L`utilisation du revenu protégé par le versement de dividendes

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L`utilisation du revenu protégé par le versement de dividendes
L’utilisation du revenu protégé par le
versement de dividendes discrétionnaires
Marie-Pierre Allard*
ABSTRACT
This article deals with the notion of “safe income” in subsection 55(2) of the Income Tax
Act. It aims to explain an original interpretation of this notion proposed by Vance Sider
and is based on the following principles.
First, when a stock dividend is declared, part of the safe income on the common
shares is transferred to the preferred shares issued as dividend. The fixed redemption
value of the preferred shares reduces the fair market value of the common shares, and
thus their latent capital gain. Therefore, the safe income, which represented a portion of
the latent capital gain in respect of the common shares, represents the same portion
of the latent capital gain on the preferred shares, notwithstanding that the preferred
shares may entitle the shareholder to discretionary dividends.
Second, a dichotomy may exist between the shares on which a dividend is paid and
those in respect of which the safe income on hand is reduced: the payment of a
discretionary dividend on preferred shares with a fixed redemption value reduces the
capital gain on the participating shares—that is, the common shares—and therefore
the safe income of the common shares rather than that of the preferred shares.
This interpretation of the concept of safe income, which has not, thus far, been
widely applied, could open the door to some interesting tax-planning ideas. The article
describes a specific planning technique developed by Vance Sider and based on these
principles. This technique permits recovery of the entire safe income amount before the
crystallization of the capital gains exemption, so that the benefit of part of the safe
income is not lost as a result of the crystallization. The article also analyzes the principles
underlying this approach and demonstrates that they are firmly based on taxation law,
in light of the wording and the purpose of subsection 55(2), as well as on administrative
positions and existing case law.
* Avocate, M. Fisc., professeure agrégée à la Faculté d’administration de l’Université de
Sherbrooke et chercheure à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques. L’auteure
tient à remercier Me Gaétan Roy, M. Fisc., CGA, de la firme PricewaterhouseCoopers, plusieurs
idées de cet article ayant été inspirées, avec sa permission, de son essai intitulé « La notion de
revenu protégé, peut-on voir autrement ? » présenté à la maîtrise en fiscalité de l’Université de
Sherbrooke. L’auteure remercie également M. Norman Angell, CA, de la firme Raymond
Chabot Grant Thornton, de même que MM. Vance Sider, CA, et Marc Ton-That, CA, de la
firme KPMG, pour leurs précieux conseils et commentaires. L’auteure assume toutefois
l’entière responsabilité de toute erreur ou omission qui puisse demeurer dans le présent texte.
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PRÉCIS
Cet article se penche sur la notion de « revenu protégé » au paragraphe 55(2) de la Loi
de l’impôt sur le revenu. Il vise à expliquer une conception originale de cette notion,
proposée par M. Vance Sider et fondée sur les principes suivants.
D’abord, lorsqu’un dividende en actions est déclaré, les actions privilégiées émises
à titre de dividende obtiennent une partie du revenu protégé des actions ordinaires. En
effet, la valeur de rachat des actions privilégiées, fixée par les statuts, réduit la juste
valeur marchande des actions ordinaires et leur gain en capital latent. Ainsi, le revenu
protégé, qui représentait une certaine proportion du gain en capital latent sur les actions
ordinaires, représente la même proportion du gain en capital latent sur les actions
privilégiées. Ce raisonnement reste valide malgré le fait que les actions privilégiées
puissent donner droit à des dividendes discrétionnaires.
En outre, il peut exister une dichotomie entre les actions sur lesquelles un dividende
est versé et celles dont le revenu protégé est réduit : le versement d’un dividende
discrétionnaire sur des actions privilégiées à valeur de rachat fixe réduit le gain en
capital latent sur les actions participantes, c’est-à-dire les actions ordinaires, et réduit
donc le revenu protégé des actions ordinaires, plutôt que celui des actions privilégiées.
Cette conception du revenu protégé, peu exploitée auparavant, pourrait ouvrir la
porte à de nombreuses idées de planification fiscale. L’article illustre une technique de
planification élaborée par M. Sider et fondée sur ces principes, qui permet de récupérer
la totalité du revenu protégé avant d’utiliser l’exonération du gain en capital, afin
d’éviter de perdre une partie du revenu protégé lors de la cristallisation. De plus,
l’article analyse ces principes et en démontre le bien-fondé en droit, à la lumière du
libellé et de l’objet du paragraphe 55(2) LIR, de même que des positions
administratives et la jurisprudence existante.
MOTS-CLÉS : REVENU PROTÉGÉ ■ DIVIDENDE ■ GAIN EN CAPITAL ■ ACTION PRIVILÉGIÉE ■ JUSTE
VALEUR MARCHANDE
SOMMAIRE
Introduction
La planification fiscale proposée
Émission d’un dividende en actions privilégiées
Transfert des actions privilégiées à une société
Versement d’un dividende discrétionnaire sur les actions privilégiées
Utilisation du revenu protégé des actions privilégiées
Les principes fondamentaux
Transfert du revenu protégé aux actions privilégiées
Juste valeur marchande des actions privilégiées
Réduction du revenu protégé des actions participantes par le versement
d’un dividende sur les actions privilégiées
Problèmes pratiques soulevés par la planification proposée
Avantage conféré à la société de gestion
Règle générale anti-évitement
Conclusion
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INTRODUCTION
Il s’agit désormais d’un lieu commun d’affirmer que le paragraphe 55(2) de la Loi de
l’impôt sur le revenu1 est l’un des sujets les plus complexes en fiscalité canadienne2,
et l’un de ceux qui ont fait couler le plus d’encre. Quoi qu’il en soit, il reste
néanmoins certaines zones d’ombre à explorer dans ce fascinant domaine. En
particulier, l’auteure de cet article croit qu’il est possible d’envisager une conception
de la notion de revenu protégé différente de celle qui est généralement admise.
En 1990, dans un article paru dans le Corporate Management Tax Conference3,
M. Vance Sider proposait une approche nouvelle et originale du concept de revenu
protégé. Étonnamment, très peu d’articles publiés depuis ont repris les concepts
développés par M. Sider4. Cette apparente indifférence de la communauté fiscale
pourrait peut-être s’expliquer, du moins en partie, par le fait que la position
administrative de l’Agence du revenu du Canada (ci-après « ARC ») quant au calcul
du revenu protégé paraît avoir acquis progressivement une autorité quasi-statutaire;
il semble que peu de fiscalistes aient tenté de contester le bien-fondé de cette
politique administrative, ce qui pourrait, incidemment, expliquer le volume
relativement faible de jurisprudence sur ce sujet. Pourtant, le développement
d’une approche différente du concept de revenu protégé est fort intéressant, non
seulement sur un plan académique, mais également pratique, puisqu’il ouvre la
porte à l’élaboration de nouvelles techniques de planification fiscale.
L’approche proposée par M. Sider repose sur l’idée originale selon laquelle un
dividende versé aux détenteurs d’actions privilégiées d’une catégorie pourrait
excéder le revenu protégé rattaché aux actions de cette même catégorie, sans
entraîner l’application du paragraphe 55(2) LIR, puisque ce dividende viendrait
réduire le revenu protégé rattaché aux actions d’une autre catégorie, à savoir les
actions participantes. Ainsi, il suffirait d’émettre une action privilégiée donnant
droit à des dividendes discrétionnaires et dont la valeur de rachat aurait été fixée
par les statuts, afin de pouvoir verser sur cette action des dividendes d’un montant
1 LRC 1985, c. 1 (5e supp.), telle que modifiée (ci-après « LIR » ou « la Loi »). À moins
d’indication contraire, les renvois législatifs dans cet article sont à la LIR.
2 Fait souligné par la célèbre envolée du juge Finch de la Cour suprême de la ColombieBritannique dans J.F. Newton Limited et al. c. Thorne Riddell et al., 91 DTC 5276, à la p. 5282 :
« It surpasses my imagination that anyone considers language such as this to be capable of an
intelligent understanding, or that such language is thought to be capable of application to the
events of real life, such as the sale of a business. »
3 Vance A. Sider, « Corporate Restructuring Issues: Private Corporations », dans Selected Income
Tax and Goods and Services Tax Aspects of the Purchase and Sale of a Business, Corporate Management
Tax Conference 1990 (Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 1991), 5:1-28.
4 Voir à cet égard Mario Charpentier, « Exemption majorée de gains en capital relative aux
actions admissibles de petite entreprise : mise à jour à la lumière du projet de loi C-18; pièges à
éviter et éléments de planification » (1991) vol. 13, no 3 Revue de planification fiscale et successorale
417-96, aux pp. 458, 488 et s.
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égal au revenu protégé rattaché aux actions participantes. Les applications pratiques
de cette idée pourraient être très nombreuses et intéressantes.
Cet article vise à illustrer l’application de ces concepts par la présentation d’une
technique de planification fiscale élaborée par M. Sider, ainsi qu’à expliquer le
fondement théorique de chacun des concepts qui la sous-tendent et à en démontrer
le bien-fondé en droit.
La technique illustrée vise à corriger un problème fréquent lors de la vente
d’actions d’une société privée à un tiers non lié. Généralement, la planification
fiscale vise à réduire l’imposition du vendeur en profitant de la déduction pour
gains en capital5 d’une part et, d’autre part, en versant un dividende à une société
avant la vente afin de réduire le produit de disposition et, partant, le gain en
capital. Bien entendu, si ce dividende excède le revenu protégé, il sera visé par le
paragraphe 55(2) LIR et recaractérisé à titre de gain en capital. Or, la planification
traditionnelle qui consiste à cristalliser d’abord l’exonération du gain en capital
fait en sorte qu’une partie du revenu protégé est perdue. Le vendeur ne peut ainsi
profiter de la totalité du revenu protégé et de la déduction pour gains en capital.
La technique proposée par M. Sider permet d’éviter cet inconvénient en retirant
la totalité du revenu protégé avant l’utilisation de l’exonération.
Évidemment, depuis la réduction du taux d’inclusion du gain en capital à
50 pour cent, il faut s’interroger sur la pertinence de retirer le revenu protégé
avant de disposer des actions. En effet, lorsque l’actionnaire désire obtenir le
produit de disposition entre ses mains immédiatement, il est préférable de générer
un gain en capital plus élevé dans la société de gestion pour créer un compte de
dividendes en capital qui peut être versé libre d’imposition6. Dans un tel cas, les
liquidités entre les mains de l’actionnaire seront plus élevées si le revenu protégé
n’est pas utilisé. Toutefois, l’utilisation du revenu protégé peut toujours être
avantageuse si l’actionnaire a l’intention de laisser les liquidités dans une société
pendant un certain nombre d’années, puisque ces liquidités plus élevées généreront
des revenus qui, à plus ou moins longue échéance, compenseront l’écart d’impôt
entre les mains de l’actionnaire. Ainsi, il faut d’abord déterminer la pertinence de
verser le revenu protégé, compte tenu des objectifs de l’actionnaire.
