Conference de M. Serge DASSAULT

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Conference de M. Serge DASSAULT
Conference
de M. Serge DASSAULT
Genève, 26 juin 1985
Institut international d'études soda/es
Case postale 6
Téléphone 99 61 11
CH 1211 Genève 22
Télégrammes LABINST
Introduction
par
M. Elimane KANE
Directeur de l'Institut international
d'études sociales
Mesdames, Messieurs,
C'est notre très grande joie et notre fierté de pouvoir vous presenter
une conference sur le theme de la participation, theme qui, je sais, ne
laisse personne indifferent. Certes, ii a été, a certains egards, et surtout a
ses debuts, relativement controversé et a donné lieu a l'expression de
points de vue très opposes et a des pratiques très différentes. Mais la
notion et la pratique de la participation ont fait beaucoup de chemin,
même si les entendements a cet egard sont parfois différents, et elles tendent a devenir universelles.
Je suis très heureux que M. Serge Dassault ait accepte de venir nous
en parler. Le nom de Dassault est connu. L'Ambassadeur BarbozaCarneiro disait tout a l'heure: <<Le grand Dassault, le grand Marcel Dassault.>> M. Serge Dassault a un nom. Comme on dit en France, le plus
difficile pour lui était de se faire un prénom. Et il l'a fait de brillante
facon. M. Dassault est ingénieur, ancien elève de l'Ecole polytechnique,
ancien élêve de l'Ecole nationale supérieure de l'aéronautique. S'il était
difficile a M. Dassault de se faire un prénom, ii était peut-être encore
plus difficile pour un <<fils a papa>> d'entrer a Polytechnique et a l'Ecole
supérieure de l'aeronautique. En tout cas, ii lui aurait été beaucoup plus
facile de ne pas y entrer. Après ses etudes, M. Dassault est entré a la
<<Générale Aeronautique Marcel Dassault>> en 1951. Il y a dirige plusieurs des travaux relatifs aux essais en vol des Mystères et, en particuher, il a contribue de facon decisive a la génération des Mirages III et
IV. En 1963, M. Dassault quitte la <<Générale Aéronautique Marcel
Dassault>> pour prendre la direction de ha <<Société Electronique Marcel
Dassault>>, qui deviendra en 1982 <l'Electronique Serge Dassault>>, qui
s'est spécialisée dans le materiel electronique de haute technologie;
Nous avons parmi nous aujourd'hui un vrai patron qui dirige effectivement une entreprise employant directement trois mille personnes.
M. Dassault est un patron qui a des idées, j'ai pu le constater au cours
des deux heures que je viens de passer avec lui. Ii parle de la participation avec conviction. Ii a pubhié un remarquable ouvrage intitulé <<La
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gestion participative>> et nombre d'articles sur la question. Ii pratique la
participation dans son entreprise avec sérieux et succès. C'est donc une
experience directe et personnelle qu'il a bien voulu partager aujourd'hui
avec nous. Mais cette experience s'étend au-delà de son entreprise; je
rappelle que M. Dassault preside l'Association francaise pour la partici-
pation dans les entreprises et qu'il a été président et rapporteur de la
Commission du CNPF sur la participation active.
Je donne la parole a M. Dassault.
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La gestion participative
par
M. Serge DASSAULT
président-directeur général de l'Electronique
Serge Dassault, France
Quelle crise?
On pane beaucoup de crise depuis dix ans et l'on a tort d'utiliser ce
mot qui signifie un état transitoire dü a des conditions exceptionnelles
qui modifient brutalement une situation donnée. En réalité, les conditions exceptionnelles deviennent normales et l'état transitoire, permanent. Le choc pétrolier est devenu un fait, l'agressivité industrielle et
commerciale du Japon, une donnée du problème, le montant des prélèvements obligatoires plus élevé en France qu'ailleurs est un handicap
permanent. En vérité, ii ne s'agit pas d'une crise déclenchée par les
autres pays, mais par chacun d'entre eux, et d'une inadaptation du
système industniel, social, économique, politique qui multiplie les
contradictions.
Contradiction entre Ia structure industrielle et l'environnement
concurrentiel international
Les entreprises, encore trop tournées vers des activités en déclin,
avec un personnel surabondant, sont a bout de souffle et n'investissent
pas.
Contradiction entre les attentes des salaries et ce que leur offrent
les entreprises
Les salaries veulent, aujourd'hui, travailler dans une organisation
dynamique et humaine, faire un travail utile, pouvoir utiliser leurs connaissances et leur imagination. L'entreprise devrait compter en priorité
sur l'adhésion de son personnel pour élever ses performances.
Contradiction entre le social et l'economique
Ii ne faut plus considérer les avantages sociaux qui coütent, en oppo-
sition avec l'économique qui rapporte. L'erreur a été de croire trop
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longtemps a l'antinomie entre le social et l'économique, ce qui a conforte le principe de Ia lutte des classes. En vérité, le social et I'économique ne peuvent évoluer que parallèlement et non l'un contre l'autre.
II faut aussi se méfier du faux progrès social qui donne des avantages
aux salaries au detriment de 1' entreprise et qui finalement se retournera
contre les salaries. Le vrai progrès social est celui qui profite a la fois
aux salaries et a l'entreprise. C'est aussi celui de la qualité de la vie au
travail et la possibilité donnée a chacun d'exercer une responsabilité.
On a trop ion gtemps considéré le salarié comme une main. II est
aussi une tête et surtout un cceur.
Contradiction entre productivité et emploi
La nécessité absolue d'apporter des progrès technologiques dans la
fabrication réduit les emplois existants et compromet le plein emploi. Ii
serait cependant criminel d'y renoncer car on supprimerait ainsi l'amélioration permanente et indispensable de la productivité. Ii faut créer
des emplois nouveaux dans d'autres secteurs et y adapter les chômeurs.
Le partage du travail n'est pas une solution et les reductions d'horaires
ne peuvent qu'aggraver les charges et compromettre l'existence des
entreprises, donc de l'emploi.
Contradiction entre ía rigidite de fait et Ia flexibilite nécessaire
La flexibilité, l'adaptativité, Ia souplesse, c'est la vie, et mëme la survie pour les hommes comme pour les entreprises. Tout change et ii faut
s'adapter en permanence au changement des goUts des clients, des
modes, des concurrents, des technologies, des besoins, des matières premières, des composants.
Les rigidités tuent les entreprises, qu'elles soient internes comme les
structures trop hiérarchisées, les cloisons étanches entre les services, les
classifications professionnelles désuètes, le manque d'information, la
démotivation du personnel insuffisamment impliqué, ou qu'elles soient
externes comme la legislation trop contraignante, la reglementation trop
paralysante, le pouvoir syndical trop envahissant et irresponsable, les
contraintes sur les licenciements, la rigidité professionnelle, géographique des salaries qui ne veulent changer ni d'entreprise, ni de métier,
ni de commune, et la pression fiscale qui tue les investissements.
Contradiction entre le role de l'entreprise et son image
L'entreprise est contestée par l'opinion publique. Le patron est mal
aimé. Ii est tour a tour exploiteur s'il réussit, ou incapable s'il échoue.
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Contradiction entre l'entreprise et l'enseignement
L'enseignement est toujours en retard sur les besoins de l'économie,
sinon ignore par elle et réciproquement. Ii devrait, au contraire, coller
aux besoins de l'économie puisqu'il débouche sur elle et adapter les
matiêres enseignées, le nombre d'étudiants formés dans les différentes
disciplines a ses demandes.
Contradiction entre les partenaires de I'entreprise et sa finalité
Les salaries de l'entreprise doivent comprendre que sa finalité doit
être de satisfaire en priorité les clients. Dans un contexte de concurrence
internationale, de plus en plus rude avec des pays a coUts de production
pour assurer la
moms élevés, l'entreprise doit tout mettre en
satisfaction des clients en leur proposant un produit ou un service de
qualité parfaite. La qualité doit ëtre définie dans son sens large, c'esta-dire par l'aptitude du produit a satisfaire les clients par son coüt, son
délai, sa presentation, son service, sa fiabilité. La qualité n'est plus un
luxe mais une nécessité.
Ainsi toutes les contradictions que nous venons d'énumérer aboutissent a des situations de gaspillage, de mauvaise qualite de travail, de
rendement insuffisant, d'absentéisme, de démotivation, de conflits
sociaux, de diminution de compétitivité, de perte de clientele, de difficultés financières et de faillite.
Tous ces problèmes proviennent en tout, ou en partie, de conflits de
relations entre les salaries et leur entreprise. Celle-ci ne leur offre pas ce
qu'ils attendent, non pas tellement sur le plan des rémunérations qui ont
été codifiées, mais, en particulier, sur l'utilisation insuffisante de leur
capacité et de leur competence, sur les relations hiérarchiques ou interpersonnelles trop rigides ou froides, sur l'intérêt trop réduit de leur tra-
vail trop répétitif, sur un manque d'information, sur une reconnaissance insuffisante de leur dignité, et sur un manque de consideration,
d'oü une degradation de la productivité, de la qualité du travail et du
climat social.
Un changement de mentalité
L'entreprise, pour répondre a la fois aux besoins de ses clients en
leur fournissant les produits qui leur conviennent, aux besoins de ses
salaries en leur apportant la satisfaction et l'enrichissement qui leur sont
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nécessaires et aux besoins de ses actionnaires en leur degageant des profits substantiels, doit changer de mentalité, d'organisation et de structure. Elle doit opérer une veritable revolution culturelle, pour survivre,
pour permettre a l'économie de se développer et au chomage de disparaItre. Elle doit oublier les complexes capitalistes, les theories de lutte
des classes et s'orienter résolument vers une cooperation participative de
ses trois partenaires: les salaries, la direction et les actionnaires, pour
satisfaire en priorité les clients.
Ii lui faut s'adapter aux evolutions des marches et des produits, proliter des evolutions technologiques, motiver son personnel et s'ouvrir a
l'environnement. Ii lui faut réduire ses coüts de production, investir ses
propres ressources humaines en utilisant leur capacité de créativité et
d'innovation, mieux impliquer son personnel a toutes les decisions,
l'informer, le responsabiliser, l'intéresser a ses résultats et, finalement,
le rendre actionnaire.
Pour obtenir ces résultats, ii faut appliquer la gestion participative.
D'oiI vient la gestion participative?
La gestion participative est l'application a l'entreprise des principes
fondamentaux qui régissent les relations humaines dans tous les groupes
sociaux, aussi bien familiaux, sportifs, culturels, politiques, militaires
et professionnels. Tous ces groupes, quelle que soit leur importance,
obéissent aux mêmes lois, valables des que deux personnes vivent ou travaillent ensemble.
Pour que le groupe fonctionne au mieux, c'est-ã-dire travaille en
équipe, ii faut d'abord qu'il ait un chef reconnu, et que celui-ci respecte
les principes suivants. Ii doit d'abord jouer pleinement son role de chef,
de guide, de celui qui sait oü il va, oü l'on va, de celui en qui on a confiance pour résoudre les problèmes. Ii doit faire en sorte que des motifs
d'insatisfaction ne se développent pas, soit entre les membres du
groupe, soit entre eux et lui.
Or, ces motifs d'insatisfaction sont universels et toujours les mêmes.
Ils sont dus aux besoins d'être, de savoir, depouvoir et d'avoir. Ils doivent être satisfaits simultanément pour que le groupe fonctionne normalement. Suivant l'activité du groupe, l'un ou l'autre de ces besoins peut
être prioritaire, mais le chef du groupe doit se préocduper de leur satisfaction optimale.
Etudions rapidement chacun de ces besoins.
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Le besoin d'être
Ii est satisfait par Ia consideration. C'est un besoin fondamental.
Son insatisfaction déclenche les révoltes, voire les revolutions, par ceux
qui se sentent mal considérés. C'est la dignité d'homme qui doit être
reconnue pour tous les membres du groupe et ce, plus particulièrement,
par le chef de qui doit venir la consideration.
Le besoin de savoir
Ii est satisfait par la communication. Chaque membre du groupe a
besoin de savoir pourquoi ii agit, ce que les autres font, pourquoi ii
recoit tel ordre, pourquoi ii doit agir de telle facon et pas d'une autre. Ii
doit aussi pouvoir s'exprimer, indiquer ses espoirs et ses doutes, proposer des solutions aux problêmes du groupe. Le chef doit agir en participatif et non en directif. Les troupes les plus disciplinées ne marchent
bien que si elles comprennent ce qu'on leur demande de faire.
