Mouvements sociaux `à la française`
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Mouvements sociaux `à la française`
Systémique et Politique MOUVEMENTS SOCIAUX "À LA FRANÇAISE" 1995-2006 Essai systémographique Pierre F. Gonod 1 Mai 2006 Cette étude reprend des analyses précédentes, et non publiées, de mouvements sociaux en France de la période 1995-2005, vus d'un point de vue systémique. Elle est actualisée par le décryptage de la révolte sociale contre le CPE de mars 2006, elle en fait la comparaison, continuités, différences et ruptures entre ces mouvements. 1 LA REVOLTE SOCIALE DE NOV-DEC 1995 ESSAI SYSTEMOGRAPHIQUE La France a été secouée par un conflit social d’une ampleur exceptionnelle qui a surpris la plupart des politologues, français et étrangers. Les notes qui suivent ont été rédigées durant les événements. Elles ont été conservées en l’état. Sans doute aurait-il été possible, et souhaitable, d’en approfondir l’analyse et de lui donner une dimension plus substantielle. Mais leur objet est de montrer, sur le vif, les possibilités d’interprétation systémique d’événements majeurs. Cet essai présente trois caractéristiques méthodologiques: 1 il commence par une description d’état et de processus; 2 il utilise un modèle de représentation systémique de la vie politique, 3 il associe formes graphique et littéraire. I LES REFERENCES THEORIQUES ESSENTIELLES DE L’ESSAI 1 Descriptions d’état et de processus Herbert A. SIMON les définit ainsi: “les (descriptions d’état) caractérisent le monde tel que nous le percevons; elles nous donnent un critère pour identifier les objets souvent en modélisant les objets eux-mêmes. Les (descriptions de processus) caractérisent le monde dans lequel nous agissons. Elles nous donnent les moyens pour produire ou pour engendrer des objets ayant des caractéristiques désirées. Le passage d’un type de description à l’autre signifie celui du monde perçu au monde actionné... or la résolution des problèmes demande un transfert permanent des descriptions d’état aux descriptions de processus au sein d’une même réalité complexe... nous posons un problème en donnant une description de sa solution. Notre tâche consiste à découvrir une séquence qui produise l’état désiré à partir de l’état initial”1. •Le processus est un stade fondamental de la description du système et de l’anticipation. La notion de processus est corrélative de celle d’évolution. Le processus est une séquence de phénomènes dynamiques, en mouvement. C’est tout changement dans le temps de matière, d’énergie ou d’information qui se produit dans le système traitant ces variables d’entrée et menant aux variables de sortie. Les processus se combinent entre eux à différents niveaux d’agrégation. Les processus agrégés impliquent de nombreux acteurs dont les intérêts peuvent être coopératifs ou opposés. L’identification des processus et de leur contrôle est décisive pour la prospective. La réponse à la question “qui les contrôle?” donne la liste des acteurs impliqués. Celle “comment contrôlent-ils?”, donne la liste des options politiques pour chaque acteur. Il existe des processus dirigés, intentionnels, et d’autres sans buts, inintentionnels. Le processus est en définitive un triplet système-temps-acteurs. Il résulte de l’état du système, de sa mise en mouvement passée, présente, future, par des acteurs, au cours du temps. 2 Un modèle de représentation du système politique David Easton 2 a développé un modèle systémique de la vie politique dont on résumera quelques traits essentiels, tout au moins pour le présent essai. Il porte sur les transactions entre le système et son environnement. La vie politique est considérée comme un mécanisme entrées-sorties. Les inputs proviennent de l’environnement sociétal. Ils sont constitués d’exigences et de soutiens. 1 2 Simon H.A. "La science des systèmes, science de l'artificiel" Epi 1984 Easton D. "A system analysis of political life" John Willey & son NewYork 1965 1 •Les exigences sont les demandes adressées au système politique. Elles pénètrent ce dernier après une conversion des besoins en exigences. Cette première conversion s’effectue selon deux mécanismes de régulation, la régulation structurale qui fait appel à la notion de portier et à des rôles spécialisés dans la formulation des exigences politiques, et la régulation culturelle qui complète les freins mis en place par le système politique. •La réduction, ou agrégation, des exigences politiques est un des principaux instruments de régulation du flux des exigences spécifiques et variées en exigence globale. C’est une fonction assumée, notamment, par les partis politiques et les syndicats. Le système politique comprend donc des structures de réduction, des rôles spécialisés dans la réduction des exigences, des points de combinaison et de réduction de la demande. •C’est après cette réduction que le système peut traiter les exigences, formuler des priorités, avancer des propositions de décision (en anglais “issues”). Les “issues” portent sur le fond de la matière ou sur les moyens d’action. Le système peut être soumis à une accumulation d’exigences, souvent contradictoires, pouvant créer une surcharge. Le système politique peut répondre à celle-ci de différentes manières: en satisfaisant les exigences dans la limite de ses possibilités, en réduisant la surcharge par le filtrage des demandes, en s’adaptant à la situation, en développant le soutien, le support dont il bénéficie. •La notion de soutien lie le système politique à son environnement. Sans soutien le système s’effondre devant la moindre surcharge. Il faut distinguer entre l’effondrement et l’érosion du soutien qui correspond à l’idée d’usure du pouvoir. C’est le rapport entre les niveaux des demandes et des soutiens qui mesure le degré de l’érosion. •Il y a trois objets de soutien dans le système politique: la communauté, le régime et les autorités. La communauté politique est le fondement du système politique. Les luttes politiques, les conflits de classe ne sont pas pour autant des clivages communautaires. Pour qu’il y ait fracture il faut que les lignes de partage coïncident. La communauté politique cherche à prévenir ce danger par la socialisation politique, l’attachement à la communauté nationale, l’intégration culturelle. Le soutien du régime politique est celui apporté à l’ensemble des règles du jeu nécessaires au fonctionnement du système politique. Ces règles comprennent les normes, la structure du pouvoir. Le soutien des autorités est celui apporté aux titulaires des rôles d’autorité, reposant sur leur légitimité. •Les outputs, c’est-à-dire les productions du système politique, sont des décisions et des actions. Elles résultent d’une seconde conversion en son au sein, celle des “issues”. En rétroaction elles opèrent l’environnement, produisant des effets qui donnent naissance à de nouvelles exigences et à de nouveaux soutiens. Ainsi se développent des boucles rétroactives, des relations dialectiques ininterrompues entre les entrées et les sorties du système. 3 Systémographie, graphique et mappings La conception générale, la “systémique” a été entendue comme “un art méthodologique qui recherche les théories et instruments analytiques appropriés à chaque cas”. C’est pourquoi la théorie d’Easton a été utilisée, malgré les critiques qu’elle a pu soulever dans les années 70. La modélisation de la vie politique a été prolongée par sa systémographie graphique, dont les “mappings” sont des instruments. •Les mappings sont des instruments nouveaux de la systémique et de la prospective. Originellement un mapping désigne l’assignation de chaque élément à un ensemble (exemple un modèle mathématique ou conceptuel), celle d’un élément du même ensemble à un autre ensemble, le procès d’établir des correspondances une par une ou à plusieurs. Le mapping est, comme la systémique, dont il est partie, un art méthodologique, un procès incrémental. Cette démarche est heuristique, étendant ainsi le sens originel. II LE MAPPING DE LA SITUATION SOCIALE AVANT LES GREVES DE NOV-DEC 1995 2 La figure 1 schématise la situation d’état, les processus en cours, les exigences de la société française, les problèmes pour le gouvernement, et les décisions du gouvernement Juppé. Elle dispense de longs commentaires. •La situation d’état est structurée par le statut des générations et par les problèmes sociaux correspondants. Leur perception avait conduit le candidat à la présidence de la République, Jacques Chirac, au constat d’une fracture sociale, c’est-à-dire à l’existence d’une menace pour la communauté nationale. •Les processus en cours vont dans le sens d’une menace d’aggravation de la fracture sociale. Il faut donc les inverser. Tel était le sens de la campagne, des promesses et de la victoire aux élections de J. Chirac. Cette victoire marquait le point de rencontre entre la volonté politique de changer des tendances négatives et le positif des exigences, d’espérance et justice sociale de la grande majorité de la société. Car, sur un autre registre, Lionel Jospin exprimait, lui aussi, la même demande au nom de l’opposition. On peut donc parler d’une surcharge des exigences. •Confronté désormais à celles-ci le gouvernement doit faire face à des problèmes qui sont des héritages de la situation d’état et des processus en mouvement, mais aussi de ses promesses électorales. Durant six mois il flotte entre les mesures à court terme sans que se manifeste la politique audacieuse et dynamique annoncée. Les sondages d’opinion montrent un désenchantement vis-à-vis du Président et du Premier Ministre. Intervient alors le “plan Juppé”. III LOGIQUE ET CONTRADICTIONS DES DECISIONS GOUVERNEMENTALES La figure 2 relie les problèmes posés au gouvernement avec les décisions prises. •Ces dernières sont dominées par le changement de cap annoncé par J. Chirac le 20 octobre 1995. Dès lors la priorité devient la réduction des déficits. Et celle-ci se comprend par rapport à la priorité des priorités: établir la monnaie unique conformément au calendrier établi. Les économistes sont très divisés sur le bien-fondé technique de cette réforme monétaire. La monnaie unique est présentée comme le chemin nécessaire vers l’unité politique. Or si l’Euro voit le jour, il est clair qu’il n’existera que comme conséquence de l’union politique. Celle-ci est la finalité, et non pas la monnaie unique, bien qu’il existe des relations circulaires entre elles. Mais ce n’est pas au nom de la monnaie unique que les peuples européens, le peuple français en premier, accepteront les sacrifices demandés pour la résorption des déficits. •Le plan Juppé suit la logique inhérente au recentrage décidé. Après les mesures