capes externe anglais 2004 (1) - Département d`études anglophones

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capes externe anglais 2004 (1) - Département d`études anglophones
MINISTERE DE L'EDUCATION NATIONALE
DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
ET DE LA RECHERCHE
Direction des personnels enseignants des lycées et collèges
CAPES EXTERNE ANGLAIS
2004
(1)
Concours externe de recrutement des professeurs certifiés
et concours d’accès à des listes d’aptitude (CAFEP)
Rapport présenté par Mireille GOLASZEWSKI
Inspecteur général de l'Education nationale
Présidente du jury
1
CENTRE NATIONAL DE DOCUMENTATION PEDAGOGIQUE
LES RAPPORTS DES JURYS DES CONCOURS SONT ETABLIS
SOUS LA RESPONSABILITE DES PRESIDENTS DE JURY.
2
SOMMAIRE
1. Liste des membres du jury …………………………..…
3
2. Mot de la Présidente ……………..…………………..…
15
3. Tableau de statistiques ……………………………...…
19
4. Epreuves écrites
4.1 Composition en français ( coefficient 1) ………………… 21
4.2 Commentaire dirigé en anglais ( coefficient 1) ………….. 38
4.3 Epreuve de Traduction : Version et Thème ( coefficient 1) .50
Suite du rapport sur d’autres fichiers en ligne :
CAPESEXT20042.pdf
5. Epreuves orales
Epreuve pré professionnelle sur dossier ( EPP) ( coefficient 3)
Epreuve en langue étrangère ( ELE) ( coefficient3)
Composantes :
Exposé et entretien
Faits de Langue
Compréhension/Restitution
Anglais oral
6. Dossiers
ELE 8
ELE 9
ELE 16
EPP 5
EPP 18
EPP 26
Fichier : ELE8.pdf
Fichier : ELE9.pdf
Fichier : ELE16.pdf
Fichier : EPP5.pdf
Fichier : EPP18.pdf
Fichier : EPP26.pdf
Autres dossiers EPP
Autres dossiers ELE
Fichier : AutresEPP.pdf
Fichier : AutresELE.pdf
Texte officiel ( http://www.education.gouv.fr/bo)
3
1. Liste des membres du jury
Présidente
Mme Mireille GOLASZEWSKI
Inspecteur général de l'éducation nationale
Académie DE PARIS
Vice-présidente
Mme Liliane GALLET BLANCHARD
Professeur des universités
Académie DE PARIS
Secrétaire général
M Philippe FRANCE
Professeur agrégé
Académie DE PARIS
Membres du jury
M Stéphane ACHARD
Professeur certifié
Académie DE GRENOBLE
Mme Sylvie AGOSTINI
Professeur agrégé
Académie DE CORSE
Mme Hélène AJI
Maître de conférences des universités
Académie DE PARIS
M René ALLADA YE
Maître de conférences des universités
Académie DE TOULOUSE
M Emmanuel ALVAREZ ZUBILLAGA
Professeur agrégé
Académie DE CRETEIL
M Philippe ARDAN
Professeur certifié
Académie DE VERSAILLES
M Jacques AUDOUS
Maître de conférences des universités
Académie DE NANTES
M Christian AUER
Professeur agrégé
Académie DE STRASBOURG
M Georges BADIOU
Professeur agrégé
AcadémieDE CLERMONT-FERRAND
M Pascal BARDET
Maître de conférences des universités
Académie DE TOULOUSE
4
Mme Anne Isabelle BARON CARVAIS
Maître de conférences des universités
Académie DE LILLE
M Jean Bernard BASSE
Maître de conférences des universités
Académie DE VERSAILLES
Mme Valérie BAUDIER
Maître dé conférences des universités
Académie DE TOULOUSE
M Hédi BEN ABBES
Maître de conférences des universités
Académie DE BESANCON
M Mokhtar BEN BARKA
Professeur des universités
Académie DE NANTES
M Yves BERNAUD
Professeur agrégé
Académie DE REIMS
M Franck BIZOUARN
Professeur certifié
Académie DE PARIS
Mme Sylvie BLAVIGNAC
Inspecteur d'académie Inspecteur pédagogique régional
Académie DE VERSAILLES
Mme Angela BLAZY
Professeur agrégé
AcadémieDE CLERMONT-FERRAND
M Marc BONINI
Professeur agrégé
Académie DE NANTES
M Emmanuel BONNEROT
Professeur agrégé
Académie DE LYON
M Rémy BOULARD
Professeur agrégé
Académie DE REIMS
M Franck BOURCEREAU
Professeur agrégé
Académie DE LILLE
M Philippe BOURRON
Professeur agrégé
Académie D'AIX-MARSEILLE
M Jean Jacques BRAUL T
Professeur agrégé
Académie DE VERSAILLE
Mme Shirley BRICOUT
Professeur agrégé
Académie DE RENNES
M Yves BRILLET
Professeur agrégé
Académie DE LILLE
5
M Laurent BURY
Maître de conférences des universités
Académie DE PARIS
Mme Denise BUTLER
Professeur agrégé
AcadémieDE CLERMOND-FERRAND
M Claude CAILLATE
Professeur agrégé
Académie DE PARIS
Mme Marie Paule CANOU FABRIS
Professeur certifié
Académie DE TOULOUSE
M Laurent CARPENTIER
Professeur certifié
Académie DE DIJON
M Jean Claude CAUVIN
Professeur agrégé
Académie DE CLERMONT
Mme Josette CHARENTON
Inspecteur d'académie Inspecteur pédagogique régionalAcadémie DE BORDEAUX
M Laurent CHATEL
Maître de conférences des universités
Académie DE PARIS
Mme Myriam CHOULEUR
Professeur agrégé
Académie DE REIMS
Mme Geneviève CHUTO JOZ ROLAND
Professeur agrégé
Académie DE CRETEIL
Mme Michèle CLAUDEL STAINTHORPE
Professeur agrégé
Académie DE DIJON
Mme Véronica CLINET
Professeur agrégé
Académie DE TOULOUSE
Mme Nathalie COCHOY
Maître de conférences des universités
Académie DE TOULOUSE
Mme Geneviève COHEN CHEMINET
Maître de conférences des universités
Académie DE PARIS
M Olivier COLANGELO
Professeur certifié
Académie DE NICE
Mme Karyn COSTA
Professeur agrégé
Académie D'AIX-MARSEILLE
6
M Yves COSTA
Professeur agrégé
Académie DE NICE
M Raphael COSTAMBEYS KEMPCZYNSKI
Maître de conférences des universités
Académie DE PARIS
Mme Cécile COTTENCEAU
Professeur certifié
Académie DE CAEN
M Gérard COUCHOUD
Professeur agrégé
Académie DE PARIS
Mme Claire COUSTEAU
Professeur certifié
Académie DE TOULOUSE
Mme Taina COUZIC
Maître de conférences des universités
Académie DE NANTES
Mme Maryvonne D'ARRAS
Professeur agrégé
Académie DE LILLE
Mme Marie Jeanne DA COL RICHERT
Maître de conférences des universités
Académie DE STRASBOURG
Mme Hélène DACHEZ
Maître de conférences des universités
Académie DE TOULOUSE
Mme Françoise DASSY
Professeur agrégé
Académie DE PARIS
M Benoît DEPARDIEU
Maître de conférences des universités
Académie DE ROUEN
Mme Christine DES BOIS
Professeur agrégé
Académie DE GRENOBLE
M Jean Jacques DHUMES
Professeur agrégé
AcadémieDE CLERMONT-FERRAND
Mme Evelyne DIRASSOUIAN
Professeur agrégé
Académie DE VERSAILLE
Mme Marianne DOMBALL
Professeur certifié
Académie DE STRASBOURG
Mme Pascale DROUET
Maître de conférences des universités
Académie DE LIMOGES
M Frédéric DUC
Professeur certifié
Académie DE DIJON
7
M Laurent DUHAUPAS
Professeur agrégé
Académie D'AMIENS
Mme Ellen DULEU BURRE
Professeur certifié
Académie DE BORDEAUX
M Jean Marc DUMONT
Professeur certifié
Académie DE BORDEAUX
Mme Anne DUNAN
Maître de conférences des universités
Académie DE MONTPELLIER
Mme Marylène DURUPT
Professeur agrégé
Académie DE GRENOBLE
Mme Elizabeth DUTERTRE
Maître de conférences des universités
Académie DE PARIS
M Joel ESPESSET
Professeur agrégé
Académie DE STRASBOURG
M Philippe ESTIER
Professeur certifié
Académie DE REIMS
Mme Janet FAURET
Professeur agrégé
Académie DE STRASBOURG
M Gilles FERIEL
Professeur certifié
Académie D'AMIENS
M Hugo FOESSEL
Professeur agrégé
Académie DE NANCY-METZ
M Jean François FONTAINE
Inspecteur pédagogique régional/Inspecteur d'académie.
Académie DE RENNES
M Daniel FRIZOT
Professeur agrégé
Académie DE STRASBOURG
Mme Annie FROMENT
Professeur certifié
Académie DE GRENOBLE
Mme Nadia FUCHS
Professeur agrégé
Académie DE NICE
M Jean Pierre GABEREL
Professeur agrégé
Académie DE BESANCON
Mme Isabelle GADOIN
Maître de conférences des universités
Académie DE PARIS
8
Mme Aline GAME
Professeur agrégé
Académie DE GRENOBLE
M Yves GASTINEAU
Professeur agrégé
Académie DE RENNES
Mme Isabelle GAUDY CAMPBELL
Maître de conférences des universités
Académie DE NANCY-METZ
M François GAVILLON
Maître de conférences des universités
Académie DE RENNES
M Olivier GEOFFROY
Professeur agrégé
Académie DE PARIS
M Fabien GERGES
Professeur agrégé
Académie DE STRASBOURG
Mme Laurence GIOVANNONI
Professeur agrégé
Académie D'AIX-MARSEILLE
M Michel GOFFART
Professeur de chaire supérieure
Académie DE NANCY-METZ
M Charlotte GOULD
Professeur agrégé
Académie DE PARIS
Mme Raphaelle GOUTTEFANGEAS
Professeur agrégé
Académie DE BORDEAUX
Mme Vanessa GUIGNERY
Maître de conférences des universités
Académie DE PARIS
Mme Jacqueline HAMRIT
Professeur agrégé
Académie DE LILLE
Mme Susan HAYTER
Professeur agrégé
Académie DE BORDEAUX
M Jean Philippe HEBERLE
Maître de conférences des universités
Académie DE NANCY-METZ
Mme Jane HENTGES
Maître de conférences des universités
Académie DE BORDEAUX
Mme Isabelle HERVOUET FARRAR
Maître de conférences des universités
AcadémieDE CLERMONT-FERRAND
M Stephen HICKS
Professeur certifié
Académie D'ORLEANS-TOURS
9
M Michael HINCHCLIFFE
Maître de conférences des universités
Académie D'AIX-MARSEILLE
Mme Hélène HORY
Professeur agrégé
Académie DE MONTPELLIER
Mme Anne HOUDON
Professeur agrégé
Académie DE BESANCON
Mme Ruth HUART
Professeur des universités
Académie DE PARIS
Mme Claudine JUNG
Professeur agrégé
Académie DE NANCY-METZ
M Alain JAMBIN
Inspecteur pédagogique régional/Inspecteur d'académieAcadémie DE TOULOUSE
M David JAMES
Professeur agrégé
Académie DE LYON
M Christian JEREMIE
Maître de conférences des universités
Académie DE LYON
Mme Martine JOBERT
Inspecteur pédagogique régional/Inspecteur d'académieAcadémie D'AMIENS
M Gérald KENNY
Professeur agrégé
Académie DE TOULOUSE
M Alain KERHERVE
Maître de conférences des universités
Académie DE RENNES
M Stephan KUJAWSKI
Professeur agrégé
Académie D'AMIENS
Mme Edwige LABESSE
Professeur agrégé
Académie DE CRETEIL
Mme Isabelle LABROUJLLERE
Professeur certifié
Académie D'AIX-MARSEILLE
M Patrice LARROQUE
Maître de conférences des universités
Académie DE MONTPELLIER
Mme Florence LASSERRE
Professeur agrégé
Académie DE CAEN
10
Mme Michael LAVIN
Professeur agrégé
Académie DE LILLE
Mme Isabelle LE CORFF
Maître de conférences des universités
Académie DE RENNES
Mme Hélène LE SAUX
Professeur agrégé
Académie DE LYON
M Daniel LECLERC
Professeur agrégé
Académie DE LILLE
M Philippe LELONG
Professeur certifié
Académie DE CRETEIL
M Frédéric LEMAITRE
Professeur agrégé
Académie D'AMIENS
Mme Michèle LEPERD
Professeur certifié
Académie DE CAEN
Mme Christine LORRE
Maître de conférences des universités
Académie DE PARIS
M Brian LOWREY
Maître de conférences des universités
Académie D'AMIENS
Mme Brigitte MACADRE
Maître de conférences des universités
Académie DE REIMS
Mme Monique MAGADOUX
Professeur agrégé
AcadémieDE CLERMONT-FERRAND
Mme Richard MAIRE
Maître de conférences des universités
Académie DE NANCY-METZ
Mme Laurence MANFRINI
Professeur agrégé
Académie DE CRETEIL
Mme Sophie MANTRANT
Maître de conférences des universités
Académie DE STRASBOURG
M Bruno MARCHEBOUT
Professeur agrégé
Académie DE VERSAILLES
M Régis MAUROY
Maître de conférences des universités
Académie DE LIMOGES
Mme Delphine MELIERES
Professeur agrégé
Académie DE VERSAILLES
11
Mme Stéphanie MEMETEAU GITTON
Professeur agrégé
Académie DE RENNES
Mme Charlotte METGE
Professeur certifié
Académie DE CRETEIL
Mme Fabienne MOINE PEREZ
Professeur agrégé
Académie DE VERSAILLES
M René Pierre MONDON
Professeur agrégé
Académie DE LYON
M Adrian MORFEE
Maître de conférences des universités
Académie DE RENNES
Mme Laure NAFISSI
Professeur agrégé
Académie DE VERSAILLES
Mme Anne Marie O'CONNELL
Professeur agrégé
Académie DE TOULOUSE
M Laurent OLLIER
Professeur agrégé
Académie DE CRETEIL
Mme Dominique PARMENTIER
Professeur agrégé
Académie DE DIJON
M Bruno PASCAL
Professeur agrégé
Académie DE CAEN
Mme Félicie PASTORE
Professeur agrégé
Académie DE LYON
M Danielle PAYCHA
Maître de conférences des universités
Académie DE VERSAILLES
M Daniel PEL TZMAN
Maître de conférences des universités
Académie DE BESANCON
M Bruno PIERRE
Professeur agrégé
Académie DE NANTES
Mme Nathalie PIERRET
Professeur certifié
Académie DE REIMS
M Christian PLANCHAIS
Professeur agrégé
Académie D'AMIENS
12
Mme Catherine PUZZO
Maître de conférences des universités
Académie DE TOULOUSE
Mme Geneviève QUENAULT
Professeur certifié
Académie DE CAEN
M Damien REINHARDT
Professeur agrégé
Académie DE STRASBOURG
Mme Valérie RESTOIN
Professeur certifié
Académie DE LIMOGES
Mme Floriane REVIRON
Maître de conférences des universités
Académie DE DIJON
M Bertrand RICHET
Maître de conférences des universités
Académie DE PARIS
M. Frédéric ROBERT
Maître de conférences des universités
Académie DE L YON
M Christophe ROBIN
Maître de conférences des universités
Académie DE LlLLE
M Yann ROBLOU
Maître de conférences des universités
Académie DE LlLLE
Mme Agnés ROCHE LATJHA
Professeur agrégé
Académie DE VERSAILLES
M Emmanuel ROUDAUT
Maître de conférences des universités
Académie DE LILLE
Mme Zeenat SALEH
Maître de conférences des universités
Académie DE BESANCON
M Gérard SELBACH
Maître de conférences des universités
Académie DE PARIS
M Jean Yves SELLIN
Professeur agrégé
Académie DE NANTES
Mme Viviane SERFATY
Maître de conférences des universités
Académie DE STRASBOURG
Mme Marie Christine SIMEONI
Professeur certifié
Académie DE CORSE
M Lee SMART
Professeur agrégé
Académie DE LYON
13
Mme Penny STARFIELD KUPIEC
Maître de conférences des universités
Académie DE PARIS
M John STEVEN
Professeur agrégé
Académie DE CAEN
M François Xavier TAINTURIER
Professeur agrégé
Académie DE BESANCON
Mme Marie Thérèse THIERY
Inspecteur pédagogique régional/Inspecteur d'académieAcadémie DE REIMS
M Luc THUILLEAUX
Professeur agrégé
Académie DE BORDEAUX
Mme Benjamine TOUSSAINT THIRIET
Professeur agrégé
Académie DE VERSAILLES
Mme Jenifer TRANIER
Professeur certifié
Académie DE CAEN
Mme Danielle TROILLET
Maître de conférences des universités
Académie DE BORDEAUX
Mme Béatrice TROTIGNON
Maître de conférences des universités
Académie DE PARIS
Mme Susan TROUVE FINDING
Maître de conférences des universités
Académie DE POITIERS
M Michael VALLEE
Maître de conférences des universités
Académie D'AIX-MARSEILLE
M Bertrand VITTE COQ
Professeur agrégé
Académie DE ROUEN
M Hervé WATTEZ
Professeur agrégé
Académie DE LIMOGES
M Guillaume WINTER
Professeur agrégé
Académie DE LiLLE
14
2. Mot de la Présidente
La maquette des épreuves du CAPES Externe d’anglais mise en place en 2000 est toujours en
vigueur.
Aucune modification n’est prévue à ce jour.
Bien qu’il soit toujours problématique de comparer les sessions entre elles, un fait significatif semble
émerger des statistiques des quatre dernières années : la baisse du nombre des candidats qui
composent véritablement aux trois épreuves d’écrit semble endiguée. Rappelons que l’absence à l’une
des trois épreuves vaut élimination du candidat. Il est bon aussi de souligner que l’épreuve de
traduction comporte une version et un thème. Ne pas effectuer l’un de ces deux exercices expose les
candidats aventureux à une soustraction de points difficilement rattrapable. Seuls quelques uns, il est
vrai, s’y sont risqués et cela s’est avéré regrettable au vu des notes obtenues par ailleurs aux deux
autres épreuves. Les trois épreuves d’écrit ont le même coefficient 1.
Les modalités des épreuves écrites sont régies par le texte du Journal Officiel du 27 Mai 1999 et du
BO n° 39 du 2 Novembre 2000.Les nouveaux programmes, pour la session 2005 ont fait l’objet d’une
publication dans un numéro spécial du BO n° 5 du 20 Mai 2004. Ces documents sont disponibles sur
le site Education Nationale.
S’agissant de la question au programme de civilisation : William Morris, News from Nowhere, le
commentaire porterait exclusivement sur une partie de l’œuvre elle-même.
Les candidats savent à quel point il est utile de se reporter aux rapports précédents. Celui de 2003 est
en ligne sur le site du Ministère de l’Education Nationale qui recevra aussi fin août celui de 2004. Les
professeurs membres du jury y prodiguent de nombreux conseils méthodologiques transférables d’une
année sur l’autre. La charpente d’un commentaire en langue étrangère ( de littérature ou de
civilisation) ou d’une composition en français( de civilisation ou de littérature) obéit à des règles :
raisonnement logique, art de la construction, gradation des idées exprimées, leur appui sur une bonne
connaissance des œuvres ou questions au programme, conviction d’un raisonnement percutant, qui
s’apprennent par la lecture d’exercices rédigés par les membres du jury, et par la pratique au cours de
l’année de préparation.
Il en va de même pour l’épreuve de Traduction. Version et Thème mettent en œuvre ces activités de
passage d’une langue à une autre. “ Passage ”, c'est-à-dire appropriation du sens dans la langue de
départ, basculement dans la langue d’arrivée et résolution, chemin faisant, des phénomènes culturels
qui rendent la traduction difficile, sinon toujours infidèle sur certains aspects. L’exercice met en jeu de
nombreuses activités mentales et linguistiques qui, elles aussi ne s’improvisent pas. Il faut avoir au
préalable réfléchi sur certaines limites de cet art de la traduction pour être mieux à même de cerner la
difficulté, même courante, et y apporter une solution raisonnée et aussi proche que possible de ce que
les deux langues permettent dans leur interface.
Les trois épreuves font l'objet d'une double correction. A l’écrit, comme à l’oral, candidats
francophones ou anglophones trouvent les uns et les autres, matière à exprimer leurs compétences
dans les deux langues.
C’est aussi le cas pour les deux épreuves d’oral, à coefficient égal.
L’épreuve en langue étrangère se décompose en analyse et synthèse d’un dossier, en anglais, suivies
d’un entretien avec le jury, présentation de faits de langue soulignés dans un des textes du dossier et
non assortis d’une étiquette orientant l’analyse (présentation en français, non suivie de questions du
jury), épreuve de compréhension et de restitution d’un document sonore authentique, en français.
Cette partie ne fait pas, elle non plus, l’objet de questions de la part du jury. Cette épreuve est dense et
15
les candidats se reporteront avec profit à la présentation détaillée et illustrée de ces trois composantes
explicitée dans les chapitres de ce rapport.
L’épreuve pré professionnelle sur dossier, en français comporte un exposé suivi d’un entretien. Le
texte de cadrage du Journal Officiel du 27 Mai 1999 en définit clairement les objectifs. Les documents
d’intérêt didactique et pédagogique sont de longueurs variées, sans excès cependant. Leur lecture
n’est pas uniforme, certaines pages- plus longues que d’autres- présentant des batteries d’exercices
dont il faut saisir seulement la démarche initiale. Cette épreuve pré professionnelle, comme son nom
l’indique ne requiert pas une expérience professionnelle, non exigible des candidats au CAPES
externe.
Les qualités d’expression en langue française entrent pour un tiers dans la notation de cette épreuve.
De même, pour l’épreuve en langue étrangère, la qualité de l’anglais oral vaut pour un tiers de la note.
Il est absolument nécessaire que des anglicistes, futurs professeurs, s’entraînent à la pratique d’une
langue correcte aux plans syntaxique, grammatical et phonologique, fluide, et authentique. Leur
anglais oral servira de modèle aux élèves dont ils auront la responsabilité et qui, pour la grande
majorité d’entre eux, n’ont pas d’autres formes d’exposition à la langue que celle qu’ils trouvent dans
la salle de classe. Pour certains candidats le niveau inacceptable de leur anglais parlé s’est avéré
rédhibitoire.
La pluralité des diverses activités des deux épreuves d’oral ne va pas sans un souci d’équilibre dans le
montage des sujets .Les domaines du monde anglophone et américain ont été ventilés de sorte qu’il
n’y ait pas de redondance.