Ce principe de communication est fondamental et doit être appliqué
même quand l'equipe est réduite a deux personnes. Que vous agissiez
avec votre principal collaborateur, votre secrétaire ou votre épouse, le
problème est le même, et je serais étonné que vous ne ressentiez pas de
leur part un certain mécontentement quand vous ne leur dites pas tout ce
que vous faites, ou que vous ne leur demandez pas, de temps en temps,
leur avis. Combien de fois j'ai entendu la secrétaire d'un correspondant
absent me dire d'un air désabusé: <<Ii ne me dit jamais oü ii Va.>> Au
contraire, quand toute I'équipe sait ce que chacun fait, et pourquoi ii le
fait, tout va déjà beaucoup mieux.
Le besoin de pouvoir
Ii correspond a un autre besoin fondamental qui est celui de la responsabilité. Tout le monde veut être responsable de quelque chose, et
des le plus jeune age. Car la responsabilité, c'est la satisfaction d'être
utile, d'apporter quelque chose au groupe, de se distinguer des autres.
L'absence de responsabilité avilit et même, j'ose le dire, tue. C'est le
problème le plus dramatique des chômeurs, en dehors de leurs problèmes financiers, et des retraités qui, devenus inutiles, ne jouissent pas
très longtemps de leur retraite.
Chacun veut pouvoir decider, au moms dans son cadre d'activité qui
le concerne particulièrement. La direction du groupe doit, là aussi, être
participative et non hierarchique. Ii ne s'agit évidemment pas d'autogestion ou de cogestion, mais de reporter jusqu'au niveau le plus bas les
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decisions qui peuvent y être prises et le concernent. Ii importe au chef de
bien définir les responsabilités de chacun. On s'apercoit souvent qu'un
groupe, dont les responsabilités des membres sont ma! définies, ne fonctionne pas bien. Ou c'est le chef qui decide de tout, ou chacun fait le tra-
vail de l'autre.
Le besoin d'avoir
II ne se pose réellement que dans les groupes professionnels, mais
peut se traduire aussi bien par des honneurs, des titres, des récompenses,
que par des moyens financiers. On y reviendra quand on parlera des
entreprises.
Si j'ai voulu donner cet aperçu psychologique, c'est pour montrer
que les problèmes des relations humaines dans l'entreprise ne sont qu'un
cas particulier des relations humaines en général et que le problème du
chef d'entreprise avec ses salaries est en réalité le problème d'un chef
avec ses hommes dans n'importe quel groupe humain. Le chef d'entreprise doit aussi apprendre a être un chef, en mëme temps qu'un gestionnaire et un technicien. C'est parce que l'on n'apprend pas cela dans les
écoles que les chefs d'entreprise sont beaucoup plus a l'aise avec les
machines qu'avec les hommes et que leur grande erreur a été de laisser
les hommes aux syndicats. us ont ainsi compromis l'avenir de leur entre-
prise. Ii faut qu'ils réapprennent leur métier de chef et qu'ils sachent
que, pour fabriquer de bons produits, ii faut qu'ils s'occupent euxmêmes de leurs hommes et qu'ils s'en préoccupent en priorité sans laisser aux syndicats la possibilité de remplir le vide qu'ils ont eux-mêmes
créé.
C'est cela la gestion participative: s'occuper en priorité des salaries
dont le comportement fera ou non le succès de l'entreprise.
La gestion participative
La gestion participative consiste tout simplement, pour le chef
d'entreprise, a s'occuper en priorité de ses cadres et de ses salaries, et
non de ses syndicats. Car ce qui compte avant tout, dans une entreprise,
cc sont les cadres et les salaries, qui font un travail productif, c'est leur
motivation, c'est leur degré de satisfaction ou d'insatisfaction. Ce sont
eux qui font que l'entreprise est performante ou non. Les salaries
deviennent sensibles aux consignes syndicales lorsqu'ils sont mécontents
ou inquiets, et lorsqu'ils croient que Ia direction ne s'occupe pas d'eux et
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qu'elle ne leur explique rien. S'ils sont satisfaits, aucune consigne syndicale ne les fera bouger. Ii s'agit donc de les satisfaire ou, tout au moms,
de leur expliquer les raisons pour lesquelles on ne peut pas touj ours les
satisfaire.
Pour le chef d'entreprise, la vie de tous les jours n'est faite que de
problêmes multiples a résoudre rapidement, avec les matériels en panne,
les banquiers réticents, les clients mécontents, l'Etat contraignant. Ii ne
doit pas être démotivé par un autre front qui s'ouvre dans son dos avec
ses salaries pour lesquels, en réalité, ii se bat en permanence chaque
jour. Mais si les salaries sont mal considérés, mal formés, mal informés,
sans responsabilités, us sont inquiets et mécontents et saisissent la momdre occasion de montrer leur mécontentement.
Tout rentrera dans l'ordre avec l'application de la gestion participative. Nous avons vu qu'eIle consistait en l'application, a l'entreprise, des
principes généraux de relations humaines consistant a satisfaire simultanément les besoins de consideration, de savoir, de pouvoir et d'avoir.
La gestion participative consistera donc a réaliser deux grandes
actions:
— la
participation a l'action pour satisfaire les besoins d'être, de
savoir, de pouvoir;
— la participation aux résultats pour satisfaire les besoins d'avoir.
Mais avant de détailler les méthodes permettant de satisfaire ces
besoins, il faut effectuer, pour l'ensemble du personnel, sans exception,
une formation économique très complete. C'est l'apprentissage du langage sans lequel l'emploi des mots ne signifierait rien pour les intéressés.
La formation économique
La formation économique doit porter sur trois éléments distincts:
microéconomie, c'est-à-dire tout ce qui concerne la gestion de
l'entreprise: le bilan, le compte d'exploitation; les problèmes finan-
— La
ciers: la trésorerie, les emprunts, le profit et son utilisation, les
investissements en usine, machines, etudes de produits nouveaux,
etc.
— La macroéconomie, c'est-à-dire le budget de l'Etat, la monnaie, le
chomage, l'inflation, la balance commerciale, les emprunts.
c'est-à-dire les responsabilités du dirigeant; les cinq
partenaires de l'entreprise, qui sont l'Etat, les actionnaires, le personnel, la direction, les clients; et la finalité de l'entreprise.
— L'entreprise,
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Cette formation permettra de dissiper immédiatement un grand
nombre de malentendus. Elle montrera a chaque membre du personnel
l'ampleur des tâches a accomplir, la nécessité de l'autofinancement et
du profit, l'impossibilité d'augmenter les charges sans augmenter les
prix. 11 comprendra — ce qui est fondamental — que ce n'est jamais le
patron qui paie les revendications, mais que c'est le client, et ainsi le slogan syndical: <<le patron peut payer>> n'aura plus de prise sur lui, ce qui
sera déjà un événement considerable.
Mais le principal est encore de montrer au personnel que le partenaire le plus important c'est le client. Chaque partenaire joue un role
fondamental et complémentaire et peut par sa pression compromettre
les autres et desservir l'entreprise. Si l'Etat exige trop d'impôts ou réglemente trop, ii paralyse et démotive la direction. Si les actionnaires
demandent trop de dividendes et n'investissent pas assez, us compromettent l'avenir de l'entreprise. Si le personnel est trop exigeant, travaille moms et revendique des augmentations de salaires, la qualité
baisse, les prix augmentent, les délais ne sont pas tenus et les clients disparaissent. Si la direction n'est pas participative, le climat social est
mauvais, le personnel mécontent et Ia rentabilité baisse. Si le client est
mécontent de la qualité, des délais ou du prix, il va acheter ailleurs et
l'avenir du personnel et de l'entreprise est compromis.
En réalité, les intérêts des actionnaires, de 1'Etat et des salaries sont
étroitement lies. Ensemble, us doivent tout faire pour satisfaire les
.
clients dont l'avenir de l'entreprise depend. Lorsque tous les salaries de
l'entreprise seront convaincus de la nécessité absolue de donner satisfaction aux clients et de tout sacrifier pour cela, la gestion participative
aura commence son effet bénéfique. D'ailleurs, l'une des raisons du succès des entreprises japonaises c'est d'avoir compris depuis Iongtemps
cette evidence et de l'avoir mise en application avec les cercles de qua-
lité, dont le but n'est rien d'autre que de mobiliser tous les salaries a
l'amélioration de la qualité pour la satisfaction des clients.
La consideration
Le besoin d'être est celui qui a été, peut-être, jusqu'à present le plus
negligé par les chefs d'entreprise vis-à-vis de leur personnel. C'est un
problème difficile car ii est lie a des attitudes et des relations entre les
hommes. Si cette attitude est méprisante, la consideration n'est pas
reconnue; Si cette attitude est déférente, tout change. C'est La reconnaissance du respect dü a l'autre, respect pour sa personne, pour ses idées,
pour ses actions. C'est une attitude fondamentale car chacun aime être
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apprécié, être considéré, être félicité, a quelque niveau que ce soit, aussi
bien le plus élevé que le plus bas. L'amélioration de l'environnement et
des conditions de travail répond aussi au besoin d'être. Tous ces besoins
sont complémentaires car, même si Ufl salarié est informé et responsable, si son action n'eSt pas reconnue comme essentielle et s'il n'est pas
considéré et félicité, ii n'est pas heureux et ii se démotive.
Les problèmes sont ainsi toujours les mêmes. Etre considéré, être
félicité, être encourage, savoir que l'on est content du travail fait, sont
les besoins fondamentaux propres a chaque individu.
La consideration ne coüte rien, c'est peut-être pour cela qu'elle est si
difficile a appliquer car on n'en mesure pas suffisamment l'importance
pour les autres. La consideration est difficile a mettre en ceuvre car elle
implique pour celui qui la donne une reduction de son autoconsidéra-
tion. Celui qui se considère comme supérieur a ceux qui l'entourent
n'est pas enclin a leur reconnaltre une certaine consideration.
Considérer les autres, c'est se considérer un peu moms soi-même,
c'est reconnaItre que les autres peuvent avoir un avis different du sien et
certaine humilité,
dont ii faudra tenir compte, c'est faire preuve
c'est ne pas se prendre trop au sérieux ou se considérer comme infail-
lible. C'est une question de caractére et d'éducation et surtout de
volonté. Et puis Ia consideration que l'on accorde aux autres depend
aussi de celle que l'on recoit soi-même. La consideration est une opération en cascade qui part du chef ou du responsable. Si celui qui est place
au plus haut echelon du groupe se considère seul comme infaillible et
n'accorde a ses collaborateurs qu'un souverain dédain, il est fort improbable que ceux-là soient peu enclins a accorder eux-mêmes a leurs pro-
pres collaborateurs une quelconque consideration. Frustrés par leur
chef, us agiront de même avec les autres, ne voyant pas pourquoi ils
accorderaient aux autres ce qu'on leur refuse a eux. La consideration ne
descendra pas en cascade et tous vivront un régime de type directif, avec
une succession de grands et de petits chefs qui tous seront mécontents et
qui se vengeront sur leurs subordonnés du traitement qu'ils subissent
eux-mêmes. Le groupe sera grippe et ne fonctionnera pas bien.
Au contraire, si le chef considère ses subordonnés, s'il les traite
d'égal a égal, s'il les consulte, s'il les informe, s'il reconnaIt ses erreurs,
la consideration pourra descendre en cascade jusqu'aux echelons les
plus bas, sauf si Ufl chef ou un petit chef refuse a un echelon quelconque
de transmettre le message.
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Les besoins de savoir et de pouvoir
ou Ia participation a I'action
La participation a l'action et qui n'est pas financière concerne les
besoins de savoir et de pouvoir.
Besoin de savoir
Ii nécessite la mise en place d'une large information directe. Elle doit
être réalisée d'abord par le chef d'entreprise lui-même sous forme d'une
reunion genérale regroupant l'ensemble du personnel, au moms une fois
par an. Cette reunion permet de dissiper bien des malentendus, de donner des informations vraies, de parler des réalités de l'entreprise, de ses
réussites comme de ses échecs, de son avenir, de ses résultats financiers
et de ses difficultés éventuelles. Le chef d'entreprise, en parlant a tout
son personnel, prend une autre dimension d'abord plus proche, plus
humaine, plus réelle surtout. On le voit, on l'entend, on l'écoute, on
l'apprécie. Les salaries sont flattés de cette marque d'intérêt a leur
égard, leur dignité en sort renforcée. us ne se sentent plus des numéros
anonymes, mais des hommes intégrés d'un coup a une grande équipe a
laquelle ils sont associés. Une fois que le patron aura explique qu'il ne
peut pas payer n'importe quoi, les syndicats qui utilisent le slogan éternel: <<le patron peut payer>> perdront leur crédibilité. Ces reunions
devront ëtre suivies de beaucoup d'autres avec les cadres, dans les services, puis dans les ateliers.
