L`amour gourmand

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L`amour gourmand
PRESSE
L’amour gourmand, Libertinage gastronomique au XVIIIème siècle, Serge Safran,
La Musardine, coll. L’Attrape-corps, 2000
L'Amour gourmand
par Serge Safran
La Musardine, 280 p., 79 F.
Connaissez-vous les jeux coquins de l'huître et de la bouche qu'affectionnait Casanova?
L'usage amoureux du chocolat chez Sade? La manière la plus sensuelle de goûter le nectar
chez Nerciat? L'art pervers de découper une volaille chez Laclos? Tout cela, et beaucoup
d'autres manières encore de se nourrir d'amour, se trouve dans ce fort érudit précis de
libertinage gastronomique au temps des Lumières. Puisant aux meilleures sources, Serge
Safran réussit mieux qu'un ouvrage osé. Il ressuscite la sensualité du goût, témoigne des
moeurs galantes du XVIIIe siècle (le meilleur, se tue à répéter Sollers!) et remet au jour la très
ancienne et étroite idylle entre nourriture et érotisme. Un livre goûteux, capable de réveiller
tous les appétits.
Olivier Le Naire, l’Express, 07/12/2000
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Serge SAFRAN : L'Amour gourmand, Libertinage gastronomique au XVIIIème siècle (La
Musardine, coll. « L’attrape-corps », 79 F). Michel DELON : Le Savoir-vivre libertin
(Hachette-Littératures, 139F).
Comment expliquer que notre fin de millénaire en revienne sans cesse au libertinage du
XVIIIe siècle ? Pour fuir, comme les riches et frileux bourgeois du XIXe siècle, un présent
désespérant ? Parce que nous nous reconnaissons dans cette fin d’Ancien Régime qui prôna le
bonheur individuel tout en pressentant l’imminence d’une catastrophe ? Pour les auteurs de
ces deux essais, notre engouement pour les libertins des Lumières a partie liée avec un passé
plus proche, celui de leur jeunesse, « la bénéfique révolution, en grande partie sexuelle, de
Mai 68 » (Serge Safran) ou plus sobrement, « 68 » (Michel Delon). Évocation lyrique d’un
côté, date laconique de l’autre, la différence de formulation n’est pas neutre et traduit deux
manières d’appréhender non pas tant la France de de Gaulle que les boudoirs du XVIIIe
siècle. Pour le premier, relire et célébrer Casanova, Crébillon et consorts, c’est annuler le
temps, ne pas (trop) céder à la mélancolie, retrouver dans la fiction l’insouciance et les excès
propres à « l’époque de [ses] chaudes amours ». Pour le second, c’est au contraire parce que
se sont refermées les utopies libertaires qu’on peut saisir aujourd’hui au plus près « la crise de
l’Ancien Régime » et « les hésitations morales du XVIIIe siècle ».
L'Amour gourmand de Serge Safran est consacré à la cuisine du roman libertin, à sa fabrique
et à ses ingrédients. Du rituel de la séduction dans lequel la table sert de tremplin (ou de
substitut) à la couche, jusqu’à l’étreinte amoureuse variant les plaisirs de bouche, corps et
nourriture se conjuguent et se confondent. De concert, on s’excite (au chocolat ou au café), on
s’enivre (au tokay, à l’eau-de-vie d’Andaye) ; le plaisir enfantin du partage buccal de
l’aliment, devient chez Sade l’occasion de rituels où le corps est successivement carafe
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(versant par l’anus dans la tasse à café « trois ou quatre cuillerées d’un lait très clair et
nullement souillé »), cassolette pour passion coprophage et amateurs de selles (sur chair), et
enfin plat lui-même, livré au « cannibalisme pur et simple du désir ». Nullement univoque, le
thème culinaire suit tous les degrés de l’amour, gaietés de l’ivresse, emportement de la
passion (confection par Casanova de dragées aux cheveux d’aimée, « pur acte […]
d’eucharistie amoureuse »), pulsions plus inquiétantes de dévoration et de nécrophilie. Bien
que ses entrées soient principalement thématiques (« Le chocolat », « Les huîtres », « Crèmes
et glaces », etc.), l’essai de Serge Safran évite le piège des recensions stériles par une triple
attention à la forme : attention à la manière particulière dont l’aliment est préparé en fonction
du moment de la narration, du nom d’un personnage, des obsessions d’un écrivain ; attention
aux métaphores culinaires multiples pour décrire les actes amoureux et le corps en ses zones
érogènes, fraises mammaires et phallus forêt noire (manche de moussoir à chocolat surmonté
d’un bigarreau) ; attention enfin à son propre style, alliant légèreté de la phrase nominale et
espièglerie du jeu de mots. Circonscrit à l’étude vagabonde du seul roman libertin, le regard
s’interdit, on le regrettera parfois, les mises en perspective qu’auraient permis, par exemple,
des rapprochements avec l’imaginaire du festin, la pratique des Trimalcionades, ou les débats
sur le luxe et les dangers des ragoûts. Il suffit au bonheur de Serge Safran, promeneur naïf et
affamé, et au nôtre, que le corps et le livre soient fêtes, qu’un sexe féminin soit dit «
mousseux » (Nerciat), que « les mots » et les liqueurs « sentent un peu le foutre » (Sade), qu’il
y ait partout du « coquin ». Et l’indéniable réussite de cet Amour gourmand est bien de
réveiller en nous les fringales de lecture et les fringales tout court : relire Casanova en
savourant comme Justine « un potage de pâte » comme il se doit « au safran »…
D’un livre et d’une bouche à l’autre : « l’érotisme ostréicole » (S. Safran) de l’huître
baladeuse est aussi au menu du Savoir-vivre libertin. Mais la traversée du XVIIIe siècle est
moins horizontale que verticale, Michel Delon se penchant sur tout de dont s’est nourri le
libertinage, la complexité de ses racines idéologiques, religieuses et esthétiques. L'Amour
gourmand recensait les ingrédients entrant dans la composition de la recette libertine ; sont
étudiés ici ses cadres (petites maisons aux décors successifs), ses rythmes (brusquerie ou
nonchalance, des mille usages de la gradation), ses modes (variations synesthésiques et
sexuelles). La lecture croisée des archives policières et des fictions libertines, des mémoires
historiques et des traités savants permet de sortir des clichés datés et simplificateurs. Ni ère du
plaisir insouciant, ni âge des Lumières militantes, le XVIIIe n’en apparaît que plus
philosophique, siècle de questionnements plus que de certitude. Dense et rigoureux, ce livre
s’efforce pour chacune des thématiques qu’il étudie d’affronter le paradoxe et la
contradiction, d’exprimer en termes clairs des nuances : romans entre « discrétion mondaine
et crudité pornographique », négligence aristocratique « au-delà de l’opposition entre naturel
et artificiel », temps libertin conjuguant la soudaineté du moment et la durée du projet
scélérat, etc. : l’entre-deux parai être tout autant le paradigme d’un siècle de transition et de
bascule qu’un mode d’écriture et de pensée en affinité entière avec son sujet. Par souci de
prouver l’intérêt de son objet d’étude, à défaut d’en pouvoir toujours expliquer la complexité,
le chercheur cède souvent à la facilité du jugement entier et définitif ; Michel Delon nous
restitue un XVIIIe siècle entre chien et loup (titre d’un roman de Mme de Choiseul-Meuse),
de la luminosité douce de son « demi-jour »… Pour traduire cet art de passer sans effort d’un
texte à l’autre, pour n’en rapporter que le mot ou l’image propre à étayer une argumentation,
la langue classique usait volontiers de la métaphore de l’abeille ; la « conclusion » du Savoirvivre libertin nous rappelle que le XVIIIe siècle se choisit comme emblème un insecte
vagabond moins industrieux. Tel est aussi ce livre, plus papillon, léger et majestueux.
