Parti de rien, j`ai gagné mon Escalade
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Parti de rien, j`ai gagné mon Escalade
2 Evénement Tribune de Genève | Lundi 5 décembre 2016 Evénement 3 Tribune de Genève | Lundi 5 décembre 2016 Course à pied Tadesse Abraham, héros mo derne d’une Escalade de feu La 39e édition a réuni près de 40 000 participants et plus du double de spectateurs. Au cœur de ce tte formidable liesse populaire, le coureur genevois a tenu une fois encore le rôle principal. «Parti de rien, j’ai gagné mon Escalade» L’essentiel U Au sprint Genevois d’adoption, Tadesse Abraham a défendu son titre au prix d’un finish étourdissant. Un bonheur au dixième de seconde près! U A couper le souffle Cette 39e édition a fait courir une foule record. Parmi elle, notre reporter néophyte. Récit vérité au cœur du peloton. UA la folie La Course de l’Escalade, on l’aime plus que jamais. Sans restriction, des marmots aux bénévoles. En 2017, ils remettront ça, plus nombreux encore. Un vrai bonheur et un casse-tête… Après huit semaines d’entraînement suivi en vidéo, j’ai participé pour la première fois à la course. Entre galère et jubilation. Récit Pascal Bornand La foulée du Père Noël C ’était un pari, une manifestation née un peu dans l’insouciance. Libre comme l’air mais plutôt collée aux pavés. Puis, très rapidement, à grandes foulées, elle est devenue une course en quête de hauteur, et pas seulement parce qu’elle s’était approprié le nom patrimonial cher aux Genevois. Depuis, l’Escalade (on en oublie presque le mot course) n’en finit pas d’atteindre des sommets, de les dépasser. Superlative et hyperactive. Consciencieuse et canaille. Genevoise jusqu’au bout des lacets. Mise sur orbite la veille par 8000 marcheurs luminescents, sa 39e édition a connu samedi une nouvelle poussée de fièvre. De quoi réchauffer la grisaille. 40 000 coureurs qui soufflent le chaud et plus du double de spectateurs qui applaudissent le show, ce spectacle de rue qui associe dans une même communion les anonymes heureux et les champions d’aujourd’hui et de demain. Papa, maman, la bonne et moi, tous des héros. «Un formidable ambassadeur» Mais parce qu’il faut bien une figure d’exception, l’Escalade a désigné son héros moderne, un lointain descendant du pétardier Picot! Il se nomme Tadesse Abraham et une fois encore, il a mis le feu aux poudres et fait battre les cœurs. «Il m’a vendu du rêve», s’extasie une groupie anonyme, admirative du style et de la prestance du coureur suisse. Plus solennel mais tout aussi enthousiaste, JeanLouis Bottani loue son charisme. «Pour nous, c’est un formidable ambassadeur», s’exclame le patron de la course. Les barrières sont tombées. La victoire serait-elle aussi renversante qu’un coup de bélier? Samedi, dans la liesse des Bastions, loin de ce débat identitaire, Tadesse Abraham savourait la défense de son titre. «Le public m’a porté! Je suis fier de Genève. Et un peu de moi aussi!» s’écriait le marathonien d’origine érythréenne, établi au bout du lac depuis cinq ans. Le Père Noël est un coureur Si l’habitant des Cropettes a mis la République à ses pieds, il lui a fallu d’abord mater l’insolente jeunesse d’un rival inattendu, presque tombé du ciel! En fait, Awet Habte (19 ans) débarquait d’Allemagne et il n’avait rallié Genève en voiture que nonante minutes avant le coup de canon du départ! «Fatigué par le voyage», dira ce mercenaire des temps modernes, enrôlé par une entreprise japonaise dont il ne connaît pas la raison sociale! Encore évasive, sa réputation l’avait précédé. On ne se classe pas 2e du 10 km de Berlin (en 28’18) par hasard. C’est encore moins par accident que le jeune Erythréen a résisté aux incessantes accélérations de Tadesse Abraham et qu’il a bien failli lui voler la vedette à Contrôle qualité dement en branle. Un dernier regard pour le coach. Sa présence se veut rassurante. Dans les faits, elle s’ajoute à la pression ambiante. La peur de décevoir sans doute. La dernière sortie répétition mardi s’était conclue sur une forte envie de vomir et un piteux abandon. Un souvenir encore vif et douloureux. Frédéric Thomasset Le jour J, enfin. Deux mois que je vis avec l’Escalade dans la tête et dans les jambes. Un projet pour le travail. Une série vidéo réalisée par Georges Cabrera – à