Ii faut instituer des reunions qui satisferont les salaries, des reunions
oü ils pourront s'exprimer avec leur hiérarchie sur les problèmes qui les
préoccupent et qui permettront a Ia direction de l'entreprise de mieux
comprendre leurs problèmes. Ii s'agit de mettre ainsi en place des cercies
de progrès et de qualité dont nous reparlerons tout a l'heure car ils permettent de satisfaire en même temps pratiquement tous les besoins non
financiers intervenant dans la gestion participative.
Besoin de pouvoir
Le besoin de pouvoir peut être résolu par la décentralisation qui doit
permettre le plus possible de delegations de responsabilités et d'initiatives. Ii ne s'agit pas d'une quelconque cogestion ou autogestion, mais
de donner a chacun les responsabilités qui lui incombent dans son travail. Ii faut laisser a chaque niveau Ia responsabilité des decisions le
concernant.
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La décentralisation se concrétise par les structures par produit, la
gestion budgétaire, les unites autonomes, l'enrichissement des tâches, la
mobilité de poste, les cercies de qualité et de progrès, etc. Les responsabilités peuvent aussi bien concerner l'organisation du travail, I'aménagement des ateliers, le choix des machines, les méthodes, etc.
Ii y a un grand nombre de méthodes qui permettent l'application
pratique de la gestion participative dans son aspect non financier,
a-dire permettant Ia satisfaction des besoins d'être, de savoir et de
pouvoir. Examinons en particulier les cercles de qualité et le projet
d' entreprise.
Les cercles de qualite
La qualite d'un produit ou d'un service est son aptitude a satisfaire
les besoins des clients. La qualité des produits et des services ne se
décrète pas. Elle est le résultat d'une politique de qualite. Elle depend de
la qualité des outils et des processus, de la qualité de la vie au travail, de
la qualite de l'organisation.
La qualité de la vie au travail depend de l'ensemble des conditions
matérielles, psychologiques et morales qui permettent le développement
et l'épanouissement de la personne humaine dans le travail: environnement sam pour la sante et la sécurité, développement des compétences et
possibilité de progrês, respect des droits individuels et collectifs, amélioration de la vie hors travail (trajet, logement), rémunération equitable.
Mise en place d'une politique de Ia qualité par Ia direction générale
Elle doit faire partie des critères de performances. La démarche qualité s'applique a la conception du produit, au processus de fabrication, a
la fabrication, a la commercialisation et a l'après-vente. Le contrôle
qualité s'effectue a posteriori, la gestion qualite s'effectue a priori, a
tous les stades de la production depuis la conception. Ii ne s'agit pas seulement de tenir les prix, les délais, la quantité produite, mais aussi et surtout la qualite.
Etat d'esprit qualité
La qualite c'est l'affaire de tous, c'est un engagement stratégique de
la direction génerale, un état d'esprit de responsabilité a tous les
niveaux, une formation de tout le personnel, une capacité d'expression
et de resolution au niveau du personnel d'exécution. La qualite est un
effort de longue haleine, un travail et un souci de tous les instants.
Un cercle de qualité est un petit groupe constitué avec des opérateurs
sur les lieux mêmes oü travaillent les membres du groupe pour executer
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volontairement des activités de recherche de la qualité. 11 doit assurer sa
part dans l'action globale de gestion de Ia qualité de l'entreprise, le développement personnel de ses membres, le perfectionnement de leurs activités. Ii doit faire appel aux techniques statistiques. Ii doit contribuer au
développement de l'entreprise, respecter l'homme et donner un sens a
son travail, permettre Ia pleine expression de ses capacités. C'est une
mutation d'esprit pour tous ceux qui, habitués a raisonner essentiellement sur des critères de quantité, doivent prendre en charge la qualité. Ii
constitue un lieu d'apprentissage. Ii oblige a une pratique efficace de
delegation. Ii pousse chacun a acquérir de nouvelles compétences.
Le projet d'entreprise
L'entreprise qui n'a pas de projet ne risque pas de réaliser et d'avoir
de l'avenir. <<Celui qui n'a pas d'objectifs ne risque pas de les atteindrex
(Sun Tzu). <<II n'y a pas de vents favorables pour celui qui ne connaIt
pas son port>> (Seneque).
Un projet d'entreprise c'est l'énoncé d'un dessein pour celle-ci. Ii
doit refléter la réalité et l'avenir. 11 doit être mobilisateur, raisonnable,
ambitieux et coherent. 11 doit s'appuyer sur les techniques et technologies nouvelles: sur les domaines d'activités actuels et souhaités présen-
tant un marché potentiel important national et international, et sur
l'analyse de la concurrence nationale et internationale. Ii doit être une
ambition sociale, de garantie du plein emploi, de perfectionnement des
compétences technologiques, d'être les meilleurs, de faire des profits. 11
doit être conçu avec ceux qui auront a l'appliquer.
C'est une erreur de croire qu'il y a d'un côté ceux qui pensent et de
l'autre ceux qui exécutent. Les chances de survie d'une entreprise sont si
faibles qu'elle doit utiliser les idées de tous jusqu'aux plus modestes.
Pour les Européens, le management, c'est l'art de faire passer les idées
des chefs dans les mains des exécutants. Pour les Japonais, c'est l'art de
mobiliser l'intelligence de tous les membres d'une entreprise au service
d'un projet.
Le besoin d'avoir ou Ia participation aux résultats
Le probléme d'avoir est celui sur lequel, jusqu'à present, les syndicats, les gouvernements ont le plus agi, car ii est le plus facile a exprimer, mais aussi le plus difficile a réaliser et le plus dangereux a appli-
quer. C'est le probléme des rémunérations, des augmentations de
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salaire, des ressources, mais aussi celui de l'intéressement et de l'actionnariat. Dans toutes les entreprises, le veritable problème concerne ceux
qui ont le moms de ressources. C'est donc pour eux qu'il faut d'abord
agir.
Les salaires
On peut agir sur les salaires d'une facon simple en augmentant plus
rapidement les rémunérations les plus basses, sans toucher pour cela a la
hiérarchie. C'est absolument indispensable et cela devrait être une règle
génerale dans toutes les entreprises. Cela peut se faire aisément par la
méthode du plancher d'augmentation identique pour tous, jusqu'à un certain niveau de rémunération mensuelle. A chaque pour-cent d'augmentation générale des salaires, on peut decider d'un plancher de cinquante,
soixante ou soixante-dix francs suivant le niveau des salaires de l'entreprise. Ainsi, par exemple, avec un plancher de cinquante francs tous les
salaires mensuels inférieurs a cinq mule francs recoivent cinquante
francs, et au-delà, I pour cent. Les salaires inférieurs a cinq mule francs
recevront non pas 1 pour cent mais d'autant plus que leur salaire est plus
faible.
Les divers éléments legaux de Ia participation financière en France
us concernent:
(Ordonnance de 1959) a distribution immediate;
participation (Ordonnance de 1967) a distribution differee;
— l'actionnariat des salaries (Lois de 1967 et 1973);
— les options sur les actions (Loi du 31 décembre 1970).
— l'intéressement
— Ia
Le partage des benéfices avec l'intéressement (Ordonnance de 1959)
et Ia participation (Ordonnance de 1967)
La meilleure facon d'augmenter les rémunérations en fonction des
possibilités des entreprises est l'intéressement aux bénéfices. Ii a été institué des 1959, de facon facultative, et confirmé ensuite en 1967 par une
ordonnance obligatoire. L'intéressement aux bénéfices est la meilleure
méthode de partage de l'augmentation des richesses. L'intéressement aux
bénéfices démystifie le profit et en montre l'importance et la nécessité a
tous les salaries puisqu'ils en profitent eux-mêmes. Ii change leur état
d'esprit. us s'aperçoivent ainsi qu'ils ne travaillent plus uniquement
pour le patron, mais aussi pour eux. Cette méthode est Ia seule qui per21
mette d'augmenter le pouvoir d'achat sans augmenter les coUts de production, donc l'inflation.
L'application de l'Ordonnance de 1967, qui est obligatoire, n'a pas
donné tous les résultats souhaitables dans ce domaine, car son applica-
tion nécessite l'obligation d'epargne pendant cinq ans. Elle n'est pas
motivante et son calcul est ma! compris. Ii faudrait obtenir !a suppression de !'ob!igation d'épargne et en laisser l'initiative a chaque salarié.
L'Ordonnance de 1959
L'Ordonnance de 1959, facultative, plus souple et sans obligation
d'epargne, est beaucoup plus motivante. Elle devrait être generalisee
surtout lorsque l'échelle mobile est supprimée, car reconnue comme
inflationniste. Toutes !es entreprises devraient compenser la perte du
pouvoir d'achat de leurs salaries par un intéressement type 1959, dont
les sommes ainsi distribuées ne supportent pas les charges sur salaires.
Un accord doit être signé entre Ia direction et une organisation syndicale
spécifiant le mode de ca!cul et de repartition de !'intéressement.
Elle s'applique aux entreprises de moms de cent salaries. Lorsqu'il
n'y a pas de representation syndicale, il suffit d'un vote favorab!e de
tous !es salaries. Contrairement aux apprehensions des chefs d'entreprise, !a distribution d'une partie des bénéfices au personnel est un des
éléments les plus efficaces pour en augmenter le montant. Les Amencams l'ont résumé dans Ia formule: sharing profit—making profit (partager le profit, c'est faire des profits).
L 'actionnariat
L'actionnariat devrait permettre aux salaries de devenir actionnaires
de leur propre entreprise. Encore faut-il que cet actionnariat ne soit pas
une obligation ou un cadeau, car cela lui enlèvera toute efficacité et
toute motivation. La decision doit pouvoir ëtre prise par chaque salarié
individuellement et ii doit payer !ui-même ses actions. Des modifications
juridiques devraient faciliter l'actionnariat pour les sociétés non cotées
en leur permettant de racheter !es actions de leur personnel.
Dans toutes les entreprises oU les salaries sont devenus des action-
naires volontairement, et non obligatoirement, !eur état d'esprit a
change complètement. us se sont préoccupés, non seulement de !eurs
rémunérations, mais aussi des profits et de Ia va!eur des actions liées
directement a ces profits et a la sante de l'entreprise elle-même, et,
comme par hasard, les sirènes syndicales ne sont plus entendues. A la
Société Majorette de M. Emile Véron, ii n'y a plus de syndicats. Son
système consiste a utiliser 1'Ordonnance de 1967, dont il a supprimé le
22
coefficient 1/2, uniquement en actions de son entreprise. L'ensemble de
son personnel est devenu actionnaire. II fait ainsi passer, dit-il, peu a
peu son personnel du compte d'exploitation (poste salaires) au bilan
(poste capital).
Principales modalités d'application de l'actionnariat
Option de souscription d'actions (Loi du 31 décembre 1970)
Elle est possible pour les sociétés non cotées. L'assemblée genérale
extraordinaire doit accorder, au profit des bénéficiaires, des options
d'achat d'actions avec renonciation des actionnaires a leur droit préférentiel de souscription pour les actions qui seront ainsi émises au fur et a
mesure des levees d'option par le personnel. Les modalités de fixation
du prix de souscription sont fixées par le conseil d'administration pour
le jour oü l'option est consentie. La revente des actions est interdite pendant cinq ans si l'action est nominative, et exonérée d'impôt. La durée
d'option est de cinq ans. Des limites d'attribution a un salarié et des
limites du capital ainsi distribué sont fixées.
Option d'achat
Même régime mais réservée aux sociétés cotéeS en bourse, qui se procurent les actions nécessaires par rachat en bourse.
Souscription (ou achats d'action) réservée aux salaries
Elle est réservée aux sociétés cotées en bourse. Pour la souscription,
il
s'agit d'une augmentation de capital réservée aux salaries. Pour
l'achat, la société rachète en bourse les actions nécessaires. Les actions
sont incessibles pendant cinq ans. Le montant préleve sur les salaires
pour l'achat des actions est exonéré de l'impôt sur le revenu dans la
limite de trois mule francs. L'abondement de la société, limité a trois
mule francs, deductibles des bénéfices imposables, n'est pas assujetti a
Ia taxe sur les salaires ni aux cotisations de sécurité sociale.
La participation financiêre dans les différents pays
Etats- Unis
Elle a pris un essor remarquable a l'initiative des entreprises et a lar-
gement repondu a l'attente des salaries. La participation financière
fournit a un grand nombre de salaries américains l'essentiel de leurs
retraites complémentaires ou de leur prime de licenciement. Des enquê-
tes ont montré que les sociétés qui pratiquaient la participation aux
23
bénéfices ou au capital obtenaient, grace a une meilleure motivation de
leur personnel, des résultats supérieurs a ceux des autres firmes.
