après sa libération (2007) - format pdf

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après sa libération (2007) - format pdf
ENTRETIEN AVEC UNE DIRIGENTE DU PCE(r)
Isabelle LLAQUET
24 décembre 2007 - Comités pour un Secours Rouge International-Madrid
même forme et la maximum prévu en France: 10
ans. Qui l’a dictée? Et bien clairement: la Guardia
Civil. En plus il faut être stupide pour l'admettre en
public. Même l'avocate française a été
scandalisée. Mais ce ne fut pas tout. Un
fonctionnaire de l'ambassade espagnole à Paris a
interrompu le procès, durant l’une de ses
sessions, pour se réunir de manière privée avec le
Président du Tribunal. Non seulement, les avocats
de la Défense l'ont fait constaté sur les actes, mais
la Procureure elle-même a manifesté sa surprise.
Après nous avons su que cet "ambassadeur" était
un colonel de la Guardia Civil qui a coordonné la
répression dans l’État Français. A partir de ce
moment-là, le procès a changé radicalement.
Isabel Llaquet, dirigeante du PCE(r) fut arrêté
avec six autres militants espagnols le 9
novembre 2000 , à Paris. Cette affaire juridicopolitique est plus connue comme celle des
"Sept de Paris".
Es-tu
surprise
d'être sortie de
prison?
Très, mais pas
seulement
moi,
sinon presque tout
le monde. Nous
sommes tellement
habitués à être
condamné
sans
aucune preuve et
à
subir
tant
d'années
de
prison du fait d'être communiste, que tu as du mal
à le croire. Surtout maintenant, après notre
illégalisation et avec la Loi des partis: ils ont
décidé, par décret, bien qu'ils ne l'aient pas
prouvé, que le PCE(r) et les GRAPO sont la même
chose. La surprise est très grande.
Comment expliques-tu d’être passée de
réfugiée politique à être considérée dans l’État
français comme «un malfaiteur»?
Et bien, j'étais réfugiée politique en Belgique, mais
j'allais régulièrement en France. Tout ceci
s'explique avec la fameuse "transition" et le fait
que les différents gouvernements européens aient
apprécié le fait que l'État Espagnol ait retapé
l'aspect extérieur de son régime politique.
Tant de montages, de jugements en France, en
Italie et en Espagne vous sont tombés dessus
tout d'un coup...
Oui bien sur, ils n'ont obtenu aucune preuve de
rien parce qu'elles n'existent pas. Ils les
recherchent depuis 30 ans et ils continuent jusqu'à
ce jour.
Pourquoi?
Parce que le fait qu'il y ait des exilé/es politiques
dans leur pays était pour eux un problème interne,
surtout quand il s'agissait de communistes. Quand
Franco vivait, ils ont été obligés de nous admettre
et de nous concéder l'asile. Mais une fois que les
phalangistes ont caché leur chemise bleue et l'ont
mis à la lessive... à partir de là, même s’ils savent
qu'il s'agit d'un montage, tout en sachant qu'il n'y a
pas eu de rupture comme au Portugal ou en
Grèce : ils ont alors affirmé -du jour au lendemainque l'Espagne était passé d'un régime fasciste à
une démocratie, en réalité une monarchie imposée
par Franco, qui a toujours dit avoir tout laissé
ficelé et bien ficelé.
Il y a une anecdote qui s'est passé en France...
Après le résultat de ta première sentence, le
Président du Tribunal se trouvait dans la file
d'attente du supermarché avec ton avocate
française et elle lui avait demandé comment
est-il possible qu'il ait pu te condamner parce
qu'il n'y avait pas de preuves et que ton nom
avait à peine été mentionné durant le
jugement? Le magistrat lui avait répondu qu’il
s’était basé sur ce que lui avait indiqué la
Guardia Civil Espagnole, c'est vrai?
Oui, et ce qui surprend -de prime abord- c'est la
fameuse indépendance juridique, non seulement
des juges vis à vis du Gouvernement mais, du fait
que les juges français sont de véritables
marionnettes qui font absolument tout ce que leur
dit de faire la police d'autres pays. Il est clair que
l'on ne te condamne pas pour tes papiers mais par
des pressions politiques que ne sont pas écrites.