retrouver sur www.prepaescalade.tdg.ch – dans laquelle un journaliste en manque de forme doit se frotter à la préparation d’un coach sportif en vue de la course. Ma première sur les pavés de la Vieille-Ville, face caméra qui plus est. Durant ces huit «A la mi-course, Johann Ferré regagne la place du Bourg-de-Four. Au milieu des spectateurs, difficile de l’apercevoir. En revanche, on l’entend. «Allonge! Allonge!» La foulée, je suppose. Je m’exécute. Le coach serait-il inquiet?» Une course à deux vitesses Il y a l’Escaladélite, qui va à fond de train. Le jeune Erythréen Habte mène encore le train mais Tadesse Abraham (devant Julien Wanders) le coiffera au poteau. Et il y a l’Escalade, qui court à son rythme, comme Frédéric Thomasset, le reporter néophyte. La foule a choisi son favori mais elle applaudit tout le monde. GEORGES CABRERA La première montée est avalée. Le rythme est soutenu, mais impossible de ralentir. Le peloton est compact. Le plat des abords de la promenade Saint-Antoine est l’occasion de reprendre son souffle. Je dois trouver mes marques. La foulée de l’homme au bonnet de Père Noël agit comme un métronome. Je lui emboîte le pas. «Un virage, ça se prend à la corde, c’est toujours quelques mètres de gagnés.» Dans la tête, les consignes du coach fusent. Pas le temps de se poser des questions, il faut les appliquer. Alors je plonge dans la courbe. Problème, les autres font de même. Les jambes s’entremêlent, la chute est miraculeusement évitée. La petite frayeur fait office de détonateur. La poussée d’adrénaline réchauffe le corps. Le tour se termine sans encombre. Premier passage par la place Neuve et les Bastions. Premier bain de foule. Encouragements bienvenus avant d’affronter la montée de Saint-Léger. Difficulté majeure du parcours, cette côte peut décider à elle seule de la réussite ou non de son Escalade. Le coach le sait, il lui a d’ailleurs dédié quatre séances d’entraînement, pour un total de 25 ascensions. La 26e est une formalité. La préparation a payé. Le torse bombé, le ventre rentré «Tadesse Abraham a un talent fou, le sens du spectacle et un charisme exceptionnel. Pour Genève et la Course de l’Escalade, c’est un formidable ambassadeur» Jean-Louis Bottani Président du comité d’organisation l’issue d’un sprint final étourdissant. Le bonheur tient parfois à un fil. Pour le Genevois, il s’est joué au dixième de seconde près, en se jetant sur le ruban d’arrivée comme un mort de faim. Mais ne lui dites pas que son succès est inespéré! «Ma force, c’est mon mental. Jusqu’à la ligne d’arrivée, je ne lâche rien», explique-t-il. Pour triompher sur le tapis rouge des Bastions, il a juste dû battre son record du monde du 100 mètres! Après Bâle et avant de poursuivre sa tournée à Sion, Zurich et Bolzano, le champion d’Europe du semi-marathon continue ainsi de remplir ses objectifs: affûter sa vitesse terminale et mettre du beurre dans ses épinards. «Grâce à ces courses urbaines, je deviens le Père Noël pour ma femme, mon fils et moi-même», s’émerveille-t-il. C’est une campagne de crowdfunding réussie qui lui permettra de financer cet hiver son prochain camp d’entraînement à Addis-Abeba. Plus que jamais, «Tade» a le marathon de Londres (23 avril) et le record d’Europe dans sa ligne de mire. Gare à Julien Wanders! Cette course, qui respire à plein poumon, inspire de belles ascensions, comme celle de Julien Wanders, un fils de l’Escalade et un disciple de Tadesse Abraham. C’est ici que l’espoir du Stade Genève (20 ans) a porté son premier dossard. «Je devais avoir 5 ans. Elle m’a fait grandir, elle m’a fait rêver», se souvenait-il dans l’aire d’arrivée. Samedi, il l’a retrouvée après quelques années d’infidélité à courir les champs de cross. «J’avais un peu oublié qu’elle était aussi dure…» Longtemps, avec bravoure et bravade, le champion suisse du 5000 m a tenu tête aux meilleurs avant de lâcher prise au Bourg-de-Four. Sa 4e place, à 12 secondes des premiers, est un gage d’avenir. «Dans deux, trois ans, il gagnera l’Escalade, prédit Tadesse Abraham. Il a le talent pour et il s’en donne les moyens.» En janvier, c’est vers le Kenya que Julien Wanders s’envolera à nouveau… Gracieuse et impériale gagnante de l’épreuve féminine pour la deuxième fois d’affilée, l’Ethiopienne Helen Bekele a quant à