Ii y a plusieurs types de plans:
les <<profit-sharing plans>> (participation aux bénéfices) qui peuvent
être <<cash>> (distribution immediate) ou <<deferred>> (distribution
différée avec epargne);
— les
<<stock options plans>> (plans d'option sur actions pour les
cadres);
— les <<employee stock ownership plans>> (plans pour l'actionnariat des
salaries);
— les <<stock purchase plans>> (plans d'achat d'actions);
— le <<saving plan>> (epargne salariale).
Ces plans prévoient la creation par l'entreprise d'un fonds special ou
<<trust>> qui acquiert des valeurs mobilières dont des actions de l'entre-
prise. Les fonds proviennent de l'épargne volontaire des salaries, des
distributions de bénéfices ou de versements effectués par l'entreprise
(abondement). Les titres sont remis aux salaries a l'issue de leur vie professionnelle ou a leur depart de l'entreprise. Ils concourent a Ia formation de patrimoine de fin de carrière et a l'alimentation des retraites. Ces
plans bénéficient d'avantages fiscaux pour les salaries des entreprises.
Royaume- Uni
Des plans de participation aux bénéfices ne concernent que 2 pour
cent des salaries anglais. Ils existent sous deux formes: distribution
immediate ou actions dans l'entreprise.
II existe aussi des plans d'epargne SAYE (save as you earn), des
plans d'options pour les dirigeants. Les formules utilisées mettent en
le bénéfice ou la valeur ajoutée ou le chiffre d'affaires.
REpublique fedérale d'Allemagne
Des dispositions juridiques et fiscales ont permis de stimuler l'épargne volontaire grace a des deductions fiscales, de combiner l'épargne
salariale et les investissements, d'assurer aux salaries une participation
directe aux bénéfices et au capital des entreprises par les lois.
Pays-B as
Des plans de participation aux bénéfices et aux actions sont établis
sans réglementation. Des plans d'epargne sont encourages par une
Ordonnance de 1962 qui institue trois modes d'epargne volontaire:
l'épargne a prime. l'epargne bloquée alimentée par les bénéfices et le
salaire épargne. Différents projets de participation collective aux superbénéfices, contrOlée par les syndicats, n'ont pas vu le jour.
24
Suede
Ii existe en Suede des plans d'epargne et des regimes facultatifs de
participations aux bénéfices. Des projets de fonds collectifs, contrôlés
par les syndicats, ont fait l'objet d'une vive controverse.
Communauté européenne
La Commission recommande le développement des systèmes de par-
ticipation financière des salaries par la participation aux profits, aux
plus-values ou au capital, qui pourrait être rendue obligatoire par voie
legislative ou négociée entre les partenaires sociaux.
Conclusion
Ainsi, la gestion participative déborde très largement la participation
financière qui n'en est qu'un élément. Elle devient un nouveau mode de
direction de gestion économique et sociale. Elle s'adapte a toutes les
entreprises quelles que soient leurs tailles et leurs activités. Elle concerne
les problèmes de relations humaines et sociales, problèmes qui sont partout les mêmes des que des hommes et des femmes travaillent ensemble.
Cette méthode réconcilie les hommes, supprime les malentendus,
empêche les conflits, et, finalement, profite a tout le monde, aussi bien
aux salaries qu'aux actionnaires. Elle redonne a 1"entreprise sa veritable
finalité qui est de satisfaire en priorité les clients en leur fournissant des
produits de qualite.
C'est une méthode globale qui doit tenir compte de tous les éléments
indiqués pour être efficace. Elle supprime les motifs d'insatisfaction en
développant Ia communication, les responsabilités, la consideration, le
en adaptant l'avoir aux possibilités de l'entreprise.
La gestion participative n'est ni une duperie, ni une utopie, mais une
réalité, car elle est utilisée dans beaucoup d'entreprises francaises et
étrangères, aux Etats-Unis et au Japon. Elle est une des raisons de la
réussite industrielle du Japon qui realise une implication beaucoup plus
grande des salaries dans leur travail et une recherche permanente de la
valorisation des hommes dont le potentiel et la competence sont considérés comme la ressource essentielle.
Ainsi, avec la gestion participative, les salaries informés, responsables, conscients des problèmes de l'entreprise, soucieux des besoins
des clients et de la qualité, intéressés aux bénéfices et parfois action-
naires, deviennent de véritables associés pour lesquels le consensus
25
social remplace avantageusement la lutte des classes. Au lieu de continuer a se déchirer dans les conflits sociaux, les revendications et les greyes qui sont le plus sür moyen de développer le chomage et l'inflation, la
gestion participative, grace au consensus obtenu des salaries, pourra
permettre aux entreprises de se développer dans Ia paix sociale, de mieux
affronter la competition internationale et de réduire le chomage et
l'inflation.
Nous devons faire face a une situation difficile aggravée par des
années de social-démocratie et de socialisme en France. Mais ii serait
vain de penser que la solution viendra d'en haut, qu'un gouvernement
quelconque prendra, tout a coup, des decisions miraculeuses qui résoudront nos problèmes. Certes, un certain nombre de dispositions fiscales
et sociales faciliteraient notre action. Mais le fond du problème ne
depend que des chefs d'entreprise. Sauront-ils oui ou non associer leurs
salaries leur action? Sauront-ils oui ou non mettre en place l'entreprise
2000 participative qui maItrise les technologies et l'information qui anticipe, qui réagit vite, qui assure la qualite, qui sait que la bataille ne se
gagne pas sans l'intelligence et l'ardeur de tous, mais avec des hommes
et des femmes toujours mieux informés, mieux responsabilises, mieux
impliques dans les decisions majeures, ayant compris combien la contribution de chacun est essentielle, combien la ressource humaine est au
ceur de la performance économique?
C'est la question fondamentale a laquelle ii faut répondre oui sans
de longue haleine, car rien n'est plus long
hésiter. Mais c'est une
et plus difficile que de changer les mentalités par persuasion et c'est bien
parce que ce sera long qu'il faut commencer tout de suite.
26
DISCUSSION
M. Kane
Nous vous sommes très reconnaissants, M. Dassault, de cet exposé
de grande qualité sur un sujet très complexe. Je suis sUr que nombre de
participants aimeraient le prolonger par des questions ou en exprimant
leurs vues. Je demande maintenant a tous ceux qui le souhaitent de se
manifester.
M. Okougou (directeur de l'Organisation des employeurs du Nigeria)
Tout d'abord, j'aimerais féliciter le conférencier pour son excellent
exposé que l'on pourrait très bien décrire en citant le titre d'un livre:
What they do not teach you at the Harvard Business School. Je pense
que M. Dassault nous a dit ce qu'aucune école de gestion n'enseigne.
Mais je souhaite poser deux questions. Premièrement, en tant
qu'employeur ayant une grande experience, pouvez-vous nous dire ce
que devrait être, a votre avis, le role des employeurs dans le domaine de
la creation d'emplois? Deuxièmement, vous nous avez dit qu'une organisation est un être vivant, qui doit donc s'adapter aux changements.
Mais, lorsque vous vous adaptez et que vous effectuez des changements,
que devient la culture de l'entreprise, la manière dont elle a l'habitude
de faire les choses? Change-t-on la culture, la philosophie d'une entreprise? Et quels effets cela a-t-il sur les motivations des salaries?
M. Dassault
Je
/
vous remercie de cette question. Le role de l'employeur dans le
domaine de Ia creation d'emplois est fondamental, car ce sont les
employeurs qui créent les emplois, s'ils en ont la volonté, la possibilité
financière et la possibilité commerciale, c'est-à-dire celle de trouver des
27
marches. C'est pourquoi, une des maniêres de résoudre le problème du
chomage c'est de motiver l'employeur pour qu'il crée des emplois, et non
de l'en decourager par des lois contraignantes. Ainsi, en France, nous
avons un problème a résoudre: ii y a tellement de lois qui découragent
l'employeur d'embaucher qu'il n'embauche plus. Ii faut donc commencer par supprimer ces contraintes ou ces lois qui dissuadent l'employeur
d'embaucher et d'investir, c'est-à-dire qu'il faut lui donner la possibilité
d'adapter son personnel a ses besoins, de fixer ses prix, de fixer ses
horaires, de pouvoir fixer aussi les vacances, ce qui n'est pas le cas en
France. Si, au contraire, pour l'employeur embaucher est un moyen
d'améliorer la rentabilité de I'entreprise et de Ia développer, il embauchera. S'il peut emprunter dans des banques et que, pour emprunter, on
ne lui demande pas, comme c'est le cas en France, d'hypothéquer tous
ses biens propres, ii empruntera. Si on l'empêche d'emprunter,
ii
n'investira pas. Ainsi donc le rOle de l'employeur dans le développement
de la creation d'emplois est fondamental et ii faut tout faire pour que
l'employeur ait intérêt a développer son entreprise, qu'il ne paie pas
trop d'impôts, qu'il puisse être maître chez lui et qu'il puisse emprunter
ou financer ses investissements. Voilà, en résumé, ce qu'il faudrait faire
pour réduire le chomage, en France et partout ailleurs, car le problème
est le même pour tous.
La deuxième question est un peu plus vague: face aux changements,
que deviennent la culture et la philosophie de l'entreprise? Le changement dans une entreprise c'est une adaptation technologique permanente. Je travaille dans une activité electronique de haute technologie,
oU il faut faire en sorte d'être toujours a la pointe. 11 faut donc s'adapter
en permanence aux changements, aux machines nouvelles, aux techniques nouvelles, aux composants nouveaux, mais cela ne modifie pas la
philosophie de l'entreprise, bien au contraire. Ii faut que, dans cette
action, l'ensemble du personnel soit associé et formé a de nouvelles qualifications. Ainsi, chez bus, plus personne ne fait de soudures; on utilise des composants spéciaux intégrés et on realise des soudures au
microscope; ce sont des techniques différentes et on forme les jeunes a
ces nouvelles techniques. Mais on ne change pas la philosophie, qui est
toujours la même, a savoir développer l'entreprise et trouver de nouveaux produits et surtout de nouveaux clients.
M. Blonde! (délégué, représentant des travailleurs francais, Force
Ouvriêre)
M. le Président, je voudrais avant tout vous remercier pour cette initiative et j'aimerais aussi vous remercier de me tolérer. J'ai été invite et,
28
a ce titre, je crois qu'il est bon que le président Dassault soit venu expo-
ser son experience sur un problème qui est encore, ii faut l'avouer, y
compris dans notre pays, un problème controversé. Je voudrais en premier lieu le remercier de sa franchise et, complémentairement, lui dire
qu'il m'est particulièrement agréable de discuter avec lui, loin des contingences nationales, même si physiquement nous ne sommes pas très
loin du pays. Mais il ne s'agit pas d'un débat a l'intérieur du pays, ce qui
veut dire que mon propos et le sien ne prendront pas le caractère idéolo-
gique ou pseudo-politique qu'on pourrait leur prêter. J'ai donc bien
écouté ce que le président Dassault nous a dit et j'ai quelques questions a
Iui poser.
Tout d'abord, j'aimerais qu'iI nous precise si dans son esprit la par-
ticipation, telle qu'il l'entend, n'a pas fondamentalement des limites,
c'est-à-dire qu'elle se situe au niveau de l'entreprise, et peut-être pas de
n'importe quelle entreprise. Je voudrais savoir si l'expérience pourrait
être généralisée et si, dans des entreprises qui seraient du mode des
<<canards
les quatre postulats choisis Sont possibles, c'esta-dire applicables, ou eSt-ce que le président Dassault ne bénéficie pas,
grace a son activité, d'un secteur plus particulier qui se prête a certaines
choses, et je pense notamment aux résultats financiers qui ne sont pas
aussi négligeables, selon moi; qu'il veuille bien le préciser.
Deuxièmement, j'aimerais qu'il nous dise si cette experience est
transposable dans des pays qui n'ont pas d'industrie. Est-ce que
demain, en Afrique, on peut envisager de développer des entreprises en
partant de ce principe, de ce concept assez original de participation?
Troisiêmement, je voudrais lui demander, et ii comprendra bien
mon souci, quel est dans son esprit le devenir de ce que certains appellent les structures intermédiaires, c'est-à-dire les organisations de représentation, et en particulier les organisations syndicales. J'ai cru cornprendre, mais c'était au detour d'une phrase, que l'information il fallait
bien la faire pour les syndicats, parce que c'est obligatoire, mais que ce
n'était pas l'essentiel, et le président Dassault a eu la gentillesse de nous
préciser qu'il faisait, lui, une fois par an un exposé oü il présentait la
situation et les objectifs de l'entreprise a l'ensemble du personnel.