L’équité d’évaluation des candidats a prévalu tout au long de l’oral, par l’application stricte de barèmes
communs, par la rotation des membres du jury et par le fait que chaque candidat a été évalué sur ses
deux épreuves d’oral par deux binômes de professeurs différents. Les notes obtenues à la première
épreuve ne sont pas communiquées aux deuxièmes évaluateurs : les candidats sont toujours
appréciés sur la performance qu’ils effectuent, au moment où ils l’effectuent, et les deux épreuves
d’oral, au même coefficient, s’additionnent, sans qu’il n’y ait de préjugé préalable.
Les vingt réceptions de cohortes de candidats, tous les deux jours, et pendant trois heures ( 2X120
candidats) nous ont permis, à partir du même texte lu ( principe d’équité) de leur préciser certains
points et les attentes des membres du jury, si par “ attentes ” l’on entend recommandations ou mises
en garde contre de possibles dérives. Il n’y a aucun dogmatisme chez le jury qui sait toujours apprécier
des présentations claires et convaincantes, argumentées, dépourvues de tout jargon, et des échanges
authentiques .L’éventail des notes a été très ouvert, de 0,5 à 19,5, ce qui montre le désir du jury de
tirer les notes vers les extrémités, ce qui se conçoit pour une évaluation de concours. Ce qui prouve
aussi qu’il a été possible d’entendre des prestations de très haut niveau.
Les demi points ont été utilisés, à l’écrit comme à l’oral, afin de faciliter le classement des candidats.
Les “ notes ” reçues par ces derniers (et les décimales pourraient étonner) rendent en réalité compte
de ce classement.
Il est à souligner qu’à l’écrit comme à l’oral, la barre d’admissibilité et d’admission ont été
satisfaisantes et tous les postes du CAPES et du CAFEP ont été pourvus.
Ces séances d’accueil des candidats ont été les bienvenues : elles ont permis aux candidats de
dédramatiser la situation à la veille des épreuves et pour nous, de répondre à quelques questions.
Nous avons eu là l’occasion de “ rencontrer ” ces jeunes si désireux de franchir le cap et de voir à quel
point leur motivation est forte. Si elle reflète un regain d’intérêt pour le métier d’enseignant, alors nous
ne pouvons que nous réjouir en effet.
Je tiens à remercier ici tous les membres du jury pour leur grand professionnalisme et leur respect des
codes déontologiques : équité dans le traitement des candidats, accueil de ces derniers. Ils offrent
16
aussi dans ce rapport leurs contributions éclairantes aux futurs candidats et font la démonstration que
ce qui leur est demandé est du domaine du “ possible ” même si les exigences restent élevées : il en
va de la qualité du recrutement des futurs enseignants. J’insisterai encore ici sur le nécessaire niveau
d’anglais parlé et conseillerai aux futurs candidats de s’entraîner régulièrement. Les outils à leur
disposition ne manquent pas aujourd’hui.
Nous espérons que ceux qui n’ont pas eu la chance d’être reçus cette année se représenteront
l’année prochaine et trouveront dans ce rapport et dans les précédents, matière à combler leurs
lacunes.
Comme par le passé, il ne sera pas possible de répondre aux demandes individuelles. Et nous
doutons de l’intérêt de demander à avoir connaissance des copies d’écrit : décontextualisées, lues
sans être passées au crible des barèmes, lues isolément ( alors que la notion même de concours
requiert le principe de comparaison), elles ne peuvent guère fournir de réponses. Celles-ci, nous le
répétons, sont bien plutôt inscrites dans les rapports rédigés par les membres du jury.
Le nombre élevé de candidats admissibles par rapport au nombre de postes mis au concours (x2,46)
aura permis à un nombre important de candidats de faire cette première expérience d’un oral qui doit
les motiver pour parfaire leur préparation. C’est dans ce sens aussi que je les encourage à lire ce
rapport : il est un trait d’union entre eux et les membres du jury, objet d’information et de
communication et outil de travail.
Mireille Golaszewski
Inspecteur général d’anglais
Présidente du jury
17
3. Tableau de statistiques
Admissibilité
Inscrits
Hommes
Femmes
Non
Admissibles
Hommes
Femmes
1692
247
éliminés
CAPES
CAFEP
5318
799
1034
107
4284
692
3993
569
2062
271
370
24
Admissibilité
Inscrits
Présents
Moyenne
Moy.
Note
Note
admissibles
supérieure
inférieure
CAPES
Epreuve 101
Epreuve 102
Epreuve 103
CAFEP
Epreuve 101
Epreuve 102
Epreuve 103
Admissibilité
5318
5318
5318
4100
4038
4069
0 07
0 07
0 07
0 09
0 09
01 0
01 9
01 8
01 7
000
000
000
799
799
799
589
580
592
0 07
0 06
0 07
0 09
0 09
0 09
01 7
01 8
01 6
000
000
0 01
Hommes
Femmes
Non
Admis
Hommes
Femmes
695
101
Moy.
Moy.
Non
admissibles
éliminés
CAPES
CAFEP
7,18
6,69
Admission Admissibles
9,09
8,77
éliminés
CAPES
CAFEP
2068*
271
372
24
1696
247
2004
266
836
110
141
9
Admission
Admissibles
Présents
Moyenne
Moy. Admis
Note
Note
supérieure
inférieure
CAPES
Epreuve 204
Epreuve 205
CAFEP
Epreuve 204
Epreuve 205
Admission
2068
2068
2007
2005
0 08
0 07
01 0
01 1
01 8
02 0
0 01
0 01
271
271
266
266
0 07
0 08
0 09
01 2
01 5
01 8
0 01
0 01
Moy. non-
Moy. Admis
Moy.
Barre
éliminés
CAPES
CAFEP
0 08
0 08
supérieure
01 0
01 0
017
014
0 08
0 08
18
EPREUVES ECRITES
19
4.1 Composition en français
(Durée 5 heures)
Sujet : “ Les pouvoirs de l’illusion dans A Streetcar Named Desire ” (en prenant compte le texte du
dramaturge et l’adaptation du cinéaste).
Bilan de la session 2004
I. Méthodologie
La composition en français portait cette année sur un élément du programme de littérature, A
Streetcar Named Desire, pièce de T. Williams et film d'E. Kazan. Avant de revenir plus en détail sur le
sujet et la manière dont on pouvait l'aborder, il ne paraît pas inutile de dresser un bilan plus général de
l'épreuve, autant pour tirer les enseignements de cette session que pour permettre aux futurs
candidats d'augmenter leurs chances de succès en préparant efficacement la session 2005.
Commençons par dire que la dissertation est avant toute chose un exercice classique, très
codifié, aux règles aussi précises que simples, et qu'on attend d'un futur professeur certifié qu'il fasse
la preuve de sa capacité à accomplir cet exercice avec une aisance au moins minimale. Évoquer le
caractère extrêmement normé de cette épreuve nous incite à définir ou redéfinir quelques-uns de ses
aspects fondamentaux, ce qui permettra de formuler quelques observations sur les copies soumises
au jury à l'occasion des épreuves de mars dernier et de formuler quelques conseils.
1. Une dissertation est une question
La première chose sur laquelle il convient d'insister est la nature même de l'exercice. Elle n'a
pas toujours été bien comprise. Assez nombreux sont les candidats qui confondent la dissertation
avec un exercice de récitation. Sans s'interroger sur ce que l'on attend vraiment d'eux, ils se lancent
dans de longs développements directement tirés des cours auxquels ils ont assistés, des études
critiques qu'ils ont pu lire, ou de corrigés de dissertations rédigées dans le cadre de leur préparation et
dont le sujet leur paraît approcher celui du concours. Outre le fait que ces restitutions ne s'effectuent
pas toujours avec la fidélité souhaitée, ou en citant ses sources, elles sont systématiquement
inopérantes car elles tentent d'opposer une réponse toute faite et apprise par coeur à une question
spécifique et qui exige (demande) qu'on la considère comme telle. Entendons-nous : le cours et les
études critiques ne sont pas inutiles tant s'en faut ! Il est simplement fondamental d'apprendre à les
utiliser intelligemment, c'est-à-dire comme des outils dont on va se servir pour régler des problèmes
précis. On peut aisément comprendre qu'un(e) candidat(e) sérieux(se), s'étant abondamment préparé
sur chaque oeuvre, souhaite “ rentabiliser ” ses efforts. On peut également imaginer qu'il est rassurant
le jour de l'épreuve de penser que l'on est en terrain connu et sûr parce que l'on restitue une partie
entière d'un cours. Il n'en reste pas moins que cette manière de procéder qui relève du “ plaquage ”
pur et simple, mène systématiquement à des résultats catastrophiques et d'autant plus
douloureusement ressentis qu'ils font suite à un travail important. On comprend la déception des
candidats concernés, mais ils ne pourront éviter de connaître pareille mésaventure qu'en améliorant
leur compréhension de la nature même de l'épreuve.
Ce qu'il faut absolument saisir, et accepter, car c'est une règle fondamentale du jeu, c'est que
la dissertation est toujours une question à laquelle il faut tenter d'apporter une réponse nuancée en
ouvrant un débat. En ce sens, il est essentiel de chercher à problématiser. Les correcteurs de
l'épreuve ont soulignés cette année que les meilleurs travaux étaient ceux qui reposaient sur des
interrogations véritables, une problématique réelle explorée dans l'ensemble de la copie. Le départ
s'est donc d'abord effectué cette année entre les candidats qui ont accepté de prendre le sujet pour ce
qu'il était (une question spécifique) et ceux qui se sont contentés de réciter une leçon trop bien
apprise. Cette distinction restera centrale dans les années à venir car c'est une pierre angulaire de la
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dissertation.
2. Le sujet, tout le sujet, et rien que le sujet
Comme chacun sait, une dissertation, c'est d'abord un sujet à traiter. Cette entame pourra
sembler simple et même simpliste. Il n'en reste pas moins que le premier obstacle à la réussite des
candidats est souvent une lecture insuffisamment rigoureuse ou parfois tout bonnement erronée du
sujet. Insistons d'abord sur un point élémentaire : il faut lire le sujet, et tout le sujet. Les copies de
cette session ont souvent pêché par faiblesse à ce niveau. Confrontés à un sujet un peu complexe, les
pouvoirs de l'illusion, nombreux sont les candidats qui ont simplement “ décidé ”, consciemment ou
non, de ne prendre en compte que l'un des deux termes, le plus souvent “ illusion ”. Le sujet d'origine
se trouvait ainsi transformé en “ l'illusion dans SND ”, ce qui, certes, ôtait au sujet une part de sa
difficulté, mais présentait un inconvénient majeur : ce n'était plus le sujet du concours. Il est bien
évident que l'épreuve n'est pas un contexte facile pour les candidats, forcément tendus, et à ce titre
plus susceptibles de commettre des erreurs à l'abri desquels ils se trouvent d'ordinaire. Mais il importe
de répéter ici des conseils de prude bon sens: il faut d'abord lire le sujet très attentivement et très
rigoureusement en s'attachant à ce qu'il est et non à ce que l'on pourrait souhaiter qu'il soit. Cette
lucidité minimale met à l'abri de sévères déconvenues.
3. Pas de dissertation sans exemple
L'une des difficultés de la dissertation, comme chacun sait, réside dans le fait qu'elle oblige le
candidat à prendre en considération l'oeuvre dans son intégralité. L'exercice impose donc une
connaissance très solide de l'oeuvre sur laquelle elle porte. Connaissance des personnages et de
l'intrigue bien sûr (c'est un minimum) mais aussi de certains enjeux liés à sa composition. Soulignons
rapidement qu'une intrigue mal maîtrisée ou des noms de personnages erronés ou mal orthographiés
privent très rapidement un travail de toute crédibilité. Si Streetcar est une pièce relativement courte, la
tâche se compliquait un peu cette année du fait de la présence au programme du film de Kazan, film
qu'il fallait avoir vu et étudié afin d'être en mesure de l'inclure dans sa réflexion globale. La partie plus
spécifiquement consacrée au traitement du sujet abordera ce point de manière plus précise, mais il est
important de souligner que les candidats doivent absolument prendre en compte tous les supports,
lorsque ceux-ci sont multiples, sauf à risquer d'être partiellement hors-sujet. Se cantonner à une
exploitation du texte dans le sujet de cette année était une lourde erreur. La connaissance globale et
précise de l'oeuvre est d'autant plus indispensable qu'une dissertation n'est pas un travail d'ordre
théorique, encore moins une accumulation de généralités. Il faut accepter pour traiter le sujet “ d'aller
sur le terrain ”, et ce terrain c'est l'oeuvre. On attend donc des candidats qu'ils évitent les allusions et
étayent leur propos grâce à des références claires au texte (et cette année au film). Le principe de
base est des plus simples : une idée, un exemple. Qu'attendra-t-on en fait d'exemples ? Les citations
sont bien entendu bienvenues, mais il est évident que, sans le support du texte, on ne peut pas les
multiplier. Les références précises à tel ou tel moment du texte (ou du film) ne posent pas de problème
à un(e) candidat(e) bien préparé(e). Ces références doivent être systématiques et précises pour
soutenir convenablement l'argumentation mise en place.
4. Pas de dissertation sans plan et pas de plan sans but
Cette mise en place de l'argumentation m'amène au point suivant : l'organisation du travail.
Commençons par un constat plutôt optimiste : les correcteurs ont cette année constaté que, dans la
majorité des copies, les règles élémentaires de la dissertation étaient connues et, tant bien que mal,
respectées. Les copies sans introduction claire et sans plan étaient largement minoritaire, une
excellente chose. Ce constat positif étant posé, on peut ajouter que la majorité des candidats
pourraient encore progresser sensiblement dans leur maîtrise de l'organisation du devoir. Deux
principes peuvent être rappelés à l'attention des futurs candidats :
- Un plan n'est pas une “ série de parties ” que l'on plaque sur un sujet pour donner au devoir une
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apparence de progression rationnelle. Les correcteurs ont cette année souvent déploré le fait de se
trouver face à des copies privées de toute dynamique réelle.
- Un bon plan est un moyen plus qu'une fin : il doit permettre de mener à bien une démonstration
dont la problématisation du sujet à laquelle nous faisions allusion plus haut va fixer l'objectif. En bref, il
faut savoir où on se propose d'aller, ce que l'on souhaite démontrer, pour tracer l'itinéraire, le plan qui
permettra d'atteindre le but en question. Méconnaître cette réalité de bon sens revient à se condamner
à mettre systématiquement la charrue avant les boeufs.
5. Pas de dissertation sans maîtrise de la langue
Dernier point élémentaire : on ne peut rédiger une dissertation sans avoir une maîtrise
consommée de la langue française. Evitons les ambiguïtés : on n'attend pas des candidats qu'ils
écrivent comme Chateaubriand (même s'ils gagneraient sans doute à fréquenter un peu plus sa
prose...) mais qu'ils s'attachent à deux choses qui, à défaut d'atteindre à l'élégance, paraissent
minimales chez de futurs enseignants :
- écrire un français d'une correction grammaticale et syntaxique impeccable, ce qui est loin d'être le
cas dans l'immense majorité des cas.
- disposer d'une langue riche et précise, notamment lorsque l'on aborde, ce qui est inévitable en
littérature, le terrain critique. Les lacunes terminologiques sur des notions élémentaires sont
particulièrement mal accueillies.
Compte tenu du nombre de copies dans lesquelles le niveau du français écrit était plutôt
médiocre, il nous a paru important de répertorier brièvement les erreurs et défaillances les plus
fréquentes. Outre une langue relativement pauvre et/ou familière, les copies présentaient des
déficiences en orthographe et en grammaire qui témoignent d'un manque de réflexion sur le
fonctionnement de la langue française. Ce n'est guère agréable, certes, et le propos du rapport n'est
pas de se transformer en collection d'erreurs, mais il ne paraît pas totalement inutile de passer en
revue les plus fréquentes, en espérant que les futurs candidats sauront se montrer plus vigilants. On a
donc surtout regretté les choses suivantes :
Les fautes d’orthographe portant sur les noms propres des personnages, des auteurs, des
acteurs, des lieux : Kolwaski*, Hung Sheppherd*, Sheip Huntley*, Mitche*, Elias Kazan*, Eliah
Kazan*, Tenesse Williams*, Viviane Leigh*, Bel Reve*, Louisianne*, Elisian Fields*, le prix
Pulizzer*, Walt Whiteman* (ou Wittman*), Nathaniel Hawthorn*, Vincent Vang Gogh*, Art
Crane*, Glass Messagerie*,, etc. A cette occasion, il semble nécessaire de rappeler que les
noms propres en français ne prennent pas la marque de pluriel, contrairement à l’anglais : les
Kowalski.
Les fautes (nombreuses) de doubles consonnes, dues ou non à l’influence de l’anglais.
On attend de candidats au CAPES externe qu’ils sachent orthographier des mots tels que
dysfonctionnement, indicible, leitmotiv, idyllique, in medias res, schizophrénie, dionysiaque,
étymologiquement, huis clos, a fortiori, a priori, ainsi que connaître l’expression “ le Code
Napoléon ”, de savoir que la “ gent ” ne prend pas de “ e ” final, et d’être à même de faire la
différence entre “ mettre à jour ” et “ mettre au jour ”, faute il est vrai récurrente dans les média
français.
La conjugaison de certains verbes, qui ne sont pourtant pas réputés des plus difficiles, semble
problématique : renvoit*, dépeind*, contiend*, boient*, parcoure*, pert*, atteind*, signifit*,
essait*… Certains verbes donnent même lieu à une véritable hécatombe : “ créer ” en est
probablement le plus bel exemple. Rappelons-en rapidement les formes correctes : je crée, il
a créé, elle a été créée, il seront créés, elles avaient été créées. Ce dernier problème est sans
doute lié à l’ignorance des règles d’accord du participe passé et de la quasi disparition dans
certaines copies des accents, qu’ils soient graves aigus ou circonflexes. Ainsi, non seulement
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-
-
-
les participes passés ne sont-ils pas accordés en genre et en nombre, mais ils sont parfois
confondus avec des formes de l’indicatif (punit, choisit, trahit, connut, rétrécit, prit, subit), ce
qui dénote un manque de capacité d’analyse grammaticale.
Les problèmes d’accords en genre et en nombre dans le groupe nominal. A part les erreurs
sur le genre de certains mots comme échappatoire (féminin), bon nombre de fautes sont
commises par étourderie et faute de relecture attentive : des mouvements*, seul* l’histoire,
réalité trop dur*. La faute la plus fréquente étant : l’un des plus grand* poète*.
Les barbarismes du genre approximité*, rassurance*, chasme*, sinistreté*, cathartie*.
Les problèmes de niveau de langue. Exemple : en toc, se faire un film, plein d’hommes, un
gros “ bang ”, une vie de jet set, Blanche drague le mari de sa sœur, etc.
Les règles d’emploi des majuscules en français sont différentes de celles qui s’appliquent en
anglais. Les adjectifs de nationalité ne prennent pas la majuscule en français, les noms de
mois non plus. Une meilleure application de ces règles permettrait d’éviter des confusions
fâcheuses telles que : le Sud Américain pour le Sud américain. Rappelons aussi que dans une
copie de concours il convient d’éviter les abréviations. On citera pour exemple ms (mais), i.e. ,
égalemt, pr (pour), ls (les), ds (dans).
Autre point faible de nombreux candidats : la ponctuation. Si le point est bien employé, il n’en
va pas de même de la virgule, du point virgule, des guillemets, des tirets, voire des points de
suspension. A ce propos, rappelons que les virgules sont obligatoires dans les structures
appositives et les relatives non déterminatives.
Pour finir, il faut éviter de mélanger l’anglais et le français dans la même phrase, ce qui donne
l’impression que l’on ne maîtrise en fait aucune des deux langues. Exemple : elle
“misrepresent(s) ”, elle se sent “ trapped ”, une forme de “ magic ”. Les citations en anglais
doivent être introduites en français, puis commentées en français.
II. Pistes de lecture
Définitions et mots clef
“ Pouvoirs ” : mise en jeu de la notion de capacité, mais encore plus de celle d'autorité.
“ Illusion ” : illosiun “ moquerie ” ; illusio, de ludere “ jouer ”. 1.1. Erreur de perception causée par une
fausse apparence. 1.2. Interprétation erronée de la perception sensorielle de faits ou d’objets réels.
1.3. Apparence dépourvue de réalité ; 2.1. Opinion fausse, croyance erronée, qui abuse l’esprit par
son caractère séduisant, 2.2. Le pouvoir, la force de l’illusion. L’homme a besoin de l’illusion. Faire
illusion : duper, tromper, en donnant de la réalité une apparence flatteuse. Il cherche à faire illusion.
Contr. Certitude, réalité, réel, vérité. Déception, désillusion. (Le Nouveau Petit Robert : Dictionnaire
alphabétique et analogique de la langue française).
Quelques mots clef : apparition, apparences, artifice, bluff, camouflage, charme, costume,
décorations, déguisement, duperie, embellissements, enchantement, fabrication, faux-semblant,
glamour, hallucination, imaginaire, jeu, leurre, lucidité, magie, mascarade, masque, mensonge,
mimique, mystification, mythe, ornements, piège, recréation, refuge, ruse, secret, séduction,
sortilège, subterfuge, travestissement, tromperie, vedettariat, vérité/contrevérité, victime.
Remarques préliminaires
Compte tenu de la consigne qui soulignait les rapports entre un texte de théâtre (écrit pour être
joué sur scène) et un film, la composition ne devait pas ignorer l'interprétation, véritable relecture
de la pièce, proposée par Elia Kazan. SI un ancrage solide dans le texte de Williams était essentiel, il
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ne fallait pas oublier de commenter le travail de montage et le jeu de caméra chez Kazan.
Si dans l’ensemble, les candidats semblaient avoir lu et étudié le texte du dramaturge
américain, ils n’ont pas porté un intérêt critique identique à l’analyse de sa transposition à l’écran par
le cinéaste Elia Kazan. En effet, si l’on trouvait, dans la grande majorité des copies, des références à
des passages précis de la pièce de théâtre, il n’en était pas de même pour le film, autre support, tout
aussi essentiel, du sujet proposé. Cette négligence était d’autant plus inadmissible que le sujet était
très explicitement accompagné d’une consigne rappelant l’aspect double – à la fois dramaturgique et
cinématographique – des analyses attendues.