elle fait son nid à Genève. L’Escalade, on y vient, on y revient et on y reste à demeure! Les larmes de Pedro et le métier des bénévoles A croire que la moitié du canton a mis son réveil à l’aube. Une déferlante humaine converge vers les Bastions à 9 h déjà. La place Neuve est noire de monde, les passerelles d’accès sont prises d’assaut, des flux continus de spectateurs surplombant le site et les Bastions qui n’en finissent pas de se remplir. On n’a jamais vu une telle foule, compacte et fervente, à l’entame de l’Escalade. L’épicentre se situe comme à chaque fois aux abords de la rue de la CroixRouge. Les courses s’enchaînent à un rythme soutenu, les bénévoles sont partout aux affaires. Ils dominent par la taille les poussines au départ. Meneurs d’allure, escorte rassurante et consolatrice. Pedro, 8 ans, pleure seul dans son coin. Le numéro de téléphone familial inscrit derrière son dossard le ramène dans les bras de ses parents. Gros coup de doute. «Pourquoi tu ne veux pas courir?» lui demande la dame en chasuble jaune. Réponse entre deux sanglots: «Parce qu’il y a trop de monde…» On le comprend, Pedro. Les mots de sa mère lui arrachent un sourire: le voici au départ, à lever les mains au milieu de ses camarades sur la musique de Stromae. Ambiance de feu, les mines endormies se réveillent d’un coup. La voix du speaker fédère les énergies enfantines, tout en distillant ses ultimes consignes: «Est-ce que vous avez tous vos lacets bien attachés?» Acquiescement collectif: «Ouiiiii!» La suite, martelée en boucle, sert à prévenir les chutes: «Courez droit devant vous, ne vous bousculez pas.» Les filles ont le départ plus discipliné que les garçons, pressés d’en découdre, piétinant d’impatience au pied des footballeurs américains formant la classique, mais drôlement nécessaire, ligne de protection. A l’arrivée, les rivalités se sont décantées. Les meilleurs sont loin devant. Les perdants retrouvent les larmes de Pedro. Gros coup de blues pour certains. Les bénévoles, une fois encore, jouent les accompagnants sensibles jusqu’à la distribution des cadeaux (un petit sac à dos plié dans une pochette flanquée du logo de la course) et des inévitables bananes, fermes dans leur mûrissement, jaunes et belles comme cet adolescent aux cheveux couleur pop qui a rejoint cette armée de volontaires. Ils sont plus de 1000 aux affaires, déployés sur tous les fronts, chaque année l’Escalade raffine dans l’anticipa- tion. On a l’impression qu’aucun poste n’a été oublié. Organisation vraiment remarquable. Dans l’aire d’arrivée, ils se serrent la main, se congratulent, le verbe clair et délié. Une camaraderie supérieure, comme la catégorie dans laquelle ils viennent de courir. L’élite montre l’exemple, pendant et après l’effort. Ces coureurs-là, garçons et filles, ont survolé les débats, profitant à plein de la ferveur populaire qui n’a pas fléchi tout au long de la journée. A 18 h, au moment où les retardataires achèvent leur dernier tour, la manifestation sportive prend des allures de carnaval. Les costumés de la course de la Marmite envahissent la place Neuve. Des ailes leur ont poussé dans le dos, des méduses éclairées coiffent leurs têtes, les corps s’effacent sous des déguisements de toutes sortes. C’est joyeux, inventif et drôlement applaudi. Ils sont près de 3000 inscrits dans cette catégorie où seule compte l’imagination. En queue de peloton, une vingtaine de participants en fauteuils manuels ou électriques. Foyer Handicap a envoyé son équipe, plus de 60 personnes et accompagnants. Une belle image pour clore cette édition d’exception de la Course de l’Escalade. Thierry Mertenat Contrôle qualité Chiffres et perspectives Avec 39 818 classés, la course s’est surpassée. En attendant un nouveau pic et un casse-tête en 2017! Hier, à l’heure du repas de clôture, les organisateurs de l’Escalade se sont offert un verre de limoncello pour arroser une «édition exceptionnelle, courue comme sur des roulettes». Mais pour le repos du guerrier, ils devront repasser! L’avenir de la course, cette 40e édition qu’ils souhaitent tous fêter l’an prochain en grandes pompes (le pluriel est ici de rigueur), c’est déjà aujourd’hui! «On en parle depuis longtemps, on en a rediscuté entre la poire et le dessert», confie Jean-Louis Bottani, déjà prêt