Cet article présente, en premier lieu, la technique de planification fiscale
proposée par M. Sider. Puis, chacun des principes qui sous-tendent cette technique
est analysé à la lumière de la Loi, de la jurisprudence et de la position administrative.
Enfin, certains problèmes pratiques soulevés par la planification proposée sont
étudiés, notamment l’application possible de la règle générale anti-évitement.
5 Paragraphe 110.6(2.1) LIR.
6 Voir à cet égard Jean-Luc Fréchette, Stéphane Mongeau, Pierre Fleury et Thomas W. Copeland,
« Étude de cas A », dans Congrès 2001 (Montréal : Association de planification fiscale et
financière, 2002), 46:1-103, à la p. 46:21.
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LA PLANIFIC ATION FISC ALE PROPOSÉE
Lorsqu’un particulier désire vendre ses actions d’une société exploitant une petite
entreprise à un tiers sans lien de dépendance, l’objectif de la planification est de
profiter de la déduction pour gains en capital de l’actionnaire et de verser un
dividende à même le revenu protégé afin de réduire le gain en capital. Bien entendu,
le paragraphe 55(2) LIR trouvera application si le dividende versé est supérieur au
revenu protégé, puisqu’il y aura une augmentation sensible de la participation
directe d’un tiers non lié — l’acheteur — dans le payeur du dividende7.
Selon la planification traditionnelle, la cristallisation de l’exonération du gain en
capital est d’abord effectuée par un roulement interne en vertu de l’article 85 LIR.
Une partie des actions ordinaires est échangée contre des actions privilégiées
ayant une valeur de rachat égale au solde d’exonération disponible de l’actionnaire,
ajouté au prix de base rajusté des actions échangées. La somme convenue est égale
à la valeur de rachat, de sorte que l’actionnaire réalise un gain en capital qu’il déduit
dans le calcul de son revenu imposable en utilisant son exonération8. Le prix de
base rajusté total des nouvelles actions privilégiées émises est égal à la somme
convenue9, soit la valeur de rachat.
Le principal désavantage de la planification traditionnelle est qu’une partie du
revenu protégé est perdue lors de la cristallisation. En effet, tant l’ARC10 que la
majorité des auteurs11 s’entendent pour dire que le revenu protégé des nouvelles
actions est réduit en proportion de l’augmentation du prix de base rajusté12 car
7 Sous-alinéa 55(3)a)(v) LIR.
8 Paragraphe 110.6(2.1) LIR.
9 Alinéa 85(1)g) LIR.
10 Voir John R. Robertson, « Capital Gains Strips: A Revenue Canada Perspective on the Provisions
of Section 55 », dans Report of Proceedings of the Thirty-Third Tax Conference, 1981 Conference
Report (Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 1982), 81-109, à la p. 85; ARC
document no 9504695, le 10 avril 1995.
11 André Lortie, « Le revenu protégé ou la conversion d’un gain en capital en dividende entre sociétés
canadiennes imposables » (2000-1) vol. 22, no 2 Revue de planification fiscale et successorale 265-323,
à la p. 303; Mark Brender, « Subsection 55(2): Part 2 », article dans la chronique The Taxation
of Corporate Reorganizations (1997) vol. 45, no 4 Revue fiscale canadienne 806-43, aux pp. 829-30;
Carole Gouin-Toussaint, « Le paragraphe 55(2) et la notion de “revenu gagné” », 1991 Journée
d’études fiscales (Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 1991), 1:1-17, à la p. 1:10.
12 Toutefois, cette réduction proportionnelle du revenu protégé serait remise en cause par l’affaire
729658 Alberta Ltd. et al. c. La Reine, 2004 DTC 2909 (CCI). En effet, la Cour a rejeté la position
du ministre, qui invoquait la répartition proportionnelle du revenu protégé dans la même
proportion que le gain en capital lors d’un roulement, et elle a conclu que le revenu protégé
pouvait être attribué en totalité aux actions transférées. Cette décision, bien qu’elle puisse sembler
conforme à l’objet de la loi dans les circonstances particulières de l’espèce (il n’y avait eu aucun
avantage fiscal, le gain en capital généré lors du roulement ayant été imposé à titre de dividende
en vertu de l’article 84.1 LIR), paraît néanmoins difficile à concilier avec d’autres décisions,
notamment Canada c. Nassau Walnut Investments Inc., [1997] 2 CF 279; 97 DTC 5051 (CAF)
(ci-après « Nassau Walnut »), dans laquelle la Cour d’appel fédérale avait clairement entériné la
méthode de répartition proportionnelle du revenu protégé au prorata du nombre d’actions. Quoi
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une partie du revenu protégé des anciennes actions est reflétée dans le prix de base
rajusté des nouvelles actions. Par exemple, si avant la cristallisation, le gain en
capital latent13 des actions ordinaires était de 1,1 million $ dont 275 000 $ étaient
attribuables à du revenu protégé, la proportion du gain en capital latent attribuable à
du revenu protégé était de 25 pour cent. Par conséquent, après la cristallisation,
cette proportion est toujours de 25 pour cent relativement aux actions ordinaires
restantes, soit un revenu protégé de 150 000 $ sur un gain en capital latent de
600 000 $; quant aux actions privilégiées, le revenu protégé est nul, puisqu’elles
n’ont aucun gain en capital latent, leur prix de base rajusté étant égal à leur valeur
de rachat, soit 500 000 $.
Par conséquent, dans le cadre de la planification traditionnelle, une partie du
revenu protégé est perdue lors de la cristallisation : cette perte correspond à la
partie du gain en capital (à l’égard duquel l’exonération est réclamée) qui est
attribuable à du revenu protégé. Pour reprendre le même exemple, puisque
l’exonération a été réclamée à l’égard d’un gain en capital de 500 000 $ qui a été
réalisé lors du roulement, un montant de 125 000 $ de revenu protégé a été perdu,
soit 25 pour cent de ce gain en capital.
La méthode proposée par M. Sider permet d’éviter cette perte de revenu protégé
en isolant d’abord le revenu protégé afin d’utiliser l’exonération sans l’affecter.
Émission d’un dividende en actions privilégiées
La première étape consiste à transférer une partie de la juste valeur marchande et
du revenu protégé des actions ordinaires à une catégorie d’actions privilégiées, qui
seront par la suite transférées à une société de gestion. Les actions ordinaires, quant
à elles, demeurent entre les mains du particulier afin de permettre l’utilisation de
la déduction pour gains en capital.
Il s’agit donc de créer une nouvelle catégorie d’actions privilégiées spéciales à
valeur de rachat fixe prévue dans les statuts et garantie par les conditions rattachées
aux actions14. Par la suite, un dividende en actions est déclaré et versé sous forme
qu’il en soit, même si les principes de l’affaire 729658 Alberta Inc. étaient applicables à la
planification proposée, celle-ci ne pourrait avoir de conséquences négatives; elle serait
simplement rendue inutile, puisque la planification traditionnelle aurait donné le même résultat.
13 L’expression « gain en capital latent » désigne le gain en capital non réalisé sur une action,
c’est-à-dire l’excédent de la juste valeur marchande sur le prix de base rajusté.
14 Les conditions rattachées aux actions privilégiées devraient être les suivantes : non votantes; à
valeur nominale (si permis par la loi sur les sociétés qui est applicable, sinon, capital versé fixé
par résolution à un montant inférieur à la juste valeur marchande); valeur de rachat fixe déterminée
dans les statuts; valeur de rachat non diminuée par le versement de dividendes sur ces actions,
mais diminuée par toute réduction du capital versé légal sur ces actions; droit à des dividendes
illimités déclarés au gré du conseil d’administration, à son entière discrétion, à l’exclusion de
toute autre catégorie d’actions; rachetables au gré du détenteur ou de l’émetteur; droit prioritaire
à la valeur de rachat en cas de liquidation ou de dissolution; aucun autre droit au reliquat des biens
en cas de liquidation ou de dissolution; interdiction de déclarer un dividende sur toute autre
catégorie d’actions si ce dividende devait rendre impossible le rachat des actions de cette catégorie.
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d’actions privilégiées de cette nouvelle catégorie15. Le capital versé légal des actions
privilégiées devra être fixé à un montant nominal16 afin d’éviter qu’un dividende
équivalant à la valeur de rachat soit imposé entre les mains du particulier17.
La juste valeur marchande des actions ordinaires sera réduite du montant de la
valeur de rachat des actions privilégiées18 puisque ces actions sont prioritaires en
cas de dissolution ou de liquidation. Le gain en capital latent sur les nouvelles
actions privilégiées est constitué de revenu protégé, dans la même proportion que
l’était le gain en capital latent sur les actions ordinaires avant le dividende en
actions19. Ainsi, par exemple, si le revenu protégé représentait 25 pour cent du
gain en capital latent sur les actions ordinaires, il représente toujours 25 pour cent
du gain en capital latent sur les actions ordinaires et 25 pour cent du gain en
capital latent sur les actions privilégiées émises à titre de dividende.
La valeur de rachat des actions émises à titre de dividende doit être calculée
afin de réduire la valeur des actions ordinaires d’un montant suffisant pour que
leur disposition subséquente génère un gain en capital égal au solde d’exonération
disponible de l’actionnaire. Cette disposition ne sera effectuée qu’une fois qu’un
second dividende équivalant au revenu protégé restant sur les actions ordinaires
aura été versé20, ce qui aura également pour effet de réduire la valeur des actions
ordinaires. En conséquence, la valeur de rachat des actions privilégiées doit être
fixée de façon à ce que la valeur des actions ordinaires après le versement du
dividende en actions, moins leur prix de base rajusté, moins le revenu protégé
restant des actions ordinaires après le dividende en actions, soit égale au solde
d’exonération disponible.
Ainsi, la valeur de rachat des actions privilégiées peut être représentée par
l’équation suivante21 :
VR
=
JVM
- EXO - PBR - RP
1-C
15 Il serait également possible de procéder par un échange des actions ordinaires contre de
nouvelles actions ordinaires et des actions privilégiées, en vertu de l’article 86 LIR ou, encore,
par un simple échange d’une partie des actions ordinaires contre des actions privilégiées, en
vertu de l’article 51.
16 Par exemple, un capital versé de 0,01 $ par action. Le prix de base rajusté des actions sera égal
au capital versé : alinéa 52(3)a) LIR.
17 Seul le montant du capital versé des actions émises sera imposable : paragraphe 82(1) et
définition de « montant » au paragraphe 248(1) LIR.
