Le remplissage et l`illusion - Accueil

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Le remplissage et l’illusion
Comme l’a si bien noté Maurice Bellet, nous vivons dans le Grant Tout et le Grand Rien d’une société
consumériste. La vie se mesure au Temple de la Consommation, à nos possibilités matérielles d’y
avoir part, droit ou accès. Il semble que nous ayons tout misé sur le divertissement dont Blaise Pascal
avait pressenti le danger.
Le divertissement pascalien
« Se divertir c'est aujourd'hui s'amuser, se distraire.
Avant le 17è siècle, le mot, conformément à son étymologie latine (divertere) signifiait : «action de
détourner de », par exemple détourner un bien dans un inventaire.
Pascal construit sur l'étymologie une catégorie morale. Le divertissement est une pratique d'esquive,
typique de l'existence humaine. Il s'agit de ne plus penser à quelque chose qui nous afflige, de nous
détourner d'une réalité déplaisante.
Cette réalité déplaisante n'est pas un mal circonstanciel, par exemple un deuil, un échec sentimental ou
professionnel. C'est un malheur constitutif de notre existence. Notre condition est celle d'un être faible,
mortel, exposé à la maladie, aux affres de la solitude, à de multiples soucis et de surcroît, privé du seul
être qui pourrait le combler, entendons privé de Dieu. C'est donc celle d'un être « misérable »
condamné pour supporter cette misère à tout faire pour n'y point penser.
« Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés pour se rendre
heureux de n'y point penser » B. 168.
L'homme ne peut être heureux ni en repos ni dans l'agitation qui fait l'ordinaire de sa vie.
Pourquoi ne peut-il pas être heureux dans la solitude et l'inaction ? (= « en repos »).
Parce qu'il ne peut échapper dans cette situation à la conscience de son insuffisance, de sa misère, de
son vide, de sa déréliction :
« Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans
divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance,
son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme l'ennui, la noirceur, la tristesse, le
chagrin, le dépit, le désespoir » B. 131.
Il faut donc échapper à l'ennui, au désespoir et pour cela tous les moyens sont bons : la chasse, la
guerre, le militantisme, le travail, le sport, les conquêtes amoureuses, la conversation, l'étude, le jeu,
les fêtes etc. La notion pascalienne de divertissement désigne aussi bien les activités frivoles que les
activités sérieuses car quelles qu'elles soient, l'essentiel est de ne pas penser à ce qui nous affligerait si
nous le regardions en face.
Celui-ci est occupé à séduire les femmes, celui-là à résoudre un problème d'algèbre, cet autre encore à
faire le philosophe en dénonçant une vanité à laquelle il n'échappe pourtant pas tant c'est moins la
sagesse qu'il a en vue qu'une façon comme une autre de se fuir et de s'assurer du prestige. Car chacun
s'efforce comme il peut de se masquer son néant et dans cette grande affaire, l'art de paraître afin de se
sentir exister favorablement dans le regard des autres n'est pas le moindre. La comédie humaine est
comédie sociale, concurrence des amours-propres, recherche de la gloire. L'homme du divertissement
ne vit pas en lui, c'est-à-dire dans l'amour de Dieu, il existe hors de lui dans la dépendance des autres
avec ce que cela implique de plaisir de la domination, de souffrance de l'humiliation, d'envie et de
haine. D'où l'insistance de Pascal sur les statuts sociaux. Les exemples du roi, du surintendant, du
chancelier, du gentilhomme, opposés à celui du piqueur montrent que les positions de pouvoir et de
prestige assurent des avantages sur la scène imaginaire où l'instinct de notre seconde nature fourvoie
celui de la première. Elles garantissent à ceux qui les occupent une bonne image d'eux-mêmes, des
respects d'établissement et la sollicitude de courtisans divers et variés soucieux de distraire les
puissants. Aussi sont-ils à l'abri de la solitude qu'ils redoutent autant que la prison. Il s'agit donc
toujours d'exister hors de soi dans le fantasme d'une vie qui est en réalité une mort, dans une
construction imaginaire de soi-même et du réel où l'on peut aussi bien dire que l'homme s'abuse luimême qu'il est abusé. Car si « les hommes ne savent pas que c'est la chasse, et non la prise, qu'ils
recherchent », l'illusion est involontaire mais : s' « il faut qu'il s'y échauffe et qu'il se pipe lui-même, en
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s'imaginant qu'il serait heureux de gagner ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui donnât à condition de ne
point jouer, afin qu'il se forme un sujet de passion, et qu'il excite sur cela son désir, sa colère, sa
crainte, pour l'objet qu'il s'est formé, comme les enfants qui s'effrayent du visage qu'ils ont barbouillé
», l'illusion est volontaire. L'homme du divertissement est comme l'enfant qui joue, et oublie qu'il est
au principe de ses productions imaginaires, productions dont Pascal souligne les effets de réalité.
Alors quelle est la fonction du désir dans l'économie de l'existence humaine ?
S'il est vrai que les hommes s'exposent à des peines, à des tracas, à des périls parce qu'ils sont
incapables de rester, sans déplaisir en repos, il n'en demeure pas moins que, s'ils avaient une
conscience claire qu'ils se donnent tout ce mal pour cette raison, l'agitation dans laquelle ils sont
cesserait de remplir sa fonction.
Exemple : Si le joueur de tennis savait que l'application qu'il met pour bien placer la balle est
nécessaire pour le détourner de l'ennui et du désespoir, si le sérieux avec lequel tout professionnel
consciencieux exerce son métier apparaissait à celui-ci pour ce qu'il est, à savoir un divertissement
(c'est-à-dire au fond un jeu), nul doute que ni le joueur de tennis, ni l'homme de métier ne feraient ce
qu'ils font avec autant de sérieux. Et ils y perdraient l'essentiel de l'avantage que ces occupations sont
destinées à promouvoir.
Ce qui nous sauve de cette lucidité délétère est la magie du désir, son imaginaire, son dynamisme. Il
nous projette vers de fins que nous fantasmons comme sources de plaisir, il mobilise notre énergie,
notre attention dans l'espoir de les atteindre. Qu'importe que ce ne soit pas le lièvre qui intéresse le
chasseur, mais la chasse ; le gain qui intéresse le joueur mais le jeu ; le salaire qui intéresse la
travailleur mais le fait que la vie professionnelle lui permette de meubler le vide existentiel, l'important
est de l'ignorer. L'analyse pascalienne du divertissement nous demande donc de pointer à la fois la
vanité du désir et son utilité existentielle.
Comment Pascal juge-t-il le divertissement ?
Il en souligne l'ambiguïté.
Car ce qui est problématique dans la vanité humaine, ce n'est pas de se divertir. Heureusement que les
hommes peuvent penser à autre chose qu'à ce qui les rendrait malheureux s'ils y pensaient. Pascal ne
condamne pas de manière absolue le divertissement, au contraire il en souligne la fonction
pragmatique dans la mesure où il protège l'homme du désespoir.
Mais ce qui est problématique, c'est que les hommes se jettent dans le tumulte « comme si la
possession des choses qu'ils recherchent les devait rendre véritablement heureux » B. 139.
