La question de la réception culturelle dans les enseignements

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La question de la réception culturelle dans les enseignements
La question de la réception culturelle
dans les enseignements artistiques
René Rickenmann *
Université de Genève
Depuis les années 1990 on assiste à un élargissement des référentiels des enseignements
artistiques, avec la prise en compte de la culture visuelle. Cet élargissement s’accompagne
également de la prise en compte des perspectives culturelles dans les champs d’étude habituellement convoqués pour étudier les objets et processus artistiques et visuels. L’émergence de
pratiques de classe liées à la question de la réception culturelle illustre ce double processus de
mutation des enseignements artistiques.
Introduction
Dans le cadre de ce court texte nous souhaiterions aborder, à partir de
l’exemple particulier des enseignements artistiques, quelques pistes de
réflexion sur les liens de parenté qui existent et tendent à se développer
entre certaines problématiques en sciences de l’éducation et les secteurs
de recherches apparentés aux Cultural Studies. Nous proposons de traiter
ces liens à partir de deux entrées. D’une part, l’évolution des conceptions
sur les visées et fonctions sociales des enseignements artistiques ; et,
d’autre part, l’éloignement des conceptions psychopédagogiques vers des
perspectives historico- et socioculturelles.
L’évolution des conceptions sur les finalités des enseignements artistiques à partir des années 1970 a amené à prendre en compte des objets,
démarches et pratiques “culturels” – sous couvert d’arts visuels – et
conduit à une définition multiforme du « culturriculum » (Davis, 1997).
Quant à la deuxième entrée, nous reviendrons sur une conception plus
globale des enjeux sociaux et culturels des situations éducatives (Moro &
Rickenmann, 2004) dans l’étude et la description des processus d’enseignement / apprentissage. Nous terminerons avec quelques exemples
tirés des recherches actuelles de notre équipe autour du champ de la
“didactique de la réception culturelle”, à travers lesquels nous montrerons que, dans de nombreuses pratiques effectives d’enseignement d’arts
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plastiques et visuels, s’opère une ouverture de la conception moderne
des arts plastiques vers le visuel comme champ de pratiques (§3).
1. Des arts plastiques vers le visuel
Dès le milieu des années 1960 commence à se faire sentir un besoin de
réformes curriculaires dans les enseignements artistiques, tant en Europe
qu’aux USA, visant la complémentarité, voire le dépassement, des pratiques didactiques basées sur l’(auto)expression et les conceptions pédagogiques liées à la notion d’art enfantin (Pernoud, 2003). Les débuts d’un
mouvement général de “technologisation” de la culture et de la vie quotidienne ne sont pas étrangers, par ailleurs, à cette transformation des
conceptions sur l’art, ses fonctions sociales et leur enseignement. Avec
des cheminements spécifiques au vu des traditions et contextes sociohistoriques, les USA et l’Europe vont investir différemment cette
réflexion sur les enseignements artistiques. En Europe, suite à l’impulsion donnée par le mouvement du Bauhaus d’avant guerre et l’intérêt
marqué pour les théories de la communication, le projet consistera au
début à organiser et à systématiser l’expression artistique comme phénomène social et culturel, en s’éloignant ainsi de la vision individualiste du
“génie” romantique. L’option prise aux USA, héritière du pragmatisme de
Dewey, visera plutôt une éducation centrée sur les pratiques artistiques et
culturelles (Aguirre, 2005). Contrastés, ces mouvements de réforme se
rejoignent cependant sur plusieurs aspects, qui contribueront à un enrichissement du champ d’objets traités par les enseignements artistiques
dont, notamment : l’ouverture vers un statut cognitif des phénomènes
artistiques, tant ceux liés aux processus créatifs qu’à ceux liés à la réception ; la volonté de supprimer l’opposition cartésienne entre l’art comme
domaine du sensible et la science comme domaine de la raison ; l’ouverture vers une conception plus sociale et culturelle des phénomènes artistiques et de leur rôle dans le développement des individus.
