Actes journée départementale 2006 conférence d` Alain Bentolila

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Actes journée départementale 2006 conférence d` Alain Bentolila
Journée départementale « APPRENDRE A LIRE AU CYCLE II »
La Roche sur Yon le 8 novembre 2006
APPRENDRE A LIRE : COHERENCE, CONTINUITE ET SERENITE.
Alain BENTOLILA
ALAIN BENTOLILA
Professeur de linguistique à l'Université Paris V-Sorbonne,
Conseiller scientifique de l'Observatoire National de la Lecture et de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme,
Directeur de collection aux Editions Nathan,
Auteur de nombreux ouvrages, dont " Tout sur l'école " (Ed. Odile Jacob, 2004) et " Monde à lire " (Ed. Nathan)
Secrétariat : Françoise LABEEUW – Formatrice Lettres IUFM – La Roche sur Yon
Jean-Luc COUPEL – Conseiller Pédagogique – Circonscription de Luçon
Propos préalable
Beaucoup d’enfants arrivent à l’école déjà résignés à n’avoir aucune prise sur le monde, à ne revendiquer aucun pouvoir
linguistique sur les autres ; ils ont déjà renoncé à la conquête collective du sens pour ne plus s’occuper que de se protéger
individuellement d’un monde où les menaces de la parole leur paraissent l’emporter largement sur ses promesses.
Bien des enfants arrivent à l’école avec une langue orale très éloignée de la langue qu’ils vont rencontrer en apprenant à lire
et à écrire. Ne craignons pas de le dire, ils parlent une langue étrangère à celle sur laquelle va reposer leur apprentissage de
la lecture et de l’écriture. Il s’agit d’abord d’une pauvreté de vocabulaire, mais il s’agit aussi des structures mêmes de la
langue, de sa syntaxe, de son système de temps, de ses articulations logiques… Le langage dont disposent certains élèves
à la veille d’entrer au cours préparatoire est parfois incompatible dans ses structures mêmes avec une entrée sans rupture
dans le monde de l’écrit.
Si le jeune élève doit donc découvrir le principe alphabétique en comprenant qu’il existe des relations le plus souvent
régulières entre lettres ou groupe de lettres et sons, le décodage n’est cependant pas une fin en soi. Le but de
l’apprentissage de la lecture est de permettre à l’élève d’abandonner le passage par les sons en se constituant
progressivement un dictionnaire mental spécifique à la lecture dans lequel la forme orthographique de chaque mot sera
directement reliée au sens qui lui correspond. C’est la constitution de ce dictionnaire orthographique qui permettra au lecteur
expert de ne pas passer systématiquement par la forme orale du mot pour l’identifier et le comprendre. Mieux on fera
découvrir les liens complexes mais réguliers qui existent entre les mots écrits et les mots oraux, mieux on entraînera l’élève
à automatiser le passage des uns aux autres, et plus on lui donnera de chances d’accéder directement au sens des mots à
partir de la seule reconnaissance de leurs formes orthographiques. Il faut cependant se garder de croire que le recours
direct au dictionnaire orthographique a quoi que ce soit à voir avec une reconnaissance globale des mots. Il n’en est rien !
C’est bien la composition précise des mots, lettres après lettres, syllabes après syllabes, qui permet au lecteur de
reconnaître orthographiquement un mot.
Après le cours préparatoire, beaucoup reste à faire et l’on pourrait même dire que l’essentiel reste à faire. La population
scolaire que nos écoles accueille aujourd’hui est très différente d’il y a quarante ans. On ne peut plus penser qu’une fois les
mécanismes de la lecture acquis, tous les élèves vont hardiment s’engager dans ce que l’on appelait « la lecture courante ».
Beaucoup, privés d’une médiation familiale bienveillante et exigeante, ont besoin que l’école leur apprenne à comprendre.
