Revista Brasileira de Arbitragem 16

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Revista Brasileira de Arbitragem 16
Doutrina Internacional
L’Intervention des Tiers a L’Arbitrage
Alexis Mourre
Avocat au barreau de Paris.
SOMMAIRE: I – Position du problème; A) Définition de l’intervention et distinctions nécessaires; B) Etat du
droit et raisons d’une évolution souhaitable; a) L’état du droit; b) Raisons d’une évolution souhaitable;
c) Les tentatives effectuées à ce jour pour rendre possible l’intervention des tiers; II – Dans quels cas
et dans quelles conditions l’intervention d’un tiers à la procédure arbitrale pourrait-elle être admise?;
A) L’intervention volontaire à l’instance arbitrale; a) Qui est le tiers?; b) Que veut le tiers?; B)
L’intervention forcée; III – Conclusion.
1. C’est un constat aujourd’hui généralement partagé que l’arbitrage est devenu le
mode commun de règlement des différends du commerce international. Les statistiques
des grandes institutions d’arbitrage, telles que la CCI 1, montrent une croissance continue
du nombre des procédures et une diversification très importante de l’origine géographique
des parties.
Dans ce contexte, l’arbitrage est confronté à de multiples défis: l’exigence de
rapidité qui imprègne le monde contemporain a donné lieu au développement des ADR 2,
et la croissance de ce qu’il est convenu d’appeler la “new economy” a rendu indispensable
la prise en compte de données nouvelles, tant techniques que juridiques, permettant aussi
bien de faciliter la résolution des litiges du commerce électronique que d’utiliser les moyens
de communication et de transmission de données les plus modernes dans le cadre de
litiges classiques 3.
2. Parmi ces défis nouveaux, le moindre n’est pas la complexité accrue du contexte
économique dans lequel évolue l’arbitrage. Avec la mondialisation des échanges et le
mouvement de concentration des entreprises qui l’accompagne, des opérations impliquant
un grand nombre de parties et une multiplicité d’instruments contractuels différents sont de
plus en plus fréquentes.
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D’une part, des relations contractuelles juridiquement distinctes correspondent très
souvent à un contexte économique unique, et appellent des solutions globales plutôt qu’un
morcellement du contentieux. D’autre part, des litiges surviennent de plus en plus
couramment à l’occasion de contrats comportant un grand nombre de parties différentes.
Or, la double nature de l’arbitrage, à la fois juridictionnelle et contractuelle, constitue
un handicap pour répondre aux exigences posées par l’une et l’autre de ces situations. A
cet égard, diverses questions se trouvent posées: opposabilité aux tiers de la clause
d’arbitrage, modalités de formation du tribunal en présence d’une pluralité de parties,
jonction éventuelle de procédures d’arbitrage distinctes, mais également rapports d’une
procédure d’arbitrage en cours avec les tiers qui n’y sont pas parties.
3. S’agissant tout d’abord de l’extension et de la transmission de la clause
compromissoire aux parties ne l’ayant pas signée, la jurisprudence a tenté de dégager des
critères permettant aux arbitres “de s’affranchir d’un formalisme lié à la signature du contrat
tout en respectant la sécurité des transactions” 4.
La jurisprudence arbitrale a ainsi, à plusieurs reprises, accepté qu’une clause
compromissoire puisse être opposée à des sociétés tierces, mais appartenant au même
groupe que la partie l’ayant stipulée. Quant à la jurisprudence des tribunaux étatiques,
celle-ci a souvent admis que la clause compromissoire insérée dans un contrat
international a une “validité et une efficacité propres qui commandent d’en étendre
l’application aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et dans les
litiges qui peuvent en résulter, dès lors qu’il est établi que leur situation et leurs activités
font présumer qu’elles ont eu connaissance de l’existence et de la portée de la clause
d’arbitrage, bien qu’elles n’aient pas été signataires du contrat la stipulant” 5. La
jurisprudence a également étendu la clause compromissoire aux tiers dont on considère –
d’une façon parfois assez discutable – qu’ils ont été représentés 6. La Cour d’appel de
Paris a même admis l’extension de la clause compromissoire à un tiers sur le fondement
de la théorie de l’apparence, jugeant que les circonstances de la négociation et de la
conclusion du contrat avaient créé pour le demandeur la croyance légitime que ce tiers y
était partie 7.
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S’agissant des mécanismes, d’une nature juridique différente, de transmission de la
clause, la jurisprudence a admis que celle-ci oblige les tiers venant aux droits et obligations
de la partie signataire 8 et les tiers cessionnaires de la créance 9.
Mais cette jurisprudence expansionniste trouve ses limites dans le principe de
relativité des conventions posé par l’article 1165 10 du Code civil, selon lequel les
conventions n’ont d’effets qu’entre les parties contractantes 11. C’est ainsi, par exemple,
que la Cour de cassation a refusé de considérer que le bénéficiaire d’une stipulation pour
autrui soit lié par la clause compromissoire conclue entre le stipulant et le promettant 12.
Quant à la jurisprudence arbitrale, celle-ci a souvent refusé d’étendre la clause
compromissoire à des sociétés du groupe, au nom du principe d’interprétation restrictive
des conventions d’arbitrage 13.
4. S’agissant de l’organisation de l’arbitrage en présence d’une pluralité de
défendeurs, la réflexion s’est essentiellement concentrée sur les questions liées à la
formation du tribunal et, dans une moindre mesure, sur le problème de la jonction des
procédures 14. Ici encore, les solutions proposées se heurtent à certains principes
fondamentaux. La constitution du tribunal ne pourra se faire, en présence d’une pluralité de
défendeurs, que dans le respect de l’égalité des armes 15. Quant à la jonction des
procédures, celle-ci reste largement tributaire de l’accord des parties, et ni la doctrine, ni la
jurisprudence, ne paraissent avoir apporté de réponse définitive à la question de savoir si
l’exécution d’une sentence rendue sur consolidation autoritaire serait compatible avec les
dispositions de la Convention de New-York 16.
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5. La question de l’intervention de tiers en cours de procédure n’a, en revanche,
suscité qu’un intérêt beaucoup plus limité.