Et là, ils se trompent car donnez au chasseur le lièvre, au joueur le gain ; condamnez le chasseur ou le
joueur à chasser ou à jouer sans qu'ils ne puissent se prendre au jeu c'est-à-dire sans que la chasse ou le
jeu ne soient pour eux une affaire sérieuse, vous les rendrez malheureux. Vous priverez aussitôt la
chasse, le jeu, les occupations professionnelles de tout leur intérêt.
Il s'ensuit que se divertir consiste à vouloir deux choses contradictoires : le jeu et le sérieux.
Pascal condamne donc dans le divertissement cette manière de prendre au sérieux ce qui n'est qu'un
jeu. Car en investissant son désir sur des objets qui ne peuvent pas le satisfaire, on se détourne du seul
être qui pourrait le combler. Or pour le chrétien Pascal « Seul Dieu peut combler mon attente ». «
Misère de l'homme sans Dieu, félicité de l'homme avec Dieu » écrit-il au début de la deuxième section
des Pensées.
« La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement, et cependant c'est la plus
grande de nos misères. Car c'est cela qui nous empêche principalement de songer à nous, et qui nous
fait perdre insensiblement. Sans cela, nous serions dans l'ennui, et cet ennui nous pousserait à chercher
le moyen le plus sûr d'en sortir. Mais le divertissement nous amuse, et nous fait arriver insensiblement
à la mort » B. 171.
Misérable divertissement donc, qui nous distrait de devoir penser lucidement et de nous préoccuper de
notre salut. « L’homme est visiblement fait pour penser ; c’est toute sa dignité et tout son mérite ; et
tout son devoir est de penser comme il faut. Or, l’ordre de la penser est de commencer par soi, et par
son auteur et sa fin » B.146.
(Texte de Simone Manon sur www.philolog.fr). »
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Le divertissement, qu’il soit du remplissage ou de l’illusion, nous éloigne de Dieu. Un bon usage de la
pensée suffirait-il à y remédier ?
Une réalité fictive et construite
D’un point de vue psychologique, notre corps-esprit nous situe toujours dans l’être-pour-soi et l’êtrepour-autrui, en accord ou en tensions. Comme nous sommes constitués de myriades de souvenirs
stockés dans notre cerveau, principalement dans l’amygdale et l’hippocampe, tout est en permanence
comparé, mesuré à ce qui se présente dans l’instant. Mais comme l’a montré l’école de Palo Alto,
chacun vit dans son monde intérieur, dans une réalité fictive et construite qui donne valeur ou sens
aussi bien aux objets qu’à la signification de ce qui se présente. Les relations humaines sont marquées
par des fictions individuelles qui rencontrent d’autres fictions individuelles dans un jeu infini
d’associations.
Dans notre fiction de la réalité, nous tendons à l’équilibre : instinctivement nous recherchons le
contentement, à éviter la souffrance, en tous les cas à ne pas nous retrouver en situation d’échec ou en
danger. Cela dépend en grande partie de notre expérience personnelle, de ce que nous avons connu ou
rencontré, des mythes sociaux, culturels ou familiaux, naturellement du bon fonctionnement de notre
cerveau, mais aussi bien sûr de nos valeurs personnelles et des compétences individuelles acquises au
fil du temps. Cela dépend aussi des grandes étapes du développement enfantin : nous serons plus ou
moins à l’aise avec l’identité négative (l’âge du non et l’adolescence plus tard), la séduction (l’Oedipe
et les relations amoureuses), la réalité imaginaire, la ruse et l’utilisation de stratégies, le repli ou le
déni, l’humour ou la conscience du bien et du mal par exemple, tels que nous les avons vécus et
pratiqués au fil de notre vie. De même, nos souvenirs nous situent dans l’amour donné et reçu, dans
cette vibration d’accueil de l’autre qui nous a dit, manifesté son affection, sons attention, son
attachement ou son estime, dans ce tu comptes-pour-moi irremplaçable. Il y a là forcément un
potentiel de violences : inadaptation, frustration, colère, peur, angoisse, tristesse, ressentiment,
angoisse, etc. Il y a aussi des expériences suffisamment bonnes à même de nous donner une assise, un
seuil de sécurité ontologique, seuil qui nous permet d’entrer dans les relations humaines symétriques
ou complémentaires, et dans la loi de la diversité suffisante indispensable pour se construire ou
s’adapter, loi qui peut être aussi porteuse de violence réactionnelle narcissique, masochiste ou sadique,
loi qui veut, comme l’a démontré l’école de Palo Alto, que l’instabilité, l’adaptation et le changement
soient une nécessité pour les humains. Si la fiction est trop simple, trop statique ou simplement mal
adaptée, l'individu s'engage dans une régression infinie, il se condamne à répéter sans cesse ses règles
de fonctionnement, à faire donc plus de la même chose. Il y a une tendance naturelle à tout système à
se défendre contre une modification de son organisation ou de son fonctionnement, et ceci pour deux
raisons évidentes au moins : d'abord nous ne pouvons passer notre temps à réinventer quotidiennement
le monde, ensuite nous n'avons guère envie d'abandonner une solution élaborée à grand peine et qui a
fait ses preuves. Pour notre malheur, il se trouve que notre environnement est changeant, en évolution
permanente. Il exige une adaptation constante, un filtrage. Sur le modèle de nos perceptions et de nos
sensations qui exigent l'intégration de myriade d'informations diverses (visuelles, tactiles, auditives,
etc.), on peut dire que tout système tend à définir consciemment ou non des filtres, par exemple ce qui
est considéré comme important, nécessaire, utile, agréable, etc., avec leur opposé négatif bien sûr, ces
filtres étant le résultat imprévisible d'une myriade d'événements aléatoires survenus au cours du
développement de chaque individu et de chaque système. Quand l'environnement devient oppressant,
quand il nécessite un changement, une nouvelle adaptation, un re-cadrage du système devient
nécessaire. Dans une perspective constructiviste, on dirait que la tentative d'établir un monde dépourvu
de toute perturbation engendre une réalité au plus haut point perturbée…N’en va-t-il pas ainsi du
remplissage prôné par notre société consumériste ? Certes, mais il y a une brèche plus profonde. Le
remplissage ou le divertissement au sens pascalien attestent d’un désespoir plus fondamental : le
remplissage en est le versant tragique, parce qu’un besoin en chasse un autre une fois assouvi, tandis
que l’illusion en est le pôle comique, car chacun vit dans son monde intérieur, dans une réalité fictive
et construite qui donne valeur ou sens aussi bien aux objets qu’à la signification de ce qui se présente.
Nous sommes donc dialectiquement pris entre deux formes de désespoirs, tenus entre deux rêves
d’équilibre impossible et donc hautement perturbés. Peut-on y échapper ?
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L’absolu et le relatif
L’illusion est le produit de notre conscience qui ne peut être globale, qui se dit toujours dans
l’émergence d’une centration /décentration. Nous braquons chaque fois le projecteur sur un ou
plusieurs aspects de la réalité / de notre réalité, tout en devant en laisser d’autres dans l’ombre.
