ÉDUCATION MUSICALE ET EDUCATION RELATIVE À L

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ÉDUCATION MUSICALE ET EDUCATION RELATIVE À L
VertigO – La revue en sciences de l'environnement, Vol 4, No 2, septembre 2003
ÉDUCATION MUSICALE ET EDUCATION RELATIVE À
L’ENVIRONNEMENT: éléments d’un cadre axiologique
Par Vincent Valentine, Doctorant UQAM, chargé de cours à la Faculté des arts de l'UQAM.
Courriel : [email protected]
Résumé
Cet article étudie la relation entre les objectifs relatifs à l’éducation musicale et ceux relatifs à l’éducation relative à l’environnement
sonore dans le cadre de la proposition éducationnelle de Raymond Murray Schafer. L’étude vise à distinguer la dimension musicale de la
dimension sonore et, dans l’optique de la construction d’un modèle éducationnel, propose un cadre axiologique préliminaire issu de
l’éducation musicale et de l’éducation relative à l’environnement sonore.
Mot clefs : Éducation – environnement – Schafer - musique – musical - son – sonore – pollution – bruit – écologie.
Abstract
This paper examines the relationship between the objectives of music education and those of education relative to sound environment in
Raymond Murray Schafer's educational proposal. This study aims to distinguish between music and sound dimensions, with a mind
toward constructing an educational model and proposing a preliminary axiological framework born of music education and education
relative to sound environment.
Keywords: Education – environment – soundscape - Schafer – music – sound – acoustic - pollution – noise – ecology.
Introduction
Peu de recherches traitent des relations entre l’éducation relative
à l’environnement (ERE) et l’éducation musicale. À ce jour, la
seule proposition que nous connaissons reste celle du Canadien
Raymond Murray Schafer1 (1965, 1967, 1969, 1970, 1975, 1979,
1992).
Dans Le paysage sonore2 (1979), Schafer décrit l’évolution de
l’environnement sonore depuis les débuts de l’humanité.
Constatant l’état de détérioration précipitée de cet
environnement, il pose les assises de l’esthétique acoustique3,
1
Raymond Murray Schafer (1933- ). Compositeur, écrivain,
musicologue et éducateur canadien. Schafer est l’un des
compositeurs canadiens les plus réputés; il s’est aussi illustré
dans d’autres champs de spécialisation, notamment en
musicologie et en journalisme. Ses écrits sur l’enseignement
musical et sur l’écologie sonore constituent, encore aujourd’hui,
des références incontournables.
2
En anglais, Schafer emploi le mot « soundscape » qui désigne à
la fois l’environnement sonore, un environnement de sons et un
environnement sonore abstrait, c’est-à-dire une composition
musicale.
3
En anglais : soundscape design . L’expression esthétique
acoustique traduit mal l’esprit de ce concept. Nous la conservons
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une discipline ayant pour objet l’harmonisation de cet
environnement sonore selon des critères esthétiques. En effet, le
bruit étant un phénomène subjectif, les mesures légales ne
sauraient suffire à améliorer la situation. C’est pourquoi les
musiciens, en tant qu’« architectes du son », devraient être les
premiers agents de restauration du paysage sonore (Schafer,
1986, p. 248). Dans cette entreprise, ils feront appel aux
connaissances de l’écologie sonore une discipline définie par
Schafer comme « l’étude des sons dans leurs rapports avec la vie
et la société » (1979, p. 281).
Dans le but d’engager la population dans ce projet, Schafer a
imaginé une nouvelle forme d’éducation musicale intégrant une
dimension environnementale4. Ses idées novatrices ont d’ailleurs
influencé l’élaboration des programmes d’enseignement musical
à l’échelle du Canada (Comeau, 1995). Mais nous pensons que la
proposition de Schafer est incomplète, car plusieurs éléments
restent nébuleux, implicites ou même absents. De plus, nous
cependant dans ce texte. L’esthétique acoustique a trait au
rétablissement et à l’amélioration d’environnements sonores
déséquilibrés et son processus s’apparente à celui de la
composition musicale, puisqu’il s’agit essentiellement de choisir
les sons à préserver, à introduire ou à éliminer dans un
environnement sonore en fonction de critères esthétiques.
4
Dans le domaine de l’écologie sonore, il est d’usage de nommer
ce type d’éducation « soundscape education ». La terminologie
française n’est pas encore précisée.
1
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croyons qu’une relecture critique à la lumière des théories
contemporaines en éducation serait enrichissante à plusieurs
égards.