fiscales de l’été concernant le relèvement de la TVA et celui du SMUG, l’allongement à 40 annuités de l’ouverture des droits à la retraite pour les salariés du secteur privé, suit la présentation du programme de réduction du déficit du budget social. Tout ceci est bien connu et il n’est pas besoin de rappeler l’inventaire des mesures annoncées. •Cette logique, saluée par la majorité parlementaire, est grosse cependant de contradictions par rapport aux objectifs initiaux de résorption du chômage par un retour à la croissance, lui même subordonné à la reprise de la consommation , qui suppose un climat de confiance. Le schéma vertueux confiance ⁄ consommation ⁄ croissance, réduction du chômage est sur le fond altéré par des contradictions. Ainsi la ponction fiscale de la TVA le nouvel impôt RDS, l’annonce, abandonnée plus tard, de la fiscalisation des allocations familiales -quelles qu’en soient, par ailleurs les justifications - sont contraires à la relance de la consommation, et, partant à la croissance et à la résorption du chômage. Pour qu’il en soit autrement, il faudrait qu’avec les économie réalisées sur le budget de l’état, et avec des ressources provenant d’une réforme fiscale, le gouvernement puisse impulser plus directement des créations d’emplois. Mais la réforme fiscale est programmée pour plus tard, la création directe d’emplois dans le secteur public est contraire à la philosophie politique néolibérale. La promesse d’aboutir en deux ans à une réduction appréciable du chômage ne peut donc pas être tenue. Mais, cet objectif, bien qu’il continue à être proclamé, n’est plus la priorité réelle. L’opinion le ressent. Le plan Juppé centré sur la réduction des déficits du budget social s’accompagne d’un contrat de plan de la SNCF, vite interprété comme la remise en cause des avantages acquis. Le 3 contrôle du parlement sur l’équilibre des comptes de la sécurité sociale est assimilé par Force Ouvrière et la CGT à une étatisation. Le débat s’ouvre dans le pays sur les mesures. Des intellectuels de gauche et la direction de la CFTC soutiennent le principe de la réforme de la sécurité sociale, et certaines des mesures annoncées. Mais le rejet global l’emporte largement, l’opinion affiche une impressionnante solidarité avec les luttes du secteur public. De nombreux travailleurs du privé, neutralisés par la crainte de la perte d’emploi et atteints par le recul de la retraite, s’identifient avec ces luttes. Dès lors les conflits multiples convergent, s’unissent dans une autre rationalité: le refus pour les salariés d’être dépouillés d’avantages sociaux souvent acquis de haute lutte. Quelque chose bascule. Le conflit se transforme en une révolte de la société française. La confiance chute et avec elle le moteur du cercle vertueux. IV LA SYSTEMOGRAPHIE DU PROCES POLITIQUE DU PLAN JUPPE La figure 3 est, dans sa partie 3 a, une représentation graphique du modèle de EASTON, et dans sa partie 3 b, en relation avec cette dernière, celle du procès politique du plan Juppé. •Le gouvernement est soumis à la surcharge des exigences et de ses propres promesses, c’est “l’overstress”. Pour traiter ces demandes le gouvernement ne procède pas à une concertation de ses partenaires sociaux, afin de combiner et réduire les exigences par une négociation qui requerrait du temps et soulèverait des oppositions prévisibles. Il pense faire passer en force un ensemble de mesures qu’il juge indispensables pour la nouvelle priorité définie. Il procède alors selon une logique introvertie qui est en concordance avec la pensée économique dominante. De fait le plan reçoit le support de la majorité parlementaire qui apprécie sa portée et sa cohérence. L’initiative appartient au Premier Ministre et place sur la défensive ses adversaires et d’autres partenaires sociaux. Le plan est la marque, pour reprendre une distinction de Henry Kissinger, d’un “organized policy making” et non d’un “incidental policy making” (fortuit). Dans le premier cas ce sont les actions qui engendrent les événements, dans le second ce sont les événements qui déclenchent les actions réactives. Le plan déclenche bien les événements, mais pas ceux souhaités. • Les réformes annoncées constituent un” paquet”, difficile à vendre en détail à l’opinion. Son image globale est perçue comme une menace contre le niveau de vie et les statuts spéciaux. Entre le niveau des exigences et les réformes l’écart est grand. La déception est d’autant plus forte que les espérances l’ont été et que l’élection présidentielle est récente. De “l’overstress” on passe à “l’overdose”. Les courbes de soutien au gouvernement et aux grévistes évoluent en sens inverse, déclinent et montent. Le niveau des soutiens est proche de l’effondrement. Il ne s’écroule pas cependant car le support de la majorité parlementaire se maintient. Il n’est au demeurant guère d’autre choix dans la perspective des élections législatives de 1998. Contrairement à mai 1968 où la légitimité du système politique était mise en cause, il n’en est pas de même fin 95. Il n’y a pas de “chienlit”. Les syndicats s’appuient sur les mouvements de la base, mais ils gardent la maîtrise de la situation. Ils connaissent aussi et respectent les règles du jeu du régime politique. La concertation est à l’ordre du jour, on ne revient certes pas à la phase de la transformation des demandes en “issues”, mais en fait, à travers la discussion des modalités des mesures, à celle de la transformation des “issues” en décisions. Le rapport de force, toutefois, n’est plus le même. V UN EVENEMENT EXCEPTIONNEL : UN FRONT SOCIAL INTERGENERATIONS La figure 4 montre comment les mouvements sociaux de novembre-décembre 95 ont crée une nouvelle situation d’état caractérisée par une solidarité intergénérations. •La comparaison avec mai 68 a été esquissée plus haut. Il faut y ajouter d’autres différences. Si on a pu dire en 68 que la Sorbonne n’était pas la France, en 95 la révolte n’est pas seulement parisienne, elle touche, quelquefois plus profondément, la province. En 68 une énorme distance culturelle et politique séparait une minorité d’étudiants gauchistes de la classe ouvrière. Les premiers voulaient rompre avec la société de consommation, la sacralisation du travail, et avec des tabous culturels, les seconds aspiraient à améliorer leur niveau de vie et leurs 4 conditions de travail. On peut difficilement conclure de cet ensemble qu’il y avait surcharge des exigences. Ou plus précisément les demandes des ouvriers pouvaient recevoir une solution classique alors que celles, idéologiques, des premiers, ne pouvaient pas se transformer en “issue” pour décision. En 95 les étudiants revendiquent un enseignement leur permettant d’entrer dans de bonnes conditions dans la vie active. Il ne s’agit plus de désacralisation du travail mais d’en avoir un. La massification des enseignements supérieurs crée une osmose plus forte entre étudiants et salariés. La communication s’établit entre les revendications des uns et des autres. Une mutation des valeurs s’esquisse dans la jeune génération, à la volonté de jouissance et de puissance des “30 glorieuses” tend à se substituer la générosité et de nouvelles solidarités. L’incertitude de garder un emploi rend plus sensible le montant des retraites. L’allongement de la durée de la vie, la jouissance de la retraite, sont en relation circulaire avec le maintien de la santé. Cette dernière devient la priorité des exigences, et par là même les dépenses de santé. Une chaîne de solidarité relie ainsi plusieurs générations. La situation nouvelle est que réalité objective et sentiment subjectif se renforcent mutuellement. • La situation d’état se trouve profondément modifiée par le cycle nouveau, actions programmées, événements inopinés, actions réactives à court terme. La situation d’état et les processus en mouvement ne doivent pas seulement être interprétés par rapport aux menaces perçues, réelles ou non, du plan Juppé, mais par rapport à ses “manques”. La comparaison des exigences et des décisions du gouvernement montre que les manques ressentis sont plus importants que les menaces perçues. Le mouvement social prend alors la signification d’une révolte non pas seulement contre des mesures, mais pour quelque chose d’autre. Ce quelque chose, multiple, chaotique, qui va des exigences immédiates jusqu’à la redéfinition des valeurs, qui mûrit sans avoir encore émergé de la transformation entrées-sorties du système politique, certains le nomment projet de société. C’est la dimension pour passer d’une révolte à une révolution. Pierre F. GONOD 18 février 1996 5 Mapping de la situation sociale avant les grêves de novembre-décembre 1995 situation d’état processus en cours statut des générations troisième âge maintien droits acquis vieillissement de la population retraités adultes en activité exigences évolution du nombre d’actifs santé pour tous self-réalisation temps libre fonctionnaires maintien statuts salariés secteur public salariés secteur privé nouvelles embauches jeunes chômeurs augmentation des salaires déclin taux de reproduction arrivées sur le marché du travail sdf exclus problèmes sociaux absence de projet crise universités chômage saturation avec la rigueur répartition inégale fracture sociale compétition écon. sauvage croissance faible insécurité croissante massification enseignement sup. investissements de productivité restructurations-licenciements freinage consommation réduction de la demande accroissement des inégalités promesses J. Chirac problèmes pour le gouvernement monnaie unique 1997 relance de la croissance avenir pour les jeunes logement social solidarités perspectives sociétales réduction durée du travail diminution du chômage amélioration niveau de vie société moins inégalitaire espérance et justice sociale décisions du gouvernement Juppé engagement monnaie unique stimulation de la croissance relance consommation création d’emplois réduction déficits budget sécurité sociale régimes spéciaux fiscalité incitations à l’embauche résorption du chômage résorption déficits 40 annuitéspour la retraite orientation Sécu par le Parlement nouvel impôt R.D.S. augmentation cotisations sociales augmentation TVA fiscalisation allocations familiales privatisations mobilisation de l’épargne mesures fiscales incitatives à la mobilisation de l’épargne confiance des investisseurs PFG 31-12-95 Fig.1 6 Fig 2 Logique et contradictions des décisions gouvernementales problèmes pour le gouvernement décisions du gouvernement Juppé monnaie unique 1997 engagement monnaie unique stimulation de la croissance ■ relance de la croissance relance consommation ■ incitations à l’embauche ■ création d’emplois résorption du chômage■ résorption déficits réduction déficits budget sécurité sociale régimes spéciaux fiscalité privatisations mobilisation de l’épargne ■ ■ recentrage des priorités 40 annuitéspour la retraite ■ orientation Sécu par le Parlement■ ■ nouvel impôt R.D.S. ■ ■ augmentation cotisations sociales■ ■ augmentation TVA ■ ■ fiscalisation allocations familiales ■ ■ mesures fiscales incitatives à la mobilisation de l’épargne ■ confiance des investisseurs boucle à influence positive boucle à influence négative PFG 3-1-96 7 Fig 3 SYSTEMOGRAPHIE DU PROCES POLITIQUE DU GOUVERNEMENT JUPPE REPRESENTATION SYSTEMIQUE DU PROCES POLITIQUE besoins demandes combinaison-réduction points d'entrée environnements décisions le système politique environnements “policy making” organisé : les actions engendrent les événements S D1 attentes T opinion publique motivations D3 besoins intérêts préférences U R D4 inputs idéologie Oa D5 outputs D2 Ob V D6 I Oc D7 W R D8 I On Dn feedback points de réduction et de combinaison D1....n: différentes demandes S à W canaux d'écoulement de la demande conversion en "issues"(questions à débattre) Oa...n , conversion en outputs flots des outputs dans les environnements disparition de la demande échelle de support support haut ou positif acceptation passive, acceptation, ou indifférence support bas ou négatif support décroissant support croissant LE PROCES POLITIQUE DU PLAN JUPPÉ besoins exigences demandes environnements décisions le système politique environnements Oa D1 opinion publique idéologie Ob D2 motivations besoins overstress intérêts préférences Od D3 D4 D5 Priorités et mesures non concertées avec les partenaires sociaux D6 outputs attentes inputs maintien droits acquis santé pour tous self-réalisation temps libre maintien statuts nouvelles embauches augmentation des salaires avenir pour les jeunes logement social solidarités perspectives sociétales réduction durée du travail diminution du chômage amélioration niveau de vie société moins inégalitaire logique introvertie points d'entrée Oe Of Og D7 Oh D8 décisions du gouvernement Juppé engagement monnaie unique résorption déficits stimulation de la croissance résorption du chômage incitations à l’embauche nouvel impôt RDS 40 annuités pour la retraite orientation Sécu par le Parlement augmentation TVA fiscalisation allocations familiales mesures fiscales incitatives à la mobilisation de l’épargne On Dn feedback D1....n: différentes demandes S à W canaux d'écoulement de la demande disparition de la demande points de réduction et de combinaison conversion en "issues"(questions à débattre) Oa...n , conversion en outputs flots des outputs dans les environnements “paquet” de réformes overdose espérance et justice sociale niveau des exigences promesses J. Chirac déception crise de confiance en rétroaction des événements inopinés risquent de faire perdre la maîtrise d’un “policy making” organisé et de provoquer un “policy making “ fortuit et réactif où les événements déclenchent les actions, limitent les libertés d’action, et l’horizon au court terme soutiens niveau de soutien parlementaire niveau de soutien de l’opinion aux grévistes niveau des soutiens niveau de soutien de l’opinion à J. Chirac et A. Juppé temps PFG 3-1-96 8 Fig 4 UN EVENEMENT EXCEPTIONNEL : UN FRONT SOCIAL INTERGENERATIONS situation d’état décisions du gouvernement Juppé engagement monnaie unique stimulation de la croissance exigences statut des générations maintien droits acquis troisième âge santé pour tous self-réalisation temps libre retraités adultes en activité incitations à l’embauche résorption du chômage résorption déficits fonctionnaires maintien statuts salariés secteur public nouvelles embauches salariés secteur privé augmentation des salaires jeunes avenir pour les jeunes chômeurs 40 annuitéspour la retraite orientation Sécu par le Parlement nouvel impôt R.D.S. augmentation cotisations sociales sdf exclus problèmes sociaux logement social solidarités augmentation TVA fiscalisation allocations familiales absence de projet perspectives sociétales mesures fiscales incitatives à la mobilisation de l’épargne chômage crise universités menaces perçues comment le Plan Juppé a-t-il été ressenti par les salariés saturation avec la rigueur réduction durée du travail diminution du chômage amélioration niveau de vie répartition inégale société moins inégalitaire fracture sociale nouvelle situation d’état manques espérance et justice sociale ce qu’il est advenu: un large front de protestation sociale statut des générations •les mesures à l’encontre des régimes de retraite sont vues comme des menaces futures par les actifs •la lutte des cheminots contre le contrat de plan de la SNCF est ressentie comme un barrage aux licenciements et aux sacrifices à sens unique •les salariés du secteur privé, au statut souvent vulnérable et sous la menace du chômage, et, partant conduits à la modération revendicative, s’identifient avec les grêves des salariés du secteur public •les étudiants se mobilisent contre la détérioration des conditions de fonctionnement de l’Université et pour une qualité des enseignements permettant une entrée dans la vie active troisième âge retraités soutien de la majorité des retraités aux mouvements sociaux adultes en activité fonctionnaires salariés secteur public participation active des salariés du secteur public et soustien d’un grand nombre de salariés du privé compréhension du public malgré les difficultés dues aux grèves salariés secteur privé jeunes conjonction des grêves universitaires avec celles du secteur public chômeurs sdf exclus problèmes sociaux absence de projet solidarité intergénérations crise universités chômage saturation avec la rigueur répartition inégale PFG 3-1-96 9 2 INTERLUDE Fig 5 "Mapping" de la crise des lycées représentation culturelle les perspectives les cadres dirigeants l'idéologie de l'économie de marché la trappe des premiers cycles du supérieur conflits de valeurs "driving forces " Le vide laissé par l'écroulement des grandes idéologies la compétition internationale le désir des objets de consommation l'argent la prise en main de son destin la réussite l'emploi bien payé les "gagneurs" l'échec scolaire les perdants démocratiser la gestion des établissements absence de formation la différenciation avec les représentations des parents travaux sans intérêt et mal payés la solidarité le chômage la technologie dualisme des qualifications exigence d'une formation élevée la massification du secondaire la générosité de la jeunesse l'individualisme l'exclusion les conditions matérielles de l'éducation s u r les professeurs c l'insuffisance des traitements h a r la baisse du statut g des enseignants e la crise du recrutement l'inquiétude l’insuffisance des installations le stress la baisse de qualité de l’enseignement les décisions négociées le manque de surveillants la sécurité dans les lycées les conditions matérielles de l'éducation l'hyper centralisation administrative et la sous-administration locale conflits de valeurs "driving forces" l'insuffisance des installations l'osmose lycée-rue crédit 4 Milliards F l'environnement urbain la révolte les banlieues-ghettos l'inoccupation l'ennui les milieux familiaux défavorisés les bandes la surcharge l'argent démocratiser la gestion la technologie le manque de surveillants la population immigrée le racisme représentation culturelle la violence l'hyper centralisation administrative et la sous-administration locale la casse revendications des lycéens affectation prioritaire des crédits par le gouvernement PFG 17 février 1998 10 3 CHRONIQUE : LA SUITE DU GRAND SPECTACLE SOCIAL POST-SCRIPTUM EN 2006 DE L’ESSAI SYSTÉMOGRAPHIQUE Tout à été dit… ou presque, sur la secousse du mouvement anti-CPE. Politiques, syndicalistes, journalistes, chroniqueurs, sociologues, ont multiplié les analyses pour essayer de comprendre. Je n’aurais pas l’outrecuidance d’y ajouter des éclairages nouveaux, mais je pense qu’il n’est pas inutile de mettre un peu d’ordre dans ce fatras d’opinions. La « systémique » peut y aider. Elle concernera, d’abord un « mapping » de la situation sociale avant les grèves anti-CPE. Ensuite, ce « mapping » sera comparé avec la situation sociale avant les grèves de novembre-décembre 1995 (voir précédemment fig 1). Enfin, un retour sur la flambée des banlieues de la fin 2005 permettra de montrer les différences avec la révolte anti-CPE et les caractéristiques des acteurs du mouvement social de février-mars 2006. • Quand on compare les mappings 1995 et 2005 on est frappé à la fois par les similitudes et les différences. Les exigences du corps social en 2005 ne diffèrent guère de celles de 1995. C’est dire que les générations n’ont pas reçu de réponses satisfaisantes à leurs attentes et espérances. La situation d’état et les processus en cours, par contre, ont connu des modifications. Ainsi la mutation anthropologue en cours depuis deux décennies a marqué, dans la dernière, la situation des jeunes et celle de l’Université, tandis que la globalisation croissante opérait pleinement la société française, des boucles récursives reliaient ces composants de la situation d’état. Ce qui a conduit à une évolution de la structure. Il y a évidemment la pérennité de certains processus, tel le vieillissement de la population. Le déclin des arrivées sur le marché du travail commence avec l’épuisement, depuis longtemps, du « babyboom » d’après guerre. La massification de l’enseignement secondaire et supérieur a toujours un volant d’inertie. L'économie continue à traîner sa léthargie avec une croissance molle, tandis que les investissements de productivité continuent à prédominer sur ceux d'extension, et que s'amplifie le couplage des restructurations et des licenciements. Les inégalités continuent à s'accroître. Mais il y a modification et apparition d'autres processus essentiels. Ce sont la fragilisation des classes moyennes issues des "30 glorieuses" et de leur stabilisation relative dans la période 1975-95, l'apparition de travailleurs pauvres, la multiplication des exclus, Sdf, chômeurs, perdants de toutes sortes, dans l'impossibilité de se loger avec la montée en flèche des prix de l'immobilier, toute une partie de la population a basculé dans une nouvelle pauvreté. La sécurité ne concerne plus seulement celle des personnes et des biens, mais celle de l'emploi. Elle frappe de plein fouet nombre de seniors, et fait planer une menace sur le montant des retraites. Et puis, il y a les jeunes. Il sont loin, comme on le verra, de constituer un ensemble homogène, mais il y a des groupes identifiables. En premier lieu, les jeunes sortis sans formation du système scolaire et galérant entre chômage, petits