Beaucoup doivent prendre conscience que l’on ne lit pas de la même façon un énoncé de mathématiques et un conte
merveilleux car on n’en trouvera jamais la solution. Beaucoup doivent être accompagnés sur le chemin d’une lecture de plus
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en plus longue. Ce sont ces capacités de polyvalence et d’endurance que le collège va exiger de tous les élèves. Si l’on
refuse d’accepter que l’entrée au collège soit pour certains un jeu de massacre dans lequel chaque discipline dénoncera leur
insuffisance, on doit dire avec force que l’apprentissage de la lecture ne peut se concevoir que dans la continuité.
Certes le CP en constitue un maillon essentiel, mais c’est à l’école maternelle de « livrer » des enfants maîtrisant
suffisamment la langue orale ; c’est au cycle 3 de les mener sur le chemin de la compréhension des textes de natures
différentes ; c’est au collège de les initier à une lecture adaptée à chaque discipline.
Préambule d’Alain BENTOLILA :
Il faut bien reconnaître qui est à combattre : mes ennemis sont les ennemis de l’école, ceux qui méprisent le travail et les
ambitions des enseignants. Je combats les officines obscures, comme « S.O.S. Education ». Cette période de l’Histoire de
l’éducation nous oblige à affronter des accusations inacceptables. Nous devons dénoncer d’une seule voix un certain
nombre de discours.
I – Le pouvoir de la langue, du verbe :
a)
- La question du temps :
Une préoccupation en politique éducative est la négligence dans laquelle on tient le temps de l’éducation.
Notre métier est de l’ordre de la mission, c’est un métier régulier mais où l’on fait chaque jour un pari fou : on dépose sa vie
à la porte de sa classe et on trouve des enfants démotivés à qui l’on dit qu’ils ne sortiront pas de la classe comme ils y sont
entrés ! Toutes ces intelligences particulières doivent être ouvertes : c’est l’acte pédagogique. Ce n’est pas un métier banal :
on travaille sur des intelligences en devenir, ce qui nous confère pouvoir et responsabilité.
Ce pari pédagogique est récurrent. Il y a un malentendu sur le temps : on ne peut pas considérer que la démocratisation de
l’enseignement se décrète, on a besoin d’une durée supérieure au temps des mandats des décideurs politiques. La politique
éducative serait que les décideurs prennent des décisions en fonction d’une durée.
b)
– Le pouvoir linguistique :
Expérience : une enseignante a tracé sur le sol de la cour de l’école l’ombre d’une élève (cycle 1) et tout au long de la
journée elle a fait les nouveaux tracés de cette ombre. Le soir, elle demande aux élèves ce qu’ils voient (cette consigne avait
été présentée le matin) : ils disent : « C’est une fleur. »Alors la maîtresse rappelle ce qu’elle a demandé le matin. Au bout
d’une longue période d’interactions qui ne satisfont pas l’enseignante, un élève dit : « maîtresse, je crois que ça a tourné. »
Cette expérience montre le pouvoir du langage : cet élève fait un acte essentiel : il répond à la question « pourquoi les
choses sont ce qu’elles sont ? » et non « comment ça s’appelle ? ». On n’identifie pas, on dit pourquoi. L’acte de parole vient
de ce que l’on pense de quelque chose.
Remarquons la différence entre le nom et le verbe : « une fleur » / « ça a tourné ». C’est le verbe qui fait la force du langage.
Par le verbe (logos) l’homme impose son intelligence au monde.
Le verbe, c’est le paradigme des temps : ce qui se passe / ce qui s’est passé.
L’élève s’est posé la question du pourquoi et c’est le verbe la grammaire qui lui permet de se la poser. La grammaire
exerce son pouvoir sur les mots, elle permet de se faire comprendre au plus juste. Ce pouvoir linguistique suppose comme
conséquence des oppositions possibles : on peut être soumis à un désaccord de l’interlocuteur par rapport à ce que l’on a
dit.
La grammaire est à la base de la pensée scientifique, elle est libératrice et novatrice, elle est la composante de la pensée
scientifique.
Exemple : Copernic a dit : « la terre tourne autour du soleil ». Avec les mots seuls sans la précision grammaticale de la place
du sujet etc. on peut intervertir les termes « le soleil tourne autour de la terre ». On voit ici que la grammaire est
subversive : elle permet à Copernic de s’opposer au conformisme. Ce qui l’expose à des confrontations.