Idéalement, notre proposition devrait se présenter sous la forme
d’un modèle éducationnel (Legendre, 1993) structuré avec ses
dimensions axiologiques, formelles, praxéologiques et
explicative (Legendre, 2001, p. 233). Nous n’ambitionnerons pas
d’élaborer un tel modèle dans le cadre de cet article. Toutefois,
nous amorcerons un travail de structuration en ce sens. Une
première étape consistera à éliminer l’ambiguïté autour de la
double mission, environnementale et musicale, de la proposition
de Schafer. En effet, les éléments axiologiques s’y rapportant ne
sont pas clairement formulés.
Étant donné que la proposition de Schafer se présente à la fois
comme une éducation musicale et une éducation relative à
l’environnement, nous envisageons le recours à deux cadres
axiologiques distincts. En ce qui concerne l’éducation musicale,
le cadre adopté s’inspire des travaux de François Delalande
(1984) sur les conduites musicales5. Bien qu’il soit discutable,
nous pensons que ce cadre rejoint les intentions de Schafer. Pour
la dimension environnementale, nous nous sommes
naturellement intéressés au domaine de l’ERE. Le cadre
théorique et stratégique proposé par Lucie Sauvé (1997) nous est
apparu approprié en ce qu’il synthétise une trentaine d’années de
recherches en ERE et fournit des repères axiologiques très bien
définis et articulés.
Pour chacune de ces deux dimensions, nous présenterons une
liste d’objectifs généraux qui servira à situer les aires
d’intervention respectives, nous résumerons la pensée de Schafer
et compléterons avec des éléments de mise en contexte. Le cas
échéant, nous ciblerons au passage quelques aspects à envisager
ou à réexaminer et proposerons des éléments de solution.
Une éducation musicale
Du point de vue de l’éducation musicale, Schafer s’inscrit dans
les pédagogies d’éveil-créativité, un courant fondé sur les
nouvelles formes d’expression musicale et sur la prise en compte
de la créativité enfantine (Valentine, 2000). Essentiellement, il
s’agit de développer chez l’enfant des conduites musicales, avant
d’entreprendre un enseignement musical ou instrumental
particulier. Selon Delalande (1984), les conduites musicales
seraient universelles et animeraient depuis toujours le désir
d'invention musicale. Dans le cadre de ce texte, nous les
5
Actuellement, il n’existe pas de synthèse structurée et critique
des différentes axiologies en éducation musicale. Une recherche
concernant le développement d’une axiologie globale de
l’éducation musicale mériterait d’être entreprise. Cette axiologie
pourrait nous aider à mieux comprendre la nature de l’éducation
musicale et à favoriser l’élaboration de programmes d’études
plus complets et cohérents.
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reformulons en termes d’objectifs généraux pour l’éducation
musicale6 :
1.
2.
3.
4.
5.
Accroître de la sensibilité aux sons;
Développer l’habileté à produire des sons;
Développer la capacité d’attribuer une signification aux
sons;
Développer la capacité d’organiser les sons;
Développer la capacité d’apprécier une organisation
sonore (D’après Delalande, 1984).
Au vingtième siècle, l’avant-garde musicale a remis en question
et rejeté les définitions conventionnelles de la musique7. Un des
moments marquants de cette révolution musicale fut
certainement la publication en 1913 de L’arte dei rumori8 du
peintre et compositeur futuriste Luigi Russolo (1954). Dans son
manifeste, l'Italien montrait l'influence du bruit mécanique sur la
sensibilité humaine et, par voie de conséquence, sur l'esthétique
musicale. Ennuyé par les sons purs de la musique, Russolo
souhaitait enrichir les timbres de l'orchestre traditionnel par la
construction de nouveaux instruments producteurs de bruits.
Plusieurs courants musicaux se sont développés au vingtième
siècle en subrogeant le concept de « notes », c'est-à-dire des sons
relativement stables, de hauteur repérable, par un concept
beaucoup plus intégrateur, le « son ». Ces nouvelles pratiques et
théories musicales ont permis d'étendre la palette orchestrale à
l'ensemble de l'univers sonore connu. Pour John Cage9 : « Music
is sounds, sounds around us whether we’re in or out of concert
6
Ces objectifs sont donnés à titre indicatif à défaut de pouvoir
recourir à une synthèse validée.
7
Exemples de définitions traditionnelles de la musique :
1) Art of combining sounds with a view to beauty of form
and expression of emotion; sounds so produced;
pleasant sound, e.g. song of a bird, murmur of a brook,
cry of a hound (The Concise Oxford English Dictionary
(1956) cité dans Schafer, 1986, p. 94).