En plus, ils se sont tellement focalisés sur Manuel
qu’ils ont oublié le reste, surtout les femmes. Ils ne
nous ont même pas posé de questions. On dirait
qu'ils pensaient que nous n'avions rien à dire.
Mais après la peine a été collective, tous avec la
Mais il y a des gens qui ne croient pas à ces
choses. Par exemple que Josefina García
Aramburu -en ayant fait sa peine dans son
intégralité- continue a être en prison [1]. Qui
est-ce qui ment? <[1] À l'heure actuelle Fina est
en liberté, depuis le 12 février 2008, après avoir
passé -au total- 24 ans de sa vie en prison.>
Pour la plupart des gens, il est difficile de croire
que Fina soit jugée pour les même choses, ici, en
Espagne, tout en sachant qu'elle a déjà été jugée,
condamnée et qu’elle a réalisé toute sa peine, en
France. Mais il n'y a pas qu'elle, il y a aussi tou/tes
les autres camarades qui sont dans cette même
situation d’illégalisation déjà résolue par le
Tribunal Suprême. Le Ministre de l'Intérieur
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communisme est des plus douteux: il l’est
uniquement dans les paroles et pas dans les faits.
Espagnol considère qu'en France, ils ont fait trop
peu de temps en détention. Il s'est passé la chose
suivante: dans l’État Français, notre sentence fut
scandaleuse car -du fait qu'elle soit collective- elle
a été très critiquée dans les milieux juridiques
français. C'est pour cela qu'ils ont fait une peine
en deux étapes: dans un premier temps, ils ont
gradué les peines mais cela est apparu insuffisant
pour l’État Espagnol. C'est pourquoi ils se
dépêchent de la maintenir en prison préventive,
c'est-à-dire de la maintenir emprisonnée quatre
ans de plus qui -additionnés aux quatre déjà
passés en France- feront 8 ans lesquels
finalement, correspondent à la condamnation que
l'on te donne pour le fait d'être communiste.
As-tu perçu du harcèlement, des filatures, de la
vigilance ou des menaces en sortant de
prison?
La vigilance existe mais je me suis proposée de
ne plus passer ma vie à regarder derrière moi. Le
harcèlement s'exerce sur le milieu familial. Hier,
nous avons diné avec un groupe d'amis et de
personnes de ma famille et l'un d'entre eux s'est
retrouvé avec les roues de sa voiture crevées.
Après, il m'a raconté que -quelques jours
auparavant- on lui avait cassé les vitres. A part ça,
il y a aussi les classiques appels au milieu de la
nuit avec des menaces...
Il me paraît curieux que tu ais reçu plus de
solidarité venant de l'extérieur que de
l'intérieur même de l’État espagnol, tu
l'attribues à la peur?
Je ne crois pas que ce soit ça; il n'y a pas eu plus
de solidarité à l'extérieur qu'ici. Ce qui se passe,
c'est que celle de l'extérieur est plus visible. Mais
effectivement, dans celle de l'intérieur, il y a de la
peur et elle ne s'exprime pas ouvertement.
Alors, la clandestinité est-elle forcée? Ici on ne
peut rien faire librement?
La vérité, c'est que l'on te pousse à ça. C'est peu
intelligent de leur part. Ce qu'ils essaient de faire,
c'est d'empêcher la tendresse des gens quand tu
sors, le soutien et la solidarité... On veut que tu te
sentes seule, ce qui entre nous est un échec total
car même s'il y en beaucoup qui ne partagent pas
tes idées, ils sont avec toi, même ces gens-là
nous soutiennent.
Mais elle existe?
Elle ne se manifeste pas ouvertement. Ici, même
les organisations vraiment solidaires -comme le
Secours Rouge International- sont poursuivies.
C'est pour cela qu'il est plus facile pour une
organisation de l'extérieur de s'exprimer qu'une
organisation d’ici, car ici on te lie immédiatement
avec d'autres organisations, tu es fiché et on
t'inclut comme faisant partie de celles-ci. Être
solidaire d'un prisonnier politique -concrètement
avec nous- suppose d’être poursuivi/es. J'ai été
surprise durant cette année de prison dans l’État
Espagnol: bien qu'il existe tout type de filtres et de
censures, on ne te donne jamais une lettre sans
expéditeur... Alors tu te rends compte que
beaucoup de personnes t'écrivent sans mettre
d'expéditeur, mais on ne te donne pas les lettres.