Jean-Christophe Abramovici, Europe, mars 2001
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SAFRAN Serge, L'amour gourmand : libertinage gastronomique au 18e siècle, La
Musardine, 2000 (79 FF).
La littérature libertine du 18e siècle a su, bien mieux qu’à d’autres époques, associer les
plaisirs de la table aux plaisirs de l’alcôve. Les auteurs lus par Serge Safran s’accordent sur ce
point : l’énergie que l’on puise dans la nourriture doit se consumer dans les effets de l’amour.
Casanova, quasiment le seul auteur non-fictionnel de cette compilation et à ce titre le plus
souvent cité parce qu’il a valeur de témoignage réel, reconnaît dans la préface à son
autobiographie qu’il n’a vécu que pour l’amour des femmes et « de la bonne table avec
transport ». la confusion des transports amoureux et gastronomiques, si elle se décèle aux
glissements sémantiques entre nourriture et sexualité qui font le bonheur des écrivains
libertins, ne contrarie pas une organisation des plaisirs. La stratégie est connue : conquérir le
terrain. La tactique va s’y employer par le dosage malicieux des ingrédients d’un mets et le
service ritualisé des plats dont la consommation, comme un apéritif, précède la consommation
amoureuse. Un appétit aiguisant l’autre, la chère appelle la chair. L’auteur nous montre que
les libertins, instruits plus par l’expérience que par la science, avaient une bonne connaissance
des effets aphrodisiaques sinon euphorisants de certains mets. Contre les inhibitions le
chocolat et le champagne, à condition qu’ils soient tous deux mousseux, font merveille. Le
café permet d’atteindre très tard dans la nuit le souper, ce moment où l’on rivalise en vins et
en mets rares qui éblouissent et prédisposent à l’indulgence pour les privautés que l’heure
tardive favorise. Les huîtres, accompagnées d’un très bon champagne, les exacerbent par leur
vertu aphrodisiaque si renommée que la consommation par repas, pour ceux qui en ont les
moyens, est astronomique.
Mais il faut savoir mesurer les effets du vin car Vénus et Bacchus peuvent ne pas être au
rendez-vous, tant l’ivrognerie est l’ennemie de l’ivresse. Boire peut amener des déboires que
l’ivresse bien conduite peut éviter. La mesure des excès n’est pas la règle dans la littérature
libertine et si les investissements culinaires de Casanova, bien que parfois somptueux, sont
comptés, il n’en est pas de même dans les œuvres de fiction qui n’ont de limites que celles
que s’imposent leurs auteurs. Chez Sade les repas deviennent rabelaisiens, la cruauté en plus,
et chez d’autres la rareté côtoie sans contradiction l’abondance. Les produits sans prix le sont
en effet. Mais au-delà de la fiction et de ses excès, les écrits des libertins révèlent les idées ou
les préjugés de leur époque mais aussi les prémonitions sur la mécanique des corps et les
obscurs objets du désir chers aux surréalistes qui ont initié la redécouverte de la littérature
libertine.
Note. Les auteurs libertins étudiés sont principalement : Boyer d’Argens, Casanova, Caylus, Choderlos de
Laclos, Crébillon fils, l’Abbé Du Prat, Fougeret de Montbron, Godard d’Aucour, La Morlière, Mirabeau, A. de
Nerciat, N.-E. Rétif de La Bretonne, Sade, Vivant Denon. Ou trouvera ces auteurs réunis sauf Sade et Casanova
dans Romans libertins du 18e siècle, édition établie par Raymond Trousson, Laffont, 1993 (« Bouquins »).
Guy Martin, Papilles, n° 19, juin 2001
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La Musardine : puritains
s’abstenir
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Les plaisirs de la bonne chère ne sont pas épargnés au gourmet du genre avec les amourettes,
fricandeaux, veloutés et autres fricots du XVIIIe siècle qu’en maître queux libertin Serge
Safran accommode avec les mœurs galantes du temps.
« Abandonnée par la censure, la littérature érotique n’a plus vraiment la cote », entend-on
aujourd’hui. La Musardine prouve le contraire. Jugez-en vous-mêmes. Une seule restriction :
puritains (aines) devront s’abstenir.
Claude Darras, La Provence, 15 juillet 2001
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L’AMOUR GOURMAND
Serge Safran
Plutôt habitué de la poésie, des récits de voyage ou épistolaires, Serge Safran fait ici le point
sur le « Libertinage gastronomique au XVIIIème siècle », époque pleine de ferveur pour les
corps et les cœurs. Très documenté, ce petit livre passe en revue les mets et boissons réputés
en amour : chocolat et café, vins et champagnes, liqueurs et tabac. De quoi nourrir
l’imagination, mettre l’eau à la bouche, et rêver aux délices d’hier et de demain… Un régal.
(La Musardine, 79 F)
Chloé Radiguet, Côté femme, 7 février 2001
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« L'amour gourmand »
Sexe et nourriture
Érotisme et nourriture ont toujours fait bon ménage, comme en témoignent les mœurs
galantes à travers l’histoire. La Princesse de Clèves et Casanova étaient de fervents adeptes du
chocolat, connu pour ses vertus d’antidépresseur et d’euphorisant. L’huître est la métaphore
des lèvres vaginales. En quelques chapitres classés par nature d’aliments, ce livre met en
lumière la relation étroite qui a toujours lié érotisme et nourriture.
« L'amour gourmand, Libertinage gastronomique au XVIIIème siècle »
Serge Safran, éd. La Musardine, 79 F.