Ces trois considerations étant dites, vous me permettrez, M. le président, d'être un petit peu critique. Ii ne faut pas trop m'en vouloir, je suis
représentatif de ce que je considère les intérêts des travailleurs. Mais sur
l'une des questions qui vous ont été posées, j'ai été quelque peu choque
de votre réponse, et il est dans mes habitudes de poser clairement mes
questions. L'employeur n'aurait pas envie d'embaucher, disiez-vous. Et
vous avez fait quelques références a des contraintes. On ne va pas ouvrir
ici le débat sur la flexibilité, cela crée des soucis aussi bien au CNPF
/
29
qu'aux organisations syndicales, mais la notion même <ne pas avoir
envie d'embaucher> m'ennuie, parce que cela pose un problème de
fond. Nous sommes en economic de marché. A partir du moment oü ii y
a du travail, a partir du moment oü vous parlez de clientele, oü ii y a une
demande soutenue, je n'ose pas croire que dans aucun pays ii existe un
employeur qui, parce qu'il n'en a pas envie, ne satisfait pas la demande
en n'embauchant point. Je crois que le role de l'employeur, le role social
de l'entreprise, c'est effectivement d'embaucher. Et de cette facon, je
sais un petit peu perverse, de poser Ia question, je redéfinirai une nouveile fois les relations et Ia dialectique entre l'economique et le social.
Est-ce qu'en fait ce n'est pas le débat perpétuel? Est-ce que ce n'est pas
la demande et
la revendication, et le moyen d'adaptation des
employeurs a satisfaire celles-ci, qui font évoluer Ia société?
M. Dassault
Je vous remercie de vos questions intéressantes et qui montrent que
je ne me suis pas encore suffisamment bien fait comprendre. D'abord,
je voudrais vous dire que, Si VOUS considérez représenter les intérêts des
travailleurs, moi aussi. C'est déjà un premier point. Je représente les
mêmes intérêts que vous, et je les représente aussi bien que vous, que
vous les syndicats en general, et peut-ëtre mieux parfois, car je sais ce
qui peut se faire et ce qui ne peut pas se faire. Et les syndicats ne le
savent pas touj ours.
Mais je vais répondre a vos questions: Y a-t-il des limites ala participation? Est-ce que l'expérience peut être généralisée? Oui, je vous l'ai
dit, et je pourrais vous en donner quelques exemples, la gestion participative est particulièrement utile aux entreprises en difficulté et elle peut
les aider a se sortir de leurs difficultés, car la gestion participative n'est
pas uniquement financiêre — elle est beaucoup plus que cela — et si die
réussit dans mon entreprise — c'était votre deuxième question — ce
n'est pas parce que nous faisons des béndfices, c'est parce que nous
appliquons l'ensemble de la méthode. A titre illustratif, je vous citerai le
cas d'une entreprise francaise qui était, en 1981, dans une situation dramatique: pertes énormes, difficultés de trésorerie, banques qui ne paient
plus, menace de fermer l'usine et de licencier tout le personnel. Un des
fils du patron décida alors qu'il fallait sauver l'entreprise. Qu'a-t-il fait?
Ii a appliqué Ia gestion participative. II a commence par réunir le personnel et a l'informer de Ia situation; il a propose une réorganisation de
i'cntrcprise avec une reduction des sãlaires de l'ordre de 20 pour cent,
mais sans licenciements; ii leur a dit que, si l'entreprise faisait des bénéfices, us auraient droit a des intéressements; et il leur a aussi donné des
30
possibilités d'actionnariat. Résultat: en 1984, le chiffre d'affaires a doublé, et us ont fait plus de 100 millions de bénéfices.
Voici un autre exemple: En France, une petite entreprise de dix personnes, qui était en faillite, a été reprise par un patron qui a appliqué
tout de suite l'actionnariat. Tout marchait mal et ii commence a donner
des actions, ii faut le faire, pourtant l'initiative a été payante. Le personnel devenu actjonnaire s'est intéressé a I'affaire et a décidé de travailler
davantage et de réduire les dépenses; aujourd'hui l'entreprise compte
deux cent soixante personnes, dont cent vingt salaries actionnaires.
Ainsi la méthode fonctionne encore mieux dans les entreprises qui ne
marchent pas, car elle permet de les faire marcher en rendant aux salariés la conscience de la valeur de l'entreprise, qui est leur outil de travail,
et en les) rendant responsables, informés et actionnaires. Donc cette
experience est transposable dans les pays qui n'ont pas d'industrie. C'est
une méthode psychologique: satisfaire des hommes qui vivent et travaillent ensemble, dans un certain but, quel qu'il soit. Donc, dans les pays
qui n'ont pas d'industrie, ou dans les pays agricoles, ou dans les pays
qui veulent créer des entreprises, ii faut commencer par réunir les gens,
les informer et leur donner des responsabilités. Et, quand ii y aura des
bénéfices, leur en donner, mais évidemment cela ne vient pas tout de
suite.
En ce qui concerne les organisations syndicales, je n'ai rien contre
elles, mais ii se trouve que certaines — pas FO — ne traduisent pas toujours dans la forme réelle les informations qu'on leur donne. Cela m'est
arrivé un certain nombre de fois; on informe le comité d'entreprise des
résultats, et on s'apercoit que l'information est transformée par les
syndicats ou les comités d'entreprise. Ii y a une vingtaine d'années,
j'avais réuni le comité d'entreprise pour l'informer que l'entreprise avait
réalisé dix ou vingt millions de francs de bénéfices et je leur ai explique
comment ces bénéfices avaient été distribués entre les actionnaires et
combien il en restait dans l'usine. Le lendemain ily avait un tract: <<Dassault s'est mis vingt millions dans la poche. D'abord je ne m'étais rien
mis dans la poche, ensuite il ne s'agissait pas de vingt millions, ni de dix,
peut-être de deux ou trois, distribués a tous les actionnaires, le reste a
l'entreprise. Voilà un exemple type de transformation de I'information
pour tromper les salaries. Si les syndicats — je travaille beaucoup avec
la CGC dans mon entreprise, et j'ai de très bonnes relations avec elle —
acceptent
de jouer le jeu, c'est-à-dire le jeu de l'information dans les
deux sens et sans trafiquer les résultats, alors on peut très bien travailler
a Ia gestion participative avec des syndicats.
Par ailleurs, vous dites que vous êtes choqué de voir qu'il y a des
patrons qui n'embauchent pas. Mais pourquoi ne le font-ils pas? us
31
n'embauchent pas parce qu'ils ne peuvent pas licencier, c'est la principale raison, du moms en France, car ii y a une règle qui, a partir de cmquante salaries, oblige une entreprise a avoir ce qu'on appelle un comité
d'entreprise. C'est pourquoi vous trouvez, en France, des milliers
d'entreprises qui s'arrêtent a quarante-neuf salaries et qui n'embaucheront jamais le cinquantième. C'est ce qu'on appelle le seuil social. Ainsi
donc ii y a des règles en France, des habitudes, qui font qu'il existe des
patrons — et on peut le regretter — qui refusent des commandes pour ne
pas embaucher. Ii faut comprendre que, tant qu'en France on n'aura
pas la liberté totale d'embauche et de licenciement, on continuera a
avoir du chômage. Cela ne veut pas dire que tous les problèmes seront
résolus, mais on améliorera quand même la situation. Donc Ia gestion
participative s'applique a tous, y compris aux <<canards boiteux>>, elle
n'est pas du tout contre aucune organisation syndicale, mais elle
demande a coopérer, et il faut être conscient que maintenant l'intérêt
des travailleurs coincide avec celui de l'entreprise.
M. Kane
J'aimerais revenir sur une question qu'a posée M. Blondel, a savoir
quel est le role des organisations des travailleurs dans ce système de gestion participative. Y a-t-il vraiment un role qui leur est assigné, qui leur
est propose, ou est-ce que finalement cette participation, cette gestion
participative n'a pas tendance a ignorer les syndicats et a s'adresser
directement au travailleur lui-même, et a finalement court-circuiter les
organisations syndicales?
M. Dassault
Comme vous le savez, les organisations syndicales valent ce que
valent leurs électeurs. Elles n'existent que parce qu'il y a des salaries qui
votent pour I'une ou pour l'autre. Or, ii se trouve que, dans un grand
nombre d'entreprises qui appliquent Ia gestion participative, les salaries
ne votent plus. Cela veut peut-être dire qu'ils n'ont plus besoin des
syndicats, je n'en sais rien. Mais, a partir du moment üü les salaries sont
satisfaits et oU us sont convaincus que le meilleur défenseur de leurs
intérêts c'est le patron, cela change beaucoup de choses. Néanmoins,
cela est vrai a condition que le patron agisse comme je l'ai indiqué, ce
qui n'est pas touj ours le cas. Pour mon compte, je dis souvent au personnel, quand je convoque Ia reunion annuelle, que le meilleur délégue
syndical c'est moi, ce n'est pas le syndicat, car lui va demander une augmentation de salaire, ii va demander des reductions d'horaires, etc., et
32
après cela, je vais être oblige de vous licencier car je ne pourrai pas
vendre mes produits parce qu'ils seront trop chers ou bien parce que,
suite aux reductions d'horaires, le travail ne sera pas fait dans les délais
et que le client passera ses commandes a une autre société. Ii faut tout de
même comprendre qu'une entreprise c'est un tout, qu'il ne s'agit pas
seulement de défendre les intérêts des salaries, mais des clients en priorite. Ii faut que le client — et c'est cc que n'ont pas compris les syndicats
en France — puisse être satisfait, sinon ii n'y a pas d'entreprise. Une
entreprise sans clients disparaIt.
11 faut donc qu'il y ait un changement de mentalité des chefs d'entreprise et des syndicats pour prendre en compte tous ces problèmes qui ne
sont pas simples, arrêter de faire de l'idéologie et de la demagogie et se
convaincre qu'il faut travailler tous ensemble. Je ne suis pas contre les
syndicats; les syndicats ont un role de relais, d'information, mais ii faut
qu'ils comprennent qu'une entreprise n'est pas une vache a lait, qu'il y a
des limites et que, dans certains cas, ii faut réduire les salaires et investir.
Heureusement notre gouvernement socialiste a compris qu'il fallait supprimer !'échelle mobile des salaires. C'est très important. Car dire que
l'indice des prix ayant augmenté, ii faut augmenter les salaires pour
qu'il n'y ait pas de perte du pouvoir d'achat, c'est la meilleure facon
d'entretenir l'inflation et de compromettre !'activité de l'entreprise.
Donc, dans certains cas, ii faut réduire le pouvoir d'achat, et, dans
d'autres, quand on peut l'augmenter, parce qu'on fait des bénéfices, on
le fait et on distribue les bénéfices. Mais ii faut d'abord que l'entreprise
survive, ii faut qu'ellc se développe et ii faut garantir l'emploi, c'est le
plus important. Mais ii vaut mieux garantir l'emploi et réduire Ic pouvoir d'achat, car on ne peut pas garantir les deux a la fois.
M. Gladstone (chef du Département des relations professionnelles et de
l'administration du travail du BIT)
J'aimerais remercier le président Dassault pour ses remarques sur la
gestion participative établie et acquise dans beaucoup d'entrcprises,
mais il y a toujours cette question delicate du role du syndicat, et j'aimerais la poser sous un aspect un peu different de celui de M. Kane ou de
M. Blonde!, c'est-à-dire dans le contexte des réformes des lois Auroux
en France, qui renforcent les pouvoirs des syndicats au niveau de
l'entreprise, de l'atelier et qui prévoient une négociation annuelle. Comment ces développements vont-ils ou pourraient-ils influencer vos concepts de cette gestion participative que, comme je le disais, flu! ne peut
contester? Quelle sera la direction a prendre, si les lois Auroux et sur-
tout Ia négociation au niveau de l'entreprise prennent un essor en
33
France? II faudra, a mon avis, une nouvelle adaptation qui pourrait
aller a l'encontre, éventuellement, de vos concepts si clairement énoncés
ici.
M. Dassault
Ma réponse, je vais vous Ia donner clairement; ii faut supprimer les
lois Auroux. Elles ne servent a rien et font perdre le temps de l'entreprise ou du chef d'entreprise. On perd son temps a discuter, a négocier.
Et que negocie-t-on? Qu'est-ce que cela signifie négocier une fois par
an? On ne peut pas négocier les salaires. Cela ne se négocie pas, on fait
ce que l'on peut. Ii y a aussi le problême des discussions sur le lieu de
travail, mais cela se fait dejà, ii y a des cercles de qualité qui le font.