La grammaire soutient le discours poétique… C’est le ciment mais surtout le pouvoir de dire au plus juste de ses intentions.
Sans grammaire, on lâche sur la communication.
La grammaire est pouvoir ET donc soumission au pouvoir de l’autre.
On peut donner la conviction du pouvoir de la langue très tôt aux élèves, et surtout leur montrer comment fonctionne la
langue. On peut les faire accéder à une conscience grammaticale dès le CE1.
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Exemple : « Je (M. Bentolila) lisais aux élèves La Petite Chèvre de M. Seguin. À la fin de l’histoire, je décide de dire : « la
petite chèvre dévora le loup. » réaction de doute des élèves mais ils butent sur la phrase énoncée : « c’est la chèvre qui
l’a mangé parce qu’il a dit la chèvre en premier ! ».
Cet exemple montre la question de la mise en scène par la syntaxe : des rôles sont attribués. Certains mots disent : qui,
que, quoi, où, comment etc. Il faut faire prendre conscience que la construction du sens répond à une mise en scène voulue.
Ici, la phrase de clausule choisie est de l’ordre de la surprise attribution inattendue des rôles qui induit un questionnement
pédagogique. Ce dernier apparaît dès qu’il y a étonnement à partir d’une incongruité, d’une tension entre le sens et la
fonction. Il y a prise de conscience systématique des rôles et des fonctions et on peut travailler sur cette base. Cela devient
un jeu pour les enfants qui inventent des discours contraires à la logique conformiste et dès lors qu’il y a jeu il y a invention
d’activités en toute conscience pédagogique. C’est la clarté pédagogique qui fait la force de l’activité ; toute activité doit
déclencher un savoir, ici, la conscience grammaticale avant l’apprentissage de la lecture.
Cela évite l’égrènement des mots, cela permet de fabriquer du sens cf. « syntaxis » = « mettre ensemble », cela s’oppose
aux choix paradigmatiques successifs. Les mots se mettent ensemble pour faire du sens alors on peut entrer en lecture en
C.P.
II – Comment donne-t-on à l’enfant le pouvoir du langage ?
Comment mettre en œuvre cette capacité ?
a) – le pouvoir que le verbe nous donne engendre la responsabilité, il faut donc considérer la dimension éthique de la
maîtrise de la langue.
Exemple : lors d’un conseil d’école G.S – C.P., un élève narre un incident dans la cour de récréation. Un autre intervient et
conclut : « … et c’est toujours les filles qui tapent les garçons ! ».
C’est inquiétant car cet élève peut généraliser sur un autre sujet, dans un autre contexte : ex. « C’est toujours les Arabes qui
tapent sur … etc. ». On passe insidieusement du témoignage au jugement : vérité présentée comme telle donc irréfutable :
« c’est toujours … ».
Il y a nécessité de vigilance par rapport à la norme langagière ET à la morale. Le maître doit jouer ce rôle de faire prendre
conscience de la gravité des discours, de la capacité de réfutation essentielle par les enfants. Il doit veiller à la précision du
propos et à sa légitimité sinon l’enfant est en position de vulnérabilité intellectuelle.
Le verbe doit être organisé mais ça ne suffit pas : il faut avoir le souci de la dimension éthique de la maîtrise de la langue.
b) – l’ambition de la « distance verbale » :
Le pouvoir du verbe : le tout petit enfant peut se faire comprendre avec un minimum de mots, sans organisation syntaxique
car les récepteurs qui l’entourent sont en connivence avec lui. Puis, au fur et à mesure de son éducation, les choses se
compliquent, il doit affiner son expression pour communiquer (cf. réactions des autres « je ne te comprends pas ») apprentissage de la maîtrise de la langue. Toute la question du langage est d’accompagner l’enfant vers des poids d’inconnu
de plus en plus importants. Ces poids d’inconnu sont des éléments clés de l’apprentissage de la langue : la langue est faite
pour parler aux plus étrangers pour leur dire les choses les plus étranges. C’est une ambition utopique, rarement atteinte,
mais c’est vers cela que l’on porte nos élèves. L’organisation, la précision, sont fonction de cette ambition de la distance. Les
armes linguistiques supposent des ambitions de conquête. Une activité de langage suppose « qu’ils ne savent pas ce que tu
as à dire ».
