en 1940. Enfin, l’IKL (Mouvement Patriotique du Peuple) était farouchement opposé à tout accord avec « les Bolcheviques » et affirma que le traité de Washington n’était qu’une « lâche trahison de nos alliés allemands, qui nous ont tant donné et qui viennent aujourd’hui à notre secours ». A 15h10, il fallut passer au vote. Cent un députés – tout juste la majorité absolue – votèrent en faveur du gouvernement, quarante-six – près d’un tiers des présents – votèrent contre. A l’annonce du résultat, les huit députés de l’IKL quittèrent la salle pour protester contre « cette capitulation indigne ». Quelques minutes plus tard, le Premier ministre Rangell s’adressa au pays et au monde entier lors d’un discours radiodiffusé. Il annonça la signature et la ratification de l’accord de Washington et la fin imminente des hostilités avec l’URSS. ……… Selon les termes de l’accord, les canons se turent à 20h00, heure d’Helsinki – 21h00, heure de Leningrad. Le jour suivant, les Soviétiques relâchèrent le Jäämeri et son équipage, « en gage de bonne foi et de sincère désir de paix ». Cet acte fut hautement loué à Washington, comme à Londres et à Alger… Le cargo, libéré dans une Baltique en guerre, réussit miraculeusement à rentrer en Finlande sans heurter de mine et sans recevoir de torpille ou de bombe. La Guerre des Trois Jours était finie. Sans doute l’une des plus courtes de l’Histoire, elle fut évidemment bien moins meurtrière que la Guerre d’Hiver, mais fit cependant des victimes, aujourd’hui bien oubliées par la plupart des historiens de la Seconde Guerre Mondiale. Les Soviétiques avaient eu 103 morts ou disparus et 51 prisonniers. Ces derniers étaient presque tous membres des équipages des avions abattus par la chasse et la DCA finlandaises1. Les Finlandais avaient eu 92 morts et plus de 300 blessés. Près de la moitié des morts étaient de civils tués par les raids aériens soviétiques ; les autres étaient des soldats tombés sous les bombes, sur le front d’Hanko ou dans les escarmouches sur la frontière. Mais la Finlande n’en avait pas fini avec la guerre… 1 Il semble malheureusement qu’un certain nombre d’aviateurs n’aient survécu à la destruction de leur appareil que pour être abattus par les Gardes Blancs venus les capturer. Ces derniers appliquaient ainsi des instructions datant de la Guerre d’Hiver. Le 2 février 1940, le QG de la Garde Blanche, à Kouvola, avait en effet précisé : « En principe, le personnel s’efforcera de capturer vivants les aviateurs abattus, car ils peuvent fournir des informations importantes pour notre défense aérienne. Cependant, du fait que les individus en question ne respectent ni ne connaissent même les plus élémentaires lois de la guerre, comme le montre le fait qu’ils se comportent en général avec la sauvagerie la plus brutale, il est impératif de prendre les plus grandes précautions lors de leur arrestation, de leur transport et de leur garde. Les personnels devront toujours être prêts à neutraliser un Russkof [Ryssä], même s’il a manifesté l’intention de se rendre, car il pourrait tenter d’utiliser une arme. La vie d’un Garde Blanc finlandais est un prix trop élevé à payer pour arrêter un criminel déjà condamné à l’emprisonnement. » La réaction allemande Mauvaise surprise pour Hitler Depuis des mois, les Finlandais avaient réussi à garder le secret sur leurs négociations avec les Américains. Tout ce que les sources allemandes – diplomates et agents de renseignement – avaient pu apprendre était que la Finlande était en étroite liaison diplomatique avec les EtatsUnis. En soi, cela n’avait rien d’alarmant pour Berlin, car la Finlande était toujours neutre, au moins en théorie, et il était normal qu’elle maintienne des relations diplomatiques avec toutes les puissances en guerre. Les Allemands savaient que les biens importés des Etats-Unis via Petsamo étaient importants pour la Finlande2 et ils supposaient donc que l’essentiel des négociations américano-finlandaises traitaient de l’obtention de crédits auprès de Washington. L’examen des archives allemandes suggère aussi que, même après le lancement de Barbarossa, Hitler n’était pas opposé au maintien par la Finlande de relations diplomatiques avec les Etats-Unis, car elle aurait pu de cette façon jouer le rôle d’intermédiaire lors de futures négociations de paix avec les Américains. La déclaration de guerre de décembre 1941 gêna évidemment les efforts des Allemands, privés de leur ambassade et de leurs consulats, pour surveiller les activités finnoises à Washington. Il leur fallut recourir à l’aide des ambassades de certains neutres, notamment de l’Espagne, mais aussi du Portugal et même de la Suisse. C’est pourquoi Hitler ne sut rien des ouvertures clandestines des Finlandais en direction de l’URSS par l’intermédiaire des EtatsUnis jusqu’au 23 mai, quand il fut informé des entretiens de Washington entre Hull, Litvinov et Procopé à son QG du Wolfsschanze (la Tanière du Loup) en Prusse Orientale. En fait, les services de renseignements allemands avaient eu vent de ces conversations dès le 22 mai, mais du fait d’une