Ils veulent se solidariser mais ils ont à juste raison
peur de s'identifier. Les dernières mesures
répressives sont dirigées contre ceux qui sont
autour et cela provoque une pression énorme.
20 ans de clandestinité, 7 ans de prison, quelle
est ta perception de la rue? Tu t'attendais à
trouver les choses comme ça?
Attends que je fasse mes comptes... ça a été au
total 22 ans de clandestinité et 12 en prison. Je ne
m'y attendais pas car je ne pensais pas sortir.
Mais oui, ça m'a fait un choc, pas comme la
dernière fois. Mais il faut dire que "l'autre fois" ça
été cinq ans et maintenant, cela représente
beaucoup plus d'années si l'on additionne les 15
ans antérieurs de clandestinité et d'exil, loin de la
vie quotidienne en Espagne.
Qu'est ce qui t'as le plus surprise? L'euro? Le
téléphone portable? Internet?
Tout cela n'existait pas, quand on m'a arrêté. Bon,
le téléphone portable et Internet n’étaient pas si
répandus qu’aujourd'hui. Les changements
techniques ne me surprennent pas mais plutôt le
consumérisme. C'est une dérive. Certaines fois,
au cours de la nuit, la littérature ouvrière du siècle
antérieur me revient en mémoire: quand le
patronat -surtout dans les entreprises minièrespayait les ouvriers avec des ‘bons’ et ils avaient
l'obligation d'acheter uniquement dans les
cantines de leur entreprise. Ainsi, l'argent ne
passait pas entre les mains des travailleurs.
Maintenant, j'ai l'impression que c'est la même
chose. Le salaire des ouvriers se dépose
Mais je parlais d'organisations...
Je ne vais pas qualifier les organisations que tu
sous-entends. Mais il me paraît incroyable qu'une
organisation qui se déclare communiste ne soit
pas solidaire avec des communistes emprisonnés.
Non seulement il existe de la peur; mais il existe
quelque chose de plus.. Si une organisation qui se
déclare communiste n'est pas solidaire avec les
prisonniers communistes, cela signifie que son
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modules différents: pour que tu ne voies personne,
pour que tu ne parles à personne. Il leur est plus
difficile de le faire avec les prisonnier/ères
politiques Basques car ils/elles sont plus
nombreux/euses et ils/elles finissent par se
rencontrer dans des modules carcéraux mais avec
nous, ils réussissent à nous maintenir –un/e par
un/e- sans que l’on se rencontre jamais dans une
même cellule. Durant les années 80, nous étions
réuni/es mais maintenant ils ont éliminé la vie, le
travail et l’étude en commun. L’isolement est très
différent. De toute façon, ils ont entamé cette
politique pour liquider, démoraliser et noyer
psychologiquement les prisonnier/ères politiques y compris à un niveau humain- pour les convertir
en animal de cirque ou en marionnettes qui leur
baisent les pieds. Et ils l’ont pas réussi. La preuve,
c’est que ceux/celles qui sont sorti/es -après 20
ans de détention- l’ont fait avec le moral très haut
et ils/elles se sont réincorporé/es immédiatement à
la lutte.
immédiatement: ou bien à la banque pour payer
les dettes et hypothèques, ou bien, dans les
grands centres commerciaux. Pourquoi? Parce
que le capital a besoin de se reproduire et de
s'agrandir constamment, en créant de nouveaux
produits dont la plupart sont superflus. Mais ils
deviennent des nécessités quotidiennes. Même
s’ils ne sont pas nécessaires, les gens ne peuvent
plus s'en passer. Maintenant les plus jeunes
vendent leur force de travail de manière anticipée.
Comme avant. Comme au cours des siècles
précédents, ils consomment plus que ce qu'ils
gagnent et les ouvriers s'endettent. Ainsi le capital
soumet les ouvriers. Ils dépendent de l'entreprise
à vie et ils ne peuvent pas arrêter de travailler. Si
cette chaîne se casse, l'ouvrier se converti en un
déchet de la société.
A Bapaume, tu as été dans une prison privée
de l’État Français, elles se différencient
beaucoup des prisons Espagnoles?