Exemple : une petite fille, au retour de l’école, raconte : « tu vois, Maman, ils l’ont attrapée, ils l’ont enfermée, et puis ils l’ont
vue, ils l’ont délivrée et puis il l’a épousée. » La mère peut soit être indifférente à ce discours, soit aider l’enfant à se faire
mieux comprendre : faire son possible pour qu’elle acquière la capacité fondamentale d’être comprise par l’autre.
La mère qui dit : « je ne t’ai pas comprise » ne lui dit pas : « je ne t’aime pas ». L’affect est différent de l’intellect. Il faut
amener l’enfant à séparer les deux domaines. Cf. « tu vois, maman » : elle ne voit rien ! On a ici deux intelligences
singulières qu’il faut mettre en relation. La mère ne rompt pas le lien affectif. Ce moment est crucial : l’enfant doit accepter la
difficulté. Il est irrité car il confond affect et intellect. Il doit accepter comme travail d’expliquer les choses. Ce travail est
comparable à celui du sculpteur qui donne sens et vie à un bloc.
L’enfant doit comprendre qu’il travaille pour lui-même : on acquiert la maîtrise de la langue pour avoir prise sur les autres et
le monde. L’élève devient plus existant face aux autres par la maîtrise du langage. Tout son travail lui permet de laisser SA
trace sur l’intelligence d’un autre : c’est la base du pouvoir du langage.
Il faut travailler sur le message et vérifier que ce message, une fois affiné, fonctionne mieux qu’avant (preuve que le meilleur
choix de langage gagne). Les enfants, aujourd’hui, ne sont pas persuadés que leurs efforts leur sont bénéfiques. Aujourd’hui
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on assiste à l’importance de la preuve : il faut convaincre (faire la preuve) les élèves que ce qu’on leur apprend est
nécessaire.
III – de la maîtrise de la langue orale à l’apprentissage de la lecture :
Cet apprentissage premier a une influence décisive sur l’apprentissage de la lecture :
a) - la conscience grammaticale est donc indispensable en matière de lecture : un enfant, quand il entre en lecture, doit
croire que les mots jouent un rôle sur la scène du sens.
b) - quand il arrive en C.P., un élève possède normalement 1200 à 1500 mots actifs dictionnaire mental fait de
« bruits » associés à des « sens ». Il distingue des sons, les combinaisons des sons, et associe cela au sens s’il connaît le
mot. L’élève de C.P. est confronté alors au système alphabétique : entre lettres et groupes de lettres il y a une relation non
aléatoire : relative prévisibilité : le français présente 85% de correspondances prévisibles entre lettres/groupes de lettres et
sons. (Dans le sens inverse : sons lettres/groupes de lettres : moins de 60%. Il n’y a pas le même niveau de
correspondance graphie/phonie et phonie/graphie.)
L’élève de C.P. établit une prévisibilité. Doit-on se priver de cette capacité de « dictionnaire mental » oral pour identifier les
mots qu’il n’a jamais lus ? NON ! Il faut en tenir compte, s’en servir. L’élève peut mettre en rapport des sons connus dans
des mots inconnus déchiffrage, conscience grapho-phonologique. Procéder à ces correspondances le rend capable de
façon autonome de déchiffrage dans la quête du sens.
Ambiguïté : le dictionnaire mental oral de l’enfant doit être riche. Le déchiffrage est fait pour aller chercher le sens mais si
l’enfant ne possède que 250 mots (pénurie de mots), il ne va pas pouvoir déchiffrer les mots nouveaux. Pour lui, lire sera
faire du bruit. Ce n’est pas le déchiffrage qui est responsable de l’ânonnement, c’est la pauvreté lexicale avant le C.P.
Quelque soit la justesse de la méthode de lecture, si l’élève part avec un déficit en maîtrise de la langue, on a trop de
distance entre langue orale et langue écrite : c’est là le réel problème.