18 Voir infra, sous la rubrique « Juste valeur marchande des actions privilégiées ».
19 Voir infra, sous la rubrique « Transfert du revenu protégé aux actions privilégiées ».
20 Voir infra, sous la rubrique « Versement d’un dividende discrétionnaire sur les actions privilégiées ».
21 Formule tirée de Gaétan Roy, « La notion de revenu protégé, peut-on voir autrement ? » (essai
déposé à la maîtrise en fiscalité, Université de Sherbrooke, 2001), à la p. 25. Cette équation
peut être utilisée dans toute planification similaire à celle que l’auteure expose dans ce texte et
le résultat obtenu sera toujours optimal. Toute valeur négative serait due au fait que la somme
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où
valeur de rachat des actions privilégiées émises à titre de dividende
: juste valeur marchande des actions ordinaires avant le versement du
dividende
EXO : solde d’exonération disponible de l’actionnaire22
PBR : prix de base rajusté des actions ordinaires
RP :
revenu protégé des actions ordinaires avant le versement du dividende
C:
fraction représentée par le revenu protégé par rapport au gain en capital
latent sur les actions ordinaires, avant le versement du dividende, soit :
RP/( JVM - PBR).
VR
:
JVM
Transfert des actions privilégiées à une société
La seconde étape de la planification consiste à transférer les actions privilégiées à
une société de gestion afin de permettre l’utilisation du revenu protégé par le
versement de dividendes non imposables. Pour que ces dividendes soient
déductibles dans le calcul du revenu imposable, ils doivent évidemment être versés
à une société et non au particulier23. Le transfert s’effectuera par un roulement des
actions privilégiées, en contrepartie d’actions ordinaires de la société de gestion24.
Versement d’un dividende discrétionnaire
sur les actions privilégiées
La troisième étape constitue véritablement le cœur de la planification proposée.
Il s’agit de déclarer un dividende sur les actions privilégiées équivalant au revenu
protégé des actions ordinaires détenues par l’actionnaire. Selon la théorie avancée
par M. Sider, ce dividende permettra de réduire la valeur des actions ordinaires et
d’en extraire le revenu protégé sans entraîner l’application du paragraphe 55(2) LIR25.
Ce dividende pourrait être payé en argent si les liquidités le permettent, mais si
la société opérante détient des actifs non admissibles aux fins de la qualification de
du prix de base rajusté, du revenu protégé et du solde d’exonération disponible est supérieure à
la juste valeur marchande des actions. Dans ce cas, il est possible d’effectuer la transaction sans
impact fiscal immédiat en utilisant la totalité de l’exonération disponible et une partie du revenu
protégé, ou vice-versa. Il suffit d’émettre un dividende en actions ayant, par exemple, une valeur
de rachat de 1 $ pour permettre la mise en place des étapes ultérieures de cette planification.
22 Des variantes peuvent être introduites dans cette planification, de telle sorte que le gain en
capital souhaité sur les actions ordinaires entre les mains du particulier peut être différent du
montant de l’exonération disponible. Dans ce cas, l’élément « EXO » dans la formule doit être
remplacé par le montant du gain en capital désiré.
23 Paragraphe 112(1) LIR.
24 Paragraphe 85(1) LIR.
25 Voir infra, sous la rubrique « Réduction du revenu protégé des actions participantes par le
versement d’un dividende sur les actions privilégiées ».
l’utilisation du revenu protégé par le versement de dividendes discrétionnaires
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« société exploitant une petite entreprise »26, le dividende pourrait être payé à même
les actifs non admissibles, ce qui permettrait la purification de la société. Si les
liquidités ne sont pas suffisantes, le dividende pourrait être versé en actions
privilégiées d’une autre catégorie dont le capital versé et le prix de base rajusté
sont égaux à leur valeur de rachat afin que leur rachat ultérieur n’entraîne aucune
conséquence fiscale.
Au plan légal, la possibilité de déclarer un dividende uniquement sur les actions
privilégiées, sans que les actions ordinaires reçoivent une partie du dividende, devra
être prévue dans les statuts27. Cette caractéristique des actions, généralement
désignée comme une « clause de dividendes discrétionnaires », est permise en
droit des sociétés, suivant les arrêts de la Cour suprême McClurg c. Canada28 et
Neuman c. MRN29.
Une fois le revenu protégé des actions ordinaires entièrement versé, l’actionnaire
pourra alors les vendre directement au tiers, ce qui générera un gain en capital
égal au solde d’exonération disponible30.
Utilisation du revenu protégé des actions privilégiées
Il reste ensuite à réduire le gain en capital latent sur les actions privilégiées afin d’en
extraire le revenu protégé. Tel qu’expliqué dans le texte qui suit31, le versement
d’un dividende sur les actions privilégiées ne permet pas d’en extraire le revenu
protégé car il diminue plutôt la valeur des actions ordinaires. Il faut donc procéder
soit par un rachat d’actions, soit par une augmentation du capital versé.
Peu importe la façon de structurer la transaction, un gain en capital sera réalisé
par la société de gestion selon les dispositions du paragraphe 55(2) LIR. Ce gain est
inévitable puisqu’il représente la partie du gain en capital latent, au début de la
série de transactions, qui excédait le revenu protégé total et le solde d’exonération.
Un rachat des actions privilégiées entraînera inévitablement l’application du
paragraphe 55(2) puisqu’il est impossible d’effectuer un rachat pour une valeur
correspondant au revenu protégé et de soutenir que le dividende de rachat est
entièrement attribuable à du revenu protégé. En effet, le dividende de rachat est
réputé versé sur une catégorie distincte constituée des actions rachetées32, de sorte
26 Voir la définition de « société exploitant une petite entreprise » au paragraphe 248(1) LIR.
27 Pour les caractéristiques des actions, voir supra, note 14,.
28 [1990] 3 RCS 1020; 91 DTC 5001 (ci-après « McClurg »).
29 [1998] 1 RCS 770; 98 DTC 6297 (ci-après « Neuman »).
30 Cependant, si les actions ne peuvent se qualifier d’« actions admissibles de petite entreprise » à
ce moment, l’étape suivante de la planification pourrait permettre de purifier la société : voir
infra, note 40. Il suffirait alors de vendre les actions ordinaires à la suite de cette étape.
31 Voir infra, sous la rubrique « Réduction du revenu protégé des actions participantes par le
versement d’un dividende sur les actions privilégiées ».
32 Paragraphe 84(3) LIR.
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que seul le produit de disposition des actions rachetées est diminué33. Les actions
dont le gain en capital latent a été diminué sont donc uniquement les actions
rachetées, et la réduction du gain excède le revenu protégé de ces actions. Il faudrait
donc racheter toutes les actions privilégiées afin d’utiliser la totalité du revenu
protégé, ce qui entraînerait l’imposition immédiate du gain en capital34.
Une autre méthode permettrait de reporter l’imposition du gain en capital,
tout en permettant de retirer immédiatement le montant du revenu protégé, sans
imposition. L’augmentation du capital versé légal des actions privilégiées35
entraînera un dividende réputé36 et une augmentation du prix de base rajusté37 du
même montant. Ainsi, en augmentant le capital versé d’un montant équivalant au
revenu protégé des actions privilégiées, ce revenu protégé sera transformé en prix
de base rajusté. Le paragraphe 55(2) LIR ne s’appliquera pas pour recaractériser le
dividende à titre de produit de disposition, puisque le gain en capital latent sur les
actions privilégiées a été réduit d’un montant n’excédant pas le revenu protégé sur
ces actions.
Ce raisonnement suppose que lorsqu’un dividende (réel ou réputé) est versé, il
provient d’abord du revenu protégé. Ainsi, le dividende réputé, qui correspond à
l’augmentation du capital versé, est constitué en totalité de revenu protégé,
contrairement au gain en capital latent qui est constitué en partie de revenu protégé
et en partie d’autre chose. Cette façon de voir est la seule qui soit en accord avec
l’esprit et la lettre du paragraphe 55(2) LIR38. En effet, cette disposition ne trouve
application que si le dividende réduit la partie du gain en capital qui est attribuable
à autre chose que du revenu protégé : c’est donc dire qu’il est considéré, à juste titre,
que les dividendes versés aux actionnaires proviennent normalement du revenu
gagné par la société, et que ce n’est que dans le cas où les dividendes excèdent le
revenu protégé qu’ils sont visés par la règle anti-évitement du paragraphe 55(2).
S’il en était autrement, les résultats seraient absurdes : s’il était considéré que les
dividendes versés sont constitués de revenu protégé dans la même proportion que
33 Voir l’alinéa j) de la définition de « produit de disposition » à l’article 54 LIR.
34 Il serait toutefois possible de reporter l’imposition du gain en capital en rachetant les actions
privilégiées par tranches, selon un échéancier étalé sur plusieurs années. Le choix de l’alinéa
55(5)f ) LIR devra être effectué pour chaque tranche de rachat, afin de désigner comme dividende
distinct la partie équivalant au revenu protégé. En outre, il y aura imposition immédiate du
gain en capital dès le rachat des premières tranches d’actions puisque, pour chaque tranche
d’actions rachetées, une partie du dividende sera qualifiée de gain en capital.
35 Loi canadienne sur les sociétés par actions, LRC 1985, c. C-44, telle que modifiée (ci-après
« LCSA »), articles 26(5) et (6); Loi sur les compagnies, LRQ, c. C-38 (ci-après « LCQ »),
article 123.61.
36 Paragraphe 84(1) LIR.
37 Alinéa 53(1)b) LIR.
38 Voir Robertson, supra, note 10, à la p. 84 : « […] dividends come out of “safe income” first in
the order in which they are paid ».
l’utilisation du revenu protégé par le versement de dividendes discrétionnaires
■
97
le gain en capital latent sur les actions, aucun dividende ne pourrait échapper au
paragraphe 55(2) puisqu’il y aurait toujours une partie du dividende attribuable à
autre chose que du revenu protégé et, en conséquence, la totalité du dividende
serait requalifiée de produit de disposition.
À la suite de l’augmentation du capital versé, les actions privilégiées peuvent être
rachetées en totalité ou par tranches, et l’application du paragraphe 55(2) LIR au
dividende de rachat n’entraînera aucun gain en capital, en raison de l’augmentation
du prix de base rajusté. Une alternative au rachat est d’effectuer une réduction du
capital versé39, accompagnée du versement d’un montant équivalent en argent40.
Le paragraphe 84(4) LIR n’entraînera pas de dividende réputé puisque le montant
versé sera égal à la réduction du capital versé. Quant au prix de base rajusté des
actions, il sera réduit du même montant41. La valeur de rachat sera également
diminuée du même montant puisque les statuts prévoient que toute réduction du
capital versé relatif aux actions privilégiées réduira d’autant la valeur de rachat42.
Ainsi, le gain en capital latent des actions privilégiées n’aura pas été diminué. Le
résultat de la réduction du capital versé est que le revenu protégé sur les actions
privilégiées a été versé immédiatement, sans impact fiscal, alors que le gain en
capital ne sera réalisé qu’au fur et à mesure que les actions privilégiées seront
rachetées. À ce moment, la totalité du dividende de rachat sera recaractérisée
comme gain en capital puisqu’il n’y aura plus de revenu protégé.