Illusionniste d’un autre genre, Kazan s'appuya sur des procédés techniques qui renforcent
certains effets de la pièce de Williams, particulièrement les traits expressionnistes, tout en apportant
des accentuations et des tonalités différentes, à la fois en raison des choix effectués par le cinéaste et
des moyens d'expression propres au cinéma. C'est à l'exploration conjointe des procédés de
création, de fabrication délibérée et savamment construite d'une illusion artistique que les candidats
étaient invités, notamment à travers l'analyse des impressions supplémentaires d'artifice offerts par le
travail cinématographique. Ainsi, on pouvait s'interroger, par exemple, sur les multiples effets d'écran,
de cloisons, de masques, de rideaux et/ou de voilages qui jalonnent les deux œuvres. De même, les
jeux d'ombres et de lumières, tout comme la gestuelle et le vestimentaire pouvaient faire l'objet
d'analyses pertinentes. Sans oublier l'agencement de l’espace scénique, la création d'un lieu sonore et
musical qui met en place un espace symbolique, un puissant “ off scene ” imaginaire qui ne cesse
d'interpeller le lecteur-spectateur de Streetcar.
Tout en rendant possibles les analyses relatives à la féminité représentée comme un lieu
d’illusions par excellence, comme un topos à la fois individuel et collectif où le fictif et le fantasmatique
rejoignent le social, le culturel et l'historique, le sujet de cette année ouvrait la voie aux élaborations sur
“ l’art de la semblance ”, fondé sur la création d’une illusion sans laquelle la littérature, le théâtre pas
plus que le cinéma n’existeraient. Sans le “ faux ” artistique, difficile de parler de la “ réalité ”, du
“ vrai ”.
En raison de sa nature relativement ouverte, le sujet proposé permettait d’aborder les
problèmes principaux soulevés par la pièce de Williams, y compris les diverses dichotomies et
rapports conflictuels qui sous-tendent la pièce (rêve / réalité, matérialité / spiritualité,
objectivité / subjectivité, bestial / angélique, inclusion / exclusion, public / privé, poétique /
prosaïque, réalité / fiction, historique / imaginaire, factuel / légendaire, pure / impure, raison /
folie, etc.). Oppositions toujours à nuancer, étant donné qu’en dépit des apparences, la
dramaturgie de Williams tend vers la subversion des catégories et des cloisons séparatrices.
La vérité williamsienne serait ainsi à chercher au-delà des jeux duels, dans un entre-deux
moins tranché mais non moins violent, qu'il s'agisse de la spatialité, de la temporalité, de la
textualité, et bien évidemment de la sexualité.
De ce fait et malgré le caractère limpide du sujet, le candidat devait se méfier de l'impression
de simplicité et examiner attentivement les deux termes clef de manière à saisir les enjeux de
pouvoir sous-jacents. Sans une réflexion préalable sur les acceptions et sur la polysémie des
deux termes proposés, la composition risquait de manquer de souffle après un premier tour des
personnages et des enjeux les plus explicites. De même, compte tenu de son caractère “ ouvert ” et
de la pluralité des parcours analytiques qu’il est possible d’emprunter, les candidats devaient faire
preuve de discrimination, notamment en délimitant le nombre de repérages possibles afin de
parvenir à une véritable synthèse. Autrement dit, si c’est précisément pour rappeler la diversité des
niveaux où il était possible de faire résonner le terme “ illusion ” que l'autre terme clef (“ pouvoirs ”) est
conjugué au pluriel, les candidats devaient prouver leurs capacités à construire une démonstration
solide autour des axes sélectionnés et solidement ancrés à la fois dans la pièce et dans le film. Il
ne suffisait pas de proposer une liste de repérages textuels, dramaturgiques et/ou scéniques si ces
repérages n'étaient pas incorporés dans une argumentation dynamique, convergeant vers une
véritable conclusion.
24
Le risque majeur auquel n’ont pas su résister bon nombre des candidats consistait à se laisser
impressionner par le jeu des personnages, renforcé par le magnétisme des acteurs (surtout Leigh et
Brando). Trop de candidats se sont effectivement bornés à proposer soit une apologie soit une critique
systématique de Blanche, vue comme une illusionniste perfide, s'acharnant à briser le bonheur
conjugal de sa sœur (“ when she was young, very young, she had an experience that - killed her
illusions ”, Sc 7, p. 189), ou bien comme une victime impuissante des aléas de la vie. Selon une
logique analogue, Stanley pouvait constituer l’objet d’un réquisitoire aussi peu nuancé où l’homme se
voyait réduit à un maître-bourreau, cherchant à imposer son autorité dictatoriale, inspirée par le Code
Napoléon. (Plan limité à une simple inversion des termes du sujets autour de repérages centrés sur
les personnages, du type : 1. Les pouvoirs de l'illusion [Blanche et la tromperie] ; 2. Les illusions du
pouvoir [Stanley et l'autorité]).
Il est évident que ce type de remise en place de manichéismes ne reflète qu'un aspect très
limité de l'univers dramatique williamsien, ignorant totalement l'étonnante porosité des espaces, des
genres, et des personnages qui le caractérise. Afin de capter les enjeux plus implicites, il fallait
dépasser le niveau paraphrastique, refuser les portraits moralisateurs et / ou psychologisants,
en examiner la frontière incertaine qui, chez Williams, sépare l'illusion de la réalité. Autrement dit, bien
que le lecteur/spectateur de Streetcar soit souvent frappé par le réalisme ou le naturalisme de
certaines scènes, la dramaturgie de Williams – reflétée par l'adaptation de la pièce à l'écran par Kazan
– reste profondément marquée par le refus du réalisme.
Par ailleurs, il ne fallait pas négliger les aspects ludiques du mot “ illusion ”, non seulement sur
le plan des références métadramatiques aux divers jeux de scène, mais aussi par rapport au jeu de
poker. Rappelons que Williams avait songé, pendant un temps, inscrire la pièce sous le nom d’un jeu
de cartes (The Poker Night), soulignant ainsi l'importance du poker en tant qu’activité symbolisant le
jeu social. Il n’était d’ailleurs pas intéressant d’observer à quel point Blanche, le personnage pivot de
cette pièce ponctuée de références métatextuelle, ne cesse d’apparaître comme un joueur toujours
potentiel (“ Could I kibitz? ”, Sc. 3, p. 145), car contrainte de “ cacher son jeu ” avant son éviction finale
de la scène.
Il est à noter que les orientations de lecture présentées ci-après ne sauraient en aucun cas
constituer une proposition de plan. En effet, les frontières entre chaque partie sont, à l’évidence,
perméables, et peuvent varier en fonction des approches et des perspectives adoptées. L’objectif des
concepteurs du rapport est de proposer ici une charpente suffisamment générale, capable d’aider les
futurs candidats. Ainsi, on ne manquera pas de constater la complexification croissante des
entrées proposées. Non-exhaustifs, les repérages, pistes de lecture et mises en relation entre le
texte et le film proposés ici ne prétendent évidemment pas former un ensemble susceptible de couvrir
tous les cas de figures possibles. Proposer un tel document serait, en soi, une illusion! Par ailleurs, on
ne s’attendait pas à ce qu'une seule copie contienne tous les points évoqués ci-après.
Pour terminer, si les pistes pour l’analyse filmique sont aussi nombreuses, c’est pour fournir de
la matière à réfléchir aux candidats qui auraient à se poser des questions similaires lors des concours
suivants. En effet, parler de la transposition d’un texte littéraire à l’écran ne saurait se réduire à
quelques rappels qualifiables de nature “ factuelle ” (ici le Sud, son histoire, le cinéma de Kazan,
considérations biographiques sur T. Williams, etc.). Même si telle ou telle référence historique,
géographique ou politique n’était pas à proscrire en soi, il fallait s’assurer que ce type d’évocation
servait un but précis dans l’architecture générale de la composition.
1. Illusion et désillusion dans l’intrigue : les relations de pouvoir
Antagonisme entre deux mondes, deux systèmes antinomiques (Vieux Sud / Nouveau Sud),
emblématisés à la fois par les personnages, les espaces et les objets scéniques. Le fossé entre un
univers référentiel révolu, une société figée dans des stéréotypes aux vertus médiévales (“ Belle
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Rêve ”) et le nouveau monde conquérant. Le Vieux Sud légendaire des plantations vs les tenants
d'une réalité matérialiste incarnée par Stanley et Stella. Tentatives de Blanche pour faire revivre le
passé mythique, tout comme le souvenir d’Allan Gray, figure emblématique du Sud disparu. Dans ce
combat pour l’influence au cours duquel prennent voix et forme différentes versions du passé (“ storytelling ” de Blanche vs. “ History telling ” de Stanley), Stella et Mitch représentent l'auditoire à séduire.
Blanche : curieuse Belle du Sud (“ Southern Belle ”), être évanescent, jamais du côté du
parfaitement démontrable, du totalement visible ou maîtrisable. Issue de légendes et de mythes
hybrides plutôt que d'une histoire avec un “ H ” majuscule, Blanche échappe à toute catégorie unique,
y compris sur le plan des représentations du féminin, et ceci malgré les tentatives d'étiquetage de
Stanley qui mène une enquête acharnée sur le passé de sa belle-sœur pour connaître la vérité.
Stanley : l'illusion d'un ordre patriarcal, inscrit sous un code unique (“ le Code Napoléon ”) ; le rêve, le
phantasme d’une stabilité sociale immuable, contredite pourtant par ses emportements et sa
sauvagerie non-maîtrisés. Impétuosité mimétique reflétée par Mitch, surtout une fois tombé son
masque de héros chevaleresque (“ Rosenkavalier ”).
Idéaux divergents corroborés par les attitudes différentes par rapport au support papier. Blanche :
lampion en papier, lettres, poèmes, bouts de papiers contenant des messages, fragments d’histoire.
Stanley : l'argent, la loi, le testament, et autres documents palpables, preuves tangibles.
Positions ambiguës de Mitch et surtout de Stella, replacée dans un monde trépidant, dominé par les
“ lumières colorées ” (“ coloured lights ”, Sc. 8, p. 199). Au halo nostalgique du passé, affectionné par
sa sœur, Stella semble préférer les lumières de la ville et l'impulsivité virile, suggérées par le rythme
peu harmonieux du tram.
D Quelques mises en relation possibles avec le film :
Contrastes entre les deux sphères ; cloisons séparatrices ; rencontres, souvent brutales (on pense à
Stanley jetant violemment la radio par la fenêtre dans le film), avant la destruction finale de l'espace
onirique et féerique de Blanche. Premiers effets de “ théâtre dans le théâtre ”, surtout lorsque Blanche
apparaît dans l'intervalle des rideaux ; transformation de l’espace de l’Elysian Fields en un “ ailleurs ”
(ex. Sc. 3 en salle de bal viennois). Paysages de rêve recrées par la magie de l'éclairage.
Streetcar comme espace révélant la face cachée du Sud, dévoilant le mythe perverti. Projet initial de
Kazan (“ openings ”): tournage des scènes extérieures envisagées puis écartées. Impression d'une
prise au piège (“ entrapment ”) ; l'enfermement psychologique suggéré et renforcé par un
enfermement spatial. Utilisation, au cours de sa transposition spatiale de Streetcar, de cloisons
mobiles pour traduire l'impression de claustrophobie qui règne à la fin de la pièce ; l’étouffement de
Blanche dans l'appartement des Kowalski: “ Caught in a trap. Caught in” (Sc. 10, p. 214). Seules
“ ouvertures ” maintenues : la scène d'arrivée, la scène de bowling, la scène au bord du lac.
L’apparition proléptique des premiers objets emblématiques (malle, miroir, etc.) ; l'étrange pouvoir
d'allusion dont s'investissent les objets, chez Williams. Univers transposé, à l'écran, par le savoir-faire
esthétique et technique de Kazan (surnommé “ Gadge ”). En effet, dans le film, les accessoires
semblent participer au même jeu de dissimulation / révélation que les costumes et l'éclairage. (V.
l’insistance de Kazan dans son Notebook for A Streetcar Named Desire, sur le terme de “ stylization ”
et le “ réalisme poétique ”).
Effets de miroir avec Gone with the Wind (1939), roman de M. Mitchell adapté au cinéma.
2. L’illusion et la désillusion dans le discours : le pouvoir du langage
L’onomastique : blancheur, innocence, pureté, transparence, virginité suggérées par le prénom de
Blanche, de même que par son signe astrologique (“ Virgo is the virgin ”, Sc. 5, p. 167). Attributs
soulignés par la couleur des robes blanches, ou pastel (“ Della Robia blue ”). Contrastes avec
l’apparition progressive d'espaces gris (Allan Gray), des “ souillures ”, marques de déshonneurs
révélés par l'enquête de Stanley. Sont également à mettre en parallèle, la révélation des vices
familiaux (“ improvident grandfathers and father and uncles and brothers exchanged the land for their
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epic fornications ”, Sc. 2, p. 140) et la perte de la pureté, d'un état idéal. Par ailleurs, l’on voit Blanche
œuvrer à recréer, dans un quotidien antagoniste, le “ beau rêve ” (“ Belle Rêve ?/ A great big place
with white columns ”, Sc. 1, p. 119), une civilisation engloutie dont elle conserve la nostalgie, une
culture qui n'existe plus qu'à travers son langage fleuri et ponctuellement bilingue (recours à la langue
française qui semble constituer un écran, en même temps qu'une curieuse “ cachette linguistique ”
que Blanche serait la seule à maîtriser), ou bien à travers ses manières outrageusement précieuses –
un espace dont Blanche tâche, par la modification de son espace, de rétablir obstinément l'image.
L'illusion de réalité produite dans un récit par les “ indices langagiers ”, notations factuelles et autres
détails qui renvoient à la “ réalité ”, y compris à la société de consommation (“ lemon-coke ”,
“ Southern Cheer ”, “ Luckies ”, etc.) Impressions renforcées par les noms de lieux et d'objets réels
dont “ Desire ” – un tram ayant réellement existé dans la ville de la Nouvelle Orléans.
Le mensonge : la mystification comme jeu paradoxal qui consiste à cacher, tout en prétendant au
vrai. Tel un metteur en scène, Blanche se drape dans des robes vaporeuses, crée des décors aux
éclairages tamisés, couvre les meubles d'étoffes décoratives, etc., mais affirme par ailleurs son
attachement à la vérité, confessant des éléments de son passé (“ face the facts ”, “ laying the cards on
the table ”, etc.). Une mise en scène de soi ; inscription du personnage dans un univers
dramaturgique. Le jeu ambigu de Blanche se trouve contré par Stanley, qui le dénonce comme une
tromperie criminelle qu'il faudra élucider, exposer au grand jour. Invitations répétées à la transparence
(“ Now let's cut the re-bop! ”, Sc. 2, p. 137), transformées en mises en garde. Or, Stanley ment à son
tour en niant la réalité du viol de Blanche. L’illusion qu’il crée remportera finalement l’adhésion de ses
proches. Chez Stella, le basculement de la crédulité vers l'incrédulité semble plus progressif. Stella:
“ It's pure invention! ”, Sc. 7, p. 187). Le doute final qui sonne comme un verdict (“I couldn't believe her
story and go on living with Stanley ”, Sc. 11, p. 217).
Les artifices rhétoriques : La maîtrise langagière de Blanche ; changements de rôles, de sociolectes,
de registres linguistiques. Propos à tour de rôle poétiques et “ anthropologiques ” laissant entendre
l’affiliation persistante entre l’homme et le singe (“ He acts like an animal, has an animal's habits! Eats
like one, moves like one, talks like one! There's even something – sub-human – something not quite to
the stage of humanity yet! ”, Sc. 4, p. 163). Par ailleurs, la volonté récurrente d'hiérarchisation des
ethnies et des classes sociales (“ Polish, Irish… ”).
- Dans le costume du “ Rosenkavalier ” Mitch semble, pour un temps, transcender l'animal, il est
transformé non seulement en un “ dancing bear ” (Sc. 3, p. 151), mais en un “ loup ” (“ Is he a wolf? ”,
Sc. 3, p. 146). À moins que le masque animalier ne soit l'un des multiples loups portés au cours de
l'étrange bal masqué qu'est Streetcar. Mascarade au cours de laquelle Blanche, à la fois manipulatrice
et victime, occupée par ses propres leurres et artifices, semble oublier le jeu animalier qui finit par la
piéger “[T]his place is a trap !! ”, Sc. 11, p. 219).
D Quelques mises en relation possibles avec le film :
La transposition à l’écran, par Elia Kazan, des didascalies, souvent très poétiques et polysémiques,
de Tennessee Williams qui demandent un véritable effort de traduction visuelle et auditive. Le recours
au langage ambigu de la musique, de même qu’aux cris et autres bruits qui renvoient à divers pans de
signification, de plus évident au plus implicite.
La question des couleurs intenses, tranchées, entrechoquées de Van Gogh ; couleurs contrastées
comme signes chromatiques de tourments inexprimés dans le texte et le choix de Kazan de tourner en
noir et blanc (et non pas en version technicolor) la “ tragédie poétique ” de Williams. Le choix du noir et
blanc permet de donner la pleine mesure aux jeux d’ombres et de lumière typiquement
expressionnistes qui viennent redéfinir l’espace pour transposer visuellement l’ambiguïté des
personnages.
L'évolution des espèces relue par Williams et Kazan ; remises en scène de l'homme et de la femme
sous leurs airs animaliers ; proies et prédateurs ; l’animalité des personnages mise en scène dans le
film à diverses reprises (les exemples les plus notoires : le tee-shirt moulant maculé de taches de
Stanley, son miaulement pour effrayer Blanche).
27
Censure et les autres tentatives de purification ; la pièce de Williams comme objet d' “ épuration ”, y
compris au moment de son passage à l'écran. La censure a gommé non seulement la référence à
l’homosexualité d’Allan Gray, mais tout particulièrement la dernière scène, en imposant une rupture
définitive entre Stanley et Stella. Or, cette “ assainissement ” s'avère n'être qu'une illusion dans la
mesure où le départ de Stella montant l'escalier rappelle montée puis la descente érotisée,
accompagnée d'une musique caressante que Stella a déjà effectuée dans le film. Reprise, toujours
possible, de l'union entre Stella et Stanley, imprégnée de tonalités animalières (“ Then they come
together with low, animal moans ”, Sc. 3, p. 154).
À noter également : les effets d’éclairage, l’utilisation des gros plans, tout comme la mobilité de la
caméra de Kazan qui ne cesse de “ traquer les personnages ” dans un mouvement continu, capable
d’évoquer les évolutions d'une bête en cage.
3. La dimension métathéâtrale de Streetcar
Rappelons qu’il ne s’agissait pas de dénoncer la “ fausse ” ou “ perfide ” démarche de
Blanche, à la fois ensorceleuse et manipulatrice (lecture purement moralisatrice, psychologisante). Le
candidat devait, en effet, résister à la tentation d’entreprendre un éclairage complet sur le
personnage central, tentative aussi vaine et stérile que celle de Stanley Kowalski pour dépouiller
Blanche de tous ses artifices ! Il fallait également s’intéresser aux manières dont l’esthétique théâtrale
de Kazan reproduit, en s’appuyant sur d’autres techniques et modes de représentation, les conflits au
cœur du Streetcar. Il était, en effet, crucial d’élargir l’approche des “ pouvoirs de l’illusion ” aux
stratégies théâtrales et techniques cinématographiques à travers l’examen des divers jeux
mimétiques mis en évidence. Ainsi, on pouvait partir des passages précis du texte et du film pour les
explorer à la lumière d’une esthétique moderniste et / ou expressionniste, afin de vérifier dans
quelle mesure ils reflétaient la construction d’artifices au service de l'illusion théâtrale. Blanche: “ I
don't want realism ” (Sc. 9, p. 203); “ I'll tell you what I want. Magic! […] I try to give that to people. I
misrepresent things to them. I don't tell them the truth. I tell what ought to be truth. ” (Sc. 9, p. 204).
Sans pouvoir présenter, dans le cadre de ce rapport, tous les prolongements possibles, notons
simplement qu’il aurait été possible de poursuivre plus loin les parallélismes avec l'expressionnisme et
d’autres courants de l'esthétisme moderne dans la dramatisation des souffrances et des névroses,
chez Tennessee Williams. Ainsi que le soulignent les pistes proposées dans notre dernière partie, bien
que marquées par des genres et des classifications formelles, les structures de surface cachent
presque toujours des espaces contredisant l’impression première d’une surface lisse. Ainsi, au dire de
Blanche, les genres et les (stéréo/)types de Streetcar seraient de nature hétérogène (“ Heterogeneous
types ”, Sc. 1, p. 124), et les multiples “ effets du réel ” (Barthes) surtout au service de l'illusion.
Comme pour les autres repérages, énumérés ci-dessus, les propositions suivantes ne
constituent qu’une série de pistes non-hiérarchisées dont on auraient pu s’inspirer pour la
construction d’une démonstration capable de rendre compte de certains enjeux plus implicites de
Streetcar. En effet, bien qu’en abordant les deux facettes fondamentales de l'illusion – la face
salutaire, source de l'enchantement, et la face destructrice et ravageuse, conduisant
(éventuellement !) à l'aliénation et/ou à la démence – le candidat devait montrer sa capacité à
déconstruire certains des mécanismes textuels et dramaturgiques mis à l’œuvre.
Le théâtre des apparences ; Figure de l’artiste, Blanche à la fois comme comédienne et metteur en
scène: “ I fib a good deal. After all, a woman's charm is 50% illusion but when a thing is important, I tell
the truth. And this is the truth, I never cheated my sister, or anyone else on earth as long as I lived.”
(dans le film uniquement). Artiste, illusionniste prise à son propre piège ; Blanche comme objet de
mystification, mais également comme sujet, agent, personne pratiquant l'illusionnisme par des tours de
prestidigitation, des artifices, des effets de scène. Présence (déjà constatée) du matériel d'illusionniste
sur scène: la malle, le lampion / lanterne magique, voilages et autres accessoires de théâtre. Magicien
28
qui fait disparaître / apparaître des objets, mais qui se trouve finalement piégé par son propre jeu : “ I
was caught in the centre…. People don't see you - men don't - don't even admit your existence unless
they are making love to you.[…] ” ; “You've got to be soft and attractive. And I - I'm fading now! ” (Sc. 5,
p. 169). Productrice effrénée d'images visuelles et langagières, Blanche représente (sur scène comme
dans le film) la tentation d'un imaginaire qui tire l'individu d'une réalité en perte de créativité vers le
spirituel et le re-créatif. Or, si l'imaginaire sert souvent de refuge à Blanche, il précipite aussi sa perte.
Travestissements : Contradictions mises en évidence par l'effet de “ travestissement ” (déf.
“ transformer en revêtant afin de prendre l'apparence de l'autre, y compris celle de l'autre sexe ”).
Transformations imaginaires et / vestimentaires (“ The problem is clothes ”, Sc. 10, p. 209), tentatives
de transgression d’une structure sociale clairement établie. Pourtant, si au cours des jeux de scène qui
cherchent à subvertir la catégorie unique d'une féminité établie (recours répété aux diminutifs, “ pet
names ”), Blanche s'implique dans un jeu de camouflage et de mascarade jusqu'à évoquer une “ dragqueen ” (après tout, les événements se déroulent à la Nouvelle Orléans!), Stanley Kowalski semble
participer à un jeu similaire de dissimulation/révélation. Il s'enveloppe d'une sensualité qui vient
remettre en question certaines de ses apparences rigoristes (“ an impressive judicial air ”, Sc. 2, p.
