Sur le concept de la vérité dans les langues formalisées, §1
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Sur le concept de la vérité dans les langues formalisées, §1
Sur le concept de la vérité dans les langues formalisées, §1 , Le concept de la proposition vraie dans la langue quotidienne Alfred Tarski, 1935 Pour introduire le lecteur dans la matière de nos recherches, il me semble souhaitable de concevoir le problème de définir la vérité dans la langue quotidienne. Je voudrais en particulier mettre en perspectif les difficultés que l’on rencontre dans les essais de résoudre ce problème. Des plusieurs manières que l’on peut attaquer la construction d’une définition correcte de la vérité des propositions dans la langue quotidienne, l’essai de la définir sur le plan sémantique semble être le plus naturel. Je veux dire, une définition en mots : (1) une proposition vraie est une proposition qui dit que les choses sont comme ça et que les choses sont en effet comme ça. Sur le plan de la justesse, claritude et univocité formelles, cette formulation laisse encore beaucoup à désidérer. Mais le sens et l’intention générale semble être clair et compréhensible. C’est la tâche d’une définition sémantique de préciser cette intention et de la donner une forme correcte. Comme point de départ, certaines propositions d’un caractère speciale se présentent, qui peuvent passer comme des définitions partielles de la vérité d’une proposition, ou plus précis, comme des explications de certaines tournures concrètes de la langue quotidienne, du type “x est une proposition vraie”. Ce schéma général de ce genre de propositions est : (2) x est une proposition vraie si et seulement si p ; pour obtenir des déclarations concrètes, on substitue dans ce schéma au lieu du symbole “p” une proposition et au lieu de “x” un nom particulier quelconque de cette proposition. Si on a, pour une proposition, un nom particulier, alors on peut construire pour lui une déclaration du type (2), si ça nous est possible de donner la proposition désignée par ce nom. La catégorie des noms la plus importante et la plus fréquente, pour laquelle cette condition est réalisée, sont les noms de guillemets, parce que nous désignons avec ce terme tout nom d’une proposition (ou d’une autre expression quelconque, même vide de signification), qui est composée de guillemets (à gauche et à droite) et de la proposition qui est entre les guillemets et qui est exactement ce qui est désignée par le nom considéré. Comme exemple d’un tel nom de guillemets d’une proposition on peut prendre le nom “il neige”. L’explication de type (2) est dans ce cas : (3) “il neige” est une proposition vraie si et seulement s’il neige. 1 Une autre catégorie de noms particuliers de propositions pour lesquels on peut construire des explications analogues sont les noms structurel-descriptifs. On appelle ces noms de telle manière qui décrivent de quels mots la proposition désignée par le nom est composée et de quels signes chacun de ces mots est composé et dans quel ordre ces signes et mots se suivent. Ces noms peuvent être formulés sans l’aide de guillemets. Pour obtenir une telle description, il faut introduire dans la langue que l’on utilise un nom particulier quelconque (mais pas de noms guillemets) pour tous les lettres et tous les autres signes dont sont composées les mots et expressions de cette langue. Par exemple on pourrait choisir comme noms pour les lettres “a”, “e”, “f”, “j”, “p”, “x”... les désignations “A”, “E”, “Ef”, “Jé”, “Pé”, “Ixe”... Il est clair que l’on peut maintenant faire correspondre chaque nom de guillemets avec un nom structurel-descriptif sans guillemets et avec la même extension (cad. désignant la même expression) et vice versa. P.ex. le nom “neige” correspond avec “le mot qui est composé des six lettres consécutives qui suivent : En, E, I, Gé, E”. Il se comprend que l’on peut construire des définitions partielles du type (2) pour les noms structureldescriptifs des propositions. Ca se voit dans cet exemple : (4) une expression, qui est composée de deux mots, dont le premier de deux lettres consécutives suivantes : I, El, et le deuxième de sept lettres consécutives suivantes : En, E, I, Gé, E, est une proposition vraie si et seulement s’il neige. Des propositions analogues à (3) et (4) semblent être évident et semblent correspondre