Union, février 2001
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LIBERTINI A TAVOLA
Provateci con ostriche et vin di Cipro
Lo studio del libertinaggio è troppo spesso confinato a une storia di miscredenti ed eretici o a
quello dei comportamenti sessuali deviati: a rammaricarsene è lo studioso francese Michel
Delon che cerca di rimediarvi esplorandone nel suo ultimo saggio Le Savoir-vivre libertin
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(Hachette) la complessità, la ricchezza e le fertili contraddizioni. Convinto, come Delon, delle
necessità di maggior lumi sul libertinaggio poiché la nostra epoca continua a cercare il suo
riflesso in questo movimento, è anche Serge Safran, un altro studioso d’oltralpe. Poeta ed
editore, Safran ha deciso di rendersi utile agli aspiranti libertini del terzo millennio con
L’amour gourmand (La Musardine), un dotto e saporito excursus sui « legami che il libertino
intesse in permanenza tra la tavola e il letto ». Il saggio è tutto consacrato al « libertinaggio
gastronomico del XVIII secolo », con un taglio, a dire il vero, più letterario che culinario.
L’autore vuole infarti celebrare sopratutto l’ingresso trionfale nella letteratura dell’arte
gastronomica attraverso il romanzo libertino, un «filone» ora consacrato dalla prestigiosa
Pléiade che gli dedica due volumi, di cui uno è già in libreria.
Le gioie della tavola vengono passate in rassegna da Safran con humour, numerose citazioni e
tanti aneddoti non solo come un indispensabile ingrediente del piacere ma anche come una
preziosa testimonianza degli usi galanti dell’epoca. Nell’Amour gourmand, diviso in
capitoletti, alimento per alimento, Safran mette in luce come, nel mondo libertino, « tutti i
buoni momenti esigano passaggi dalla tavola al letto e vice-versa ». Ce Io insegna prima di
tutto Casanova, le cui Memorie sono una scintillante e inesauribile fonte di informazione su
come preparare, con vini e manicaretti, il terreno propizio per paradisiache gioie di alcova.
Stando almeno ai romanzi dell’epoca, per il libertino nulla va lasciato al caso, tanto meno
quando si tratta di mettersi a tavola. Certo una frittata alla buona può anche trasformarsi in un
preludio di amori campestri, ma l’ars amatoria libertina solitamente richiede dei cinque sensi.
SI moltiplichi quasi all’infinito.
Nel menu libertino la fanno da re champagne, ostriche e tartufi. Il primo a cantare il vino
spumeggiante, arma di seduzione per eccellenza, è Voltaire che nel Mondain lo esalta già
come « l’immagine brillante dei francesi ». Nel tappo di champagne che salta si ritrova, scrive
Safran « la félicita metaforica del rumore e del gesto dell’amore ».
Lo champagne è tanto popolare nei romanzi libertini anche perché « non si accontenta di
scaldare le teste, ma le libera da tutte le censure » e quando non fa saltare inibizioni diventa
inoltre un sicuro rimedio al mal d’amore.
Lo champagne svolge un ruolo privilegiato ma non è l’unico vino a rientrare nella strategia
amorosa del libertino, in quanto anche un buon Bourgogne o il vino di Cipro possono
accendere fuochi amorosi di tutto rispetto. Gran rivali di vini e liquori sono il caffè e la
cioccolata, bevande le cui virtù afrodisiache o eccitanti eraro note assai prima del secolo dei
lumi. Ma, nota Safran, bisognerà attendere grandi libertini come Casanova e Sade per vedere
associare il cioccolato e il caffè ai piaceri della bocca e ancor più a quelli dell’alcova. Poiché
nel menu libertino non possono mancare i cibi che hanno la reputazione di favorire gli amori,
le ostriche la fanno da regine e pochi sono i piati in cui non figurano tartufi, potente
afrodisiaco, come riconosce la stessa Encyclopédie. « La virtù di eccitare l’appetito venereo
che si attribuisce al tartufo è réale » scrive alla voce tartufo il cavaliere de Jaucourt che lo
sconsiglia vivamente ai temperamenti sanguigni e a chi è costretto a rinunciare all’atto
amoroso. L’ingrediente forse più potente è però fuori commercio: senza quel costante stimolo
alla, caccia amorosa intesa come Gioia dei sensi ma anche dell’intelletto, « l’amour gourmand
» perderebbe molto interesse.
Benedetta Gentile, Il Sole 24 Ore, 4 février 2001
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Et nourrir de plaisir
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Ce n’est peut-être pas son nom « épicé » qui a conduit Serge Safran à s’intéresser à la relation
étroite et subtile qui a toujours existé entre la gastronomie et l’érotisme ; mais le résultat est
là, un livre érudit et goûteux, qui sous le titre l’Amour gourmand » célèbre le libertinage
gastronomique au XVIIIe siècle.
Car l’on s’aperçoit à travers l’évolution du conte et du roman que le chocolat, le champagne,
le café, les huîtres, la volaille, les vins et liqueurs sont étroitement et presque toujours liés aux
amours libertines. Les plaisirs de bouche font avec le sexe une entrée en force dans la
littérature et la représentation, même fantasmatique, de la vie quotidienne.
Que vous soyez « salé » ou « sucré », vous trouverez au fil des chapitres illustrés d’anecdotes
savoureuses tirées de la « petite histoire », de quoi nourrir tous vos appétits !
Editions La Musardine, 287 p., 79 F.
Martine Freneuil, Le Quotidien du médecin, 6 février 2001
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La bonne fortune des libertins
Dans L’Amour gourmand, Serge Safran, étonnant d’érudition, confronte les sources. À l’aide
de citations, méconnues et inattendues, il délimite des saveurs partagées, favorables aux ébats
libertins telles que le chocolat, le café, les huîtres ou le champagne. Époque bénie que la
Restauration évacue. Le retour à l’ordre monarchique et clérical ainsi que la fin de l’esprit
révolutionnaire sonnent le glas des libertins et de leur production littéraire…
Isabelle Chalier, Polystyrène, n° 39, février 2001
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Plaisirs de bouche
De la bonne chère aux bonheurs de la chair, ce ne sont que glissements
progressifs du désir. À dévorer.