138). Revêt le pyjama en soie qu'il avait porté pendant sa nuit de noces; pyjama (“ brilliant silk
pyjamas ” que Kazan imagine rayé, tel un habit de prisonnier (Sc. 10). Salle de bain, lieu privilégié de
travestissement, seul espace d’intimité : espace hors scène que le dramaturge (contrairement au
cinéaste) n'expose pas au regard du spectateur.
Effets de porosité : Perméabilité entre le passé et le présent suggérée non seulement par la musique
qui rappelle, de manière obsessionnelle, le traumatisme initial de Blanche (découverte brutale de
l'homosexualité d'Allan Gray), la faisant revenir sur la scène du suicide de son mari, mais également
par l’imperméabilité des murs qui ne semblent plus isoler du monde extérieur. Transparences à la fois
sonores (les bruits du Vieux Carré, le “ piano bleu ” du bar voisin, les cris des vendeurs de rue, les voix
des passants, etc.) et visuelles (effacement des limites d'un espace qui se voulait clos, ex. Sc.10,
scène du viol: “Through the back wall of the rooms, which have become transparent, can be seen the
sidewalk. A prostitute has rolled a drunkard. He pursues her along the walk, overtakes her and there is
a struggle. A policeman's whistle breaks it up. The figures disappear ”, p. 213). Création – à la fois
projection d'un avenir effrayant et / ou replay d'un passé odieux – d’un espace permettant une
relecture de l'histoire de Blanche. Représentation auditive et visuelle d'un lieu paradoxalement de plus
en plus claustrophobe, et s'ouvrant vers un espace autre. – Celui de la folie? Eunice : “ She couldn't
stay here; there wasn't no other place for her to go. ” (Sc. 11, p. 224).
Piste intertextuelle (Browning, Hawthorne, Poe, Shakespeare, Whitman, etc.) : intertexte comme
“ masque ”, y compris dans le sens de l’ “ intertexte filmique ”. Effet de “ teasing ” lié au double jeu sur
le plan référentiel. En effet, le langage poétique se lit, au moins, comme double. (Kristeva) – La
question du vrai texte? – Autres effets de palimpseste : acteurs (surtout Leigh et Brando) qui ne
s'effacent jamais complètement derrière les personae.
D Quelques mises en relation possibles avec le film :
Le féminin comme lieu Blanche incarne la “ Southern Belle ” par excellence, figure d'une féminité
blanche sublimée dans le Sud ante-bellum, image de la perfection physique, esthétique, morale,
femme maintenue sur un piédestal. Dès la première scène du film, Blanche apparaît comme une
figure poétique en décalage avec le monde moderne: la femme incongrue (“ Her appearance is
incongruous to this setting ”, Sc. 1, p. 117). Apparition diaphane, Blanche émerge d'un nuage de
fumée dans la gare animée de la Nouvelle Orléans. La caméra de Kazan s’attarde sur les rails de
chemin de fer, sur la valse des taxis, la foule pressée qui sort d'un train. Par opposition, l'apparition de
Blanche isole le personnage de la réalité urbaine, et pose, d'emblée, la question de son statut réalite.
Au cours de la rencontre avec Mitch, le traitement cinématographique dévolu à Blanche renvoie à la
star Vivien Leigh. Blanche est en effet cadrée soit en plan rapproché soit en gros plan ; isolée par le
cadre, elle s’offre à la fascination du spectateur. Le personnage illusoire créé par Blanche rejoint ici
l’illusion du septième art et du cinéma classique, machine à fabriquer des rêves.
29
Le pouvoir mimétique des sons et de la musique : Espace scénique de Kazan : topoï de turbulence,
traversé d'échos du passé (la Varsouviana, coup de feu) et du présent (bruits du train), autant
d’occurrences compulsives et de signes de traumatismes insurmontables. Choc psychologique
provoqué par la découverte de l'homosexualité d'Allan Gray et les scènes dont les retours sonores
signent l'impossible effacement par l'oubli, de même que la manière arbitraire et capricieuse dont
s'opère la re-constitution du passé par la mémoire (“ to re-member ”).
Espace scénique et l'imaginaire spatial : Hors scènes à la fois comme espaces réels et
prolongements imaginaires, oniriques. Création d'un univers carcéral à l'aide d'effets
d'éclairage : jeux récurrents d'ombres et de lumières, “ zébrures ”, ombres portées sur les
murs, (V. Williams dans “ Production Notes ” : “ The lighting in the play is not realistic. […] A
free, imaginative use of light can be of enormous value in giving a mobile, plastic quality to
plays of a more or less static nature” (SND, p. 231).
Jeux de miroir, de doublure : la prostituée et l'ivrogne, doubles grotesques de Blanche et Stanley ?
L'allégorie de Platon: les prisonniers qui prennent pour des objets réels les ombres qui défilent sur les
parois de leur caverne. – Le cinéma comme lieu d’illusion per se !
Hollywood : lieu de fabrication de rêves et d'illusions, par excellence, fabrication/exploitation
délibérée des fantasmes. Stanley: “ Some men are took in by this Hollywood glamour stuff and some
men are not ”. (Sc. 2, p. 137). Le “ star-system Hollywoodien ” à la fois remis en place et subverti ? (On
pense ici à la star Vivien Leigh acceptant de jouer une femme déchue au moment où le cinéma
hollywoodien classique est en pleine mutation (V. aussi Sunset Boulevard de Billy Wilder). La
désillusion de Mitch suggérée par la position inversée de la statuette de Mae West (didascalie Sc. 6, p.
175).
III. Copie
Voici, pour terminer ce rapport, une copie qui correspond aux principaux critères imposés à
une composition en français. Nous attirons l’attention des futurs candidats au Capes externe d’anglais
sur le fait qu’il s’agit d’un travail perfectible qui, par conséquent, ne devrait pas être pris pour modèle.
Défauts
Exemple de bonne copie
30
Qualités
Affirmation
péremptoire
A Streetcar Named Desire est une pièce de théâtre, ce qui nous
place d’entrée de jeu dans le contexte théâtral de la création
artistique et de l’illusion dramatique. Si le problème des pouvoirs de
l’illusion dans la pièce et dans le film d’Elia Kazan ne fait aucun
doute, il convient cependant de nous interroger tout d’abord sur la
signification même des termes “pouvoir” et “ illusion ”. Le pouvoir,
c’est ce qui a une emprise, une influence sur, c’est donc ce qui peut
modifier ce qui est établi comme vrai. Le pluriel “ pouvoirs ” indique
que l’on s’attachera à comprendre la multiplicité de cette influence
modificatrice. L’illusion—du latin “ lludere ”qui signifie “ se jouer
de ”—dénote d’emblée, son étymologie nous le dit, le risque
d’erreur que l’illusion contient. L’illusion est source d’erreur, donc,
se joue de nous, mais elle participe également de l’imagination et
du désir, car dans l’illusion nous voyons ce que la réalité ne nous
donne pas à voir. Enfin, sans réalité, il n’y aurait pas d’illusion.
Celle-ci s’oppose donc à la réalité, et par extension, à la vérité.
Mais quelle vérité ? La vérité que nous appellerons “ factuelle ”
(lieu, age, faits, actions réalisées) ou bien la vérité des sentiments
du désir, de l’espoir ? Les différentes acceptions du terme “ vérité ”
nous amènent donc à mettre en opposition illusion, réel et vérité,
pour finalement nous poser la question des pouvoirs de l’illusion, du
rôle de cette dernière pour les personnages. Que produit l’illusion,
et à quelles fins l’utilise-t-on dans la pièce ? L’illusion, nous le
verrons, n’a pas seulement une dimension négative liée au
mensonge et à l’erreur. Ce cheminement analytique nous amène
donc a l’élaboration du raisonnement suivant : nous verrons dans
un premier temps comment l’illusion semble fonctionner dans la
pièce. Dans un deuxième temps, nous observerons les limites des
pouvoirs de l’illusion et la justification de Blanche quant à son
ingénieuse utilisation de l’illusion. Enfin, en dernier lieu, nous
verrons en quoi la pièce et le film utilisent l’illusion dramatique et
cinématographique à des fins esthétiques.
Le tout premier pouvoir de l’illusion, c’est celui de rendre la
réalité plus belle, de tromper, de se jouer de l’autre. Ainsi Blanche,
consciente de ce pouvoir, en use et abuse et se met en scène en
créant une autre Blanche attirante, séductrice, aimée.
C’est tout d’abord le jeu de séduction qu’elle effectue en tentant
de dissimuler la vérité sur sa situation qui nous le montre. Cette
séduction passe par l’exhibition de biens en apparence chers et
luxueux et par l’exhibition d’un corps mensonger. Stanley, à la
scène 2 de la pièce, sera victime de l’illusion que Blanche tente de
créer à l’aide de ses nombreuses robes et bijoux bon marché. En
effet, surpris de voir les possessions de Blanche dans sa cantine si
bien fournie, l’époux de Stella doute d’emblée que Blanche soit
aussi pauvre qu’elle l’a laissé entendre. Stanley est berné : l’illusion
fonctionne. Elle fonctionnera aussi grâce aux clairs-obscurs de
Kazan qui nous montre une Vivien Leigh aux traits purs et presque
virginaux. Mitch, comme le spectateur, se laisse tromper par
l’apparence sophistiquée et délicate d’une Blanche qui, par tous les
moyens, tente de donner une image féminine de son être. C’est
31
Définition et mise
en relation
pertinentes des
termes du sujet
Approfondisseme
nt de l’analyse.
Questionnement
menant à
l’élaboration d’une
problématique
cohérente.
(Questions
rhétoriques
toutefois à éviter.)
Plan clairement
annoncé
Rapport élaboré par René Alladaye, Isabelle Labrouillère et Taïna Tuhkunen-Couzic.
Nos remerciements à Agnès Roche-Lajtha, Benoît Depardieu, ainsi qu’aux autres membres du jury
pour leurs conseils éclairés.
32
4.2 Commentaire dirigé en anglais
La particularité du texte proposé aux candidats résidait dans son caractère abstrait : parce que
les auteurs privilégient l’investigation conceptuelle, les faits de civilisation sur lesquels celle-ci est
fondée restent hors-champ. Il appartenait donc au commentaire d’analyser non seulement l’évolution
voire les aléas de l’interprétation du concept de crime organisé, mais encore de reconstituer la réalité
de ses manifestations. La superposition de la représentation filmique du crime organisé, miroir
déformant de cette réalité tout en étant nourri par elle, ajoutait un élément d’analyse supplémentaire.
Les commentaires les plus réussis ont su rendre compte du texte sans pour autant tenter de restituer
in extenso les faits de civilisation censés être présentés, ce qui leur a permis d’utiliser les films en
éclairage toujours à propos, à l’aide d’un point de vue construit sur le rapport entre réalité et fiction.
L’extrait lui-même n’a pas présenté de difficulté de compréhension majeure pour les
candidats, à une exception près ; la phrase “law enforcement and politicians are not however the only
players who have turned defining organized crime into an industry ” (l. 26-7), a fréquemment donné
lieu à un contresens : la présence de ‘defining’ n’a pas été prise en compte et c’est donc ‘organized
crime’ qui est transformé en ‘industry’, en lieu et place des définitions concurrentes élaborées par les
politiques, les médias et les chercheurs et stigmatisées par les auteurs du texte.
Le véritable obstacle à la rédaction d’un commentaire de texte solide s’est avéré être l’absence
de maîtrise de la technique propre à cet exercice. Dans certains cas, le texte n’est mentionné qu’en
introduction, pour ensuite complètement disparaître dans le développement. Dans d’autres cas, si le
texte reste au centre, les candidats ne font guère plus qu’en effleurer la surface. A l’analyse se
substitue une paraphrase, le plus souvent maladroite ; certains mots, prélevés dans le texte en dehors
de tout contexte, donnent lieu à des échappées narratives vaguement historiques sans lien perceptible
avec le texte étudié ; très souvent, le plan annoncé, statique, se contente de suivre le déroulement du
texte sans tenter la moindre analyse ; la problématique, enfin, si elle existe le plus souvent, ne fait
parfois qu’une brève apparition en début de parcours, sans être mise en œuvre dans le corps du
commentaire.
Il importe de rappeler que les candidats doivent procéder à une lecture attentive du texte pour
y déceler les segments porteurs. La problématique du commentaire sera suggérée par cette lecture et
se retrouvera dans la formulation du plan. Lors de la rédaction, il faudra se garder de toute tentation
d’exhaustivité et ne sélectionner que les connaissances pertinentes parmi toutes celles absorbées au
cours de la préparation afin d’illustrer des aspects spécifiques du texte et d’en éclairer les allusions ou
l’implicite.
L’introduction d’un commentaire comprend la présentation commentée du document. Elle tient
compte de tous les éléments paratextuels fournis (auteurs, titre, source, date) qui permettent
d’interroger l’environnement historique et social d’une citation et d’en effectuer une contextualisation
aussi complète que possible. Celle-ci doit amener les candidats à dégager les grandes lignes du texte
puis à énoncer la problématique adoptée. L’annonce du plan intervient à la fin de cette étape qui est
suivie de la démonstration, laquelle s’appuie sur des éléments précis du texte, élucidés à l’aide des
connaissances du candidat. La conclusion rassemble les divers arguments mis en avant dans le
commentaire puis propose un élargissement de la problématique de départ. Il faut se garder de la
tentation manichéenne et éviter de laisser ses propres jugements, voire le sens commun, prendre le
pas sur une analyse raisonnée d’événements forcément complexes.
33
Le second obstacle à la rédaction d’un commentaire de texte de bonne tenue est celui de la
langue, qui apparaît insuffisamment maîtrisée et dans certains cas déficiente. Il faut signaler, sans
pour autant se livrer à une énumération aussi fastidieuse qu’improductive, que les erreurs récurrentes
touchent à quatre domaines principaux : l’usage des déterminants, l’usage des temps, le lexique et
l’orthographe.
Dans le cas des déterminants, on note une confusion entre l’usage de ‘the’, ‘a’ et ‘ Ø’: *the
organized crime, voire *an organized crime (Ø organized crime) ; *the President Hoover (Ø President
Hoover).1
L’usage des temps laisse à désirer. Le présent est ainsi utilisé pour faire référence au passé,
rendant les énoncés ambigus, voire incohérents pour le lecteur : ex. “ F.D. Roosevelt *is elected (was
elected) in November 1932 ”. Le present perfect est soit absent, soit utilisé de façon erronée. Le “-s”
final de la 3è personne du singulier ou la terminaison “-ed” du participe sont omis par de nombreux
candidats, conduisant à nombre d’énoncés inintelligibles ; les verbes irréguliers semblent eux aussi
fréquemment méconnus. Enfin, il faut rappeler que les formes contractées telles que “don’t ” (do not)
ou “can’t ” (cannot), propres au registre oral, n’ont pas de place dans ce type d’exercice.
Les erreurs de lexique touchent des mots d’usage courant ; ainsi, les confusions sont
fréquentes entre policy/politics/politician/political ; economic/economical ; censor/censorship ;
critic/criticism ; live/leave. L’usage des prépositions et des post-positions laisse à désirer : ex. the main
reason *of (for) responsible *of (for). Les calques foisonnent : ex. to *precise (specify), *these *latters (
the former, the latter).
Enfin, l’orthographe de certains termes qui appartiennent au lexique de l’argumentation est
souvent déficiente. Les occurrences les plus fréquentes sont : *exemple (example), *developpement
(development), *embodie/*embodiement (embody/embodiment) ; le redoublement des consonnes
donne lieu à de nombreuses erreurs, telles que *prefered (preferred), *ennemy (enemy), *mentionned
(mentioned). On note l’absence répétée de majuscules aux adjectifs de nationalité ainsi qu’aux noms
de partis politiques ou de groupes religieux tels que *irish (Irish), *American (American), *democratic
(the Democratic Party), *catholic (Catholic).
Les mesures à prendre pour remédier à ces difficultés sont connues et éprouvées : la lecture
attentive et régulière de textes de provenances variées de même que la pratique assidue de la langue
écrite et orale permettront aux futurs candidats d’acquérir les automatismes indispensables à une
expression correcte et fluide.
Ces remarques ne doivent pas masquer la présence de nombreuses copies d’excellente tenue,
dans lesquelles la lucidité et la clarté du commentaire dénotaient une parfaite maîtrise de la
méthodologie, du sujet et de la langue.
Ont contribué à ce rapport les membres du jury dont les noms suivent : MMES et MM. Achard,
Agostini, Audous, Auer, Ben Barka, Boulard, Da Col Richert, Dunan, Dutertre, Espesset, Foessel,
Goffart, Gouttefangeas, Héberlé, James, Lemaître, Manfrini, Nafissi, Peltzman, Selbach, StarfieldKupiec, Trouvé, Wattez. Qu’ils en soient ici chaleureusement remerciés.
1 Les formes erronées sont précédées d’un astérisque. La forme correcte est donnée entre parenthèses.
34
Bibliographie indicative
Bernas C., Gaudin E., Poirier F., The Document in British Civilization Studies : Understanding,
Analysis, Commentary, Gap, Ophrys, 1992.
Charlot M., Halimi S., Royot D. Le commentaire de civilisation anglaise et américaine, Paris, Colin,
1982.
Kober-Smith A., Whitton T., Le commentaire de texte par l’exemple, Nantes, Editions du Temps, 2003.
Commentaire dirigé
Analyze and assess the following text with reference to Scarface, Angels With Dirty Faces, The
Asphalt Jungle and Force of Evil. Pay special attention to the historical and economic contexts and to
the social representations of the gangster.
Margaret E. Beare and R.T. Naylor, Major Issues Relating to Organized Crime within the Context of
Economic Relationships, Law Commission of Canada, April 14, 1999.
http://www.lcc.gc.ca/en/themes/er/oc/nathan/nathan_main.asp
While most issues related to social control or moral regulation have a political aspect to
them, discussions related to ‘organized crime’ are steeped in politics - from the creation of
illegal markets in the first place, to the declarations of the size of the ‘threat’ and the
passing into force of extraordinary legislation to attack the problem. The advantage of
“organized crime” is that it can be whatever the speaker wants it to be - a massive threat, a
theatrical legacy, or petty criminals (...). The lack of consensus around the term, the
invisibility of much of the activity, and the natural links into the lives of the public for a large
percentage of what are demand-driven commodities, allows for a sense of personal
relevance and fascination. The complicity of the public through their support for many of
these illegal goods and services mixes with evidence of the real, or in other instances
exaggerated, violence initiated by some of these organized criminals to create an
ambivalent and corruption-vulnerable environment. (...) The mention of the words
‘organized crime’ has the power to draw the press, win votes, acquire law enforcement
resources, gain public support for various legislative or enforcement crackdowns. (...)
Robert Merton (1967) argues that creating a concept is not a passive neutral act but rather
an act with real consequences. To use the concept ‘organized crime’ means that this term
and everything that is seen to fall under it is deemed to have certain characteristics. Like
false statistics, a false or ambiguous ‘label’ can have serious policy and enforcement
implications. The word takes on powers that may be totally irrelevant to the activities that
fall under its sway. Researchers have been diligent in defending their claims that law
enforcement [and politicians] over the years have preferred a particular version of
organized crime. A monopolistic, highly sophisticated alien-conspiracy model was seen to
both aid their resource needs and serve to provide a justification for why their enforcement
actions were not having the impact that the public might expect from the resources gained.
(...)
Law enforcement and politicians are not however the only players who have turned defining
organized crime into an industry. Researchers who have accused these other individuals of
manipulating our understanding of organized crime for organizational or personal gain are
equally guilty. Organized crime academic ‘experts’ have spent a disproportionate amount of
time advancing their own perspective by arguing the deficiency of competing definitions.
35
The final group - the media - has a particular fondness for anything relating to organized
crime and works together or against the other interest groups to define, dramatize, and
deliver to the public the various interpretations of the threats posed by organized crime.
While the term “organized crime” appears in the literature going back at least into the
1920's, the 1960's directly affected how we have come to see this concept. Six consultants
worked on the 1967 US President's Organized Crime Commission to describe the structure
and working of organized crime. The 1967 Commission served to solidify a vision or version
of what ‘organized crime’ in North America was. (...) [Some hold it] responsible for an era of
enforcement that targeted Italian criminals to the exclusion of other organized criminals and
whose work justified an enforcement strategy that relied on a conspiracy interpretation of
organized crime. The notion of an alien, all-controlling criminal monopoly, external to the
larger society but sapping its wealth is an image that serves the media and law
enforcement. In addition, the targeting on Italian-American conspiracies sets aside any
accusation of political or police corruption.
36
Proposition de lecture
N.B. : Loin d’être normative, cette proposition
possibles du texte.
doit être considérée comme l’une des approches
Introduction : contextualisation du document2
Le texte à analyser est extrait d’un rapport intitulé Major Issues Relating to Organized Crime
within the Context of Economic Relationships et préparé en 1999 pour un comité parlementaire
canadien par Margaret E. Beare et R.T. Naylor. Le contexte législatif peut laisser supposer qu’il s’agit
d’une audition d’experts préalable à l’élaboration d’un texte de loi, si bien que le texte tend à susciter
d’emblée la confiance que l’on accorde à une opinion indépendante et fondée sur une recherche
précise. Ce présupposé de neutralité objective est renforcé par la date de publication, largement
postérieure à la période évoquée, “ the 1920’s ” l. 35, “ the 1960’s ” (l. 36), de même que par la
provenance canadienne d’un document analysant des événements qui se sont déroulés aux EtatsUnis – deux caractéristiques qui évoquent la distance critique. L’origine canadienne indique
également la pérennité de liens étroits et anciens entre le crime organisé qui se déploie aux EtatsUnis et au Canada. Le titre du rapport laisse entendre que l’approche privilégiée par les auteurs est de
nature économique. Le champ lexical dominant dans le premier paragraphe confirme ce point : des
formulations telles que “ markets ” (l.2), “ demand-driven commodities ” (l. 7), “ goods and services ” (l.
9), calquent des structures économiques sur l’activité criminelle.
L’attente de neutralité suscitée par le contexte est cependant déçue puisque le ton de l’extrait
est polémique à l’extrême. Les auteurs se livrent à une attaque en règle de toutes les interprétations
du crime organisé qui ont précédé l’époque contemporaine ; ils portent notamment un jugement de
valeur très sévère sur les politiques, les forces de l’ordre, les médias et les chercheurs, allant jusqu’à
faire usage d’une terminologie juridique : “ researchers (…) are equally guilty ” (l. 28). Mais dans
l’extrait qui nous est présenté la réalité historique du crime organisé sur le terrain n’apparaît pas : les
multiples activités clandestines ne sont évoquées que de façon allusive. Nous sommes clairement
dans le domaine de l’investigation conceptuelle, comme le prouve le choix des mots ‘concept’ (l. 13,
14, 30) ; ‘label’ (l. 15) ; ‘vision or version’, (l. 32) ; ‘interpretation’, (l. 28, l. 35) ; ‘model’ (l. 19). La
typographie elle-même souligne, par l’emploi récurrent des guillemets, le contenu incertain du concept.