variété de raisons allant des guéguerres bureaucratiques entre services concurrents à la simple crainte d’être le porteur de mauvaises nouvelles (en particulier s’il fallait, pour les annoncer, réveiller le Führer), l’information ne fut pas transmise à Hitler jusqu’au jour suivant. Les historiens ont spéculé pendant des dizaines d’années, et spéculent encore, sans preuve tangible, sur le rôle que Wilhelm Canaris, le patron de l’Abwehr, pourrait avoir joué dans ce retard à un moment critique. Hitler comprit tout de suite qu’il avait été leurré par les Finlandais depuis des semaines sinon depuis des mois, car les Américains n’avaient pas pu organiser une conférence entre la Finlande et l’Union Soviétique en si peu de temps sans avoir été avertis à l’avance. Au lieu de négocier avec les Soviétiques par l’intermédiaire de la Suède, comme ils l’avaient fait durant la Guerre d’Hiver (ce qui les aurait exposés à un bien plus grand risque d’être découverts par les Allemands), les Finlandais avaient été demander l’aide de Washington, à un moment où les capacités de renseignements allemandes en Amérique du Nord étaient fortement réduites. Le Führer comprit parfaitement les risques que couraient les Allemands en Europe du Nord. Si la Finlande pouvait ainsi sortir de la guerre, tout espoir de neutraliser Mourmansk était perdu. Les livraisons de nickel de Petsamo étaient menacées. Au pire, la Norvège pouvait elle-même être en danger si la Finlande devait basculer du côté des Alliés. Sans perdre de temps, Hitler ordonna un arrêt immédiat de toutes les livraisons à la Finlande d’armes, de nourriture et de tous autres biens. L’ambassadeur Kivimäki fut convoqué par le ministre des Affaires étrangères du Reich, Ribbentrop, pour s’expliquer sur les actions et les intentions du gouvernement finlandais concernant l’URSS et l’Allemagne. Kivimäki ne put que dire que les conversations étaient toujours en cours et que leur issue était incertaine, tout en assurant Ribbentrop que la Finlande remplirait sa part du contrat en ce qui concernait le nickel de Petsamo et que la Finlande souhaitait maintenir des relations amicales avec 2 L’Allemagne avait imposé que la Finlande n’importe de biens des Etats-Unis et des autres pays alliés que via Petsamo. Les exportations n’étaient autorisées que vers les pays de l’Axe, ou vers des pays neutres. l’Allemagne. Ribbentrop répondit de façon cassante que « si les conversations de Washington ne menaient nulle part, la Finlande ne faisait que perdre du temps en les poursuivant et que plus tôt elles seraient interrompues, mieux ce serait, pour permettre de revenir aux choses sérieuses » (c’est à dire battre les Soviétiques). Ribbentrop avertit aussi que si la Finlande reniait ses engagements et quittait le navire, l’Allemagne le verrait comme une trahison et que le Führer « tirerait ses propres conclusions et prendrait toutes les mesures nécessaires pour protéger le Reich et l’Europe de la menace judéo-bolchevique ». Au même moment, à Helsinki, l’ambassadeur allemand, Wipert von Blücher, suivant les ordres de Ribbentrop, informait le ministre des Affaires étrangères finnois, Rolf Witting, que l’Allemagne considérerait toute paix séparée avec l’URSS comme « une trahison évidente » et que l’Allemagne se réservait d’en tirer toutes les conséquences. Pendant ce temps, des ordres étaient envoyés aux trois divisions allemandes et aux autres éléments du Reich déployés en Finlande, pour qu’ils soient en alerte et prêts à se défendre au cas où les Finlandais tourneraient leurs armes contre eux. La 2. Gebirgsjäger Division reçut l’ordre de protéger avant tout les mines de Petsamo. Cependant, le fait qu’une grande partie de la 11e Division finlandaise était déjà déployée autour des mines dans le même but compliquait la question. Si la 2. Gebirgs entrait en action, il existait un risque réel que des combats éclatent. Dans toute la Finlande s’installa un malaise muet et tendu ente les unités finlandaises et allemandes. Soldats et aviateurs qui, quelques jours plus tôt, avaient commencé à nouer des liens de camaraderie, se regardaient à présent avec inquiétude, craignant un coup de poignard dans le dos. Des deux côtés régnait la confusion. Cette situation était vraie même aux plus hauts échelons du commandement, comme lors d’un entretien privé entre le chef d’état-major finlandais, Erik Heinrichs, et le général Waldemar Erfurth, chef des officiers de liaison allemand à Mikkeli. Quand Heinrichs rappela à son interlocuteur que la Finlande n’avait jamais signé le Pacte Tripartite, à la différence de la Hongrie, de la Roumanie et d’autres pays, Erfurth répondit avec indignation : « N’avons-nous pas, depuis des mois, donné à la Finlande des armes et de la nourriture, n’avons-nous pas partagé avec vous notre maigre pitance, comme des frères d’armes ? Quelles que soient les arguties juridiques, ni les soldats allemands ni aucun autre Allemand ne pourrait voir la fuite de la Finlande, leur allié le plus respecté, comme autre chose que… Kehrtmachen et Versagen [demi-tour et trahison]. » Les