Serge Safran, écrivain et voyageur, rappelle fort à propos dans un passionnant ouvrage, leste
et savant (L’amour gourmand, Libertinage gastronomique au XVIIIème siècle, aux éditions de
La Musardine) que de tout temps les plaisirs la table ont été associés à ceux de la chair. Il
n’ya pas toujours loin de la caresse à la dévoration. Se situant lui-même, dans sa préface,
comme un de ceux qui connurent dans la joie les années 60-70, notamment Mai 68, et n’en
ayant point honte, malgré tout le mal que veulent bien en dire aujourd’hui ceux qui eurent
l’infortune de naître trop tard, l’auteur avoue avoir bien vécu sa jeunesse de libertin : « Aux
innocents les mains pleines, c’était moi. J’étais de la partie. J’allais en profiter. » Si vous
voulez donc tout savoir sur l’histoire de ces aphrodisiaques de bonne compagnie (meilleure
que celle des pilules bleues que l’on trouve en pharmacie) que sont le chocolat, le café, les
huîtres et le champagne, le tabac et les vins, il vous faut ce bréviaire, agréable à lire et encore
plus à offrir, car la lecture est souvent le premier pas d’une liberté. « Tous les bons moments
exigent des passages de la table au lit. Et réciproquement. Et on inclut dans la table l’écritoire,
et dans le lit le livre. On finit par croire aux pouvoirs des mots, comme à ceux des baisers. La
lecture est fellation. L’écriture sodomie. Et l’inverse. » À ce régime on ne peut que lever son
verre et renouveler ce toast fameux : lecture pour tous ! Le catalogue des éditions de La
Musardine ne devrait sur ce point laisser personne sur sa soif.
Michel Braudeau, Vogue, février 2001
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De la chère à la chair
Jadis, Grenoble plut aux polissons. Ils y sont tous passés, les coquins ! Peut-être parce qu’elle
était ville de garnison – et que les soudards prisent les filles faciles (et vice-versa) – la
capitale du Dauphiné attira toutes sortes d’individus libidineux et concupiscents. Bien que les
Grenoblois aient été réputés froids, Grenoble fut un lieu chaud. Inspirés par l’exemple du
Dauphinois Nicolas CHORIER, érudit un brin pornographe, les libertins les plus fameux,
viennent chez nous, tout au long du XVIIIe siècle, s’offrir quelques menues douceurs.
LACLOS en tire l’argument de ses Liaisons dangereuses, SADE en fait l’éloge dans Les
Infortunes de la vertu, et CASANOVA en dit deux ou trois mots dans son Histoire de ma vie.
Ainsi, en 1760, entre deux allers-retours à Chambéry, où il contait fleurette à une nonne,
l’incorrigible lovelace vénitien séjourna-t-il dans une maison sise à deux pas de Grenoble,
non loin des rives de l’Isère. Il en profita pour séduire Rose, la fille du concierge, en lui
offrant une barre de chocolat, en guise de gratification préliminaire ; puis, jetant son dévolu
sur une certaine mademoiselle ROMAN, il proposa à cette dernière, comme galante entrée en
matière, de s’en venir chez elle le lendemain matin de bonne heure, afin d’y boire le café en
sa compagnie… assis près d’elle sur son lit.
On remarquera, au regard de ces deux anecdotes, que CASANOVA – du café au chocolat –
mêle de bonne grâce les plaisirs de la chair à ceux de la chère. C’est qu’il n’y a jamais loin de
la table au lit. Du reste, ces deux piquantes historiettes trônent en bonne place dans L’amour
gourmand de Serge SAFRAN. Critique au Magazine littéraire et animateur des éditions
Zulma, ce lettré à l’esprit délié et à la langue agile s’est penché, ainsi que l’indique le soustitre de l’ouvrage, sur la question du « Libertinage gastronomique au XVIIIème siècle ».
Grappillant aussi bien dans Le Manuel des Amphitryons de GRIMOD DE LA REYNIÈRE
que dans L’Anti-Justine de RÉTIF DE LA BRETONNE, dans le Dictionnaire universel de
FURETIÈRE comme dans Félicia ou Mes fredaines de NERCIAT, picorant chez
MURABEAU, CAYLUS ou encore CRÉBILLON fils (ce qui permet de citer à l’occasion
l’universitaire grenoblois Jean SGARD), l’auteur montre qu’invariablement, les agréments de
la bouche conduisent sur la couche.
De ce point de vue, notre tiercé de fameux fripons passés par « la ville aux trois roses »
rivalisent d’inventivité. LACLOS, dans son roman, recourt aux effets enivrants de l’alcool
pour écarter momentanément un mari encombrant ; SADE, dans les sulfureuses Cent vingt
journées de Sodome, imagine une manière peu ordinaire de servir le café au lait ; quant à
CASANOVA, il pratique volontiers l’orgie d’huîtres, au titre de fredaine apéritive. Pour le
reste, force est de constater – ainsi que le note justement Serge Safran dans son avant-propos
– que le siècle des Lumières (tout comme mai 68) nous apporta à la fois la révolution
politique et la libération des mœurs ; c’est entendre qu’on y a nourri (c’est le cas de le dire)
bien des passions. Frénésies de la langue, de la bouche et de la chair : l’appétit confine alors
au cannibalisme. Bacchanales et priapées s’affichent comme des signes de bonne santé, tandis
que la faim de vivre annonce… la fin du roi. Les libertins prônent la liberté à leur façon : mots
salaces et mets salés.
Jean-Louis Roux, LES AFFICHES DE GRENOBLE ET DU DAUPHINÉ, 26 janvier 2001
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L’amour gourmand, Libertinage gastronomique au XVIIIème siècle
de Serge Safran
Dans le roman libertin, né au XVIIIe siècle, illuminé par les plumes de Sade et de Casanova,
l’art gastronomique fait une belle et fraîche entrée dans la littérature. Un rien gourmand, un
brin libertin, Serge Safran brosse le portrait littéraire et gastronomique de ce siècle singulier,
permissif et jouissif, qui lie allégrement érotisme et nourriture. Les vertus aphrodisiaques du
chocolat, antidépresseur et euphorisant naturel ; le rapport de l’huître aux jolies femmes
(établi par Casanova, développé en une variation sur l’érotisme ostréicole) ; le café, avec ses
vertus stimulantes, ses lieux publics propices aux rencontres ; le tabac, entré en littérature par
un coup d’éclat, à travers le Dom Juan de Molière, en guise d’idéal de sociabilité, de fervente
initiation à un plaisir plus ou moins défendu ; le champagne, liqueur enchanteresse, menant
aux plaisirs de l’alcôve, jusqu’aux truffes et au vin, où la métaphore le dispute aux allusions
salaces. Tout un menu libertin, contenant en lui-même ce qui a la réputation d’être favorable
aux effets de l’amour. Frais, drôle et rafraîchissant, sans être une anthologie, L’Amour
gourmand rend compte joliment des interférences entre la gastronomie et l’amour, combien
l’un s’est servi de l’autre, et réciproquement.
Céline Darner, Amazon.fr, 8 novembre 2000
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XVIIIe siècle
Les libertins
ou l’empire du plaisir
Un volume de la Pléiade et plusieurs essais mettent en lumière un courant littéraire et un fait
social qui marquèrent de leur empreinte le siècle des Lumières et firent le lit de la Révolution.
