Combien ça coûte ? Combien ça rapporte … - aozeñ
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Combien ça coûte ? Combien ça rapporte … - aozeñ
26 économie 27 ? e t û o c a ç n e i Comb Combien ça rapporte … Pour que la sauce prenne, il faut trouver le bon accord entre le lieu, la carte et la clientèle. Texte Maxime Buathier Photos Martin Boudier C Notre exemple Aozeñ, à Rennes A 39 ans, Pierre Legrand arbore un CV sans taches : formation auprès d’aînés prestigieux, Alain Passard et Alain Ducasse, second d’Alain Senderens chez Lucas Carton. Il y a quatre ans, il a pris en main le piano de La Coquerie, chez Lecoq-Gadby, à Rennes, une belle adresse fraîchement étoilée au Michelin. L’année dernière, son épouse Caroline et lui décident de se lancer. Ils choisissent un établissement où la cuisine est située au cœur de la salle. Une disposition atypique qui symbolise leur démarche : rendre la gastronomie abordable par le prix et la convivialité des lieux. Pierre Legrand prépare les plats devant ses clients, tandis que son épouse assure le service en salle et la sommellerie. Le nom Aozeñ, qui combine le breton aozañ (préparer) et aozenn (ingrédients), donne le ton. Le couple a l’ambition de servir « une cuisine saine pour l’homme et utile pour l’environnement ». Au menu, fruits et légumes de saison, poissons de ligne et vins de petits producteurs. En étant cohérents du logo à l’assiette, les Legrand ont donné à leur restaurant une identité forte et lisible pour conquérir le quartier d’affaires dans lequel ils sont installés. rise oblige, les Français y regardent à deux fois avant de pousser la porte d’un restaurant. A midi, ils lui préfèrent la « gamelle », la vente à emporter ou le fast-food. Au total, 72 % des repas pris hors domicile présentent une addition de moins de 10 euros, boissons comprises. « Ce qui fonctionne le mieux en ce moment, c’est la restauration rapide haut de gamme qui propose des produits frais et sains », confirme Bernard Boutboul, directeur du cabinet Gira Conseil, spécialiste de la consommation alimentaire hors domicile. La restauration dite traditionnelle, là où l’on est servi à table en prenant le temps de déguster, accuse une baisse de 2 % de son chiffre d’affaires sur les huit premiers mois de l’année 2012, selon Gira Conseil. Ce qui ne décourage pas les vocations. Il s’est ouvert 9 595 restaurants en 2012 pour 8 074 fermetures (source CCI France). La France compte près de 96 500 enseignes où se côtoient crêperies, auberges de campagne ou encore les trois-étoiles qui ont valu le classement de la cuisine française au patrimoine de l’Unesco. Côté tendance émerge une gastronomie abordable rognant des parts de marché aux restaurants moyen de gamme. Les jeunes chefs serrent les prix, au moins à l’heure du déjeuner, et embarquent parfois leur conjoint dans l’aventure Sélectionner pour diminuer les charges. des légumes C’est la voie qu’ont choisie cultivés en bio Caroline et Pierre Legrand en ou en agriculouvrant leur premier restauture raisonnée, rant à Rennes. un engagement pour le chef. MARS 2013 Un restaurant Les fournisseurs sont des voisins L e chef, qui fait son marché chaque matin, s’annonce locavore. Pas de grossistes, mais des producteurs de la région, comme Annie Bertin pour ses herbes sauvages et ses légumes, ou Marie-Noëlle et Paul Renault pour leurs volailles. Le goût et la fraîcheur ont un coût, que Pierre Legrand équilibre en servant merlu et volaille à midi, bar et pigeon, plus coûteux, le soir. Un mois en cuisine… Ça coûte Matières premières (légumes, viandes, vin, etc.) : 6 448 € (30 % du budget) Remboursement de l’emprunt : 2 100 € Le couple a emprunté 150 000 € (30 000 € d’apport) pour régler le fonds de commerce (120 000 €), le matériel (20 000 €), les frais d’établissement (20 000 €), les travaux (11 000 €), le mobilier (9 000 €) et divers frais. Loyer du local : 2 450 €. Salaires (CDI) : 2 316 €. Salaire du gérant : 1 650 €. Électricité : 380 €. Gaz : 100 €. Linge (blanchiment…) : 300 €. Castalie (système de filtration de l’eau) : 300 €. Frais divers (comptable, fleurs, Sacem…) : 4 000 €. 20 044 € Ça rapporte Service à table : 18 000 €, dont 4 020 € de vins et alcools. Vente de bons cadeaux : 2 115 €. Vente à emporter : 450 €. Cours de cuisine : 318 €. 20 883 € A la maison, ou presque Les Legrand officient l’un aux fourneaux, l’autre en salle. Voir un chef précédemment à la tête d’un restaurant étoilé préparer son assiette participe de l’expérience culinaire. Le lieu faisant le plein, un serveur a récemment été engagé. Paiement à carte… cadeau Deux verres, c’est mieux (pour les affaires) U n vin est conseillé pour accompagner chacun des plats. Tous sont proposés au verre. Pour assurer sa marge, le restaurant applique un multiplicateur de quatre sur le prix d’achat, mais de seulement deux sur les grands crus afin de garder un prix raisonnable. L’alcool (apéritifs inclus) est un poste non négligeable qui représente 20 % du chiffre d’affaires. L es clients peuvent offrir un cours de cuisine ou un repas à leurs proches grâce à l’achat d’une carte cadeau. Cette technique commerciale est de plus en plus utilisée par les restaurateurs qui peuvent ainsi faire découvrir leur établissement. Aozeñ a vendu 141 bons cadeaux depuis septembre 2012, soit 8 460 euros. L’argent étant encaissé avant que le client ne vienne profiter de son repas, l’opération soulage la trésorerie. Complet tous les soirs P ierre Legrand a eu le plaisir de voir ses fidèles de La Coquerie pousser sa porte, sa situation dans un quartier de bureaux lui assurant une clientèle d’affaires. Restait à trouver la bonne équation offre/prix. Ne disposant que de 25 couverts, il a restreint le choix au déjeuner à deux entrées, deux plats et deux desserts (19 ou 23 euros) et affiche le même menu pendant une semaine. Le soir, c’est une dégustation « à l’aveugle » (39 ou 47 euros) avec un menu unique. Avantages : il limite son stock et travaille avec des produits de saison. Exemples : sarrasin, truffe, Saint-Jacques et panais étaient au menu en janvier. Six mois après l’ouverture, les bonnes surprises s’accumulent. L’Aozeñ fait le plein le soir, l’addition moyenne est plus élevée que prévue grâce au vin et à quelques suppléments. Enfin, le restaurant a reçu plusieurs commandes de plats à emporter pour des cocktails ou dîners privés. Les ateliers culinaires diversifient les revenus D eux soirs par semaine et le samedi à midi, le restaurant se transforme en atelier culinaire. Les cours (45 et 60 euros) sont bien sûr dispensés par Pierre Legrand et se prolongent d’un dîner avec l’équipe. Travailler la truffe, apprendre à choisir un poisson et lever les filets, élaborer des macarons… L’activité reste un peu en deçà de ce qui était prévu dans le business plan mais demeure un produit d’appel pour les cartes cadeaux. Les cours de cuisine permettent de fidéliser la clientèle et de faire connaître l’endroit. MARS 2013