Cette transaction aura donc permis d’extraire la totalité du revenu protégé,
sans en perdre une partie lors de la cristallisation comme c’était le cas avec la
méthode traditionnelle.
L E S P R I N C I P E S F O N D A M E N TA U X
Transfert du revenu protégé aux actions privilégiées
L’un des principes fondamentaux qui sous-tendent la planification illustrée, plus
particulièrement la première étape, est le suivant : lorsqu’un dividende en actions
privilégiées est versé, le revenu protégé des actions ordinaires est transféré aux
actions privilégiées, en proportion du gain en capital latent. En d’autres termes,
lorsqu’une société verse un dividende en actions ayant un faible capital versé et
une valeur de rachat fixe élevée — communément appelées actions « high-low » ou
« fort-faible » — ces actions absorbent une partie du revenu protégé des actions
ordinaires.
39 Articles 38 LCSA et 123.62 LCQ.
40 Ce montant peut également être versé par le transfert d’actifs « contaminants », s’il en reste,
afin de purifier la société pour que les actions puissent se qualifier à titre d’« actions admissibles
de petite entreprise ».
41 Alinéa 53(2)a) LIR.
42 Voir supra, note 14, pour les caractéristiques des actions.
98
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canadian tax journal / revue fiscale canadienne
(2006) vol. 54, n o 1
Tout d’abord, il faut s’interroger sur la possibilité d’émettre un dividende en
actions « fort-faible ». La société peut-elle fixer le capital versé à un montant
inférieur à la juste valeur marchande des actions lorsqu’elles sont émises à titre de
dividende en actions ? Cette possibilité est essentielle, puisque la juste valeur
marchande des actions privilégiées serait autrement imposable entre les mains du
particulier.
Tel que défini dans la LIR, le capital versé fiscal dépend du capital versé légal et
ne peut lui être supérieur43. Selon l’ARC, la possibilité d’émettre un dividende en
actions « fort-faible » dépend donc de la loi constitutive de la société en cause44.
Pour une société constituée en vertu de la partie IA de la LCQ, il est possible
d’émettre des actions à valeur nominale45, auquel cas c’est le montant de la valeur
nominale qui est inscrit au compte de capital-actions émis et payé. Il est donc assez
simple d’émettre des actions fort-faible : il suffit que la résolution d’émission des
actions fixe une valeur nominale très faible, qui devient le capital versé aux fins fiscales.
Quant aux sociétés régies par la LCSA, elles ne peuvent émettre d’actions à
valeur nominale46, et aucune disposition ne prévoit expressément que la société
puisse verser au compte de capital déclaré un montant inférieur à la juste valeur
marchande des actions lorsqu’elle déclare un dividende en actions47. Toutefois, il
semble accepté que l’article 43(2) LCSA48 permette au conseil d’administration de
fixer le « montant déclaré en numéraire » du dividende à un montant inférieur à
sa juste valeur marchande, de sorte que le capital déclaré des actions émises à titre
de dividende soit minimal49.
43 Voir la définition de « capital versé » au paragraphe 89(1) LIR.
44 « Table Ronde de Revenu Canada », dans Report of Proceedings of the Forty-Second Tax Conference,
1990 Conference Report (Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 1991), 50:34-68,
question 49, aux pp. 50:60-61.
45 Article 123.39 LCQ. Les lois sur les sociétés de plusieurs provinces prévoient la possibilité
d’émettre des actions à valeur nominale : la Colombie-Britannique (Business Corporations Act,
SBC 2002, c. 57, article 52(1)), le Nouveau-Brunswick (Loi sur les corporations commerciales,
LN-B, c. B-9.1, article 22(1), telle que modifiée), la Nouvelle-Écosse (Companies Act, RSNS
1989, c. 81, article 10, telle que modifiée), l’Alberta (Companies Act, RSA 2000, c. C-21, article
16(1), telle que modifiée) et l’Île-du-Prince-Édouard (Companies Act, RSPEI 1988, c. C-14,
article 13, telle que modifiée).
46 Article 24(1) LCSA.
47 Articles 26(2) et (3) LCSA.
48 Article 43(2) LCSA : « Le montant déclaré en numéraire des dividendes versés par la société
sous forme d’actions est porté au compte capital déclaré pertinent. » Les lois sur les sociétés de
trois provinces prévoient des dispositions essentiellement similaires : l’Ontario (Loi sur les
sociétés par actions, RSO 1990, c. B.16, article 38(2), telle que modifiée), la Saskatchewan
(Business Corporations Act, RSS 1978, c. B-10, article 41(2), telle que modifiée) et le Manitoba
(Loi sur les corporations, CPLM c. C225, article 41(2)).
49 Voir l’excellent article de Brian Nichols, « Corporate Law Matters of Interest to Tax
Practitioners », dans 1993 Ontario Tax Conference (Toronto : Association canadienne d’études
fiscales, 1993), 2B:1-31.
l’utilisation du revenu protégé par le versement de dividendes discrétionnaires
■
99
En somme, la plupart des lois sur les sociétés permettent l’émission d’un
dividende en actions fort-faible50, en autorisant soit l’émission d’actions à valeur
nominale, soit la fixation d’un capital versé inférieur à la juste valeur marchande
dans le cas d’un dividende en actions.
Une fois cette question réglée, il faut revenir à la question principale : le revenu
protégé des actions ordinaires est-il transféré aux actions privilégiées fort-faible
émises à titre de dividende ? Une telle affirmation semble aller à l’encontre du
principe généralement admis selon lequel le revenu protégé d’une société doit être
partagé entre les actionnaires en fonction de la période de détention des actions,
d’après une méthode de partage au prorata des actions51. Selon ce principe, les
actions nouvellement émises ne peuvent généralement pas bénéficier du revenu
protégé accumulé par la société avant leur émission puisque leur prix de base
rajusté reflète déjà ce revenu protégé.
Toutefois, il existe des exceptions à la règle de la période de détention des
actions, notamment dans les circonstances d’un roulement interne d’actions, tel
que déjà explicité52. Une autre exception existe pour les options d’achat d’actions
en ce que le revenu protégé attribuable aux actions doit être calculé à compter de
la date d’émission des options53. Cette exception est fondée sur le fait que la plusvalue accumulée entre la date d’émission de l’option et celle de l’acquisition de
l’action contribue au gain en capital ultérieur sur l’action; partant, la partie de cette
plus-value représentée par du revenu protégé est attribuable à cette action.
Ces deux exceptions sont fondées sur le texte du paragraphe 55(2) LIR et
respectent l’intention du législateur. Elles ne font que reconnaître que la proportion
du gain en capital latent attribuable à du revenu protégé demeure inchangée. En
effet, il faut bien comprendre que le « revenu protégé » d’une action représente la
partie du gain en capital latent sur cette action qui est attribuable à du revenu
gagné par la société après 1971, par opposition à la partie de ce gain en capital
latent qui est attribuable à autre chose comme, par exemple l’achalandage ou la
plus-value non réalisée des actifs. M. Sider expliquait cette notion ainsi :
I like to think of safe income not as an attribute of a corporation, but as an attribute
of a particular share held by a particular shareholder. I try to think not in terms of
50 À l’exception de Terre-Neuve : l’article 77(2) du Corporations Act, RSNL 1990, c. C-36, telle
que modifiée, se lit ainsi : « 77(2). Where shares of a corporation are issued in payment of a
dividend, the value of the dividend stated as an amount in money shall be added to the stated
capital account maintained or to be maintained for the shares of the class or series issued in
payment of the dividend. » (soulignement de l’auteure) Par ailleurs, l’article 46(1) de cette loi
interdit l’émission d’actions à valeur nominale.
51 Robertson, supra, note 10, à la p. 85; Nassau Walnut, supra, note 12; Gestion Jean-Paul
Champagne Inc. c. MRN, 97 DTC 155 (CCI) (ci-après « Gestion J.-P. Champagne »).
52 Voir la note 10 et le texte qui suit l’appel de note.
53 Gaétan Bisson, « Utilisation du revenu protégé », dans Congrès 99 (Montréal : Association de
planification fiscale et financière, 2000), 24:1-26, à la p. 24:15.
100
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canadian tax journal / revue fiscale canadienne
(2006) vol. 54, n o 1
the safe income of a corporation, but in terms of the safe income inherent in a share.
The concept behind subsection 55(2) and safe income is that as a corporation earns
income the value of the corporation’s shares increases, and the unrealized gain in
those shares held by a particular shareholder also increases. Therefore, safe income
of a particular share held by a particular shareholder is the portion of the unrealized
gain on that share that can reasonably be considered to be attributable to income
earned or realized by any corporation. Or, put another way, it is the portion of the
income earned or realized by any corporation that can reasonably be considered to
give rise to the unrealized gain on the share54.
Or, lors de l’émission d’un dividende en actions privilégiées à valeur de rachat
fixe, la juste valeur marchande des actions participantes est nécessairement réduite
du montant de la valeur de rachat des actions privilégiées55. Le gain en capital
latent sur les actions participantes est donc réduit d’autant. Ce gain en capital ne
disparaît pas, il est simplement transféré aux actions privilégiées qui, contrairement
à ce qui se produit lors d’une cristallisation par roulement interne, ont un prix de
base rajusté pratiquement nul. Les actions privilégiées ont donc un gain en capital
latent équivalant à leur valeur de rachat.
Puisque le gain en capital latent sur les actions privilégiées équivaut à la
réduction du gain en capital sur les actions ordinaires, n’est-il pas tout à fait logique
de prétendre que le gain en capital latent sur les actions privilégiées est attribuable
à du revenu gagné par la société après 1971, c’est-à-dire à du « revenu protégé »,
dans la même proportion que le gain en capital latent sur les actions ordinaires,
simplement transféré aux actions privilégiées, était lui-même attribuable à du
revenu protégé ?