boulots mal payés, travail à temps partiel, intérims, et CDD répétitifs dans le meilleur des cas. À l'extrémité les jeunes des ghettos de banlieues, descendants d'immigrés Nord-Africains et de Noirs, sans qualification et en rupture d'identité. En second lieu les jeunes diplômés qui éprouvent des difficultés à entrer sur le marché du travail, et restent sous l'abri et la dépendance du logis familial. Dans cette catégorie on trouve aussi les étudiants qui ont choisi des filières bouchées. Il y a ceux, qui visaient moins haut dans l'échelle sociale, mais qui ont reçu une formation professionnelle et les apprentis. Enfin l'élite sélectionnée des grandes écoles qui est recrutée par les entreprises parfois avant leur sortie de l'école. Il faut dire aussi que, généralement, ces jeunes ont mal été préparés à affronter les difficiles combats de la nouvelle société, de la "société du risque"3. C'est pourquoi il est particulièrement remarquable de 3 Sans développer ici les conditions psychosociologiques qui conditionnent désormais l'enfant, je renvoie à l'entretien de Paul Yonnet dans l'Express du 2 mars 2006 dans lequel il explique pourquoi et comment l'enfant a acquis une autonomie et une puissance de décision familiale, à rapprocher du pamphlet de Régis Debray contre 11 voir la réactivité, la détermination et le volontarisme de la jeunesse engagée dans le mouvement antiCPE. La cohorte 2006 marque une rupture générationnelle. Car c'est elle qui a été à la pointe du mouvement, ce qui n'était pas le cas en novembre-décembre 1995 où elle accompagnait le mouvement des salariés contre le plan Juppé, alors que cette fois-ci c'est ce dernier qui a été en position d'auxiliaire. Autre comparaison, le niveau des soutiens des mesures gouvernementales en 1995 et 2006. Comme il a été noté précédemment, David Easton a développé un modèle systémique de la vie politique qui incorpore la question du soutien. Sans soutien le système s'effondre à la moindre surcharge. En 1995 et 2006, le pouvoir politique s'est érodé -sans pour autant s'effondrer. Mais puisque la "surcharge" du CPE était moins lourde que celle du Plan Juppé, il s'ensuit, d'une part, que le pouvoir actuel est plus vulnérable que celui de 1995, et d'autre part, que la lutte anti-CPE cristallisait un flot d'exigences implicites. Le régime politique, par son style et son incohérence apparente de promulgation et de nonapplication de la loi, est sorti affaibli, et avec lui, les autorités, autre composante de l'objet du soutien. Le positionnement intergénérationnel est, par ailleurs, intéressant à analyser. La convergence en 1995 concernait les salariés du secteur public, soutenus par une partie de ceux du privé, conduits à la modération par suite des menaces de chômage, des retraités et des étudiants, déjà mobilisés contre la détérioration des conditions de fonctionnement de l'Université. En 2006 il s'agit pour ces derniers d'une révolte contre la perspective de la légalisation de la précarité. Une posture tournée, cette fois-ci, vers le futur. La convergence s'effectue avec une tout autre ampleur avec les salariés, y compris du privé qui vivent eux la précarité. Il y a osmose entre les élèves et étudiants issus des milieux populaires et leurs parents des classes moyennes menacées 4. Et fait remarquable avec des retraités, des "papys" sinon de la belle époque, du moins de celle de la croissance et de la confiance dans l'avenir. Un avenir où l'horizon n'était pas celui de la globalisation. La globalisation était sans doute en marche en 1995, mais elle a atteint un stade qualitatif nouveau au cours des dix dernières années. Entre autres manifestations, l'information instantanée et le choc des images créent une autre perception du monde Le culte de l'immédiat imprègne désormais la société. Il en de même des nouveaux moyens de communication, le téléphone mobile et Internet. Mais par rapport à l'emploi, et singulièrement en France, l'essentiel est la nouvelle étape franchie par le capitalisme avec la globalisation, et, en son sein, la domination du capitalisme financier. La mutation du capitalisme français dans ce cadre est passée sous silence. Il faut rappeler cependant qu'une de ses caractéristiques a été l'exportation des capitaux. Lénine pouvait écrire que les rentiers français vivaient de "la tonte des coupons" ! La géographie des placements français différait de celle de l'empire anglais. Les deux guerres mondiales, et particulièrement la dernière, portèrent un rude coup aux avoirs, notamment ceux de Europe de l'Est. La décolonisation, enfin, rendit impératif le repli sur l'Hexagone. Ces conditions objectives furent un facteur primordial d'explication de la dynamique du capitalisme français des cinquante dernières années. Changent ces conditions, et, pourrait-on dire, le naturel reprend le dessus…Il s'ensuit que le retour de l'emploi sur le territoire sera particulièrement difficile et créera des conflits violents. L'Europe n'étant pas un projet identifiable pour les jeunes, ainsi que le vote référendaire l'a montré, la perspective est, soit, pour quelques uns la fuite vers l'univers anglo-saxon, soit, pour la grande majorité le combat dans le champ français. Un regard en arrière montre que le front social intergénérations de 1995 n'a pas débouché sur un projet de société. La révolte n'est pas passée à la "révolution". L'introuvable "projet de société" est aujourd'hui au cœur de la réflexion et de l'agitation politiques. Rien n'est joué. Mais ce qui est sûr c'est que la structure de la situation d'état en 2006 n'est plus celle de 1995. Et partant la crise devient structurelle. la dictature du jeunisse "Le plan vermeil " Gallimard 2005, "la société du risque" d'Ulrich Beck Aubier 2001, sans oublier, sur un autre plan, celui de la gouvernance, l'essai décapant de Michel Schneider "Big mother, psychopathologie de la vie politique" Odile Jacob 2002, où maternage et câlinage sont les deux mamelles du pouvoir. 4 Rien à voir avec mai 1968 et la coupure culturelle et idéologique entre protestataires étudiants et parents des classes aisées. 12 Mapping de la situation sociale avant les grêves de mars 2006 situation d’état 2005 processus en cours statut des générations troisième âge retraités vieillissement de la population début retraite génération “baby-boom” 1945-65 remplacements de nombre d’actifs adultes en activité jeunes jeunes sans formation : chômage, précarité, petits boulots mal payés, CDD jeunes diplomés : entrée difficile et tardive sur le marché du travail, déclin taux de reproduction et des arrivées sur le marché du travail permanence du chômage, plus fort dans les quartiers déhérités et les générations d’immigrés révolte des jeunes des banlieues fin 2005 hébergement parental déqualification des emplois par rapport aux diplomes exigences amélioration niveau de vie maintien droits acquis, santé pour tous maintien des exigences : statuts, augmentation des salaires, selfréalisation, temps de loisirs... crise universités massification enseignement sup. sdf , exclus et mal logés boom des prix de l’immobilier difficultés accrues pour se loger retour tendance historique du capitalisme français: exportation des capitaux délocalisation d’activités analyses du déclin Français croissance faible investissements de productivité restructurations-licenciements freinage consommation réduction de la demande logement social accroissement des inégalités instabilité et insécurité croissante de l’emploi société moins inégalitaire globalisation nouvelle étape du capitalisme domination capitalisme financier répartition inégale absence de projet fracture(s) sociale(s) générationnelles salariales éducatives entre “élites” et le peuple désaffection pour l’U.E. moins d’avenir pour les jeunes diminution du chômage nouvelle politique : Sécurisation-Emploi-Formation perspectives sociétales solidaires espérance et justice sociale contexte politique et problèmes pour le gouvernement De Villepin promesses J. Chirac de 1995 élection de juin 2002 échec de la majorité aux élections régionales de 2004 échec du référendum du 28 mai 2005 majorité parle mentaire n’est plus représentative de l’opinion rivalité Sarkozy-Villepin pour l’élection présidentielle 2007 décisions du gouvernement priorité absolue à l’emploi contrat C NE utilisation article 49.3 contrat CPE 13 PFG 20-04-2006 DE LA FLAMBÉE DES BANLIEUES AUX MANIFS ANTI-CPE Ce n’était pas la même chose ! Flambée octobre 2005 manif mars 2006 C'est un fait, en février-mars 2006 de puissantes manifestations pacifiques anti-CPE ont en lieu dans les banlieues qui avaient flambé à la fin 2005, particulièrement en Seine-Saint-Denis. La crainte des maires de ces communes était précisément que l'incendie se rallume. Il n'en a rien été, il est utile de comprendre pourquoi. Après la grande flambée j'avais fait un essai sur la typologie identitaire des émeutiers, le bouclage de leurs issues dans un "jeu des 4 coins" de la famille, du logement, de l'éducation et de la famille5. J'y suivais leurs "cartes identitaires" des premières et secondes générations d'immigrés (à travers l'exemple des Algériens) dans les contextes de l'époque auxquelles elles se réfèrent. Ces cartes remontent à la fin de la guerre en 1945 et concernent la première et la seconde génération d'immigrés en France. Elles contiennent 3 pôles : l'Islam, l'Algérie, et la France. • Pour les "parents" (1945-1965) les références primordiales étaient l'Algérie et l'Islam. La France était perçue à la fois à la fois comme puissance colonisatrice et vecteur de progrès du monde industrialisé. De la guerre d'Algérie menée contre l'armée occupante, surgira un fort sentiment nationaliste. • La première génération d'immigrés (1965-1985) jouit d'une situation exceptionnelle. C'est la période d'une croissance exceptionnelle, de quasi plein emploi et de recherche outremer de main d'œuvre. Dès lors l'importance du pays d'origine et de l'Islam se relativise et la référence française occupe d'avantage d'espace identitaire. L'intégration dans la société française est en perspective. Elle signifie un travail, la sécurité sociale, le regroupement familial, la scolarisation, un logement dans les nouvelles cités. Leurs enfants naissent en France et sont Français. À partir de 1975, la situation se complique, le cycle de croissance d'après guerre, 1945-1975, s'achève, le chômage apparaît tandis que l'immigration croît. • La seconde génération d'immigrés (1985-2005 connaît une situation dramatiquement dégradée. Les enfants de la première génération sont mal scolarisés, sans formation suffisante pour un marché du travail exigeant en qualifications et rétrécit. Le racisme se manifeste à l'embauche. L'exemple des jeunes diplomés empêchés à l'embauche décourage nombre d'élèves qui décrochent de l'école. L'ascenseur social ne fonctionne plus. Les barres et les tours des grands ensembles se détériorent. La société de consommation ambiante est une frustation pour ceux qui n'y entrent pas. Certains jeunes tombent dans le trafic et la délinquance. Des bandes se constituent, comme c'est le cas depuis très longtemps dans les grandes villes américaines. Les images de la télévision suggèrent de nouveaux héros : ceux de l'Intifada. Et ceci, où paradoxalement, les références à l'Islam et au pays d'origine s'estompent. Mais, aussi, celle de la France républicaine, laïque, égalitaire et fraternelle. Il n'y a pas de réponse à la question qu'on se pose à vingt ans "Qu'est-ce que je fais de ma vie ?". Ou plutôt il y en a une "No futur !". 