Dans une première partie, nous définirons l’intervention et examinerons les raisons
qui nous paraissent militer en faveur d’une évolution du droit sur cette question (I). Dans
une seconde partie, nous aborderons les conditions auxquelles l’admissibilité de
l’intervention devrait être soumise en matière arbitrale (II). En conclusion, nous nous
interrogerons sur les pouvoirs qui devraient être reconnus à l’arbitre confronté à une
demande d’intervention (III).
I – POSITION DU PROBLÈME
6. Il est d’abord nécessaire de définir l’intervention et d’opérer un certain nombre de
distinctions (A), avant d’examiner l’état actuel du droit et d’analyser les raisons qui militent
en faveur d’une évolution (B).
A) Définition de l’intervention et distinctions nécessaires
7. L’intervention, telle qu’elle est organisée devant les juridictions ordinaires par les
articles 325 et suivants du NCPC, recouvre un grand nombre de situations différentes.
Nous verrons que la spécificité de l’arbitrage ne justifie aucune exclusion générale et
absolue; chaque situation doit au contraire être appréciée au cas par cas, et il est pour cela
nécessaire d’opérer un certain nombre de distinctions.
8. En premier lieu, il importe de définir l’intervention elle-même. Cette notion
implique l’existence d’une instance à laquelle le tiers se joindra, soit de sa propre initiative,
soit parce qu’il y aura été contraint.
En matière d’arbitrage, il faut cependant distinguer selon que l’intervention a lieu
avant ou après la constitution du tribunal. On peut parfaitement imaginer, en effet, qu’un
tiers intervienne à l’instance devant le Président du tribunal saisi d’une difficulté de
constitution du tribunal arbitral. Il n’existe aucune raison de penser que l’intervention puisse
ne pas être recevable dans ce cas, ce qui n’implique pas nécessairement, cependant, que
l’intervention doive automatiquement être admise lorsqu’elle se situe au stade du l’instance
arbitrale proprement dite. Il faut également mentionner le cas de l’intervention devant la
Cour d’appel, au stade de la procédure en annulation.
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9. En second lieu, il faut distinguer selon la qualité de l’intervenant. La notion de
tiers peut en effet faire référence à la clause compromissoire, ce qui emporte certaines
conséquences, ou seulement à la procédure d’arbitrage, ce qui pose des problèmes de
nature distincte. La situation sera en effet différente en cas d’intervention d’une personne à
la fois étrangère au contrat et à la procédure (que nous définirons “tiers absolu”), ou en cas
d’intervention d’un tiers à la procédure qui serait cependant partie au contrat contenant la
clause compromissoire, ou qui se trouverait dans une situation juridique d’assujettissement
à la clause (que nous définirons “tiers imparfait”).
10. En troisième lieu, il convient de distinguer selon la finalité de l’intervention du
tiers. Ce dernier peut en effet vouloir se limiter à appuyer les prétentions d’une partie, cas
de figure prévu par l’article 330 du NCPC et qualifié d’intervention volontaire accessoire. Il
faut en ce cas que l’intervenant ait un intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir
cette partie.
Alternativement, l’intervention peut être relative à des prétentions distinctes de
celles que les parties ont entre elles, que ce soit à titre actif (intervention volontaire
principale prévue par l’article 329 du NCPC) ou passif (en cas d’intervention forcée). En
cas d’intervention volontaire principale, l’intervention suppose que le tiers ait le droit d’agir
relativement à la prétention qu’il forme; en matière d’arbitrage, il faut aussi que cette
prétention rentre dans le champ de la clause compromissoire. En cas d’intervention forcée,
l’intervention peut tendre à ce que la sentence à intervenir devienne simplement commune
au tiers, ou à ce que le tiers fasse l’objet d’une condamnation; dans les deux cas, il faut
que le tiers se trouve dans une situation d’assujettissement à la clause compromissoire.
Comme on le voit, les distinctions à opérer pour apprécier le bien fondé d’une
demande d’intervention sont très nombreuses: intérêt à agir de l’intervenant, finalité de
l’intervention, nature des demandes, qualité du tiers…
B) Etat du droit et raisons d’une évolution souhaitable
a) L’état du droit:
11. En matière d’arbitrage, l’opinion généralement admise est qu’aucune
intervention, ni volontaire, ni forcée, ne peut être imposée aux parties.
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Monsieur Matthieu de Boisséson écrit ainsi:
“ni l’intervention volontaire, ni l’intervention forcée ne sont compatibles avec la nature
contractuelle de l’arbitrage. L’intervention volontaire ne peut se réaliser que dans
l’hypothèse où l’ensemble des parties à la convention d’arbitrage accepte le principe de
cette intervention” 17. Le Professeur Eric Loquin estime, de même, que “ni l’intervention
forcée, ni l’intervention volontaire ne sont compatibles avec la nature contractuelle de
l’arbitrage. L’intervention volontaire ne pourra se réaliser qu’avec l’accord de l’ensemble des
parties à l’arbitrage” 18. Monsieur Patrice Level, quant à lui, considère “qu’un tiers à la
convention d’arbitrage, fut-il intéressé au contrat litigieux ou plus précisément au litige […]
ne peut intervenir dans un procès soumis à des arbitres, à l’investiture desquels il n’a pas
été convié, hormis le cas où les parties en litige et le tiers consentent tous à cette
intervention et que le tribunal arbitral ne s’y oppose pas” et que “le mécanisme de
l’intervention ou de l’appel en garantie, au regard d’une instance préexistante, qui conduirait
soit à imposer aux parties au litige et à leur tribunal arbitral d’accueillir la demande d’un tiers
intéressé au litige, soit à obliger le tiers à participer à l’instance arbitrale, ne peut être admis
au titre de l’effet relatif de la clause d’arbitrage ou du compromis”. 19
La jurisprudence française va dans le même sens, la Cour d’appel de Paris ayant
jugé 20 que “les règles du droit de l’arbitrage […] ne permettent pas d’étendre à des tiers
[…] les effets de la convention litigieuse et font obstacle à toute procédure d’intervention
forcée ou d’appel en garantie”.
b) Raisons d’une évolution souhaitable
12. On peut, cependant, se poser la question de savoir si cette position ne procède
pas d’une certaine surévaluation de la dimension contractuelle de l’arbitrage, au détriment
de sa réalité juridictionnelle. En outre, elle ne paraît pas tenir suffisamment compte des
droits des tiers. Une réflexion nouvelle est donc peut-être nécessaire.
