Toute une histoire

Transcription

Toute une histoire
D’Angelo Sophie
Schneider Léa
Analyse de dispositifs audiovisuels
Toute une histoire
France 2
Isabelle Gavillet
M1 Information et Communication
Conception de Produits Médiatiques
Sommaire
Introduction…………………………………………………………...3
I. Delarue fait « Toute une histoire » de « Ca se discute »……………3
Création de l’émission…………………………………………………….3
Orientation thématique……………………………………………………4
Identité des protagonistes…………………………………………………6
II. Dans l’œil de Delarue : analyse de l’émission……………….…….8
Cadre situationnel…………………………………………………………8
Structuration de l’émission…………………..……………………………9
Mises en scène……………………………………………………...……13
Conclusion…………………………………………………………...15
Sources…..…………………………………………………………...16
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Introduction
Jean-Luc Delarue, un des animateurs-producteurs les plus influents du Paysage
Audiovisuel Français, lance à la rentrée 2006 l’émission quotidienne « Toute une histoire ».
Le présentateur, tout comme ses émissions, fait souvent l’objet de critiques sur la façon dont
des sujets graves peuvent être exploités pour faire de l’audience. « Ca se discute » est
l’émission de Delarue qui provoque le plus de réactions et reste sa production la plus connue.
Il s’agit d’une émission de plateau alliant témoignages, people, émotions et spectaculaire, qui
sont aussi les principaux ingrédients de « Toute une histoire ». Il semble donc intéressant
d’étudier la façon dont Jean-Luc Delarue a repris le fond de commerce de « Ca se discute » en
l’adaptant à une quotidienne de début d’après-midi.
Pour cela, nous commencerons par présenter l’animateur et l’orientation de
l’émission ; nous nous pencherons dans une seconde partie sur l’analyse plus approfondie du
dispositif, notamment à travers l’émission diffusée le 4 octobre 2007 intitulée : « On les
insulte à cause de leur laideur, comment font-ils face ? ».
I. Delarue fait « Toute une histoire » de « Ca se discute »
Création de l’émission
Jean-Luc Delarue, animateur et producteur de télévision français, fait son entrée dans
le monde des médias en 1986, à l’âge de 22 ans, avec l'émission « Une page de pub » sur la
chaîne TV6. En 1994, il rejoint France 2. Il crée simultanément sa société de production
Réservoir Prod et l’émission « Ça se discute », aujourd'hui encore la deuxième partie de
soirée la plus performante de la chaîne et un des programmes les plus appréciés du public. En
1998, il produit et présente sa deuxième émission de société, « Jour après jour », toujours sur
France 2, mais cette fois en prime-time. « Jour après jour » revient sur l’histoire d’anciens
invités de « Ca se discute » pour prendre de leurs nouvelles et montrer leur évolution depuis
l’émission. En 1999, Réservoir Prod lance « C'est mon choix » sur France 3, talk-show
quotidien animé par Evelyne Thomas. Malgré son succès, l'émission s'arrêtera durant l'été
2004 faute d'un accord entre les producteurs (c’est-à-dire Jean-Luc Delarue) et l'animatrice.
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En 2003, le Groupe Réservoir (Réservoir Prod et Carson Prod) emploie plus de 250
permanents. Il est le premier producteur indépendant de flux français (hors sport et
information) avec, pour 2002, 14 heures de productions hebdomadaires.
Jean-Luc Delarue est souvent désigné comme « le gendre idéal », il a auprès des
téléspectateurs une image sérieuse, propre sur lui, empathique. Il bénéficie de l’image positive
d’un homme qui met en avant des problèmes allant des sujets de société aux petits tracas de la
vie quotidienne.
À la rentrée 2006, Jean-Luc Delarue lance une nouvelle émission, diffusée en début
d'après-midi et intitulée « Toute une histoire ». Elle reprend le créneau horaire de « C’est mon
choix », qui n’avait pas trouvé de remplacement sur une chaîne du service public depuis son
arrêt. Cette nouvelle émission fait elle aussi intervenir des anonymes et des people pour
témoigner et exposer une partie de leur vie intime.