En France, il n’existe pas de prison entièrement
privée comme aux États-Unis, bien que la
tendance soit à la privatisation. Ici, les prisons
pour accomplissement des peines sont semiprivées. Autrement dit, la partie correspondante à
la sécurité et la vigilance revient à l’État et tout le
reste est géré par une entreprise privée dont
l’objectif -en tant que telle- est le gain comme
n’importe quelle entreprise capitaliste. La
différence, c’est qu’ici un/e prisonnier/ère
indigent/e mène une vie terrible parce que tout doit
être acheté et que tout est très cher. On peut
acheter de tout, y compris les meubles pour la
cellule. On peut faire la cuisine et faire venir ce
qu’on veut de l’extérieur pour manger. Mais
uniquement en payant et l’entreprise qui gère la
prison garde une partie de cet argent. Déjà, dans
les ateliers des prisons étatiques -Françaises ou
Espagnoles- l’exploitation est féroce. Et si on parle
non seulement de l’atelier, mais aussi de toute la
prison la situation est terrifiante. Ils payent des
salaires de misère. A propos du département des
femmes de la prison de Bapaume, une chose très
curieuse, c’est de voir le spectacle quotidien de la
vente de la force de travail avec presque une
centaine de détenues. Dans une prison publique
tout le monde va aux ateliers et s’il n’y a pas de
travail: ils ne t’appellent pas. Mais dans les prisons
privées, les détenues se rassemblent à 8 heures
du matin à la porte du module -à moitié endormies
et préparées pour aller travailler- et la responsable
sélectionne, une à une, celles qu’elle va employer.
Tu as passé la majeure partie de ta
condamnation dans les cellules d’isolement :
comment ça se passe dedans?
Non, la majeure partie, non. En France, le régime
préventif est très sévère pour tout le monde,
spécialement pour les prisonnier/ères politiques.
En Espagne, je suis restée tout le temps en
isolement. Par rapport aux cellules que j’ai
connues dans les années 80, elles ont beaucoup
changées. Ils ont affiné la politique répressive en
commençant par la dispersion des prisonnier/ères
politiques
en
appliquant
les
fameuses
classifications, grades, états de dangerosité, etc...
Dans la dispersion, ils ont réussi à maintenir les
prisonnier/ères politiques isolé/es dans des
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Régime. Après ces manifestations, ils disparurent.
Il se sont mis y compris dans le PSOE qui
n’existait pas quand j’étais à l’université. Le PSOE
a surgit de tout ces groupes. En 1971, le PSOE
était à Toulouse et il était composé d’anciens
restés vivants après la guerre. Dans les fabriques,
ces groupes de Gauche nous dénonçaient. Ils
disaient que nous voulions provoquer un coup
d’État pour revenir à la situation antérieure. Avant,
la répression était généralisée; elle les affectait
eux aussi mais par la suite elle commença à se
focaliser sur nous et ils applaudissaient... Ils
passèrent du discours sur la dictature du
prolétariat à l’acclamation de la dictature fasciste.
Dès lors que le Régime leur donna un petit poste,
ils se mirent bras dessus, bras dessous avec lui.
C’est un marché miniature de la force de travail:
identique aux journaliers en Andalousie. Celles qui
ne sont quasiment jamais sélectionnée –comme
les plus vieilles- ne disposent que de 40 euros par
mois avec lesquels elles ne peuvent pas survivre.
A Bapaume, il faut travailler toujours debout parce
qu’ainsi on travaille plus. Le problème, c’est
qu’avec les salaires de l’immigration, le travail en
prison n’est plus autant rentable parce qu’au
dehors les immigré/es le font pour un salaire
équivalent. C’est pourquoi, on ne te donne du
travail en prison que si les détenu/es sont très
productives et rentables. Nous avons réussi à
survivre parce que notre entourage solidaire
français -conscient de que les prisons privées sont
plus chères- nous envoyait plus d’argent.
Approximativement, c’était le double des prisons
publiques –comme Fleury-Mérogis- et même ainsi
nous vivions avec un budget très étroit.
Tu faisais partie de la rafle du Comité Central
du PCE(r), en 1977, le jour-même de la
proclamation de la dernière Amnistie...