5 Essai publié dans Newropeans Magazine du 29-11-2005. 14 Commence alors pour ces enfants d'immigrés un curieux jeu des quatre coins. Un modèle existentiel "normal" est à la rencontre de 4 pôles : La famille, l'éducation, le travail, le logement. Ces 4 pôles sont interconnectés et convergent vers un mode de vie. Le modèle réel en est très éloigné. Les 4 coins ont des barrières qui en interdisent l'entrée. Les phénomènes d'exclusion se réunissent en boucle. Les négatifs s'additionnent, et l'on sait en systémique, que les processus positifs quand ils se cumulent conduisent à des explosions (par exemple la démographie). L'explosion de trois semaines de violences est à la mesure des frustrations. Elle a pris des formes symboliques. Violences vis-à-vis de l'État et de sa police, de l'éducation et de ses écoles, du travail avec ses usines, de la société de consommation avec ses voitures…Le passage du virtuel, du jeu, au réel, est une réponse à l'interrogation "Qui suis-je ?". "Je suis" quand je passe à la télé, quand j'ai marqué la possession de mon territoire par le feu et les ruines. La "rage des banlieues" a créé l'événement mondial sous le regard lucide et sans complaisance de la presse mondiale6. Et suscité l'inquiétude7. Parmi toutes les explications avancées, je privilégierais celle d'Ulrich Beck8. Pour lui, les origines des émeutes dans les banlieues françaises dépassent le cadre national"... "En fait, nous assistons à l'émergence d'une nouvelle ligne de conflit au XXIe siècle. La question clé est la suivante : que va-t-il arriver à ceux qui restent exclus du meilleur des mondes de la globalisation ?"... "Autrefois, les riches avaient besoin des pauvres pour s'enrichir. Les nouveaux riches de la mondialisation n'ont plus besoin des pauvres. Voilà pourquoi les enfants français d'immigrés africains ou maghrébins, qui vivent une existence sans perspectives dans la périphérie des grandes villes, ne sont pas seulement pauvres, pas seulement chômeurs. … La violence dans les banlieues serait donc au fond le signe d'une "révolte des inutiles". "L'économie mondialisée peut croître sans eux. Les gouvernements peuvent être élus sans leurs voix. Ces jeunes sont des citoyens sur le papier, mais en réalité ils sont des noncitoyens et constituent donc une accusation vivante de tous les autres. Même le mouvement ouvrier ne sait pas comment les appréhender." Sans réfuter les causes profondes, globales, de la révolte Emmanuel Todd9 y discerne une autre signification. "Il n'y a rien dans les événements eux-mêmes qui sépare radicalement les enfants d'immigrés du reste de la société française. J'y vois exactement le contraire. J'interprète les événements comme un refus de marginalisation… Je lis leur révolte comme une aspiration à l'égalité". Alors il y at-il une nouvelle perspective d'intégration française ? Quelques signes laissent espérer. Il y a d'abord le comportement de nombreuses jeunes filles maghrébines et noires qui, par leur assiduité et leur ténacité à l'école, cherchent à forcer le destin. Il y a ceux, qui, contre tous les obstacles, ont pu se faire une place dans les entreprises et les localités. Il y a ceux qui n'ont pas baissé les bras dans les mouvements associatifs. Il y a enfin le civisme dont a fait preuve la grande partie de la population française, y compris, malgré leur colère les victimes des exactions 10. Une nouvelle identité pour ceux qui l'ont perdue est donc à rebâtir. Il faut définir ce que signifie être français aujourd'hui11. Edgar Morin prend en compte la montée de l'affirmation identitaire et pense que "l'unité doit permettre la diversité" 12. Mais l'unité française, minée par la fracture sociale, stigmatisée mais non traitée, et qui n'affecte pas seulement la partie des descendants d'immigrés, mais des couches sociales plus nombreuses, requiert maintenant un grand projet sociétal. Difficile à concevoir et mettre 6 Voir le supplément spécial "La rage des banlieues" Courrier International N 785. Voir dans ce Numéro l'article de Trevor Phillips "Vu de Grande-Bretagne, Nous sommes tous concernés". Il n'y a pas que les pays d'Europe Occidentale, ainsi, en Pologne, où l'immigration est très faible, le tabloïd varsovien Super Express explique que la situation des grandes agglomérations et des importants centres industriels peut à terme devenir explosive. 8 Courrier international N 784 du 15 novembre 2005 9 Interview Le Monde du 12-11-2005 10 Cela aurait pu tourner plus mal, notamment par la constitution de milices civiques manipulées par l'extrême droite. Si le pire a été évité, on le doit, aussi, au sang-froid et au professionnalisme des forces de l'ordre. 11 Voir l'article de Frank Furedi "Des hommes politiques fatigués" CI N° 785. 12 Interview dans l'Express du 17 -11-2005. 7 15 en œuvre dans les conditions de la mondialisation et du contexte européen actuel. Mais s'il y a une "exception française" pourquoi pas celle-là ? On trouvera en annexes les cartes identitaires, le "jeu des 4 coins" et la révolte des jeunes de banlieues issus de l'immigration La jeunesse ? Non les jeunesses ! Les mouvements sociaux de 2005-2006 montrent que, contrairement, à des jugements hâtifs, il n'y a pas la jeunesse, mais des jeunesses. Sans doute, bien des facteurs d'homogénéité existent, tels que les mœurs, les vêtements, les portables, la musique, le sport, l'alimentation …Mais ils n'effacent pas les différenciations sociales, voire ethniques et religieuses. Les étudiants et lycéens dans la rue en 2006, comprenaient bien dans leurs rangs des descendants d'immigrés, mais l'essentiel n'est pas là. Dans leur grande majorité c'étaient des enfants issus des classes moyennes et populaires. Ils avaient un mode existentiel "normal" entre famille, logement et études. Ce n'était pas l'enfermement identitaire marqué par les boucles récursives négatives des phénomènes d'exclusion et qui explosera dans la révolte en banlieue. En fait, dans le jeu des 4 coins, contrairement aux jeunes révoltés, une seule porte paraissait bloquée : celle de l'emploi. Ce qui, entre autres raisons explique la pugnacité exceptionnelle des opposants au CPE. Mais cet unanimisme ne doit pas pour autant masquer les différenciations sociales. On a essayé précédemment d'identifier quelques groupes à côté de ceux des ghettos de banlieues : jeunes sans formation, diplômés mal orientés et sans emploi, apprentis et jeunes en formation, intérimaires, sélectionnés des grandes écoles… Ils ne sont pas tous égaux. Les inégalités sociales se reproduisent à travers eux. Les différenciations se font d'abord au sein de la famille, selon la naissance et l'argent. Critères corrélés avec ceux du logement, qui crée des conditions favorables ou défavorables aux études. Ces deux fondations sont des conditions permissives de l'éducation, de l'entrée dans les bons ou les mauvais lycées, de l'orientation dans les filières, de l'échec scolaire ou de la sélection pour les grandes écoles. Le système de l'éducation est en cause. Éducation, Emploi : les modélisations nécessaires Les débats actuels rajeunissent… Mais ce n'est pas drôle ! La réforme du système de l'éducation ne peut être le résultat d'un bricolage improvisé. Il faut comprendre sa complexité et ses articulations avec le système de l'emploi, mais aussi avec ceux de la science et de la technologie. En bref, le système des systèmes. J'ai eu l'occasion d'en tenter la modélisation il y a 25 ans dans le cadre des travaux de l'Institut International de la Planification de l'Education de l'UNESCO13. Ce retour m'a fait mesurer l'importance de la régression intellectuelle et du réductionnisme d'aujourd'hui. Même s'il est maintenant politiquement correct de ne plus parler de "planification", pourtant s'il est un secteur où elle reste nécessaire c'est bien celui de l'éducation. Non seulement en raison du facteur démographique, mais de l'évolution des besoins et de la technologie, et de ses perspectives, qui imprègne nos sociétés. L'éducation est une puissance lourde et lente. La transformer n'est pas l'affaire des fièvres politiques immédiates, mais s'inscrit dans la longue durée, 20 à 25 ans. La modélisation du système et de ceux avec lesquels elle est en transactions, n'est pas un gadget, c'est une condition de l'action. La modélisation inclut la question des finalités et des choix culturels et politiques essentiels. De même celle de l'emploi montre la complexité des interrelations de ses composants, dont l'évolution technologique est un des moteurs. C'est pourquoi j'ai reproduit en Annexes une Analyse du système de l'éducation et un "Mapping de l'emploi" un peu moins simplistes que les représentations courantes ■ 13 Pierre Gonod "Pour une planification conjointe de l'éducation et de la technologie" IIPE-UNESCO 1981. 16 ANNEXES CARTES IDENTITAIRES* 1945 contexte ISLAM nés en Algérie ALGÉRIE LES PARENTS L’islam et le Pays sont les référents La France a une perception duale : colonisateur et émancipateur FRANCE guerre mondiale décolonisation indépendance de l’Algérie nationalisme 1965 20 ans qu’est-ce que je fais de ma vie ? espoir de’une vie meilleure après la guerre mondiale et l’indépendanc algérienne 1965 ISLAM ALGÉRIE Perspective d’intégration dans la société française nés en France 1er GÉNÉRATION FRANCE L’islam et le pays ne sont plus les valeurs dominantes L’intégration en France devient le référent 1985 20 ans qu’est-ce que je fais de ma vie ? EUROPE espoir d’un autre mode de vie et de l’ascension sociale nés en Europe rétrésissement de l’espace identitaire 1985 ISLAM nés en France 2005 Pertes de repères Qui suis-je ? 