L’illusion marque la quête impossible de la réalité comme son dépassement : nous sommes dans la
cage trinitaire (vérité, sens, destin) sans pouvoir en sortir réellement, condamnés à une sur-estimation
de nos repères ou à une sous-estimation de nos limites vécues dans une solitude obligée puisque
chacun est unique. Ce manque fondamental est la trace de Dieu en creux, signe de sa présenceabsence, de son amour-contestation que nous tentons de combler, de détourner dans la satisfaction de
nos besoins (le remplissage), dans l’épanouissement personnel (l’illusion), dans la réussite de notre
vie, etc. Nous souffrons de nos illusions comme de nos désillusions qui disent qui nous sommes, de
cette quiétude toujours à refaire, à re-construire, et qui pourtant ne dépend pas seulement de nous
puisqu’elle se heurte aussi aux autres. Ici, l’illusion dit le besoin / désir de reconnaissance, de réussite,
d’auto-affirmation /valorisation /sanctification. Elle est notre réalité biologique incontournable.
Quand elle n’est pas prise en compte comme réalité dernière fictive ou construite, l’illusion devient de
l’idéologie ou de la prétention: la science le sait quand elle s'astreint à réviser en permanence ses
connaissances tout en sachant qu'elle ne pourra jamais décrire la totalité du réel. Fondamentalement,
aucune conception du monde ne peut prétendre à l'absolu, pas même le christianisme: l'étude des
textes bibliques montre de façon évidente que la Bible n'est pas un livre révélé de A à Z! Nous
sommes donc par définition appelés à vivre non pas dans l'absolu mais bien dans le relatif, ou plutôt
dans la tension des deux, dans le tragi-comique. C’est l’équilibre dans la complexité et la diversité. La
réduction à l’un des pôles –comme négation de la complexité humaine ou le refus de la diversité par
exemple – conduit à une escalade de la violence. René Girard a voulu mettre en évidence notamment
le rôle joué par la convoitise dans la recherche de l’équilibre par la violence.
Pertinence et limite du désir mimétique
Une chose est sûre : la pensée de René Girard ne laisse personne indifférent. Elle déclenche même de
solides aversions pas toujours justifiées.
Dans le contexte de la modernité, il y a pourtant à s’interroger, à faire la part des choses dans une
approche ouverte et pluridisciplinaire si possible.
C’est ce que je me propose de faire très modestement.
Dans la pensée de Girard, la mimésis d’apprentissage ne pose pas trop problème : c’est vrai que
l’enfant est très longtemps « une éponge » qui entre en apprentissage, en intériorisation globale d’un
monde digéré d’abord à travers le couple parental, la fratrie, etc.
La mimésis de l’antagonisme est plus complexe. Le désir mimétique est fondamentalement convoitise,
désir de ce que l’autre a, désir de ce que l’autre est, et aussi par l’admiration portée, rejaillissement sur
soi-même d’un lien avec la personne admirée qui conduit à une imitation en vue d’un gain. Le désir
mimétique peut aussi s’attacher à une idéologie, une imagerie, une mode, un discours véhiculé par la
société. Il ne tient que dans la logique de la dissimulation, dans la vanité et la quête de ce qui donne du
piment à notre vie. Un plus qui peut conduire à la rivalité, chacun désirant le même objet, au conflit
ouvert quand chacun déclare son propre désir comme étant antérieur à celui de l’autre.
De tels désirs mimétiques existent évidemment. Mais ils ne sont pas à l’origine de toute chose.
L’école de Palo Alto a mis en évidence les relations symétriques – de reconnaissance mutuelle,
égalitaire et librement consentie- et les relations complémentaires non égalitaires mais généralement
consensuelles dans la mesure où il y a répartition de compétences et de rôles. Ce sont des stratégies
dans la théorie des jeux de types donnant-donnant, ou majorité-mou (comportement en miroir), etc. Il
n’y a pas forcément ni automatiquement là désir mimétique ou rivalité violente. D’autres facteurs sont
à prendre en compte. L’école de Palo Alto signale notamment :
- La circularité de la communication :
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Dans un système, les éléments interagissent en permanence. Une réponse est en fait aussi le
déclencheur d’une nouvelle séquence, et donc un stimulus pour la séquence suivante. Tous ces
échanges forment un jeu complexe.
- Le problème de ponctuation de la séquence des faits :
Dans une séquence de communication, selon l’endroit où l’on situe le commencement, le sens varie.
C’est la source de conflits classiques lorsqu’un des partenaires reporte la faute sur l’autre tandis que le
second répond que c’est justement à cause du comportement du premier qu’il agit ainsi.
”C’est toi qui a commencé” disent les enfants qui se disputent.
Le principe de circularité de la communication rompt avec ce schéma traditionnel de linéarité où
chacun recherche l’effet et la cause.
- La prédiction qui se réalise :
Une personne A qui pense d’un autre, B, ”Il ne m’aime pas” et qui développe alors un comportement
renfermé, distant, froid, créera ainsi toutes les conditions pour que B agisse effectivement ainsi. Si B
prend la parole le premier et prend un ton distant, peu chaleureux, alors cela confirmera A dans sa
prophétie auto-réalisatrice, en croyant que c’est bien B qui a eu l’initiative d’être désagréable. En fait
il n’en est rien ! A avait bien communiqué non verbalement le premier ce qui a ainsi déclenché cette
situation.
- Le principe de limitation :
Puisque la communication est faite d’interactions entre partenaires, créant ainsi une sorte de jeu
relationnel, chaque “coup” joué par l’un des partenaires restreint le nombre de choix de la
communication en réponse de l’autre. C’est ce qui explique aussi les phénomènes de cercle vicieux où,
lorsqu’une communication est engagée sur la voie du conflit, il est difficile à chacun des deux
partenaires d’y mettre un terme. Ils se trouvent comme enfermés dans un piège. Pour s’en échapper, il
faudra l’intervention d’une personne extérieure, modifiant ainsi les règles du système et ouvrant de
nouvelles possibilités de “jeu”, ou bien il faudra que l’un des partenaires réussisse à sortir du cadre, en
métacommuniquant, c’est-à-dire en communiquant sur la relation et non plus sur le contenu.
- Relation symétrique ou complémentaire ?
Dans une relation symétrique, les partenaires agissent comme en miroir, sur un pied d’égalité,
contrairement à la relation complémentaire où l’un occupe une position haute et l’autre une position
basse. Attention, ces deux qualifications ne sont pas des jugements de valeur, chacun complète l’autre
pour former un tout, comme dans la relation parent-enfant, professeur-élève, manager-managé. Les
deux modes de relation sont utiles et nécessaires.
- L’escalade symétrique :
Le principal piège de la relation symétrique est son emballement. Il se produit selon une séquence
parfaitement codée : les partenaires rivalisent sur le contenu de la communication, à propos de faits
plus ou moins objectifs, chacun prétendant avoir raison, alors que le vrai désaccord est à chercher du
côté de la relation. En fait, chacun cherche à “avoir le dessus” et à affirmer ainsi son identité.
Une escalade symétrique pourra s’achever de plusieurs manières : stabilisation (rire, prise de recul,
pause…), épuisement, éclatement ou basculement vers la complémentarité, par exemple si l’un des
partenaires accepte de jouer la position basse, que ce soit par calcul tactique ou non.
Dans une relation faite de respect et de confiance l’emballement a moins de risque d’apparaître.
- La complémentarité rigide :
La relation complémentaire a toutes les chances de s’établir correctement tant que l’identité des
partenaires peut s’exprimer pleinement. Si, en revanche, celui qui occupe la position haute dénie
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l’identité du partenaire situé en position basse, alors ce déséquilibre risque de tendre vers un sentiment
de frustration, voire, dans les cas les plus graves, de dépersonnalisation.