Deux ordres de raisons militent à notre avis pour admettre dans certains cas
l’intervention de tiers à l’instance arbitrale.
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13. Le premier est bien connu et il est inutile de s’y étendre longuement: chacun
s’accorde à considérer qu’il serait souhaitable de prévenir un morcellement du contentieux,
nécessaire d’éviter que ne soient prononcées des décisions inconciliables, bénéfique
d’épargner aux parties les coûts et délais de procédures successives…
14. Le second tient spécifiquement à l’intervention volontaire et nous paraît, en
revanche, avoir été jusqu’ici un peu sous estimé. L’intervention volontaire a toujours, en
effet, été exclue sur la base du postulat selon lequel la nature contractuelle de l’arbitrage y
ferait obstacle. La question a donc été posée sous l’angle du droit des parties à l’arbitrage
de garder la maîtrise de la procédure, et ne paraît pas avoir été examinée sous celui des
droits des tiers. Or, on peut peut-être se demander si, dans certains cas, ces derniers ne
devraient pas se voir reconnaître le droit d’imposer leur intervention aux parties à
l’instance.
Ainsi formulée, la question peut paraître un peu hétérodoxe; mais un tel droit existe
sans doute dans deux situations au moins.
15. D’une part, une partie au contrat incluant la clause compromissoire peut ne pas
avoir été attraite à la procédure d’arbitrage. Comme nous l’avons dit, la notion de tiers au
contrat et celle de tiers à la procédure ne coïncident pas toujours: il faut distinguer les “tiers
absolus” des “tiers imparfaits”. Or, il n’existe aucune raison de refuser à une partie ayant
accepté la clause compromissoire, mais qui serait restée tierce à la procédure, le droit d’y
intervenir.
16. D’autre part, une sentence peut affecter les droits de personnes n’étant ni
parties à la clause compromissoire, ni parties à la procédure. Ces dernières sont donc
fondés à se protéger; les développements qui vont suivre sont plus spécifiquement
consacrés à ce second cas de figure. Nous examinerons d’abord la question de
l’affectation par la sentence des droits de tiers, pour voir ensuite les conséquences que
cette affectation est susceptible d’avoir sur la sentence.
• L’affectation des droits des tiers:
17. La question de l’effet des sentences arbitrales à l’égard des tiers n’a guère,
jusqu’à présent, semblé susciter l’intérêt de la doctrine. C’est qu’elle ne paraît pas, de
prime abord, appeler de considérables développements. L’article 1476 du NCPC dispose
que “la sentence arbitrale a, dès qu’elle est rendue, l’autorité de chose jugée relativement à
la contestation qu’elle tranche” 21 . Cette autorité n’existe que relativement aux points de
droit et de fait définitivement tranchés par la sentence et entre les parties à la procédure.
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La relativité inter partes de l’autorité des sentences n’est certes pas expressément
prévue par l’article 1476 du NCPC, mais elle découle de l’article 1351 du Code civil 22, et
constitue le pendant du principe posé en matière contractuelle par l’article 1165 du Code
civil.
La combinaison des deux règles semble donc conduire, d’une part, à exclure toute
opposabilité aux tiers de l’accord compromissoire et, d’autre part, à limiter aux parties
l’autorité des sentences.
18. Une telle approche procède d’une vision classique de la relativité des actes
juridiques qui a, depuis plus de cinquante ans, suscité de nombreuses critiques, en ce
qu’elle ne tiendrait pas compte de l’incidence qu’ils peuvent avoir sur la réalité des rapports
sociaux, et ignorerait par voie de conséquence la façon dont les droits des tiers peuvent
parfois en être affectés. C’est ainsi que, dès 1934, le Doyen Savatier pouvait parler d’un
“prétendu principe de l’effet relatif des contrats” 23 .
Le Professeur Philippe Delmas Saint-Hilaire écrit par exemple, à cet égard:
“L’acte juridique peut, en tant que fait social opposable, toucher les tiers, qui en
subiront indirectement les répercussions ou chercheront au contraire à s’en prévaloir. Si le
principe de relativité des conventions signifie que les tiers ne peuvent devenir créanciers ou
débiteurs, contre leur gré, en raison d’un acte auquel ils n’ont pas été parties, en revanche,
l’opposabilité les contraint à devoir respecter la situation juridique engendrée par le contrat,
même s’ils ne sont pas liés par elle.” 24
19. Ce raisonnement vaut pour les conventions comme pour les actes
juridictionnels. Le Professeur Louis Boyer écrivait à cet égard, dans son fameux article sur
les effets des jugements à l’égard des tiers, que:
“le dogme classique de la relativité du jugement ne vaut que pour sa valeur
probatoire, c’est seulement comme vérité judiciaire qu’il ne lie que les parties; il n’en reste
pas moins vrai qu’il crée un nouvel état de droit dont tous doivent désormais tenir compte;
de ce point de vue, et en tant que titre, il est désormais opposable à tous.” 25
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Il y aurait donc une distinction à opérer entre l’autorité de chose jugée des décisions
juridictionnelles, d’une part, et leur opposabilité, d’autre part. L’autorité de chose jugée
serait limitée aux parties en vertu du principe de relativité, tandis que se profilerait une
notion d’opposabilité erga omnes des décisions de justice, non pas en tant que source de
droits et d’obligations, mais comme autant de faits sociaux, de réalités objectives
susceptibles d’affecter indirectement la situation des tiers qui y sont intéressés.
L’autorité de chose jugée et l’opposabilité seraient donc de nature juridique
différente: “L’autorité de la chose jugée assure l’immutabilité du jugement entre les parties,
alors que l’opposabilité étend le rayonnement de la décision dans le milieu juridique, en
imposant la situation juridique née du jugement aux tiers” 26.