La position administrative de l’ARC reconnaît ce principe :
In the case of stock dividends, an analysis will be required, after the payment of the
stock dividend, of the gain inherent in the original shares and in the shares constituting
the stock dividend, to ascertain the extent, if any, to which such gains are attributable
to income earned or realized by the corporation. For example, in the case of stock
dividends consisting of shares having a high redemption amount and nominal paid-up
capital, an allocation should be made of the safe income and safe income on hand
formerly attributable to the shares on which the dividend was paid, on the basis of
the relative amounts of the gains inherent in the original shares and in the shares
constituting the dividend. The amount of the stock dividend, as defined in
subsection 248(1), will reduce the safe income on hand of any issued shares of the
corporation56. (soulignement de l’auteure)
54 Sider, supra, note 3, aux pp. 5:6-7. Voir également Brender, supra, note 11, à la p. 809.
55 Voir infra, sous la rubrique « Juste valeur marchande des actions privilégiées ».
56 Robert J.L. Read, « Section 55: A Review of Current Issues », dans Report of Proceedings of the
Fortieth Tax Conference, 1988 Conference Report (Toronto : Association canadienne d’études
fiscales, 1989), 18:1-28, à la p. 18:9. Voir également ARC documents no 9720825, le 29 août 1997
et no 9430955, le 28 mars 1995; Sider, supra, note 3, à la p. 5:8; Lortie, supra, note 11, à la p. 291.
l’utilisation du revenu protégé par le versement de dividendes discrétionnaires
■
101
Il pourrait être argumenté que le transfert du gain en capital aux actions
privilégiées serait susceptible de léser les détenteurs des actions ordinaires si le
dividende était versé sur une autre catégorie d’actions plutôt que sur les actions
ordinaires, ce qui aurait pour effet que leurs détenteurs perdraient le bénéfice du
revenu protégé accumulé durant leur période de détention. Cet argument ne tient
toutefois pas compte des principes établis par la jurisprudence : le revenu protégé
n’est pas un droit personnel de l’actionnaire mais bien un droit rattaché aux
actions57. De plus, l’actionnaire ne perdrait aucun avantage puisque la proportion
du gain en capital latent sur ses actions qui est attribuable à du revenu protégé
demeurerait la même.
Le premier principe qui soutient la théorie de M. Sider est donc démontré :
lorsque des actions privilégiées sont émises à titre de dividende en actions, le
revenu protégé des actions participantes est transféré aux actions privilégiées, dans
la même proportion qu’il représentait par rapport au gain en capital latent58.
Juste valeur marchande des actions privilégiées
Le second principe fondamental qui sous-tend le raisonnement proposé, en
particulier à la première étape de la planification illustrée, est le postulat suivant :
la juste valeur marchande des actions participantes est réduite d’un montant
équivalant à la valeur de rachat des actions privilégiées. Cet énoncé repose à son
tour sur l’affirmation selon laquelle la clause de dividendes discrétionnaires
n’augmente pas la juste valeur marchande des actions privilégiées, qui est limitée à
leur valeur de rachat.
Il va sans dire que la planification proposée ne produira pas les conséquences
fiscales escomptées s’il peut être démontré par les autorités fiscales que la juste
valeur marchande des actions privilégiées excède leur valeur de rachat fixée par les
statuts. Dans un tel cas, la juste valeur marchande des actions ordinaires serait
réduite d’autant, de même que leur gain en capital latent et leur revenu protégé.
Le dividende versé sur les actions privilégiées à la troisième étape de la planification
proposée serait donc supérieur au revenu protégé des actions ordinaires, ce qui
entraînerait l’application du paragraphe 55(2) LIR à la totalité du dividende.
L’argument que les autorités fiscales pourraient invoquer afin de soutenir que
la juste valeur marchande des actions privilégiées excède leur valeur de rachat est
le suivant : en raison de la clause de dividendes discrétionnaires, les actions
privilégiées pourraient donner droit à des dividendes illimités, et donc permettre
de « vider » la valeur des actions ordinaires. Cet argument est-il bien fondé ?
57 McClurg, supra, note 28; Nassau Walnut, supra, note 12; Gestion J.-P. Champagne, supra, note 51.
58 Le même raisonnement devrait trouver application si les actions privilégiées sont émises dans le
cadre d’un échange en vertu des articles 86 ou 51 LIR plutôt que comme dividende en actions :
la valeur de rachat des actions privilégiées réduit la juste valeur marchande des nouvelles
actions ordinaires, ce qui entraîne la réduction du gain en capital latent et du revenu protégé
dans les mêmes proportions.
102
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canadian tax journal / revue fiscale canadienne
(2006) vol. 54, n o 1
Tout d’abord, le test approprié est bien la notion de « juste valeur marchande »,
puisque cette expression est employée textuellement au paragraphe 55(2) LIR qui
vise les dividendes qui ont eu pour effet ou pour objet de diminuer une partie du
gain en capital qui aurait été réalisé lors d’une disposition d’une action à sa « juste
valeur marchande ». Le gain en capital latent sur les actions privilégiées, composé
dans une certaine proportion de revenu protégé, est donc le gain en capital qui
serait réalisé s’il y avait disposition de ces actions pour un produit égal à leur juste
valeur marchande.
À première vue, le droit rattaché aux actions privilégiées de recevoir des
dividendes déclarés à la discrétion du conseil d’administration, à l’exclusion des
autres catégories d’actions, semble leur conférer une valeur supérieure à leur
valeur de rachat. Il faut cependant s’interroger sur la signification du concept de
« juste valeur marchande ». Selon la jurisprudence, la juste valeur marchande est
définie comme suit :
[…] le prix le plus élevé exprimé en argent comptant ou l’équivalent, convenu entre
un vendeur et un acheteur traitant sans lien de dépendance sur un marché libre et
non restrictif, les deux parties étant informées et n’agissant sous aucune contrainte59.
La valeur marchande des actions privilégiées est leur valeur sur le marché,
c’est-à-dire le prix que l’actionnaire pourrait obtenir d’un acheteur sans lien de
dépendance. Or, quel est le prix qu’un tel acheteur serait prêt à payer pour les
actions privilégiées ? Bien qu’elles donnent droit à des dividendes discrétionnaires,
ce « droit » n’est est pas véritablement un : il dépend de l’entière discrétion du
conseil d’administration, nommé par le détenteur des actions votantes, c’est-à-dire
les actions ordinaires. Ainsi, l’actionnaire détenteur de la majorité des actions
votantes contrôle indirectement le versement de dividendes discrétionnaires sur
les actions privilégiées. Par conséquent, un tiers n’ayant aucun lien de dépendance
avec le détenteur des actions votantes n’aurait aucune raison d’espérer que le conseil
d’administration déclare des dividendes sur les actions privilégiées, et pourrait
encore moins exiger le paiement de tels dividendes. Par conséquent, ce tiers
refuserait, en toute logique et avec raison, de payer quoi que ce soit relativement à
la clause de dividendes discrétionnaires, sans valeur pour lui. Tout au plus serait-il
prêt à payer la valeur de rachat, qu’il est certain de pouvoir obtenir puisque les
actions sont rachetables au gré de l’actionnaire au montant prévu par les statuts.
Les actions privilégiées pourraient-elles avoir une « juste valeur marchande »
différente pour leur détenteur s’il détient en même temps la majorité des actions
votantes et contrôle ainsi le versement de dividendes discrétionnaires par le conseil
59 Groupe d’investissement Savoie, Lavoie Inc. c. MRN, 92 DTC 1519, à la p. 1529 (CCI). Voir
également Marina Québec Inc. c. MRN, 92 DTC 1337, à la p. 1360 (CCI) (ci-après « Marina
Québec »); Sweeney c. La Reine, 90 DTC 6507 (CF 1re inst.); Yager c. La Reine, 85 DTC 5413, à
la p. 5416 (CF 1re inst.).
l’utilisation du revenu protégé par le versement de dividendes discrétionnaires
■
103
d’administration ? D’abord, la jurisprudence a reconnu à maintes reprises que la
juste valeur marchande d’un bien n’est pas celle que lui accorde son propriétaire :
[…] on peut affirmer que la valeur d’un bien aux yeux d’un propriétaire qui est dans
une position privilégiée n’est pas ce que l’on doit entendre par l’expression juste
valeur marchande60.
Dans l’affaire Terry c. La Reine61, l’actionnaire qui détenait à la fois les actions
votantes (catégorie B) et les actions non votantes (catégorie A) avait fait don à ses
enfants des actions non votantes. Comme l’impôt sur les dons était en vigueur à
l’époque, la Cour fédérale devait déterminer la juste valeur marchande des actions
non votantes qui avaient fait l’objet de ce don. La Cour conclut que leur valeur
était pratiquement nulle, puisqu’il ne fallait pas tenir compte de la détention des
actions votantes par le même actionnaire :
Normally voting shares (here, the B shares) have some premium. Votes control
management and operations. Here, the hypothetical purchaser in the market place is
only looking at the A shares. If he bought at all, he would not be buying control. I
agree with Beach: The Class A and Class B, as a package, might have had some value
to a hypothetical purchaser. But the Class A shares alone held, in my opinion, no
interest to an outsider, and had no value in a potential purchaser’s eyes62.
La juste valeur marchande des actions privilégiées ne doit donc pas être
déterminée en tenant compte de la détention des actions ordinaires par le même
actionnaire, ce qui lui permettrait de contrôler le versement des dividendes
discrétionnaires. Elle doit plutôt être calculée en fonction d’un tiers non lié qui ne
détiendrait que les actions privilégiées et qui, par conséquent, non seulement
n’aurait aucun contrôle sur le versement des dividendes discrétionnaires mais ne
pourrait raisonnablement s’attendre à en recevoir dans le futur.
Toutefois, certaines décisions ont reconnu la théorie de l’acheteur « spécial »63
ou encore, de la « valeur au propriétaire »64. Dans l’affaire Marina Québec, il s’agissait
d’évaluer la juste valeur marchande d’actions privilégiées à valeur nominale,
rachetables uniquement au gré de la société. Le ministère soutenait que la valeur
des actions était nulle, puisque l’actionnaire ne pouvait exiger le rachat de ses
60 Groupe d’investissement Savoie, Lavoie Inc., supra, note 59, à la p. 1529; voir également National
System of Baking of Alberta Limited c. La Reine, 80 DTC 6178, à la p. 6181 (CAF) : « Be it market
value or fair market value, it is the value in the marketplace, not the value to a particularly
situated or motivated investor, that is to be determined. »
61 85 DTC 5179 (CF 1re inst.).
62 Ibid., à la p. 5182. Voir également Levitt c. MRN, 76 DTC 1047 (CRI).
63 Morneau c. La Reine, 98 DTC 2199 (CCI).
64 Marina Québec, supra, note 59.
104
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canadian tax journal / revue fiscale canadienne
(2006) vol. 54, n o 1
actions, n’étant pas détenteur des actions votantes. Le juge Tremblay de la Cour
canadienne de l’impôt conclut que la juste valeur marchande correspondait à la
valeur nominale, bien qu’un tiers non lié n’aurait pas accepté de payer ce montant
pour les actions :
La base de l’évaluation des actions en litige ne peut être celle qu’on trouve sur un
marché libre. Des actions privilégiées aux dividendes non cumulatifs et rachetables
au gré de l’émetteur ne peuvent en effet y trouver preneur. Elles n’ont aucun intérêt
pour un investisseur à moins qu’elles soient émises dans le cadre d’une réorganisation
d’entreprise où l’on peut relever la présence d’un contrôle direct ou indirect de la
part d’un détenteur des différentes catégories d’actions. L’appelante ne conteste pas
d’ailleurs ce fait (3.41).