En Europe comme aux USA, par des chemins différents, nous pouvons
constater un double phénomène dont les tensions se font sentir
aujourd’hui encore :
 D’une part, un processus de disciplinarisation qui commence à
prendre forme dès les années 1960, avec une visée de systématisation
des connaissances dans les domaines artistiques et visuels, accompagnée de projets de refonte des institutions de formation. Font partie
de ce mouvement les travaux du Harvard Project Zero (Goodman,
1996), mais, également, ceux de Bruner (1960) et de Barkan (1966)
qui visent une modification des profils d’expertise dans le domaine
artistique, de la manière de penser les institutions de formation, les
curriculæ et les pratiques pédagogiques ;
 D’autre part, apparaît également une tension entre la tendance à l’unification du domaine des connaissances artistiques et l’évolution
même de la conception moderne de l’art. Marquée, notamment, par
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l’œuvre de Lyotard (1979) la conception des enseignements artistiques sera doublement bouleversée par la redéfinition postmoderne
de l’œuvre et par l’arrivée de nouveaux référentiels disciplinaires dans
l’étude des phénomènes et processus artistiques (Efland, 1990).
Disciplinarisation des enseignements artistiques
La disciplinarisation prend forme, entre autres, avec l’émergence de
nouvelles institutions dans lesquelles une nouvelle expertise basée sur la
“recherche” concernant les phénomènes artistiques tend à suppléer
d’anciennes expertises issues de l’académie, du “génie” romantique ou de
l’expérimentation avant-gardiste.
Une des conceptions qui, en Europe 1, structure cette ouverture des
enseignements artistiques vers le domaine du visuel est certainement
l’introduction des démarches d’éducation aux médias et à l’image. Cellesci marquent une rupture avec la tradition psychopédagogique qui,
pendant longtemps, constitua la légitimation scientifique des démarches
expérimentales autour de l’art enfantin (Mili & Rickenmann, 2005). Dans
cette perspective, le paradigme dominant est celui des approches
communicationnelles marquées, notamment, par la sémiologie saussurienne. Dès le milieu des années 1970, le structuralisme 2 s’est constitué
en un bon support épistémologique des analyses communicationnelles
sur les œuvres. De par l’étude des langages de l’image comme moteur des
systèmes socioculturels, la sémiologie de la signification introduit une
rupture dans le monde des objets de référence des enseignements artistiques car elle s’intéresse à tout type d’image (notamment celles véhiculées,
transformées ou émergeant des nouveaux médias technologiques). En ce
sens, les pratiques pédagogiques d’analyse critique de l’image “produisent” de nouveaux objets d’enseignement, dont les référents sont puisés
autant dans le réservoir de l’art “officiel” tel qu’exposé dans les musées
et institutions culturelles, que dans celui des mass media, de la publicité
ou, encore, dans l’imagerie de la culture populaire.
Cependant, la crise de ce paradigme dans d’autres champs disciplinaires
(la sociologie, l’anthropologie, la linguistique) a conduit à réinterroger
l’analogie entre arts et langage sur laquelle se sont appuyés ces premiers
1
2
Le lecteur qui s’intéresse au développement et aux transformations des
enseignements artistiques dans la sphère anglosaxone, depuis les travaux
basés sur l’expressivité de Read, en passant par ceux cognitivistes du
Harvard Project Zero et sémiopragmatiques de Goodman, pour aboutir aux
postures socio-interactionnistes de Bruner, pourront se référer à l’ouvrage de
Efland (1990).
En France, deux courants se distinguent, influencés par F. de Saussure : la
sémiologie de la communication (Mounin, Prieto) et la sémiologie de la
signification (Barthes) ; c’est cette deuxième tendance qui influencera le plus
les démarches pédagogiques d’éducation aux médias et à l’image.