rafales de menaces et de prières allemandes continuèrent le 24 mai, mais sans résultat. A 16h00, le ministre des Affaires étrangères finlandais, Rolf Witting, convoqua l’ambassadeur von Blücher et l’informa de la décision de la Finlande de mettre fin à sa guerre contre l’URSS. Il commença par lui lire un communiqué poli qui reconnaissait d’abord que l’Allemagne avait fait de grands efforts pour soutenir et aider la Finlande. Il expliquait ensuite la décision de la Finlande de faire la paix avec l’Union Soviétique : « Les intérêts nationaux de la Finlande exigeant que nous fassions la paix dès que possible, à des conditions qui sauvegardent notre indépendance et notre souveraineté, il n’est plus admissible que le territoire finlandais soit utilisé pour les besoins militaires de l’Allemagne ». Cependant, l’Allemagne pourrait maintenir en Finlande du personnel administratif dans le but de faciliter le transit des troupes allemandes entre l’Allemagne et la Norvège. Le communiqué exposait alors que la Finlande, du fait des exigences alliées, ne pourrait plus « vendre directement du nickel ou d’autres minerais stratégiques à des pays en guerre ». Enfin – et surtout ! – à partir de 20h00, heure d’Helsinki, l’Allemagne avait 48 heures pour commencer à évacuer « toutes les unités de combat de la Heer, de la Luftwaffe et de la Kriegsmarine » du territoire finlandais. Si cette évacuation n’était pas entamée dans ce délai, la Finlande « serait obligée d’expulser ou d’interner de son territoire toute unité de combat étrangère, conformément à ses devoirs de puissance neutre ». Le communiqué concluait en souhaitant que l’Allemagne, au nom de vingt-cinq ans d’amitié entre les deux pays, montre sa compréhension des conditions difficiles dans lesquelles la Finlande était forcée d’agir pour sauvegarder sa liberté. Quand Witting se tut, von Blücher, amer et en colère, resta muet quelques instants avant de s’exclamer : « Comment osez-vous me tenir ce discours ! » Il rappela que l’Allemagne avait déjà apporté une aide considérable à la Finlande, que le peuple allemand avait volontairement partagé son pain avec les Finlandais. « La Finlande est-elle vraiment prête à ajouter quatrevingt dix millions d’Allemands à la liste de ses ennemis ? » demanda-t-il, acerbe, avant d’ajouter que les événements des années précédentes avaient démontré que « la Finlande ne [pouvait] pas défendre sa liberté sans l’aide de l’Allemagne ». D’autres diplomates et militaires allemands présents à Helsinki allaient tenir le même langage devant leurs homologues. Cependant, le général Erfurth avait déjà reçu une lettre du Président Ryti adressée à Adolf Hitler. Le président finlandais y informait le Führer, poliment mais clairement, que son devoir était d’écarter son peuple de la guerre. A Berlin, l’ambassadeur Kivimäki fut à nouveau convoqué au ministère des Affaires étrangères. Après avoir attendu plus de deux heures, il fut finalement mis face à Ribbentrop. Avec une colère à peine dissimulée, le ministre passa d’abord dix minutes à traîner dans la boue le gouvernement finlandais pour « sa duplicité, son indécision et sa pudibonderie ridicule ». Il l’accusa d’avoir répondu à « l’assistance altruiste et généreuse » de l’Allemagne par « une pure et simple trahison », ladite trahison touchant non seulement l’Allemagne, mais aussi les morts au champ d’honneur, l’armée et les citoyens de la Finlande elle-même, et finalement l’Europe entière. « Une chaîne n’est jamais plus forte que son anneau le plus faible, et si nous étions engloutis par les hordes bolcheviques, notre sang retomberait sur vos têtes ! » lança-t-il. Il mit fin à l’audience en prévenant d’un ton sinistre l’ambassadeur, qui n’avait pu émettre que quelques mots durant le monologue de Ribbentrop, que la Finlande aurait dans l’avenir à subir « les conséquences de ses actes », avant de le renvoyer sèchement. Par la suite, Kivimäki raconta : « Le Ministre avait à peine remarqué ma présence durant toute l’audience, comme s’il prêchait à l’intention de personnages invisibles mais présents dans son bureau. J’aurais aussi bien pu ne pas être là du tout. » Et la colère de Ribbentrop n’était rien comparée à celle d’Hitler. L’annonce de la défection finlandaise avait déclenché chez le Führer l’une de ses célèbres crises de rage. Selon des témoins, dès qu’il eut appris que la Finlande avait accepté un cessez-le-feu avec l’Union Soviétique, « il devint enragé, jetant à travers la pièce des crayons et des stylos en éructant des obscénités ». « Ils auraient pu reconquérir la terre de leurs ancêtres et comment me récompensent-ils ? En me crachant au visage ! » hurlait-il. « Ces traîtres, ces couards ! Mannerheim est le seul Aryen parmi eux, les autres ne sont rien qu’un ramassis de Lapons et de Slaves vaniteux qui n’ont même pas la décence de l’admettre ! C’est lui qui aurait dû prendre les commandes et diriger ce peuple, pas ces eunuques invertébrés ! » La nouvelle, il est vrai, était tombée à un moment où Hitler n’était pas dans la meilleure des humeurs. Au lieu de « faire s’écrouler