D’autre part, il existe de nombreux points communs entre « Toute une Histoire » et
« Ca se discute », l’émission phare de Delarue, concernant le concept, la scénographie et les
thèmes abordés. Ceux-ci peuvent même être identiques d’une émission à l’autre. Ainsi le
thème « Amour et différences » revient souvent dans les deux dispositifs. Nous avons pu
constater un autre exemple récemment : le mardi 23 octobre 2007, le thème de « Toute une
histoire » était « Un fan a fait de ma vie un cauchemar » ; le mercredi 24 octobre, « Ca se
discute » s’intitulait « Célébrités traquées : victimes ou consentantes ? ». D’ailleurs, depuis le
début de « Toute une histoire », l’émission « Ca se discute » est passée d’hebdomadaire à
mensuelle.
Orientation thématique
« Toute une histoire » est une émission quotidienne diffusée du lundi au vendredi sur
France 2. Elle démarre juste après la fin du Journal Télévisé à 14h, sur un format de 52
minutes. Elle est suivie par la série « Le Renard ». Sur le même créneau horaire, sont diffusés
sur TF1 les « Feux de l’amour » et « Derrick » sur France 3.
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« Toute une histoire » a démarré en septembre 2006 et entame cette année sa deuxième
saison. Elle est présentée par Jean-Luc Delarue et produite par Réservoir Prod.
Les émissions sont enregistrées de 14h à 18h30 (lorsque deux émissions sont
enregistrées l’une à la suite de l’autre) ou de 18h à 20h (une seule émission enregistrée),
quelques jours avant la diffusion.
Il semble intéressant de mettre en avant le discours de la chaîne sur l’émission. Cet
extrait est disponible sur le site internet de « Toute une histoire » :
L’émission « Toute une histoire » vous fera découvrir ses invités, nombreux à vouloir
témoigner de leur histoire sur des thèmes toujours plus variés ancrés dans notre vie
quotidienne.
Jean-Luc Delarue s'adresse aux téléspectateurs du début d’après-midi auxquels les
grandes chaînes de télévision généraliste ne s’adressent plus aujourd’hui : toutes celles et
ceux qui, parce qu’ils viennent d’avoir un enfant, parce qu’ils sont en recherche d’emploi,
parce qu’ils sont à la retraite, parce qu’ils travaillent chez eux ou près de chez eux, pour des
raisons multiples, se trouvent à la maison. Il le fera avec le talent, la dignité et l’empathie qui
ont fait de ses émissions l’un des miroirs les plus authentiques et appréciés du public.
Tout comme « Ca se discute », « Toute une histoire » se base donc sur l’émotion, le
misérabilisme, les drames, les tranches de vies, les témoignages d’anonymes ou de people
(qui sont souvent has been ou en quête de notoriété) et bien sûr sur le voyeurisme des
téléspectateurs.
Les titres d’émission donnent un bon aperçu des thèmes récurrents et de l’orientation
de « Toute une histoire ». On pourra retenir, à titre d’exemples : « Enfants et maladie, le
calvaire de l’école », « On les insulte à cause de leur laideur, comment font-ils face ? »,
« Disparaître sans laisser d’adresse », « Un fan a fait de leur vie un cauchemar », « Mon
conjoint m’a quitté(e) pour un proche », « Je me sens coupable de la mort de mon enfant »,
« Je suis l’esclave de mes émotions », « Trouver l’amour à l’étranger », « Supporter les
manies de son conjoint », « L’anorexie me détruit », « Enfance et cancer », « Secret de
famille », « L’avortement a brisé mon couple ».