La veritable question est de savoir ce que l'on cherche. Que cherchent les employeurs, que cherchent les salaries, que cherchent les syndi-
cats? C'est simple, c'est faire travailler le maximum de salaries, les
payer le mieux possible, les satisfaire et les rendre heureux. Ii n'y a pas
trente-six méthodes. Ce n'est pas une loi qui y arrivera, ce n'est pas un
syndicat non plus, ce n'est pas forcément un patron. C'est pour cela que
c'est difficile; parce que c'est un état d'esprit. C'est prendre conscience
qu'on travaille en équipe, qu'il n'y a plus cet obstacle salarié-patron,
qu'on agit ensemble dans le meme but et qu'il n'est pas question de dire
qu'on paie le moms possible pour gagner le plus possible. Ii faut payer
cc que l'on peut, gagner cc que l'on peut, partager et associer, former et
informer et faire en sorte que les gens soient heureux de ce qu'ils font et
qu'ils travaillent dans de bonnes conditions. Quand on ne peut pas le
faire, il faut Ic dire, prendre conscience des difficultés et faire prendre
conscience a tous que le probléme de l'entreprise c'est difficile, qu'un
patron n'est pas quelqu'un qui reste toute la journée dans son bureau a
fumer un cigare et a boire du whisky. Un patron c'est quelqu'un qui se
donne du mal, qui cherche d'abord des clients, qui va verifier que ses
produits sont bons, qui a des idées, quelquefois bonnes, quelquefois
mauvaises, pour orienter l'entreprise dans certains secteurs, qui se
donne beaucoup de mal et qui réussit ou qui ne réussit pas. Ii est clair
que quelquefois ii n'y arrive pas, mais ii faut reconnaItre que cc n'est
pas touj ours facile.
Une chose est sure — et notre président Mitterrand qui commence a
comprendre les problèmes a dit dans un recent discours cc que je dis
moi-même depuis dix ans: <Une entreprise n'est pas une caisse dans
laquelle on puise de l'argent pour le distribuer largement aux salaries ou
sur laquelle le patron est assis et qu'il ne veut pas libérer.>> Une entreprise c'est une organisation qui doit gagner de l'argent par le travail des
34
gens et ii ne faut pas l'épuiser par des contraintes ou des prélèvements
qui finalement la feront disparaItre. Ii faut arrêter de dire: <<On est contre les patrons, on est contre les syndicats, on est contre les salaries.>> Ii
faut dire: <<On travaille tous ensemble, Ia main dans la main pour développer l'entreprise, pour développer l'emploi, pour que tout le monde
gagne le maximum, pour que l'entreprise puisse investir, pour satisfaire
les clients.>>
Quel est le role des syndicats? C'est de défendre les intérêts des travailleurs. Mais encore faut-il que ce soit vrai, que ce soit vraiment les
intérêts des travailleurs qu'ils défendent. Or, on ne defend pas les intérêts des travailleurs en réclamant des augmentations de salaire, ce n'est
pas vrai. Au contraire, on les conduit au chomage. Ii faut s'en rendre
compte. Aussi faut-il que tout le monde s'associe avec un bon esprit de
cooperation sans se combattre. On est ensemble, on est sur le même
bateau. Ii ne faut pas qu'il coule. Ii faut qu'il aille au port et comme je
l'ai dit tout a l'heure, a condition de savoir oü ii est.
Un participant (Tchecoslovaque)
Je vais tout d'abord remercier M. le Président Dassault pour son
exposé oü il nous a donné un point de vue d'employeur de manière bien
franche. Je ne vais pas entrer dans la polémique sur les opinions qu'iI a
exprimées, parce que je me situe personnellement de l'autre côté de la
barrière. Mais je voudrais seulement poser une petite question. Les idées
qui ont été exposées ici ne sont pas nouvelles. Je me rappelle avoir lu, ii
y a une trentaine d'années, un livre francais qui s'intitulait: La rémuné-
ration et Ia participation, oO étaient déjà exprimées ces idées; c'était
d'ailleurs en liaison avec le projet du Président de Gaulle. Alors ma
question est la suivante: Comment est-il possible, ou bien pour quelles
raisons les idées qui ont été exprimées il y a une trentaine d'années
n'ont-elles pas fait beaucoup de progres? Pourquoi en est-on toujours a
un stade d'expérimentation?
M. Dassault
Tout d'abord, je vous remercie de parler francais, car vous ëtes tchécoslovaque; c'est une excellente chose. Ces idées ne sont pas nouvelles.
Je sais qu'en France, en 1880, ii y a eu une entreprise de peinture, qui a
décidé, a la stupeur générale, parce qu'à l'époque c'était nouveau, de
distribuer une partie de ses bénéfices a son personnel, pour, disait-elle
déjà, mieux le motiver. Les choses sont longues a évoluer et a passer
dans les meurs. Effectivement de Gaulle a commence a en parler en
35
1959, et ii en parlait déjà avant, mais ii considérait uniquement l'aspect
financier, pas l'aspect actions, comme je l'ai indiqué, qui est plus nouveau. Pourquoi est-ce difficile a appliquer? Parce que c'est quelque
chose qui ne peut pas s'imposer si on n'en a pas compris l'intérêt et la
nécessité. C'est une question d'etat d'esprit, de mentalité et de volonté.
Et cela depend du patron, du chef d'entreprise. Ii faut donc d'abord
convaincre les patrons, et les syndicats aussi, parce que l'intérët de la
méthode, c'est que les deux travaillent ensemble. Malheureusement, ii y
a une peur ou une inquietude du patron, parce qu'on a dévoyé la participation en France, et je crois aussi a l'étranger, en Republique fédérale
d'Allemagne par exemple, par des operations qu'on appelait Ia cogestion. Les patrons, les chefs d'entreprise ont peur de perdre une partie de
leurs pouvoirs et de ne plus pouvoir diriger leur entreprise, c'est cela le
fond du problème. us ont peur que ces méthodes ne leur enlèvent une
partie du pouvoir. Ii faut donc que ces méthodes soient bien adaptées au
maintien du pouvoir. C'est pour cette raison que je suis oppose a
la
cogestion.
La cogestion cela voulait dire qu'il fallait qu'il y ait — ce qui se fait
maintenant dans certaines entreprises nationalisées en France — des
représentants du personnel au conseil d'administration, avec droit de
vote. La belle affaire! Qu'est-ce que ça change? Ou bien ces représentants du personnel deviennent de véritables administrateurs, et alors ce
n'était pas la peine, parce qu'ils ont compris leur role, ou bien us n'ont
pas compris leur role et us viennent au conseil d'administration pour
revendiquer, et a ce moment-là us font capoter l'entreprise. Ce n'est pas
cela qui satisfera les salaries. C'est l'action directe, c'est l'action sur le
personnel directement. Donc ces idées ont du mal passer parce que les
principaux responsables ont peur que le gouvernement ne leur enlève
leur pouvoir, ne leur enlève leurs bénéfices. Ii faut donc bien expliquer
aux chefs d'entreprise que, en appliquant cette méthode, us ne perdront
pas leur pouvoir, mais qu'au contraire un pouvoir partagé, expliqué,
admis est beaucoup plus efficace qu'un pouvoir dictatorial, impose, non
explique, et mal exécuté. Ii faut donc convaincre, c'est difficile et c'est
long a mettre en place et a faire comprendre. En France, j'ai réussi, c'est
déjà un exploit, a faire admettre cette méthode par le CNPF francais, il
ne le voulait pas. Maintenant le CNPF admet la gestion participative,
qu'il appelle <<la participation active>> pour ne pas utiliser le même mot.
Personnellement je préfère Ia gestion participative. Mais c'est un travail
de longue haleine et c'est long parce que c'est une méthode qui ne peut
pas être imposée par une loi ou par un gouvernement. C'est une mentalité nouvelle. On nous a trop intoxiqués — et on l'est encore aujourd'hui
— par
36
Ia lutte des classes, on est intoxiqué par le marxisme, on est
intoxiqué par la lutte profit-salaire qui n'existe pas, a condition de faire
ce qui faut, évidemment. Donc ii faut se désintoxiquer par la gestion
participative.
M. Harari (chef du Bureau de programmation et de gestion du BIT)
Merci, M. le Président. Ce n'est pas en tant que fonctionnaire du
BIT que je pane, mais en tant que participant a cette très intéressante
reunion. M. Dassault, je vous remercie de cet exposé et je vous en félicite, parce qu'il est très vif et três intéressant. II est clair que tout le
monde n'est pas nécessairement d'accord, mais vous l'avez très bien
présenté. Je vous félicite aussi pour la facon dont vous gérez votre entre-
prise. D'ailleurs, si j'étais patron, trés probablement je suivrais certames de vos idées parce qu'il me semble effectivement que, de ce point
de vue-là, les résultats soient payants pour les raisons que vous avez
expliquées. Cela dit, je ne sais pas s'il s'agit de sémantique, mais le
theme de votre intervention, c'est la participation. Or ii y a plusieurs
formes de participation, plusieurs concepts de participation. Vous avez
a un moment donné parlé même d'association, vous avez dit que les
employés se retrouvent finalement un peu associés a l'affaire quand ii
s'agit de la participation aux bénéfices. Cependant, je reprends vos
quatre préceptes principaux. Vous avez pane de l'importance de ce que
vous avez appelé <l'être>>, en fait la consideration. Mais de qui cette
consideration vient-elle? Elle vient du haut vers le bas. 11 s'agit de féliciter les gens pour ce qu'ils font quand us le font bien. Vous avez pane
en deuxième notion du <savoir>>. Là aussi l'information vient du haut
vers le bas, finalement. Vous réunissez votre personnel, vous lui dites oü
en sont les choses. Je ne critique pas, je trouve que c'est très bien. Je
pane du concept de participation. Le troisième volet c'est le <<pouvoir>>,
donc la delegation de responsabilités, la décentralisation. D'oü vient la
decision de cette delegation de responsabilités? Elle est prise par le
patron. Et quand ii s'agit de <<l'avoir>>, donc de la participation aux
bénéfices, le fait que l'on donne aux employes l'option d'acheter des
actions a des prix intéressants, là encore la decision d'aller de l'avant
vient des patrons de l'entreprise.
Donc, oui bien stir, c'est une participation, et je crois qu'elle est très
bonne, mais elle donne finalement a l'employé un role passif par rapport au patron, c'est-à-dire qu'il reçoit cet esprit de participation du
haut vers le has. Cela est très different, je le concois bien stir, de la directive absolue et du manque de participation absolue que vous critiquez,
et je suis d'accord avec vous, mais même la participation est décidée de
facon hierarchique. Or, je trouve que dans une entreprise, et vous l'avez
37
dit vous-même, ii faut un leader, et finalement tout dépendra de l'attitude de ce leader. Tout ce que vous avez présenté marche trés bien et les
gens sont contents tant que le patron, si Ofl veut parler d'un patron, ou
les gestionnaires en general, ont ce genre d'attitude. Mais est-ce que cela
ne rend pas le travailleur, l'employé, trop dépendant, de ce fait, de
l'attitude du patron? Et c'est là oü je m'interroge — je m'en excuse car
on vous a pose la question a plusieurs reprises — sur le role éventuel des
syndicats. Car l'appartenance a un syndicat donne au moms a l'employé
un sentiment de participation active par rapport a ce que je percois,
peut-être a tort, vous m'en excuserez, comme une participation passive.
Cela dit, je trouve que ce que vous faites est trés bien, je ne suis pas critique mais, pour moi, le sens de participation en tant qu'institution, en
tant que concept, est sans doute different. Ii donne un role aux syndicats, qu'on ne leur reconnaIt peut-être pas dans les entreprises qui marchent bien, mais qui du point de vue institutionnel les rend nécessaires.
M. Dassault
Vous avez raison de dire que la gestion participative vient d'en haut.
Effectivement, si die ne vient pas d'en haut, elle ne vient pas. Done tout
depend de l'attitude du patron ou de la direction, qui peut soit changer
et faire en sorte qu'elle devienne participative, ou ne pas changer et on
en revient finalement au cas précédent. Cependant, le role de la gestion
participative est justement de rendre le salarié actif et non pas passif. Je
suis d'accord quand vous dites que la consideration vient d'en haut,
mais chacun peut l'utiliser vis-à-vis de ceux qui sont sous ses ordres.
C'est aussi valable pour la dactylo et son chef de service que pour le
vice-président directeur general vis-à-vis de son président. C'est le même
problème de relations humaines.
Mais, en ce qui concerne le savoir, l'information, effectivement j'ai
dit qu'elle venait du haut vers le bas, mais elle remonte aussi; l'intérêt de
la methode, c'est de la faire remonter. Ii faut non seulement que le personnel soit informé de ce qui se passe dans l'entreprise par la direction,
mais il faut aussi que Ia direction sache ce qui ne va pas dans l'entreprise. Ii faut qu'elle sache pourquoi le personnel est mécontent. II faut
done que l'information remonte. Dans le cadre de reunions oü l'on est
cinq cents ou mule, je suis d'accord que Ia discussion est faible, bien
qu'elle peut quand mëme quelquefois s'établir. Mais dans le cas d'autres
reunions organisées a une échelle plus réduite, ii est possible de percevoir des inquiétudes ou des demandes d'information qui viennent du
bas. Done il ne faut pas que l'information circule en sens unique. II faut
que l'information remonte, et là le personnel a un role a jouer.