Comme date symbolique, ce fut une claire
démonstration de ce qui, dès lors, nous attendait.
Mais cette Amnistie n’a pas été générale parce
qu’une bonne partie des camarades détenu/es -y
compris auparavant- sont resté/es incarcéré/es.
Ensuite, il en résulta qu’il/elles furent condamné/es
pour propagande illégale, la même chose que
durant l’époque de Franco. Mais tout ces groupes
sont restés tellement satisfaits parce que la presse
fasciste disait qu’ils avaient détenus “l’état-major
des GRAPO”. Et quand ils nous transférèrent
devant le juge, de fait, nous avons inauguré
l’Audience Nationale et –le comble- c’est qu’il
s’agissait des mêmes juges que nous avions
connu durant le Tribunal de l’Ordre Publique, les
mêmes figures de la répression franquiste.
Comment t’es-tu incorporée à la lutte
antifasciste?
J’ai acquis progressivement une conscience
politique à l’université, jusqu’en 1969. Quand je
me suis incorporée, il y avait un mouvement
étudiant assez radical et ample.
J’étais
simplement antifasciste. Par la suite, je me suis
rendu compte des différences entre les groupes
politiques et j’ai appris à reconnaître les
révisionnistes. J’ai découvert que leurs idéaux
étaient éloignés des idéaux communistes et qu’ils
pensaient uniquement à s’intégrer dans le
Régime, après avoir donné quelques répliques
pour sauver la façade. Une des premières choses
qui a attiré mon attention a été leur politique de
réconciliation
nationale.
Il
me
paraissait
inconcevable qu’ils prêchent la réconciliation avec
les bourreaux, ceux qui avaient maintenus le
peuple sous la terreur durant 40 ans. J’ai connu
l’OMLE
[Organisation
Marxiste-Léniniste
Espagnole] et je m’y suis intégrée. C’était aux
alentours de 1971.
Comment est la vie clandestine? Certain/es se
sont imaginé/es que vous étiez toute la journée
planqué/es dans un trou en affutant vos
couteaux.
Les publicistes du Régime ont tout intérêt à
présenter la vie clandestine comme quelque chose
d’étrange pour démontrer que le/a clandestin/e est
déconnecté/e des problèmes quotidiens, que ce
sont des personnes étranges, bizarres. La vérité
est plus simple. La clandestinité a pour objectif
que la police ne contrôle pas ton travail politique.
Une fois que tu es hors de son contrôle, tu mènes
une vie normale comme le reste des gens. Tu vas
aux réunions, tu fais tes courses, tu vis dans une
maison louée... Si tu as le temps, tu vas au ciné
ou écouter de la musique, plus tu bouges et plus
ta vie est normale. La vie est quasiment la même
que
celle
de
n’importe
quel/le
autre
travailleur/euse.
Quels souvenirs gardes-tu de la “transition”?
J’en conserve deux très nets. Un: la quantité de
groupes qui constituaient ce que nous appelions le
mouvement domestiqué de Gauche. Ils étaient
très radicaux par la parole, ils parlaient sans cesse
de la dictature du prolétariat dans les assemblées,
quand les gens -en réalité- avaient d’autres
problèmes. Ensuite, il se sont intégrés à la légalité
pour disparaître immédiatement. Ce fut une chose
curieuse. Deux: leur réaction devant notre nonintégration, les fameuses manifestations contre ce
qu’ils appelaient le “terrorisme” qui en réalité
étaient des manifestations contre nous tous/tes qui
ne pouvions avaler le changement en façade du
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m’avaient détenue durant la matinée et j’étais
restée quasiment un jour entier au commissariat.
Plus tard, ils m’emmenèrent de nouveau à la Vía
Layetana, ils m’étendirent au sol et commença
alors une session de coups de poings dans les
muscles, le ventre et les seins, jusqu’à ce qu’ils se
fatiguent. Déjà, je ne pouvais plus marcher. Ils me
mirent dans une voiture et ils m’emmenèrent à
Madrid. Mais le fait d’avoir été auparavant à
Barcelone n’était pas mentionné. A l’arrivée, un
traumatologue et toute une équipe médicale
m’attendaient. Le traumatologue qui s’était
présenté comme l’un de ceux qui travaillait pour le
Real Madrid m’a fait des radiographies et il m’a
plâtré un pied. Ils m’ont étendue au sol dans une
couverture et ils ne m’ont plus touchée durant les
neufs jours restants. La Loi antiterroriste qui fixait
la durée de détention à 10 jours avait déjà été
approuvée. Dans mon cas, j’avais été détenue
durant 11 ou 12 jours mais ceux de Barcelone ne
comptaient pas, ainsi tout restait légal. En arrivant
à la prison, j’étais noire comme une africaine dans
toutes les parties du corps où j’avais de la chair.