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Les téléspectateurs visés sont évidemment les inactifs puisque l’émission est diffusée
en milieu de journée. A ce sujet, on peut noter que les publicités diffusées juste avant et après
l’émission peuvent concerner la cuisine et les produits ménagers, les produits minceur, les
sièges automatiques pour escaliers destinés aux personnes âgées, les assurances vie et autres
conventions obsèques. Il est donc aisé d’en déduire que l’audience de « Toute une
histoire » est composée en majeure partie de ménagères et d’un public de plus de 50 ans.
Comme nous l’avons annoncé lors de notre introduction, nous avons choisi d’étudier
l’émission intitulée : « On les insulte à cause de leur laideur, comment font ils face ? ».
En effet, celle-ci est représentative de l’orientation de l’émission. Il s’agit d’un thème
typique qui permet de se rassurer grâce au malheur des autres. On y retrouve aussi
l’intervention d’un « people », le comique Booder, ainsi que la présence d’un expert. Nous
verrons aussi que le public de l’émission intervient à certains moments. Cette émission sur la
laideur réunit tous les éléments clés qui caractérisent « Toute une histoire ».
Identités des protagonistes
Les protagonistes de « Toute une histoire » sont toujours divisés en quatre catégories
qui ne changent jamais : le présentateur, les invités-témoignants, les experts et le public.
En ce qui concerne Jean-Luc Delarue, il est à la fois l’animateur, le confident et
l’intervieweur. Il a toujours un rôle d’intermédiaire entre les invités : il n’y a jamais
d’échanges directs entre témoins. Il est aussi celui qui distribue les rôles médiatiques et la
parole, dans un ordre précis.
Pour ce qui est des invités, sont toujours indiqués dans leur présentation : leur âge, leur
statut marital et le nombre d’enfants, parfois leur métier. On se situe donc évidemment dans la
sphère de l’intime. Les invités sont toujours définis par rapport à leur histoire personnelle ou
leur témoignage. On présentera ainsi au téléspectateur « La femme bafouée », « L’homme qui
a trahi » ou encore « Le people traqué ». Certains invités, pour des raisons juridiques ou
personnelles, témoignent anonymement, soit en ombre chinoise projetée sur un écran, soit
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déguisés avec perruque et lunettes. Mais ils sont souvent tout à fait reconnaissables. Ainsi le
brouillage des voix est régulièrement mal réglé, et l’invité parlera pendant quelques dizaines
de secondes avec sa voix normale avant d’être brouillé. Il est légitime de se demander
pourquoi Jean-Luc Delarue fait intervenir ces personnes alors que des dizaines d’autres
pourraient être aptes à le faire, sur le même thème et à visage découvert. Il est évident que le
but recherché ici est celui du spectaculaire, de l’interdit, du sensationnalisme.
Dans le cadre de l’émission sur la laideur, l’identité sociale des témoins est précisée,
dans un bandeau en bas de l’écran, lorsqu’ils interviennent. Par exemple : Julie, 23 ans,
employée dans l’administration, Namur. Son identité médiatique est annoncée par Jean-Luc
Delarue : il s’agit d’une jeune femme souffrant de son apparence, liée à son hyperpilosité.
Les experts sont sollicités pour légitimer le sujet : il s’agit souvent de psychologues
spécialisés (mais ces spécialisations n’ont rien d’officiel, ainsi une « experte de l’amour,
psychologue et conseillère en rencontres et relations sur internet » interviendra lors d’une
émission sur l’amour), de médecins, agents et conseillers de people, ou encore de détectives
privés… Cependant, leurs interventions sont très souvent constituées de conseils « bateaux »,
certes biens formulés, mais que n’importe qui pourrait avancer.
Sur cette émission l’expert est un psychothérapeute, Marc Lévy Davila. Il s’agit d’un
« consultant coach », expert des relations entre l'individu et l'argent sur lesquelles il a publié
de nombreux ouvrages. Mais ces informations ne sont pas mises en avant dans l’émission, et
ne se trouvent qu’après recherches. Son identité médiatique est simplement psychothérapeute
intervenant sur des problèmes liés au physique.