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travaux sur la « visual literacy » (Debes, 1968). On assiste alors à un
déplacement de l’intérêt pour une analyse des processus de dénotation,
décrivant le fonctionnement des paramètres visuels (forme / fond, couleur, intensité, composition), vers une analyse des mécanismes de la
connotation, plus sensible aux “messages”, à l’analyse des discours et des
représentations sociales. Ce qui était présenté dans un début comme une
sémiotique universelle, intemporelle et ahistorique pour aborder l’histoire
de l’art et des produits visuels de la culture, s’est transformé en une
approche centrée davantage sur les processus significationnels et les
contextes culturels, comme en témoignent les travaux du Harvard
Project Zero (Davis, 1997), ceux de Geertz en anthropologie culturelle
(1983) ou, encore, ceux concernant les styles cognitifs de réception
(Messik, 1984).
Malgré une très forte présence des conceptions innéistes de l’art enfantin
dans les enseignements artistiques (voir à ce sujet les critiques de Darras,
1996 ; Kindler & Darras, 1997), notamment à l’école primaire, l’étude de
la culture visuelle s’installe peu à peu dans le champ des enseignements
artistiques. La modalité pédagogique de l’atelier d’expression, typique des
enseignements scolaires, est davantage articulée à des cours d’histoire de
l’art, d’éducation aux médias et au cinéma, d’usage des TIC.
Des arts plastiques vers la culture visuelle
En effet, l’ouverture du champ des pratiques avec des objets culturels
coïncide également avec de profonds changements dans la définition et
identité disciplinaires du champ artistique et des enseignements afférents.
Ce processus d’unification du domaine des connaissances artistiques
s’accompagne de tensions dues à la crise de l’idée moderne de l’art.
Une des caractéristiques de la première période du mouvement de disciplinarisation est peut être le fait que les chercheurs et enseignants
s’accommodaient d’un relatif consensus sur une conception moderne où
l’œuvre d’art reste un objet autonome mu essentiellement par la communication d’une impulsion expressive ou d’une recherche subjective du
sujet créateur, puis exposé à la perception-interprétation d’un public dans
les institutions culturelles. Cependant, cette conception moderne est
entamée par une présence du “visuel” qui prend de plus en plus d’importance 1, surtout à partir des années 1990 par des champs d’étude centrés
moins sur les œuvres comme objet “en soi”, que sur les contextes, les
processus et les produits des pratiques sociales et culturelles.
1
L’émergence du “visuel” ouvre sur de nombreux débats qui concernent la
philosophie postmoderne (Derrida, Foucault, Lyotard), les théories critiques
contemporaines issues de la sociologie (Bourdieu & Dardel), les théories
esthétiques (les « French Theories ») ou, encore, les tendances déconstructionnistes des études culturelles (Efland, Freedman & Stuhr, 1996).
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Quelques aspects d’une conception de la postmodernité artistique
témoignent de ce glissement vers les contextes et processus (plutôt que
les objets), vers les situations de communication (plutôt que celles de la
seule expression), vers le culturel comme lieu de production et de circulation des significations sociales (plutôt que vers les œuvres de l’art officiel comme langage à décoder). Dévalorisation de la notion de progrès et
de nouveauté, remise en cause de l’expérimentation avant-gardiste et de
la recherche d’un style, fin de la tendance avant-gardiste de rompre systématiquement avec le passé, éclatement des frontières entre les arts
majeurs et arts mineurs, ouverture vers les techniques de reproduction et
modification des œuvres du patrimoine et tendance à les traiter de
manière décontextualisée, cynique ou ironique, etc. (Efland, Freedman &
Stuhr, 1996) : le décalage s’installe peu à peu entre un curriculum scolaire
et un curriculum culturel (Aguirre, 2005).
2. Enseignement et culture visuelle :
mettre l’accent sur les processus de réception culturelle
L’émergence des sciences de l’éducation en tant que domaine disciplinaire reconnu constitue un phénomène majeur œuvrant également pour
un rapprochement des pratiques de l’institution scolaire et des pratiques
culturelles. Les œuvres et pratiques sociales deviennent non seulement
des référentiels de l’enseignement, mais également des objets de
recherches reconnus qui réinterrogent, à partir de nouveaux paradigmes,
les objets d’enseignement des disciplines, et en conséquence, également des
enseignements artistiques.