2) Science des sons considérés quant à la mélodie, au
rythme et à l’harmonie (Quillet-Flammarion,1963, p.
1059).
3) Science ou emploi de sons qu’on nomme rationnels,
c’est-à-dire qui entrent dans une échelle dite gamme
(Michel, 1961, p. 272).
8
En français : L’art des bruits.
9
John Cage (1912-1992). Compositeur américain; une des
figures les plus importantes de la musique au XXe siècle. Ses
recherches sur la facture instrumentale, les techniques de
composition liées au hasard, la musique électronique et ses
réflexions philosophiques ont profondément changé les
conceptions et les perspectives musicales (Rostand, 1970). Il a
notamment composé une oeuvre pour piano, titrée 4’33’’, dans
laquelle le pianiste ne produit aucun son. La musique est celle
des sons qui proviennent de la salle : ventilation, chuchotements,
toux, etc.
2
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halls » (Schafer, 1986, p. 94). Héritier de ces courants
musicaux10, Schafer nous propose de voir l’environnement
sonore comme une composition musicale dans laquelle nous
serions à la fois le public, les interprètes et les compositeurs
(Schafer, 1979, p. 281). L’environnement sonore devient donc ici
l’objet de l’éducation musicale et le prétexte au développement
des conduites musicales (Valentine, 2001).
Dans la conception schaferienne, il ne faut plus chercher les
activités musicales dans leur forme habituelle. Par exemple,
Schafer remplace l’expression “ear training” par “ear cleaning”
(Schafer, 1967). Alors que la première fait référence aux activités
de formation auditive conventionnelles consistant, par exemple, à
identifier et à reproduire des intervalles, des accords ou des
mélodies (Truax, 1999), la seconde vise le déconditionnement
des habitudes d’écoute. Ainsi, on fera porter l’attention des
élèves sur des sons habituellement ignorés, tels que le son de la
ventilation d’un édifice, celui des pas sur un trottoir ou les sons
extramusicaux lors d’un concert. On pourra ensuite décrire les
caractéristiques de ces sons avec des mots, les représenter
graphiquement ou gestuellement, puis tenter de les imiter avec la
voix.
De même, les activités d’analyse musicale se feront directement
dans l’environnement sonore. Par exemple, l’utilisation du
magnétophone permettra d’enregistrer un environnement sonore
précis. Des réécoutes successives serviront à catégoriser les
sons : 1) tonalité, signal, empreinte, archétype (1979, p. 23); 2)
humain, animal, naturel, technologique (1979, p. 197); 3) beau,
laid, agréable, désagréable (1979, p. 202); etc. Le sonomètre
mesurera avec précision l’intensité des sons en décibels afin
d’évaluer le niveau de dangerosité d’un lieu. L’itinéraire
acoustique sera utilisé pour explorer un environnement sonore
donné. Il s’agit d’une promenade guidée par une partition, sorte
de carte indiquant les climats sonores et sons intéressants
auxquels porter attention durant le parcours (Schafer, 1979, p.
291).
Enfin, la composition musicale devient esthétique acoustique.
Elle peut prendre la forme d’une intervention directe dans
l’environnement sonore de façon à améliorer une situation jugée
insatisfaisante ou, à la manière des compositeurs de musique
environnementale11, celle d’une œuvre électroacoustique réalisée
10
Nous nous sommes limités ici au contexte du XXe
siècle. Toutefois, depuis la pensée des pythagoriciens et leurs
théories très poussées sur la musique des sphères, il existe bel et
bien une conception de la musique de la Nature; une musica
mundana opposée à la musica humana. Très opérante à la
Renaissance, cette conception a connu des sursauts importants au
XIXe siècle aussi.
11
En anglais : soundscape composition. La musique
environnementale est une forme de musique électroacoustique
caractérisée par la présence d’ambiances et de sons
environnementaux. Le but est de susciter chez l’auditeur des
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à partir des sons de l’environnement. D’autres types de
composition sont aussi possibles.
Une éducation relative à l’environnement sonore
Si la proposition de Schafer peut être envisagée comme une
forme d’éducation musicale, elle se présente aussi comme une
éducation relative à l’environnement. À titre de rappel,
mentionnons que l’ERE peut être envisagée selon trois
perspectives complémentaires (Sauvé, 1997, p. 80): 1) la
perspective environnementale qui vise à préserver, restaurer et
améliorer la qualité de l’environnement; 2) la perspective
éducative qui vise à favoriser le développement optimal des
personnes et des groupes sociaux en ce qui concerne leur relation
à l’environnement; 3) la perspective pédagogique qui vise à
promouvoir le développement d’une éducation plus adaptée à la
réalité du monde actuel et aux besoins des sociétés
contemporaines, dont la transformation sociale elle-même.