20. Comment ne pas voir, en effet, que la résiliation du bail principal affectera les
droits du sous-locataire, que la nullité du dépôt de marque effectué par le donneur de
licence ne pourra rester ignorée du licencié, que la condamnation du responsable aura des
conséquences sur l’assureur, tandis que la caution ne restera pas indifférente au jugement
prononcé à l’égard du débiteur cautionné? Par exemple, dans une affaire relative à la
résiliation d’un contrat d’édition 27, la Cour de cassation a jugé que:
“La résiliation du contrat a pour effet, comme la résolution, d’anéantir le contrat et de
remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient antérieurement sous la seule réserve
de l’impossibilité pratique; la Cour d’appel a donc pu déduire de la résiliation des contrats
qu’elle prononçait l’obligation pour l’éditeur de mettre un terme aux contrats d’exploitation de
l’œuvre consentis à des tiers…”
Certes, le jugement ou la sentence n’obligeront point le tiers. Mais le tiers ne pourra,
pour échapper aux poursuites engagées à son encontre, prétendre ignorer les
conséquences juridiques de ce qui a été jugé en son absence. Un locataire gérant de
fonds de commerce subira inévitablement, par exemple, les conséquences d’une décision
prononçant la nullité du bail commercial de celui dont il tient ses droits. En matière de
cautionnement, il a été jugé par un arrêt du 4 janvier 1960 de la Cour d’appel de Paris 28,
que:
“Les juges saisis d’une demande de dommages et intérêts contre la caution sont
fondés à estimer que la sentence arbitrale, même non exécutoire en France, constitue une
donnée de fait qui, eu égard à la qualité de l’arbitre et au défaut de contestation sérieuse
sur ses constatations, comme de toutes les données de la cause, permet de condamner en
conséquence la caution à des dommages et intérêts égaux au montant de la condamnation
prononcée par la sentence arbitrale contre la société cautionnée.”
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La solution est privée de toute ambiguïté; observons néanmoins qu’elle n’a sans
doute pas été adoptée sans hésitations, si la Cour a éprouvé la nécessité de la justifier par
des considérations aussi évidemment dénuées de pertinence à l’égard du tiers que la
“qualité de l’arbitre” ou “l’absence de contestation sérieuse” dans le procès arbitral.
21. Il ne rentre pas dans le cadre de cet article d’analyser la nature juridique de ces
effets et les principes auxquels ils répondent. L’opposabilité aux tiers des actes juridiques
n’est d’ailleurs pas un phénomène uniforme ni général 29 et ses manifestations se prêtent
difficilement aux théorisations. Les droits des tiers seront plus ou moins affectés selon les
situations: plus leur proximité avec l’acte sera grande, et plus ils seront susceptibles d’en
ressentir indirectement les effets 30 .
22. La question est loin, cependant, de n’être que théorique, et la pratique en fournit
de multiples illustrations. Nous n’en donnerons que quelques exemples épars.
En matière de cautionnement, il a été dit que la décision condamnant le débiteur
principal est opposable à la caution, et que cette dernière ne peut la contester, sauf bien
entendu le jeu des exceptions qui lui sont personnelles. Comme l’indique le Professeur
Simler:
“La jurisprudence décide que ce qui a été jugé entre le créancier et le débiteur
principal est opposable aux cautions solidaires ou par elles […] réciproquement, ce qui a
été jugé à l’égard d’une caution solidaire est opposable aux autres cautions et au débiteur
principal. Enfin, ce qui a été définitivement jugé quant à la dette principale entre le créancier
et la caution est opposable par le débiteur principal au créancier.” 31
Cette solution s’applique également en matière arbitrale 32.
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En matière d’assurances de responsabilité, la jurisprudence de la Cour de cassation
décide que la condamnation de l’assuré à indemniser la victime constitue la réalisation du
risque 33, et il n’est pas sérieusement discuté qu’une sentence condamnant l’assuré soit
opposable à l’assureur 34.
Pour la caution, comme pour l’assureur, l’opposabilité est fondée sur l’idée selon
laquelle la caution aussi bien que l’assureur ont été représentés par le débiteur principal ou
l’assuré. La caution et l’assureur sont réputés avoir participé au procès. Cette idée, logique
en ce qui concerne l’assureur dès lors que la police comporte une clause de direction du
procès 35 , est beaucoup plus discutable en ce qui concerne la caution, à l’égard de
laquelle il s’agit d’une pure et simple fiction. De quelque façon que les décisions soient
motivées, le fait est bien qu’une sentence arbitrale peut être opposée à une caution qui n’a
été ni partie ni réellement représentée à la procédure 36.
Il existe aussi de nombreux autres cas, dans lesquels une sentence arbitrale
affectera les droits de tiers, sans que cette affectation soit justifiée par une quelconque
idée de représentation. Que l’on songe, par exemple, à l’incidence sur les droits du
vendeur, titulaire d’une clause de réserve de propriété, d’un contentieux entre acquéreur et
sous-acquéreur sur la propriété du bien 37 ou aux conséquences possibles, pour le maître
de l’ouvrage, d’un procès entre l’entrepreneur principal et le sous-traitant.
Il peut, d’autre part, arriver qu’une sentence arbitrale ait une incidence positive sur
les droits de tiers. La Cour de cassation a ainsi, par exemple, eu à connaître d’une affaire à
l’occasion de laquelle les arbitres, condamnant une partie à exécuter ses obligations
contractuelles, lui avaient ordonné de payer une certaine somme à un tiers 38.
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23. Les actes juridictionnels peuvent donc affecter les droits de tiers de diverses
manières.
Telle est la raison pour laquelle ces derniers disposent, devant les juridictions
étatiques, de deux moyens de protéger leurs droits: l’un, la tierce opposition, constitue une
voie de recours destinée à “écarter les effets indirects – l’opposabilité – du jugement qui
fait grief aux tiers” 39; l’autre est l’intervention volontaire.
Ces deux voies d’action sont alternatives et forment un dispositif équilibré de
protection des droits des tiers. Si la jurisprudence, considérant qu’ils ont été représentés à
l’instance, ferme par exemple – sauf la fraude – la voie de la tierce opposition à l’assureur
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et à la caution solidaire 41 sur le fondement de l’article 583 du NCPC 42, il ne fait aucun
doute que l’intervention leur est ouverte.