La juste valeur marchande des actions doit être recherchée par le truchement du
concept de valeur au propriétaire et par l’application du principe que cette dernière
valeur est au moins égale à la juste valeur marchande65.
Il semble possible de distinguer les faits de cette affaire de ceux qui sont
pertinents à la planification proposée. D’abord, dans l’affaire Marina Québec, les
actions privilégiées étaient rachetables au gré de la société et non du détenteur, ce
qui n’est pas le cas dans la planification proposée. De plus, dans cette cause, la
question était de savoir si la juste valeur marchande des actions était inférieure à
leur valeur de rachat, alors que dans la planification proposée, il s’agit de déterminer
si elle peut lui être supérieure. Enfin, alors que dans Marina Québec les actions
privilégiées n’auraient pu trouver sur le marché aucun acheteur sans lien de
dépendance, dans la planification proposée les actions privilégiées pourraient très
bien trouver un acheteur indépendant.
Quoi qu’il en soit, même en admettant qu’il faille tenir compte de la « valeur
au propriétaire » pour évaluer les actions privilégiées, quelle serait cette valeur ? Il
s’agirait de la valeur que le détenteur de la majorité des actions votantes serait prêt
à payer pour obtenir les actions privilégiées. Mais pourquoi accepterait-il de payer
plus que leur valeur de rachat pour les actions privilégiées ? Puisque cet actionnaire
détient les actions votantes et contrôle ainsi le conseil d’administration, il peut
être assuré que la société ne déclarera pas de dividendes discrétionnaires sur les
actions privilégiées sans son consentement. En ce cas, il peut être indifférent au
fait que les actions privilégiées soient détenues par un tiers, puisqu’il peut s’assurer
qu’aucun dividende discrétionnaire ne soit déclaré. Il n’a donc aucun intérêt à
racheter ces actions, surtout pas pour un prix supérieur à leur valeur de rachat. Par
ailleurs, s’il préfère que les actions privilégiées ne soient pas détenues par un tiers,
l’actionnaire majoritaire n’a qu’à faire en sorte que le conseil d’administration
autorise le rachat des actions privilégiées du tiers, puisqu’elles sont rachetables au
gré de l’émetteur à leur valeur de rachat. Quel intérêt aurait-il donc à acheter ces
actions pour un prix supérieur à leur valeur de rachat ?
65 Ibid., à la p. 1388.
l’utilisation du revenu protégé par le versement de dividendes discrétionnaires
■
105
La juste valeur marchande des actions privilégiées serait donc la même, pour
l’actionnaire détenteur des actions votantes ou pour un tiers non lié, soit la valeur
de rachat, indépendamment de la clause de dividendes discrétionnaires.
Par ailleurs, serait-il possible que les actions ordinaires, lors de l’émission du
dividende en actions, subissent une réduction de leur juste valeur marchande
supérieure à la juste valeur marchande des actions privilégiées, entraînant ainsi les
conséquences fiscales négatives déjà mentionnées ? Cela semble hautement
improbable. D’une part, cela signifierait que la valeur totale des actions de la
société aurait été réduite, ce qui semble impossible puisque la valeur des actifs
tangibles et intangibles détenus par la société n’a pas changé. Où serait donc
passée la valeur des actions ? D’autre part, la clause de dividendes discrétionnaires
rattachée aux actions privilégiées ne menace pas la valeur des actions ordinaires,
puisque ce sont les actions ordinaires qui confèrent le droit de vote : le détenteur
des actions ordinaires contrôle donc le conseil d’administration et, partant, le
versement des dividendes discrétionnaires. Ainsi, un tiers sans lien de dépendance
qui désirerait acheter les actions ordinaires serait prêt à débourser le même
montant qu’en l’absence de la clause de dividendes discrétionnaires, puisqu’il
aurait de toute façon l’assurance que de tels dividendes ne pourraient être versés
sur les actions privilégiées sans son consentement. Il n’y a donc aucune réduction
de la juste valeur marchande des actions ordinaires à la suite de l’émission des
actions privilégiées, autre que celle due au montant de la valeur de rachat.
Bien entendu, lorsque des dividendes discrétionnaires seront effectivement
versés, la valeur des actions ordinaires sera réduite d’autant : c’est sur ce principe
que repose la troisième étape de la planification illustrée. Ce n’est toutefois pas la
simple existence de la clause de dividendes discrétionnaires qui entraîne cette
réduction de valeur. L’argument selon lequel les actions privilégiées pourraient
complètement vider les actions ordinaires de leur valeur, et que cette simple
possibilité réduirait immédiatement la valeur des actions ordinaires, ne tient pas
compte du fait que cette possibilité ne dépend nullement de la volonté des
détenteurs des actions privilégiées, mais plutôt de celle des détenteurs des actions
ordinaires qui ont le contrôle des dividendes discrétionnaires : pourquoi cela
réduirait-il la valeur des actions ordinaires ?
Le problème soulevé par l’évaluation des actions auxquelles est rattachée une
clause de dividendes discrétionnaires provient de la nature même de ces
dividendes. En fait, si problème d’évaluation il y a, il relève du fait que les clauses
de dividendes discrétionnaires sont maintenant admises en droit des sociétés, à la
suite de décisions rendues par la Cour suprême66. Il faut à présent assumer les
conséquences de ces décisions jusqu’à leur aboutissement logique.
En somme, compte tenu de ce qui précède, il paraît peu probable que les
autorités fiscales puissent contester avec succès la juste valeur marchande des
actions privilégiées.
66 McClurg, supra, note 28; Neuman, supra, note 29.
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Réduction du revenu protégé des actions participantes par le
versement d’un dividende sur les actions privilégiées
Le troisième principe illustré par la planification proposée, qui constitue le
fondement théorique de la troisième étape, est le suivant : le dividende versé sur
les actions d’une catégorie peut avoir pour effet de réduire le revenu protégé des
actions d’une autre catégorie. En effet, le versement d’un dividende sur des actions
privilégiées à valeur de rachat fixe réduit la valeur des actions participantes et non
la valeur des actions privilégiées. Le dividende réduit donc le gain en capital latent
sur les actions participantes et, partant, le revenu protégé des actions
participantes. M. Sider explique ainsi son raisonnement :
A dividend on a fixed-value redeemable share does not reduce the value of that share;
it reduces the value of the shares that are entitled to the remaining property of the
corporation on liquidation or dissolution. This concept is reflected in subsection
110.6(8), which contemplates the opposite situation in which the lack of payment of
dividends on a share causes the value and thus the gain on other shares to be greater
than it would otherwise be. It is also reflected in the use in subsection 55(2) of the
term “any share,” the obvious inference being that a dividend on a share may reduce
the gain on another share. Therefore, to determine whether subsection 55(2) applies
to a dividend, it is first necessary to determine the share whose value has been
reduced by the dividend. It is then necessary to determine what portion of the gain
on that share was, immediately before the dividend, attributable to something other
than income earned or realized by any corporation. If that portion of the gain is still
intact after the dividend, subsection 55(2) does not apply to the dividend67.
(soulignements de l’auteure)
Cette conception innovatrice du revenu protégé semble, à première vue, aller à
l’encontre de la conception généralement admise selon laquelle le revenu protégé
qui doit être considéré, eu égard au paragraphe 55(2) LIR, est celui relatif aux
actions sur lesquelles le dividende a été versé.
Le raisonnement de M. Sider est fondé sur le texte même du paragraphe 55(2)
LIR, dont voici un extrait :
[…] un dividende imposable […] dont l’un des objets […] a été de diminuer
sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors
d’une disposition d’une action du capital-actions à la juste valeur marchande
immédiatement avant le dividende et qu’il serait raisonnable de considérer comme
étant attribuable à autre chose qu’un revenu gagné ou réalisé par une société après
1971 […]. (soulignements de l’auteure)
En paraphrasant plus simplement, la proposition suivante peut être énoncée :
« un dividende dont l’objet a été de diminuer la partie du gain en capital qui aurait
67 Sider, supra, note 3, aux pp. 5:9-10.
l’utilisation du revenu protégé par le versement de dividendes discrétionnaires
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été réalisée lors d’une disposition d’une action ». L’emploi de l’article indéfini
« une » établit clairement l’intention du législateur : l’action dont le gain en
capital latent est diminué par le dividende peut être n’importe quelle action, pas
nécessairement l’action sur laquelle le dividende a été déclaré et versé. La version
anglaise du paragraphe 55(2) LIR le confirme : « the portion of the capital gain
that […] would have been realized on a disposition at fair market value of any
share of capital stock […] ». (soulignements de l’auteure)
De plus, les pronoms relatifs « qui » et « qu’ », soulignés dans l’extrait ci-dessus,
ont tous deux comme antécédent le nom « partie ». En conséquence, les conditions
établies par chacune des propositions suivant ces pronoms, à savoir celle qui vise le
gain en capital hypothétique et celle qui vise le revenu gagné, sont relatives à « la
partie du gain en capital … sur une action ». L’utilisation de la conjonction « et »
rend ces conditions cumulatives.
Ainsi, il est clair que deux conditions doivent être satisfaites pour entraîner
l’application du paragraphe 55(2) LIR :
■
■
une diminution sensible de la partie du gain en capital qui aurait été réalisée
lors de la disposition d’une action ; et
cette diminution touche la partie du gain en capital latent sur cette action
qu’il est raisonnable de considérer comme étant attribuable à autre chose
que du revenu gagné par une société.
De ces deux conditions découle donc logiquement la démarche proposée par
M. Sider : il faut d’abord se demander quelles sont les actions sur lesquelles le gain
en capital latent a été réduit à la suite du versement du dividende; une fois ces
actions identifiées, il faut déterminer si la partie du gain en capital sur ces actions
qui a été réduite par le dividende est attribuable à autre chose que du revenu
gagné par la société ou, en d’autres termes, si la réduction du gain en capital latent
sur ces actions excède la partie du gain en capital latent sur ces actions qui est
attribuable à du revenu protégé.
Dans la planification proposée, le paiement du dividende sur les actions
privilégiées réduit évidemment la valeur des actifs détenus par la société opérante.
Or, puisque la valeur de rachat des actions privilégiées est fixe et n’est pas
diminuée par le versement de dividendes sur ces actions68, les seules actions dont
la valeur est diminuée sont les actions participantes en cas de liquidation ou de
dissolution, c’est-à-dire les actions ordinaires. Ainsi, le gain en capital latent sur les
actions ordinaires est réduit à la suite du versement du dividende, mais seulement
jusqu’à concurrence du revenu protégé sur les actions ordinaires. La partie du gain
en capital latent sur les actions ordinaires qui a été diminuée à la suite du versement
du dividende n’est pas attribuable à autre chose qu’à du revenu gagné par une
société après 1971 et, en conséquence, le paragraphe 55(2) LIR ne s’applique pas.