Passer d’un mode de relation à l’autre est un important facteur de stabilité, le principal problème étant
la rigidité de certaines interactions.
- « Paradoxe » et « Double contrainte »
« Pour L’école de Palo Alto, « Le paradoxe est un modèle de communication qui mène à la double
contrainte ». C’est cette situation qu’ils trouvèrent dans les familles de schizophrènes sans conclure
cependant qu’il s’agissait d’une causalité linéaire vers la maladie mentale.
La théorie affirme l’existence de relations conflictuelles entre le malade psychotique et son entourage,
le dernier donnant au premier des ordres absurdes et impossibles à exécuter (en résumé caricatural : je
te donne l’ordre de me désobéir, sinon...). Ces ordres impossibles à respecter étant, forcément,
toujours suivis de sanctions, ils entraîneraient ainsi l’apparition de la psychose.
Cette situation donne naissance à une volonté de fuite. Lorsque cette fuite n’est pas possible au sens
propre du terme (par exemple si l’on est économiquement ou socialement dépendant de la personne
intimant l’un des deux ordres), la fuite peut avoir lieu dans un certain nombre de névroses ou de
psychoses, parmi lesquelles la schizophrénie.
Définition de la double contrainte
On nomme double contrainte (double-bind) une paire d’injonctions paradoxales consistant en une
paire d’ordres explicites ou implicites intimés à quelqu’un qui ne peut en satisfaire un sans violer
l’autre. To bind (bound) signifie « coller », « accrocher » à deux ordres impossibles à exécuter avec un
troisième ordre qui interdit la désobéissance et tout commentaire sur l’absurdité de cette situation
d’ordre et de contre-ordre dans l’unité de temps et de lieu. Sans cette troisième contrainte, ce ne serait
qu’un simple dilemme, avec une indécidabilité plus-ou-moins grande suivant l’intensité des
attracteurs.
La double contrainte existe seulement dans une relation d’autorité qui ordonne un choix impossible et
qui interdit tout commentaire sur l’absurdité de la situation. Dans une situation d’indécidabilité, le
dilemme est une nécessité de choisir (Comme dans le Cid de Corneille où les aléa de la vie place le
héros face à un choix difficile), tandis que l’injonction paradoxale est une obligation (un ordre) de
choisir.
L’injonction paradoxale est bien illustrée par l’ordre "sois spontané(e)", souvent utilisé par Paul
Watzlawick comme exemple, où devenant spontané en obéissant à un ordre, l’individu ne peut pas être
spontané.
Différence entre injonction paradoxales et double contrainte
Dans les injonctions paradoxales, il y a toujours une possibilité de commenter sur l’absurdité, comme
appuyer en même temps sur deux touches d’ordinateur, un pour commander la marche et l’autre
l’arrêt. L’ordinateur peut afficher "erreur de syntaxe". Alors que dans la double contrainte, il y a une
troisième injonction qui interdit le non-choix et tout commentaire sur l’absurdité de la situation.
Dans la théorie de la schizophrénie de Bateson, les injonctions paradoxales constituent de tels ordres
formulés par l’Autre (l’autorité, le pouvoir ou quelque principe intériorisé capable de mettre en jeu la
survie, le développement, le confort et la sécurité). Dans un milieu familial où règne une
communication pathologique, ces injonctions paradoxales visent une "victime émissaire", le membre
"schizophrénique" du système et le forcent éventuellement à s’enfermer dans une double contrainte
typiquement "schizophrénique" : tenter de ne pas communiquer. Ce qui est impossible, puisque le
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"charabia" du "schizophrénien", le retrait, le silence verbal ou postural même est une communication
(communication non verbale) .
Les injonctions paradoxales et les doubles contraintes sont des phénomènes assez courants et
dépassent le cadre individuel du comportement humain pour entrer dans le comportement économique
et social, des individus aux nations. Les totalitarismes sécrètent quantité de doubles contraintes qui
sont hors de notre propos. Il suffit d’évoquer, pour couvrir le sujet, que les dictatures imposent
toujours des injonctions paradoxales du type de "sois spontané(e)" où il ne suffit pas assez de
supporter ou de tolérer cette dictature, mais encore il faut la vouloir.
Privé de sécurité essentielle, mis en contexte incohérent et dangereux, le cerveau peut aussi être
amené, comme dans tout contexte traumatisant, à adopter des stratégies ultimes de survie qui visent à
dissocier cette souffrance intolérable de la pensée consciente.
Pour maintenir une cohésion vitale (individuelle ou sociale), il peut ainsi glisser vers la concession et
le compromis (le syndrome de Stockholm ne revient-il pas à "annuler" une contrainte externe en
l’incorporant dans son propre référentiel de règles, en sorte de cohabiter avec elle ?) ou bien encore
isoler la source traumatique (de même que nos systèmes informatiques isolent les virus) pour pouvoir
continuer à fonctionner normalement par ailleurs, et ainsi s’offrir un angle d’attaque différent du
problème ( Source : http://www.bibliotheques-psy.com/). » Mais nous ne pouvons le faire sans nous
situer dans des niveaux très différents les uns des autres.
« Niveaux et méta-niveaux sémantiques
Chaque niveau est déterminé et conditionné par le niveau immédiatement supérieur. Il faut donc se
situer au niveau N+1 pour pouvoir intervenir efficacement sur le niveau N, le recadrer ou le faire
évoluer. Nous avons vu en effet que c'est seulement en méta-communiquant, c'est à dire en parlant sur
le contenu de notre communication, que nous pouvons véritablement faire évoluer ou changer nos
comportements. Changer vraiment, ce n'est pas faire moins ou plus de la même chose, c'est faire autre
chose. Il y a donc discontinuité.
Ces niveaux logiques sémantiques s'imbriquent donc de manière discontinue, comme des
emboîtements de poupées russes, dans une progression à la complexité croissante.
Niveau 1 : le contenu
C'est à ce niveau que l'on comprend sans aucune difficulté la phrase suivante : "Voici comment je vous
vois." Le niveau 1 est celui de l'information.
Niveau 2 : la relation
C'est à ce niveau que l'on comprend toujours la phrase suivante : "Voici comment je vous vois me
voir." Le niveau 2 est celui de la relation.
Niveau 3 : les valeurs
C'est à ce niveau que l'on comprend encore, mais difficilement, la phrase suivante : "Voici comment je
vous vois me voir vous voir." Le niveau 3 est celui de nos valeurs. Nos valeurs déterminent nos
relations. Elles sont le fondement même de notre existence, et donnent un sens et une direction à notre
vie relationnelle. Elles sont par-là même très difficiles à faire évoluer ou à changer. Ce n'est qu'en
"montant" au quatrième niveau que nous pourrons y parvenir.