L’importance du travail de la langue en cycle 1 est majeure et non le déchiffrage. Il y a accord sur ce point du déchiffrage
mais sur quoi s’exercent les mécanismes ? C’est donc le problème de la richesse lexicale avant le C.P. et au C.P. qui se
pose.
On remarque, depuis quelques années, une désaffection de tous les enfants pour les mots précis et justes.
Exemple : dans une classe de niveau banal, la maîtresse veut faire apprendre aux élèves le mot « exquis » (qui est un mot
précis). Elle ne parvient pas à le faire définir aux élèves qui restent indifférents. Un garçon finit par lui dire : « Maîtresse,
« exquis » c’est un mot pour les filles. ».
Pour les enfants, il y a deux mondes en présence : un monde précieux, suspect, et un monde viril ! Cf. Pennac : « la
tribalisation de l’échec : les attributs de la tribu, l’échec en fait partie ». Pour faire partie de « la tribu » est « être viril » il faut
être en échec, surtout ne pas lire (cf. « la lecture c’est pour les filles et les pédés ! » lecture = attribut de féminité).
En fait, ce mot : « exquis » est un mot précis. C’est un atout pédagogique que de démarrer très tôt pour montrer que les
mots précis sont une valeur.
Il faut lire aux enfants en maternelle : lectures régulières et signifiantes, suivies de discussions, de confrontation des
interprétations et de questions sur les mots. L’acte de lecture est majeur, on doit l’assumer. La lecture signifiante à haute
voix est essentielle, il faut lui consacrer du temps et de la régularité. L’enfant entre ainsi dans les textes. Il sait qu’il ne sait
pas lire mais on lui donne accès aux textes enrichissement lexical.
Expérience : on peut constituer un « trésor de mots », chaque jour ion en choisit deux et on travaille sur eux.
Le sens qu’un enfant associe aux mots est d’abord très intime. Le travail doit lui faire prendre de la distance, c’est un
parcours de réflexion sur le sens des mots. La pédagogie est faite de rituels : on creuse son sillon et on l’affine constance
et régularité, sérieux des objectifs. Ce travail conditionne l’apprentissage de la lecture. Si on peut faire comprendre à un
élève qu’on peut interpréter un texte, on prépare l’acte de lecture. L’éducation à l’autonomie de lecture commence là :
autonomie dans les mécanismes ET la compréhension.
c) - décodage et compréhension :
Lire c’est maîtriser le code et savoir pourquoi on le maîtrise. Il ne faut pas mélanger les deux apprentissages car ce n’est pas
sur les mêmes supports qu’on travaille le code et qu’on donne à l’enfant les perspectives du plaisir de lire.
Pour décoder, on se sert de segments courts, choisis en fonction de cet objectif. Pour la lecture littéraire les supports sont
des albums qui révèlent les enjeux de la lecture-plaisir par la lecture magistrale. L’idée est que les deux se rejoignent, cela
dépend de la précision professionnelle de l’enseignant.
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À quel moment se fait la jonction ? Cette rencontre n’est pas la même pour tous les enfants. Certains dépassent le rythme
pédagogique du maître. Un enfant est capable de lecture en dehors de ce qu’on lui apprend ; tout l’art du pédagogue est de
lui donner les bons défis aux bons moments pour être déclencheurs d’apprentissages.
Il n’est pas souhaitable de commencer l’apprentissage de la lecture avec des albums comme supports : on doit d’abord
travailler sur les mécanismes donc maintenir la lecture magistrale par ailleurs jusqu’à ce que les jeunes lecteurs soient
autonomes.
Qu’est-ce que comprendre ? Après le C.P. commence la vie d’un lecteur !
Exemple : cf. les deux plateaux d’une balance :
Respect que l’on doit
au texte, à l’auteur
_______________________
+
Le plus intime du moi-lecteur,
son vécu, sa mémoire singulière
___________________________
L’acte de lire est de recueillir la pensée d’un autre qui n’est pas présent, la question de la lecture est de trouver un équilibre
entre obéissance et interprétation ( les deux plateaux de la balance). La seule servilité anéantit mon intelligence, la seule
interprétation est répudiation du texte. La majorité des jeunes en difficulté de lecture – en situation d’illettrisme – sont
« inventeurs de sens » : ils projettent leur « moi » à partir de quelques mots-enseignes nécessité de justes limites.
d) - comment comprend-on ?