68 Pour les caractéristiques des actions, voir supra, note 14.
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Cette interprétation du paragraphe 55(2) paraît conforme au texte de loi ainsi
qu’à l’intention du législateur, et tout à fait compatible avec l’objet de la disposition
anti-évitement prévue au paragraphe 55(2), tel qu’exposé dans les notes explicatives
du ministère des Finances :
Le paragraphe 55(2) est une disposition anti-évitement qui est conçue pour faire
obstacle aux arrangements dans le cadre desquels une société utilise l’exemption pour
dividendes intersociétés pour réduire de façon injustifiée le gain en capital réalisé sur
une vente d’actions. […]
Le paragraphe 55(2) ne s’applique pas dans le cas où le gain qui a été réduit peut
être attribué à la fraction du revenu de l’action (le « revenu protégé ») qu’une société
a gagnée ou réalisée après 1971 et avant l’opération, l’événement ou le début de la
série d’opérations ou d’événements qui donne lieu à une disposition de biens, ou à
une augmentation de la participation dans la société, visée à l’alinéa 55(3)a). Le revenu
protégé échappe à l’application du paragraphe 55(2) parce qu’il a déjà été assujetti à
l’impôt sur le revenu des sociétés. Il peut donc être versé sous forme de dividende
libre d’impôt à d’autres sociétés canadiennes69. (soulignements de l’auteure)
Dans une planification comme celle qui est illustrée dans ce texte, le versement
d’un dividende sur les actions privilégiées ne retire de la société que le montant du
revenu qu’elle a gagné et qui a déjà été assujetti à l’impôt sur le revenu des sociétés.
L’objet et l’esprit du paragraphe 55(2) LIR sont respectés, puisque la transaction
n’a pas transformé en dividende un montant de gain en capital plus élevé que le
revenu protégé total.
D’ailleurs, il est généralement reconnu que le revenu protégé d’une société
peut provenir du revenu gagné par une autre société, par exemple une filiale, dans
la mesure où le revenu gagné par la filiale contribue à la valeur des actions de la
société qui verse le dividende et, du fait, au gain en capital latent sur ces actions70.
Cette règle découle de l’utilisation des termes « attribuable à autre chose qu’un
revenu gagné ou réalisé par une société après 1971 », le pronom indéfini « une »
désignant n’importe quelle société et non uniquement celle qui verse le dividende.
Or, s’il est possible pour une société de verser un dividende égal au revenu protégé
d’une autre société, sans transgresser l’esprit et l’objet du paragraphe 55(2) LIR,
pourquoi ne serait-il pas possible, à plus forte raison, de verser sur des actions
d’une catégorie de la société un dividende égal au revenu protégé rattaché aux
actions d’une autre catégorie de la même société ? De plus, puisque le mot « une »
dans le passage « revenu gagné ou réalisé par une société » du paragraphe 55(2)
(any corporation dans la version anglaise) a été interprété par la position
administrative et la jurisprudence comme visant n’importe quelle société, pas
69 Ministère des Finances, Notes explicatives, Projet de loi C-28, le 10 décembre 1997, dans
CCH en ligne, http://www.cchenligne.ca.
70 Robertson, supra, note 10, à la p. 87; ARC document no 9724745, le 31 décembre 1997; Lortie,
supra, note 11, aux pp. 282 et s.; La Reine c. Brelco Drilling Ltd., 99 DTC 5253 (CAF); Lamont
Management Limited c. La Reine, 2000 DTC 6256 (CAF).
l’utilisation du revenu protégé par le versement de dividendes discrétionnaires
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109
nécessairement la société qui verse le dividende, il semble tout à fait justifié de
soutenir que le même terme, « une », dans le passage « disposition d’une action
du capital-actions », dans le même paragraphe 55(2) (any share dans la version
anglaise), devrait être interprété comme visant n’importe quelle action, pas
nécessairement une action de la catégorie sur laquelle le dividende est versé. Le
même mot, utilisé dans le même contexte et, qui plus est, dans la même
disposition législative, devrait en toute logique avoir le même sens71.
Cette interprétation semble être acceptée par l’ARC. Dans une interprétation
technique récente, elle devait se prononcer sur l’application du paragraphe 55(2)
LIR lorsque des dividendes discrétionnaires sont déclarés et versés sur des actions
privilégiées. Dans cette interprétation technique, les actions de catégorie « F »
sont les actions privilégiées, et les actions de catégorie « A » sont les actions
participantes. Voici les commentaires de l’ARC :
Ceci étant dit, il est possible que, compte tenu des caractéristiques des actions de
catégorie F du capital-actions de OPCO, le paiement des dividendes sur ces actions ne
diminuerait pas sensiblement la partie du gain en capital qui serait réalisée lors d’une
disposition de telles actions à la juste valeur marchande. Toutefois, les dividendes
versés sur les actions de catégorie F de OPCO viendraient alors réduire le gain en
capital qui pourrait être réalisé sur les actions de catégorie A du capital-actions de
OPCO. Dans la mesure où le montant des dividendes serait égal ou inférieur au
revenu protégé en main attribuable aux actions de catégorie A de OPCO et réalisé
avant le « moment de détermination du revenu protégé », le paragraphe 55(2) ne
serait alors pas applicable. […] Dans les circonstances, les dividendes payés sur les
actions de catégorie F de OPCO réduiraient le revenu protégé en main attribuable aux
actions de catégorie A de OPCO72. (soulignements de l’auteure)
Dans une autre interprétation technique, l’ARC a récemment confirmé que
lorsqu’une société verse un dividende sur des actions privilégiées, il en résulterait
une réduction du revenu protégé des actions ordinaires :
[…] the dividends paid by Cco on the preferred shares owned by Aco would reduce
the safe income available to the common shareholder of Cco. In such circumstances,
we do not think it would be unreasonable to permit such dividends to be included in
the safe income of Aco and, in our view, such a conclusion would not be inconsistent
with the Agency’s position that safe income can not be created by the payment of
dividends in a corporate chain. The payment of dividends on the Cco preferred
shares does not create safe income but merely reallocates it from the holder of the
common shares of Cco to Aco, the holder of Cco’s preferred shares73. »
(soulignements de l’auteure)
71 Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 3e éd. (Montréal : Les Éditions Thémis, 1999), 419.
72 ARC document no 2002-0158885, le 4 novembre 2002.
73 ARC document no 2004-0059891I7, le 9 février 2004.
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Tel que déjà mentionné, dans la planification proposée le revenu protégé total
reste le même, il est simplement versé aux détenteurs d’actions privilégiées plutôt
qu’aux détenteurs d’actions ordinaires. Les détenteurs d’actions ordinaires ont-ils
perdu un « droit acquis » au revenu protégé des actions ordinaires, au bénéfice des
détenteurs d’actions privilégiées ? La réponse est non, puisque selon les principes
établis par la jurisprudence74, le revenu protégé n’est pas un droit personnel de
l’actionnaire mais bien un droit rattaché aux actions. En effet, la présomption
d’égalité des actions peut être renversée par la division des actions en différentes
catégories dont les droits sont prévus dans les statuts75.
Le droit au revenu protégé rattaché aux actions de chacune des catégories
dépend donc des statuts. En prévoyant une catégorie d’actions auxquelles est
rattaché un droit à des dividendes discrétionnaires illimités, les statuts dérogent à
la présomption d’égalité des actions et, partant, dérogent à la règle du partage du
revenu protégé au prorata des actions.
Le bien-fondé en droit de la conception du revenu protégé proposée par
M. Sider a donc été démontré, eu égard à la jurisprudence, aux principes
fondamentaux du droit des sociétés et à l’interprétation du texte et de l’objet du
paragraphe 55(2) LIR.
P R O B L È M E S P R AT I Q U E S S O U L E V É S P A R
L A PL ANIFIC ATION PROPOSÉE
Avantage conféré à la société de gestion
Y a-t-il, au sens du paragraphe 15(1) LIR, eu un avantage conféré à la société de
gestion par la société opérante ? L’actionnaire a-t-il disposé d’un droit, d’un intérêt
ou d’une participation quelconque dans la société opérante, en faveur de la société
de gestion, ce qui entraînerait l’application de l’alinéa 69(1)b) LIR ? Enfin, peut-il
y avoir application du paragraphe 56(2) LIR au versement du dividende
discrétionnaire ?
Tout d’abord, le versement du dividende discrétionnaire ne peut à lui seul
entraîner l’imposition d’un avantage pour la société de gestion, puisque l’exception
prévue à l’alinéa 15(1)b) écarterait d’emblée l’application du paragraphe 15(1) LIR.
Le seul avantage qui pourrait être visé par cette disposition découlerait de
l’émission des actions privilégiées sans contrepartie suffisante; or, en l’espèce, les
actions privilégiées ont été émises à l’actionnaire à titre de dividende en actions.
L’exception de l’alinéa 15(1)b) s’appliquerait donc également76.
74 Nassau Walnut, supra, note 12; Gestion J.-P. Champagne, supra, note 51; McClurg, supra, note 28.
75 McClurg, supra, note 28, aux pp. 1041-42; 5007.
76 Si les actions privilégiées avaient été émises dans le cadre d’un échange en vertu des articles 86
ou 51 LIR, il ne pourrait y avoir de contrepartie insuffisante puisque l’actionnaire aurait
échangé ses actions ordinaires contre de nouvelles actions, la totalité des nouvelles actions
ayant la même valeur que la totalité des actions échangées.
l’utilisation du revenu protégé par le versement de dividendes discrétionnaires
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111
Quant à l’alinéa 69(1)b) LIR, il ne peut s’appliquer à l’émission des actions
privilégiées puisque l’émission ne constitue pas une disposition77. Par contre, à la
deuxième étape, il y a clairement disposition des droits de l’actionnaire en faveur
de la société de gestion puisqu’il lui transfère ses actions privilégiées. Toutefois, en
contrepartie de cette disposition, l’actionnaire reçoit des actions ordinaires de la
société de gestion dont la juste valeur marchande ne peut, en toute logique, être
inférieure à la valeur des actions privilégiées détenues par la société de gestion.
Indépendamment de la valeur marchande des actions privilégiées, la valeur des
actions ordinaires de la société de gestion en dépend directement et elles sont
détenues en totalité par l’actionnaire78. L’article 69 ne saurait donc s’appliquer,
puisqu’il y a eu contrepartie suffisante. Quant au versement du dividende
discrétionnaire, il ne constitue pas une « disposition ».
Enfin, le paragraphe 56(2) LIR ne peut s’appliquer au versement du dividende
discrétionnaire car, dans l’affaire Neuman, la Cour suprême a tranché cette
question ainsi :
le par. 56(2) ne s’applique pas aux revenus de dividendes étant donné que, jusqu’à ce
qu’un dividende soit déclaré, les profits appartiennent à la société à titre de bénéfices
non distribués. On ne saurait donc dire que la déclaration d’un dividende constitue
un détournement d’un avantage dont le contribuable aurait autrement bénéficié79.