Finalement, le public de l’émission constitue un protagoniste à part entière. En tant
que groupe, il arrive qu’il soit sollicité par Jean-Luc Delarue, qu’il hue ou applaudisse un
témoignage. Plus particulièrement, peuvent être présents dans le public des proches (parents
ou amis) des témoins, qui interviendront ponctuellement. Depuis quelques mois, un nouvel
élément du public fait son apparition : le « contradicteur ». Il s’agit d’un témoin « qui ne
comprend pas » la différence ou le problème des invités. Il est assis en face d’eux, dans le
public, et sa présence sert à relancer le débat, à provoquer, à attaquer. Souvent considéré
comme le « réac’ de service », il est souvent hué par le public mais représente en fait ce qui
devrait être la norme, puisque les invités sont précisément hors du commun. La « norme » est
dans ce cas sous-représentée par rapport au « hors norme ».
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II. Dans l’œil de Delarue : analyse de l’émission
Cadre situationnel
Le plateau de « Toute une histoire » est une sorte d’arène, le public étant placé sur des
gradins. Mais contrairement à la plupart des émissions, le public est placé tout autour de
l’arène, en vis-à-vis, selon une forme ovale, qui rappelle fortement un œil humain. Jean-Luc
Delarue est constamment placé sur le sol au centre de cet œil, dont il serait la pupille, qui se
déplace pour scruter, observer les invités, regarder le téléspectateur. Le public est donc placé
autour de cet œil. Ces éléments renforcent le côté voyeuriste de l’émission qui est assumé par
Jean-Luc Delarue et la production.
Outre les témoignages, l’émission est agrémentée de plusieurs reportages : ce procédé
inclut le téléspectateur dans le dispositif. Les reportages situent le sujet, dynamisent les
témoignages, accrochent les téléspectateurs, justifient un sujet (grâce à l’« enquête de la
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rédaction », faux travail de journaliste). L’émission sort du plateau pour aller dans la rue
(grâce à des micros trottoir) et chez les gens (à travers des reportages sur les invités). Le
téléspectateur est invité à suivre l’équipe de la rédaction dans l’intimité des témoins. On peut
donc parler d’espace discontinu, l’émission quitte le plateau régulièrement.
Le public est moins nombreux que sur « Ca se discute ». L’espace est plus petit,
l’ambiance est plus intime, plus feutrée. Certains éléments visuels sont communs aux deux
émissions, comme la couleur rouge, qui est la couleur de France 2, mais qui renvoie aussi à la
passion, à l’émotion, à l’amour, et attire le regard. Mais cette couleur chaude est atténuée sur
le plateau de « Toute une histoire » par la couleur blanche, contrairement au plateau de « Ca
se discute », qui est plus sombre. La lumière est « naturelle », comme sur « Ca se discute ».
On peut noter une certaine proxémie entre les invités. En effet, ceux-ci sont placés les
uns à côté des autres au premier rang, dans des fauteuils séparés et de forme carrée, ce qui fait
penser à un classement dans des cases, dont ils ne peuvent pas sortir puisqu’ils sont cantonnés
au rôle que Jean-Luc Delarue leur donne.
L’animateur, quant à lui, est debout au centre lorsque démarre l’émission, ou arrive du
fond du plateau. Il s’assoit parfois en face d’eux dans un fauteuil au milieu de l’œil, ce qui se
rapproche d’une discussion de salon puisqu’il est à ce moment là proche des témoins. Certains
membres du public peuvent intervenir à la sollicitation de Delarue (parents des témoins par
exemple, ou personnes ayant vécu la même expérience…). Les experts sont placés en face des
témoins au premier rang, sur une banquette.
Tout se déroule autour et en fonction de la pupille de l’œil, Jean-Luc Delarue : on peut
donc parler d’un espace concentrique.