Expérience : dans une classe de C.E.2 le maître a organisé des « ateliers de probité de lecture ». Les élèves lisent Le Petit
Poucet par ex. en lecture autonome puis le maître les fait raconter débat. Puis le maître lit le texte (qui devient arbitre) et
les interprétations sont discutées limites interprétatives. Un élève dit : « on n’a pas tous lu la même chose mais on a tous
plus lu la même chose que si tu nous avais donné des textes pas pareils » !
Conclusion :
C’est sur ces questions que se jouent les enjeux de l’école : il faut que les élèves en sortent enrichis.
Questions
Q.1 Est-ce que n’importe quel texte permet l’interprétation ? (problème du choix des textes)
R.1 Chaque texte doit être négocié différemment : un énoncé mathématique est différent d’un conte merveilleux. Selon le
type disciplinaire de textes il y a un ajustement à faire.
Comprendre c’est mêler de l’intime au conventionnel jeu constant d’incertitudes entre interlocuteurs ou lecteur et écrivain.
C’est là que se joue l’acte de compréhension et l’éthique intervient aussi.
Le degré de résistance d’un texte est également à prendre en compte cf. les « ateliers de questionnement des textes » : une
fois les mécanismes du code acquis, la lecture n’est pas « courante » : elle nécessite un accompagnement des actes de
compréhension.
Q.2 Mon enseignement de la grammaire louvoie entre la désignation intuitive et ma volonté didactique et ce faisant je
n’éclaire pas la notion étudiée :
R.2 Est-ce que nommer une classe de mots (par ex. le verbe) éclaire ou obscurcit ? Il ne faut pas nommer trop tôt, nommer
est la phase ultime de compréhension des procédures et des mécanismes. Il y a une progression nécessaire dans la
découverte de la grammaire et il faut accepter l’idée de vérité provisoire (par ex. il faut pouvoir dire à l’enfant : « le sujet fait
l’action » – tant pis pour la voix passive momentanément- ou « le verbe désigne l’action » - on complètera plus tard : verbes
d’état etc. et on nommera.) On doit partir de l’intuition pour aller au conventionnel. Il ne faut pas tout dire tout de suite, il faut
commencer par le plus simple et le plus évident. Les repères terminologiques ne viennent qu’à la fin. La grammaire doit
éclairer la langue, elle ne l’obscurcit pas.
Q.3 L’approche synthétique et l’approche analytique : est-ce qu’on part des lettres ou des mots connus qu’on analyse ?
R.3 Je crois à une articulation analuse/synthèse. L’analyse c’est la découverte du code. La synthèse ne peut être première.
Je suis pour une pédagogie de la découverte : textes-segments, mots choisis pour permettre la découverte. L’apprentissage
de la lecture c’est la découverte des éléments de la syllabe. Puis vient la combinaison des syllabes : acte de synthèse. Il y a
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une relation nécessaire entre la découverte par l’analyse et la combinaison des éléments découverts, ce qui est différent du
B+A = BA.
Q.4 Quelle part faire à l’encodage ? (l’écriture, pas le geste graphique)
R.4 On ne fait pas le même acte dans l’écriture et la lecture. En écriture il convient de séparer la forme de l’enjeu de
communication. Il faut savoir ce que c’est que lire avant de savoir lire, de même il faut savoir ce que c’est qu’écrire avant de
savoir écrire. CF. E. Ferreiro et J.P.Jaffré. Il faut comprendre que l’acte d’écriture ne se justifie que parce qu’il existe un
destinataire : question fondamentale : la parole est toujours distanciée pour l’écriture : dans le temps et dans l’espace. La
lecture et l’écriture sont des actes liés par une relation précise et forte. C’est là que se jouent les enjeux de l’écriture. Les
autres enjeux sont : l’acte formel, la graphie, la norme orthographique… mais il ne faut pas mélanger les enjeux.