Les objectifs généraux pour les perspectives environnementale et
éducative de l’ERE pourraient être formulées ainsi (d’après
Sauvé, 1997) :
1.
2.
3.
4.
5.
Prise de conscience au sujet de l'environnement sonore,
des problèmes associés et du réseau de relation personne
- société - environnement sonore.
Acquisition de connaissances sur l'environnement
sonore, sur les problèmes associés et sur le réseau de
relation personne - société - environnement sonore.
Développement d'attitudes et de valeurs favorables à
l'optimalisation du réseau de relations personnes société - environnement sonore.
Développement de compétences et d'habiletés relatives à
la résolution de problèmes et à l'écogestion, dans la
perspective du développement de sociétés responsables.
Adoption de modes de vie personnels et exercice de
l'action individuelle et collective favorables au réseau de
relations personne - société – environnement sonore
La dégradation de l'environnement sonore est une question
sensible chez Schafer qui fut l'un des premiers à attirer l'attention
du public sur la problématique de la pollution sonore, une
dimension souvent négligée de la pollution environnementale. La
pollution sonore résulte d’un déséquilibre entre les éléments d’un
environnement sonore causé par un ou plusieurs sons
perturbateurs (Truax, 1999). Les effets physiologiques,
psychologiques et communicationnels de la pollution sonore sont
maintenant largement documentés, notamment sur le site Internet
du World Forum for Acoustic Ecology12.
associations mnémoniques et imaginaires liées à l’environnement
sonore et de révéler des significations profondes (Truax, 1999).
Claude Schryer et Hildegard Westerkamp sont des compositeurs
représentatifs de ce courant.
12
http://interact.uoregon.edu/MediaLit/WFAE/home/index.html
3
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Pour Schafer, la pollution sonore est avant tout un problème de
société qui résulte de la perte d'une culture de l'audition. Dans Le
paysage sonore (1979), il défend la thèse selon laquelle depuis la
Renaissance et l'invention de l'imprimerie, la vue aurait évincé
l'ouïe dans les modes de préhension de la réalité.
L’harmonisation13 de l'environnement sonore implique le
rétablissement d’une culture auditive et, conséquemment, des
changements profonds dans notre conception de la vie et de nos
rapports avec l'environnement (Schafer, 1979).
Une telle transformation sociale ne pourrait reposer sur le seul
développement des conduites musicales; il faut favoriser le
développement de multiples dimensions de la personne et
l’acquisition d’un savoir-agir ainsi que susciter un vouloir-agir
relatif à l’environnement sonore. C’est précisément la mission de
l’ERE (Sauvé, 1997).
Or, une crainte hante les musiciens pédagogues : la prise en
compte de la dimension environnementale vient-elle
compromettre l’atteinte des objectifs liés à la dimension
musicale ?
Nous répondrons que lorsque le concept
d’environnement sonore est intégré à celui de musique, comme
c’est le cas ici, il n’y pas d’opposition a priori entre l’éducation
musicale et l’éducation relative à l’environnement sonore. Il est
cependant essentiel de comprendre que ces deux dimensions sont
complémentaires, chacune ayant une axiologie spécifique. Dans
la planification pédagogique, les deux dimensions devront
toutefois être prises en compte simultanément.
Dans Pour une éducation relative à l’environnement, Lucie
Sauvé (1997) propose une démarche globale d’ERE caractérisée
par six phases : 1) exploration; 2) conception d’un projet; 3)
déroulement du projet; 4) communication; 5) évaluation; 6) suivi
(Sauvé, 1997, p. 270-288). Inspirée de ce modèle-cadre, voici
quelles pourraient être les étapes d’une activité de type
recherche-action visant la résolution d’un problème lié à
l’environnement sonore14.
Exploration : Stimulés par un élément déclencheur, les élèves
explorent d’abord leur environnement sonore. Ils participent alors
à un itinéraire acoustique qui leur fait découvrir et interpréter
différentes dimensions de l’environnement sonore de leur école
afin de favoriser un éveil sensoriel et l’émergence de questions.
Cette activité leur permet de développer concurremment des
compétences musicales, comme la discrimination auditive.
