Mesures de la force d`appui de l`embouchure sur
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Mesures de la force d`appui de l`embouchure sur
Mesures de la force d’appui de l’embouchure sur les lèvres lors du jeu de la trompette Jean-François PETIOT, Fabien BESNARD [email protected] Equipe MCM. IRCCyN. UMR C.N.R.S. 6597 Ecole Centrale de Nantes. 1, rue de la Noë BP 92101, 44321 Nantes Cedex 3, France Nous présentons dans cet article un dispositif destiné à mesurer la force d’appui de l’embouchure sur les lèvres lors du jeu du bugle. Les résultats obtenus par des musiciens de différents niveaux, jouant les mêmes séquences musicales, sont ensuite analysés. Ces premiers résultats permettent une meilleure compréhension des phénomènes mécaniques mis en jeu lors de la pratique d’un cuivre. Chez les musiciens pratiquant un instrument de la famille des cuivres, les lèvres sont le point sensible [1]. Tous ont plus ou moins déjà ressenti la limite au delà de laquelle on ne peut plus jouer, où le repos est nécessaire car « on n’a plus de lèvres ». Ce phénomène est du d’une part à la fatigue des muscles composant le « masque » du musicien, qui doivent être dans un état de tension contrôlé, et d’autre part à la force que le musicien exerce en appuyant l’embouchure sur ses lèvres, qui marque et traumatise les tissus. Une analyse de la mise en vibration des lèvres nous montre que cette force est crée principalement pour deux raisons : • réaliser l’étanchéité statique entre les lèvres et l’embouchure, et empêcher l’air de partir sur les côtés. Cette raison est inhérente à la façon dont la trompette se joue. Il existe une force minimum en deçà de laquelle il n’y a plus étanchéité, vouloir l’annuler est donc illusoire. • augmenter la raideur mécanique de l’anche lippale : en effet, lorsque l’on appuie sur les lèvres, on raffermit artificiellement les tissus et on augmente leur raideur. Les caractéristiques mécaniques du système oscillant « lèvres » sont ainsi modifiées et entraînent une variation de leur régime de vibration [2] [3], qui peut conduire à un changement de la note jouée1. La force d’appui sert alors à pallier l’inefficacité (ou la fatigue) des muscles des lèvres [4] [5]. Elle n’a de raison d’être que pour compenser une technique insuffisante ou une fatigue excessive, mais elle existe à des degrés divers chez tous les musiciens. La pratique de la trompette peut être envisagée comme le fait de faire fonctionner le système mécanique « lèvres + instrument ». Cette approche « système », même si elle est simplifiée, permet de retrouver les paramètres classiques que le musicien a appris à gérer pour 1 Des expériences réalisées avec la bouche artificielle pour cuivre (J.GILBERT J-F PETIOT) ont mis en évidence ce comportement : on peut effectuer le changement de la note produite par l’instrument en appuyant de plus en plus l’embouchure sur les lèvres artificielles (des tubes remplis d’eau). faire sonner son instrument : pression d’air, débit d’air, contrôle du masque, force d’appui (figure 2). Paramètres d’entrée : Pression d’air : créée par les poumons de l’instrumentiste Débit d’air : régulé par les cordes vocales et la langue Paramètres de sortie : Pression acoustique : rayonnée par l’instrument Fréquence de la note émise Paramètres de contrôle : Contrôle du masque : contrôle de l’état de tension des divers muscle du masque Effort d’appui : exercé par les bras du musicien sur les lèvres Contrôle du masque Effort d’appui Pression d’air Lèvres + instrument Débit d’air Pression acoustique Fréquence Figure 2 Nous nous sommes intéressés à l’un de ces paramètres, la force d’appui. Instinctivement, les musiciens savent que cette force n’est pas constante, et qu’elle dépend de la hauteur de la note jouée, de son contexte, de la nuance, de la technique et du niveau du musicien, du niveau de fatigue, … Tous les pédagogues semblent unanimes pour dire qu’il faut jouer avec une force la plus faible possible, afin de limiter le traumatisme des lèvres. Afin de connaître les facteurs qui agissent sur l’amplitude de cette force, et la susceptibilité plus ou moins importante qu’ont les musiciens à l’exercer, nous avons conçu un capteur de mesure de la force exercée par l’embouchure sur les lèvres lors de la pratique d’un cuivre : le bugle2. Le capteur est couplé à un ordinateur qui permet d’effectuer des mesures en temps réel de l’effort, ceci au cours du jeu. 1. ETUDE EXPERIMENTALE 1.1. Le dispositif Le dispositif de mesure est composé des éléments suivants (figure 1) : - un tube qui glisse dans le corps de l’instrument, une bague qui se fixe sur le corps de l’instrument, une bague qui se fixe sur le tube, un capteur de force (jauge de contrainte) situé entre les deux bagues. capteur de force embouchure tube corps du bugle bague solidaire du tube bague solidaire du corps figure 1 2 glissement L’adaptation du capteur à la trompette, moins immédiate, est en cours de réalisation. La clef de serrage de la coulisse est enlevée afin que le tube puisse glisser librement dans l’instrument. L’embouchure est encastrée dans le tube grâce au cône d’adaptation. Le capteur de force est collé sur la bague solidaire du tube et vient s’appuyer sur la bague liée au corps du bugle. Ainsi, lorsque l’on appuie sur l’embouchure, la force est directement transmise au capteur, au frottement près. Ce montage ne perturbe pas le jeu habituel. Couplé à un logiciel d’acquisition, il permet d’obtenir une évolution en temps réel de la force appliquée par le musicien sur l’embouchure. 