L’essor du libertinage commence à la mort de Louis XIV. Versailles, alors, se vide. À Paris se
réinstalle la noblesse et, du Palais-Royal, le Régent gouverne le royaume. Il y affiche aussi ses
liaisons, ses débauches et son impiété. La cour et la ville s’empressent de suivre ; journaux,
chroniques, fictions littéraires portent témoignage de ce libertinage ambiant. « Le libertinage
se fait visible », remarque Michel Delon, l’éditeur des œuvres de Sade dans La Pléiade. Son
dernier essai, le Savoir-vivre libertin, plus écrit dans une perspective littéraire qu’historique,
traverse le XVIIIe siècle en compagnie des libertins et du libertinage dont Serge Safran, dans
un petit livre érudit et savoureux, met en lumière la connivence avec les plaisirs de la table.
L’alliance de la chair et de la chère.
Bruno de Cessole, Valeurs actuelles du 19 janvier 2001
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LIVRES
Nourrir d’amour
Serge Safran révèle les rapports
inattendus du libertinage et de la
gastronomie
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Écriture et nourriture n’ont pas toujours fait bon ménage sous nos latitudes, tragiquement
dominées par la figure du poète maudit, famélique par nécessité ou par conscience
professionnelle. L’écrivain français idéal s’inscrit dans n rapport contraignant sous le rapport
de ces choses. À défaut de mourir de faim, on l’a longtemps souhaité maigriot, hâve de
complexion, clairsemé du haut et plutôt émacié du bas. Il y a là, traversant le paysage lettré du
pas svelte des voltigeurs, toute une filière de ventres plats qui, de Rimbaud à Mauriac et de
Valéry à Le Clézio, composent une sorte de religion du maigre dont le dogme serait que
l’esprit est l’ennemi du copieux et des bavardages de la chair. Henri Béraud, un prix Goncourt
de l’entre-deux-guerres, avait même pris la tête d’une douloureuse croisade contre le «
martyre de l’obèse ».
Les exceptions ayant chez nous le génie particulier de confirmer les règles, on échappera à
l’anorexie en s’aventurant dans le roman libertin, seule spécialité autorisée à la truculence et
jouissant de toutes les remises de peine. Serge Safran propose même dans « L’Amour
gourmand » une longue et savoureuse ethnologie de cette littérature, sensuelle parenthèse qui
connut son âge d’or au XVIIIe siècle. L’originalité de son ouvrage est d’avoir analysé ce
phénomène analeptique avec méthode, à travers ses ingrédients. Ce grand connaisseur de
Tristan Corbière (autre glorieux efflanqué) à qui l’on doit une excellente édition des «
Amours jaunes » (Safran tient à mériter son nom) s’enhardit avec bonheur, et même ivresse,
dans les délices confisquées ou secrètes de la volupté gastronomique, celle-ci étant stimulée
par la transgression des interdits. Selon notre auteur, il y aurait un lien essentiel, une sorte
d’équivalence symbolique, entre la bouche et le sexe. On y apprend donc pourquoi Ninon de
Lenclos faisait une telle consommation de chocolat. On y apprend encore les rapports intimes
de l’huître et du baiser, la valeur hilarante du café comme philtre initiatique et mille autres
façons de se désennuyer à table qui font qu’on ne pourra plus rien avaler sans rougir d’une
honte sincère, parfaitement humiliante et tout à fait délectable.
« L’Amour gourmand » par Serge Safran, La Musardine, 288 p., 79F.
Jean-Louis Ezine, Le Nouvel Observateur, n°1885 – DU 21 au 27 DÉCEMBRE 2000
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Serge Safran - L'Amour gourmand
Editeur
La Musardine
285 p.
"Cultiver le plaisir de mes sens fut dans toute ma vie ma principale affaire ; je n’en ai jamais
eu de plus importante. Me sentant né pour le sexe différent du mien, je l’ai toujours aimé, et je
m’en suis fait aimer autant que j’ai pu. J’ai aussi aimé la bonne table avec transport..." De ces
mots de Casanova, tirés de l’Histoire de ma vie, le "aussi" n’est sans doute pas le moins
important. Entre femme et table, chair et chère, amour et goût, les libertins du XVIIIe siècle
aiment à entretenir, sinon la confusion, au moins le parallèle : à l’impénitent séducteur qui
trouve un goût et une odeur à l’amour répond ainsi la comparaison d’un Sade qui fait de ses
Cent vingt Journées de Sodome un "magnifique repas" de "six cents plats divers", les quatre
libertins du château de Silling affectant deux millions par an "aux seuls plaisirs de la bonne
chère et de la lubricité". Nourriture et plaisir sexuel se croisent et s’équivalent constamment
dans cette littérature libertine qui s’affranchit peu à peu de la préciosité du siècle précédent où
les héros, tout à leurs amours, ne trouvaient pas le temps de boire ni manger : voilà l’idée de
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Serge Safran, qui s’essaye en dix chapitres à montrer comment les plaisirs érotiques
redécouverts se mêlent à ceux du palais, de sorte que "la vie amoureuse se métamorphose en
vrai festin". A l’heure où les Crébillon, Voisenon, Gervaise de Latouche ou Boyer d’Argens
prennent place, et leurs gravures avec eux, dans la collection de la Pléiade, il nous propose
d’entrer par une porte annexe, plaisante et originale, dans ce pan délicieux de la littérature
française, et invite avec malice et érudition à voir comment les relations de l’amour et de la
gastronomie dépassent de loin le champ terminologique qu’ils peuvent avoir en commun.
C’est avec le chocolat et les huîtres que l’on commencera ce va-et-vient de la table au lit,
ponctué d’anecdotes et notes de lectures, du sommet d’érotisme ostréicole atteint par
Casanova lors d’un séjour à Ancône en 1744 à l’exploitation faite par Godard d’Aucour de la
volupté du chocolat. Café, tabac, champagne, vins et liqueurs sont autant d’étapes
alimentaires dans l’union libertine de Vénus et Bacchus, dont Safran dévoile les coulisses et
dessous en évoquant ses lectures de Nerciat, Sade, Crébillon, Dorat, Duclos ou La Morlière ;
la réflexion, pour se vouloir littéraire, n’en emprunte pas moins, et chaque fois qu’il le faut,
les détours philosophiques ou historiques nécessaires : rien n’est négligé, jusqu’à
l’aménagement intérieur des foyers qui, comme chez le marquis de Trénicour dans La Petite
Maison de Jean-François Bastide, réduit autant que faire se peut la distance matérielle entre
table et lit, "ces deux lieux du plaisir concomitants"... L’authenticité de la passion qui anime
l’auteur de ces subtiles recherches semble attestée par les quelques mots, volontiers
autobiographiques, qu’il place en début de volume : lui qui a "longtemps vécu en libertin",
découvre finalement "que d’autres avant nous ont su aimer sans contraintes, ont même pris
plaisir à l’écrire". Regard décalé sur les mœurs galantes d’une époque riche de littérateurs
parfois trop mal connus, ce petit essai en forme de longue dissertation illustrée s’avère
délicieux : s’il lui fallait un exergue, ce serait assurément celui du narrateur de Crébillon dans
les Egarements du cœur et de l’esprit : "L’idée du plaisir fut, à mon entrée dans le monde, la
seule qui m’occupa."