Aussi l’approche des auteurs, loin d’être empirique, cherche au contraire à pointer les incohérences et
les contradictions que recouvre le concept de crime organisé afin d’en dégager la portée idéologique,
politique et culturelle.
Problématique :
Selon Beare et Naylor, le concept même de crime organisé est fluctuant ; l’absence de consensus
(l. 6) sur sa définition tend à montrer qu’il s’agit d’une construction sociale ; celle-ci est le résultat
d’une lutte pour le sens entre trois grands groupements d’intérêts : le milieu politique et les forces de
l’ordre d’une part, les chercheurs en sciences sociales d’autre part et enfin les médias et le public.
2 Les intertitres ne sont inclus que pour des raisons méthodologiques et doivent bien évidemment être omis dans
un devoir.
37
Les interactions multiples et contradictoires de ces trois grands groupements d’acteurs
constitueront l’assise de ce commentaire. Nous étudierons les événements historiques dans leur
relation avec la représentation qu’en donnent les médias de masse - le cinéma, par l’entremise des
films de gangsters, ainsi que la presse. Nous nous intéresserons donc aux relations qu’entretiennent
la réalité du crime organisé, sa conceptualisation et sa représentation filmique. La notion
d’ambivalence semble essentielle à la compréhension de ces trois aspects, comme l’indiquent les
auteurs lorsqu’ils évoquent “ an ambivalent (…) environment ” (l. 10). L’analyse, dans un premier
temps, de l’ambivalence du public, de la classe politique et des médias vis-à-vis du crime organisé
nous permettra d’élucider, dans un second temps, l’ambivalence qui informe la construction même
du concept de crime organisé. Puis nous mettrons en évidence la façon dont se réduit l’ambivalence
envers les diverses manifestations du crime organisé.
I – Un environnement ambivalent
1a) L’ambivalence apparaît dans les conflits qui opposent les partisans de la Prohibition à la majorité
de la population.
Lorsque les auteurs mentionnent “ social control and moral regulation ” (l. 1), ils semblent faire
allusion à la période précédant la mise en place de la Prohibition : ses partisans (temperance movements,
the Anti-Saloon League) mènent une intense campagne en faveur de l’abstinence et obtiennent en 1919 la
promulgation du Volstead Act, qui entre en vigueur au début de l’année 1920. La vente d’alcool devient
illégale, tandis que sa consommation demeure licite. La Prohibition aboutit à la mise en place d’un marché
parallèle pour l’alcool (“ the creation of illegal markets ”, l. 2), et donc au développement d’une importante
économie souterraine, comme le dénote l’expression “ the invisibility of much of the activity ” (l. 6) ; parce que
la demande d’alcool reste forte (“ demand-driven commodit[y] ”, l. 8), la distribution illégale d’alcool de
contrebande commence presque immédiatement et donne naissance à de nombreuses activités criminelles,
“ illegal goods and services ” (l.8) ; ‘services’ fait probablement référence aux speakeasies, ces bars
prétendument clandestins mais connus de tous, où la consommation d’alcool de contrebande est florissante.
Beare et Naylor soulignent l’impopularité de la Prohibition lorsqu’ils mentionnent “ the complicity of
the public through their support for many of these illegal goods and services ”, (l. 8). Pour les auteurs, l’alcool
fait partie intégrante des pratiques sociales (“ the natural links into the lives of the public ” l. 6), si bien que la
vente illégale d’alcool crée un sentiment d’implication personnelle du public (“ a sense of personal
relevance ”, l. 8) dû au caractère familier, quotidien de la consommation d’alcool. C’est la raison pour laquelle
les tentatives de régulation de cette consommation sont d’abord ressenties comme des velléités de
modification autoritaire des comportements par le pouvoir politique : “ issues related to social control (…)
have a political aspect to them ” (l. 1). La Prohibition a ainsi été présentée par ses adversaires comme une
grave atteinte aux libertés individuelles.
L’ambivalence de la société vis-à-vis de la Prohibition est reflétée dans son rapport aux gangsters
eux-mêmes. Al Capone, par exemple, est une personnalité célèbre. Conscient du soutien dont il bénéficie
dans la population (“ a sense of fascination ” l. 8), il se pose en bienfaiteur public et finance des soupes
populaires. Cette fascination transparaît dans le vif engouement que suscitent les films de gangsters,
notamment Scarface, dont la trame narrative, informée par les pré-supposés du réalisme social, est fondée
sur la biographie de Capone. Le film met simultanément en scène la rationalisation sanglante du secteur de
la distribution illégale d’alcool (“ the (…) violence initiated by some of these organized criminals ” l. 9-10) et
les tentatives d’ascension sociale de Tony Camonte. Bien que ridiculisées, celles-ci illustrent de façon
saisissante l’interpénétration des univers légitime et illégitime.
1b) l’ambivalence de la classe politique et des forces de l’ordre : “ [a] (…) corruption-vulnerable
environment ” (l. 10)
La Prohibition ne remporte pas l’adhésion de la classe politique. Le maire républicain de
Chicago, William Thompson, se vante de boire et déclare : “ I’m wetter than the middle of the Atlantic
Ocean ”. De nombreux responsables politiques, jusqu’au président Harding lui-même, consomment
ouvertement de l’alcool.
L’ambivalence se retrouve à tous les niveaux de la vie politique. Ainsi, les machines politiques
démocrates entretiennent des liens étroits avec le crime organisé, comme en témoigne le système de
clientélisme mis en place à Tammany Hall. Lorsque les auteurs du rapport évoquent le pouvoir qui
s’attache à l’expression de “ crime organisé ” (“ the power to (…) gain public support for various
legislative or enforcement crackdowns ” l. 11-13), ils font probablement allusion à Thomas Dewey,
procureur spécial, qui met en lumière en dix grandes enquêtes les liens entre machine politique et
gangstérisme à partir de 1931, de même qu’à Samuel Seabury, dont l’enquête sur les rouages de la
politique à New-York, publiée en 1932, discrédite Tammany Hall et permet, en 1933, l’élection de
Fiorello La Guardia (“ win votes ”, l. 12). Ce dernier menace la corruption sans vraiment l’éradiquer,
puisque la machine politique continue à fonctionner jusque vers la fin des années cinquante. Les
travaux de la commission Wickersham (National Commission on Law Observance and Enforcement)
sont publiés en 1931 ; très critiques des méthodes brutales employées par le Bureau of Prohibition, ils
contribuent à la mise en place de mesures de moralisation des forces de l’ordre. La prise de
conscience de l’ampleur du problème donne l’impulsion à toute une série de mesures législatives
entre 1932 et 1934 (“ the passing into force of extraordinary legislation to attack the problem ”, l. 4).
Les agents du FBI acquièrent ainsi le droit d’être armés et d’effectuer des arrestations ; d’une façon
générale, ces mesures fournissent une légitimité et des moyens accrus aux forces de l’ordre (“ acquire
law enforcement resources ” l. 12).
De la même façon, policiers corrompus et incorruptibles coexistent au sein des forces de
l’ordre. La loi est appliquée de façon inefficace dans la mesure où les fonctionnaires qui en sont
chargés sont peu nombreux (3000) et que leur faible salaire les rend susceptibles de répondre
favorablement aux tentatives de corruption (“ [a] (…) corruption-vulnerable environment ”, l. 11) ; la
police municipale est gangrenée par sa collusion avec les criminels pendant toute la période de la
Prohibition ; ainsi Michael McDonald, policier de Philadelphie, déclare que les services de police
perçoivent des sommes allant jusqu’à cent cinquante mille dollars par mois pour fermer les yeux sur
les activités criminelles. A l’opposé, Eliot Ness, soutenu par un groupement de hauts fonctionnaires
fédéraux de la justice, the Citizens’ Committee for the Prevention and the Punishment of Crime, traque
Al Capone et réussit à le faire condamner en 1931.
L’ambivalence se traduit également, pendant la seconde guerre mondiale, par l’utilisation des
gangsters par le gouvernement à des fins de propagande patriotique. Il en serait ainsi pour Lucky
Luciano, dont les liens avec la Mafia sicilienne auraient fourni le renseignement nécessaire au
débarquement des forces de Patton en Sicile en 1943 ; la coopération des dockers de New-York, où le
crime organisé est très présent, avec les services de renseignement de la Marine (Office of Naval
Intelligence) dès 1942 pour faire échec au risque de sabotage constitue un autre exemple de
l’instrumentalisation du crime organisé par les instances politiques.
Les films font de la corruption de la classe politique un ressort de leurs scénarios ; ainsi, dans
Angels with Dirty Faces, les documents dérobés à Frazier par Rocky Sullivan sont à même de
compromettre nombre de notables de la ville. Mais c’est un autre mode qui prévaut dans The Asphalt
Jungle, où Ditrich, le lieutenant de police corrompu, est combattu par Hardy qui, lui, est intègre.
Cependant, les méthodes prônées par ce dernier sont aussi brutales que celles des gangsters : “ Rip
up the phone, smash up the furniture, knock up the witness ! Scaring works. ” Dans les deux cas, la
39
frontière entre légitimité et criminalité est ainsi rendue indistincte, contribuant au sentiment général
d’ambivalence.
1c) Ambivalence des médias de masse (presse et cinéma)
“The final group - the media - has a particular fondness for anything relating to organized crime” (l.3031) : l’usage du mot ‘fondness’, aux connotations affectives, dans ce contexte d’investigation conceptuelle
indique clairement l’intention ironique des auteurs du rapport et la sévérité du jugement porté sur la presse et
le cinéma. Le reste du passage “ [the media] works together or against the other interest groups” (l. 31-32)
souligne d’une part que la presse est un groupement d’intérêts comme un autre et nullement, comme on
pourrait le croire, une institution indépendante, et d’autre part que sa position “ for or against ” (l. 32),
apparemment aléatoire, n’est pas dictée par la recherche de la vérité mais par la poursuite de ses propres
intérêts. Le mot “ dramatize ”, enfin, (“ to define, dramatize, and deliver to the public the various
interpretations of the threats posed by organized crime ” l. 32-33) par sa polysémie, puisqu’il se réfère à la
fois à la mise en scène et à l’exagération spectaculaire, pointe du doigt les distorsions et les biais imposés à
l’interprétation de la réalité par les médias. Ces interprétations, véritables constructions de la réalité sociale,
influencent inévitablement la vision que le public peut avoir du crime organisé.
Les journaux à sensation étalent en effet avec délectation les méfaits des gangsters tout en faisant
mine de les critiquer ostensiblement. Le cinéma lui aussi s’attarde volontiers sur la violence des guerres de
gangs, mais fait précéder ce festival de tueries de mises en garde moralisatrices. C’est la conséquence du
code Hays, mis en place en 1930 pour tenter de réfréner l’engouement persistant du public pour les films de
gangsters. D’autres campagnes menées par la Legion of Decency en 1933-34 et le Film National Estimate
Board en 1934 aboutissent à un durcissement de l’opposition à cette catégorie de films, jusqu’au moratoire
décidé en 1935 pour contrecarrer l’enthousiasme du public pour eux.
Ainsi dans Scarface, les fusillades sont particulièrement violentes, mais les déclarations du
préambule contre les gangsters sont là pour dédouaner le film de l’accusation de complaisance. D’autre part,
une scène particulière met en abyme la nature du problème que pose la criminalité : un groupe de citoyens
se rend en délégation auprès du directeur du journal et lui demande de ne plus mettre les gangsters à la
‘une’. Celui-ci réaffirme qu’il est nécessaire de parler des criminels pour s’en débarrasser et leur conseille le
militantisme. Ce petit interlude, rendu nécessaire, il faut le préciser, par le code Hays, illustre parfaitement
l’ambivalence généralisée ainsi que le dilemme auquel la presse est confrontée : à trop donner de publicité
au crime, celui-ci risque de gagner en légitimité, mais c’est le risque que l’on doit courir pour tenter de
l’éradiquer.
Les acteurs eux-mêmes brouillent les frontières entre le légitime et l’illégitime et accentuent ainsi le
sentiment d’ambivalence et d’ambiguïté. Ainsi, l’ancien gangster George Raft se reconvertit comme acteur
dans les films de gangsters, tandis que J. Cagney (G-Men, 1935) , E. G. Robinson (Bullets or Ballots, 1936),
ou encore Humphrey Bogart, qui joue le rôle de Frazier, l’avocat véreux dans Angels With Dirty Faces,
passent du rôle de gangster à celui de policier entre 1929 et 1951.
II – L’ambivalence de la société informe la construction du concept de crime organisé
Aux côtés du public (“ the complicity of the public ”, l. 8), des politiques (“ law enforcement and
politicians ”, l. 26) et des médias (“ the media ”, l. 31), les chercheurs en sciences sociales ont eux aussi
contribué à faire du crime organisé un objet d’interprétations aussi multiples que contradictoires ( “ have
turned defining organized crime into an industry ”, l. 26-27) tout en accusant les politiques d’instrumentaliser
ou de manipuler le concept (“ Researchers have been diligent in defending their claims that law enforcement
[and politicians] over the years have preferred a particular version of organized crime ”, l. 19-21). Les
guillemets qui encadrent le mot “ ‘experts’ ” (l. 29), visent précisément à mettre en doute non seulement
l’expertise de ces chercheurs, mais encore leur capacité à produire des études dépourvues
d’idéologie. L’accusation de manipulation délibérée par les forces de l’ordre émise par les chercheurs
et dénotée par le mot “ preferred ”, en italiques de surcroît, en est affaiblie d’autant.
Lorsque les auteurs évoquent les définitions concurrentes du crime organisé (“ competing
definitions ” l. 25), ils font sans doute allusion à un certain nombre de théories sociologiques ; il pourrait
s’agir d’une référence aux théories de l’école de Chicago, représentée par Landesco, par exemple,
pour lequel le criminel serait produit par son environnement, ou d’une référence aux théories de
Merton, pour lequel l’adhésion aux gangs serait une façon de contrecarrer la diminution des
possibilités de mobilité sociale, freinées par le ralentissement économique de la Dépression. Ces
théories ont donné l’impulsion à des programmes de prévention de la délinquance juvénile, soumis par
la suite à d’intenses critiques.
Les auteurs insistent en effet sur le pouvoir des mots à non seulement représenter, mais
encore à façonner la réalité : “ a false or ambiguous 'label' can have serious policy and enforcement
implications. The word takes on powers that may be totally irrelevant to the activities that fall under its
sway ” (l. 17-19). La citation de Merton, “ creating a concept is not a passive neutral act but rather an
act with real consequences ” (l. 15) souligne encore davantage que les représentations sociales du
gangster puis du crime organisé ont des répercussions bien tangibles dans le réel. L’imbrication des
sciences sociales et du politique et par conséquent la responsabilité des chercheurs dans l’échec de la
lutte contre le crime organisé sont ainsi mises en évidence.
La construction sociale du concept de crime organisé n’est pas seulement le fait des
chercheurs : “The advantage of “organized crime” is that it can be whatever the speaker wants it to be
- a massive threat, a theatrical legacy, or petty criminals” (l. 4-5). Ce passage illustre sous une forme
condensée trois interprétations différentes et cependant complémentaires de la nature du crime
organisé mises en avant par les différents acteurs sociaux. Les trois interprétations contradictoires
mises en exergue sont les suivantes :
2a) “ a massive threat ” (l. 5): les films de gangster mèneraient au délitement de la société :
c’est la thèse des Payne Fund Studies (1933), condensées dans un ouvrage grand public, Our MovieMade Children, publié par le journaliste H.J. Forman en 1934. L’auteur y insiste sur le danger que
représentent les films de gangster pour la société entière, mais surtout pour les enfants et les
adolescents. La thèse de l’influence directe d’œuvres de fiction sur la réalité a donné lieu à des
politiques de protection de la jeunesse et du public en général par la censure.
Les films de gangsters intègrent dans leurs scénarios une critique implicite de la mise en
scène de l’actualité qui contribue à gonfler l’importance du moindre incident. En d’autres termes, il y
aurait collusion entre le crime organisé et les médias. Ainsi, au début de Scarface, le rédacteur en chef
annonce au reporter que le crime a changé de paradigme avec l’arrivée du crime organisé : “ There’s a
new crew coming in, it’s war, gang war ”. Le choix de ce mot très fort (war) de même que
l’augmentation de la taille de la ‘une’ indiquent non seulement une prise de conscience de la remise en
question de l’ordre ancien, mais encore la détermination du rédacteur en chef à y prendre part.
L’épilogue de Angels with Dirty Faces fournit un exemple supplémentaire ; les gamins des rues (the
Dead End kids) sont accablés par les titres de journaux affirmant que leur héros, Rocky Sullivan, est
mort en lâche. Dans Force of Evil, enfin, la ‘une’ du journal annonce le tirage du 776 et la réussite de
l’escroquerie, démontrant ainsi la complémentarité de l’activité criminelle et des médias. La presse, à
la ville comme à l’écran, joue le rôle de caisse de résonance pour les activités criminelles – une
fonction dont les gangsters ont parfaitement su tirer profit.
2b) “ a theatrical legacy ” (l. 5) : les auteurs font sans doute allusion à la conception du
41
gangster en tant que héros tragique élaborée par Warshow, qui en fait un symbole de modernité subversive,
voire de conformité paradoxale et romancée à l’idéal de l’ascension sociale. Les films ont rendu, avec une
force de persuasion qui a effrayé les censeurs et une partie du public, toute l’ambivalence de ces figures. A
l’exception de Scarface, qui donne au héros une dimension comique dans les scènes impliquant son
secrétaire, les films de gangster considérés ici ont en commun une approche novatrice du criminel : dans
chacun d’entre eux, le metteur en scène donne accès à la conscience intime du gangster et à l’interprétation
qu’il a de ses propres choix. Souvent, comme dans Force of Evil ou Angels With Dirty Faces, un parallèle
est très clairement institué entre monde criminel et monde de la légalité, notamment politique, aboutissant à
une critique sociale élaborée. La criminalité apparaît dans ces films, notamment dans The Asphalt Jungle,
comme une mise en cause implicite du statu quo, donnant ainsi à la transgression le statut d’un acte de
résistance et/ou de subversion vis-à-vis des déterminismes sociaux et transformant le gangster en portedrapeau de la modernité.
2c) “ petty criminals ” : les actes délictueux sont considérés sous l’angle individuel et non
organisationnel. Les médias sont probablement visés par ce passage, dans la mesure où la presse tend à
minimiser la dynamique du crime organisé et ses liens avec les institutions légitimes pour mettre en valeur
des criminels individuels hauts en couleur. Par ailleurs, Beare et Naylor évoquent sans doute également ici
les thèses du sociologue Daniel Bell, qui refusait d’accepter l’idée même de l’existence de crime organisé.
Cette position était également celle de J. Edgar Hoover qui, à la tête du FBI, concentre son action sur les
activités de bandits tels que Baby Face Nelson ou Dillinger tout en occultant complètement la possibilité
même d’une organisation criminelle structurée, et ce jusqu’au moment où les travaux de la Commission
Kefauver (mai 1950-51) imposent la thèse d’une criminalité issue de la communauté italienne.
III – La réduction de l’ambivalence se dessine après-guerre
Le concept de crime organisé tend en effet à perdre une partie de sa polysémie au moment où le
sénateur Kefauver conclut à la fois à l’envergure désormais nationale et non plus locale du crime organisé et
au rôle prépondérant de la Mafia italienne – une thèse reprise à la fin des années soixante par la commission
présidentielle chargée d’enquêter sur la structure et le mode de fonctionnement du crime organisé : “ The
1967 Commission served to solidify a vision or version of what ‘organized crime’ in North America was ” (l.
38-39). Ce rétrécissement du champ conceptuel a des répercussions dans le champ politique et dans
l’attitude des médias, notamment dans la vision cinématographique du gangster.
3a) répercussions dans le champ politique :
L’élaboration de politiques de répression s’attache aux seuls Italiens : “an era of enforcement that
targeted Italian criminals to the exclusion of other organized criminals” (l. 39-40), ce qui entraîne de multiples
effets pervers. En effet, en désignant la seule Mafia à l’attention des autorités, ils stigmatisent les Italiens
récemment installés sur le sol américain et contribuent à ancrer la thèse de la conspiration d’origine
étrangère ; les conclusions du sénateur Kefauver se rattachent au discours nativiste anti-immigration, et
renforcent les doutes sur la loyauté des “ hyphenated Americans ”. Ce passage énonce donc clairement que
les formes de répression du crime organisé dépendent du modèle conceptuel choisi.
Ces travaux fournissent les bases nécessaires à une interprétation ‘conspirationniste’ du crime
organisé et de sa répression : “ an enforcement strategy that relied on a conspiracy interpretation of
organized crime ” (l. 40-41). L’utilité de cette version du crime organisé est perceptible à tous les niveaux,
comme l’indiquent Beare et Naylor : “ The notion of an alien, all-controlling criminal monopoly, external to the
larger society but sapping its wealth is an image that serves the media and law enforcement. In addition, the
targeting on Italian-American conspiracies sets aside any accusation of political or police corruption ” (l. 4144). Une telle interprétation, soutenue notamment par Cressey et déconstruite par Albini en 1971, permet de
déresponsabiliser la classe politique ; elle fournit un bouc émissaire ; elle évacue également la possibilité de
venir à bout du problème puisque l’ennemi est considéré comme tout-puissant. Beare et Naylor semblent
laisser entendre que cette thèse, en masquant la réalité de l’implantation criminelle au sein même de
la société, permet au crime organisé de prospérer et de nouer avec les politiques, les forces de l’ordre
et les médias des relations d’interdépendance, voire d’osmose, à l’abri desquelles peut se perpétuer
une corruption d’autant plus insidieuse qu’elle n’est pas identifiée.
3b) répercussions dans le champ médiatique (presse et cinéma)
La réduction de l’ambivalence vis-à-vis du crime organisé se dessine dans les représentations
sociales. Les campagnes de presse contre la criminalité et la corruption aboutissent au
démantèlement de la machine politique de Tammany Hall. Le New-York Times publie ainsi
annuellement une douzaine d’articles dénonçant le crime organisé tout au long des années cinquante.