la maison en enfonçant sa porte » et de s’enfoncer très loin en territoire soviétique, la Wehrmacht avait rencontré une résistance acharnée de la Baltique à la Mer Noire. Sans doute, les Allemands avaient avancé sur tout le front, sans doute, les Soviétiques avaient subi de lourdes pertes, mais l’Armée Rouge s’était repliée en bon ordre jusqu’à de nouvelles positions au lieu de s’effondrer complètement. De plus, les Alliés continuaient à harceler l’Axe en Grèce tandis que Mussolini ne pensait plus qu’à fortifier la Sicile et l’Italie du Sud dans la perspective d’un débarquement qui paraissait inévitable. Les possibilités de rétorsion des Allemands Une fois un peu calmé, Hitler pesa avec son état-major les options qui lui étaient ouvertes. L’Allemagne pouvait compter sur trois divisions d’infanterie et plusieurs bataillons d’appui sur le sol finlandais, la 163. ID et ses quinze mille hommes étant encore en plein transfert entre la Norvège et la Finlande par la Suède. De plus, une centaine d’avions de la Luftwaffe étaient immédiatement disponibles pour appuyer ces forces. Il était évident que les Allemands n’avaient pas sur place de troupes disponibles pour tenter de contrôler et d’occuper la Finlande. Au 25 mai, quinze divisions finnoises (soit 475 000 hommes) faisaient face à trois divisions allemandes. Si l’armée finlandaise n’avait qu’un bataillon de chars, elle possédait une puissante artillerie et une force aérienne relativement importante. L’ironie du sort était que les Allemands avaient contribué de façon significative à l’essor de la force aérienne par la vente de chasseurs Bf 109 et MS-406, sans parler de la fameuse donation de bombardiers Do 17 par Göring. De même, les capacités de transport motorisé avaient été très améliorées grâce à l’aide allemande. Envoyer des forces en Finlande aurait obligé à en retirer du front russe ou grec ou des pays occupés et lever de nouvelles troupes prendrait du temps. L’état-major allemand traça donc rapidement les grandes lignes d’un plan d’urgence. Celui-ci énonçait les régions stratégiques du pays considérées comme le minimum dont les Allemands devaient s’assurer : 1) Petsamo – Son nickel était très important pour l’industrie de guerre allemande. 2) La Laponie au nord d’une ligne Petsamo-Ivalo-Karesuvanto – Tenir le village d’Ivalo couvrait le croisement de la route de Petsamo à l’Océan Arctique et de l’axe logistique allant de Kaamanen à la frontière norvégienne. Tenir Karesuvanto couvrait la Route 50 (du côté norvégien de la frontière), seul lien par voie de terre entre les forces déployées dans le nord et dans le sud de la Norvège. 3) Åland – Les îles commandaient l’une des voies d’accès maritimes à Stockholm ainsi que les approches du Golfe de Bothnie, et elles étaient situées près du Golfe de Finlande. Suursaari, dans le Golfe de Finlande, était aussi considérée comme un point stratégique. Cependant, comme elle était déjà occupée par les Soviétiques, la seule solution pour les Allemands était de s’en emparer par la force, et cela supposait de contrôler au préalable l’Estonie. Les trois autres régions furent passées en revue. Une opération pour s’emparer des îles Åland fut vite rejetée. Les Allemands savaient que les Finlandais avaient fortifié les îles dès le lancement de Barbarossa pour prévenir une invasion soviétique. La Wehrmacht n’avait aucune force adaptée disponible pour une telle opération – les énormes pertes subies par les unités aéroportées en Méditerranée l’avaient privée de l’outil qui aurait été le plus efficace. S’emparer des Åland imposait une opération amphibie et tant que les Allemands ne disposeraient pas de bases convenables en Lettonie ou en Estonie, les distances à franchir seraient excessives. Une flotte d’invasion partant de Prusse Orientale serait détectée par les Suédois en doublant l’île de Gotland et Stockholm avertirait sans nul doute Helsinki. L’appui aérien poserait aussi un problème, car la Luftwaffe était très occupée à combattre les VVS et l’aviation finlandaise aurait l’avantage, au moins au début, d’autant plus qu’elle serait plus proche de ses bases. Enfin, la flotte suédoise coopérait avec les Finlandais pour bloquer les approches de ces îles, étant donné leur intérêt pour la défense de Stockholm. Toute invasion allemande risquerait fort de se heurter à cette flotte, d’autant plus que les Suédois auraient tendance à soutenir leurs cousins suédophones habitant les îles. Un tel incident risquerait de mettre en cause les livraisons à l’Allemagne de fer et de roulements à billes suédois. C’est pourquoi Hitler décida de ne pas envahir l’archipel. En Laponie, les Allemands manquaient tout simplement de troupes. La 2. Gebirgs étant engagée à Petsamo, le contrôle des villages d’Ivalo et Karesuvanto incomberait à la 169. ID, à la Division SS Nord et à leurs unités de soutien (dont le 40e Bataillon Panzer). Ivalo était proche de ces troupes et pouvait être atteinte par la Route n°4 passant par Sodankylä, mais Karesuvanto était de l’autre côté de la Laponie. Rien que pour y parvenir, il faudrait arpenter