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Racines251_janv2014_Mise en page 1 19/12/13 18:03 Page8 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire | VIE LOCALE | 2014 : ce qui peut changer pour eux Fagor-Brandt, Heuliez, Notre-Dame-des-Landes : des noms qui font partie d’une actualité difficile. Comment ceux qui vivent ces événements abordent-ils 2014 ? M arie Molière a 54 ans. Derrière elle, 35 années passées au bureau d’études de l’entreprise Fagor-Brandt à La Roche-surYon, qui a déposé le bilan le 6 novembre dernier. Élue CGT au Comité d’entreprise depuis 2002, elle a connu les divers plans sociaux de la société d’électro-ménager (en 1998, 2001 et 2006) : “À chaque fois, on licenciait. 365 départs en 1998 ! Mais on en n’était pas au point que l’on connaît aujourd’hui, précise-t-elle. Depuis deux ans, les fournisseurs ne sont plus payés. Ils ne livrent plus. Donc on ne peut plus produire…” Rien ne sort de l’usine, rien ne se vend, aucun argent ne rentre… Un cercle vicieux. Depuis deux mois, Marie partage ses craintes et ses espoirs avec les 330 autres salariés yonnais, sur l’avenir de l’entreprise qui fabrique lave-vaisselle, lave-linge et sèche-linge pour les marques Vedette, Thompson, Sauter, De Dietrich et bien sûr, Brandt et Fagor. Mêmes inquiétudes pour le site d’Aizenay (une centaine d’emplois), où l’on produit des micro-ondes. Marie Molière travaille depuis 35 ans chez Fagor-Brandt à La Roche-sur-Yon, aujourd’hui en dépôt de bilan : “Oui, ce lave-vaisselle Sauter est sorti de notre usine !” | 8 | RACINES | Janvier 2014 | La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Racines251_janv2014_Mise en page 1 19/12/13 18:03 Page9 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire | “Pour le moment, nous sommes dans l’attente. Fagor Espagne a déposé le bilan le 13 novembre : manque de trésorerie et surtout, mauvaise gestion. Pour nos sites, en Vendée, l’administrateur judiciaire a fixé au 16 janvier la date limite de dépôt pour d’éventuelles offres de reprise. Il fera connaître sa décision le 16 février.” Les membres du CE, syndicats et direction, seront informés des scénarios proposés. D’ici là, rien ne filtre. Rachat par un groupe concurrent – qui pourrait ultérieurement licencier le personnel et s’approprier les marques – ou liquidation judiciaire définitive ? “Pourtant peu de temps avant le dépôt de bilan, des visites d’entrepreneurs avait laissé penser que l’on pourrait prévoir une activité de production complémentaire pour pallier l’activité saisonnière des sèche-linge. Les échos étaient positifs… Mais sans suite. Le dépôt de bilan a été prononcé.” Avant la date butoir du 16 février, Marie prévient qu’une grande marche devrait réunir les salariés du groupe autour du 14 janvier à Paris. “Ceux de La Roche-sur-Yon et d’Aizenay bien sûr mais aussi, espère la syndicaliste, ceux d’Orléans et de Vendôme, où le travail a repris début décembre.” Un retour au travail grâce aux aides financières de l’État qui ont gelé les dettes. Les ateliers de production yonnais ont rouvert à la mi- décembre. Une reprise partielle préparée par le personnel administratif du site yonnais, qui, lui, a continué à travailler en pointillé. Marie Molière n’a jamais connu le chômage. Elle ne cache pas son angoisse de devoir chercher un nouveau travail. “À 54 ans, je suis trop jeune pour la retraite et trop vieille pour me présenter à un entretien d’embauche pour un nouvel emploi.” Marie est mal à l’aise quand elle reste chez elle. “Je préfère aller à l’usine, pour les réunions même si c’est désolant de la voir vide. Je ne veux pas croire qu’on va disparaître. On a de sérieux atouts : le savoir-faire des salariés, la qualité des produits, et des marques d’électro-ménager reconnues et aimées par le public. Brandt et les autres…” Yvelise Richard VIE LOCALE | Et si l’aéroport… Le dossier est délicat. Explosif diront certains. Existera, existera pas ? Le projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes met en suspend l’avenir d’une quarantaine d’agriculteurs sur place. C’est le cas de Mickaël Mary. Q uand en 2005 Mickaël Mary rachète la ferme de Chavagnes à Treillères, dans la périphérie immédiate de Notre-Dame-des-Landes, il connaît bien sûr la polémique autour du projet de l’aéroport. 