Conception : À la suite de cette phase exploratoire, les élèves ont
à choisir un projet à réaliser. Ce pourrait être la résolution d’un
problème de pollution sonore identifié dans l’école.
13
En anglais : tuning.
Il ne s’agit que d’une esquisse servant à illustrer l’orientation
générale d’une démarche d’intégration musique-ERE.
14
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Déroulement : Ils doivent effectuer une investigation plus
poussée de cette situation dans le but d’aboutir à un diagnostic.
Pour ce faire, ils sont amenés à vérifier les niveaux sonores, à
recueillir des échantillons sonores, à étudier les effets
psychologiques, physiologiques ou même éducationnels de la
situation problématique. Ils peuvent aussi être amenés à analyser
les valeurs qui sous-tendent les positions des différents acteurs et
à clarifier les leurs en organisant des débats ou des jeux de rôles.
Ils ont finalement à porter un jugement esthétique sur la situation
étudiée, ce qui fait partie des compétences musicales.
Ensuite, ils ont à engager plus spécifiquement leurs compétences
en esthétique acoustique. Afin de résoudre la situation
problématique, ils doivent imaginer différentes solutions. Quatre
principes devront être considérés (Schafer, 1979) : 1) le respect
de la voix et de l'oreille humaine; 2) la conscience du
symbolisme des sons; 3) la connaissance des rythmes et des
tempi du paysage sonore naturel; 4) la compréhension des
mécanismes d'équilibre grâce auxquels un paysage sonore
aberrant peut se corriger. Les solutions proposées sont ensuite
évaluées afin de retenir la meilleure. Un plan d’action est élaboré,
mis en œuvre, puis évalué.
Communication : Une fois le projet complété, les élèves doivent
en communiquer le processus et les résultats lors d’un événement
spécial. Cette étape permet, entre autres, d’objectiver, de
structurer et de synthétiser les principaux apprentissages, de
même que de partager les nouvelles connaissances, expériences
et réalisations.
Évaluation et suivi : L’évaluation du projet par l’enseignant doit
porter à la fois sur le processus et sur les résultats et fait appel à
l’évaluation formative et à l’évaluation sommative. Le suivi,
correspond à une évaluation à long terme et vise la consolidation
des acquis.
Dans sa perspective pédagogique, l’ERE se présente comme un
mouvement éducationnel favorisant le changement en éducation.
Les objectifs généraux de la perspective pédagogique pourraient
se formuler ainsi (Sauvé, 1997):
1.
2.
3.
4.
5.
6.
Ouvrir l’école sur le milieu de vie;
Promouvoir une pédagogie interdisciplinaire;
Promouvoir l’implication active de l’élève dans le
processus d’apprentissage;
Promouvoir l’apprentissage coopératif;
Stimuler l’approche expérientielle de la réalité;
Promouvoir le recours à la démarche de résolution de
problèmes réels.
Schafer a été professeur titulaire à l’Université Simon Fraser de
Colombie Britanique de 1965 à 1975. C’est sans doute à cet
endroit qu’il a pris connaissance des courants de recherche
novateurs en pédagogie : pédagogie ouverte, créativité,
interdisciplinarité. Sa proposition en est visiblement inspirée. On
peut aussi supposer qu’il s’est intéressé à l’ERE étant donné la
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filiation évidente entre les stratégies qu’il préconise et celles
employées dans ce champ éducationnel.
expérientiel, laquelle a été développée un peu plus tard, soit au
début des années 1980 (Sauvé, 1997).
Mais, comme c’est souvent le cas en éducation musicale, la
dimension pédagogique reste peu élaborée et beaucoup
d’éléments restent implicites. Schafer énonce bien quelques
principes généraux, mais il ne développe pas les détails de leur
mise en application et n’expose pas les fondements théoriques
sur lesquels il s’appuie. De plus, Schafer restreint l’aspect
apprentissage en se concentrant presque exclusivement sur les
contenus à acquérir. Il est donc difficile de se prononcer sur la
pensée pédagogique de Schafer. Néanmoins, des indices nous
permettent d’inférer qu’il rejoint l’esprit de plusieurs des
objectifs généraux présentés ci-haut.
Promouvoir le recours à la démarche de résolution de problèmes
réels : Les activités proposées par Schafer sont surtout des
exercices. Certaines impliquent une intervention directe dans
l’environnement sonore en vue de la résolution d’un problème de
pollution sonore. Cependant, Schafer ne fait pas référence à une
démarche de résolution de problèmes.