La diffusion télévisée des auditions réalisées par le sénateur Kefauver atteint des taux d’audience
particulièrement élevés, mais cette fois la complaisance vis-à-vis des criminels est en net recul, de
même que la connivence du public. En effet, en raison de l’intensification des activités du House UnAmerican Activities Committee en 1947, la question de la subversion passe au premier plan ; c’est
dans ce contexte général qui assimile à la fois l’industrie cinématographique et le crime organisé à des
activités subversives que la thèse du complot étranger (“ alien (…) criminal monopoly ”, l. 41 ;
“ Italian-American conspiracies ”, l. 43) s’ancre dans les représentations sociales.
La représentation filmique du gangster et de son activité évolue. On met en valeur son
insertion dans le système économique du pays, notamment en insistant sur les similitudes entre la
loterie clandestine (the numbers racket) et les pratiques entrepreneuriales légitimes. The Asphalt
Jungle (1948) tente même de superposer les deux secteurs dans la célèbre réplique d’Emmerich ,
“ crime is only a left-handed form of human endeavor ” ; Force of Evil (1950) pousse encore plus avant
la critique d’institutions telles que la Bourse et les monopoles industriels : les protagonistes (Doris, Joe
Morse, Leo) sont broyés par l’économie de marché. Dans ces films, les méfaits des institutions
légitimes ne le cèdent en rien à ceux du crime organisé.
Conclusion
L’exploration du concept de crime organisé dans sa dimension historique permet aux auteurs
de percevoir les incohérences et les contradictions dans les interprétations qu’il suscite. La vision
diachronique des auteurs les conduit à identifier puis à mettre en exergue certains des facteurs sociopolitiques qui jouent un rôle dans la formation du concept de crime organisé. Ce texte enfin permet de
mettre l’accent sur l’insertion du crime organisé dans les structures profondes de l’économie. On peut
en déduire que pour Beare et Naylor, il importe de mettre fin aux stéréotypes qui font du crime
organisé un problème exogène et de mettre en lumière le fait que les structures légitimes comme les
structures criminelles font partie intégrante d’un seul et unique système. Une telle approche permet
d’abandonner les politiques de prohibition dont l’inefficacité a été démontrée et d’envisager, sinon
l’éradication du crime organisé, du moins la mise en place de politiques ciblées de régulation et de
contrôle.
Viviane Serfaty
43
4.3 Epreuve de Traduction : Version et Thème
L'épreuve de traduction consiste en un thème et une version. Dans l'une et l'autre des deux sous parties de
cette épreuve, le candidat doit faire la preuve non seulement de sa maîtrise des deux langues, tant en
compréhension qu'en expression, mais aussi des techniques de traduction. Ecrire implique des choix de la
part de l'auteur, et le bon traducteur se doit, bien entendu, de les respecter et de les reproduire dans la
langue cible, le plus fidèlement possible.
Un certain nombre des remarques qui vont suivre peuvent à première vue sembler évidentes et simplistes.
Cependant, les erreurs trouvées dans un grand nombre de copies montrent qu'il n'est pas superflu de faire
quelques rappels.
D'abord, nous n'insisterons jamais assez sur l'importance, pour les candidats qui veulent mettre toutes les
chances de leur côté, d'un entraînement régulier à l’exercice de traduction dans les deux sens (version et
thème), afin d'en maîtriser au mieux les techniques. De la même façon, nous ne saurions assez conseiller
aux candidats d'approfondir leurs connaissances lexicales, afin d'éviter les trop nombreuses approximations,
les évitements, voire les omissions.
Ensuite, rappelons qu’il est impératif, avant de se lancer dans la traduction, de lire plusieurs fois le texte, afin
de s'en imprégner, d'en avoir une vue d'ensemble. Le texte source fournit des indices essentiels, et une
analyse stylistique est indispensable : repérage de la situation, du point de vue, de la syntaxe, du rythme, des
figures, des images.
Enfin, il faut absolument que les candidats apprennent à bien gérer les cinq heures qui leur sont allouées,
afin de garder le temps suffisant à une relecture fine et efficace. Ils pourront ainsi veiller à la cohérence
interne de la traduction qu'ils proposent (temps, déterminants, conjonctions, pronoms relatifs, etc.) et éliminer
les non-sens, nombreux, qui sont trouvés dans les copies. Cela éviterait à de nombreux candidats, sans
doute sous le coup de l'émotion, l’oubli de segments entiers du texte, qui pèse lourdement sur la note.
Ajoutons qu'une meilleure gestion du temps et un soin particulier apporté à l’écriture permettraient aussi
d’éviter de remettre une copie raturée ou illisible, difficilement acceptable à ce niveau.
ÉPREUVE DE VERSION
As if in answer to our secret impatience, Hensch strode decisively to his corner of the stage.
Quickly the pale-haired assistant followed, pushing the table after him. She next shifted the second
table to the back of the stage and returned to the black partition. She stood with her back against it,
gazing across the stage at Hensch, her loose white gown hanging from thin shoulder straps that had
slipped down to her upper arms. At that moment we felt in our arms and along our backs a first faint
flutter of excitement, for there they stood before us, the dark master and the pale maiden, like figures
from a dream from which we were trying to awake.
Hensch chose a knife and raised it beside his head with deliberation; we realized that he had
worked very quickly before. With a swift sharp drop of his forearm, as if he were chopping a piece of
wood, he released the knife. At first we thought that he had struck her upper arm, but we saw that the
blade had sunk into the wood and lay touching her skin. A second knife struck beside her other upper
arm. She began to wiggle both shoulders, as if to free herself from the tickling knives, and only as her
loose gown came rippling down did we realize that the knives had cut the shoulder straps. Hensch had
us now, he had us. Long-legged and smiling, she stepped from the fallen gown and stood before the
black partition in a spangled silver leotard. We thought of tightrope walkers, bareback riders, hot circus
tents on blue summer days. The pale yellow hair, the spangled cloth, the pale skin touched here and
there with shadow, all this gave her the remote, enclosed look of a work of art, while at the same time it
lent her a kind of cool voluptuousness, for the metallic glitter of her costume seemed to draw attention
to the bareness of her skin, disturbingly unhidden, dangerously white and cool and soft.
Steven MILLHAUSER, The Knife Thrower, 1999
45
Spécificité de l'extrait / de l'oeuvre
L'extrait est un passage essentiellement descriptif, qui donne à voir au lecteur, spectateur par procuration,
une partie d'un spectacle de magie dans un cirque ou un théâtre. Le texte se divise en deux paragraphes : le
premier est composé de phrases longues et complexes “she stood… upper arm” ; dans le second
paragraphe, deux parties peuvent être identifiées, d'abord une succession de phrases courtes de type
narratif traduisant une accélération du rythme du récit, puis de nouveau une partie descriptive, dont la
dernière phrase est particulièrement riche et développée. Cette structure devait bien entendu être prise en
compte et restituée en français.
La situation, facile à appréhender, invitait les candidats à visualiser la scène, ce qui leur permettait d'éviter
des choix lexicaux qui risquaient de mener à des non-sens, des incongruités, frôlant quelquefois le
surréalisme. Les difficultés majeures de la traduction étaient liées au choix des formes aspectuo-temporelles
et des pronoms. Le sens des mots qui posaient quelques difficultés pouvait en grande partie être inféré en
s'appuyant sur l’intégration contextuelle et le simple bon sens. Les candidats devaient dès le début établir
une deixis claire afin de situer les faits et les personnages dans le temps et dans l'espace. De même, il était
indispensable de percevoir la focalisation du passage. Le lecteur devient le public/voyeur, ce qu'implique la
narration à la première personne du pluriel : il voit et ressent. Le texte est donc essentiellement paratactique :
il donne l'illusion d'une perception visuelle et de l'impact physique direct de cette perception. Il fallait
respecter cette absence de filtre, ce dépouillement, cette quasi-brutalité du texte d'origine sans y ajouter de
commentaires, d'élucidations, d'explicitations. Autrement dit, il s'agissait de limiter les étoffements au strict
minimum. La scène se passe dans un décor dépouillé et dans un lieu clairement délimité, les mouvements
des deux acteurs sont calculés. Toute dilution trahissait l'idée que nous assistons ici à un rituel, ce qui
réduisait l'intensité et l'ambiguïté du texte : s'agit-il d'un rituel de mise à mort ? Le décentrage de la situation
“as if, at first we thought… but, and only…did we realize”, invite le lecteur/spectateur à entrer dans un monde
quasi irréel. Il s'agit des artifices du monde du spectacle auxquels se superposent les fantasmes des
spectateurs, qui se délectent du frisson causé par l'anticipation fébrile d'une blessure, peut-être fatale.
I. COMPRÉHENSION DU TEXTE
I.1. Ponctuation
L'étude de la ponctuation du texte à traduire doit permettre dans un premier temps au candidat de
mieux en appréhender la structure. Elle peut souvent l'aider à lever les ambiguïtés. Ainsi, dans le
groupe nominal “the remote, enclosed look…”, la virgule qui sépare les deux adjectifs épithètes indique
bien qu'il y a accumulation et que leur ordre n'est pas pertinent. La virgule sera de préférence rendue
en français par la conjonction de coordination et “ le caractère lointain et inaccessible ”.
La virgule marque une pause, en particulier dans les phrases longues. Son omission risque donc
d'entraîner une perte du sens ; son remplacement par un point transforme le rythme de la phrase
voulu par l'écrivain.
Les candidats ont tendance à attribuer au point-virgule une valeur équivalente à celle de la virgule.
Rappelons qu'il sert essentiellement à relier deux propositions indépendantes dont le sens est lié.
Le jury attend des candidats qu'ils fassent preuve de rigueur dans la maîtrise des règles de base de la
ponctuation, comme par exemple l'obligation de mettre une majuscule derrière un point, entre autres
signes de ponctuation forte. Un paragraphe sera consacré plus loin dans le rapport sur le thème à des
remarques plus détaillées sur la ponctuation.
I.2. Le lexique
I.2.1. L'inférence
Le passage ne présentait pas de difficultés lexicales majeures, et le sens des termes inconnus de
certains candidats pouvait être déduit grâce à la situation et/ou au contexte. L'extrait consistant en la
description d'un spectacle de lanceur de couteaux, imaginer la scène aidait beaucoup le candidat et lui
permettait d'éviter les traductions aberrantes parce que hors champ sémantique ou en complet
décalage avec la situation. Ainsi, l'analyse du texte en amont permettait d'inférer que leotard, inconnu
de la majorité des candidats, renvoyait à un vêtement porté sous une robe. La situation interdisait toute
traduction par nuisette ou déshabillé.
Dans le cas des mots composés, l'analyse de la relation entre les termes, de leur ordre et de leur
hiérarchie, permettait également de trouver le sens. Les “bareback riders” n'étaient donc pas des
riders with bare backs, mais bien des riders on bare backs. De la même façon, le sens de “tight-rope
walkers” (funambules), dans un contexte de spectacle de cirque, pouvait facilement être inféré.
I.2.2. Insuffisance des connaissances lexicales
On ne saurait trop conseiller aux candidats d'étoffer régulièrement leurs connaissances en matière de
vocabulaire. La confusion entre blood et blade, entre lay et lie, entre cloth et clothes, l'ignorance de
termes tels que work of art, spangled ou wiggle, la traduction de “spangled leotard” par léotard rayé
révèlent les limites du lexique de certains candidats, ainsi que leur manque de recul critique. Par
ailleurs, “gown”, mal connu des candidats, a parfois été traduit par des termes tels que peignoir ou
robe de chambre. Ces traductions s'expliquent probablement par le fait que les candidats ne
connaissent “gown” que dans le mot composé dressing-gown. Cependant, le simple bon sens et une
meilleure intelligence de la scène décrite auraient dû exclure de telles erreurs.
I.2.3. Le cas des "faux-amis"
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Il est à remarquer que les quelques faux-amis disséminés dans le texte ont dérouté bon nombre de
candidats, tels les mots “partition” à traduire par panneau ou “decisive” qui ne pouvait en aucun cas être
traduit par décisifs. Ce type d'erreur peut entraîner, suivant les cas, des faux-sens, des contresens, voire des
barbarismes, lourdement sanctionnés.
I.3. Analyse syntaxique
L'analyse syntaxique fine des phrases permet d'éviter de nombreux contresens. Ainsi, dans le segment “The
pale yellow hair, the spangled cloth, the pale skin touched here and there with shadow”, l'absence de virgule
entre “skin” et “touched” permettait de savoir que “touched” ne portait que sur “skin”. (cf. I.1.)
De la même façon, il était indispensable de bien analyser la chaîne de substituts pronominaux. Dans le
segment qui suivait, “all this gave her the remote, enclosed look […] voluptuousness”, le candidat devait
repérer la relation grammaticale entre le pronom neutre it non mentionné juste avant et le pronom
démonstratif “this” qui, lui même, renvoyait à l'ensemble du segment précédent, “the pale yellow hair […]
shadow”, repérage encore facilité par la présence de “all”.
I.4. Point de vue narratif
Dans cet extrait, le personnage qui assiste à la scène se trouve être aussi le narrateur. Sa subjectivité se
manifeste par la présence d'un certain nombre d'indices grammaticaux comme le possessif de la première
personne du pluriel “our”, ou les pronoms personnels “we” et “us”.
Le texte s'inscrivait donc bien dans le cadre d'une focalisation interne, ce qui devait amener le candidat à se
montrer plus rigoureux dans la traduction de ces indices. Trop souvent, en effet, le jury a eu à déplorer une
alternance presque aléatoire entre on et nous, parfois même à l'intérieur d'un même segment (on sentit dans
nos bras). Pour respecter la focalisation interne de l'extrait, nous était le choix le plus judicieux et le candidat
avisé devait s'y tenir.
I.5. Cas particulier
Beaucoup de candidats ont eu du mal à comprendre la signification du segment “Hensch had us now, he
had us”. En effet, “now” donne une illusion de proximité temporelle, d'immédiateté. Le narrateur décrit la
scène comme s'il était en train de la vivre. La traduction Hensch nous avait bien eus relevait donc du
contresens, lourdement sanctionné, et il fallait traduire par : il nous tenait. Ajoutons une faiblesse fréquente
dans la traduction de “had”, qu'il fallait étoffer, au lieu de s'en tenir au simple sens de avoir.
II. RESTITUTION
II.1. Orthographe
Le jury ne saurait rester insensible aux trop nombreuses fautes d'orthographe qui émaillent certaines copies.
Il est en effet normal d'exiger d'un futur enseignant qu'il maîtrise l'orthographe française. Il est fortement
conseillé aux candidats de garder suffisamment de temps pour pouvoir effectuer une relecture efficace de
leur production, qui leur permettrait d'éviter des erreurs grossières telles que *metalique ou *trappeze.
Rappelons également que les accents, dans la langue française, ne sont pas accessoires et qu'on ne peut
indifféremment les supprimer ou les confondre. L'accent circonflexe, en particulier, a été souvent omis, dans
des mots tels que pâle, maître, bûche, fraîche. L'omission de l'accent grave, indice de discrimination
d'homophones grammaticaux, entraîne de véritables contresens, dans des énoncés tels que son assistante
à la chevelure pâle, à la hauteur de sa tête. Il permet également de distinguer l'article défini la de l'adverbe de
lieu là dans çà et là, jusque-là…
II.2. Lexique
Trois types d'erreurs sont communément relevés dans le traitement du lexique.
II.2.1. Mauvaise appréciation du sens des mots
Les meilleures copies sont celles dans lesquelles les candidats ont su percevoir et transcrire la valeur
la plus exacte possible des choix lexicaux opérés par l'auteur.
Polysémie
Parmi les différents sens possibles d'un mot, il est nécessaire de sélectionner, en fonction du contexte
ou du niveau de langue de l'extrait, celui qui, en français, se rapproche le plus du sens voulu par
l'auteur. Ainsi, dans le segment “the remote, enclosed look”, il était bien entendu indispensable de
repérer que “look” était un nom et non pas un verbe. Parmi les différentes traductions possibles de ce
mot, le contexte excluait, par exemple, le choix de la traduction par regard, le niveau de langue invitait
à préférer les termes apparence ou aspect à celui de mine. De la même façon, à cause de la situation,
la préposition “beside” est rendue différemment dans les énoncés “He raised it beside his head with
deliberation” (il le leva au niveau de sa tête), et “a second knife struck beside her other upper arm” (un
second couteau vint s'enfoncer contre son autre bras).
Sous-traductions
Les candidats n'ont pas toujours saisi la pleine entière du lexique employé dans le texte, ce qui les a
parfois amenés à minimiser la portée sémantique de certains termes. Par exemple, “strode” n'est pas
l'équivalent de went, et l'adjonction de l'adverbe “decisively” excluait la traduction Hensh alla vers. De
la même façon, on ne pouvait se satisfaire de regarder pour “gaze”, au risque de perdre l'idée de fixité
et de durée contenue dans ce terme.
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Collocations
Les collocations, qu'elles soient ou non figées, devraient être connues des candidats. Par exemple,
l'expression tentes de cirque est difficilement acceptable en français pour rendre le groupe “circus tents”.
Une bonne connaissance de la langue française permettait d'éviter des traductions maladroites, comme
trancher un morceau de bois pour “chopping a piece of wood”, ou pléonastiques, comme elle adossa son
dos pour “with her back against it”.
II.2.2. Non-sens et barbarismes
Une des premières sources d'erreur dans le choix du lexique est l'utilisation non réfléchie du calque.
Certains mots ont été traduits rapidement par des termes pratiquement équivalents en français, sans qu'il y
ait eu une véritable analyse du sens de ces mots dans chacune des deux langues. Ainsi, “partition”, qui
renvoyait dans le texte au panneau noir contre lequel s'appuyait la jeune femme, renvoie en français soit à
une séparation, soit à une composition musicale, mais le dernier sens ne pouvait bien entendu convenir ici.
De même, “with deliberation” signifiait ici avec lenteur / avec mesure, et non de façon délibérée.
D'autres termes ont été traduits dans leur sens premier et courant, là non plus sans véritable analyse de la
situation et du contexte. Dans le segment “he had worked very quickly before”, par exemple, de nombreux
candidats ont été tentés de traduire par il avait travaillé rapidement jusque là. Même s'il l'on peut considérer
que le lanceur de couteaux est bel et bien en train de travailler, la focalisation, le fait que la scène est vue à
travers les yeux d'un spectateur fasciné par ce qu’il voit et loin de toute idée de labeur, amène à préférer le
terme œuvrer, moins marqué.
Plus graves, certaines erreurs montrent un manque de bon sens et de logique. Ainsi, au delà des
barbarismes (rappelons que le mot voluptuosité n'existe pas, il faut utiliser le terme volupté), certaines
traductions montrent que le candidat, peut-être pressé, n'a pas pris le temps de bien relire ce qu'il avait écrit.
Que penser, par exemple des bretelles qui glissent vers le haut des bras, de la peau éparpillée d'ombre, de
la jeune fille qui gesticule des deux épaules, de “upper arm” rendu par bras supérieur, de “shoulder strap”
traduit par bretelle d'épaule, etc.? Nul doute qu'avec une relecture plus serrée ce type d'erreur eût été
facilement réparé.
II.2.3. Stratégies d'évitement
Au delà du simple oubli de mots, voire de segments entiers, le jury a parfois regretté certaines stratégies
d'évitement qui ont pu mener à penser qu'il s'agissait pour certains de masquer leur faiblesse lexicale
(recours à des périphrases, réécriture du texte, formulations approximatives, etc.). Dans le même ordre
d'idées, certaines omissions ont été fréquentes, pour ne pas dire systématiques. Par exemple, l'adverbe
“decisively”, au début du texte, a très souvent été omis, amenant les candidats à la sous-traduction que nous
avons évoquée plus haut (II.2.1.). Dans l'énoncé “For they stood there”, l'idée de causalité exprimée par for a
rarement été rendue, de même que “only as dans and only as her loose gown came rippling down”. L'énoncé
“she stepped from the fallen gown” a souvent été traduit par elle fit un pas pour se dégager de sa robe, le
terme fallen étant alors perdu. Rappelons que l'oubli ou l'omission d'éléments du texte sont très lourdement
sanctionnés, et que les candidats ne sauraient considérer qu'ils peuvent se dispenser d'une relecture
systématique et scrupuleuse.
II.3. Grammaire
Ce concours s'adressant à de futurs enseignants, les candidats se doivent d'avoir une bonne maîtrise de la
grammaire française. Or de nombreuses erreurs ont été relevées dans les copies.
II.3.1. L'ordre des adjectifs
L'accumulation des adjectifs dans certains énoncés a parfois posé problème aux candidats.
Aux deux adjectifs épithètes déjà présents dans “her loose white gown” devait s’ajouter en français
l'adjectif longue pour qualifier robe, qui permettait de traduire le sens exact de “gown”. La lourdeur de
la succession de ces trois termes a souvent gêné les candidats, lourdeur qui pouvait être évitée en
antéposant l'un des termes et en ajoutant la conjonction et, afin de rétablir le rythme du segment : sa
longue robe blanche et fluide.
“First faint flutter” et “swift sharp drop” ont également été source de maladresses. Certains bons
candidats ont tenté de conserver l'allitération, beaucoup d'autres ont trouvé difficile de rendre sans
lourdeur la succession des termes. Dans le segment “swift sharp drop”, s'ajoutait la nécessité de
traduire, sans redondance, des mots dont le sens était proche, les deux adjectifs exprimant dans ce
contexte la même notion de soudaineté et de rapidité du mouvement, tout en conservant le sens de
déplacement vers le bas.
Le segment “remote enclosed look” a également donné lieu à de nombreuses erreurs, la plus
surprenante étant la traduction de ce segment par l'air lointain et proche d'une œuvre d'art. S'agit-il
d'un oxymore ?
Nous pouvons aussi évoquer l'erreur d'accord fréquemment rencontrée dans les copies pour traduire
“the pale yellow hair” (= les cheveux blond clair). Rappelons que les adjectifs de couleur déterminés
par un nom ou un adjectif ne s'accordent pas.
II.3.2. Les possessifs
En anglais, si le possesseur est le sujet d'un énoncé actif, la règle veut que l'on emploie un possessif
devant un nom désignant une partie du corps. Cela n'est pas systématique en français. Ainsi, on dit j'ai
mal à la tête et non j'ai mal à ma tête. Dans l'extrait proposé, ce cas de figure revenait à plusieurs
reprises : “she stood with her back against it” (= elle se tenait, dos…) ; “we felt in our arms and along
our backs” (= nous ressentîmes dans les bras et le long du dos); “with a swift sharp drop of his
forearm” (= d'un coup sec et précis de l'avant-bras).
II.3.3. Le système verbal
Le jury ne saurait trop recommander la consultation régulière, lors de la préparation du concours,
d'une grammaire française ou à tout le moins d'un aide-mémoire de conjugaison, ce qui permettrait à
de nombreux candidats d'éviter des erreurs grossières.