Structuration de l’émission
Chaque « Toute une histoire » commence par un reportage compilant des extraits de
l’émission du jour. Généralement il s’agit des moments forts, choquants, qui peuvent créer un
suspense. Les images s’enchaînent très rapidement dans le but de capter l’attention du
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téléspectateur et d’éveiller leur curiosité. De plus, au montage, l’équipe utilise différents
procédés tels que l’incruste de textes sensationnalistes de type : « ILS SE CACHENT », « ILS
VIVENT UN CALVAIRE ». La musique est rapide et rythmée, et rappelle fortement les
scènes de tension dans les films d’action. Le tout fait penser à une bande annonce de film
hollywoodien, puisque tout comme une bande annonce, cet extrait doit donner envie de voir la
suite.
Le titre de l’émission est affiché tout au long de l’émission dans un bandeau rouge en
bas de l’écran, précédé d’un gros guillemet, ce qui accentue et insiste sur le côté
« témoignage » : c’est du vécu, et les principaux intéressés sont là pour en parler.
Le
l’émission
générique
est
de
accompagné
d’une musique entraînante.
Différentes images se
succèdent rapidement : on voit
successivement
la
planète
Terre, la France, Paris, la Tour
Eiffel, et enfin les studios de
France Télévision. Un groupe
de gens de dos rentre dans les
studios et le téléspectateur est
comme invité à les suivre. On
suit ensuite une technicienne dans les coulisses, puis en régie, alors que le titre « Toute une
histoire » s’affiche. A la fin du générique, qui est très court (15 secondes) la caméra entre sur
le plateau par le bas de « l’œil » et se dirige vers Jean-Luc Delarue. Tout est fait dans le
générique pour montrer que les histoires racontées vont prendre place dans le quotidien des
gens, en France, et pousse le téléspectateur à vouloir découvrir ce qui se passe dans les
studios. Il y a une idée de transparence puisque les studios sont situés géographiquement, les
coulisses et la régie sont montrées avant l’émission.
A la fin du générique, l’animateur, en regard caméra, présente rapidement l’émission
du jour en prononçant quelques généralités sur le thème abordé.
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Jean-Luc Delarue utilise toujours une phrase type : « Accueillez les invités ». Cela
s’adresse au public présent sur le plateau, mais surtout au téléspectateur, d’autant que
l’animateur est en regard caméra quand il prononce cette phrase. Cela induit : « accueillez les
chez vous, traitez les bien, soyez investis émotionnellement ».
Ensuite s’enchaînent une présentation rapide des invités et un premier tour de parole
qui amène le présentateur à annoncer la première partie de l’émission.
En effet l’émission est structurée en trois
parties, totalement déséquilibrées au niveau de la
durée. En l’occurrence, l’émission du 4 octobre est
divisée comme suit :
I. La prise de conscience (22 min.)
II. Trouver l’amour (16 min.)
III. S’accepter et se faire accepter (12 min.)
Dans chaque partie, les témoignages sur le plateau et les reportages sur l’histoire des
invités se succèdent. On retrouve aussi dans chaque émission un « reportage de la rédaction ».
Il s’agit souvent d’une question liée au thème du jour posée à des inconnus lors d’un micro
trottoir. Ces interventions sont entrecoupées de l’ « avis de l’expert », qui commente le sujet
sur fond noir et austère, ce qui est censé être gage de sérieux. Il s’agit en réalité d’un faux
travail de journaliste pour justifier la gravité et / ou la légitimité d’un thème abordé par
l’émission.
En ce qui concerne les reportages sur les invités, ils sont souvent construits sur le
même schéma : reconstitution du passé ou du quotidien du protagoniste, intervention de ses
proches, musique dramatique, ainsi que différents effets qui sont ajoutés sur l’image : floutés,
désaturation des couleurs, ralentis, incrustes de texte et photos, plans récurrents pour
accentuer le coté émotion. Ainsi, dans l’émission sur la laideur, le reportage sur Julie contient
plusieurs fois les mêmes images de la jeune fille se rasant le matin.