De telle sorte que le médecin prit parti.
Maintenant, ils le font de façon plus sophistiquée:
avec des électrodes et d’autres méthodes qui ne
laissent pas autant de traces. Mais à l’époque, tout
leur était égal. Ils menaient une campagne sur le
changement et quasiment personne ne voulait en
savoir plus. En France, c’est différent, plus
psychologique. Ils ne te touchent pas mais tu es
“sonné/e” parce qu’ils ne te laissent pas dormir,
durant les quatre jours de détention. Du Ministère
de l’Intérieur où ils t’interrogent, ils t’emmènent
dans de petits commissariats proches qui se
remplissent de prostitué/es et de petit/es
délinquant/es où tu passes les nuits assis/e sur un
banc. Comparé à la Police Espagnole, le
traitement français paraît raffiné à l’extrême.
Durant ton passage par les commissariats estce qu’ils t’ont torturée?
Lors de ma détention à Benidorm, en 1977, ils
nous ont transférés à Alicante et de là jusqu’à
Madrid, en quelques heures. On allait chacun/e
dans une voiture, recouvert/es de cagoules avec
un policier de chaque côté. Je remarquais qu’il
pleuvait et que celui qui conduisait était novice.
Les autres policiers lui disaient de faire attention et
j’allais les mains menottées derrière le dos, durant
tout le voyage. La voiture a fait un tour brusque et
je me suis cognée la tête. Grâce à cela, ils ne
m’ont pas beaucoup battue. Ils m’ont changé de
voiture en me passant les menottes devant. A
cette époque, comme nous étions déjà en
“démocratie” on ne pouvait être que trois dans un
commissariat. Ils nous emmenèrent à l’Audience
Nationale. Je passais devant le juge CHAPARRO celui du Tribunal de l’Ordre Public franquiste- qui a
prorogé ma détention quelques jours de plus pour
nous remettre aux mains de la police. Il s’agissait
d’une manœuvre pour contourner les nouvelles
Lois. Tu y allais tellement content/e en pensant
que tu passais en prison et soudain tu te
retrouvais de nouveau à la Puerta del Sol, à la
Direction Générale de Sécurité. Retour aux
interrogatoires. Ils prolongèrent la détention
quelques jours de plus, au total sept. Par la suite,
ils légaliseront la prorogation des détentions: ils
feront la même chose mais sans passer devant le
juge. La seconde détention a eu lieu à Barcelone,
le 1er octobre 1980. Les cinq militants des GRAPO
de Zamora venaient tout juste de s’enfuirent et ils
pensaient que je savais où ils se cachaient. A cette
époque, ils commencèrent à utiliser quelque chose
qui peut se qualifier de disparition. En t’emmenant
à la Via Layetana, ils ne t’enregistraient pas et ils
ne te photographiaient pas. Officiellement, tu
n’étais pas détenu/e. Ils te mettaient dans un
réduit préparé avec la barre. Ils te suspendaient à
elle, la bouche en bas et ils te rouaient de coups
sur les plantes des pieds et à la tête. J’ai perdu la
notion du temps. Quand je n’ai plus rien senti, ils
m’ont descendue jusqu’au sol parce que cela
n’avait plus de sens de continuer à me battre. Ils
ont appelé un médecin qui leur a dit de
m’emmener à l’hôpital. Ils m’ont transférée jusqu’à
une petite clinique de la zone du port, à Pere
Camps. J’ai repris conscience et je me suis rendu
compte qu’ils m’inscrivaient sous un faux nom. Le
médecin était un vieux collaborateur de la police
habitué à faire ce sale travail parce que j’ai
entendu qu’il leur disait de cesser de me frapper à
la tête et aux pieds. L’infirmière qui était une sœur
m’a conseillée d’obéir à la police comme ça il ne
m’arriverait plus rien. Les souvenirs sont confus
quant au temps mais j’ai pu voir l’heure: ils
Certains collectifs ne comprennent pas la
réalité de la répression parce qu’on leur
permet de réaliser un travail politique légal.