38
Quand je pane de <<décentralisation>>, ii est clair qu'elle est décidée
par le patron. Mais une fois en place, elle est faite pour ne pas rendre le
salarié passif. Au contraire, elle lui donne des possibilités d'agir, de
réagir, de donner son avis; on voit d'ailleurs maintenant dans beaucoup
d'entreprises citer des salaries qui ont réussi, par des propositions, a
améliorer la rentabilité de la fabrication et de l'entreprise. C'est l'un des
intérêts de ce qu'on appelle les cercies de qualité.
L'objectif de la méthode est donc de favoriser une participation
active, oü les salaries ont un role a jouer. La méthode que je vous ai
expliquée consiste justement a rendre actif et dynamique le salarié mdividuel. Par contre, quand ii y a relation unique direction-syndicat, c'est
alors que le salarié est passif, parce qu'il recoit l'information du syndicat et qu'elle ne remonte pas; ii y a, comme on dit en electronique, la
diode, cela passe d'un côté, mais pas de I'autre, ou cela se transforme,
ou ii y a modification.
L'intérët de la méthode c'est que l'on considère chaque individu
comme responsable, et comme ayant a être informé. En France, ii y a le
comité d'entreprise, et l'obligation est faite par la Ioi d'informer le
comité d'entreprise. Mais le salarié n'est pas forcément mis au courant.
Et si le syndicat, comme je l'ai dit tout a l'heure, n'informe pas, ou
transforme l'information pour sa propagande, cela ne marche pas. Ii
faut donc que le salarié puisse ëtre mis au courant personnellement d'un
certain nombre de choses, sans intermédiaire, sans echelon, sans représentant. Pour que le personnel soit content, c'est individuellement qu'il
doit l'être. Ce n'est pas parce qu'il aura un représentant au conseil
d'administration qu'individuellement le salanié se sentira, disons, mieux
défendu, ou plus responsable. Ce n'est pas vrai. Ii se sentira plus responsable si on lui donne a lui, personnellement, des responsabilités dans
son travail. Enfin toute la méthode, contrairement a ce que vous dites,
consiste justement a faire de la participation active, c'est-à-dire le theme
du CNPF, et non pas de la participation passive, donc a rendre individuellement le salarié responsable et informé, lui, et non son représentant.
M. Blonde!
II n'est pas coutume de poser deux fois des questions, et je m'en
excuse. Mais c'est a Ia fois la réponse du conférencier et la richesse du
sujet qui me conduisent a revenir encore sur certaines choses. J'ai le sentiment qu'autant le président Dassault que moi-même nous travaillons
avec des slogans et des clichés. J'ai entendu parler de problèmes comme
l'échelle mobile. En France l'échelle mobile n'a jamais existé. C'est
39
clair. On a utilisé dans les négociations les indices des prix comme réfé-
rence, mais le résultat pouvait être en decà de l'indice des prix et j'ai
même signé des accords qui étaient en deca. J'en ai signé aussi qui
étaient en dessus, rassurez-vous, mais ii n'y a jamais eu une échelle
mobile claire, sauf pour le SMIC. Mais on ne va pas entrer dans la technique d'analyse francaise et puis, M. le Président, vous me pardonnerez
de vous en faire l'amical reproche publiquement, vous vivez encore sur
la lutte des classes. Moi qui pense connaItre la matière, je ne suis pas sUr
que nous parlions de la même chose quand nous évoquons la lutte des
classes, ni que nous ayons les mêmes concepts.
Le marxisme est évidemment quelque chose de suffisamment riche
pour qu'on en discute pendant quelques heures, mais ce n'est pas nous
qui trouverons la vérité dans ce domaine. Ce que vous voulez essayer de
faire comprendre, y compris aux organisations syndicales, c'est que
nous sommes les partisans d'une idéologie; le terme est impropre, il est
trop large, suranné, dépassé. Je suis le produit de ceux qui sont les adhérents de mon organisation et je revendique le droit d'exprimer ce qu'ils
pensent. Et pour ce faire j'utilise une méthode qui s'appelle, du moms
en pays démocratique, la representation par délégation. Et vous me
faites peur quand vous dites: <Ecoutez, on ne peut plus discuter les
salaires, ce n'est même plus Ia peine de les discuter, les employeurs font
par definition ce qu'ils peuvent, et les syndicats ou les représentants des
travailleurs n'ont plus a s'exprimer parce que nous faisons tout.>, J'en
suis navré car ces problèmes de productivité, ces problèmes d'arbitrage
de repartition de la part qui revient aux actionnaires, de la part qui
revient aux salaries, etc., ce sont des problèmes oü il faut, par la négociation, trouver une solution. Et là, le syndicat doit intervenir. Je sais
bien que nous n'épuiserons pas le sujet aujourd'hui, mais je voudrais
vous dire que je ne crois pas que ce soit a travers le rejet d'une réalité
sociale qu'on puisse trouver une solution.
J'aimerais aussi reprendre mon problème initial. Je vous ai demandé
tout a l'heure si votre méthode de gestion était transmissible ou transposable a d'autres entreprises, y compris les <<canards boiteux>>, et j'ai
aussi pane de 1'Afrique, mais j'aurais Pu parler de l'ensemble des pays
en développement. Pourtant, imaginons que nous vous suivions. Dans
un pays industrialisé comme la France, toutes les entreprises sont gérées
de la facon que vous préconisez, avec un ajustement au niveau de
l'entreprise. Je vous ai bien entendu, Président Dassault, lorsque vous
avez dit qu'il y avait trop de charges. Mais dans le conflit permanent
entre le patronat et les organisations syndicales — et quand je dit conflit, ce ne sont pas les barricades, je veux dire dans le dialogue permanent, dans la participation paritaire ou tripartite, pour employer le jar40
gon de cette maison — ii y a eu toute une série de réalisations sociales
qui soutiennent l'économie. 11 faut savoir que dans le pays, vous le savez
comme moi, le budget social de Ia nation est plus important que le bud-
get de l'Etat. Cela veut dire qu'il y a une redistribution, qu'il y a une
situation de fait économique des salaries, qui est le produit même du
dialogue entre le patronat et les syndicats dans une société comme Ia
France. Et je crams qu'en ajustant les salaires au niveau des moyens de
l'entreprise on ne rende complètement secondaire tout ce produit qui
n'est plus du tout maintenant un produit auxiliaire, mais qui est la réalité sociale du pays, et je dirais même Ia réalité économique.
M. Dassault
Je vais essayer de répondre rapidement. Je ne travaille pas avec des
slogans, je travaille avec la réalité de tous les jours, que je perçois non
seulement dans mon entreprise, mais aussi dans d'autres. On ne va pas
reprendre la discussion de la representation, la discussion des salaires.
Pourquoi voulez-vous que l'on discute des salaires? Si les delegués du
personnel, au lieu de demander purement et simplement, chaque mois,
des augmentations de salaire de l'ordre de 2 ou 3 pour cent pour cornpenser l'augmentation du coilt de Ia vie, posaient la question en d'autres
termes, a savoir: si on augmente de 3 pour cent l'ensemble des salaires,
de combien le bénéfice va-t-il baisser? alors ii serait possible de discuter
des salaires. Mais tant que l'on dira dans l'absolu: ii faut augmenter les
salaires de 2 pour cent pour que le pouvoir d'achat ne baisse pas, il faut
réduire les horaires, etc., cela ne marchera pas.
M. Blondel
C'est cela que vous appelez la gestion participative? Alors vous
n'avez pas encore réussi a convaincre vos travailleurs.
M. Dassault
Mais ce ne sont pas les travailleurs qui réclament, ce sont les syndicats. Les travailleurs eux ne disent nell. En voici la meilleure preuve: a
Ia reunion générale du personnel que j'ai tenue au mois de mai, ii n'y a
donc pas longtemps, j'ai explique au personnel qu'on ne pouvait pas
augmenter les salaires comme les syndicats le demandaient. Le délégue
syndical avait pris la parole pour demander une augmentation des salaires de 2 a 3 pour cent. Et j'ai répondu a tout le personnel present: <<On
n'augmentera plus les salaires jusqu'à Ia fin de l'année.>> C'est tout juste
41
si je n'ai pas été applaudi. Parce que le personnel, et non les syndicats, a
compris qu'on avait déjà fait un gros effort avec l'intérêt sur le bénéfice,
avec les augmentations, que leur niveau de salaire était quand même
assez élevé, et qu'on ne pouvait pas faire plus. Et même, a la fin, lorsque
j'ai demandé aux membres du personnel ce qu'ils avaient pensé de la
reunion, ils m'ont dit qu'ils étaient satisfaits, que les syndicats ne parlaient que des salaires, mais qu'eux, les travailleurs, voulaient parler
d'autre chose. Vous parlez des réalisations sociales et de la redistribution, mais on en crève, M. Blondel. Et si aujourd'hui Ia France est en
décroissance économique avec 3 millions de chômeurs, et peut-être trois
millions et demi bientôt, c'est parce que l'on crève de toutes ces redistri-
butions, parce qu'il y en a trop, parce qu'on a trop de charges et parce
que maintenant les Japonais, les Coréens, les Singapouriens et les autres
travaillent aussi bien que nous pour beaucoup moms cher, et que les
clients achètent leurs produits et non les nôtres. Alors il faut faire très
attention a tous ces problémes, tous ces avantages, tous ces acquis
sociaux, qui n'en sont pas forcément et qui font qu'aujourd'hui on est
en train de crever. C'est pour cela que la gestion participative, qui consiste a faire ce que I'on peut faire, mais a condition de le faire — je Suis
d'accord qu'il y a beaucoup de patrons qui n'ont rien compris — est
valable. Dans certaines entreprises il vaut mieux ne pas augmenter d'un
sou les salaires et investir, mais ii faut l'expliquer. Or ce ne sont pas les
syndicats qui comprendront cela.
M. Said (représentant des employeurs)
Je voudrais, M. le Président, vous remercier pour votre exposé
magistral. En tant qu'enseignant j'envie la clarté de l'exposition. En
tant que représentant des employeurs je dois dire que je dois souscrire a
cette méthode qui est trés séduisante. Mais pour les raisons qu'a exposees M. Blondel, je ne sais pas si — car nous ne vivons pas seuls dans ce
monde — les syndicats vont accepter des droits octroyés, parce que nous
ne sommes plus au temps de la charte et qu'ils ont des droits bien précis
qu'ils revendiquent et qu'ils voudraient voir satisfaits. D'autre part, le
dialogue syndicats/organisations patronales dépasse le cadre de l'entreprise. Pour donner mon avis sur Ia question posée par M. Blondel: Estcc que cette méthode est transposable ou transferable? — et il a nommé
I'Afrique — je dirais que nos centrales syndicales en Afrique ne se con-
tentent pas de revendiquer des droits au sein de l'entreprise, mais
qu'elles essaient par l'interrnCdiaire de l'entreprise d'arriver a une redistribution des revenus, etc. Personnellement, en tant qu'employeur, je
souscrirais volontiers a une méthode qui va contenter tout le monde et
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surtout nous permettre de nous débarrasser des syndicats, ce serait
excellent. Mais comme on ne peut pas contenter tout le monde, ii y a ces
centrales syndicales, et je dis bien les centrales syndicales, je ne dis pas
les syndicats au sein de l'entreprise, qui sont là et qui ont leur mot a dire,
dans nos pays africains du moms. Quant a l'intéressement aux bénéfices, c'est une excellente chose, mais est-ce que cela ne va pas amener les
travailleurs ou leurs représentants a demander un droit de regard sur Ia
gestion financière de l'entreprise et est-ce que cela ne va pas déboucher
sur la cogestion? C'est ma question.
M. Dassault
Je ne veux pas revenir sur le problème syndical, mais il faut bien se
dire que notre seul but est de satisfaire les salaries et de satisfaire les
clients, avec ou sans les syndicats. Comme je vous l'ai dit tout a l'heure,
il y a des entreprises oü l'on applique la gestion participative, oü il n'y a
plus de syndicat parce que le personnel ne vote plus, parce qu'il n'y a
plus de candidat, et cela marche trés bien. Que les syndicats discutent a
I'échelle nationale un certain nombre de choses, c'est possible, encore
faut-il dans Ia méthode bien comprendre que ce qui est bon pour une
entreprise n'est pas nécessairement bon pour l'autre. La notion de regle
generale, applicable a tous — mêmes salaires, mêmes horaires, mêmes
avantages, que l'on fasse des bénéfices ou que l'on fasse faillite — n'est
pas possible. Ii faut donc s'adapter a Ia situation. C'est pour cela que Ia
méthode, c'est la méthode de l'entreprise elle-même. En ce qui concerne
la participation aux bénéfices, ii n'y a pas de problème. Et il ne faut pas
craindre, en tout cas si l'opération n'est pas encore faite dans certains
pays africains, qu'il y ait une amorce de cogestion, en tout cas en France
cela n'a pas du tout été le cas. Par contre, je souhaiterais fortement pouvoir vous aider a appliquer la méthode dans certains pays oü elle n'est
pas encore adoptée, parce qu'elle est extrêmement efficace et profitable
a tous.