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Le téléspectateur est sollicité au cours de la seconde partie de l’émission par ce que
Jean-Luc Delarue appelle le « message de la rédaction ». Celui-ci est divisé en deux parties :
l’appel à témoins et la bande annonce d’une émission à venir. L’appel à témoin se retrouve
aussi sur le site internet et est composé d’une série de questions concernant un thème à venir.
En voici un exemple :
Enfant de prostituée
•
•
•
•
•
•
•
•
Vous êtes un enfant de prostituée.
Depuis que vous êtes enfant, votre mère se prostitue et vous le savez.
Vous avez découvert à l’âge adulte que votre mère se prostituait.
Votre mère est une prostituée et vous avez été conçu pendant une de ses passes.
Vous avez grandi dans une maison close
Votre mère se prostituait et aujourd’hui, vous vous prostituez
Vous vous prostituez et vous avez des enfants
Vous vous prostituez et vous êtes enceinte
Contactez Sophie au 01.53.84.33.81 ou Bérénice au 01.53.84.30.68
Concernant les voix de retour, l’émission est enregistrée, il n’y a donc pas
d’interventions directes des téléspectateurs. Mais les appels à témoins pour les futures
émissions peuvent les pousser à participer.
Par ailleurs, les téléspectateurs sont invités à réagir sur le site de France 2, plus
précisément sur le forum de l’émission. L’adresse du site est mentionnée pendant l’appel à
témoins et à la fin de l’émission. Le forum du site peut ainsi être considéré comme la
continuité de l’émission. D’ailleurs, de nombreux invités y participent et partagent leurs
expériences : le forum est très actif sur les sujets abordés dans « Toute une histoire » mais
aussi sur des sujets lancés par des internautes qui recherchent de l’aide ou veulent témoigner.
Jean-Luc Delarue affirme parcourir les forums de France 2 et d’autres sites, tels que
Doctissimo ou AuFéminin, pour avoir des retours sur l’émission.
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Les mises en scène
Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’émission est enregistrée et non en
direct, le montage a donc une place très importante. Le résultat final donne l’impression d’une
mise en scène bien chorégraphiée par la production : on ressent en effet les coupures au
montage, l’absence de spontanéité lors de certaines interventions.
En ce qui concerne le cadrage, on
retrouve le même type de plans d’une
émission à l’autre.
Un des plans récurrents est le
champ/contre champ lors des dialogues
entre Delarue et les invités. Plan qui ne
se retrouve presque jamais entre les
invités. La caméra est souvent placée
juste derrière l’épaule du présentateur :
on met le téléspectateur à sa place, dans
une position de témoin direct.
L’autre cadrage qui se retrouve dans chaque émission est un plan sur Jean-Luc
Delarue, debout sur le coté gauche devant l’écran géant qui diffuse des photos ou des images
des invités en train de témoigner. C’est un plan significatif car il induit que Jean-Luc Delarue
se met au service du témoignage, qu’il se fait tout petit devant l’histoire des invités.
Le téléspectateur est une fois de plus inclus dans le dispositif grâce à des plans filmés
par une caméra placée dans le public en face des invités.
Dans tout les cas, tout tourne autour de Jean-Luc Delarue : il est le chef d’orchestre
devant et derrière la caméra. En effet, c’est lui qui décide de tout : il gère notamment la mise
en scène verbale puisque c’est lui qui distribue les tours de parole sur le plateau. Certains
invités sont beaucoup plus mis en avant tandis que d’autres paraissent inexistants, aussi bien
au niveau du temps d’apparition qu’au niveau du témoignage. Cela est dû à la distribution des
temps de parole mais surtout au montage qui lui aussi est supervisé par Jean-Luc Delarue.
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Dans l’émission du 4 octobre sur la laideur, la disproportion était une fois de plus
frappante. Ainsi, une des invitées, Emeline, a bénéficié de près de 15 minutes de temps
d’exposition alors qu’une autre n’intervient que pendant 2 minutes 30.