Bernard Quiriny, CHRONICART.COM | le webmag culturel | http://www.chronicart.com
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De la table au lit
SERGE SAFRAN
L’Amour gourmand
Libertinage gastronomique
au XVIIIème siècle
La Musardine, 288 p.
« Cultiver le plaisir de mes sens fut dans toute ma vie ma principale affaire, je n’en ai jamais
eu de plus importante. Me sentant né pour le sexe différent du mien, je l’ai toujours aimé, et
je m’en suis fait aimer autant que j’ai pu. J’ai aussi aimé la bonne table avec transport… » De
la table au lit, il n’y a qu’un pas pour Casanova. Cette alliance des plaisirs de la chair et de la
bonne chère, Serge Safran la passe en revue chez les auteurs libertins du XVIIIe siècle, en une
dizaine de chapitres dédiés au chocolat, aux huîtres, au café, au tabac, au champagne, aux
vins, aux liqueurs, à l’ivresse ou à l’art de se nourrir d’amour. Cet essai très documenté est
aussi un festin de mots, grâce à de nombreuses anecdotes et extraits d’une littérature dont
l’auteur se déclare friand parce qu’elle associe la vérité du style à l’amour sans contraintes.
Isabelle Martin, Le Temps, SAMEDI CULTUREL. Samedi 30 décembre 2000
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L’AMOUR GOURMAND
Il fut un temps où l’amour était gourmand et n’imaginait pas de luxure sans plaisirs de la
bouche. Au XVIIIe siècle, à travers le roman libertin précisément, l’art gastronomique fait son
entrée dans la littérature. Au moment où la collection de La Pléiade consacre un nouveau
volume aux écrits des libertins, Serge Safran, directeur littéraire des éditions Zulma et libertin
devant l’Eternel, nous raconte avec truculence et érudition comment les Casanova, Restif de
La Bretonne, Marivaux ou Sade ont su lier érotisme et gastronomie. Aux amours libertines le
chocolat, le champagne, le café, les huîtres, la viande sont étroitement liés et la vie du libertin
amoureux se transforme en véritable festin de tous les sens. Ainsi Casanova racontant dans «
L’Histoire de ma vie » un « dîner délicat à la vénitienne » préparé par la jeune Tonine : «
C’était le premier jour que je mangeais avec elle comme amoureux (…) Nous passâmes toute
la journée à table parlant de notre amour… » L’occasion pour Serge Safran de dénoncer, dans
cette subtile ode à ses chéris du siècle des Lumières », l’état de catastrophe » dans lequel se
trouverait désormais notre vie sexuelle.
« L’amour gourmand, Libertinage
gastronomique au XVIIIème siècle. »
De Serge Safran
La Musardine, 286 p.
Isabelle Falconnier, L’HEBDO, n° 52 Semaine du 28 décembre 2000
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L’Amour gourmand – Libertinage
gastronomique au 18e s.
Auteur : Serge Safran
Éditions : La Musardine
Prix : 79 F / 12, 04 €
Tout amateur de bonne chère, n’est-il pas, en puissance au moins, un amateur de bonne
chair ? On ne poserait pas la question aussi crûment si l’excellent petit opuscule de Serge
Safran, l’Amour gourmand, libertinage gastronomique au 18e s. n’y invitait pas, séance
tenante, en nous mettant l’eau à la bouche.
Auteur de récits de voyage, poète, journaliste au magazine Lire et directeur littéraire des
éditions Zulma, Serge Safran s’installe dans les cuisines de la littérature libertine avec
l’assurance d’un officier de bouche attaché au service de sa majesté. C’est même un chef
trois fois étoilé qui nous guide au travers d’un corpus à lire d’une main, l’autre tenant la
fourchette ou le fouet à blancs d’œuf. D’Andréa de Nerciat (Le Diable au corps, Mon noviciat
ou Les joies de Lolotte) à Mirabeau, de Casanova à Caylus (Histoire de Guillaume cocher), de
Fougeret de Montbron (Margot la Ravaudeuse) à J.BB. Louvet de Couvray (Les Amours du
chevalier de Faublas), l’érudition de Serge Safran est sans limite et ce grand lecteur donne
furieusement envie de se mettre à la table des auteurs qu’il présente. C’est là la première des
vertus de ce petit ouvrage construit à la manière d’une épicerie fine, où, bien avant que des
parties du même nom s’y donnent, le lecteur butine entre les rayons. Le liquoreux le dispute à
l’épicé et l’onctueux à l’amer ; chaque chapitre envisage un produit dans ses rapports avec
l’économie libidinale et romanesque des écrivains. Chocolat, huîtres, café, tabac (non
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comestible, il est à ranger du côté des excitants), champagnes, vins et liqueurs nous sont
servis à travers un florilège de citations dont on aimerait se souvenir longtemps.
L’Amour gourmand montre comment les mets et les boissons préludent à la séduction d’une
belle, accompagnent les plaisirs de la chair ou les suivent comme autant de reconstituants
notamment chez les libertins que Sade met en scène. Le héros du livre est assurément
Casanova, l’aventurier, le séducteur, l’écrivain : rien de ce qui touche à l’amour et à la table
ne lui est étranger. Cet appétit énorme (il engloutissait les huîtres par centaines) se mue aussi
à son heure en amoureux transi, notamment quand le Vénitien évoque l’épisode du jeu de
l’huître échangée en bouche avec une énigmatique religieuse, lors d’un somptueux dîner.
Serge Safran nous décrit cette scène de « bouche-à-bouche ludique » comme le partage «
fusionnel » de « la même nourriture d’amour ». Bref, la chair est loin d’être triste et il reste
beaucoup de bons livres à lire.
MICHELIN, Travel magazine, Avril 2001, 03/04/01
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Michel DELON : Le Savoir-vivre libertin, Paris, Hachette-Littératures, 2000, 349 p.
Serge SAFRAN : L'Amour gourmand/Libertinage gastronomique au 18e siècle. Paris, La
Musardine, 2000, 288 p. (Coll. « L’attrape-corps ».)