Niveau 4 : les révélations, les expériences mystiques, l'inconscient, les changements thérapeutiques
C'est à ce niveau que l'on ne comprend plus du tout la phrase suivante : " Voici comment je vous vois
me voir vous voir me voir." car son imbrication réflexive est d'une telle complexité qu'on en perd le
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fil. Le niveau 4 est celui des révélations, des expériences mystiques, celui qui fit dire "Eurêka!" à
Archimède dans sa baignoire. A ce niveau, la compréhension des choses est ténue et mystérieuse et
échappe presque complètement à la conscience. On ne peut en avoir que des "insights", en retenir que
des instants fugaces d'extase ou de grande clairvoyance. C'est le niveau de l'inconscient, celui de
l'enseignement zen ou de la psychothérapie. Une psychothérapie qui réussit l'est souvent à l'insu de ses
principaux intéressés : ni le thérapeute, ni le patient ne peuvent dire ni exactement quand, ni
exactement où, ni exactement comment, et encore moins pourquoi les choses ont évolué; tout ce qu'ils
peuvent dire, c'est que le changement s'est produit. C'est également à ce niveau, après une révélation
ou une expérience forte, que l'on peut changer ses valeurs, et, par voie de conséquence, son style de
vie.
Niveau 5 : ... Energies subtiles ?
De quoi s'occupent les prémisses du cinquième degré, celles qui pilotent et déterminent notre
inconscient, nos révélations ? Inconscient collectif ? Intention de l'univers ? Dieu ? Toutes les
exégèses sont permises car il est impossible de voir clair à ce niveau. Ne doutons pas cependant que la
portée pragmatique des prémisses de ce niveau est certainement très puissante et active, même si nous
n'en avons aucunement conscience. Nous nous arrêterons donc à ce niveau (Source : François Terrin,
http://www.cvconseils.com/). »
Ce qui doit être pris en compte
Le désir mimétique correspond pour une part aux désirs-besoins d’affirmer notre identité à travers une
relation-identification susceptible de nous apporter plus de reconnaissance, de puissance, de
jouissance, de frissons ou de reconnaissance sociale ; c’est l’espérance d’une valeur ajoutée à notre
vie. Pour une autre part, le désir mimétique contient la peur de l’inverse, d’être du côté des loosers, des
perdants, des paumés, des marginaux, des solitaires, des gros, des maigres, victimes de forces obscures
ou occultes, des forces de la nature, etc.
La mimésis de l’antagonisme correspond au plan individuel à la complémentarité rigide avec le
sentiment de frustration, de colère, voire même le risque de dépersonnalisation. Ce n’est qu’un aspect
de l’ensemble de la communication humaine qui va se condenser en violences quand il n’y a pas
d’autres modes de communication, pas de méta-communication ni de re-cadrages individuels,
économiques ou sociaux, aucune solution pour en sortir. Nous touchons ici à une communication
basée sur la mystification : soumise à une communication malsaine, la personne va de moins en moins
être capable de différencier correctement la relation de son contenu ; elle va se trouver prise dans une
situation paradoxale, de plus en plus contraignante qui va l'enfermer progressivement, et dont elle ne
pourra plus se défaire. Cela va la conduire inexorablement à une perte d'identité de plus en plus
grande, à une dépersonnalisation profonde, voire à des comportements pathologiques de type
schizophrénique, dans un cercle de plus en plus vicieux et malsain.
Notons aussi qu’il peut y avoir un contre désir mimétique très proche de l’identité négative, ou
nihiliste, qui dirait son rejet, son dégoût son déni de toute identification à quelqu’un ou quelque chose
qui, pour le commun des mortels, est signe de puissance. Il y a là aussi potentiellement des
mécanismes violents qui en surgissent, des victimisations et désignations de boucs-émissaires.
Il y a chez René Girard un fond hégélien. Ainsi, dans la célèbre " dialectique du maître et de l'esclave
", Hegel révèle également une interprétation d'autrui comme dilemme entre maîtrise et servitude, mais
avec un dépassement de cette opposition vers une reconnaissance réciproque.
La reconnaissance s'effectue sur le mode de la lutte; chaque conscience cherche à s'imposer en niant
celle de l'autre. Celui qui est le plus attaché à la vie finit par se soumettre, tandis que celui qui préfère
la liberté à la vie manifeste sa supériorité. Le vaincu entre alors au service du vainqueur, et lui obéira.
Bien sûr, Girard va plus loin en décrivant les mécanismes de victimisation et de boucs émissaires ; il
en définit aussi le mécanisme qui conduit au sacrifice d’une victime innocente, sanctifiée et sacrifiée
pour les besoins de la cause, dans un mécanisme de libération cathartique, justifiée ensuite par le
rétablissement de l’équilibre, de la paix, etc. Ce mécanisme est valable à ses yeux dans tous les
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secteurs de la vie, aussi bien dans les relations interpersonnelles que dans le fonctionnement des
sociétés. Valable dans les mythes, les cultures, en tout temps et en tous lieux.
Cette généralisation à outrance me dérange. En effet, pour que le désir mimétique soit porté à son
emballement, il faut certaines conditions pas forcément remplies au quotidien. Les déclencheurs
peuvent être : un désir-besoin de puissance, de jouissance, de liberté, de justice, de possession en
réponse à une situation fermée ou sans issue. Que l’on songe aux cités banlieues par exemple. A une
pression de groupe particulière basée sur la promesse d’un paradis, de l’immunité ou de l’impunité
garanties. Que l’on songe au terrorisme islamiste fondamentaliste, aux dénonciations sous le régime
des nazis ou celui des communistes, aux viols ethniques en Serbie et en Bosnie, etc. La désignation de
ceux par qui le malheur arrive, qui est en fait un détournement de la haine et une autorisation d’y
consentir par défoulement et jubilation ; la peur en retour de ne pas se soumettre au groupe, aux
autorités, et d’avoir à en subir les conséquences ; la peur de l’inconnu, de la punition divine au nom de
laquelle on a sacrifié des enfants et brûlé les sorcières. La soumission à l’autorité ou encore la
réduction de certains humains objets de haine à l’état de chose malsaine (cafards, bâtards, rats, etc.)
dont il faudrait se débarrasser. Ou, plus simplement encore, pensons au mécanisme des punitionsrécompenses que l’on retrouve dans tout groupe humain.
Ce sont la plupart du temps des situations extrêmes, des tensions ou des enjeux dramatiques qui
entraînent une pression insupportable que le cerveau peine à gérer : il aura tendance à se replier sur le
cerveau « reptilien », le plus ancien, qui assure les fonctions vitales de l’organisme en contrôlant, la
fréquence cardiaque, la respiration, la température corporelle, l’équilibre, etc. Il comprend le tronc
cérébral et le cervelet, essentiellement ce qui forme le cerveau d’un reptile. Il est fiable avec toutefois
une tendance à être plutôt rigide et compulsif…Chez l'homme, ce cerveau serait principalement
responsable de certains comportements primaires comme la haine, la peur, l'hostilité à l'égard de celui
qui n'appartient pas au même groupe d'appartenance que soi, l'instinct de survie, la territorialité, le
respect de la hiérarchie sociale, le besoin de vivre en groupe, la confiance dans un leader ... Parfois,
lors de situations stressantes, cette partie de notre cerveau peut prendre le dessus sur le cerveau
« limbique » et sur le néo-cortex, ce qui entraîne des comportements imprévisibles.