Ouvrir l’école sur le milieu de vie : Dans ses écrits, Schafer
milite en faveur d’une éducation musicale au diapason de son
époque qui tienne compte des réalités et des problématiques
musicales actuelles. Elle s’oppose en cela au culte des génies
disparus qui caractérise une conception répandue de l’éducation
musicale. De plus, les activités pédagogiques se réalisent souvent
dans le milieu de vie.
Promouvoir une pédagogie interdisciplinaire : Un des grands
intérêts de la proposition de Schafer est d’ouvrir l’éducation
musicale
sur
des
préoccupations
éducationnelles
contemporaines : éducation relative à l’environnement, éducation
à la citoyenneté, éducation à la santé, etc. De plus, l’étude de
l’environnement sonore implique le recours aux données issues
des disciplines scientifiques qui s’intéresse au son : acoustique,
psychoacoustique, anthropologie, sociologie, etc. Enfin, Schafer
insiste sur les correspondances qui unissent les différentes formes
artistiques. Il est donc très facile d’envisager une pédagogie
interdisciplinaire. S’il y fait allusion, Schafer ne précise toutefois
pas les paramètres d’une telle pédagogie.
Promouvoir l’implication active de l’élève dans le processus
d’apprentissage : Schafer ne précise pas le rôle de l’élève dans le
processus d’apprentissage; il propose des situations
d’apprentissage expérientiel.
Promouvoir l’apprentissage coopératif : L’éducation musicale en
milieu scolaire est largement une affaire de groupe. La plupart du
temps, on fait référence à l’apprentissage collectif plutôt qu’à
l’apprentissage coopératif. Schafer n’aborde pas la question de la
coopération dans l’apprentissage; il propose néanmoins des
activités de groupe.
Stimuler l’approche expérientielle de la réalité : Pour Schafer, il
ne saurait y avoir d’éducation relative à l’environnement sonore
sans un contact avec les réalités sonores. Plusieurs activités
suggérées par Schafer impliquent donc une immersion dans
l’environnement sonore : promenades et itinéraires acoustiques,
recherches de sons spécifiques, analyse sur le terrain, etc. Schafer
ne fait évidemment pas allusion à la théorie de l’apprentissage
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Conclusion
Cet article avait pour de but d’amorcer une restructuration de la
proposition de Schafer à la lumière des connaissances actuelles
en éducation musicale et en ERE. L’objectif était de préciser la
double mission, environnementale et musicale, de sa proposition.
Pour ce faire, nous avons procédé à une analyse de cette
proposition en fonction d’un cadre axiologique issu de
l’éducation musicale et de l’ERE.
Sur le plan de l’éducation musicale, Schafer a su proposer une
éducation musicale ouverte sur les réalités musicales et les
préoccupations éducationnelles contemporaines. Son concept de
paysage sonore s’inscrit dans la théorie musicale contemporaine
et peut servir de fondement à une éducation axée sur le
développement de conduites musicales. En ce qui concerne
l’ERE, Schafer doit être considéré comme un pionnier. D’une
part, ses premiers écrits coïncident avec la naissance de l’ERE,
soit à la fin des années 1960. D’autre part, bien que l’oreille soit
l’un des principaux capteurs sensibles de l’environnement et que
la pollution sonore soit devenue un problème socioenvironnemental préoccupant, il demeure l’un des seuls à avoir
traité de la dimension sonore de l’environnement en éducation.
Notre analyse nous a permis de comprendre que la poursuite
d’objectifs musicaux et environnementaux pouvait être
compatible dans le cadre d’une éducation musicale.
L’analyse de la proposition de Schafer a fait ressortir le peu
d’importance qu’il accorde aux aspects pédagogiques. Dans une
optique éducentrique (Legendre, 1995), sa proposition serait plus
intéressante si elle était développée à l’intérieur d’un cadre
théorique et stratégique qui tienne compte de toutes les
composantes de la situation pédagogique et qui intègre les
récents développement de la pédagogie. Cela pourrait favoriser la
conception et l’élaboration d’activités plus appropriées aux buts
poursuivis.
Enfin, il ressort globalement que le cadre théorique et stratégique
développé par Lucie Sauvé (1997) pourrait être appliqué
avantageusement à la dimension environnementale de la
proposition de Schafer. Cette dernière en serait grandement
enrichie. Un cadre équivalent devrait être appliqué à la dimension
musicale. Malheureusement, le domaine de l’éducation musicale
ne bénéficie pas encore d’un outil aussi élaboré.
5
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