Printemps arabes : la démocratie par les réseaux
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Printemps arabes : la démocratie par les réseaux
Regard sur les printemps arabes La démocratie par les réseaux ? Une question de temps… Par Pierre Antoine Chardel, philosophe, maitre de conférences à Télécom Ecole de Management (TEM), responsable de l’équipe de recherche « Ethique, Technologies, Organisations, Société » (ETOS) et chercheur associé au CERSES (UMR 8137, CNRS / Université Paris Descartes) Dernier ouvrage paru : Technologies de contrôle dans la mondialisation. Enjeux politiques, éthiques et esthétiques (Paris, Editions Kimé, 2009). Jeudi 24 mars 2011 : journée d’études à la Sorbonne sur le thème : « Espace public, médias et communication » Les réseaux de communication et le vacillement des régimes autoritaires Le philosophe Jacques Derrida identifiait, au moment de l’ébranlement des démocraties populaires de l’Est de l’Europe à la fin des années 1980, la force de déstabilisation que pouvaient générer les réseaux de communication et d’information. Il soulignait que tout régime autoritaire pouvait être, tôt ou tard, mis en cause par la densité des flux de communication : « On sait qu’un système totalitaire, écrivait-il, ne peut lutter efficacement contre un réseau téléphonique intérieur dont la densité passe un certain seuil et devient alors incontrôlable (…). Le téléphone devient alors, pour le totalitarisme, la préfiguration invisible et la prescription impérieuse de sa propre ruine » (L’autre cap, Editions de Minuit, 1991). Le rôle des réseaux sociaux dans le Printemps Arabe Les récents événements en Tunisie et en Egypte font retentir avec une acuité particulière cette réflexion sur les impacts éthiques et politiques des réseaux de communication. Tout le monde s’accorde aujourd’hui à penser que ceux-ci ont joué un rôle considérable dans les révolutions qui viennent de toucher ces deux pays. Beaucoup d’observateurs ont mis en exergue depuis ces dernières semaines la formidable dimension émancipatrice des médiations technologiques, non seulement des téléphones portables, mais de l’Internet et des réseaux sociaux (tels que Facebook et Twitter), permettant à l’opinion publique de s’affranchir des canaux officiels de diffusion de l’information, donnant ainsi aux citoyens la possibilité de provoquer des mobilisations sans précédent, de déborder les systèmes de contrôle qui furent pourtant si drastiquement mis en place par les régimes de Ben Ali et de Moubarak au fil des années. Ce sont bien de nouvelles modalités d’expression et de résistance politiques qui sont apparues, confortant l’idée que le pouvoir n’est plus seulement celui des Etats mais qu’il réapparaît des formes inédites de contestations. Les technologies numériques pour plus de liberté et de démocratie ? Nous ne devons pas toutefois nous méprendre quant à l’impact des réseaux dans ces deux révolutions politiques majeures. Car celles-ci sont évidemment loin d’être soudaines. L’interactivité et l’instantanéité qui furent en jeu lors de ces récents événements ne doivent pas nous faire oublier le temps qui fut nécessaire à la maturation de ces mouvements de révolte, elles ne doivent pas non plus nous faire oublier ces années d’abnégation et de paroles confisquées, d’incarcérations arbitraires et de censures. Ces systèmes répressifs ont éclaté relativement soudainement certes, mais un tel phénomène d’éclatement s’inscrit dans une très longue et douloureuse histoire d’humiliations et de sévices subis par ces deux peuples. Pour ces raisons, il convient sans doute d’éviter tout déterminisme technologique qui consisterait à poser que les technologies de communication et que le Web 2.0 permettraient d’instaurer, comme dans un rapport de cause à effet, davantage de démocratie et d’égalité. Autrement dit, si la diffusion des contestations fut évidemment accélérée par les nouvelles technologies, comme l’a observé très justement Olivier Mongin, « les photos circulant sur les portables (en tous genres) ont fait de Mohamed Bouazizi le martyr d’une cause partagée » (Esprit, février 2011), nous nous devons de rester attentifs au fait que la démocratie ne s’instaure pas instantanément. Elle requiert non seulement un cadre législatif et une organisation constitutionnelle spécifiques, mais elle doit aussi se construire en tenant compte des contextes culturels et historiques dans lesquels elle est susceptible d’émerger. Le temps court des nouveaux médias n’est pas le temps long des processus démocratiques L’apport considérable des nouveaux médias ne saurait nous aveugler sur la complexité des tâches politiques à accomplir en vue de réorganiser l’espace public, dans le respect et la reconnaissance de chacun. Ce qui nécessitera beaucoup de temps et d’écoute mutuelle. Les nouvelles technologies interviendront-elles de manière aussi décisive dans ce processus ? Les mouvements de contestation et de libération qui ont été accentués par les réseaux pourront-ils à eux seuls créer les conditions d’émergence de sociétés pleinement démocratiques ? Une nouvelle étape devra ici être franchie. Car le temps court et la vitesse des réseaux, qui de manière inespérée a permis de déborder des pouvoirs que l’on croyait quasiment intouchables, ne doivent pas nous faire oublier le temps long qui fut nécessaire à la maturation de ces révoltes et qui sera également nécessaire à l’instauration de sociétés civiles justes. Contact presse - Télécom Ecole de Management Tristan Horreaux - Attaché de presse - (+33)6 81 53 37 39 - [email protected] Télécom Ecole de Management (TEM) est une grande école de commerce publique qui forme des managers possédant d'excellentes compétences en sciences et technologies de l'information et de la communication (STIC). Les médias et les DRH placent régulièrement TEM parmi les toutes meilleures formations au management en France. L'école fait partie de l'Institut Télécom. Elle est membre de la European Foundation of Management Development (EFMD), de l'Association to Advance Collegiate Schools of Business (AASCB) et de la Fondation Nationale pour l'Enseignement de la Gestion des Entreprises (FNEGE). Dirigée par Denis Lapert, TEM compte 1100 étudiants et 72 enseignants-chercheurs. Elle partage son campus à Evry avec Télécom SudParis, grande école d'ingénieurs. www.telecom-em.eu