Sachant que celle qui parle le plus est atteinte d’une malformation sévère du visage et
que l’autre s’est déjà fait opérer et ne porte aucune séquelle, on peut tout à fait imaginer que
l’animateur-producteur a choisi de mettre en avant la première puisque son image est plus
choquante et son histoire beaucoup plus sensationnelle.
Jean-Luc Delarue se sert de
ses invités pour créer du suspense.
Par exemple avec Emeline, la
question récurrente pendant toute
l’émission était de savoir si elle
allait retirer ou non ses lunettes de
soleil dont elle se sert pour
camoufler son visage. Même si
l’animateur prétend vouloir l’aider
à s’assumer, on pourrait être en
droit de se demander si celui-ci ne
fait pas d’elle une bête de foire, susceptible de tenir en haleine le téléspectateur et d’éveiller sa
curiosité.
Jean-Luc Delarue tient souvent des propos choquants à l’encontre des invités, qui
peuvent aller jusqu’à la méchanceté pour les déstabiliser émotionnellement et leur soutirer
toujours plus de larmes. Par exemple, lors d’une projection d’une photo de Julie enfant, qui
souffre d’hyperpilosité, l’animateur commente : « … Les sourcils, oui… Entre Frida Kahlo et
Emmanuel Chain… ». Ce qui n’est pas forcément la meilleure façon d’aider quelqu’un déjà
très complexé par son physique.
Parfois l’animateur force aussi les invités à répéter ce qu’ils ont confié en coulisses,
voire le répète lui même : « Vous avez dit lors de la préparation de l’émission… » Cela peut
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pousser les témoins à se révéler et à s’exposer plus qu’ils ne l’auraient voulu devant les
caméras. Le but de toute cette mise en scène est de susciter le plus d’émotions possible auprès
du téléspectateur.
Conclusion
A l’image de son titre évocateur, « Toute une histoire » est une émission basée sur le
témoignage, des histoires spectaculaires qu’on n’entend pas tous les jours. Le dispositif
inverse les tendances de la société puisqu’il donne la parole à des personnes « hors normes »,
la « norme » étant représentée (et dévaluée) sur le plateau par le « contradicteur ». Or il
convient de rappeler que les téléspectateurs visés sont justement des personnes ne
correspondant pas à la « norme », qui sont « hors de la société », puisque ce sont des inactifs.
L’émission enclenche donc un processus d’identification pour ses téléspectateurs, à travers le
rejet des standards sociaux.
Par ailleurs, « Toute une histoire » rejoint la culture de l’émotion et du compassionnel
plutôt qu’apporter une véritable réflexion sur des problèmes de fond qui peuvent par ailleurs
être graves : les interventions sont courtes, les experts n’ont aucune utilité hors la légitimation
de l’émission. La complexité d'une situation, de la souffrance d'une personne, est à chaque
fois unique et ne se déchiffre pas en l'espace d'un court témoignage sur un plateau.
Les invités disent régulièrement qu’ils se sont rendus sur le plateau pour comprendre
leur problème, faire leur deuil ou assumer leur histoire. Sachant que le but premier d’une
émission de télévision est de faire le plus d’audience possible, cela ne risque-t-il pas d’être au
détriment de ces témoins, puisque l’exploitation de leur témoignage peut leur échapper ? Et la
télévision peut-elle prétendre être un lieu adapté à une certaine forme de psychanalyse
apparemment recherchée par ces personnes ?
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Sources
Sites officiels
France 2 : http://programmes.france2.fr/toute-une-histoire/
Réservoir Prod : http://www.reservoir-prod.com/
Articles
Laurent DUPIN, ZDNet.fr, article « Jean-Luc Delarue et Réservoir Prod préfèrent les forums
au web 2.0 » :
http://www.zdnet.fr/actualites/informatique/0,39040745,39364285,00.htm
Julien MIELCAREK, iMedias.biz, article « Jean Luc Delarue présente « Toute une
histoire » » :
http://www.imedias.biz/lemag/lemag-jean-luc-delarue-presente-toute-une-histoire-374.php
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