complètement avec la signification du mot “vrai”, comme exprimé dans (1). Elles ne laissent pas de doute sur la claritude de leur contenu et de la justesse de leur forme (sous la condition que les proposition que l’on a substituées dans (2) pour le symbole “p” ne laissent pas de doute). Il faut tout de même ajouter une restriction ici. Il y a des situations dans lesquelles des propositions d’exactement ce type, combinées avec certaines autres prémisses, intuitivement aussi évidentes, conduisent à une contradiction apparente, cad. l’antinomie du menteur. On donne une version très simple de cette antinomie, due à Lukasiewicz. Pour que tout se présente d’un coup d’oeil nous utiliserons le symbole “c” comme abbréviation typographique de la proposition “la proposition que l’on trouve imprimée sur cette page, ligne 3 compté en commençant du haut de la page”. Notons la proposition suivante : c n’est pas une proposition vraie 1 Prenant en compte la signification du symbole “c”, on peut constater empiriquement : (a) “c n’est pas une proposition vraie” est identique avec c Pour le nom de guillemets de cette proposition c (ou pour un autre nom particulier) on construit une explication du type (2) : (b) “c n’est pas une proposition vrai” est une proposition vraie si et seulement si c n’est pas une proposition vraie. Les prémisses (a) et (b) pris ensemble donnent immédiatement une contradiction. 1 Cette proposition se trouve dans la version original sur la ligne 3 2 c est une proposition vraie si et seulement si c n’est pas une proposition vraie Le source de cette contradiction peut être trouvé aisément : pour construire la déclaration (b), on a substitué pour le symbole “p” dans le schéma (2) une expression qui contient elle-même le concept “proposition vraie” (et c’est pourquoi la déclaration obtenue, contrairement à p.ex. (3) ou (4) ne peut plus être considérée comme définition partielle de la vérité). On ne peut néanmoins pas trouver un argument valide pour défendre de telles substitutions en principe. Je me borne ici à la formulation de l’antinomie ici-dessus et je tiens en réserve de tirer les conséquences de ce fait. Faisant abstraction de cette difficulté, j’essaierai d’abord de construire une définition de la proposition vraie en généralisant les explications du type (3). A première vue, ce problème semble être bien léger – en particulier pour celui sait utiliser l’apparat de la logique mathématique moderne. On pourra penser que la substitution d’une variable de proposition quelconque (cad. d’un symbole , que l’on peut substituer avec des propositions arbitraires) en (3) pour l’expression deux fois répétée “il neige” ensemble avec la constatation, que la formule ainsi construite soit valable pour chaque valeur des variables, que ces deux faits conduisent à une proposition qui contient tous les déclarations du type (3) comme cas spéciaux : (5) pour un p arbitraire – “p” est une proposition vraie si et seulement si p. La proposition ci-dessus ne peut pas servir comme définition générale de l’expression “x est une proposition vraie” parce que l’ensemble des substitutions possibles pour le symbole “x” est ici limité aux noms de guillemets. Pour éliminer cette restriction, on devrait se reclamer du fait connu que toute proposition vrai (a fortiori, toute proposition) correspond à un nom de guillemets, qui désigne cette proposition. De ce fait, une généralisation de la formulation (5) peut être faite comme suit : (6) pour un x arbitraire – x ist une proposition vraie si et seulement si – pour un certain p – x est identique avec “p” et p. A première vue, on serait tenté de prendre la proposition (6) comme une définition sémantique correcte et valable pour l’expression “proposition vraie”, qui de manière précise réalise l’intention de la formulation (1), et qui peut être reconnue comme solution satisfaisante du problème que l’on traı̂te ici. A fond, la chose n’est pas si facile que ça : du moment que nous commçons à analyser la signification des nom de guillemets que l’on trouve dans (5) et (6), nous remarquons une série de difficultés et dangers. On peut traı̂ter les noms de guillemets comme les mots d’une langue, cad. comme des expressions syntactiquement simples ; les composants de ces noms – les guillemets et les expressions entre ces guillemets – ont la même fonction que les lettres