On doit constater que le livre de S. SAFRAN s’emboîte en quelque sorte dans le premier,
développant pour lui-même un thème également traité par M. DELON, dans un cadre plus
exhaustif, au milieu des autres plaisirs directs des sens. M. D. veille à tracer tous les aspects
d’un libertinage qui ne s’accommode pas d’une définition unique et simple, ne négligeant ni
les lieux et décors, ni le style et la démarche, ni l’emploi du temps, ni la relation du libertinage
avec les rapports du masculin et du féminin. Bien entendu, les grandes figures de Casanova et
Sade (Rétif aussi), sont largement mises à contribution ; peut-être regrettera-t-on que
l’opposition de leurs visions du plaisir et de la vie n’apparaissent pas assez nettement. Il reste
que nos deux A. montrent bien que le grand théâtre du libertinage avec son infinie liberté se
joue dans un milieu aristocratique et, en tout cas, libre de préoccupations matérielles
imminentes. M. D., menant l’enquête jusqu’à la Révolution, écrit que « la Révolution se
présente à la fois comme un mouvement de dépénalisation de ce qui relève du libertinage
individuel […] et comme une condamnation du libertinage aristocratique et ecclésiastique »
(p. 44). Certes, et il est vrai que la production érotique d’avant 1789, n’atteint pas les
dimensions de Juliette, par exemple, elle est une littérature de formes brèves, ou relativement
brèves ; mais le second point n’en est pas moins décisif. Quoi qu’il en soit, si on n’a pas le
temps de lire ou relire les grandes sommes casanoviennes ou sadiennes, on en retrouvera tous
les ingrédients nécessaires dans le livre de M.D., et pour la part gastronomique chez S. S.
Cependant si ces livres se lisent avec plaisir, on ne peut que regretter que le premier ne
comporte pas d’index. Reste une question à la fois pratique et d’érudition : l’évocation, entre
autres, du chocolat ou du café aurait besoin d’être accompagnée de précisions sur ce
qu’étaient l’un et l’autre au 18e siècle, comment on les faisait, quelles étaient leurs variétés.
Yves Benot, DIX-HUITIÈME SIÈCLE n° 33, revue annuelle, 2001
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l'Amour gourmand *** de Serge Safran
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Dumas conseille effectivement de goûter de la trompe d’éléphant, recommande la langue et le
foie de dauphin, mais en boude la chair (indigeste). D’après lui, les potages de grenouille
entretiennent le teint. Mais il n’y a pas que la nourriture dans la vie.
C’est ce qu’a compris le malicieux Serge Safran dans son libertinage gastronomique au
XVIIIème siècle. Nous savons tous que l’accès du lit passe par la table. Grâce à Safran, on
replonge, avec Sade, Molière, Casanova, dans un temps où les plaisirs ne se partageaient pas.
« Dis, chérie, tu viens dîner ? »
***
Éditions La Musardine, 288 pages.
Éric Neuhoff, Madame Figaro, samedi 23 décembre 2000
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Libertin Liberté
Parfait exemple, charmant, de littérature libertine : L’Amour gourmand, cuisiné par Serge
Safran. Le vieux mythe de la cuisine érotique, plus goûteuse que le Viagra, a fonctionné à
longueurs de petits soupers, et les romans de Sade sont ponctués de banquets gigantesques.
Un peu plus tard Brillat-Savarin en tirera cette conclusion, à propos de la truffe : « un grand
mot qui réveille des souvenirs érotiques et gourmands chez le sexe portant jupes ».
L’Amour gourmand, Serge Safran. Ed. La Musardine, 79F.
Jean-Jacques Brochier, Magazine littéraire, n° 304 Janvier 2001
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Un festin de mots et de mets
C’est au XVIIIe siècle et à travers le roman libertin que l’art gastronomique, considéré
comme l’un des ingrédients du plaisir, a fait son entrée en force dans la littérature.
« Aimer ou manger. Peu importe après tout l’ordre choisi, si l’un peut se substituer à l’autre,
si les deux peuvent être assouvis avec la même jouissance. » Au travers des aliments, l’auteur
de L’Amour gourmand batifole au hasard des œuvres où se trouvent les mystères d’une
sensualité du goût laissée de nos jours au vulgaire.
L’Amour gourmand, par Serge Safran, éd. La Musardine, 287 p. , 79F.
Arlette Nachbaur, France Soir, 21 décembre 2000
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Savoir-vivre, savoir-faire, savoir-lire
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Recettes en tout genre : un livre de Serge Safran, L’Amour gourmand, vient rappeler les liens
étroits qui unissent le libertinage et la gastronomie dans une même célébration du raffinement
sensuel et de l’éphémère (La Musardine, 290 p., 79 F [12, 04 €]).
Pierre Lepape, Le Monde des livres, vendredi 1er décembre 2000
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D’autres
nourritures
terrestres
Un dîner commence à table assis, mais parfois finit ailleurs, couché. C’est du moins ce
que nous explique Serge Safran dans un savant petit ouvrage qui décortique les
rapports entre libertinage et gastronomie au XVIIIe siècle.
On l’apprend dès l’avant-propos mais on s’en doutait : c’est le virevoltant Vénitien, maître de
la littérature libertine, qui a guidé les recherches de l’auteur. « Il serait grand temps de dire
enfin à quel point la lecture de Casanova a été déterminante pour la rédaction de ce qui va
suivre. » On comprend aisément pourquoi, à la lecture des trois tomes de Histoire de ma vie,
truffés de descriptions précises de soupers, de diners et d’orgies…
Et, comme un bonheur n’arrive jamais seul, ces instants sont liés à une rencontre amoureuse
et finissent délicieusement à l’horizontale. « À tout moment du jour ou de la nuit, l’amour
physique et les nourritures terrestres constituent une entité que le libertin se soucie guère de
dissocier. Au contraire. » Le ton est donné. L’Amour gourmand décline à l’envi une farandole
d’aliments, et de boissons, du chocolat aux truffes, en passant par les vins, le café, les
volailles ou les huîtres.
ET, une fois encore, c’est Casanova qui s’illustre, gobant le coquillage perlier à même la
gorge pigeonnante d’une femme. L’incorrigible, toutes les occasions sont bonnes, pensezvous ? Eh oui, c’est bien là son génie : ne jamais laisser filer un plaisir possible, comme dans
le jeu coquin et moins convenu qui consiste à marier les plaisirs d’un baiser et ceux d’un
coquillage. Mais ne matière de séduction, c’est la truffe qui tient le haut du pavé, et qui mène
plus sûrement au boudoir. Même la très sérieuse Encyclopédie souligne son caractère
aphrodisiaque, et Jean-Luc Hennig (auteur notamment du Vin érotique, éd. Zulma) note : «
L’effet conjugué de l’huître et de la truffe était paraît-il prodigieux, et bien des filles étaient
troussées séance tenante. » On n’en demandait pas temps ! Quoi qu’il suffise d’imaginer
l’espace entre la table et le lit, souvent réduit au minimum, pour saisir l’issue érotique. Le
temps a son rôle dans ces affaires, puisqu’un souper peut se prolonger bien au-delà des limites
d’un repas habituel. Casanova évoque son tête-à-tête avec sa servante Tonine : « C’était le
premier jour que je mangeais avec elle comme amoureux, aussi m’a-t-elle trouvé tout attentif
à lui en donner les marques les plus certaines. Nous passâmes toute la journée à table parlant
de notre amour… » La langue des libertins révèle au plus juste le lien qu’ils tissent entre se
nourrir et faire l’amour, et Serge Safran s’amuse justement à dresser un petit inventaire des
mots à double sens : dévorer, manger, avaler… Les occurrences sont légion, la liste pourrait
se poursuivre longtemps.