56 ha de son exploitation sont même directement concernés, soit 33 % de sa surface de production. Mais à l’époque, on lui soutient que l’aéroport ne verra jamais le jour : “T’inquiètes pas ! On en parle depuis les années soixante !”. Assez vite, finalement, les événements vont prendre une ampleur qu’il n’imaginait pas. En 2008, le projet est déclaré d’utilité publique. “Je ne comprenais pas ce qui se passait !”, se souvient l’agriculteur de 34 ans. La future ligne train-tram qui doit relier l’aéroport passe sous le nez de son troupeau laitier, à 10 m de sa stabulation. Et aucune indemnité n’est prévue pour compenser cette nuisance. En 2012, Mickaël et son associé ont accepté de signer le protocole d’éviction avec AGO, filiale de Vinci en charge de la mise en œuvre. “Cela veut dire que si l’aéroport se lance, on accepte de laisser nos terres. En contrepartie, AGO a versé des compensations financières aux 38 agriculteurs signataires (entre 1500 et 5000 €/ha selon les situations)”, explique Mickaël Mary devenu secrétaire général des Jeunes agriculteurs de Loire-Atlantique en 2013. Pas vraiment pour, mais pas définitivement contre l’aéroport, le JA préfère se battre sur le terrain des négociations foncières. “AGO refusait que l’on poursuive l’exploitation des terres cédées dans la ZAD (zone d’aménagement différé). On n’allait pas laisser 1600 ha à ne rien faire !”, scande Mickaël. Après négociations, les agriculteurs obtiennent le droit de travailler librement dans la zone, comme tous ceux qui avaient signé le protocole. 56 ha de l’exploitation de Mickaël Mary sont concernés par le projet de Notre-Dame-des-Landes. L’accord est revu tous les deux ans. Mais Mickaël a une autre revendication sous le bras : le fonds de compensation économique. “L’État s’y est engagé. On ne l’a pas oublié !”. Les acteurs du projet doivent constituer un fonds qui permettra aux agriculteurs de compenser la perte foncière et de financer leur projet de réinstallation. “C’est notre monnaie d’échange. Si AGO et le Conseil général veulent avancer sans nous, ce sera pire !” avertit l’agriculteur en faisant allusion aux tensions avec les militants anti-aéroport. Mickaël a le sentiment que “progressivement l’étau se resserre”. “On a déjà récupéré 26 ha pour notre exploitation. On commence à se restructurer. Longtemps on a repoussé la modernisation de notre outil de travail, faute de perspectives claires. On ne peut pas non plus se permettre de déménager. D’ailleurs il n’y a pas de terres disponibles. On cherche aussi un troisième associé mais l’avenir est trop incertain pour motiver quelqu’un. Tant pis, avec mon associé on a décidé de lancer la construction d’une nouvelle stabulation avec un système de compost végétal. Ce qui compensera le manque futur de surface : moins d’épandage et plus besoin de produire de la paille.” Catherine Baty | 9 | RACINES | Janvier 2014 | La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Racines251_janv2014_Mise en page 1 20/12/13 08:50 Page10 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire | VIE LOCALE | Heuliez est désormais derrière eux Depuis le 31 octobre 2013, Heuliez, a fermé ses portes à Cerizay. Gilles Deplanne et son épouse Marie-Noëlle, salariés de l’entreprise, doivent tourner la page d’une longue histoire. Ç a ne pouvait pas arriver. “Ce n’était pas imaginable”. Quand Gilles Deplanne entre chez Heuliez en 1980 comme opérateur sur la Simca 1100 utilitaire , c’est pour y faire