Pourquoi?
Cette question, c’est à eux qu’il faudrait la poser.
Pour moi, il me paraît évident qu’ils nous mettent
en détention parce que nous représentons un
danger pour le Régime, dans le cas contraire, ils
nous laisseraient faire notre travail. S’ils se sont
engraissés avec nous c’est parce que le Régime
ne peut admettre l’existence d’un vrai Parti
Communiste.
Autant de sacrifice personnel vaut-il la peine
d’être réalisé? Il semble que la répression se
répartisse entre peu de personnes mais elle en
touche encore plus...
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Oui, cela c’est l’une des différences avec la
dernière époque de Franco. Il y avait alors
beaucoup de répression mais comme il y avait
aussi de nombreux/ses travailleur/euses et
antifascistes en lutte, c’est comme s’ils en
prenaient moins. Aujourd’hui, c’est différent. La
répression
s’est
concentrée
sur
peu
d’organisations. A savoir si cela vaut la peine..
Quand quelqu’un s’incorpore à la lutte, il/elle ne
peut tenir compte de la répression comme quelque
chose de personnel. La lutte ne peut non plus
s’estimer en fonction de quelques résultats
tangibles, immédiats. De plus, le mot sacrifice ne
me plaît pas. Tu ne te sacrifies pas dans le sens
que la culture judéo-chrétienne donne à ce mot.
Evidemment cela coûte: tu ne vois pas grandir tes
enfants, tes parents meurent et tu l’apprends
après-coup... Cela fait souffrir et beaucoup. Pour
moi, il me paraît inconcevable d’avoir des idéaux,
de croire qu’il faut faire quelque chose et de ne
pas le faire, par commodité. Je serais incapable de
me regarder dans le miroir. Je ne conçois pas de
penser d’une manière et d’agir dans un autre
sens, de ne pas faire ce que l’on croit, de ne pas
faire ce que l’on doit faire. Vu ainsi, ce n’est pas un
sacrifice.
COMITÉS POUR UN
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14080 <[email protected]>
CÁDIZ (Andalousie) <[email protected]>
Comment se présente le futur?
Tout le contraire de ce que disent les publicistes
bourgeois. Le fait qu’il n’y ait pas de futur, ce n’est
pas certain. Cette question se relie à la tienne au
début sur la situation dans laquelle se trouve la
classe ouvrière en général, tout comme les autres
couches sociales. On sent que tout cela arrive à
sa fin, qu’un cycle arrive à sa fin. Les choses vont
s’accélérer. Cela peut être encore supporté mais
jusqu’à la chaîne est en train de se rompre. Et elle
ne va pas se rompre seulement pour quelquesun/es mais pour des millions. Cette conscience en
sommeil se réveillera. Cela se palpe. Cela ne peut
pas se passer d’une autre façon. Dans le
capitalisme, il n’y a aucune issue. Il a donné de lui
tout ce qu’il pouvait donner. Les prochaines
années qui nous attendent vont être très
convulsives. C’est ce que nous annoncent les
capitaines des finances internationales bien qu’ils
le cachent sous une marée de chiffres et de
données. La crise qu’ils soulèvent va empirer et
elle va éclater au niveau économique, social et
politique. Les travailleur/euses ne vont pas avoir
d’autre solution que de s’organiser et faire face.
24 DÉCEMBRE 2007
(État français) <[email protected]>
(État italien) <[email protected]>
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informations. Aide-nous à les distribuer et
collaborer dans la création et l’extension de
nouveaux Comités dans ta localité. Distribue les
informations et dénonciations dans ton quartier,
localité ou région. Aide et collabore avec la
solidarité antifasciste et internationale !
NAZIOARTEKO LAGUNTZA GORRIA
SOCORS ROIG INTERNACIONAL
SOCORRO ROXO INTERNACIONAL
SECOURS ROUGE INTERNATIONAL
SOCORRO ROJO INTERNACIONAL
[Février 2010, édition en français
par contactSRI-Baiona]
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