Puisqu’il s’agissait précisément dans cette affaire de dividendes discrétionnaires, la
ratio decidendi s’applique directement à la planification proposée.
Règle générale anti-évitement
Quelques mots s’imposent sur l’application de la règle générale anti-évitement à
une telle planification80. En suivant le test d’application élaboré par la Cour d’appel
fédérale dans l’arrêt OSFC Holdings Ltd. c. Canada81, il faut d’abord déterminer s’il y
a eu opération d’évitement et, ensuite, s’il y a eu mauvais usage des dispositions
spécifiques de la Loi, ou abus des dispositions de la Loi lue dans son ensemble.
77 Voir l’alinéa m) de la définition de « disposition » au paragraphe 248(1) LIR.
78 Sans se prononcer catégoriquement sur cette question, l’auteure tient à faire remarquer qu’il
pourrait en être autrement si d’autres personnes liées étaient actionnaires de la société de
gestion : il pourrait alors être possible de soulever l’argument selon lequel le transfert des
actions privilégiées a pu donner lieu à une disposition des intérêts de l’actionnaire principal
dans la société opérante en faveur de personnes qui lui sont liées, par exemple sa conjointe.
Voir La Reine c. Kieboom, 92 DTC 6382 (CAF).
79 Neuman, supra, note 29, paragraphe 46.
80 Article 245 LIR.
81 [2002] 2 CF 288 (CAF) (ci-après « OSFC Holdings »). Au moment de l’édition de cet article, les
décisions de la Cour suprême du Canada n’avaient pas encore été rendues dans les affaires
Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 RCS 601 et Mathew c. Canada, [2005] 2 RCS
643. La conclusion de l’auteure quant à l’application de la disposition générale anti-évitement
demeure inchangée à la lumière de ces décisions.
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Pour déterminer si la transaction proposée contient une opération d’évitement,
deux critères s’appliquent : le critère des résultats, qui exige qu’il y ait un avantage
fiscal découlant d’une opération ou d’une série d’opérations, et le critère de
l’objet, qui exige de déterminer l’objet principal de chaque opération faisant partie
de la série; seule une opération dont l’objet principal était d’obtenir un avantage
fiscal est une opération d’évitement.
Dans la transaction proposée, il est clair qu’un avantage fiscal découle de la
série d’opérations, soit la réduction du gain en capital lors de la disposition des
actions. Quant aux opérations en cause, il faut les analyser une par une afin d’en
déterminer l’objet principal. Le versement d’un dividende en actions à la première
étape, ainsi que le versement du dividende sur les actions privilégiées à la troisième
étape, seraient susceptibles d’être considérées comme des opérations d’évitement
car elles visent principalement l’obtention d’un avantage fiscal, à savoir la
réduction du gain en capital par l’utilisation du revenu protégé. Quoi qu’il en soit,
l’auteure est d’avis que même en admettant que ces étapes sont des opérations
d’évitement, le paragraphe 245(4) LIR trouverait application afin d’empêcher la
recaractérisation des conséquences fiscales en vertu du paragraphe 245(2) LIR.
Ensuite, pour déterminer l’application du paragraphe 245(4) LIR, il faut passer
au second volet du test établi par l’arrêt OSFC Holdings qui compte deux parties :
■
■
Misuse test : une opération d’évitement a-t-elle entraîné un mauvais usage
des dispositions spécifiques de la Loi ?
Abuse test : une opération d’évitement a-t-elle entraîné un abus des
dispositions de la Loi lue dans son ensemble ?
Quant au misuse test, il faut d’abord déterminer la politique générale sousjacente aux dispositions en question. Le paragraphe 55(2) LIR est une disposition
anti-évitement spécifique ayant pour objet d’empêcher, dans certaines circonstances,
la conversion d’un gain en capital réalisé lors de la disposition d’actions en un
dividende inter-sociétés libre d’impôt. Toutefois, le mécanisme de cette disposition a
pour objet de permettre le retrait, en franchise d’impôt, du revenu gagné entre 1971
et le moment de détermination du revenu protégé : le gain en capital attribuable à
ce revenu protégé est expressément exclu de l’application du paragraphe 55(2) afin
d’éviter la double imposition du revenu gagné qui a déjà été assujetti à l’impôt sur
le revenu dans l’année où il a été réalisé. C’est d’ailleurs ce que révèlent les Notes
explicatives du ministère des Finances relatives au paragraphe 55(2), déjà citées82.
Toutes les opérations d’évitement en cause dans la planification proposée ne
font rien de plus que verser, sous forme de dividendes, le montant du revenu
protégé. Cette transaction ne crée pas d’attributs fiscaux de façon artificielle, elle
ne fait que permettre aux actionnaires de retirer, sous forme de dividendes intersociétés, le montant du revenu protégé sur lequel l’impôt des sociétés a déjà été
82 Voir supra, note 69.
l’utilisation du revenu protégé par le versement de dividendes discrétionnaires
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113
payé. En somme, les opérations d’évitement en cause sont visées par une
disposition anti-évitement spécifique, tout en étant exclues par une exception à
cette disposition, ce qui implique que l’intention du législateur était justement de
permettre les transactions en question. Il n’est donc pas raisonnable de considérer
que l’une ou l’autre des opérations d’évitement ait entraîné un abus ou un mauvais
usage des dispositions spécifiques de la Loi.
Pour ce qui est du abuse test, il serait également déraisonnable de considérer
que les opérations d’évitement en cause auraient entraîné un abus des dispositions
de la Loi lue dans son ensemble. En effet, l’un des principes qui sous-tendent la
Loi est que les bénéfices après impôt d’une société doivent normalement être
distribués aux actionnaires sous forme de dividendes, et non sous forme de gain en
capital83. La transaction proposée respecte ce principe, tout en respectant l’esprit
et la lettre du paragraphe 55(2) LIR.
CONCLUSION
La planification proposée par M. Vance Sider ouvre des possibilités fort
intéressantes pour les fiscalistes. Bien entendu, une telle planification peut
également être combinée avec d’autres techniques de planification fiscale afin
d’obtenir un résultat optimal, compte tenu des objectifs du client et de sa
tolérance au risque. Par exemple, cette technique se combine bien avec la
technique dite du « choix au Québec seulement », afin de profiter de la définition
du compte de dividendes en capital dans la Loi sur les impôts84, qui fait référence
au compte de dividendes en capital calculé en vertu de la LIR. Cette technique
consiste à faire le choix d’un dividende distinct en vertu de l’article 308.6f ) LI
(l’équivalent de l’alinéa 55(5)f ) LIR), sans faire un choix équivalent au fédéral.
Ainsi, un gain en capital est réalisé au niveau fédéral seulement et aucun impôt
n’est payable au Québec. En vertu de l’article 570b) LI85, ce gain en capital
augmente le compte de dividendes en capital autant au Québec qu’au fédéral.
Au-delà de la planification illustrée dans cet article, les principes sur lesquels elle
se fonde peuvent soutenir toute une variété de nouvelles planifications. L’auteure a
surtout tenté de démontrer le bien-fondé des principes établis par M. Sider.
Premièrement, lorsqu’un dividende en actions est déclaré et que des actions
privilégiées à faible capital versé et à valeur de rachat fixe sont émises en paiement
du dividende, le revenu protégé des actions ordinaires est transféré aux actions
privilégiées émises, dans la même proportion représentée par le revenu protégé
par rapport au gain en capital latent sur les actions ordinaires. Il en est ainsi parce
83 McNichol et al. c. La Reine, 97 DTC 111 (CCI); RMM Canadian Enterprises Inc. et al. c. La Reine,
97 DTC 302 (CCI).
84 LRQ, c. I-3 (ci-après « LI »).
85 « Table ronde provinciale (questions et réponses) », dans Congrès 2002 (Montréal : Association
de planification fiscale et successorale, 2003), 54:1-59, question 2.5, à la p. 54:24.
114
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que la valeur de rachat des actions privilégiées réduit la valeur des actions ordinaires
du même montant. Le gain en capital latent des actions ordinaires ainsi réduit est
transféré aux actions privilégiées, et ce gain en capital latent sur les actions
privilégiées est attribuable à du revenu gagné après 1971, dans la même proportion
qu’il l’était sur les actions ordinaires.
Deuxièmement, le versement d’un dividende sur des actions privilégiées à valeur
de rachat fixe diminue le revenu protégé des actions ordinaires, non celui des
actions privilégiées. En effet, le versement du dividende réduit la valeur des actions
ordinaires, ce qui entraîne une réduction du gain en capital latent sur ces mêmes
actions. Le paragraphe 55(2) LIR ne s’appliquera donc pas au dividende s’il n’excède
pas le revenu protégé des actions ordinaires, puisque le paiement du dividende n’a
pas eu pour résultat de diminuer la partie du gain en capital sur une action qui est
attribuable à autre chose que du revenu gagné par la société après 1971. M. Sider
propose le raisonnement suivant pour déterminer si le paragraphe 55(2) trouve
application : il faut d’abord se demander quelles sont les actions sur lesquelles le
gain en capital latent a été réduit par le dividende et il faut ensuite se demander si
la réduction du gain en capital latent sur ces actions excède la partie de ce gain en
capital latent qui est attribuable à du revenu protégé.
L’interprétation du revenu protégé que M. Sider propose est originale et
innovatrice, mais elle respecte l’esprit et l’objet du paragraphe 55(2). Elle permet
même d’aller encore plus loin. Ne serait-il pas possible, par exemple, d’émettre à
une société de gestion une seule action qui donnerait droit à des dividendes
discrétionnaires et qui aurait une valeur de rachat fixe d’un dollar ? La société
opérante pourrait verser régulièrement à la société de gestion des dividendes
n’excédant pas le revenu protégé des actions ordinaires, ce qui permettrait
d’obtenir une purification continue de la société opérante aux fins de la définition
de « société exploitant une petite entreprise ». Bien qu’une telle planification
puisse, à première vue, faire sourciller les autorités fiscales en raison du versement
de dividendes importants sur une action privilégiée à valeur de rachat pratiquement
nulle, les commentaires exprimés par l’auteure quant à la juste valeur marchande
des actions privilégiées à valeur de rachat fixe devraient s’appliquer, selon la même
logique, indépendamment du montant fixé à la valeur de rachat : un tiers non lié
ne serait pas intéressé à payer plus d’un dollar pour une telle action, sachant très
bien que rien ne lui garantirait le paiement de dividendes discrétionnaires.
En conclusion, les mystères du paragraphe 55(2) LIR sont loin d’avoir été
entièrement révélés, au grand bonheur des fiscalistes qui y trouveront encore bien
des défis et des occasions de stimuler leur créativité. L’auteure espère avoir
contribué à faire avancer la réflexion sur ce sujet complexe mais fort intéressant.

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