Dans un état de stress, ils peuvent être anesthésiés, empêchés pour un temps de jouer pleinement leurs
rôles respectifs : ainsi le cerveau « limbique », apparu avec les premiers mammifères, capable de
mémoriser les comportements agréables ou désagréables, est par conséquent responsable chez
l’humain de ce que nous appelons les émotions. Il comprend principalement l’hippocampe, l’amygdale
et l’hypothalamus. C’est le siège de nos jugements de valeur, souvent inconscients, qui exercent une
grande influence sur notre comportement. C’est la raison pour laquelle quand la crise est passée, la
culpabilité peut revenir en force en réclamant un apaisement, ce que Girard appelle la fin de la crise.
Une peur intense, une prédiction négative, comme une conviction intime inlassablement répétée,
peuvent conduire à un emballement mimétique individuel ou de groupe. Mais nous sommes en
quelque sorte dans le « pathologique », dans une situation de crise passagère qui peut néanmoins
devenir durable si la rigidité des interactions est maintenue ou attisée.
Quand la situation devient durable, il y a la plupart du temps de fortes pressions de conformités qui
induisent un lavage de cerveau qui rend toute méta-comunication interdite ou impossible. C’est la
soumission à l’autorité qui devient le cadre normatif.
Toutes ces nuances sont importantes. Nous avons un cerveau moral à trois entités qui interagissent en
différentes zones, neuf ont été répertoriées actuellement par la neuroscience, et donc, on ne peut
simplement faire dans les généralités. Je préfère quant à moi l’anthropologie chrétienne du péché qui
place l’humain dans le désir de vouloir désespérément être ou ne pas être soi-même, un désir qui le fait
chercher dans la loi des échanges humains de quoi assurer sa vie, son bonheur ou sa sécurité parfois
coûte que coûte. Dans certaines situations extrêmes, il peut y avoir emballement mimétique,
individuel, social ou culturel, une catharsis de la violence qui se déchaîne. Et dans ce cas précis,
l’analyse girardienne est pertinente. Mais la convoitise, comme expression du désir mimétique, n’est
pas, à elle seule responsable de tous nos maux. Le malheur est plus profond…
Un lieu où renaître
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Sur un plan humain, l’illusion est à vivre dans le tragi-comique : quiconque voudrait ne pas en tenir
compte est tragique, celui qui s’en désole est comique. Illusion des illusions, tout est illusion. Nous
vivons en permanence dans l’illusion du sens, de la vérité et de la destinée. La science n’y échappe pas
parce que son interprétation du réel est aussi une illusion qui ne peut prétendre à la totalité. La religion
est elle aussi sous son emprise tout comme la foi…Nous avons simplement à la vivre dans la tension
tragi-comique, et dans la dénonciation de toute autre velléité ! Vivre correctement cette tension
procure la paix et la sérénité à condition qu’elle ne soit ni sous ni surestimée. Le rire et l’auto-dérision
restent le meilleur exercice. Il s’agit de vivre cette tension, d’en être le gardien en la contextualisant,
donc d’être en accord avec le fait évident que nous ne pouvons pas ne pas produire de l’illusion. Il
s’agit d’y consentir en toute lucidité. Nous restons ridicules dans l’expression de nos certitudes ou de
nos vérités, et pourtant nous ne pouvons y renoncer. Ne pas en avoir est du plus haut comique. Trop en
avoir est tragique. La contextualisation comme le langage de l’aveu sont des lieux où vivre et renaître
dignement.
Quand l'illusion devient obsession...
Il n’y a pas de bon plan parce qu’il n’y a pas de vérité absolue, de point de référence indiscutable. En
l'oubliant, l'illusion devient fascination, obsession souvent douloureuse, difficile ou chaotique, quand
elle n'est pas manipulation pure et simple, tension volontariste et forcément réductrice, agression en
réaction à une adaptation impossible, à cette insupportable légèreté de l'être qui nous caractérise
pourtant dans nos grandeurs comme dans nos petitesses, nos forces et nos faiblesses. C'est la marque,
la trace de Dieu en creux qui ne peut se résoudre que dans l'acceptation d'un abandon confiant et
conscient, sans pouvoir pour autant en être le maître. Il y a derrière l'illusion un autre ordre des choses
qui ne peut être accessible que dans l'intuition, ou du moins dans la distance à prendre à l'égard de nos
illusions mondaines, sans que nous puissions pourtant en être certains. C'est la distance tragi-comique
qui crée une opportunité de vivre autre chose autrement. La désillusion et le désenchantement créent
un possible dépassement du péché vécu comme enfermement dans l'illusion qui se vit dans trois axes
principaux avec des accents différents : celui de la liberté à tendance plutôt narcissique, celui de la
maîtrise à tendance plutôt sadique, celui de la sainteté à tendance plutôt masochiste.
La foi comme dépassement provisoire de l'enfermement
En toute situation de vie, il faut et il suffit que l'illusion soit débusquée, retravaillée autrement, fêtée
différemment, en tout premier lieu comme une distance nécessaire à prendre à l'égard des
maltraitances coutumières, des affrontements permanents ou des jugements à l'emporte pièce, la
première illusion étant celle de la force. Viennent ensuite celles de la puissance et de la richesse, de la
beauté et de la singularité, des dons particuliers, etc. L'illusion de la liberté, de la maîtrise ou de la
sainteté est notre pain quotidien: en le sachant - et surtout en le reconnaissant – nous pouvons vivre la
foi comme une autre manière de fêter la vie.
En effet, la conviction intime de la portée malheureuse de l'illusion ouvre un espace de vie, une
nouvelle compréhension du péché comme nécessité de s'en dégager. Il y a transgression de l'illusion
comme acte de liberté et de créativité, comme acte de confiance en Dieu et en l'homme. Il y a un jeu
qui s'opère: je peux y jouer seulement si je consens à lâcher prise en lui reconnaissant sa place, son
rôle aliénant, sa pesanteur à transformer encore et toujours.
La foi: une bienheureuse transgression
Derrière l'illusion mondaine, tout particulièrement celle de s'auto-suffire, se cache une autre illusion,
celle de l'inconnu qui peut être uniquement parce que nous pouvons imaginer d'autres dimensions au
réel. La curiosité, l'imaginaire et l'insoumission sont les moteurs de l'humanité qui répondent au
manque, à la limitation et aux certitudes établies. Ces trois éléments génèrent le besoin impératif de
sécurité et d'amour qui fait de nous des mendiants. Nous les considérons dans la foi comme les
illusions ultimes qui nous coupent de Dieu comme de notre âme. Il y a un véritable paradoxe: plus
nous nous sentons en sécurité, entourés et capables d'amour, compétents, à même de combler notre
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manque, plus nos certitudes nous éloignent de Dieu. En d'autres termes, plus nous consentons à ce
besoin impérieux de sécurité et d'amour qui nous est naturel, plus nous sommes pécheurs. L'autosuffisance – qu'elle soit réelle ou désirée - est la forme la plus courante, la plus banale de l'inimitié
envers Dieu. C'est la maladie à la mort parce qu'elle nous y ramène en permanence,
Le déni de la mort
La mort est l'ultime indépassable, l'imprévisible qui vient contredire l'auto-suffisance ou l'assombrir en
la fragilisant. Elle nous fait vivre dans le déni ou l'oubli, dans le remplissage et l’illusion, qui
deviennent une obsession. Il faut presque à tout prix que notre besoin impérieux de sécurité et d'amour
se concrétise!Ce double besoin s'est nouée dans le cadre familial, puis dans le cadre social avec plus
ou moins de succès...Il est lié à ce pétillement, à cette joie qui dit : « tu comptes pour moi. » Cette
sensation est irremplaçable. Elle constitue notre sécurité ontologique, notre sécurité de base, qui vient
contrebalancer les messages plus insécurisants (tu es trop...pas assez...pas aimable…bon à rien, etc..).