des centaines de kilomètres dans une région sauvage presque inhabitée3, sans possibilité de ravitaillement et en risquant des embuscades tendues par les rares habitants. Il y avait bien des troupes en Norvège, mais Hitler refusa sèchement d’en distraire une partie, préférant aller en chercher bien plus loin si besoin, car il redoutait d’exposer la Norvège à une action amphibie des Alliés. De plus, disperser des troupes entre des points aussi éloignés risquait de les affaiblir et de les exposer. Hitler envisagea alors l’idée d’envoyer des troupes de Salla jusqu’à Karesuvanto. Mais il fut vite clair que les routes et en général les infrastructures du “bras” ouest de la Finlande étaient si médiocres – quand elles existaient – que même une force très peu nombreuse n’aurait aucun mal à défendre la frontière norvégienne. Ivalo offrait sans doute de meilleures perspectives, car contrôler ce village et son croisement routier équivalait en fait au contrôle de toute la Laponie du nord, région d’accès très difficile, donc très peu peuplée. Inari et Utsjoki, les deux municipalités constituant la “tête” de la Finlande, comptaient respectivement 2 851 et 844 habitants au recensement de 1940, sur un territoire combiné atteignant 22 705 km2. Un agresseur potentiel ne pourrait arriver que par la Route n°4. La région pouvait donc être transformée en zone tampon entre le Finnmark et Petsamo et le reste de la Finlande avec les seules forces disponibles. Une seule division suffirait à la tenir, pendant que l’autre pourrait aller renforcer la 2. Gebirgs à Petsamo. Ou encore, les deux divisions du XXXVIe Corps pouvaient faire mouvement sur Petsamo par Ivalo, faisant de la région une vraie forteresse en sabotant les routes et les ponts. Il n’y avait qu’un problème, ou plutôt trois… Les 3e, 6e et 11e Divisions finlandaises. Les deux premières étaient proches du XXXVIe Corps. Si elles laisseraient sans aucun doute les forces allemandes se retirer du front en bon ordre, elles verraient probablement d’un autre œil l’occupation de la Laponie du nord et de Petsamo. De violents combats s’ensuivraient et le succès n’était pas assuré, car les deux forces opposées étaient, au moins sur le papier, aussi puissantes l’une que l’autre. La possibilité pour la Lutwaffe de soutenir le XXXVIe Corps était incertaine en raison du manque d’équipement et de personnel, et alors que les Finlandais feraient sûrement appel, de leur côté, à leur force aérienne. Quant à désarmer préventivement les 3e et 6e divisions, il n’y fallait pas songer – les renseignements indiquaient que les Finlandais faisaient preuve de la plus grande vigilance envers les Allemands, tout en gardant un œil inquiet sur les Soviétiques. Toute tentative de recourir à une ruse ou à une tromperie provoquerait très certainement une réponse violente et immédiate. La situation à Petsamo était un problème encore plus difficile, car la défense de la région avait été confiée à la fois au Corps de Montagne “Norwegen” (la 2. Gebirgsjägerdivision et ses éléments de soutien, soit 14 500 hommes) et à la 11e Division finlandaise (16 000 hommes). Avec ces 30 000 hommes, sans compter les troupes (finlandaises) du Détachement de Petsamo, la région avait été transformée en un véritable camp militaire où disparaissaient les 5 200 habitants civils. Et un affrontement sur place provoquerait un véritable concentré de guerre civile. Les rapports parvenus à Berlin indiquaient que les Finlandais avaient déployé des forces substantielles dans et autour de la mine de Kolosjoki et jusque dans le port de Liinakhamari. Le commandant de la 11e Division avait aussi suggéré à Dietl qu’il avait ordre de détruire les 3 Toute la Laponie ne comptait à cette époque que 108 000 habitants, pour la plupart concentrés dans le sud de la province. mines et le port si les installations risquaient de tomber aux mains de l’ennemi. Ces plans d’urgence avaient été formulés en cas d’invasion soviétique, mais ils s’appliqueraient sûrement aux Allemands si des hostilités éclataient. Les Finlandais étant un peu plus nombreux que les Allemands, les désarmer serait tout aussi difficile que désarmer les forces finlandaises de la région de Salla. Pour couronner le tout, il était fort possible que si les divisions allemandes et finlandaises en Laponie commençaient à s’écharper, les Soviétiques soient très tentés de profiter du chaos et décident d’attaquer en force. ……… Manigancer un coup d’état pour démettre le gouvernement Ryti et le remplacer par un régime aux ordres de Berlin fut aussi écarté. Hitler considérait que les chances de succès étaient minimes. La Finlande, comme les autres pays nordiques, avait une forte tradition de parlementarisme et de légalisme, que même la Guerre Civile n’avait pu détruire. Les divisions qui avaient persisté dans la société finlandaise avaient été radicalement effacées par la Guerre d’Hiver, elles ne pouvaient donc être exploitées. L’armée soutenait fermement Ryti et Mannerheim et ce dernier était connu pour sa fidélité au principe du contrôle des forces armées par le pouvoir