à se retrousser les manches. L’immense travail qui les attend ne leur fait pas peur! Il est à la mesure du formidable succès qui a parachevé deux jours de marche triomphale et de course folle. Au total, 39 818 concurrents (sur 45 322 inscrits) ont fait de cette 39e édition un nouveau sommet de popularité. Soit 7,3% de plus que l’an passé. Boostée par le walking, la participation des femmes (52,7%) est toujours plus imposante. Déjà approuvé l’an passé, le réaménagement des courses (par blocs d’allure et mixtes) a été reconnu d’intérêt général. «Même s’il suppose quelques entorses à la liberté de courir qui est notre credo», précise Jean-Louis Bottani. Avec un meilleur étalement des courses et une plus forte occupation de la place Neuve, l’Escalade gère ainsi mieux son envahissante densité de population. Mais sera-ce suffisant pour absorber une nouvelle poussée démographique, inévitablement attendue l’an prochain avec le retour de la Course du Duc? Ou faudra-t-il précipiter le plan de secours, jugé inéluctable, en déroulant la manifestation sur deux jours complets? Le casse-tête est sur la table, c’est le menu d’un groupe de travail chargé de préparer les festivités du 40e. Pour Jean-Louis Bottani, tout est encore ouvert. «Il faudra soupeser les avantages et les inconvénients. Tenir compte des contraintes et des surcoûts qu’entraînerait un passage au dimanche.» La Course du Duc sera au cœur des débats. Son succès prévisible (8000 partants?) aura certes le mérite de dégonfler les pelotons de l’Escalade, mais elle posera de sérieux problèmes d’acheminement des concurrents à Régnier! Si elle part bien de France voisine, vu la crise sécuritaire persistante. «On a reçu un O. K. de principe. Mais là aussi, on a un plan B», conclut l’organisateur. P. B. semaines, les gammes ont été répétées, chaque pente scrupuleusement étudiée et les moindres courbes du parcours épousées. De quoi se présenter sur la ligne de départ gonflé à bloc. Mais là, la caméra se met à tourner. Dernier épisode. Je reste sur place, cloué par le trac, les doutes. Une première. Et si j’échouais? Course 4 bloc C Alors je sautille, tente de me réchauffer et cherche le regard de mes voisins pour me rassurer. Les «Hommes course 4 bloc C», ces coureurs qui ont décidé de boucler les 7,323 km de course en une quarantaine de minutes. L’objectif fixé par Johann Ferré, coach chez Sport Quest, dont le regard bienveillant me couve du haut de la Treille. «Fred, glisse-toi aux avantpostes, il faut rapidement t’extirper du peloton.» Le conseil est judicieux, encore faut-il en avoir les capacités. Pourquoi douter? J’ai tout donné pendant deux mois. Trois entraînements hebdomadaires: deux séances de fractionnés – des sprints successifs adaptés au tracé court et intense de l’Escalade – couplées à une séance d’endurance. Des exercices adaptés à mon état physique du moment et basés sur un test VMA (Vitesse maximale aérobie). Oui mais en parallèle, il y a eu tous ces excès: les hamburgers, les pizzas, les soirées trop arrosées… On regrette l’hygiène de vie, mais il est trop tard. Il est 13 h 57 et le top départ retentit. Sur la pente de la rue de la CroixRouge, la masse de coureurs se met rapi- A la mi-course, Johann Ferré regagne la place du Bourg-de-Four. Au milieu des spectateurs, difficile de l’apercevoir. En revanche, on l’entend. «Allonge! Allonge!» La foulée, je suppose. Je m’exécute. Le coach serait-il inquiet? Devant moi, le Père Noël a filé depuis longtemps. Trop rapide, à moins que je ne sois trop lent… Les souvenirs du troisième tour se brouillent. J’aime imaginer mon sprint final, le torse bombé et le ventre bien rentré. Une photo finish pour l’histoire. Je n’ai pas encore vu les images de la dernière vidéo, mais elles risquent de me donner tort. Peu importe, le sourire du coach à l’arrivée était bien réel. «36 minutes, Fred! 36 minutes!» s’est-il exclamé en boucle, probablement soulagé. Le SMS de confirmation viendra quelques instants plus tard: 35 minutes 52. Ce n’est pas encore le temps de Tadesse Abraham, mais à mon niveau, difficile de faire la fine bouche. Je laisse échapper un cri de satisfaction. A chacun ses victoires. Retrouvez notre série web en vidéo sur www.prepaescalade.tdg.ch/ Lire l’éditorial en page une: «L’Escalade: Genève au sommet»