ou les complexes de lettres suivantes dans les mots, ils n’ont pas, alors, un signification indépendante. Chaque nom de guillemets est un nom particulier constant d’une expression déterminée (cad. de l’expression entre guillemets), et ce nom a le même caractère que les noms propres des hommes ; p. ex. le nom “ “p” ” est une des lettres de l’alphabet. Dans cette interprétation, qui semble être la plus naturelle et complètement correspondante à l’usage habituelle des guillemets, les définitions partielles du type (3) ne peuvent pas être utilisées pour de généralisations. La proposition (5) resp. (6) ne peut pas être prise comme 3 généralisation : si on applique le règle de substitution sur (5) on n’a pas le droı̂t de substituer quoique ce soit pour “p” (en partie composante d’un nom de guillemets), de la même manière que l’on n’a pas le droı̂t de substituer quelque chose pour la lettre “v” dans le mot “vraie”. De là on n’obtient en conclusion pas (3), mais la proposition suivante : “p” ist une proposition vraie si et seulement s’il neige. On voit que les propositions (5) et (6) ne sont pas de formulations de la pensée que l’on veut exprimer, et même plus, qu’elles sont apparemment sans sens. La proposition (5) conduit même directement à une contradiction, parce que l’on peut tirer d’elle, à part la conséquence déjà discutée, une conséquence contradictoire : “p” est une proposition vraie si et seulement s’il ne neige pas. La proposition (6) seule ne conduit pas à une contradiction, mais d’elle s’ensuit la conclusion à contre-sens que la lettre “p” serait la seule proposition vraie. Pour éclaircir les observations de ci-dessus, nous devons ajouter la remarque que l’on peut, en partant de cette conception du nom de guillemets, éliminer ces noms-là et les substituer p. ex. par les noms structurel-descriptifs correspondants partout. Si on regarde des explications du type (2) pour de telles noms, p. ex. l’explication (4), on ne voit aucune route qui mène à une généralisation de ces explications ; par contre, si on substitue dans (5) et (6) le nom de guillemets “ “p” ” par un nom structurel-descriptif de la même extension “Pe” (resp. “le mot, qui consiste de la seul lettre Pe”), alors le contresens des formulations ainsi obtenues devient immédiatement apparent. Pour sauver le sens des propositions (5) et (6), on doit prendre une autre interprétation du nom de guillemets. Ces noms doivent être traı̂tés comme des expressions composées selon le syntaxe, dont les parties composantes syntactiques sont les guillemets et les expressions dans ces guillemets. Pas tous les expressions de guillemets sont dans ce cas des noms constants : l’expression “ “p” ” dans (5) et (6) doit p. ex. être vue comme une fonction, dont l’argument est une variable de proposition et dont les valeurs sont des noms de guillemets constants de certaines propositions. Une telle fonction sera désignée comme fonction de guillemets. Les guillemets deviennent ainsi des mots autonomes, faisants partie de la sémantique. Sur le plan de la signification, ils sont près du mot “nom” et sur le plan syntactique ils ont le rôle d’opérateurs (Funktoren). Ils naissent de nouveaux complications. Le sens de la fonction de guillemets et des guillemets-mêmes n’est pas assez évident de lui-même. En tout cas, ce ne sont pas d’opérateurs extensionnels : la proposition pour tout p et q arbitraires – p si et seulement si q, alors “p” est identique avec “q” est sans aucun doute en contradiction flagrante avec la manière normale d’utiliser les guillemets. Pour cette raison seulle, la définition (6) serait inacceptable pour tous qui veulent éviter l’utilisation des opérateurs intensionnels et qui sont même de l’opinion que une analyse plus profonde rendrait impossible d’assigner une signification à de tels opérateurs. L’usage de la fonction de guillemets nous porte aussi le danger de nous compliquer dans plusiers antinomies sémantiques comme l’antinomie du menteur. Cela est le cas même si on – étant très prudent – n’utilise que les propriétés les plus évidentes des fonctions discutées. Contraire à la version de l’antinomie du menteur que l’on a vue ci-dessus, on peut aussi formuler l’antinomie sans l’expression “proposition vraie”, en introduisant les fonctions 4 de guillemets avec argument variable. On donnera une esquisse de cette formulation. 5