civil : il était peu probable qu’il cultivât des ambitions dictatoriales. La seule tentative d’instaurer une dictature de droite en Finlande avait été la rébellion de Mäntsälä, en 1932, qui avait lamentablement échoué tout en salissant pour longtemps l’image de l’extrême-droite dans le pays. La grande majorité des Finlandais trouvaient ridicule l’IKL, le parti qui avait succédé au Mouvement Lapua, instigateur de la tentative de coup d’état de 1932. Seule une invasion allemande en règle pouvait installer un régime soumis à l’Allemagne, et ce régime serait très probablement aussi faible et impopulaire que celui de l’équipe Quisling en Norvège. Des renseignements indiquant que Mannerheim avait déjà ordonné de renforcer les défenses d’Helsinki dans le but d’interdire toute possibilité de coup d’état acheva de convaincre les Allemands qu’il était inutile d’essayer. ……… Un dernier problème posé par la décision de la Finlande était le devenir des personnels administratifs allemands en territoire finlandais. L’équipe installée à Ivalo était en sécurité et celle de Rovaniemi pouvait rapidement trouver refuge à Ivalo sans craindre d’interférence finnoise, mais pour les cinq cents hommes de Vaasa, c’était autre chose. Les Allemands avaient déjà reçu des signalements de mouvements de troupes finlandaises et de Gardes Blancs autour de la base, dans la ville. Si des hostilités éclataient, ces personnels, très légèrement armés, ne pourraient qu’être immédiatement faits prisonniers. La difficile victoire du bon sens Toute la question finlandaise devenait pour Hitler un irritant dilemme. Si la défection d’Helsinki avait pris place quelques mois plus tôt, il n’aurait sans doute pas hésité à prendre des mesures brutales. Mais en plein début de Barbarossa, il devait consacrer toute son attention et toutes ses troupes disponibles à l’invasion de l’URSS. Alors que la Grèce et l’Italie lui posaient déjà des problèmes, il ne pouvait admettre que d’autres ennuis risquent de provoquer des retards dans le déroulement de sa stratégie – ce qu’une invasion de la Finlande entraînerait assurément. De plus, un conflit avec la Finlande ne menacerait pas seulement l’approvisionnement de l’Allemagne en nickel, mais aussi en fer suédois. En revanche, les Finlandais n’avaient pas perdu une minute pour informer discrètement les Allemands qu’en dépit de l’accord de Washington, ils pourraient continuer à leur fournir leur nickel, par l’intermédiaire des Suédois. En fin de compte, pour Hitler, conserver l’accès au nickel finlandais compensait l’inconvénient d’être privé d’un front nord contre la Russie et d’une chance de s’emparer de Mourmansk. C’est ainsi qu’avec une extrême réticence, Hitler laissa la Finlande échapper à ses griffes. Le 25 mai, il ordonna d’évacuer de Finlande toutes les forces combattantes allemandes. En raison des difficultés logistiques, il faudrait au minimum deux semaines pour que ce retrait fût complet. Quoique l’ambassadeur von Blücher eût été rappelé à Berlin ce même jour et que l’embargo commercial allemand eût été prolongé jusqu’à la fin du mois de juin, il était clair, pour le gouvernement finlandais, que la phase la plus dangereuse était passée. Les mésaventures de la 163. ID constituent un post-scriptum à toute l’affaire. Le 24 mai, le jour du cessez-le-feu finno-soviétique, seuls les premiers éléments e la division étaient arrivés à la ville frontière suédoise d’Haparanda, sur la rivière Torne. Le reste de la division devait arriver au rythme de huit trains par jour. Mais le jour suivant, la division reçut l’ordre de retourner à Oslo, au grand dam de son chef, le général Erwin Engelbrecht, mais aussi de ses hommes, des quinze mille soldats suédois (mobilisés pour assurer la sécurité du transfert d’une frontière à l’autre… et retour), de la direction des chemins de fer suédois (car le voyage de retour perturbait deux fois plus la circulation des trains, provoquant retards et annulations) et du gouvernement suédois, qui avait déjà dû surmonter une petite crise politique à l’occasion de l’exigence allemande d’un transfert de troupes puis du transfert lui-même et qui ne voulait pas laisser quinze mille soldats allemands armés jusqu’aux dents s’attarder en Suède plus qu’il n’était strictement nécessaire. Les conséquences du choix finlandais Dans l’immédiat… En Finlande, les réactions au cessez-le-feu furent mitigées. Tandis que la plupart des gens étaient soulagés que les combats cessent, beaucoup doutaient que l’armistice puisse tenir. Ces craintes furent un peu allégées le 20 juin par une déclaration mutuelle selon laquelle l’URSS et la Finlande confirmaient la validité du traité de Moscou de 1940 et réaffirmait que les deux pays n’étaient pas en guerre. L’accord de Washington fut très mal accepté par l’aile la plus à droite du parlement et par les cercles nationalistes et pro-allemands. L’IKL quitta la coalition gouvernementale pour protester contre cet accord et deux ministres, Toivo Horelli (Intérieur) et Vilho Annala (Transports) démissionnèrent. Des manifestations contre le cessez-le-feu