24. Or, on sait qu’en matière d’arbitrage international, la tierce opposition n’est pas
admise 43. Il est sans doute juste qu’il en soit ainsi; ouverte pendant trente ans 44 et
impliquant la dévolution du litige à une juridiction étatique 45, la tierce opposition serait
probablement contraire à la sécurité juridique et à l’exigence de confidentialité qui
caractérise l’arbitrage international. Il n’est donc pas question de proposer l’ouverture de
cette voie de recours en telle matière.
25. Pour autant, les droits des tiers ne peuvent être ignorés. On pourrait certes
tenter de régler le problème en posant un principe juridique d’exclusion, en matière
d’arbitrage, de toute opposabilité des sentences aux tiers.
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Un telle solution n’est cependant pas envisageable sur un plan général.
D’une part, il nous paraît impossible, compte tenu de leur caractère juridictionnel,
d’opérer une distinction entre sentences et décisions judiciaires du point de vue de leurs
effets. D’autre part, et surtout, ce n’est pas en tant qu’acte juridictionnel que la sentence
affectera les droits de tiers, mais en tant que fait; or, aucun principe de droit ne permet
d’ignorer les faits: il suffit à cet égard de songer à la situation du sous-locataire frappé par
la résiliation du bail principal.
26. Si l’on admet, donc, que la tierce opposition soit fermée en matière d’arbitrage
international, et que l’opposabilité aux tiers des sentences ne puisse être écartée de façon
générale, une réflexion s’impose nécessairement sur l’intervention.
En effet, refuser aux tiers justifiant d’un intérêt légitime le droit d’intervenir à la
procédure revient, dès lors que la voie de la tierce opposition leur est fermée, à les priver
de toute possibilité de veiller à la protection de leurs droits à chaque fois que ceux-ci sont
susceptibles d’être affectés par la sentence à intervenir. Une telle situation n’est pas
seulement préjudiciable au tiers. Comme nous le verrons maintenant, elle met aussi en
péril la sentence.
• Les conséquences de l’affectation des droits des tiers sur la sentence:
27. L’affectation des droits des tiers pourrait être considérée comme contraire au
droit au procès équitable protégé par l’article 6 § 1 de la Convention Européenne des
Droits de l’Homme 46.
Certes, la Convention Européenne des Droits de l’Homme, applicable aux Etats, ne
s’impose pas directement aux arbitres. Mais elle fait pleinement partie de la conception
française de l’ordre public international.
Imaginons, par exemple, un tiers auquel une sentence ferait grief et qui déciderait
d’intervenir dans la procédure introduite devant la Cour d’appel sur le recours en
annulation formé par une des parties à l’arbitrage. Une telle intervention volontaire serait
sans nul doute recevable, ainsi que l’a jugé la Cour d’appel de Paris 47. Certes,
l’intervenant tirerait peu de profit d’une telle intervention, la Cour ne pouvant réviser la
sentence au fond ni en contrôler la motivation. Mais le tiers pourrait faire valoir que, la
sentence lui faisant grief sans qu’il ait pu intervenir et présenter ses moyens de défense,
celle-ci contrevient à l’article 6 § 1 et doit comme telle être annulée, tant sur le fondement
de l’article 1502-4º, que sur celui de l’article 1502-5° du NCPC 48.
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Alternativement, le tiers pourrait former une tierce opposition contre l’arrêt ayant
statué sur le recours en annulation 49; dans ce dernier cas, la tierce opposition ne
rétracterait ou réformerait l’arrêt que sur les points préjudiciables au tiers opposant.
c) Les tentatives effectuées à ce jour pour rendre possible l’intervention des tiers
28. Il existe donc un intérêt certain à prévenir ce type de situations, et à protéger
plus efficacement les droits des tiers. Certaines lois nationales et règlements d’arbitrage
ont déjà tenté de prendre en compte ce souci.
La loi néerlandaise sur l’arbitrage 50 prévoit par exemple l’hypothèse d’une
intervention de tiers. Mais elle la conditionne, d’une part, à l’accord de l’arbitre et, d’autre
part, à celui des parties, qui doivent régulariser avec le tiers un accord écrit d’accession au
compromis; dans ces conditions, on peut se poser la question de savoir quel est l’intérêt
véritable du texte, si ce n’est – avantage peut-être non négligeable – de servir de point
d’appui à un arbitre souhaitant “inviter” les parties à accepter une demande d’intervention.
Le texte néerlandais encourt donc, sans doute, la critique de ne pas distinguer entre les
situations, notamment entre les cas d’intervention à l’accord d’arbitrage d’une partie qui
serait restée tierce à la procédure et les cas d’intervention de tiers “absolus”, mais il a le
mérite de ne pas ignorer la question. Les mêmes observations peuvent être faites à propos
de l’article 35 du Règlement de la Cour d’arbitrage internationale de la Chambre de
Commerce et d’Industrie Russe, qui prévoit la possibilité pour un tiers d’intervenir avec le
consentement des parties 51.
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Le règlement d’arbitrage de la London Court of International Arbitration prévoit, en
revanche, que les arbitres ont le pouvoir, sauf stipulation contraire, d’autoriser l’intervention
de tiers à la demande d’une des parties 52 . La condition d’accord de toutes les parties
disparaît donc ici, seule subsistant celle relative au consentement du tiers. Le règlement
d’arbitrage de la Chambre de commerce et d’industrie de Genève prévoyait quant à lui 53,
avant que ce règlement ne soit remplacé par le Règlement des chambres suisses entré en
vigueur le 1er janvier 2004, que l’intervention du tiers peut être décidée en fonction des
circonstances, sans que son accord ni celui de toutes les parties soit obligatoirement
nécessaire; mais elle ne peut intervenir que dans la phase antérieure à la constitution du
tribunal, sur décision de l’organisme d’arbitrage: ce règlement fait donc plutôt référence à
un cas d’arbitrage multipartite qu’à une véritable intervention en cours d’instance.
29. En définitive, ces tentatives de régler l’épineuse question de l’intervention des
tiers restent limitées. La seule véritable tentative tendant à une admission large des
interventions volontaires et forcées est l’article 4-2 des Règles suisses d’arbitrage
international, entrées en vigueur le 1er janvier 2004 (à propos desquelles on se reportera à
la note additionnelle qui accompagne le présent article).
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30. Quant à la doctrine, elle accorde, dans sa très grande majorité, la prééminence
au pouvoir des parties au nom de l’autonomie de la volonté. Seule, à notre connaissance,
une opinion a adopté un point de vue différent, en mettant l’accent sur la dimension
juridictionnelle de l’arbitrage plutôt que sur sa nature contractuelle. Les Professeurs
Briguglio, Fazzalari et Marengo écrivent ainsi, commentant la loi italienne sur l’arbitrage de
1994 54:
“Pour ce qui concerne l’intervention des tiers dans la procédure arbitrale […], il y a
évidemment lieu d’aborder la question sous l’angle de la protection du tiers contre le
préjudice que la sentence homologuée pourrait lui causer. L’opinion que l’intervention ne
serait pas admissible, compte tenu de l’extranéité du tiers à l‘accord compromissoire […],
est générale et semble évidente. Nous pensons, au contraire, que cette opinion n’est pas
fondée […]. Il faut en appeler à d’autres principes: ceux qui découlent de l’assimilation de la
sentence à un jugement […]. Une telle assimilation impose de tenir compte du principe du
contradictoire (qui doit être respecté dans le procès arbitral tout autant que dans devant les
juridictions ordinaires): si, en effet, les parties qui soumettent la résolution de leur différend
aux arbitres souhaitent que la sentence ait les effets d’un jugement […], elles se soumettent
par là même à un débat contradictoire que l’on pourrait qualifier d’ouvert, incluant par
conséquent l’éventualité de la participation d’un tiers dans la même mesure où celui-ci serait
légitimé à intervenir si le procès se déroulait devant une juridiction ordinaire. De ce point de
vue, l’extranéité du tiers à l’accord compromissoire reste sans incidence […] A son égard, le
procès arbitral se déroule comme un procès devant une juridiction ordinaire, avec
l’éventualité de conséquences […] contre lesquelles il est en droit de se protéger […]. Il lui
appartient de choisir, comme en cas de procès devant les juridictions de l’ordre judiciaire,
s’il souhaite participer à l’arbitrage où en attendre l‘issue et attaquer la sentence […]. En
d’autres termes, le droit de l’arbitrage […] distingue la sentence de tous les autres actes
juridiques de droit privé: tandis que, pour ce qui concerne ces derniers, les tiers n’ont
d’action qu’après la formation de l’acte (par exemple, l’action en revendication du tiers
propriétaire à l’égard de l’acquéreur a non domino, ou l’action révocatoire), à l’égard d’une
sentence, ils peuvent au contraire intervenir et se défendre […] au cours du processus de
formation de l’acte.”
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31. Le point de vue ainsi exprimé, qu’il n’était peut-être pas inutile de rapporter dans
son intégralité en raison de son originalité, présente l’intérêt de distinguer l’accord
compromissoire de tous les autres contrats. Cette distinction serait justifiée en raison de la
nature juridictionnelle de la sentence et des effets qu’elle peut avoir à l’égard des tiers. Ces
particularités, et la nécessité d’éviter que l’autorité de chose jugée reconnue par l’Etat aux
sentences ne porte préjudice à ceux qui n’y ont pas été partie, imposeraient de réduire
l’emprise des parties sur la procédure voulue par elles. Ajoutons que l’exclusion, en droit
français de l’arbitrage international, de la voie de recours que constitue la tierce opposition,
renforce l’exigence de protection des tiers plutôt qu’elle ne l’atténue: l’intervention et la
tierce opposition, si elles sont de nature différente, concourent en effet aux mêmes fins.
32. L’intervention des tiers doit donc, dans certains cas, être admise. Celle-ci entre
cependant en conflit avec la nature contractuelle de l’arbitrage. Admettre l’intervention du
tiers peut bouleverser la prévision des parties. L’intervention doit donc rester
exceptionnelle.
II – DANS QUELS CAS ET DANS QUELLES CONDITIONS L’INTERVENTION D’UN
TIERS À LA PROCÉDURE ARBITRALE POURRAIT-ELLE ÊTRE ADMISE?
33. Suivant le plan offert en cette matière par les dispositions du NCPC, nous
examinerons successivement l’intervention volontaire (A), et l’intervention forcée (B). Bien
entendu, les développements qui vont suivre sont sans préjudice des dispositions
particulières ou contraires de règlements d’arbitrage s’imposant aux parties.
A) L’intervention volontaire à l’instance arbitrale
34. Nous avons rappelé ci-dessus les deux raisons qui sont généralement avancées
pour exclure l’intervention des tiers à l’instance arbitrale: en premier lieu, la nature
contractuelle de l’arbitrage, qui ferait obstacle à ce que l’on puisse contraindre ceux qui
n’ont pas accepté la clause compromissoire à participer à l’instance; en second lieu,
l’égalité entre les parties, interdisant que l’on puisse contraindre une partie à se soumette à
l’arbitrage d’un tribunal qu’elle n’a pas concouru à constituer à l’égal des autres.
35. Les deux causes n’existent pas s’agissant de l’intervention volontaire.
D’une part, l’intervention volontaire résulte d’une décision de l’intervenant, qui choisit
librement d’adhérer au contrat d’arbitrage, s’il n’y est déjà partie.
D’autre part, l’intervention volontaire suppose la libre acceptation par le tiers du
tribunal tel qu’il a été constitué; cette acceptation peut éventuellement comporter une
forme de renonciation à l’égalité des armes, mais cette renonciation est licite en ce qu’elle
intervient une fois le litige né, et qu’elle répond à un impératif de protection des intérêts de
la partie intervenante.
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36. Ces considérations sont-elles, pour autant, suffisantes pour admettre de façon
générale l’intervention volontaire à l’instance arbitrale? Nous ne le croyons pas. Toute
réflexion sur l’admissibilité de l’intervention volontaire à l’instance arbitrale bute en effet
nécessairement sur la question suivante: le tiers peut-il se prévaloir du contrat d’arbitrage,
contre le principe de relativité posé par l’article 1165 du Code civil?
On a vu que la jurisprudence a répondu à cette question par la négative,
considérant par exemple, en matière de cautionnement, que:
“Dès lors que les juges du fond constatent qu’une caution s’est obligée
inconditionnellement et de la manière la plus étendue, à titre personnel, à garantir les dettes
d’une société, par un acte ne comportant aucune clause compromissoire, c’est à juste titre
qu’ils décident que cette caution ne peut personnellement invoquer une clause
compromissoire contenue dans l’acte, auquel elle n’a pas été partie, intervenu entre le
débiteur principal et son créancier.” 55
Or, cette réponse négative ne résout pas tous les problèmes. En outre, elle ne
convainc pas. Il faut ici encore distinguer: Qui est le tiers intervenant? Que veut-il?
a) Qui est le tiers?
37. Comme nous l’avons vu, le tiers intervenant à l’instance arbitrale n’est pas
nécessairement étranger à la clause compromissoire. Il peut en effet advenir qu’y ayant été
partie ou étant obligé par elle, il ait été écarté de la procédure: l’intervenant est alors tiers à
la procédure, mais lié par l’accord d’arbitrage. Une telle situation peut se présenter pour
des raisons diverses: la participation à la procédure d’une des parties au contrat pouvait ne
pas paraître utile au demandeur, ou les parties peuvent s’être entendues pour l’écarter de
l’instance.
Le cercle de ces tiers “imparfaits” est d’ailleurs large. Il comprend ceux qui ont signé
la clause, mais aussi tous ceux à l’égard desquels elle peut être étendue ou transmise. On
a vu, dans la première partie de cet article, que les mécanismes d’extension et de
transmission de la clause permettent, de plus en plus souvent, de la rendre opposable à
des tiers ne l’ayant pas signée ni même, souvent, véritablement acceptée. C’est le cas de
ceux qui ont été directement impliqués dans l’exécution du contrat, de ceux, tels que les
codébiteurs solidaires, dont on considère qu’ils ont été représentés, de ceux qui ont créé
une apparence trompeuse de participation au contrat, des ayant-droits, des cessionnaires
de la créance, etc… Or, si ces tiers peuvent être contraints de se soumettre à une
procédure d’arbitrage, on voit mal pourquoi on leur refuserait le droit d’y participer
volontairement.
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Nous croyons donc qu’il n’existe aucune raison de refuser à ces tiers “imparfaits” le
droit d’intervenir volontairement à la procédure, dès lors qu’ils accepteront le tribunal tel
qu’il a été formé et ratifieront éventuellement l’acte de mission. Il faudra bien entendu que
leurs demandes rentrent dans le champ de la clause compromissoire, mais ils ne seraient
pas, sur ce plan, placés dans une situation différente des autres parties.
38. S’agissant des tiers “absolus”, c’est à dire de ceux qui n’ont pas accepté la
clause et qui ne rentrent pas dans les catégories rappelées ci-dessus, le problème est
bien, en revanche, de savoir quelle signification doit être donnée au principe de relativité:
quel équilibre doit-on rechercher entre le droit des parties au contrat d’arbitrage de garder
un contrôle exclusif sur la procédure voulue par elles, et celui des tiers d’y intervenir pour
protéger leurs intérêts propres? Afin de répondre à cette question, une seconde distinction,
relative à la finalité de l’intervention, s’impose.
b) Que veut le tiers?
39. L’article 328 du NCPC dispose que “l’intervention volontaire est principale ou
accessoire”. Selon la définition retenue par l’article 329 dudit code “l’intervention est
principale lorsqu’elle élève une prétention au profit de celui qui la forme”, tandis qu’elle est
accessoire, selon l’article 330, lorsqu’elle “appuie les prétentions d’une partie”. La situation
doit donc être appréciée différemment selon que le tiers “absolu” entend ou non faire valoir
des prétentions propres.
40. Le tiers étranger à la clause compromissoire n’a, en principe, aucun titre pour
imposer son intervention aux parties. Il n’existe donc aucune raison de l’autoriser à
intervenir au soutien de prétentions qui lui soient propres.
L’intervention volontaire principale du “tiers absolu” doit donc être écartée.
41. Qu’en est-il de l’intervention volontaire accessoire? Il faut considérer, pour les
raisons qui ont été analysées dans la première partie de cet article, que celle-ci est
recevable dès lors qu’elle est justifiée par l’exigence du tiers de se protéger contre les
effets que la sentence aura éventuellement à son égard.
Dans une telle situation, il est en effet juste de sacrifier la dimension contractuelle
de l’arbitrage et d’autoriser le tiers à y adhérer.
Cette entorse au caractère contractuel de l’arbitrage est d’autant plus justifiée
qu’une intervention volontaire formée à titre accessoire n’est pas de nature à causer un
quelconque préjudice aux parties à l’instance. Celles-ci ne disposent donc pas d’un droit
subjectif leur permettant de s’y opposer par principe.
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42. On peut donc conclure que l’intervention volontaire du tiers ne devrait être
admise que dans deux hypothèses.
En premier lieu, dans le cas du tiers “imparfait”, lorsque le tiers à la procédure est
partie à la clause compromissoire ou que la clause lui est opposable; en ce cas,
l’intervention devrait être admise tant à titre principal qu’accessoire.
En second lieu, dans le cas du tiers “absolu”, lorsqu’elle est destinée à protéger les
droits de l’intervenant auquel la voie de la tierce opposition est fermée; en ce cas, il ne
pourrait s’agir que d’une intervention formée à titre accessoire.
43. Dans ces deux hypothèses, l’intervenant devra accepter le tribunal arbitral tel
qu’il aura été formé. Mais nous avons vu, compte tenu du caractère volontaire de
l’intervention et du stade auquel elle se situe, que cette acceptation ne pose aucune
difficulté du point de vue de l’égalité de traitement des parties.
B) L’intervention forcée
44. Les développements qui précèdent permettent de répondre simplement aux
questions posées par l’hypothèse d’une demande d’intervention forcée d’un tiers à
l’instance arbitrale. Si le tiers est étranger à la clause compromissoire, on ne peut en aucun
cas le contraindre à participer à l’arbitrage. Ce constat, pourtant, n’épuise pas tout à fait la
question. Qu’en est-il, en effet, des “tiers imparfaits”?