Q.5 Quels supports de lecture par rapport à la littérature enfantine ?
R.5 Ce n’est pas important : quand on travaille sur le code, on travaille sur un texte court, choisi pour des perspectives
précises de travail sur le code. Le texte ne doit pas dicter les relations grapho-phonologiques, il faut découvrir les éléments
du code dans un ordre strict, on ne peut exploiter n’importe comment quelque texte que ce soit.
Q.6 1h30 pour l’O.R.L. seulement, c’est peu…
R.6 Je suis d’accord. Ce n’est pas la rencontre aléatoire des textes qui dicte sa loi aux activités grammaticales. La lecture
ne doit pas être interrompue par une activité grammaticale : on peut reprendre ensuite des passages dans ce but. La leçon
de grammaire doit exister et s’inscrire dans une progression.
Biographie - Bibliographie d’Alain BENTOLILA
Alain BENTOLILA a d'abord travaillé sur des langues "exotiques" (africaines, créoles, kitchua) : il est l'auteur du dictionnaire
du créole d'Haïti et a publié une dizaine d'articles sur les langues créoles dans des revues internationales. Sa thèse de 3ème
cycle décrit les structures communes aux langues créoles et aux langues africaines. Sa volonté de donner un sens social à
ses travaux de description linguistique l'a amené à diriger les campagnes nationales d'alphabétisation en Haïti et en
Équateur (1978-1985). Dès 1980, ses recherches se sont orientées vers la genèse de la conscience sémiologique chez
l'enfant de 5 à 6 ans : sa thèse d'État. Elles se sont ensuite étendues aux questions relatives à la maîtrise de la langue orale
et écrite chez les élèves de l'école primaire et les jeunes adultes.
Alain BENTOLILA est professeur de linguistique à l’université de Paris 5-Sorbonne dont il a dirigé le service de formation
continue de 1981 à 1985. Il a créé et dirige deux DESS « Intelligence de la communication écrite » et « Médiation dans
l’action éducative ».
Il a créé et dirige l’Equipe de Recherche Technologique en Education ECHILL (Échec scolaire et illettrisme) qui travaille sur
le problème de l’insécurité linguistique chez les enfants et les jeunes adultes et conduit le campus numérique ECHILL qui
conçoit des programmes et des outils de formation en ligne pour les enseignants et éducateurs.
Il fonde, en 1991, le réseau des Observatoires de la lecture qui rassemble aujourd’hui plus de 800 écoles en France et à
l’étranger.
Le président de la République lui a confié en 1996 une mission nationale d'analyse et de prospective sur l'illettrisme en
France et il a collaboré, en 1999, à la mission confiée à Marie-Thérèse Geffroy sur l’état des dispositifs de lutte contre
l’illettrisme en France. Depuis 1997, il dirige les recherches sur la mesure et les causes de l'illettrisme en France. Il construit
actuellement un dispositif de remise à niveau pour les jeunes adultes repérés lors de la Journée d’Appel de Préparation à la
Défense avec la Fondation des Caisses d’Epargne et l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme.
Il est le directeur scientifique du projet « 1001 écoles rurales » qui crée dans toutes les régions du Maroc des écoles dotées
d’un dispositif éducatif adapté aux besoins du monde rural et périurbain marocain.
Il est conseiller scientifique de l’Observatoire National de la Lecture depuis 1997 ; conseiller scientifique de l’Agence
Nationale de Lutte contre l’Illettrisme ; il est administrateur et vice-président de la Fondation d’utilité publique des Caisses
d’Epargne et administrateur et directeur scientifique de la Fondation d’utilité publique de la BMCE Bank au Maroc.
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Alain BENTOLILA est officier des arts et lettres et chevalier des palmes académiques. Le président de la République lui a
remis personnellement les insignes de chevalier de la Légion d’honneur le 6 décembre 2002 et l’a promu officier de l’Ordre
national du Mérite en mai 2006.