Nous sommes à la fois force et fragilité. À la fois justes et pécheurs, confiants et en doutes. Dans la foi
pourtant, dans ce lien avec notre âme, nous est donnée la possibilité de nous sentir aimés et aimables,
au-delà des critères parentaux, familiaux, sociaux ou environnementaux, et donc de trouver un autre
pétillement vital. Cette possibilité est une sensation, une intuition subjective qui a la force d'une
conviction intime. Elle n'a rien à voir avec la sublimation d'une sexualité refoulée qui trouve dans le
religieux un au-delà érotisé, ni rien à voir non plus avec une compensation à des problèmes
d'adaptation à la réalité.
L'Amour qui couvre tout, endure tout, espère tout
Le lien avec notre âme n'est pas de cet ordre: il est l'Amour qui couvre tout, espère tout, endure toutes
les trahisons et transgressions dans l'espoir, dans le désir désintéressé que nous devenions des
créatures désintéressées, généreuses ou empathiques. Nous recevons alors une identité pour Dieu, à
vivre devant Lui, en sa présence aimante, identité qui est réelle dans la mesure où elle nous libère de
nos besoins mondains, tout en reconnaissant l'impossibilité de nous auto-suffire. Cette identité devient
notre préférence, certes fragile, mais bien réelle. Nous pouvons la perdre et la retrouver. Elle nous est
garantie. Elle est toujours en avant de nous, une rencontre émerveillée, une sérénité retrouvée, un
bienheureux dégagement de nos identités ou de nos illusions mondaines, ou encore une douloureuse
absence quand nous l'oublions. Nous pouvons alors vivre la foi comme un consentement et une
transgression. Être à l'écoute de ce qui se murmure dans notre âme...Puiser en elle et dans ce murmure
non seulement l'inspiration ou le courage nécessaires à tout consentement comme à toute
transgression, mais encore trouver dans le détachement un autre attachement à une autre réalité: celle
de notre identité suprême qui nous fait à l'image du divin être habités par des élans de paix, de
sérénité, de disponibilité, de réciprocité, d'humour et de joie. Ce détachement est une condition sine
qua non. C'est la porte étroite qui permet, en la franchissant, de couper court au jeu des
reconnaissances mondaines, à tous ces besoins croisés qui s'y expriment (d’être méritant – méritoire,
aimé- aimable, estimé -estimable, etc.). Nous en connaissons l'illusion, nous pouvons nous en détacher
de façon non-violente en incarnant cette autre réalité qui n'est pas naturelle. Après le détachement et la
transgression, c'est à elle que nous pouvons consentir. Et c'est par elle que nous exprimons le divin, la
présence incognito du Christ.
Un bienheureux détachement
Ce bienheureux détachement est le chemin et le but, la vérité de la vie spirituelle. Pour être vraiment,
il réclame une double conviction intime: la mort a été vaincue et Dieu est Tout Amour.
La mort et son questionnement sont l'aiguillon du divertissement, de nos besoins de sécurité et
d'amour vécus dans une quête tragi-comique indépassable: renoncer à cette quête est du plus haut
comique, y consentir sans recul est du plus haut tragique. Son dépassement complet est impossible
parce que nous sommes pris dans la cage trinitaire de la vérité, du sens et de la destiné. Comme l’avait
noté le philosophe Pierre-André Stücki, pour définir un sens à la vie, il faut nécessairement pouvoir
s'appuyer sur une vérité et sur une compréhension du destin humain, et vice versa. Comme nous ne
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pouvons savoir de façon certaine si la mort est bien notre seule et unique destinée ultime, nous
tournons comme un hamster dans la cage trinitaire, en orientant la cage tantôt du côté du sens, de la
vérité ou de la destiné, en cherchant toujours à nous rassurer dans la quête de sécurité et d'amour. Le
pari de la foi est le pas du pèlerin, un saut dans l'Inconnu, dans l'Incertain: En Jésus, la mort, ou du
moins sa fascination, a été vaincue. Un homme a pu vivre la quête tragi-comique de la vie sans se
perdre dans la quête éperdue de la satisfaction compulsive de nos besoins de sécurité et d'amour. Cette
thèse minimale peut se prolonger d'un pas de plus: non seulement Jésus a pleinement vécu cette
tension, mais il a été ressuscité annonçant pour tous que la mort n'est pas la fin des haricots, ce qui du
coup rend notre quête de sécurité et d'amour encore plus ridicule! Le même raisonnement est à faire au
sujet de notre quête d'amour: un homme a pu vivre pleinement sa dimension tragi-comique sans se
perdre dans l'amour narcissique, annonçant du coup que l'amour agape – désintéressé – est au
minimum notre destinée et notre dignité ultimes. Cette thèse minimale peut se prolonger d'un pas de
plus: non seulement l'amour-agape est notre destinée et notre dignité ultimes, mais il est l'essence
supposée de Dieu, ce qui du coup fait de la mort, ou de nos besoins égocentriques d'amour, une contre
illusion (le péché par excellence qui est aveuglement et inimitié envers Dieu dans la volonté de s'autosuffire). Il s'en suit que notre quête de sécurité et d'amour, dans la foi, est par nécessité ce qui doit être
transgressé, chahuté, débordé si nous voulons pouvoir en quitter – ne serait-ce que pour un moment –
la fascination compulsive. L'humour et l'auto-dérision nous y aident, de même bien sûr que nos
prochains irremplaçables – ne serait-ce que dans le dévoilement de l'effet miroir! La foi est alors vécue
dans sa dimension tragi-comique comme un lâcher-prise, comme abandon conscient et confiant de
notre quête compulsive de sécurité et d'amour...Tout un programme ! C'est en cela que nous sommes
de temps en temps réellement en Christ et que le Christ vit en nous. Nous ne sommes par pour autant
quitte de la présence du néant ou du mortifère. Ces dimensions sont simplement levées dans la foi,
dans l’Instant, suspendue pour un temps, quand nous pouvons nous laisser tomber en Dieu, nous défasciner. Elles peuvent être levées aussi quand nous écoutons nos intuitions ou nos prémonitions. Le
sont-elles dans l’extase mystique ? Oui et non, car la mystique est une capacité intrinsèque de notre
cerveau : donc, en situation de fusion avec le Tout, nous vivons bien une dé-centration, une défascination qui vient suspendre notre attachement mondain. Mais elle pourrait aussi nous conduire à
l’illusion de l’illusion, à confondre l’extase avec le divin, la sensation du Tout avec la dissolution en
lui.
De l'abandon confiant et conscient à la vie spirituelle
Le fait est que nous pouvons lâcher prise, abandonner – même provisoirement – l'illusion de nos
quêtes mondaines et la pesanteur du néant. Nous pouvons de même réaliser l'illusion de l'énergie
physique: la force, la vitalité ou la sexualité ne sont pas tout. Il serait tout aussi illusoire, voire
tragique, de ne se fier qu'au cerveau mammélien, car l'effectivité, l'émotion ou la création artistique ne
peuvent résumer à eux seuls tout l'humain. Il serait enfin tout aussi comique de s'en remettre
uniquement au cerveau logique. Nous sommes trois dimensions appelées à se fondre en Une: l'énergie
spirituelle. L'aventure de la vie spirituelle peut alors commencer vraiment.