carrière. L’entreprise a les reins solides. “Tout était très structuré, organisé”, explique l’ancien magasinier. À cette époquelà, la production était diversifiée : on sortait des ambulances, des plateaux pour l’armée, des bétaillères… Quand une série s’arrêtait on savait qu’il y avait une autre production qui démarrerait après”. Trente ans plus tard, et des milliers de BX, CX, XM, Xantia et autres 206 coupés dans le compteur, Gilles est amer. “Le premier grand coup est arrivé en 2006 : licenciements, fin des CDD”. Cette fois, rien à voir avec les petits coups de mous du passé entre deux commandes. Nouvelles difficultés en 2007, en 2009, puis en 2010. L’épouse de Gilles, Marie-Noëlle est licenciée, puis réintégrée quand le groupe Baelen Gaillard Industrie (BGI) reprend l’affaire en main. “On y croyait vraiment. Mais les promesses n’ont jamais été tenues”, lâche le couple déçu. Dans l’usine, les ouvriers constatent impuissants le ralentissement et se plient au chômage partiel pendant neuf mois. “Fin mars 2013, le patron nous annonce qu’il n’y a plus d’argent”, raconte Gilles. Progressivement le personnel assiste à une mort lente de l’usine. Les services ferment les uns après les autres. La prime supra légale sera l’ultime motivation pour être à son poste jusqu’aux derniers jours. Sur les lignes, la colère, l’illusion d’une reprise, la résignation se mélangent. “Il n’y a jamais eu de violence. Même notre blocage des expéditions en septembre dura à peine une semaine. Ceux qui devaient rester chez eux touchaient leur paie en intégralité. L’errance dans l’entreprise aurait pu susciter des mouvements de rébellion.” 31 octobre 2013, jour de deuil. Les bleus de travail sont pendus aux grilles. Discours, “verre de l’amitié”. L’assemblée se disperse. On rentre à la maison, parfois on prolonge avec quelques collègues. Depuis, le quotidien est au ralenti. On encaisse. “Parfois, les proches ne comprennent pas … (“il n’y a pas que toi dans cette situation”). Difficile de se mettre à notre place. J’ai travaillé huit ans chez Heuliez. Je n’ai pas perdu que mon emploi, confie Marie-Noëlle égratignée, à 47 ans, par ce mauvais coup du sort. J’ai perdu une ambiance, des collègues”. C’est son troisième licenciement. Et puis, il y a les réflexions blessantes ici et là : “Quel gaspillage tout cet Gilles travaillait pour l’équipementier Heuliez depuis 35 ans et Marie-Noëlle depuis 8 ans. argent public dépensé !”, “Ségolène ne pense qu’à Heuliez !”. Avec les anciens camarades d’usine, les échanges par téléphone, par mail, sont succincts. Untel a trouvé du boulot, un autre est en formation. Gilles a eu droit à son premier rendezvous à Pôle emploi. “Certains collègues sont passés très vite à autre chose. Moi, j’ai besoin de temps…. Je marche tous les jours pour évacuer tout ça. J’essaie de m’occuper, de m’imposer des horaires”. “Deux dans la même situation, c’est plus délicat, ajoute Marie-Noëlle. Si l’un de nous travaillait alors l’autre aurait quand même un rythme quotidien.” Elle a décidé de s’inscrire en intérim. Les primes de licenciement ne sont pas encore versées mais Gilles et MarieNoëlle perçoivent 80 % de leur salaire brut pendant un an(1). Ça leur va. Ils ne se plaignent pas. Le couple héberge son fils, salarié d’une ancienne filiale de BGI (fabrication de voitures sans permis) et en poste dans l’usine Heuliez. Pour lui aussi, ils ont eu peur. “Pour le moment, ça semble repartit”, espère Gilles. Un jour où Marie-Noëlle a dû récupérer son fils à Cerizay, elle a bien vu qu’on avait démonté des panneaux Heuliez. Le passé s’efface et 2014 doit désormais sonner comme un nouveau départ. Catherine Baty (1) Dans le cadre du dispositif Contrat de sécurisation professionnel et en contre partie du renoncement à leurs deux mois d’indemnités de préavis. | 10 | RACINES | Janvier 2014 | La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine