Technologies numériques vertes : entre discours et réalité

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Technologies numériques vertes : entre discours et réalité
OPINION
Technologies numériques vertes : entre discours et
réalité
Par Fabrice Flipo
Enseignant-chercheur à Télécom Ecole de Management, il a coordonné une étude
sur l’impact environnemental des technologies numériques
Peut-on croire aux technologies numériques vertes ? Face aux préoccupations
environnementales actuelles, les technologies de l’information et de la communication
véhiculent une image de technologie propre. Argument avancé : la dématérialisation, parce
qu’elle permettrait de diminuer la consommation de papier et de réduire les déplacements,
aurait un impact environnemental positif.
Nous avons tenté d’y voir plus clair, en réalisant une étude qui questionne les enjeux
écologiques des technologies numériques de l’information et de la communication.
Premier bilan : les TIC vertes ne le sont pas tant que ça. Elles consomment de plus en
plus d’énergie (2 % de la consommation mondiale) et produisent des déchets difficiles à
traiter. Leur déploiement provoque en effet une flambée des cours de terres rares, un groupe
de métaux indispensables pour fabriquer écrans plats, LED, téléphones… En l’absence de
filière structurée, ces métaux deviennent des déchets toxiques mélangés au tout venant,
avant d’être incinérés et d’être propagé dans l’environnement.
Mais le tableau n’est pas entièrement noir. Il y a aussi de vrais mesures en faveur de
l’environnement. Google, par exemple, a équipé son siège social à Montain View de
panneaux solaires, et compte produire 50 mégawatts d’énergie renouvelable d’ici 2012. Son
système de refroidissement par évaporation permettrait également de diviser par 5 sa
consommation d’énergie. Encore faut-il séparer le bon grain de l’ivraie. Car les annonces ne
sont pas toutes aussi « green » qu’elles en ont l’air.
Prenons les terminaux mobiles. Le besoin d’autonomie des smartphones, grâce auxquels
nous pouvons désormais lire nos mails, regarder des vidéos où consulter notre agenda, a
poussé les constructeurs à réduire la consommation des batteries. Une bonne chose en soi.
Mais ce progrès doit être relativisé. En effet, pour parvenir à un tel résultat, les calculs sont
désormais réalisés en partie sur les serveurs. La consommation d’énergie s’est donc
seulement déportée.
Pour mieux comprendre cet écart entre discours et réalité, la deuxième partie de notre étude,
plus empirique, analyse les représentations des technologies numériques vertes par les
acteurs socioéconomiques : producteurs, distributeurs, pouvoirs publics, mouvement
associatif et consommateurs. Ces investigations ont permis d’établir une définition des
technologies vertes. Pour la plupart des acteurs, il s’agit tout simplement d’une technologie
moins polluante que les autres. Cette définition relative n’a pas de sens par rapport à
des critères biophysiques absolus.
En effet, l’amélioration d’un produit ne conduit pas forcément à une amélioration pour la
planète. Ainsi, même si les téléphones consomment moins, ils se multiplient, leur taille
augmente… donc leur impact augmente aussi. Résultat, on assiste à une situation
schizophrène, où l’on vante les nouvelles performances des appareils pour pousser à
acheter tout en critiquant la société de consommation.
Cette injonction paradoxale s’explique notamment par l’absence d’un cadre commun de
discussion. Le débat reste confiné aux problèmes techniques, les discours restent
sectoriels, centrés sur les modes de productions propres.
Il faut s’interroger sur ce qu’est la modernité, le développement durable, car tous les
secteurs sont interdépendants. Réduire l’émission des gaz à effet de serre tout en favorisant
la croissance est un équilibre difficile à résoudre, d’où l’importance d’une approche globale.
Le souci de « produire vert » ne peut être guidé par la seule loi des rendements croissants,
qui caractérise la modernité. De plus, les techniques alternatives dont la « vertitude » est
prouvable à grande échelle sont plus onéreuses dans la plupart des secteurs, agricole,
transport etc. ce qui pose des questions radicalement nouvelles en termes
d’organisation sociale, différentes de celles auxquelles libéralisme et socialisme nous
avaient habitués.
Beaucoup ont fait l’erreur de vouloir ramener la question écologique à un cadre ou l’autre.
Docteur en philosophie des sciences et techniques (Université de Technologie de
Compiègne), Fabrice Flipo est maître de conférences à TEM, où il donne des cours
sur les risques environnementaux et technologiques majeurs et le développement
durable. Ses recherches portent sur la crise écologique, la société de l'information la
mondialisation et la modernité. Il a publié de nombreux ouvrages, Le Développement
Durable, Bréal, 2011, Justice nature et liberté, Parangon, 2007, et La décroissance,
La Découverte, 2010.
Contact presse - Télécom Ecole de Management
Tristan Horreaux - Attaché de presse - (+33)6 81 53 37 39 - [email protected]
Télécom Ecole de Management (TEM), grande école de commerce publique, forme les managers de
l’économie numérique. Les médias et les DRH placent régulièrement TEM parmi les toutes meilleures formations
au management en France. Membre de l’EFMD, de l’AASCB et de la FNEGE, TEM compte 1100 étudiants et 72
enseignants-chercheurs. Dirigée par Denis Lapert, l’école partage son campus à Evry avec Télécom SudParis,
grande école d'ingénieurs. TEM fait partie de l’Institut Télécom, organisme d’enseignement supérieur, de
recherche et d’innovation en sciences et technologies de l'information et de la communication, aux côtés de
Télécom ParisTech, Télécom Bretagne, Télécom SudParis, des deux filiales Télécom Lille1 et Eurecom, et de 5
écoles associées. www.telecom-em.eu