se produisirent à Helsinki et dans d’autres villes. Quelques-unes dégénérèrent en émeutes, mais celles-ci restèrent limitées et ne menacèrent jamais le gouvernement. Il n’y eut certainement jamais le moindre danger de coup d’état, car l’armée soutenait fermement Mannerheim et le gouvernement. Le 4 juin 1942, le titre de Maréchal de Finlande fut conféré à Mannerheim pour son 75e anniversaire. C’était un geste symbolique – le titre avait été créé spécialement pour lui et il a jusqu’alors été la seule personne à le recevoir. Il est amusant de noter qu’il devait recevoir des télégrammes de félicitations de Franklin D. Roosevelt, Winston Churchill et Paul Reynaud, aussi bien que de Benito Mussolini, de Hirohito et même de Joseph Staline (contre qui Mannerheim avait commandé les troupes finlandaises onze jours plus tôt seulement) et d’Adolf Hitler, qui continuait de le respecter malgré son violent ressentiment contre les autres dirigeants finlandais. Le 10 juin, les dernières unités combattantes allemandes avaient évacué la Finlande. Ce devait être la seule fois de la guerre que les Allemands se retireraient d’un territoire sans tirer un coup de feu. Quoique la propagande allemande fît de son mieux pour sauver les apparences, proclamant que « les forces germano-finlandaises, alliées, [avaient] forcé les Bolcheviques à renoncer à leurs plans d’invasion de la Finlande » et jurant que la Finlande « restait sous la protection du Grand Reich allemand », il était clair que le recul allemand était une défaite. Fin juin, l’ambassadeur von Blücher rentra à Helsinki. Le commerce entre la Finlande et l’Allemagne reprit, ouvertement pour ce qui était des marchandises non stratégiques, tandis que, comme prévu, le nickel finlandais commençait à parvenir en Allemagne par l’intermédiaire de la Suède. En juillet, le commerce maritime finlandais par Petsamo reprit grâce à la fin de l’interdiction britannique imposée depuis le mois de mai. Durant tout le reste de la guerre, Hitler s’efforça par des menaces, des promesses et des cajoleries d’obtenir que la Finlande reprenne la guerre contre l’URSS, surtout lorsque la situation allemande sur le front russe commença à s’aggraver pour de bon. Le commandement allemand tentait à ce moment toutes les diversions possibles – de la même façon qu’Hitler avait espéré que le Japon déclarerait la guerre à l’Union Soviétique. La Finlande, n’ayant aucun intérêt à jouer la chair à canon pour les Allemands face aux Soviétiques, refusa chaque fois sans trop de façons. Les Allemands réagirent le plus souvent en interrompant les livraisons de nourriture, mais ces interruptions furent en partie compensées par des livraisons soviétiques. En fait, les exportations de denrées alimentaires d’URSS vers la Finlande formèrent la base des relations commerciales finno-soviétiques durant l’après-guerre. Quant aux embargos allemands, comme ils réduisaient leurs importations de nickel, ils ne durèrent jamais assez longtemps pour gêner vraiment l’approvisionnement alimentaire finlandais. Et par la suite… Quoique le théâtre finlandais n’ait représenté qu’une fraction relativement faible du “Front de l’Est”, il est clair que la défection finlandaise offensa gravement Hitler, le rendant encore plus paranoïaque envers les alliés qui lui restaient. C’est peut-être ce qui explique le contenu du discours qu’il prononça le 17 juin 1942, un mois jour pour jour après le début de Barbarossa. Il y décrivait la guerre entamée contre l’Union Soviétique comme « une croisade sacrée pour libérer l’Europe et le Monde de la tyrannie judéo-bolchevique ». L’extrait suivant est particulièrement éclairant : « La cause anti-bolchevique est universelle et ne connaît pas de frontières. C’est le devoir de toutes les nations, quelles qu’elles soient, de faire les plus grands efforts contre la menace bolchevique et tout manquement à ce devoir de la part d’un gouvernement est une trahison, non seulement de son peuple, mais de toute l’humanité et de la civilisation dans son ensemble. L’Histoire demandera des comptes à ceux qui auront failli dans l’accomplissement de cette mission solennelle. » La décision de préparer et d’exécuter la prise de contrôle de l’Italie en novembre et décembre 1942 a sans doute été prise d’autant plus rapidement que les Allemands avaient à l’esprit l’exemple finlandais et voulaient éviter qu’un tel changement de cap se reproduise. Après la défection italienne, la méfiance d’Hitler s’accrut encore, le conduisant à regarder d’un œil de plus en plus soupçonneux la Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie, la Croatie et la Bulgarie. La Wehrmacht put ainsi intervenir très tôt – et très brutalement – lorsque certains de ces satellites envisagèrent de discuter un armistice avec les Alliés. La suspicion nazie vis-à-vis des « maillons faibles » n’était pas réservée aux non-Allemands. Au fur et à mesure que la situation militaire se détériorait, les ordres de tenir bon et de lutter jusqu’à la mort plutôt que de reculer se firent de plus en plus nombreux. Toute retraite était interprétée