Pose donc cette tronçonneuse
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Pose donc cette tronçonneuse
Nye-Hael Pose donc cette tronçonneuse Publié sur Scribay le 15/07/2015 Pose donc cette tronçonneuse À propos de l'auteur Chose non identifiée, probablement non identifiable, incapable de faire durer un livre plus de quelques jours et qui amasse les personnages à la vitesse de l'éclair dans ce qui lui sert de petit cerveau quand il n'a pas pris ses vacances : j'ai nommé le Truc ! Rien d'étonnant jusqu'ici pour une adepte du RPG qui râle qu'elle n'a jamais assez d'étagères pour caser son bazar. Licence Tous droits réservés L'œuvre ne peut être distribuée, modifiée ou exploitée sans autorisation de l'auteur. Pose donc cette tronçonneuse Pose donc cette tronçonneuse Elle se sent idiote, à tourner en rond devant le centre Pompidou. C’est tout elle, ça. Arriver monstrueusement en avance, parce qu’elle n’est pas fichue de calculer son temps de trajet correctement. Ou plutôt : elle a peur d’arriver en retard. Le rapport temps-distance, elle se débrouille plutôt pas mal. Elle sait qu’il lui faudra tant de temps pour descendre de chez elle et arriver jusqu’à la bouche de métro, elle sait qu’il lui faudra tant de temps pour aller de la ligne 13, Basilique de Saint-Denis, à la ligne 14, Châtelet-les-Halles. Elle sait aussi qu’il y aura plein de monde dans le métro, comme d’habitude. La ligne 13, ou la boîte à sardines. Elle est en avance. De bien vingt minutes, si ce n’est plus. Elle attend, là. Elle n’a pas la bonne idée de sortir son portable pour regarder ses messages : elle n’a pas de portable. Avant de partir, elle a fait un topo rapide sur Messenger : « j’ai un jean bleu foncé, des converses noires, une marinière bleue, et un sac rouge et noir. On se retrouve devant le centre Pompidou à 14h ? » Résultat, à midi et demi, elle décollait, et à 13h10 grand maximum, elle était plantée devant le centre Pompidou, envahi par les touristes et les parisiens en quête d’art nouveau. Dans son sac, il y a sa carte NaviGo, son portefeuille, et son morceau de carton ondulé sur lequel elle a écrit, au marker noir, « JE CHERCHE MOONETTE » pseudonyme affectueux de la personne qu’elle est censée retrouver. Le pire, c’est que tout ça, ça a commencé bêtement. [12 :03 :24]* Moon attrape la tronçonneuse pour se venger de Yuki. [12 :03 :45] Kuro : Moon, veux-tu bien poser cette tronçonneuse, je te prie ! [12 :04 :02] Moon : … Oui papa. Une chatbox. Une discussion sans queue ni tête qui partait d’un RPG, et où il était question d’une tronçonneuse. Et le pire, c’est que ça avait continué sur la même lancée. Elle, plus connue sous le pseudonyme de Kuro, était rentrée dans un des principaux délires du forum : l’arbre généalogique. Elle s’était retrouvée « père » de Moon. Au début, ça n’avait pas dépassé cette idée stupide qui aurait permis nombre de situations cocasses en prenant compte du contexte du RPG. Et puis il y avait eu le MP, le message privé. Un échange d’identifiants MSN pour 3 Pose donc cette tronçonneuse discuter InkScape. Pour discuter de toutes les possibilités qu’offre ce merveilleux petit logiciel tout de même plus facile à prendre en main que GIMP. Au final, la discussion avait dérivé sur GIMP. Puis sur le RPG, des liens personnages. Une semaine, deux semaines, trois semaines, un mois. Après un mois de MSN, et ses souvenirs sont déjà flous quant à cette question, elles avaient finalement découvert qu’elles vivaient toutes les deux dans la région parisienne. L’occasion rêvée de se rencontrer. Elles ont tout planifié, elles se sont fait des pancartes avec leurs pseudos respectifs écrits dessus pour être sûres de se trouver, comme elle n’a pas de portable, elles ont partagé les détails de leurs tenues. De quoi les reconnaître. Elles ont profité des photos sur le trombinoscope pour avoir une chance de se reconnaître. Le temps passe, le temps file. Elle regarde sa montre aussi souvent qu’il est possible de le faire. Cinq minutes avant qu’il ne soit 14h, elle sort son carton de son sac, elle le cale sous son bras et elle continue de marcher. Elle tourne en rond. Elle a déjà fait le tour des boutiques autour du centre Pompidou, elle a résisté à l’envie d’aller se chercher un frappé au Starbucks qui est juste à côté. Elle retire ses écouteurs de ses oreilles, les laisse pendre autour de son cou et regarde partout autour d’elle. Pas de Moonette. Il est bientôt 14h. Pas de panique, elle ne va pas tarder. Elle doit prendre le RER, et le RER est souvent en retard. Jusqu’à ce qu’il soit 14h05, elle continue de tourner en rond en écoutant le bruit qui règne près du centre Pompidou. Elle recale une mèche imaginaire derrière son oreille. Il est bientôt 14h10, et elle ne voit Moonette nulle part. A cette heure-ci, elle a quand même bien dû arriver. Elle range le carton dans son sac, et s’assied sur le béton gris de la pente qui descend jusqu’au centre. Elle reste là, à regarder le temps passer sur sa montre. Il y a quelqu’un, à une dizaine de mètres d’elle. Une fille. Assise, par terre, comme elle. Elle a l’air d’attendre et de chercher quelque chose, comme elle. Si ça se trouve, c’est une coïncidence. Alors elle retourne sonder la foule, mais elle ne voit décidément Moonette nulle part. Elle jette un autre regard à la fille. La fille tourne la tête. Elle cherche quelque chose dans son sac, elle en sort un bout de carton. Alors elle, elle sort aussi son bout de carton de son sac. D’un seul coup, un sourire immensément bête se dessine sur son visage. Les deux filles se lèvent en même temps, elles courent l’une jusqu’à l’autre comme si elles se connaissaient depuis des années. 4 Pose donc cette tronçonneuse C’est un peu l’impression que ça fait quand elles se tombent dans les bras en riant comme des idiotes. Elles se sont ratées, depuis dix minutes elles se cherchent et elles étaient l’une juste à côté de l’autre, trop timides pour sortir leurs cartons. Elles rigolent. Elles se connaissent depuis à peine un peu plus de deux mois, et elles ont l’impression que ça fait des années. Elles rangent leurs cartons dans leurs sacs et se lancent à l’assaut du Forum des Halles, main dans la main, en discutant de leurs personnages. Et de la tronçonneuse qui a tout déclenché. 5