En premier lieu, compte tenu du type de texte soumis aux candidats, il était indispensable de maîtriser
les règles fondamentales d'emploi des temps de la narration en français. Une confusion entre imparfait
et passé simple, induite par l'utilisation d'un seul temps en anglais, le prétérit, a souvent été constatée.
L'emploi aléatoire de l'un ou l'autre temps, sans critère apparent, a même parfois été déploré.
L'imparfait, dans un récit, permet de décrire un cadre pouvant présenter une valeur aspectuelle
durative. Il était par exemple envisageable, pour traduire des énoncés du type “they stood before us”
(= ils se tenaient devant nous), ou “all this gave her the remote [...] art” (= tout ceci lui donnait ),
passages descriptifs non bornés dans lesquels l'action ne progresse pas. Tout au contraire, le passé
simple, prédominant dans la traduction de ce texte, s'imposait afin de mettre en avant une succession
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d'actions ponctuelles, de premier plan, accomplies et bornées. Ainsi, le segment “we thought of tight-rope
walkers” ne pouvait se traduire que par nous pensâmes à des funambules. En effet, en raison de
l'instantanéité de l'action, c'est bien le passé simple qui s'impose ici.
Au delà du choix du temps à utiliser, il était essentiel pour les candidats de maîtriser la morphologie du passé
simple. Il est en effet inquiétant, à ce niveau, de trouver certains solécismes (*nous nous sentâmes, *il se
tena / tenit / teint, *elle le suiva) ou une ignorance totale de la différence entre indicatif passé simple et
subjonctif imparfait, marquée par la présence ou par l'absence de l'accent circonflexe sur une troisième
personne du singulier (fut / fût).
Ajoutons à cela de nombreuses fautes d'accord, présentant les deux cas extrêmes de ce genre d'erreurs :
l'accord systématique du participe passé avec le sujet, même quand l'auxiliaire est avoir et qu'il n'y a pas
d'antéposition du complément d'objet direct, comme dans *les fines bretelles qui avaient glissées ; l'absence
d'accord, comme dans *la lame s'était fiché dans le bois.
II.3.4. La syntaxe
De nombreux candidats ont été tentés, afin de contourner la difficulté posée par la longueur de certaines
phrases de l'extrait, d'en modifier la syntaxe. Cependant, il convient de rappeler que traduire un texte ne doit
pas aboutir à une déconstruction systématique, allant jusqu'à une réécriture abusive et forcément infidèle du
texte source.
Notons également des organisations syntaxiques défaillantes : *comme si pour répondre, *les jambes
élancées et souriante, *de manière perturbante peu cachée.
III. TRANSPOSITIONS
La traduction littérale ne pouvant pas toujours suffire à restituer le texte d'origine, le recours à certains
procédés de traduction s'imposait.
III.1. Transpositions simples
Il était parfois nécessaire d'opérer un changement de catégorie grammaticale, sans pour autant modifier le
sens du message initial. Par exemple, “as if in answer” ne pouvait être traduit par comme si en réponse ; le
recours à la reformulation avec un infinitif comme pour répondre s'imposait.
De la même manière, le groupe nominal “with her back against it” produisait un meilleur effet de traduction
grâce à la transposition en verbe conjugué, elle s'y adossa.
II.2. Les étoffements
Un certain nombre de passages devaient être étoffés dans cet extrait, en particulier pour éviter certaines
ambiguïtés. La reformulation ne se limitait pas, dans ce cas, à un simple changement de catégorie
grammaticale. Il était nécessaire d'ajouter un ou plusieurs mots français ne figurant pas dans le texte anglais,
voire de modifier la structure grammaticale d'une phrase, en l'enrichissant notamment à l'aide de
propositions subordonnées relatives.
III.2.1. Les possessifs.
La traduction en français des possessifs pouvait mener à une ambiguïté sur l'identification du référent
nominal. Ainsi, dans le segment “he had struck her upper arm”, il était peu judicieux de se contenter de
traduire le possessif par son, qui pouvait renvoyer aussi bien à Hensch, nom le plus proche, qu'à la jeune
fille, mentionnée bien plus haut dans le texte, alors que le bras de son assistante permettait d'éviter
toute confusion.
Dans le segment “Hensch strode decively to his corner of the stage”, la traduction littérale son coin de
la scène, sans être agrammaticale, ne rendait nullement l'idée, comme le contexte permettait de
l'induire, de l'organisation préalable de l'espace scénique. L'étoffement par le coin de la scène qui lui
était réservé restituait mieux cette idée.
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III.2.2. Etoffement des prépositions
L'étoffement des prépositions est souvent nécessaire comme le montrent les exemples suivants :
“gazing across the stage at Hensch” ne pouvait être traduit par fixant Hensch à travers la scène, qui aurait
signifié que le regard de la jeune fille rencontrait un obstacle et le traversait. La préposition “across” devait
donc être perçue comme un indice de localisation de Hensch, et donc rendue par l'étoffement suivant :
Hensch, qui se trouvait de l'autre côté de la scène.
Dans le segment “figures from a dream”, la préposition “from” ne pouvait pas non plus être traduite de façon
littérale : silhouettes de rêve s'apparentait en effet à un contresens. Dans la mesure où “from” prenait ici toute
sa valeur circonstancielle de lieu, celle-ci était restituée par silhouettes sorties d'un songe.
D'autres étoffements, plus stylistiques, permettaient aux meilleures copies de maintenir une cohérence dans
le registre de langue utilisé. Par exemple, la traduction de “in a spangled silver leotard” par dans un
justaucorps était (peut-être) acceptable, mais l'étoffement vêtue d'un justaucorps témoignait d'une meilleure
maîtrise de l'expression française.
IV. Modulation
La modulation relève du changement de point de vue dans la formulation d'une même idée, en fonction de la
perception particulière d'une langue et d'une culture. C'est ce que l'on peut constater dans la traduction de
“blue summer days” par l'azur des ciels d'été. L'image évoquée est la même, mais le français, plus concret,
ne peut se satisfaire de l'elliptique jours bleus d'été.
CONCLUSION
Malgré la difficulté de l'extrait, le jury a eu plaisir à lire d’excellentes copies, reflets d'un travail rigoureux,
d'une bonne maîtrise des deux langues et des différents procédés de traduction.
Les bonnes traductions font la preuve qu'une lecture attentive du texte d'origine est un préalable
indispensable. Elles sont fines et intelligentes et montrent une capacité à prendre du recul pour restituer
l'esprit et la lettre du texte source. Elles savent éviter sur-traductions et calques et résoudre les difficultés en
utilisant les techniques de traduction aussi bien que le simple bon sens.
Bibliographie
BALLARD, Michel, La Traduction de l’anglais au français, 1987, Paris, Nathan, rééd.1991.
CHARTIER, Delphine, LAUGA-HAMID, Marie-Claude, Introduction à la traduction.Méthodologie pratique,
Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1995.
CHARTIER, Delphine, GIRARD, Geneviève, RIVOALLAN, Hervé, “ Les Amphis de la Cinquième ”, Nancy 2,
Vidéoscop, 1998.
CHUQUET, Hélène, PAILLARD, Michel, Approche linguistique des problèmes de traduction, Gap, Ophrys,
1989.
CHUQUET, Hélène, Pratique de la traduction, Gap, Ophrys, 1990.
RAFROIDI, Patrick, PLAISANT, Michèle, SHOTT, Douglas J., Nouveau manuel de l’angliciste, Gap, Ophrys,
1986.
VRECK, Françoise, Entraînement à la version anglaise, Gap : Ophrys-Ploton, 2000.
PROPOSITION DE TRADUCTION FAITE APR UN TRADUCTEUR
Comme pour répondre à notre impatience inavouée, Hensch gagna, à grandes enjambées décidées, le coin
de la scène qui lui était réservé. Sans tarder, son assistante à la chevelure pâle le suivit, poussant la table
derrière lui. Elle fit ensuite glisser la deuxième table vers le fond de la scène, et revint se placer devant le
panneau noir. Elle s'y adossa, les yeux rivés sur Hensch qui se tenait à l'autre bout de la scène, sa longue
robe blanche et fluide maintenue par de fines bretelles qui lui avaient glissé sur le haut des bras. C'est à cet
instant précis que nous ressentîmes dans les bras et le long du dos, un tout premier léger frisson
d'excitation, car ils se tenaient là, sous nos yeux, le maître sombre et la jeune fille pâle, comme des
silhouettes sorties d'un songe dont nous tentions de nous éveiller.
Hensch sélectionna un couteau et le leva à la hauteur de sa tête avec une lenteur calculée ; nous nous
rendîmes alors compte qu'il avait œuvré avec une grande célérité jusque là. D'un coup vif et rapide de
l'avant-bras, comme pour fendre une bûche, il laissa partir le couteau. Il nous sembla tout d'abord qu'il
avait touché l'assistante en haut du bras, mais nous vîmes ensuite que la lame s'était enfoncée dans
le bois et venait appuyer contre sa peau. Un second couteau vint se planter contre son autre bras. Elle
se mit à remuer les épaules, comme pour se libérer des couteaux qui la chatouillaient. Et ce ne fut que
lorsque sa longue robe fluide glissa en cascade à ses pieds que nous comprîmes que les couteaux en
avaient sectionné les bretelles. Hensch nous tenait maintenant, il nous tenait bien. Toute en jambes et
souriante, elle fit un pas pour se dégager de la robe qui était à terre, et se tint devant le panneau noir,
vêtue d'un justaucorps argenté à paillettes. Des images de funambules, de cavaliers montant à cru, de
chapiteaux écrasés par la chaleur sous l'azur des ciels d'été nous vinrent à l'esprit. Les cheveux d'un
blond pâle, le tissu pailleté, la peau si pâle caressée çà et là par l'ombre, tout ceci lui donnait l'aspect
lointain et impénétrable d'une œuvre d'art, tout en lui conférant une forme de volupté détachée, car le
miroitement métallique de son costume semblait souligner la nudité de sa peau, dévoilée de manière
troublante, dangereusement blanche, fraîche et douce.
EXEMPLE DE BONNE COPIE
Comme en réponse à notre secrète impatience, Hensch rejoignit à grands pas, d’un air résolu,
sa place sur la scène. Prestement, son assistante à la chevelure pâle le suivit, poussant la table
derrière lui. Puis elle déplaça la deuxième table au fond de la scène et revint vers la cloison noire. Elle
s’adossa contre celle-ci, son regard fixé sur Hensch de l’autre côté de la scène, son ample robe
blanche retenue par de fines bretelles qui avaient glissé le long de ses bras. En cet instant nous
sentîmes dans nos bras et le long de notre dos un premier tressaillement ténu d’excitation, car ils se
tenaient là, devant nous, le sombre maître et la pâle jeune fille, telles des silhouettes échappées d’un
rêve duquel nous tentions de nous éveiller.
Hensch choisit un couteau et l’éleva lentement à hauteur de sa tête ; nous réalisâmes qu’il avait
opéré très rapidement auparavant. Abaissant son avant-bras en un mouvement précis et rapide,
comme pour couper un morceau de bois d’un coup de hache, il libéra le couteau. Tout d’abord nous
crûmes qu’il avait touché le bras de la jeune fille, mais nous vîmes que la lame s’était fichée dans le
bois et qu’elle frôlait sa peau. Un deuxième couteau se planta à côté de son autre bras. Elle se mit à
remuer les épaules, comme pour se libérer des couteaux qui la chatouillaient, et ce ne fut que lorsque
son ample robe ruissela jusqu’au sol que nous nous rendîmes compte que les couteaux avaient
sectionné les bretelles. Hensch nous tenait en haleine, maintenant, il nous tenait pour de bon. La jeune
fille aux longues jambes fit en souriant un pas hors de sa robe tombée sur le sol et se tint debout
devant la cloison noire., vêtue d’un collant argenté parsemé de paillettes. nous pensâmes aux
équilibristes sur corde raide, aux cavaliers montant à crû, aux chapiteaux de cirque en pleine chaleur
sous le ciel bleu des jours d’été. Ses pâles cheveux blonds, le tissu pailleté, sa peau pâle, marquée çà
et là de touches d’ombre, tout cela lui donnait l’air distant et inaccessible d’une oeuvre d’art, tout en lui
conférant à la fois une sorte de froide volupté, car le scintillement métallique de son costume semblait
attirer l’attention sur la nudité de sa peau dangereusement blanche, et froide, et douce, et qui ainsi
dévoilée, nous rendait mal à l’aise.
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ÉPREUVE DE THÈME
Il y avait, surtout, le cinéma. Et c’était sans doute le seul domaine où leur sensibilité avait tout appris.
Ils n’y devaient rien à des modèles. Ils appartenaient, de par leur âge, de par leur formation, à cette première
génération pour laquelle le cinéma fut, plus qu’un art, une évidence ; ils l’avaient toujours connu, et non pas
comme forme balbutiante, mais d’emblée avec ses chefs-d’œuvre, sa mythologie. Il leur semblait parfois
qu’ils avaient grandi avec lui, et qu’ils le comprenaient mieux que personne avant eux n’avait su le
comprendre.
Ils étaient cinéphiles. C’était leur passion première ; ils s’y adonnaient chaque soir, ou presque. Ils
aimaient les images, pour peu qu’elles soient belles, qu’elles les entraînent, les ravissent, les fascinent. Ils
aimaient la conquête de l’espace, du temps, du mouvement, ils aimaient le tourbillon des rues de New York,
la torpeur des tropiques, la violence des saloons. Ils n’étaient, ni trop sectaires, comme ces esprits obtus qui
ne jurent que par un seul Eisenstein, Bunuel, ou Antonioni, ou encore – il faut de tout pour faire un monde –
Carné, Vidor, Aldrich ou Hitchcock, ni trop éclectiques, comme des individus infantiles qui perdent tout sens
critique et crient au génie pour peu qu’un ciel bleu soit bleu ciel, ou que le rouge léger de la robe de Cyd
Charisse tranche sur le rouge sombre du canapé de Robert Taylor. Ils ne manquaient pas de goût. Ils avaient
une forte prévention contre le cinéma dit sérieux, qui leur faisait trouver plus belles encore les œuvres que ce
qualificatif ne suffisait pas à rendre vaines (mais tout de même, disaient-ils, Marienbad, quelle merde !), une
sympathie presque exagérée pour les westerns, les thrillers, les comédies américaines, et pour ces
aventures étonnantes, gonflées d’envolées lyriques, d’images somptueuses, de beautés fulgurantes et
presque inexplicables, qu’étaient, par exemple – ils s’en souvenaient toujours –, Lola, la Croisée des
Destins, les Ensorcelés, Ecrit sur du Vent.
Ils allaient rarement au concert, moins encore au théâtre. Mais ils se rencontraient sans s’être donné
rendez-vous dans ces petits cinémas de quartier, ces salles sans grâce, mal équipées, que semblait ne
fréquenter qu’une clientèle composite de chômeurs, d’algériens, de vieux garçons, de cinéphiles, et qui
programmaient, dans d’infâmes versions doublées, ces chefs-d’œuvre inconnus dont ils se souvenaient
depuis l’âge de quinze ans, ou ces films réputés géniaux, dont ils avaient la liste en tête et que, depuis des
années, ils tentaient vainement de voir.
Georges PEREC, Les Choses, 1965.
Présentation de l’extrait
Le sujet proposé aux candidats cette année était un texte littéraire extrait du roman Les Choses, de
Georges Perec, publié en 1965. L’auteur reçut le prix Renaudot pour ce roman.
L’extrait sélectionné est narratif. La situation met en lumière le goût de personnages, non nommés et
désignés par ils, pour le cinéma. Le passage se situe vers la fin du quatrième chapitre. Il met en scène
des personnages (dont le nombre exact n’apparaît pas dans l’extrait), qui appartiennent clairement à
l’époque de l’expansion du cinéma, c’est-à-dire les années 60. Cette expansion se retrouve dans les
moyens linguistiques utilisés par l’auteur. Les longues phrases, les incises, les constructions parallèles
sont autant d’éléments signifiants. Les personnages semblent être pris au piège de leur engouement,
la syntaxe complexe étant le reflet de leur soif de tout connaître, de tout découvrir.
Même s’ils ne connaissaient pas l’identité des personnages (Sylvie et Jérôme, un couple qui mène une
vie estudiantine), les bons candidats ont su respecter les choix de l’auteur et n’ont pas hésité à
conserver les phrases complexes et donc l’effet recherché.
Les difficultés spécifiques à l’extrait
Comme l’introduction à cette épreuve le rappelait, l’exercice de traduction proprement dit doit être
précédé de plusieurs lectures attentives qui permettent au candidat d’appréhender l’atmosphère
générale du texte, le ton du discours, le niveau de langue, son (ou ses) registre(s), et d’analyser les
difficultés spécifiques.
Les phrases longues et la syntaxe complexe constituaient une première difficulté. Une analyse précise
des référents et une prise en compte fine de la ponctuation étaient essentielles pour comprendre
l’organisation syntaxique du texte. La dernière phrase demandait une certaine vigilance. Il fallait
repérer les conjonctions de coordination “ et ”, “ ou ”, et déterminer quels éléments sont coordonnés,
sachant qu’il s’agit toujours de deux éléments de même nature. Ainsi dans le passage “ ces salles
sans grâce, [...] que semblait ne fréquenter qu’une clientèle composite de chômeurs, d’algériens, de
vieux garçons, de cinéphiles, et qui programmaient ”, “ et ” relie deux relatives, l’une introduite par
“ que ”, l’autre par “ qui ”. Ces référents renvoient tous deux à “ ces petits cinémas de quartier ”,
décrits par l’apposition “ ces salles sans grâce, mal équipées ”. Une lecture trop rapide et superficielle
pouvait entraîner des fautes d’interprétation, ainsi la proposition erronée who showed pour “ qui
programmaient ”, où who renvoie à “ une clientèle composite de chômeurs, d’Algériens, de vieux
garçons, de cinéphiles ”.
Un peu plus loin, “ ou ” coordonne deux types de films, “ ces chefs d’œuvre inconnus dont ” et “ ces
films réputés géniaux dont ”. Une construction parallèle sous forme de subordonnées relatives
introduites par “ dont ” (“ dont ils se souvenaient depuis l’âge de quinze ans ” / “ dont ils avaient la liste
en tête ”) vient préciser encore ces films. Il est essentiel pour un futur enseignant de bien maîtriser
l’emploi des référents. Rappelons que whose, qui renvoie traditionnellement à un animé, n’est de toute
façon pas possible ici puisque la liste n’appartient pas aux films dont il est question. On attend donc ici,
the list of which.
La dernière relative “ que, depuis des années, ils tentaient vainement de voir ”, est coordonnée à la
précédente, “ dont ils avaient la liste en tête ”. Une lecture attentive permettait de respecter la portée
de l’incise, “ depuis des années ”, entre deux virgules. L’incise est, sans ambiguïté, le complément de
“ ils tentaient vainement de voir ”, et non de “ dont ils avaient la liste en tête ”.
Bien souvent les candidats, plutôt que de relever le défi posé par la spécificité syntaxique du texte, ont
opté pour une simplification de celui-ci, notamment en transformant les subordonnées relatives en
prépositions indépendantes. Non seulement on peut légitimement les soupçonner d’adopter une
stratégie d’évitement, mais on peut leur reprocher de ne pas respecter le choix de l’auteur, donc de le
trahir.
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La ponctuation, dont on ne saurait trop souligner le rôle, donne tout son sens à une autre longue phrase : “ ils
n’étaient, ni trop sectaires, comme ces esprits obtus qui ne jurent que par un seul Eisenstein, Buñuel, ou
Antonioni, ou encore – il faut de tout pour faire un monde – Carné, Vidor, Aldrich ou Hitchcock, ni trop
éclectiques, comme des individus infantiles qui ”. Une première lecture attentive permettait de repérer “ ni…
ni … ” qui doit être traduit par neither… nor. A l’intérieur de chaque segment, la conjonction “ ou ” relie deux
éléments de même nature, les noms des réalisateurs, et à la fin de la phrase, les exemples portant sur les
effets de couleurs “ pour peu qu’un ciel bleu soit bleu ciel ou que le rouge... ”. Cet agencement syntaxique
confère au texte un rythme caractéristique, qui est, encore une fois, un choix de l’auteur. A ce propos,
quelques rappels s’imposent : dans les copies, la ponctuation est souvent réduite au minimum, elle est
quelquefois même absente. Il convient d’utiliser les signes graphiques conventionnels : emploi de la virgule
(,) et non du tiret (-), majuscules en début de phrase et aux adjectifs de nationalité (American), aux noms
propres, et dans les titres à chaque mot sauf les mots outils (Written on the Wind). Les titres (d’œuvres
cinématographiques, ici) en italique dans un texte imprimé, doivent être soulignés lorsqu’on les écrit à la
main.
Enfin, les abréviations, telles que & pour and, sont à proscrire.
La compréhension du texte source, dont le lexique est pourtant d’un emploi courant, a constitué la deuxième
difficulté. Si la précision et la sensibilité sont les qualités principales d’un bon traducteur, il est clair que, pour
tirer profit de ces qualités, on doit obligatoirement maîtriser à la fois la langue source et la langue cible. Les
contresens et les non-sens montrent que chez certains candidats le texte source n’est pas compris. La
méconnaissance de termes tels que “ sectaires ”, “ éclectiques ” (rendu parfois par electric ou encore
electrical), “ composite ” (confondu avec composé de), “ torpeur ” (confondu avec peur) a multiplié les fauxsens. De même, “ ils avaient une forte prévention contre ” (they were strongly biased / prejudiced against) a
donné lieu à un calque * they had a strong prevention against.
La portée de certains éléments n’a pas toujours été correctement analysée, ce qui montre à nouveau la
nécessité de s’interroger sur l’ordre des mots dans le texte source et, comme nous venons de le rappeler,
sur la ponctuation. La position postnominale de l’adjectif dans “ leur passion première ”, segment souvent
compris et traduit comme leur première passion / their first passion, est à prendre en compte. Il fallait
proposer their main passion.
Il en va de même dans le segment “ le cinéma était, plus qu’un art, une évidence ”. En effet, le syntagme
“ une évidence ” ne peut être interprété comme la fin d’une énumération et “ plus qu’un art ” est bien une
incise. On remarquera au passage qu’évidence est un faux ami. Parmi les propositions intéressantes des
candidats vigilants, on peut mentionner something obvious, a fact of life ou encore something taken for
granted.
Une lecture trop rapide de l’incise qui rapporte les paroles des personnages, “ mais tout de même, disaientils, Marienbad, quelle merde ! ”, a entraîné un contresens lorsque le candidat a fait porter “ mais tout de
même ” sur “ disaient-ils ”, alors que ce segment va avec “ Marienbad, quelle merde ! ”. “ disaient-ils ” est
une incise qui indique que ce qui précède et ce qui suit sont du discours rapporté même si les guillemets ont
été omis. Un rétablissement de la ponctuation appropriée à un dialogue était envisageable. En anglais, on ne
met pas de tiret avant les paroles de chaque interlocuteur, les guillemets sont notés “...” et entourent les
propos effectivement prononcés. Ainsi : “But, still,” they would say, “what a load of shit Marienbad is!”