comme de la couardise et punie de mort. Après la tentative d’assassinat contre Hitler, toute prétention de respecter des lois ou des règles disparut au profit de l’application de la terreur nazie. Alors que le Troisième Reich s’écroulait par pans entiers, des milliers de soldats et de civils allemands furent sommairement exécutés par la SS, la Gestapo ou la police militaire sous l’accusation de couardise et de désertion. Dans le chaos des derniers jours de la bataille de Berlin, les fanatiques nazis se mirent à abattre leurs victimes en pleine rue ou à les pendre aux réverbères des rues de la capitale. ……… Hitler ne pardonna jamais sa « trahison » à la Finlande. Il répétait qu’il ne pouvait imaginer comment les Finlandais avaient réussi à résister aux Soviétiques pendant trois mois en 193940, avec de lourds handicaps, pour accepter un cessez-le-feu en 1942 après trois petits jours de combat, alors qu’ils étaient bien plus forts qu’ils l’avaient été deux ans plus tôt. « S’ils s’étaient battus jusqu’au bout, gémit-il devant l’ambassadeur japonais Hiroshi Oshima début juin, s’ils avaient tenu deux ou trois ans et n’avaient plus d’espoir de victoire, j’aurais pu comprendre, mais pas au bout de trois jours ! » Le temps passant et la situation sur le front russe se dégradant, il se convainquit peu à peu que seule la défection finlandaise avait empêché la Wehrmacht de prendre Leningrad en permettant aux Soviétiques de concentrer pour défendre la ville des renforts venus de la frontière de Finlande. A la fin de la guerre, le Führer continuait de remâcher sa rancune contre « les traîtres finlandais » (et bien d’autres) pendant que Berlin brûlait au-dessus de son bunker. ……… Néanmoins, la disparition du front finlandais avait eu un effet favorable à la Wehrmacht : elle avait pu récupérer deux des divisions engagées dans la région, les 169. et 199. ID. Cela laissait encore sept divisions en Norvège, mais seule la 163. ID en fut retirée par la suite (courant 1943), Hitler ayant refusé jusqu’au bout toute autre ponction sur ces troupes de peur d’une action alliée contre la fameuse Route du Fer (et du nickel). ……… A plus petite échelle, quelques Finlandais participèrent à la « croisade sacrée » contre le bolchevisme. Le bataillon des volontaires engagés dans la Waffen-SS combattit en effet sur le front russe dès le mois de mai 1942. Par contrat, il devait se battre pendant deux ans. Ses membres avaient craint que les Allemands prennent des mesures de rétorsion contre eux lorsque la Finlande était sortie de la guerre, mais rien de tel ne se concrétisa. Le bataillon se battit en Ukraine, puis en Biélorussie. Au terme des deux années prévues, le bataillon fut retiré du front en mai 1944 et dissous peu après. L’unité avait perdu 398 hommes tués au front, 725 blessés et 16 disparus sur environ 1 400 engagés. La bataillon avait été loué par plusieurs commandants de la Waffen-SS, dont Himmler en personne, pour sa belle tenue au feu. Himmler affirma : « Où se tenait un SS finlandais, l’ennemi était toujours défait ». Néanmoins, ni l’unité ni aucun de ses membres ne fut jamais accusé de crime de guerre ou contre l’humanité. La plupart des survivants rentrèrent comme ils purent en Finlande, mais quelques-uns rejoignirent d’autres unités de la Waffen-SS – certains se retrouvèrent même dans la “Division” Charlemagne, sous commandement français (ou plus exactement francoallemand). ……… La Suède et la Finlande continuèrent à fournir du minerai de fer et de nickel à l’Allemagne pendant la plus grande partie du conflit. Quand le cours de la guerre sur le front russe eut irréversiblement basculé contre les Nazis, l’Union Soviétique suggéra mi-1943 à ses alliés occidentaux de proposer aux deux pays nordiques de jouer un rôle dans la défaite allemande, en commençant par interrompre la livraison à l’Allemagne de matériaux stratégiques, avant d’autoriser l’établissement de bases aériennes alliées sur leur territoire. Churchill, enthousiaste, demanda à étendre cette proposition à la Turquie (qui fournissait du minerai de chrome à l’Allemagne). Finalement, les Alliés décidèrent de n’exiger d’aucun de ces pays de déclarer la guerre à l’Allemagne. Quant aux livraisons de minerais, elles s’arrêtèrent progressivement. La Suède et la Finlande, après avoir interdit le passage de matériels militaires et de troupes sur leur territoire, réduisirent peu à peu leurs exportations en direction de l’Allemagne, tandis que la flotte suédoise cessait d’escorter les convois reliant les ports suédois aux ports allemands. Toute relation commerciale entre la Suède et la Finlande d’une part, l’Allemagne d’autre part, cessa en mai 1944. En échange, les Occidentaux acceptèrent d’assouplir puis de lever l’interdiction imposée à la Suède d’importer certains biens de première importance, comme le caoutchouc et le pétrole (la Finlande en avait déjà l’autorisation via Petsamo). ……… La Guerre des Trois Jours est aujourd’hui la dernière jamais livrée par la Finlande. Mais ce ne fut pas la dernière action militaire impliquant les forces finlandaises…