2ème GÉNÉRATION recul ou disparition des FRANCE référents : L’Islam, le Pays, la France 20 ans qu’est-ce que je fais de ma vie ? EUROPE nés en Europe ALGÉRIE blocages dans la société française pas de projet européen frustations, violences cycle économique des “30 glorieuses” 1945-1975 croissance économique quasi plein emploi besoins de main d’œuvre immigration massive 1975 rupture cycle rapatriement familial sécurité sociale française scolarisation croissance faible apparition du chômage mondialisation nouvelles technologies qualifications élevées échec scolaire chômage de masse discrimination embauche racisme pénurie de logements concentration urbaine trafics délinquance information TV, portables NO FUTUR ! * à travers le cas de l’immigration algérienne PFG 18-11-2005 17 le jeu des 4 coins des jeunes issus de l’immigration un modèle existentiel “normal” FAMILLE mœurs religion origine EDUCATION MODE DE VIE LOGEMENT TRAVAIL le modèle réel + FAMILLE mœurs religion origine + + EDUCATION + MODE DE VIE + LOGEMENT ++ + les barrières + l’addition des moins TRAVAIL des phénomènes d’exclusion (négatifs) quand ils s’additionnent (+) engendrent des processus cumulatifs qui conduisent à des explosions PFGonod 18-11-2005 18 retours de flammes destructuration familiale parents, soeurs..dominés retour vers l’islamisme FAMILLE mœurs religion origine EDUCATION écoles communautarisme de bandes le grand jeu des images de la TV Je suis ! police 2ème GÉNÉRATION frustations cités, voitures outils de travail violences symboliques LOGEMENT TRAVAIL 2005 20 ans qu’est-ce que je fais de ma vie ? une nouvelle identité ISLAM CULTURE RELIGIONS DIVERSES nés en France ASCENDANCES DIVERS PAYS ALGÉRIE 2ème er 3ème GÉNÉRATIONS nés en Europe Nouvelles Perspective d’intégration dans la société française et en Europe EUROPE FRANCE PROJET SOCIAL PF GONOD 17-11-2005 19 le jeu des 4 coins des étudiants et lycéens en 2006 un modèle existentiel “normal” FAMILLE EDUCATION MODE DE VIE LOGEMENT TRAVAIL le modèle réel FAMILLE argent naissance EDUCATION + - bons lycées sélection grandes écoles - mauvaise filière + échec scolaire absence formation MODE DE VIE barrière à l’entrée LOGEMENT bonne condition d’étude TRAVAIL + mauvaise condition d’étude - recrutement aisé + - chômage petits boulots précarité CDD PFGonod 20-04-2006 20 Annexe L'ENSEMBLE "EDUCATION" * * extrait de Pierre F. GONOD "Pour une planification conjointe de l'éducation et de la technologie" Institut International de Planification de l'Education UNESCO 1981 1) Éducation, champ culturel, modèles de connaissance, modèles culturels L'éducation peut se définir "comme la mise en œuvre des moyens propres à assurer la formation de l'individu à la production, à la recherche et à renseignement"14. Selon cette conception le processus de transformation input-output de 1'éducation peut se ramener à l'entrée d'élèves et à la sortie de "produits" répartis, dans ces trois fonctions. L'analyse économique permet de distinguer les "produits" selon "leur degré de finition" : les "produits finis" (les diplômés), les "sous-produits" (ceux qui vont jusqu'au terme des études mais partent sans obtenir le diplôme), les "produits semi-finis" (ceux qui partent sans avoir fini le cycle), et particulièrement dans les pays en développement ceux qui partent avant la fin de l'enseignement primaire et retournent le plus fréquemment à l'analphabétisme. Les déperditions d'effectifs (abandons, redoublements) entrent dans la mesure du taux de rendement du système éducatif1 . La fonction de l'enseignement suppose la dissémination du savoir existant, ancien et nouveau considéré comme nécessaire à l'exercice des 3 fonctions de la production, de la recherche et de l'enseignement. En ce sens "l'éducation peut être regardée comme une modalité de "reproduction" du savoir, ce terme se comprend... comme reproduction au niveau idéologique des conditions économiques et sociales existantes. Autrement dit, ce qui est en jeu ce n'est pas seulement le savoir nécessaire à la production et à ses activités intellectuelles annexées, c'est aussi le savoir propre à la perpétuation des rapports de production"1. L'éducation est donc un puissant stabilisateur de révolution das systèmes sociaux. Cette conclusion ont partagée par d'autres auteurs, mais pour d'autres raisons. D'abord parce que l'école "est le seul système qui agisse de manière relativement homogène sur la majorité do la population"15. Ensuite, en raison de la "dynamique propre du système éducatif qui s'apparente à la reproduction asexuée" ... "Ce sont les professeurs qui engendrent les professeurs ... l'auto-reproduction des professeurs et les contraintes d'une grande organisation assurant, génération après génération, par le biais des programmes et des méthodes d'enseignement, la diffusion stable de la science et do la culture de la société telles qu'elles sont perçues par le système éducatif."16. Mais celui-ci n'cst pas seulement un stabilisateur de l'évolution des systèmes sociaux, il est aussi un déstabilisateur : "c'est autour de cette dynamique à double fonctionnement que s'organisent les liaisons du système éducatif avec les autres sous-systèmes"3 . Le système éducatif ne serait qu'un stabilisateur des systèmes sociaux - et des rapports do production en particulier - s'il ne fournissait que des "produits" destinés à l'économie, à la science et à lui-même. Mais ce ne sont pas ses seuls "outputs". 14 J.L. MAUNOURY - "Economie du savoir" Armand Colin 1972 L. GEMINARD "L'enseignement éclaté" Cllasterman 1973 16 J.LESOURNE "Les systèmes du destin" Dalloz économie 1977. 15 21 Le système éducatif, au niveau des enseignements inférieur et universitaire, contribue a la création du "champ culturel" de la société, dont 1'aspect le plus essentiel de cette activité est la constitution de "modèles de connaissance"17. Ces modèles renouvellent nos visions du monde "À cette création de connaissance s'ajoute un autre rôle culturel fondamental. Une société en même temps qu'elle développe une praxis de connaissance, se représente sa créativité et élabore un "modèle culturel" qui oriente son action sur elle-même". Dans les sociétés industrielles avancées "où l'action de la société sur elle-même est puissante, cette créativité est saisie "pratiquement" et c'est la science elle-même qui forme le modèle culturel de la société." On peut préciser, la science, et la technologie. Le système éducatif apparaît ainsi exercer plusieurs rôles. Bien qu'ils n'en aient pas le monopole, l'enseignement supérieur et 1'Université exercent d'abord un rôle de transformation de 1'information scientifique et technique en modèles de connaissances, c'est-à-dire en informations cognitives structurées. Ensuite un rôle de contribution à la formation des modèles culturels "opérés" -et révolutionnés - directement dans les sociétés industrielles avancées par la science et la technologie. Enfin, à ses divers niveaux le système éducatif remplit le rôle de diffuseur dos nouvelles valeurs de la société. Le sous-système d'interaction de la culture et de l'éducation peut tout aussi bien être un régulateur qu'un dérégulateur. Les changements culturels s'effectuaient, en général, lentement et en profondeur. Dans le monde contemporain la rapidité du changement, 1'intensification des liaisons entre les cultures de tous les groupes, 1'incohérence des systèmes culturels sous le choc des bouleversements des connaissances et de la société, caractérisent la dynamique culturelle actuelle. Les vitesses et les ampleurs des évolutions du modèle culturel et du système éducatif peuvent différer. Vues sous cet aspect les crises de 1'enseignement ne sont généralement pas des manifestations d'immobilisme. Elles peuvent intervenir alors même que le système éducatif fait preuve d'une créativité incessante. Par sa contribution même aux modèles culturels le système éducatif crée les conditions de son propre ébranlement. Mais ceux-ci sont opérés directement par des systèmes à révolution plus rapide, la science et surtout, la technologie. Le monde des objets techniques est aujourd'hui intégré dans 1es modèles culturels. C'est un cadre de référence aussi bien pour les enseignants que pour les enseignés. Le jeune enfant va à l'école avec un "champ intellectuel"2 largement déterminé par la réalité ambiante du monde vécu. Dans une telle situation, l'inertie institutionnelle, et d'autres facteurs peuvent jouer le rôle d'un frein puissant à la cadence des évolutions, mais ce n'est plus celui d'un régulateur dans le sens antérieur, tout au moins dans les sociétés industrielles avancées. La fonction du système éducatif dans le savoir propre à la perpétuation des rapports de production obéit aussi à cette dynamique à double fonctionnement. "Le modèle culturel d'une société n'est pas l'idéologie d'une classe dirigeante; il est un élément essentiel du champ culturel dans lequel ce forment les conflits de classe, et les classes antagonistes luttent pour l'appropriation du modèle culturel, comme pour celle des moyens de production." 4 Ce n'est pas l'objet de cette analyse de traiter, ni de débattre des rapports complexes entre champ, modèles culturels et idéologie. Rapports au demeurant très controversés. Au risque de simplifier le propos on ne bornera à noter que, dans cette conception, le champ et le modèle culturels appartiennent à toute la société. Mais le champ est la figure englobante du modèle. Et c'est parce qu'il appartient à toute la société et qu'à son tour il régule celle-ci, que le modèle culturel est lieu et enjeu de la lutte de classes. Ainsi le système éducatif, les enseignants et, de plus en plus précocement aujourd'hui, les enseignés, ne sont pas des éléments passifs dans ce champ conflictuel. Ils y sont impliqués. Dans ces conditions il ne faut pas s'étonner que les finalités, missions et objectifs de l'enseignement soient l'objet de contestation, y compris au sein du corps enseignant, et que le modèle pédagogique à 17 Alain TOURAINE "Université et société aux Etats-Unis" 1972 22 mettre en œuvre provoque des affrontements qui ne sont pas toujours des querelles de chapelles mais l'opposition de conceptions radicalement différentes des buts à atteindre. Ainsi, des enseignants peuvent être amenés à récuser une finalité étroitement économique de l'enseignement. L'élève entrant dans le cycle de l'enseignement ne peut être assimilé à un matériau brut à façonner pour un usage déterminé a. l'avance. "L'élève est un être humain… on ne forme pas, il se forme et en se formant intervient comme un élément de l'entreprise.... il se développe ''dans un environnement familial, social, et 1'environnement éducatif."2 Le débat pédagogique est dans le fond un débat sur les finalités. La maïeutique peut se présenter comme le symétrique, ou l'autre face de la pédagogie, elle implique à terme une révision profonde de cette dernière : le processus d'apprentissage (learning), tend à prendre le pas sur celui d'enseignement (teaching)18. À travers les mutations de l'acte éducatif, des relations moins univoques entre éducateurs et élèves, jusqu'au perpétuel aller et retour envisagé, au mouvement humble et créateur qui s'impose à 1'éducateur et à 1'élève, jusqu'à la pratique libératrice de l'école opposée à la pratique domesticatrice19, ce sont plus que des changements de techniques pédagogiques; ce sont de nouvelles attitudes et relations entre les hommes qui sont amorcées. Les relations entre le système éducatif, les modèles de connaissance, le champ culturel et les modèles culturels de la société sont donc très complexes. Elles vont varier selon les sociétés en fonction : a) du degré de pénétration de la science et de la technologie dans les modèles culturels, b) de la contribution du système éducatif considéré à l'élaboration du modèle de connaissance et à sa diffusion, c) de l'apport du propre système national et scientifique au modèle culturel et de la proportion des transferts venant d'autres sociétés, d) de 1'autonomie relative des systèmes de la société, du degré do sécularisation culturelle20 (et de la culture politique, du degré de consensus de la société vis-à-vis du système éducatif. Ces paramètres sont complexes mais ils ne sont pas insaisissables. Ils devraient pouvoir être identifiés par des indicateurs conçus à ce dessein. 