En suivant la réflexion de Philippe Guillemant, nous sommes appelés à œuvrer, dans la première
causalité, en nous attachant à privilégier, à savourer ou bâtir, des lieux où, comme le disait Maurice
Bellet, il est bon d’être né, il fait bon être, où l’on peut aimer et s’aimer sans enflure ni tristesse. Ici,
concrètement l’ouverture à soi comme à l’autre se veut accueil, écoute, partage dans le non-jugement
et la non-violence. C’est à nous qu’il incombe d’y travailler dans cette identité tragi-comique qui sait
le poids et la fascination du remplissage et de l’illusion. Le virus est toujours là, toujours prêt à muter :
comment pourrait-il en être autrement ? Nous restons sous le règne de la finitude, de la solitude
ontologique (par nos gênes et par notre histoire personnelle), de la mort et du néant. En nous efforçant
de faire le bien et de bien faire, en nous dé-fascinant du remplissage et de l’illusion, nous sommes à
même toutefois de prendre une certaine distance d’avec notre mental conditionné. Nul besoin en cela
d’être rouge d’efforts. Plus simplement et plus fondamentalement, nous n’avons plus la prétention de
nous auto-suffire : c’est un soulagement, non ? Nous savons que nous aurons besoin de l’aide de Dieu,
que son amour-volonté coule comme une pluie sur notre Arbre de vie pour venir l’arroser et le
fortifier. C’est ce qui vient guérir notre passé ne nous confirmant que nous somme sur la bonne voie.
La présence du néant ou du mortifère recule, nous ne sommes plus, aussi tragiquement, des mendiants
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d’amour ; la fascination pour le remplissage et l’illusion s’amenuise. Nous savons, au-delà de tout
doute raisonnable, que nous ne pouvons pas nous auto-suffire. Cela stimule nos intuitions et nos
prémonitions, car nous savons, nous sentons qu’il est vain de vouloir se passer de l’aide de Dieu. Nous
nous en passerons pourtant forcément. Le naturel reviendra au galop ! Comment pourrait-il en être
autrement ? Nous pourrons d’ailleurs en faire l’expérience autant de fois que nous voulons puisqu’il
n’y a pas de punition, en dehors de celles que nous nous infligeons en nous coupant de la Source.
Mais il y a mieux encore. A travers la seconde causalité, celle qui nous vient du futur, c’est une
véritable révolution de la pensée qui s’opère. Philippe Guillemant la fait émerger des équations
modernes de la physique ; il l’a mise à l’épreuve dans sa propre vie et il nous dit comment nous y
ouvrir par le biais de notre âme-esprit. Ici, l’aide de Dieu n’est plus simplement présupposée ; elle est
une réalité tangible, matérielle : Dieu répond à nos désirs, souhaits, dépôts d’intentions, pour peu
qu’ils soient sincères, généreux et désintéressés, et pour autant que nous que nous puissions attendre la
réponse en faisant preuve de foi, d’attention, de confiance, dans une joie anticipatrice. La réponse se
matérialise en synchronicités (toutes ces coïncidences heureuses), en inspirations diverses (artistiques,
créatives ou scientifiques), etc. Cette matérialisation dépend du libre-arbitre divin, nous ne pouvons en
dicter le scénario ; pourtant, et c’est une nouveauté radicale, nous sommes réellement les capteurs et
les acteurs du divin. Nous avons le pouvoir d’influer sur l’avenir ! Un pouvoir dont évidemment nous
ne savons pas encore nous servir vraiment. Il faudra pour cela que nous apprenions à nous
déconditionner de notre mental et de nos représentations si limitées. C’est un travail pour le moins
pharaonique ! Mais la Route du Temps est désormais ouverte. L’Amour est Dieu, et Dieu est Amour.
Serons-nous pour autant, en nos créations souvent chaotiques, libérés de notre identité tragi-comique ?
Non, assurément ! La seconde causalité peut être entravée, empêchée par le remplissage et l’illusion,
tout comme nous pouvons nous en couper par l’ego, la peur, la volonté de maîtrise et de puissance.
Notre identité tragi-comique demeure, mais elle s’en trouve renforcée à chaque fois que Dieu peut
nous faire don de son amour-volonté ou nous matérialiser des réponses adaptées. A chaque fois, la
pesanteur de la mort et du néant, de notre solitude, de notre incomplétude, est annulée, débordée ou
suspendue. C’est l’expérience de la grâce, une plénitude remplie d’harmonie, comme si le temps
suspendait son vol. Elle s’éteindra forcément pour renaître encore et encore, jusqu’à ce que nous
connaissions Dieu, comme le disait l’apôtre Paul, face à face. En attendant, et ce n’est pas rien, notre
identité tragi-comique, renforcée par l’aide de Dieu, fait de nous des acteurs et des capteurs du divin.
Jésus a osé l’illustrer – et de quelle manière ! – en devenant le Génie de l’Amour. Son aide demeure
précieuse et pertinente. A nous de savoir nous en inspirer dans une joyeuse transgression du
divertissement pascalien, dans une dé-fascination du remplissage consumériste ou de l’illusion
mondaine. C’est ainsi que la vérité peut nous rendre libres…Mais il nous faudra aussi oser y consentir
concrètement, y travailler, car il y a une mutation nécessaire à réaliser, celle qui nous fait passer de la
peur, de la tristesse ou de la colère, à la joie. Ce passage vers la sérénité se vit dans la mutation du
besoin (narcissique, sadique, masochiste) au désir apaisé et généreux. En d’autre termes, comme les
catégories de l’école de Palo Alto le montrent, il s’agit de passer du niveau trois, celui des valeurs, au
niveau quatre, celui des expériences mystiques, et au niveau cinq, celui des énergies subtiles. Nul ne
peut le faire sans avoir, au préalable, pacifié les peurs, tristesses, colères, besoins qui nous habitent. Si
elles demeurent actives, elles nous conditionnent ! Mais on ne peut les quitter par une injonction de
type : Soyons spontanés ! C’est l’abandon confiant et conscient en l’aide de Dieu, en son amourvolonté, qui fait office de méta-communication, de re-cadrage de la relation, en venant rompre
l’aliénation du remplissage consumériste ou celle de l’illusion, tous deux voués à l’échec, pour nous
ouvrir à d’autres sensations, émotions ou vibrations que nous qualifions de supérieures. Tout va
dépendre ici de notre capacité à quitter nos besoins et nos envies psychorigides qui s’expriment
souvent dans l’être et l’avoir de manière compulsives et obsessionnelles : ce que nous voulons être ou
avoir par-dessus tout nous coupe de l’aide de Dieu dans la seconde causalité, tout comme le fera à
coup sûr un vouloir traduit en un scénario trop défini ou juste destiné à combler des blessures
narcissiques. Car l’amour divin n’a rien à voir avec l’ego : il est impersonnel et universel, généreux et
désintéressé comme le sont les énergies subtiles de la vie spirituelle.
(Philippe Nussbaum, pasteur, été 2011).
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