Dans cette perspective soulignons, d’une part, la réflexion sur les
facteurs sociaux liés à l’apprentissage. À une conception basée sur l’expérience de sujets solitaires dans un monde stable, se substitue une
nouvelle conception dynamique de l’apprentissage qui résulte de la
participation active des apprenants aux contextes sociaux et matériels qui
les entourent (Lave & Wenger, 1991). Cette conception située des apprentissages élargit désormais les référentiels mobilisés pour la planification
des activités d’enseignement : outre l’activité de l’artiste (plasticien,
compositeur, interprète…), l’enseignement recourt à un ensemble plus
vaste de postures, rôles et activités propres au champ des pratiques de
l’artistique et/ou du visuel. Les pratiques sociales de référence élargissent
ainsi le champ des “savoirs à enseigner” et enrichissent les situations
didactiques et tâches d’apprentissages proposées aux élèves. Emergent
ainsi de multiples conceptions du “culturel”, notamment en ce qui
concerne le champ d’objets et de pratiques qui sont désormais “admis”
dans l’espace scolaire.
D’autre part, le déplacement du “plastique” vers le visuel apparaît
comme un processus qui est au-delà d’une modification des “objets à
enseigner”. La prise en compte des facteurs socioculturels correspond
également à l’émergence de nouveaux paradigmes pour penser le culturel
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et son rôle dans le développement de la personne et/ou des collectivités.
Ces paradigmes posent une vision environnementaliste sur les situations
éducatives et leurs objets. En partant de la conception marxienne de
l’outil, comme modification profonde de l’activité humaine dans ses
rapports au monde (Vygotski, 1934 [1997]) de nombreux travaux se
penchent sur la dimension des médiations instrumentales et sémiotiques
(Rabardel, 2002) liées aux objets et pratiques culturelles. C’est ainsi que
les objets appartenant à la culture (classique ou populaire), acquièrent un
nouveau statut d’instruments sociocognitifs.
La culture au centre des processus de développement
Enseigner les usages… plutôt que les objets
Nous pouvons convoquer deux exemples de séquences didactiques qui
montrent quelques unes des nombreuses passerelles qui peuvent se tisser
entre l’usage du patrimoine artistique, socialement reconnu et valorisé en
tant que tel, le monde de la culture visuelle et leur rôle dans les processus
éducatifs et de développement de la personne.
Le travail sur les genres est un “classique” dans le cadre des didactiques
disciplinaires, notamment dans la didactique des langues ayant adopté
une approche socio-historique des objets à enseigner et une perspective
pragmatique pour construire les séquences d’enseignement (Bronckart,
2005). Dans le champ des arts plastiques et visuels ceci se traduit par une
approche des productions visuelles, par exemple le photoreportage, qui
prend aujourd’hui en compte les objets culturels, leur “épaisseur” sociohistorique, au lieu et place des savoirs décontextualisés qu’on a pu
produire par le passé. La construction des objets d’enseignement à partir
du fonctionnement pragmatique du genre prend également en compte la
matérialité même des objets et contraste, en ce sens, avec les approches
de la seule “critique de l’information” basées sur une conception
universaliste des mécanismes de la connotation et de la “fabrication du
message”.
Nous avons pu ainsi observer une séquence d’enseignement sur des photographes tels que Jacques Henri Lartigue ou encore sur Henri CartierBresson et leur travail de reporters. Les élèves (9-10 ans) étaient invités,
dans un premier temps, à découvrir les photographes et le genre à partir
d’une approche “formaliste” mettant en relief certaines caractéristiques
saillantes des œuvres, à partir de jeux comme “comparer / différencier”
ou “chercher l’intrus” 1. Constatons, d’emblée, que la démarche
contraste avec celles plus classiques :
1
Le premier jeu consiste à organiser deux ensembles parmi un nombre de
photographies proposées par l’enseignant. Le deuxième consiste à identifier
un ou deux intrus parmi un ensemble de photographies. Pour les deux acti…
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 de l’enseignant qui “apporte des informations” (sur l’artiste, sur
l’époque, sur l’objet) ; en l’occurrence, ce rôle est toujours présent
mais se “joue” à travers les résultats produits par les élèves dans le
jeu, ce qui conduit à une construction conjointe (enseignant-élèves)
de l’objet enseigné ;
 de celle très fréquente en AP qui consiste à privilégier la posture de
l’artiste-producteur. Ici, la tâche principale du début de séquence
consiste plutôt à mettre en avant d’autres postures issues également
du fonctionnement sociopragmatique des objets (le public, l’observateur, le critique, le commentateur…).
L’analyse de ce type d’activité didactique nous montre que, tout en intégrant la pratique sociale du photoreportage, les enseignants se gardent
bien de confondre la sphère sociale et la sphère scolaire. En ce sens, dans
nos exemples, on voit le “découpage” didactique de l’objet en “contenus
d’enseignement” (le cadrage pour HCB, l’effet de vitesse pour Lartigue).
Cependant, ceux-ci ne sont pas réifiés en savoirs techniques, mais immédiatement réinvestis dans les tâches ultérieures de production “à la
manière de…” (Smith & Hanckock, 1997), au cours desquelles ils seront
mobilisés en tant qu’instruments sociocognitifs, c’est-à-dire, liés à une
activité dans laquelle ils contribuent à produire du sens.
Mobiliser des usages culturels… pour appréhender des œuvres
Nous pouvons enchaîner cet exemple avec un deuxième travail, cette
fois-ci autour du vidéoart et de l’œuvre « The Passions » de Bill Viola. La
séquence se structure à partir de la visée même de Viola de “voir autrement” les images, notamment celles religieuses de la peinture du XIIIe et
XIVe siècles. Dans le travail de Viola un ralenti extrême fait émerger un
nouveau “genre” d’image qui fonctionne comme clé de lecture de celles,
classiques, qui constituent notre imaginaire culturel.
Ici, des élèves plus âgés (11-12 ans) ont été invités à reinvestir la
démarche de Viola en choisissant un tableau et en proposant une “mise
en scène” vidéoscopée et traitée avec des effets numériques pour reproduire le “ralenti” très poussé de l’artiste. Dans ce deuxième exemple
apparaît également le postulat Vygotskien de l’artefact culturel comme
outil sociocognitif, cette fois comme un moyen d’accéder autrement à un
patrimoine. La dimension critique re-émerge également par la prise en
compte de travaux comme le vidéoart ou le webart, souvent ancrés dans
les postures critiques postmodernes et contribuant à éclairer et/ou à
démonter l’historicité de notre imaginaire visuel.
…
vités, l’enjeu consiste à mettre en évidence les critères (formels et/ou thématiques) des ensembles obtenus ; le “pilotage didactique” de l’enseignant se
joue donc dans le choix de photographies qui “empêchent” l’émergence de
critères non pertinents tout en favorisant la mise en évidence de critères pertinents, eu égard aux contenus d’enseignement visés.
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Les œuvres… comme outil pour analyser
les pratiques sociales culturelles
Les deux exemples évoqués montrent de quelle manière les sciences de
l’éducation, comme champ de confluence de disciplines contributives
très variées, se saisit d’objets et d’approches apparentées aux Cultural
Studies. Cette parenté peut être directe, comme c’est le cas des travaux sur
les Histoires de Vie et les biographies éducatives en éducation d’adultes ; de
par leur perspective critique et leur contribution à un projet de développement personnel et de transformation sociale, ces travaux s’inscrivent
dans la continuité de ceux proposés par les précurseurs tels que Raymond Williams, Matthew Arnold ou Richard Hoggart. La parenté peut
être également indirecte, comme c’est le cas de exemples évoqués pour
les enseignements artistiques. L’ouverture vers le “culturel” en terme
d’objets et de nouveaux questionnements (critique sociale, féminisme et
problématiques de genre, rôle des mass media, appropriation des
nouvelles technologies…) marque aujourd’hui une profonde mutation
du champ. En contraste avec les approches anglo-saxonnes de la visual
culture, les enseignements artistiques en Europe francophone tendent vers
une approche historico-culturelle du patrimoine qui, tout en restant critique vis-à-vis de cet héritage, le considère comme un ensemble de pratiques
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