Il est docteur honoris causa de l’Université catholique de Paris. Il a obtenu, en 1997, un grand prix d'Académie française
pour son livre De l'illettrisme en général et de l'école en particulier.
Principales publications
Ouvrages
-
1982 : Mise en signes et mise en mots : doctorat d'État, Paris, Sorbonne
1981 : Recherches actuelles sur l'apprentissage de la lecture, Paris, Retz
1984 : La grammaire pour tous, Bescherelle 3, Paris, Hatier
1986 : L'orthographe pour tous, Bescherelle 2, Paris, Hatier
1991 : La lecture : apprentissage, évaluation, perfectionnement, coll. "Théories et Pratiques", Paris, Nathan
1996 : De l'illettrisme en général et de l'école en particulier, Paris, Plon
Grand prix d’Académie française, 1997
1998 : En collaboration. Apprendre à lire, O.N.L., Paris, Odile Jacob
2000 : Le propre de l’homme : parler, lire et écrire, Paris, Plon
2000 : Profession Parents, (Sous la direction), Paris, Nathan
2000 : Elève et enfant, (Sous la direction), Paris, Nathan
2001 : Les promesses de l’école (Sous la direction), Paris, Nathan
2002 : Ecole et langage (Sous la direction), Paris, Nathan
2003 : Le goût d’apprendre (Sous la direction), Paris, Nathan
2004 : Tout sur l’école, Paris, Odile Jacob
2007 : Parole contre barbarie, Odile Jacob (à paraître en janvier)
Articles récents
-
2000 : « Touche pas à mon illettré », Le Monde de l’Education.
2000 : « Comprendre ce que parler veut dire » Le Monde.
2000 : « Insécurité linguistique et destin social », Conflits actuels, Centre d’étude et de diffusion universitaires.
2001 : « L’école à deux ans : est-ce bien raisonnable ? », Le Monde.
2001 : « Langues et violence », La Tribune.
2001 : « L’école et les langues régionales : maldonne », Le Monde.
2001 : « Littérature et quête du sens », Europe.
2001 : « L’école et les langues régionales : maldonne », Le Monde.
2001 : « La lutte contre l’illettrisme est un combat politique », Lien Social.
2002 : « Trace de mots », Pour la Science
2002 : « A bout de souffle », Le Monde.
2002 : « Contre l’illettrisme, urgence ! », Libération
2002 : « Inégalité linguistique », L’Express
2003 : « Contre la barbarie : l’école », Le Matin (Maroc)
2003 : « Prévenir l’illettrisme », Economie et Humanisme
2003 : « Le propre de l’homme : le verbe », Raison présente
2003 : « Diversité et inégalités linguistiques », Conflits actuels
2003 : « Faire de nos enfants des résistants intellectuels », Le Matin (Maroc)
2003 : « L’oubli des livres », Le Figaro
2003 : « L’école en insécurité linguistique, le Figaro
2004 : « Illettrisme et intolérance », Le Figaro
2004 : « L’école des filles », Le Matin (Maroc)
2004 : « Au tribunal, l’injustice linguistique », Libération
2004 : « Contre les ghettos scolaires, le mélange », Le Figaro
2005 : « La télé-culture », ennemi numéro un de l’école », Le Monde
2005 : « L’insécurité linguistique obscurcit l’horizon du Maroc », L’Economiste
2005 : « L’école face à l’impudeur télévisuelle », Le Figaro
2005 : « Le Verbe pour transformer le monde ou la langue, le moyen de rendre savant, L’Economiste
2005 : « Apprendre à lire : un chemin aride », Le Monde
2005 : « Notre école a failli », Le Monde
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2005 : « Quelques vérités sur l’apprentissage de la lecture », Le Figaro
Outils didactiques (Direction d’ouvrages)
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1996 : Lettris : une méthode pour comprendre, lire, écrire, parler (Formation pour adultes) Paris, Nathan.
1997 : De l'écoute au langage, collection “ Maîtrise du langage ”, Paris, Nathan.
1998 : De l’oral à l’écrit, collection “ Maîtrise du langage ”, Paris, Nathan.
1999 : L’île aux mots, Paris, Nathan.
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