2) Le système éducatif, points de repères On ne s'attachera pas à une description du système éducatif, maintes fois faite - et parfois en étudiant les problèmes par l'analyse des systèmes. 0n bornera le propos à des points de repères qui peuvent aider à s'orienter dans l'analyse du système de systèmes éducation-science-technologie. Un système historique, vivant et social • L'éducation est un "système historique"21 qui a eu une ontogène 2 . L'histoire en pèse sur le présent et, malgré les évolutions, changements, bouleversements, en conserve des vestiges. Mais quelles qu'en soient les spécificités présentes, la configuration des cléments qui les composent, les systèmes éducatifs présentent, dans l'espace, sinon dans le temps, des caractéristiques extrinsèques communes et stables. 18 Edgar FAURE et alias "Apprendre à être" UNESCO Fayard 1972 19 Paulo FREIRE - "Quelques idées insolites sur 1'éducateur" -Document de la Commission Internationale sur le Développement de 1'éducation - Opinion No 36 - Unesco Paris 1971. 20 Processus par lequel les individus deviennent de plus on plus rationnels, analytiques, empiriques dans leur action politique (G. Almond et Bingham Povell "comparative politics. A developmental approach" Little Brow & Co 1966) 21 Yves BAREL "Prospective et analyse de systèmes" La Documentation française, février 1971 23 1 - Les relations de leurs éléments sont téléologiques. La rupture de consensus sur les finalités de 1'éducation dans certaines sociétés industrielles avancées ne doit pas masquer que 1e désaccord porte sur la définition de celles-ci et non sur leur existence. 2 - Les relations entre leurs classes-repères22 sont des relations d'ordre. L'invariant du système est que les cycles de renseignement se succèdent selon les âges des élèves. Le découpage peut en changer, la succession des cycles n'en demeure pas moins. L'éducation est un "processus d'opérations irréversibles"1 .La notion d'ordre et de séquence temporelles est si évidente qu'elle peut amener à établir des algorithmes éducatifs23. 3 - Les relations entre émetteurs et récepteurs de l'éducation no sont pas des relations de transfert, au sens algébrique. La transmission d'une information éducative et son assimilation par le récepteur n'appauvrit pas, ne vide pas, la classe de départ de l'émission. "Le stock de savoir ne se détériore pas par l'usage » chaque unité de savoir peut être infiniment divisée ou reproduite sans subir aucune altération." 4 L'éducation - réexaminée à la lumière de la théorie de 1'information - apparaît un processus de formation et de modification des "représentations". Celles-ci sont synonymes de " champ intellectuel" d'un individu, catégorie qui correspond à celle de "champ culturel" pour la société. Par "représentations" on entend, toutes structures (modèle, image, maquette) abstraites ou concrètes dont les caractéristiques tendent à symboliser ou à correspondre d'une manière ou d'une autre avec celles d'une autre structure". L'information peut être définie comme ce qui s'ajoute à une représentation.24. L'effet d'une information est un changement dans la représentation. L'information forme ou transforme les représentations. L'assimilation est une plasticité structurelle de formation et de transformation des représentations.. L'apprentissage est, dans le fond, l'observation d'une information, d'une information "vécue" et sa mémorisation. La gradualité de l'apprentissage crée des cadres intériorisés successifs de représentations. 5 - Les systèmes s'autoreproduisent. Ainsi qu'il a été noté, les professeurs engendrent les professeurs. Les enseignants créent leurs méthodes pédagogiques. Les relations obéissent à une causalité circulaire. Les méthodes de connaissances se transmettent et assurent la stabilité des concepts scientifiques, catégories philosophiques, et notions idéologiques25 jusqu'à ce qu'ils soient remplacés par d'autres modèles. 6- Le système éducatif, véritable "carrefour de communication" avec tous les autres systèmes ne peut avoir un changement pédagogique important que s'il reçoit une impulsion de l'extérieur mais la profondeur de ses mécanismes d'autoreproduction exige pour que ce changement soit effectif qu'il soit aussi "opéré" de 1'intérieur. Proposition qui peut être reformulée négativement : le système éducatif est "inopérable" seulement de l'extérieur et de l'intérieur isolément. Sa réforme nécessite la conjonction de ces deux conditions26. 22 P. DELATTRE "Système-structure-fonction. Essai d'analyse épistémologique.recherches interdisciplinaires Maloine Doin 1971 23 L.N. LANDS - Algorithmization in leaming and instruction" -translated of russian Educational technology -Englewood Cliffs N.J. 1974. 24 C. MAC KAY- "Information mechanisms and meaning "- MIT Press, Cambrige Mas. 1969 25 A. BADIOU - Le concept de modèle - Maspéro 1972 26 Ceci explique l'échec relatif de la planification de l'éducation dans les années cinquante et soixante qui a été centrée exclusivement sur les paramètres d'ensemble du système d'éducation considéré de l'extérieur et en a ignoré le comportement interne (P.Coombs) 24 3 La modélisation de l'ensemble de systèmes de l'éducation, l'emploi, la science et la technologie, la culture Vues avec le recul du temps, les premières projections des économistes qui se lancèrent dans la planification de 1'éducation apparaissent naïvement mécanicistes Elles ont été inopérationnelles principalement parce qu'elles n'étaient pas susceptibles d'appréhender correctement la riche complexité du progrès technique et supposaient une société sans conflits, sans classes, sans unités actives dotées de pouvoirs différents» Le dilemme maintenant posé conduit à deux attitudes extrêmes. •La première consiste à préconiser d'établir les programmes scolaires et universitaires en fonction des prévisions de 1'emploi. C'est le "modèle technocratique" de 1'enseignement qui suppose une économie planifiée au maximum. II a le mérite d'apporter aux actuels déshérités l'espérance d'une promotion. Il Implique une domination et un contrôle social de la science et de la technologie, dont on est loin. •La seconde consiste à penser que "les débouchés peuvent être ce que la société veut qu'ils soient. Traduit en termes pédagogiques plus précis, cela veut dire que l'enseignement peut s'organiser et se développer suivant une politique propre au système éducatif en situation de dialogue avec l'ensemble de la société et non avec les seuls secteurs de 1'économie." Ce modèle pédagogique peut être un "modèle humaniste" au sens le plus noble du terme (et non au sens d'une culture de classe). Il peut devenir un "modèle libertaire" si, par excès, les finalités de 1'enseignement sont entièrement laissées à la discrétion de chaque enseignant qui modifierait les programmes en fonction des idées qu'il se fait personnellement de l'homme et de la société. Posée plus brutalement, l'alternative serait : adapter renseignement et les hommes aux tâches de la production, ou adapter les tâches en fonction de 1'éducation reçue et d'une certaine conception de l'homme. Le dilemme n'est pas si simple. S'il se posait du reste uniquement en ces termes, il n'y aurait aucune chance d'une solution au profit de l'une ou l'autre des attitudes extrêmes. La prise en considération "d'une pluralité de phénomènes" permet d'envisager d'autres solutions2 Dans la réalité contemporaine, il est vrai que 1'enseignement s'essouffle à s'adapter à révolution des techniques et des emplois. Les temps de révolution sont différents. Le changement technique est plus rapide que celui de 1'emploi. L'adaptation éducative est la plus lente des trois. Mais l'organisation sociale de l'éducation modèle la nomenclature des emplois, les niveaux de qualification, les statuts sociaux. Il s'agit d'une lente mais puissante induction. Et tout un subtil système d'interactions connecte des éléments de 1'emploi, de l'éducation, de la technologie. Il s'agit d'en repérer les clés. Le système des systèmes est le siège de formidables contradictions •Au niveau du système éducatif, la contradiction principale se manifeste entre le caractère téléologique des relations et fonctions du système éducatif et l'absence d'un système d'objectifs finalisés. •Au niveau du système scientifico-technique, la contradiction principale se manifeste entre la désintégration des savoirs scientifiques et techniques et la fonction objectivement intégrante des technologies par les objets techniques. •Au niveau du système technico-économique, la contradiction principale concerne la nature sociale des savoirs scientifiques et technologiques et leur appropriation par l'entreprise privée. •Au niveau de 1'emploi, ces contradictions se projettent par le conflit entre le dynamisme de révolution du progrès technique et l'action régulatrice des groupes socio-professionnels, entre la tendance à la réduction de la nomenclature des métiers en conséquence de la logique de l'objet technique et la multiplication des statuts provenant de la segmentation des curricula, des "status" résultant des examens, diplômes, et spécialisations professionnelles et, dans les pays en développement, de la diversification structurelle. 