45. On a vu, en effet, que des personnes qui sont restées tierces à la procédure
peuvent avoir accepté la clause compromissoire. Des tiers à l’instance arbitrale peuvent
aussi se trouver dans une situation telle que la clause leur est juridiquement opposable,
soit qu’elle leur ait été étendue, soit qu’elle leur ait été transmise; or, si l’on admet que ces
“tiers imparfaits” puissent être, même contre leur gré, co-défendeurs à l’arbitrage, il n’existe
pas de véritable raison d’exclure par principe qu’ils puissent y être attraits en cours de
procédure 56 .
46. L’intervention de ces “tiers imparfaits” à l’instance arbitrale doit cependant être
appréciée du point de vue de sa compatibilité avec le principe d’égalité des parties dans la
constitution du tribunal.
47. Lorsqu’elle est effectuée au stade de la formation du tribunal, l’attraction des
“tiers imparfaits” à l’instance pose les problèmes classiques de l’arbitrage multipartite, qui
peuvent être surmontés dès lors qu’un juge ou une autorité de nomination interviennent
pour constituer tout le tribunal.
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En revanche, il n’est évidemment pas question de remettre en cause la constitution
du tribunal en cours d’instance arbitrale parce qu’une partie sollicite le droit d’y appeler un
tiers.
Or, le principe tiré par la Cour de cassation de l’article 6 § 1 de la Convention
Européenne des droits de l’Homme, selon lequel chaque partie doit être en mesure de
contribuer également à la formation du tribunal 57, fait radicalement obstacle à ce qu’on
impose à un tiers de se soumettre à la juridiction d’un tribunal arbitral à la formation duquel
il n’aurait pas contribué à l’égal des autres parties.
L’article 6 § 1, on le voit, joue à l’égard de l’intervention des tiers de deux manières:
d’une part, il impose que les droits des tiers ne soient pas lésés par une décision de justice
contre laquelle aucune possibilité de recours ne leur est offerte, et exige par conséquent
que l’intervention volontaire leur soit ouverte dès lors que la voie de la tierce opposition leur
est fermée; d’autre part, il interdit que des tiers soient contraints à intervenir sans avoir pu
contribuer à l’égal des autres à la formation du tribunal.
48. L’obstacle constitué par le principe d’égalité des parties ne pourrait être
surmonté que dans le seul cas où le tribunal aurait été prédésigné dans la clause
compromissoire, ou dans le cas où il aurait, au départ, été constitué par le juge ou par une
autorité de nomination. Dans ces deux hypothèses, il n’existerait pas de raison de
considérer que l’intervention forcée du “tiers imparfait” puisse rompre l’égalité des parties.
49. En définitive, l’intervention forcée à l’instance arbitrale est en règle générale
incompatible avec la nature contractuelle de l’arbitrage, et inconciliable avec le principe
d’égalité des parties dans la formation du tribunal.
Il n’en va autrement que dans le seul cas ou un tiers “imparfait”, ayant accepté la
clause ou étant juridiquement obligé par elle, serait cité devant un tribunal arbitral à la
formation duquel les parties n’auraient pas directement concouru.
III – CONCLUSION
50. Il existe donc diverses situations dans lesquelles l’intervention du tiers à
l’instance arbitrale devrait pouvoir être admise, même en l’absence d’accord de toutes les
parties:
– lorsqu’une partie à la clause compromissoire n’a pas été attraite à l’instance
arbitrale, son intervention volontaire doit être admise, que ce soit à titre principal ou
accessoire. L’intervention volontaire des parties auxquelles la clause serait susceptible
d’être opposée par un mécanisme d’extension ou de transmission doit également, dans les
mêmes conditions, être admise,
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– s’agissant de ces mêmes parties, que nous avons qualifiées de “tiers imparfaits”,
l’intervention forcée peut être envisagée, mais dans le seul cas où elle ne heurte pas le
principe d’égalité (en d’autres termes, si le tribunal a été désigné dans la clause
compromissoire, ou constitué par le juge ou par une autorité de nomination),
– s’agissant des tiers “absolus”, étrangers à la clause compromissoire, leur
intervention ne devrait pouvoir être admise qu’à titre volontaire, et dans le seul cas où elle
répond pour eux à l’exigence de se protéger contre les effets de la sentence à intervenir. Il
s’agit en ce cas d’une intervention formée à titre accessoire.
51. Il reste pourtant à s’interroger sur le rôle de l’arbitre confronté à une demande
d’intervention. La véritable différence entre le régime de l’intervention devant le juge
étatique et celui de l’intervention devant l’arbitre tient en effet moins, selon nous, en une
exclusion de principe qui ne se justifie pas de façon générale, qu’en une conception
différente du rôle du juge.
Devant les juridictions ordinaires, le jeu des mécanismes d’intervention dépend
largement de la volonté des parties: une partie décidera de faire délivrer une assignation
en intervention forcée, que le juge ne manquera pas de joindre à la cause principale avant
de statuer sur sa recevabilité et son bien fondé en même temps qu’il tranchera la cause
principale 58 ; de même manière, un tiers souhaitant intervenir volontairement a la faculté
de comparaître à l’audience, ou de signifier des conclusions d’intervention volontaire.
52. S’agissant d’interventions à l’instance arbitrale, en revanche, il ne peut en aller
ainsi. L’intervention à l’instance arbitrale est en règle générale exclue: elle peut constituer
une atteinte grave au caractère contractuel de la procédure, et mettre à ce titre la sentence
en péril dans le cadre d’un éventuel recours en annulation. En outre, l’intervention est
susceptible de bouleverser l’organisation de la procédure et d’entraîner de considérables
délais supplémentaires.
L’intervention de tiers à l’instance arbitrale ne devrait donc être admise que dans
des cas véritablement exceptionnels. Un contrôle strict d’opportunité devrait par
conséquent conditionner toute initiative des parties.
Toute intervention de tiers à l’instance arbitrale devrait ainsi, croyons-nous, être
conditionnée à l’accord préalable du tribunal arbitral, seul à même de faire la balance des
intérêts en présence.