M. Dror (Section de la participation et des politiques du personnel du
Département des relations professionnelles et de l'administration du
BIT)
Merci M. le Président. J'aimerais vous remercier pour cette conférence fort intéressante et fort franche aussi, et vous poser deux questions. Premièrement, comment se fait-il que cette gestion participative
dont vous nous avez parlé ne soit pas tellement appréciée par les
employeurs? Car il me semble que l'organisation des employeurs en
43
France n'a adopté cette nouvelle approche que tout récemment. Et ii y a
beaucoup d'autres pays a économie de marché oü elle n'existe pas, oü ii
n'y a pas un consensus parmi les employeurs sur ce mode de gestion.
Deuxièmement, dans l'économie nationale de presque tous les pays, ii y
a un secteur qui devient de plus en plus important, de plus en plus
grand, du point de vue des effectifs, du point de vue du budget et du
point de vue de l'activité économique proprement dite, et qui est le secteur public, pas seulement la fonction publique, mais le secteur public.
Dans ce secteur, la question du règlement des salaires, (<l'avoir>>, cc que
vous avez appelé 'xl'avoir>, n'a pas la même flexibilité que dans une
entreprise privée. Aussi la question que j'aimerais vous poser est la suivante: Est-ce que vous pourriez nous dire comment vous envisageriez
l'application de la gestion participative dans ce secteur qui n'est pas seulement très important du point de vue des chiffres d'affaires, si l'on peut
dire, mais auSSi du point de vue de l'influence, des principes d'organisalion des travailleurs, de l'importance des syndicats, etc.?
M. Dassault
Je croiS que j'ai déjà un peu répondu a Ia premiere question: Pourquoi n'applique-t-on pas davantage la gestion participative aujourd'hui,
alors qu'elle date de trente ans, et même de plus? Pourquoi les
employeurs ne se sont-ils pas tous précipités sur cette méthode miracle
pour résoudre leurs problèmes? Je crois que c'est parce que d'abord il y
a un manque d'information, un manque de crédibilité peut-être, une
crainte: Est-ce qu'on ne va pas avoir le contrôle complet des syndicats
ou des salaries sur nos comptes, est-ce qu'on ne va pas perdre nos pouvoirs, est-ce qu'on va pouvoir continuer a diriger nos entreprises? Ii y a
une crainte réelle parce qu'on a beaucoup utilisé cc mot de participation, de cogestion, d'autogestion, et que finalement on ne sait plus très
bien de quoi on parle. C'est pour cela que j'ai essayé de redéfinir cette
méthode sous cette forme. C'est pour cela qu'il y a dans beaucoup de
pays, et cc serait très heureux si l'on pouvait peut-être, dans le cadre du
Bureau international du Travail ou de I'Institut international d'études
sociales que dirige M. Kane, se pencher sur cc problème et l'étudier plus
profondément pour tous les pays, parce que c'est une méthode universelle, internationale, qui s'applique a tous les pays, quels que soient le
niveau de développement et Ic niveau d'organisation. Et je crois que cc
serait une bonne chose que cette gestion participative devienne internationale et que chaque pays prenne en compte cette méthode qui est simple et qui depend des hommes et non des groupes; c'est cela Ic changement. En cc qui concerne son application dans les secteurs publics ou
44
nationalisés, c'est aussi facile et aussi difficile. C'est peut-être plus difficile parce que les presidents nommés par 1'Etat sont peut-être moms
libres — et encore cela depend des cas, de la politique interne de l'entreprise. Mais quand on met a part le problème des salaires, tout ce quej'ai
dit sur l'avoir, sur l'être, le savoir et le pouvoir, est applicable dans toutes les organisations publiques.
Je connais des entreprises, des usines de l'aérospatiale, en France, oU
on applique la méthode, oü le directeur de l'usine réunit son personnel.
Personne ne peut vous interdire de réunir votre personnel et de lui parler. Personne ne vous interdit d'organiser votre travail en décentralisant
et en demandant l'avis des uns et des autres, c'est universel. Seulement
cela depend du président, du directeur de l'usine, et c'est pour cela que
le premier objectif c'est de convaincre les responsables des entreprises.
Les jeunes, qui démarrent dans la vie, qui créent leur entreprise, seront
plus enclins au depart a adopter cette idée, parce que la difficulté, je ne
dis pas qu'elle vient des vieux — parce que je ne suis plus trés jeune non
plus — mais elle vient de ceux qui n'ont jamais appliqué la méthode. Je
connais des chefs d'entreprise qui ne veulent pas en entendre parler, qui
ne veulent pas changer; ils considèrent que c'est a eux de decider et que
leurs employés n'ont qu'à obéir et que, puisque cela a toujours fonctionné de cette manière, ii n'y a pas de raison pour que cela ne continue
pas. Ils reconnaissent bien qu'il y a des grèves de temps en temps, mais
ils les considèrent comme un mal nécessaire. Personnellement, je crois
que ce n'est pas la bonne formule; la grève n'est pas une nécessité, mon
entreprise n'a pas eu un jour de grève depuis que j'ai appliqué cette
méthode de gestion, c'est-à-dire depuis quinze ou seize ans.
En fait, je crois que l'inconvénient de cette méthode c'est qu'elle est
trop simple et qu'on ne croit pas qu'elle est facile a appliquer. Pourtant,
c'est facile, a condition de vouloir et d'y croire. Je serais trés heureux si, a
la suite de cette reunion, il pouvait y avoir au sein de l'Organisation internationale du Travail une cellule de réflexion, ne serait-ce que pour étu-
dier ce qui se fait réellement dans chaque pays. C'est intéressant pour
nous comme pour vous de savoir ce qui se fait ailleurs et d'avoir des rapports sur ce qui se fait dans chaque pays; parce que cela donne des idées.
Quand je dis que je réunis tout mon personnel, une fois par an, cela en
conduit d'autres a faire pareil. Cela ne pose aucun problème et c'est très
bénéfique. Donc l'exemple est important, l'exemple de tout ce qui se
passe dans chaque pays est important. Au Japon, par exemple, une des
raisons des succès industriels vient de cette méthode qui y est appliquee
avec succès depuis longtemps. Au Japon, Ia decision est prise par tout le
monde, enfin ii y a une très grande concertation, information, intéressement a des bonus, etc., et cela donne de bons résultats.
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S.E.M. l'AmbassadeurBarboza-Carneiro (membre du Conseil del'Institut international d'études sociales)
M. le Président Dassault, j'ai entendu avec un vif intérêt votre
exposé, votre belle lecon. Et comme les lecons a la jeunesse m'intéressent énormément, surtout depuis la fondation de cet institut, a laquelle
j'ai pris une certaine part puisque j'étais membre du comité qui a rédigé
les statuts de l'institut, je me suis demandé si M. le Directeur de l'Institut voudrait bien vous prier de venir lors du cours international de stagiaires, qui s'adresse a de jeunes cadres provenant de milieux gouvernementaux et d'organisations d'employeurs et de travailleurs des pays en
développement, leur expliquer l'expérience que vous menez dans votre
entreprise. J'ai eu plaisir a vous écouter, moi qui depuis longtemps suis
avec enthousiasme l'ceuvre sociale que M. votre Pére a réalisée et qui
fait l'admiration de tous ceux qui se préoccupent de ces problèmes.
Quand j'étais jeune, j'ai suivi de près l'évolution des idées du patronat
dans mon pays, le Brésil, vis-à-vis des masses ouvrières. J'ai vécu les
années de revolution sociale au Brésil lors du Gouvernement du Président Vardas, qui a réussi a doter Ic Brésil d'une legislation sociale. C'est
grace a l'initiative d'un grand patron brésilien que deux grandes organisations ont vu le jour au Brésil. Ii s'agit de l'Institut pour la formation
des techniciens, des ouvriers de différents secteurs de l'industrie qui ont
besoin d'une formation spéciale et d'une autre organisation qui vise non
seulement a l'éducation des jeunes apprentis mais également a l'assistance a l'ouvrier sous tous ses rapports. Je me suis également intéressé a
l'expérience japonaise. J'ai été au Japon comme ambassadeur du Brésil
et j'ai suivi de près la situation du proletariat japonais. Ii existe une
conscience de la solidarité des patrons japonais et du proletariat comme
je n'en ai vu dans aucun autre pays. Je vous remercie, M. le Président,
d'avoir mentionné ces résultats que nous constatons aujourd'hui un peu
partout par l'accroissement formidable qui s'est produit dans les échanges commerciaux entre le Japon et l'Occident. Je vous remercie de la
belle lecon que vous nous avez donnée sur votre propre experience.
Vous suivez là une tradition de famille qui honore la France et qui enrichit tous ceux qui dans le monde se préoccupent de ces grands problèmes. Je vous remercie.
M. Dassault
Merci beaucoup, M. l'Ambassadeur, de tout ce que vous avez dit. Si
je peux participer ici a d'autres reunions, en particulier avec des jeunes
de tous les pays, je serais trés heureux de pouvoir revenir et de pouvoir
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expliquer dans d'autres conditions cette méthode et les informer de ce
que nous faisons en France et de ce que j'espère pouvoir un jour voir se
réaliser le plus possible partout dans le monde. Merci de vos aimables
paroles, M. l'Ambassadeur, merci d'avoir pane en francais, cela m'a
beaucoup touché.
Une participante
Vous avez dit que votre méthode — qui ressemble d'ailleurs assez
étrangement a celle d'un Américain, Thomas Gordon, que vous connaissez sans doute, et qu'il a développée depuis déjà plusieurs années
aux Etats-Unis, avec plus ou moms les mémes buts — permet de supprimer le vote, l'élection de représentants syndicaux. Alors si dans l'avenir,
dans un pays comme la France par exemple, et étendu aussi a d'autres
pays, il n'y a plus de représentants syndicaux, je me demande ce que va
devenir le tripartisme de l'OIT. Qu'en pensez-vous?
M. Dassault
Je ne pense pas qu'on aille aussi loin. Ce que je souhaite, c'est que
les représentants syndicaux prennent conscience de ce que peut ou ne
peut pas faire l'entreprise et arrêtent de faire cc que j'appelle de la
revendication a priori. Ii faut que les syndicats changent, les patrons
doivent changer bien sür, mais les syndicats aussi, pour que tout fonctionne dans de bonnes conditions, pour qu'il y ait le maximum
d'emplois et le maximum de revenus et de satisfaction. Si les syndicats
participent a cette operation, c'est parfait; s'ils ne veulent pas y participer, s'ils se mettent en dehors, c'est regrettable pour eux. Ii faut qu'ils
comprennent qu'il faut changer d'attitude et que Ia méthode qui consiste a réclamer toujours plus d'avantages sociaux n'est plus possible et
qu'elle atteint finalement le résultat inverse, a savoir la reduction des
emplois et les faillites des entreprises. II n'y a qu'un juge de paix: le profit et le client. Ce que je souhaite donc, c'est que l'ensemble des syndicats en prennent conscience; ii faut qu'ils sachent ce qu'il y a dans la
caisse pour savoir si cc qu'ils demandent peut être payé. Ii faut prendre
conscience des véritables problèmes, il faut prendre conscience de la réalité, et il faut admettre qu'aussi bien les syndicats que les patrons défendent les intérêts des travailleurs.
M. Kane
Merci, M. Dassault. Je pense qu'à cette heure tardive tout le monde
me sera trés reconnaissant de ne rien ajouter a cette conference et au
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débat extrêmement riche qui l'a suivie et qui a montré, M. Dassault,
I'intérêt qu'ont suscité votre conference et le sujet. Je vous remercie au
nom du Directeur general du BIT, M. Francis Blanchard, qui, retenu
par les travaux de la 71 e Session de Ia Conference internationale du Tra-
vail, n'a pu, comme il le souhaitait, être present parmi nous. Je vous
remercie également au nom de mes collegues et en mon nom personnel
d'avoir accepté d'être notre hôte et de partager avec nous votre si riche
experience. Je voudrais egalement remercier tous ceux qui sont venus,
en particulier notre doyen, M. 1'Ambassadeur Barboza-Carneiro, d'être
encore ici, si tard.
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