25 •Les modèles culturels qui sont les régulateurs principaux de l'ensemble sont déstabilisés par la crise du système éducatif et par la force de pénétration de la science et de la technologie dans les sociétés industrielles avancées. •La révolution de l'information crée, en dehors de renseignement, une puissante source d'Informations sélectives. L'école a perdu le monopole de 1'information cognitive, susceptible de modifier la configuration antérieure de la représentation. Par là même, les nécessités du contenu pédagogique des relations élèves-enseignants changent. Généralement, les systèmes éducatifs réagissent à ce défi par une réponse de même nature que celui-ci. En se plaçant sur le même terrain, ils se condamnent à aggraver leur crise. L'extension par adjonction et juxtaposition des disciplines provoque un flot désordonné d'informations27. Faute de regrouper les savoirs, les systèmes éducatifs s'avèrent de moins en moins capables de procurer les informations à contenu structurel élevé qui permettraient d'organiser la totalité des informations reçues, de l'extérieur et de l'intérieur. Ils sont menacés de lente désintégration, surtout au sommet où les fissures sont moins visibles. L'individualisation des savoirs, besoin profond du développement de 1'individu spécifique ne peut pas non plus recevoir une réponse par la multiplication à 1'infini des curricula pédagogiques. Cette tendance qui se rattache au "modèle pédagogique humaniste", conjuguée à la désintégration des savoirs scientifiques et techniques dans les conditions de la crise des systèmes éducatifs introduit une autre contradiction à l'intérieur de ceux-ci. Elle est présentement désagrégatrice quelqu'en soit le bien-fondé humain. Elle ne peut recevoir qu'une réponse dérisoire dans un enseignement en miettes. La dialectique de 1'individualisation des savoirs suppose, d'abord des savoirs intégrés dans le système éducatif, et, ensuite ou parallèlement, des réponses par un réseau souple et infiniment diversifié, en dehors du système institutionnel de 1'éducation. Dans le regroupement et la généralisation des savoirs, celui de 1'enseignement technologique tient un rôle pivot. Il permet d'agir sur les points névralgiques du complexe de systèmes. L'intégration des technologies, la refonte des curricula sont la base de départ pour amorcer de nouvelles boucles causales. Les élèves acquérant des champs intellectuels élargis, plus structurés, produiront eux-mêmes, par la suite, des modèles de connaissance remembrant 1'espace mental, des créateurs scientifiques et technologiques intradisciplinaires. Les modèles de connaissance remembrés opéreront les modèles culturels. L'intégration des technologies est la condition de la "possession" de la technique, de la démystification des mystères de sa nature, de sa "démocratisation". C'est cette démocratisation des connaissances qui peut permettre l'émergence de commandes sociales pour la création et le transfert des technologies. La culture technologique, fondue dans les modèles culturels, créerait, par niveaux de conscience successifs une contre-conformité ou une conformité sociale nouvelle induisant les mécanismes de la conception et des transferts technologiques. La généralisation de la culture technologique, depuis les premiers âges scolaires jusqu'aux enseignants supérieurs, est la condition de la domination de la technique. Elle nécessite à terme de grands outils intellectuels, typologie des technologies, organologie générale, mécanologie, un langage commun aux technologies. Mais, on a suffisamment de données pour entreprendre en première approximation, une révision des curricula sans subordonner celle-ci à 1'élaboration d'une systématique technologique. C'est surtout au niveau des enseignements supérieurs que 1'enseignement polytechnique devrait être implanté ou élargi. La systématique technologique devrait progressivement faciliter le regroupement des savoirs. L'élargissement des champs Intellectuels est compatible, par l'élagage d'informations non essentielles, la combinaison des connaissances, avec le raccourcissement de la durée des cycles. 27 Ces lignes ont été écrites il y a 25 ans. Aujourd'hui, avec tous les nouveaux moyens de communication, Internet en particulier, le constat est encore plus valable. L'école n'a plus le monopole de l'information cognitive, plus que jamais sa fonction est d'apprendre à apprendre, de permettre d'ordonner la masse des informations disponibles. 26 A terme, les nouvelles "sorties" du système éducatif et les premiers regroupements des savoirs qui en seraient à 1'origine devraient produire de nouveaux modèles de connaissances qui, à leur tour, susciteraient d'autres regroupements des savoirs. Les nouveaux modèles de connaissance opéreraient les modèles pédagogiques en voie de constitution. Mais 1'existence de ces derniers supposé que la recherche pédagogique ait atteint un niveau opérationnel et surtout la présence d'un système d'objectifs éducatifs. Malgré des progrès dus au transfert et à 1'assimilation de nombreuses connaissances scientifiques, la recherche pédagogique présente deux lacunes essentielles. La première tient au caractère désintégré des recherches, lié à l'absence d'une problématique générale, elle-même résultat de la désintégration des connaissances et de traditions de recherches empiriques. La seconde tient à 1'absence d'évaluation des niveaux supérieurs de 1'enseignement. Ceux-ci produisant généralement les dirigeants des sociétés, tant industrielles qu'en développement, 1'évaluation de 1'éducation conduirait sinon à 1'autocritique, du moins à une réflexion critique, des classes ou groupes dirigeants. Circonstances qui ne favorisent pas, en plus des difficultés techniques de celle-ci, 1'évaluation des enseignements supérieurs. De nouveaux consensus éducatifs sont nécessaires dans de nombreux pays pour permettre 1'élaboration de modèles pédagogiques. Le système éducatif ne peut fixer seul son propre système d'objectifs. Le rôle du système politique C'est au système politique de jouer le rôle de point de combinaison et de réduction des besoins en demandes et en "Issues". C'est du procès politique que doit surgir un système explicite d'objectifs. Cette transformation est elle-même complexe. Le système politique est opéré par le modèle culturel. Rappelons que celui-ci n'est pas l'idéologie d'une classe dirigeante, mais un "élément essentiel du champ culturel dans lequel se forment des conflits de classes". C'est dans le cadre de ce champ culturel commun à une société que le système politique opère des choix en fonction de la structure interne de celle-ci et de 1'idéologie dominante représentée au pouvoir. La transformation modèle culturel - système objectif de 1'enseignement est donc sous la dépendance des rapports de classes. Les classes antagonistes luttent pour 1'appropriation du modèle culturel. L'orientation du système éducatif est le moyen principal de 1'appropriation du modèle culturel. L'analyse du système éducatif démontre, par ailleurs, que pour que les changements proposés et décidés deviennent effectifs, il faut qu'ils soient aussi opérés de l'intérieur. Le système politique seul peut -et doit- assigner des finalités et des buts. Il ne peut définir des objectifs précis à chaque niveau sans la participation du système éducatif… Le procès politique peut résoudre par des compromis successifs les conflits neutralisants, et débloquer les issues.. : Son espace de manœuvre, la profondeur de son action, sa vitesse de réalisation sont objectiveront limités par le structure interne de la société. La régulation du système éducatif n'est cependant pas possible sans la fixation d'un système d'objectif. Elle nécessite aussi d'avancer dans la définition, même partielle, de modèles pédagogiques. Ce qui implique d'amplifier, accélérer les recherches pédagogiques. La maîtrise de la technologie nécessite, de son côté, la réconciliation des savoirs désagrégés.; et de la nature intégrante de l'objet technique. L'élaboration de typologie d'organologie générale et de mécanologie, sont les connaissances fondamentales qui peuvent être les constituants d'une culture technologique et de sa démocratisation. A plus court terme le regroupement des savoirs technologiques peut se faire par la modification des curricula éducatifs et la création ou l'élargissement de l'enseignement polytechnique au niveau des enseignements supérieurs. Comme il a été analysé cette modification essentielle introduirait une nouvelle boucle do causalitité sur les modèles de connaissance, les modèles culturels, la création technologique. La domination du système technologique, comme celle du système éducatif, n'est possible que s'il est opéré, à la fois, de l'extérieur et de l'intérieur. La maîtrise éducationnelle suppose la régulation des savoirs et productions technologiques. La domination de la technologie suppose la maîtrise du système éducationnel. C'est là peut-être la plus importante conclusion de cette analyse. Elle a de nombreuses implications. 27 Mapping du chômage ( d'après Jean-William Lapierre, modifié) + politique sociale (transferts, charges sociales, allocations) croissance demographique des pays du tiers monde S6 emigration immigration duree legale du travail avec possibilite d'heures supplementaires evolution du statut des femmes en pays industrialises S1 installation des industries de maind'œuvre dans des pays du "tiers monde" augmentation des depenses de sante et retraites S2 progres medical (esperance de vie allongée) S1 deplacement des pôles de developpement vers le pacifique speculation boursiere et monetaire internationalisation du marche et de la production progres technique S5 ideologie scientiste productiviste Légende O- marche du travail O- automatisation informatisation D+ travail temporaire societe duale chomage travail noir O+/O- D+/- comportements vis-à-vis du travail investissements de productivité inadaptation de la formation guerre économique et l'orientation des jeunes ideologie de la competition augmentaton de la productivite S4 D+ O+:O- S3 concentration et mobilite des capitaux recherche scientifique S1 S6 S4 inertie du systeme d'enseignement cycle économie mondiale O+ augmentation offres d'emplois O- diminution offres d'emplois D+ augmentation demandes d'emplois D- diminution demandes d'emplois S1 processus relevant du systeme biosocial S4 processus relevant du systeme dialogique Õ variations offres en dents de scie D+/- simultanement augmentation demande d'emplois peu qualifies et diminution ou stagnation demande d'emplois tres qualifies S2 processus relevant du systeme ecologique S3 processus relevant du systeme economique S5 processus relevant du systeme symbolique (ou "poetique) S6 processus relevant du systeme politique relation interaction boucles de retroaction PFG février 1998 28