1.2. Les essais Nous avons demandé à trois musiciens de niveaux différents de jouer plusieurs phrases musicales. • Niveau intermédiaire : amateur depuis 5 ans, pratique occasionnelle (2h/semaine), • Niveau confirmé : amateur depuis 20 ans, pratique régulière (5h/semaine) • Niveau professionnel (4-5h/jour) Les courbes obtenues présentent l’évolution de l’effort en fonction du temps. Toutes les phrases musicales ont été jouées avec un tempo de 60 à la noire. Essai 1 3,0 force (daN) 2,5 Intermédiaire 2,0 Confirmé 1,5 Professionnel 1,0 0,5 0,0 0 2 mf 4 6 8 temps (s) 10 12 14 Essai 2 3,0 force (daN) 2,5 2,0 Intermédiaire 1,5 Confirmé 1,0 Professionnel 0,5 0,0 0 2 4 6 8 10 12 14 temps (s) mf Essai 3 3,5 force (daN) 3,0 2,5 Intermédiaire 2,0 Confirmé 1,5 Professionnel 1,0 0,5 0,0 0 2 ff 4 6 8 10 temps (s) 12 14 Essai 4 3,0 force (daN) 2,5 Intermédiaire 2,0 Confirmé 1,5 Professionnel 1,0 0,5 0,0 0 2 4 6 8 temps (s) 10 12 14 mf 2. ANALYSE DES RESULTATS Pour tous les essais effectués, on constate que : • Quel que soit le musicien, l’intensité de la force d’appui augmente avec la hauteur de la note jouée. Cette constatation est conforme à l’intuition de départ. • L’intensité de la force d’appui dépend du niveau du musicien. Plus la pratique de l’instrument est régulière, moins l’appui est important. Un travail soutenu de l’instrument conduit à une maîtrise des trois autres paramètres principaux pour le jeu des cuivres : le masque, la pression d’air et le débit d’air. Cette maîtrise permet une force d’appui relativement faible (entre 1 et 1,5 daN pour un musicien frais) La valeur maximale des efforts relevés, ainsi que les pressions correspondantes, sont présentées dans le tableau suivant. Nous avons calculé la pression avec une surface d’appui correspondant à une embouchure de diamètre intérieur 16mm et extérieur 25mm. Musicien Intermédiaire Confirmé Professionnel Force maxi contre-ut ff 3,4 daN 2,3 daN 1,3daN 7,9 bar 4,48 bar Pression correspondante 11,7 bar • Les paliers correspondants aux changements de note sont d’autant moins perceptibles que le niveau du musicien est élevé. Pour changer de note, un instrumentiste débutant utilisera parmi les 4 paramètres de jeu de la trompette (contrôle du masque, pression d’air, débit d’air, force d’appui) celui qui est pour lui le plus instinctif et le plus facile à contrôler : la force d’appui. De plus, la force appliquée pour l’émission d’une note est généralement supérieure à celle nécessaire à son maintien (essai 3). • Les courbes de force ne sont pas symétriques (à degrés divers) alors que toutes les phrases musicales le sont. La tendance est que les intervalles descendants conduisent à une force supérieure à celle appliquée pour le même intervalle ascendant (essai 1 et 4). Le contrôle en détente de la pression d’air et du masque semble plus délicat pour le musicien que le contrôle en tension, et nécessite le recours à la force d’appui pour assurer un intervalle descendant. Comparaison Essai1/Essai 3 • La force augmente avec le niveau sonore demandé, jusqu’à +20% pour passer d’une nuance mf à ff. Comparaison Essai1/Essai 4 • Le jeu détaché (essai 4) nécessité une force plus importante que le jeu lié (essai 1) pour quasiment toutes les notes. On peut l’expliquer par le fait que le musicien peut lors du jeu lié contrôler les paramètres de jeu et les adapter en continu au son qu’il produit. Pour l’articulation détaché, « l’asservissement » en continu des paramètres n’est pas possible, vu qu’aucun son ne précède l’émission. Une force d’appui supplémentaire peut alors être nécessaire pour assurer l’émission. 3. CONCLUSIONS Nous disposons avec notre dispositif de mesure de la force d’appui embouchure/lèvres d’un moyen d’investigation objectif pour mieux comprendre l’émission du son dans les cuivres. C’est un premier pas permettant de comprendre comment interviennent les divers facteurs pression d’air, débit d’air, masque, force d’appui dans le jeu d’un cuivre. Il permet, quelque soit le musicien, quelque soit la séquence musicale, l’acquisition de la force en fonction du temps. Nous envisageons de conduire d’autres essais permettant de souligner l’effet de la fatigue du musicien et des techniques permettant de limiter la force d’appui. Remerciements Merci à Joël GILBERT, CR1 CNRS au LAUM, Université du Mans, pour ses avis éclairés et à Yannick NEVEU, trompettiste, pour sa collaboration. Bibliographie [1] [2] [3] [4] [5] Médecine des Arts n° 8. Juin 1994. J. GILBERT, J-F. PETIOT “Nonlinéarités dans les instruments de type cuivre : résultats expérimentaux”. Quatrième congrès Français d’Acoustique, Marseille, 1997, pp.641-644. J. GILBERT, J.F. PETIOT « Une bouche artificielle au secours des physiciens », La Gazette des cuivres N° 28, Juillet 1997, p. 36 J-J. GREFFIN R. PERINNELLI "Méthodologie pour trompette et instruments à embouchure" Editions BIM, Suisse, 1984. P. FARKAS “L’art de jouer des cuivres : Traité sur la formation et l’utilisation de l’embouchure du musicien jouant un cuivre“. Alphonse LEDUC et Cie.