Aymone Vigière d’Anval, Gault Millau, septembre / octobre 2001
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L’amour gourmand, Libertinage gastronomique au XVIIIe siècle,
de Serge Safran,
Éditions La Musardine, 2000
Critique littéraire et éditeur, Serge Safran connaît et cultive la littérature érotique du XVIIIe
siècle qui sait mieux que tout autre ce que sont l’amour et la jouissance, une jouissance pleine
et entière, c’est-à-dire assujettie à aucun domaine d’élection, nullement contrainte par un
territoire qui serait celui de l’amour. La jouissance est sensuelle et l’amour se satisfait de tout
ce qui apaise les sens.
Serge Safran commence son propos par un constat liminaire : « Tous les bons moments
exigent des passages de la table au lit. Et réciproquement. » Sa connaissance du XVIIIe siècle
le confirme. Casanova et Restif de La Bretonne, Marivaux ou même Sade cultivent autant
l’amour que la cuisine, les plaisirs du lit et de la table. « Aux plaisirs érotiques retrouvés et
multipliés, comme rarement débridés, s’en mêlent ainsi de nouveaux qui pour certains,
comme le chocolat ou le café, deviennent presque accessibles à tous. » On prend bien
conscience que sexe et nourriture, tout passe d’abord par la bouche, et ce XVIIIe des
expériences nouvelles découvre l’érotisme des saveurs exotiques.
Cette littérature libertine nous décline alors les chapitres d’un festin amoureux : le chocolat,
les huîtres, le café, le tabac, le champagne, les vins, et liqueurs. On y apprend le rite de la
préparation d’un chocolat voluptueux, la mode des premiers cafés parisiens, le « sablage » du
champagne, bu « tout d’un coup, d’une seule gorgée », l’ivresse des vins et des liqueurs, mais
aussi la façon très subtile dont ces plaisirs se mêlent à l’amour pour un surplus d’érotisme.
Sade : « - Allons, ne fais pas l’enfant; le chocolat est prêt; suis-moi. Je lui ai saisi le vit, et me
le mettant dans la bouche […] ce qui m’a fortifiée. Mon chocolat m’a rincé la bouche… »
Casanova : « Je lui ai mis la coquille à la bouche, je lui ai dit de humer l’eau en gardant
l’huître entre ses lèvres. Elle exécuta la leçon fidèlement après avoir bien ri, et j’ai recueilli
l’huître en collant mes lèvres sur les siennes avec la plus grande décence […] et Armellina ne
trouva pas non plus mauvais que je m’arrêtasse à sucer la sienne qu’elle me donnait très
généreusement… » Godard d’Aucour : « Notre dîner fut des plus sensuels; le café qui le suivit
m’embaumait ». Encore Sade : on passa au café… mais servi d’une très singulière façon: ce
fut avec leur bouche qu’ils le firent avaler » ou Casanova : « Je fais venir du champagne […]
À la troisième bouteille elle ne savait plus ni ce qu’elle disait, ni ce qu’elle faisait. »
Serge Safran, au nom d’épice prédestiné, nous offre un amour gourmand à déguster sans
modération.
Philippe Brenot, SEXOLOGIES, Volume XX, p. 35
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Menducation
Sentimentale
« L’amour gourmand »
présenté par Serge Safran
(La Musardine)
Tout à leur soif de liberté, les affranchis du XVIIIe siècle ont bouleversé la hiérarchie des
sens, et la nouvelle-née, la gastronomie, valait bien les autres sciences, d’autant qu’aux
soupers nocturnes le glissement de la table au lit était si naturel…
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Montesquieu n’était pas dupe, pour qui « « Les dîners sont innocents; les soupers sont
presque toujours criminels », et Serge Safran, dans sa compilation érotico-gourmande,
rappelle que les personnes innocentes, ou blessées, comme Mme de Tourvel dans « Les
Liaisons dangereuses », fuyaient ces soupers qui commençaient à minuit pour s’achever vers
des aubes traîtresses…
Les courtisanes faisaient grand cas du chocolat, qui effrayait Mme de Sévigné. Dans « Le
diable au corps », de Nerciat, la comtesse de Motte-en-feu évoque, à propos d’un amant hors
pair, « deux politesses encore dont il venait de payer sa tasse de chocolat ». Rétif de La
Bretonne fait dire à sa Mme Guaé, dans « L’anti-Justine » : « Le lendemain matin, après le
chocolat, j’allai faire mon déjeuner de foutre chez Guaé. J’en pris quatre doses… » Et chez
Sade, dans « Les Cent vingt journées de Sodome », le chocolat était servi par de jeunes pages
nus…
Les huîtres furent, avec le champagne, la folie libertine. Casanova, qui, lui aussi, voulait «
nourrir d’amour », évoque un souper à Venise, avec la religieuse M. M. : « Après avoir fait du
punch nous nous amusâmes, écrit-il, à manger des huîtres les troquant lorsque nous les
avions déjà dans la bouche. Elle me présentait sur sa langue la sienne en même temps que je
lui embouchais la mienne; il n’y a point de jeu plus lascif, plus voluptueux entre deux
amoureux, il est même comique. »
Le libertin associe l’amour au rire : il pétille comme le champagne qui coule vraiment à flots.
Pour séduire une Clémentine, le même Casanova donne un souper où furent vidées « vingt
bouteilles de champagne », soit, calcule Safran, deux bouteilles et demie par personne, sans
parler, d’ « une heure à boire du punch ». On faisait mousser le vin avec un trémoussoir, et
Godard d’Aucour tire la conclusion, dans « Thémidore » : « Ce fut du fond d’une bouteille de
champagne que sortit la réconciliation entre des personnes qui se disaient ennemies des sens.
»
Lors de son séjour à Paris, à la Petite Pologne (près de l’église de la Madeleine
d’aujourd’hui), Casanova faisait de l’élevage ! « Je faisais nourrir des poulets avec du riz
dans une chambre obscure; ils étaient blancs comme la neige, et d’un goût exquis. » Et sans
dioxine…
Dominique Durand, Le Canard enchaîné, 29 novembre 2000
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