Une lecture attentive permet également de ne pas omettre des nuances du texte. Si l’on traduit “ personne
avant eux n’avait su comprendre ” par anyone before them had et non par anyone before them had been
able to do, la notion de capacité disparaît et la traduction n’est donc pas acceptable.
Lexique, constructions lexicales et tournures idiomatiques
Lexique courant
Une maîtrise du vocabulaire courant est indispensable. Le texte aborde le thème du cinéma, mais le
lexique n’est pas technique, et n’aurait pas dû présenter de difficultés. Néanmoins, il importe de
connaître les différences de sens, d’emploi et de registre du lexique de la langue cible.
Les verbes recall et remind proposés pour traduire “ ils s’en souvenaient toujours ” et “ dont ils se
souvenaient depuis l’âge de quinze ans ” ne conviennent pas, le premier pour des raisons de niveau
de langue, le second pour des questions de syntaxe et de sémantique. Il s’agit en effet d’un verbe à
double complémentation to remind somebody of something. Il faut aussi tenir compte du fait que, pour
un même lexème, ici “ se souvenaient ”, on ne trouve pas systématiquement la même traduction. Si
they had never forgotten them convient pour la première occurrence, on préférera pour la seconde
which they had kept in mind since they were fifteen.
La même remarque vaut pour les noms appointment, date et rendez-vous, qui ont chacun leur propre
champ d’application, qu’il faut veiller à respecter. Pour traduire “ sans s’être donné rendez-vous ”,
syntagme négatif, l’adverbe unexpectedly figurant dans certaines copies est une proposition
intéressante, de même que they met by chance.
La traduction de “ petits cinémas de quartier ” par nickelodeons ou those little neighbourhood cinemas,
ou encore celle de “ exagérée ” par inordinate témoignent de l’intérêt de certains candidats pour le
vocabulaire et pour la langue anglaise et d’un effort de mémorisation. L’abondance des adjectifs
“ étonnantes ”, “ somptueuses ”, “ fulgurantes ” permettait aux candidats de mettre en valeur leurs
acquis: astounding, amazing, striking, breathtaking, stunning, dazzling. Malheureusement certains se
sont contentés de wonderful, great, ou encore beautiful.
La présence de la métaphore “ et non pas comme forme balbutiante ” devait faire l’objet d’une analyse.
Les choix lexicaux opérés font appel au bon sens. Les traductions comportant shape, fitness sont à
écarter, de même que celles qui proposent stammering ou mumbling. A défaut d’avoir pensé à not in
its early stages, ou not as a budding art form, une proposition du type not at its beginnings, même si
elle représente une sous-traduction, aurait pu convenir.
Les verbes qui se construisent avec une préposition (et ceux qui se construisent avec une particule
adverbiale) doivent faire l’objet d’une révision sérieuse. Il fallait dans ce texte opérer une discrimination
entre swear by / swear on / swear to (c’était swear by qui convenait ici), ainsi qu’entre belong to /
belong with pour les prépositions et grow / grow up pour les particules adverbiales.
Calques
Les candidats disposant d’un lexique trop restreint ont eu recours à des calques irrecevables, those
little *quarter cinemas mais aussi ravish pour “ ravissent ” (= enchant), *critic sens ou *critical senses
pour “ sens critique ”(= sense of discernment), *cry to genius pour “ crient au génie ” (= hail genius), et
swollen pour “ gonflées d’envolées lyriques ” (= filled with lyrical flights of fancy). A noter que
“ gonflées de ” est distributif : il fallait lire “ gonflées d’envolées lyriques, (gonflées) d’images
somptueuses, (gonflées) de beautés fulgurantes et presque inexplicables ”, d’où la traduction de
“ beautés ” par un singulier générique with dazzling and almost inexplicable beauty.
Autre source de calque, “ un seul ”, devant l’énumération de noms propres de réalisateurs, devait
donner lieu à une transposition en utilisant un adverbe only swear by Eisenstein (souvent confondu
avec Einstein!).
“ Encore ” peut se traduire de nombreuses façons en fonction du contexte. Ici, dans “ ou encore ”,
l’énumération se poursuit. Il fallait opter pour or even plutôt que or else ou or still. Ces choix relèvent
de nouveau de la bonne compréhension du texte source.
Quelquefois, les calques ont donné lieu à des barbarismes tels que cinephiles, les termes appropriés
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étant movie buffs, movie addicts, ou encore cinema-goers. Des confusions sur des lexèmes phonétiquement
et sémantiquement proches, comme owe / own par exemple, montrent combien une préparation rigoureuse
est nécessaire, laquelle implique également une révision systématique des faux-amis. “ Sympathie ” ne
pouvait être traduit par sympathy, qui dénote aujourd’hui la compassion : liking ou fondness convenaient
mieux. De plus, la longueur de la phrase “ Ils avaient une forte prévention contre ” a fait perdre de vue à
certains candidats que “ une sympathie presque exagérée ” est le deuxième complément du verbe
“ avaient ”. Un étoffement du verbe était une manière élégante de relancer le rythme de cette phrase
complexe : They were highly prejudiced against …and they harboured an almost excessive liking for.
En revanche, il fallait respecter le choix de l’auteur et répéter “ Ils aimaient ” en traduisant chaque occurrence
par They liked ou they loved. Ce choix s’intègre dans une énumération et contribue au rythme spécifique du
texte. Parmi les choix de l’auteur figure également l’emploi d’un terme grossier, que certains candidats, par
pudeur peut-être, ont choisi d’ignorer. Une traduction n’est pas un exercice de censure, et shit est recevable,
puisqu’il correspond au registre de langue du texte source, à condition bien sûr de se souvenir qu’en raison
de son caractère indénombrable, il faut le faire précéder du quantifieur complexe a load of .
L’ignorance de l’équivalent idiomatique de l’expression “ il faut de tout pour faire un monde ” (it takes all sorts
que quelques correcteurs ont tout de même eu le plaisir de rencontrer) n’est pas répréhensible en soi.
Encore fallait-il que la solution envisagée fût grammaticalement correcte. De même, les titres de films non
traduits n’ont pas fait l’objet d’une pénalité, mais une bonification a été accordée aux candidats qui les ont
traduits avec bonheur, montrant ainsi un certain degré d’érudition cinématographique.
Orthographe et détermination
La rigueur du futur professeur se retrouve dans sa maîtrise de l’orthographe. Il se doit d’exiger de lui-même
ce qu’il exigera de ses élèves. Chaque faute est pénalisée, et une accumulation peut se révéler préjudiciable.
Les correcteurs regrettent d’avoir rencontré *somptuous, exagerated, gorgious, costumers (pour customers),
equiped, loose, genious.
“ D’emblée ” a suscité des traductions recevables mais posant problème quant à l’orthographe. Rappelons
les formes correctes : straightaway (en un mot), right away (en deux mots), right from the beginning
(doublement du n).
Dès la première phrase de sa traduction, en proposant soit Above all there was the cinema, soit Above all
there was the movies, le candidat révèle le choix qu’il a opéré entre anglais britannique et anglais américain.
Il faut néanmoins que ce choix soit cohérent par la suite, notamment par l’orthographe de mots tels que
theatre / theater, neighbourhood / neighborhood.
The movies désigne un collectif, d’où there was, au singulier. Le pronom reprenant ce collectif sera it.
De manière générale, les déterminants et les déictiques doivent faire l’objet d’une étude approfondie. La
discrimination these / those / the doit être maîtrisée. Le déterminant the a été source d’erreurs dans “ ils
aimaient la conquête de l’espace, du temps, du mouvement ”. To conquer était à proscrire, dans la mesure
où le sujet “ ils ” ne participe pas à cette conquête. Par ailleurs, le terme “ conquête ” était ici proche de
maîtrise. Y voir une notion d’invasion constituait un contre-sens. Les compléments du nom ne sont pas
déterminés et renvoient à une notion. Il convenait donc de garder la structure the conquest of space, time
and movement et non pas *the space, time and movement conquest. Notons que dans une énumération en
anglais le dernier élément doit être coordonné aux autres par and, précédé d’une virgule.
L’utilisation abusive des adjectifs substantivés a été préjudiciable. “ Ces esprits étroits ” (= those narrowminded people who only swear by Eisentein,) mais pas *those narrow-minded who où il y a incompatibilité
entre la classe entière et ceux que l’on détermine à l’aide de those who. “ Une clientèle composite de
chômeurs ” = a motley collection of unemployed people, et non *a collection of the unemployed, pour les
mêmes raisons. D’autres candidats ont opté pour une extension pas toujours appropriée ou qui marque un
changement de point de vue ; ainsi “ algériens ”devient dans plusieurs copies Muslims. Le candidat ne
pouvait-il tenter Algerians ?
Le déterminant the se retrouvait au niveau des couleurs dans “ le rouge léger de la robe de Cyd Charisse
tranche sur le rouge sombre du canapé de Robert Taylor ”. Une bonne analyse de la portée des éléments
permettait de constater que les génitifs Cyd Charisse’s light red dress et Robert Taylor’s dark red couch ne
respectent pas le texte. L’accent est mis précisément sur ces couleurs. Il faut donc conserver la topicalisation
the light red of Cyd Charisse’s gown... the deep red of Robert Taylor’s settee.
Il en va de même pour every et each qui ont parfois posé problème lors de la traduction de “ “ Ils s’y
adonnaient chaque soir, ou presque ”. Every et each sont tous deux suivis d’un singulier. Pour every la
notion de totalisation apparaît après celle de parcours, alors que each renvoie à chaque élément
séparé. On optera ici pour la totalisation they indulged in it almost every evening.
Agencement syntaxique
Si la mémorisation de listes de vocabulaire est conseillée, il est impératif d’y associer une maîtrise de
l’emploi des termes acquis, des constructions et des collocations appropriées.
Ainsi pour traduire “ Ils ne manquaient pas de goût ”, lack peut être construit de deux manières, they
didn’t lack taste ou they weren’t lacking in taste. Il était préférable de respecter encore une fois le choix
de l’auteur qui consistait à avoir recours à une forme négative pour exprimer une nuance
supplémentaire. They had (good) taste est une sous-traduction.
Les adjectifs et les adverbes
Les adjectifs, et notamment les adjectifs composés, ont donné lieu à de surprenantes propositions.
Rappelons que si l’adjectif en français peut occuper une position post- ou prénominale, en anglais
l’adjectif épithète se place devant le nom et est invariable. Les adjectifs placés après le nom sont le
plus souvent des participes passés suivis d’un complément. Une occurrence recevable illustre ce
point : those films [which are] reputed to be great (et non *reputated), pour “ ces films réputés
géniaux ”.
Les candidats n’ont pas toujours eu la distance requise par rapport à la langue source pour veiller à la
correction des constructions. De telles erreurs de syntaxe élémentaire se retrouvent dans la traduction
de “ ces salles sans grâce, mal équipées ” (= those unattractive and ill-equipped places), sachant
qu’un adjectif ne peut être modifié que par un adverbe comme dans ill-equipped ou badly-equipped et
non *bad-equipped ; “ beautés fulgurantes et presque inexplicables ” (= dazzling and almost
inexplicable beauty), et sachant que almost s’emploie à propos de ce qui n’est pas mesurable. Il
s’impose également dans “ une sympathie presque exagérée ” (= an almost excessive liking) ; “ le
cinéma dit sérieux ” (= the so-called serious cinema) où la construction de l’adjectif faisait appel à la
fonction adverbiale de so. Le calque *the cinema said serious, auquel ont eu recours un grand nombre
de candidats, était à exclure. Une périphrase du type the cinema which was qualified serious masquait
mal une carence lexicale.
Les correcteurs s’aperçoivent également que la construction du comparatif (et du superlatif) est
méconnue. Dans “ leur faisait trouver plus belles encore les œuvres que ”, plus belles que doit être
rendu par more beautiful than et non *beautifuller than. Soulignons le fait que than et non that permet
de construire le comparatif comme dans more than an art form.
Enfin, l’intensif too, nécessaire dans too sectarian et too eclectic n’est suivi du quantifieur much que
devant un nom (comparez too much work / too tired / much too tired).
Autre élément de la phrase mal maîtrisé, la place de l’adverbe. Elle dépend de la catégorie de celui-ci.
Les candidats pourront se reporter utilement à une grammaire. Ainsi “ ils l’avaient toujours connu” (= it
had always been there / they had always known it), “ il leur semblait parfois ” (= they sometimes felt / it
sometimes seemed to them), “ ils allaient rarement au concert ” = they hardly ever went to concerts
étaient recevables. Pour “ ils s’y adonnaient chaque soir, ou presque ”, la proposition they nearly
indulged in it every evening signale une mauvaise lecture du texte et de la portée de l’adverbe.
Conjonctions de subordination et pronoms relatifs
Il importe que le candidat ait bien assimilé, au cours de sa préparation, les diverses formes et
fonctions des conjonctions de subordination et des pronoms relatifs. De nombreux candidats ont
préféré, à tort, un calque tel que *for little that, *for least that, *for less that pour rendre “ pour peu
que ”. A défaut d’avoir pensé à as long as, ou whenever, les conjonctions if, if only, ou plus
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simplement when, quoique représentant des sous-traductions, auraient pu convenir.
Les pronoms relatifs associés à des prépositions sont souvent mal utilisés. Dans “ appartenaient à cette
première génération pour laquelle le cinéma fut, plus qu’un art, une évidence ”, la tournure prépositionnelle
exige for which ou for whom. Le génitif exprimé dans “ ces films réputés géniaux dont ils avaient la liste ” se
construit comme suit : those films reputed to be outstanding, the list of which....
Il fallait en revanche se détacher de la relative “ qu’étaient, par exemple ”, qui introduisait les titres de films. Il
s’agissait de prévenir que des exemples suivaient : such as est tout indiqué et ne trahit pas les choix
syntaxiques de l’auteur. Like pose un problème de registre, *that were constitue un calque agrammatical.
Une discrimination entre l’emploi de like et celui de as s’imposait pour traduire “ comme dans Ils n’étaient, ni
trop sectaires, comme ces esprits obtus qui… ni trop éclectiques, comme des individus infantiles qui ”. La
préposition “ comme ” exprime la comparaison, as peut être préposition mais signifie alors en tant que, ce qui
ne convient pas ici.
Les référents
Identifier les référents est essentiel pour une bonne compréhension du texte, nous l’avons mentionné plus
haut. Le choix des pronoms a également posé problème. “ Personne ” n’est pas traduit systématiquement
par no one / nobody. Le groupe auquel ce pronom renvoie doit d’abord être identifié. Dans “ ils le
comprenaient mieux que personne avant eux n’avait su le comprendre ” (= they understood it better than
anyone before them had been able to, et non *they understood it better than no one / nobody before them
had been able to), la comparaison établit un lien entre they et la classe anyone before them, qui comprend
tous les autres cinéphiles. No one indiquerait que cette classe est vide.
Enfin les agencements syntaxiques devaient tenir compte des constructions parallèles qui reflètent
l’exhaustivité que Georges Perec cherche à rendre. Une analyse fine et une sensibilité au texte et à la langue
source permettaient au traducteur de ne pas trahir le rythme qui résulte de l’attribution d’un complément à
chaque substantif dans “ le tourbillon des rues de New York, la torpeur des tropiques, la violence des
saloons ”. The bustle of the streets of New York, the languor of the tropics, and the violence of saloons
respecte cet agencement tandis que the bustling streets of New York, the tropical torpor and the violence in
the saloons le rompt. On remarque une autre construction parallèle dans “ qu’elles les entraînent, les
ravissent, les fascinent ”. Il fallait proposer trois termes de même nature, soit trois verbes they carried them
away, enchanted them and fascinated them, soit trois adjectifs they were captivating, enchanting and
fascinating.
Temps et aspect
Le texte est écrit à l’imparfait, temps de la description dans le passé en français. Les faits sont ancrés
dans le passé, mais donnent lieu à des interprétations sémantiques, l’itération en particulier. Il faut
donc que le traducteur décide si l’imparfait a une valeur temporelle ou aspectuelle. Les adverbes
toujours, parfois, rarement, les compléments de temps (chaque soir), les conjonctions (pour peu que),
et le sémantisme des verbes appartenaient, aimaient, tentaient, indiquent qu’il s’agit d’un passé de
type itératif qui peut s’exprimer soit par –ed, soit par would, soit par used to, mais pas indifféremment.
La position du narrateur doit être prise en compte et permet d’éliminer used to. Le narrateur n’a pas la
distance nécessaire par rapport au temps (time) des événements narrés pour insister sur une rupture
totale avec le passé. En effet, son récit semble être un témoignage recueilli au moment des
événements et non lorsque les personnages ont cessé d’agir. Remarquons au passage que certains
candidats qui ont opté pour des solutions avec used to, seraient bien avisés de réviser la structure qui
ne se construit pas *they used to going to concerts, *they used meet up without having planned to
mais they used to go / they used to meet.
La solution la plus économique était –ed. Il est absolument nécessaire que les candidats s’assurent
qu’ils connaissent les verbes irréguliers, les fautes, malheureusement nombreuses dans les copies,
étant inadmissibles à ce niveau. Would pouvait être utilisé, mais avec parcimonie. Là encore, il est
indispensable de vérifier les constructions car *would went et *would met ont été rencontrés !
Il était possible, dans le cadre d’une vérité générale, d’utiliser le présent, par exemple dans le segment
“ ces esprits obtus qui ne jurent que par… / … des individus infantiles qui perdent tout sens critique et
crient au génie ”, car ces segments aoristiques relèvent de la définition.
Le sémantisme des verbes est parfois à l’origine de l’exclusion d’un temps. C’est le cas de be + ing
pour traduire l’imparfait de “ devaient, appartenaient, aimaient, comprenaient ”.
Inversement, l’obligation d’utiliser le past perfect écarte certains verbes. C’est le cas pour le verbe “ se
souvenir ”. “ Ils s’en souvenaient toujours ” pouvait être traduit par they had never forgotten them ou
they still remembered them, “ toujours ” indiquant une continuité.
Dans “ dont ils se souvenaient depuis l’âge de quinze ans ”, l’expression de la durée est incompatible
avec le sémantisme de remember. Si l’on choisit un autre verbe, le past perfect et même une forme be
+ ing avec for (et non since) sont recevables : they had kept in mind / they had been thinking about /
the existence of which they had been aware of / they had not forgotten.
Conseils aux futurs candidats
Toutes ces remarques montrent clairement qu’on ne peut pas se présenter à l’épreuve de traduction
du CAPES sans une préparation sérieuse. En amont, l’apprentissage régulier de lexique en relation
avec son agencement syntaxique, d’expressions idiomatiques, au fil des lectures (romans, presse) ou
par le biais d’autres documents authentiques (radio, télévision, DVD), l’effort nécessaire de
mémorisation, un intérêt pour la langue et pour la civilisation étudiées, devraient permettre à chaque
candidat d’acquérir les connaissances requises. Au cours de cette préparation, le candidat doit
consulter régulièrement grammaires et dictionnaires anglais et français. Une connaissance solide des
caractéristiques de la langue source et de la langue cible permet d’appréhender l’exercice de
traduction et d’éviter les calques. Le candidat devrait se convaincre de la nécessité de lire le texte très
attentivement, et ce plusieurs fois avant de commencer à le traduire.
Un entraînement régulier à l’épreuve garantit une meilleure gestion du temps imparti. En effet, dans un
grand nombre de copies, les erreurs dues à des calques lexicaux ou syntaxiques se situent davantage
vers la fin de la copie. De toute évidence, le candidat n’a pas eu le temps de se livrer à l’analyse
requise pour une traduction réussie.
Une bonne gestion du temps permet aussi une relecture attentive de la copie, ce qui limite le risque de
fautes d’étourderie, d’oubli de certains segments, que ce soit lors de la traduction ou lors du recopiage,
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et permet de traquer les fautes de grammaire et les incohérences, en particulier pour ce qui concerne
l’accord des pronoms utilisés dans une même phrase.
Si, lors de la relecture, le candidat s’aperçoit qu’il lui faut apporter des corrections, il doit impérativement le
faire en s’assurant qu’il remettra une copie sans ratures, non surchargée de blanc correcteur, et écrite
lisiblement. Le futur professeur d’anglais doit faire preuve de rigueur et d’organisation afin d’être un bon
modèle pour ses élèves.
Bibliographie sommaire
AYME, Claude ; Auzac de Lamartine, Evelyne ; Lagayette, Pierre ; Thomson, Jean-Max ; Waddle, Robin ; La
Traduction orale et écrite, Paris : Editions du Temps, 1998.
CHUQUET, Hélène et Paillard, Michel; Approche Linguistique des problèmes detraduction, Paris : Ophrys,
1987.
DUBOS, Ulrika ; L'explication grammaticale du thème anglais, Paris : Nathan, 1990.
GRELLET, Françoise ; Initiation au thème anglais : The Mirrored Image, Paris :Hachette, 1994.
GROUSSIER, Marie-Line ; Groussier, Georges ; Chantefort, Pierre ; Grammaireanglaise : Thèmes
construits, Paris : Hachette, 1994.
HOLSTEAD, John & Thomson, Jean-Max ; Thème(s) d'aujourd'hui, Paris : Vuibert, 1997.
HOLSTEAD, John & Thomson, Jean-Max ; Anglais, Thèmes suivis , Paris : Vuibert, 1999.
JOLY, André & O'Kelly, Dairine ; Thèmes anglais : lexique et grammaire, Paris : Nathan, 1993.
PAILLARD, Michel ; Lexicologie contrastive anglais -français : formation des mots et construction du sens,
Paris : Ophrys, 2000.
RUNCIE, Moira, Oxford Collocations Dictionary for Students of English, Oxford : Oxford University Press,
2003.
VAN ROEY, Jacques, Dictionnaire des faux amis, Paris : Duculot, 1991
Proposition de traduction faite par un correcteur :
Above all, there was the cinema. And it was probably the only field in which their sensitivity had learnt
everything. For this, they owed nothing to outside influences. They belonged, due to their age and training, to
that first generation for whom the cinema was less an art form than a fact of life; they had always known it,
not in its early stages, but straightaway with its masterpieces and myths. They sometimes felt that they had
grown up along with it, and that they understood it better than anyone before them had been able to.
They were cinema-goers. The cinema was their main passion; they indulged in it almost every evening. They
loved the images, as long as they were beautiful, as long as they carried them away, enchanted and
fascinated them. They loved the conquest of space, time and movement, they loved the bustle of the streets
of New York, the languor of the tropics, and the violence of saloons. They were neither too sectarian, like
those narrow-minded people who only swear by Eisentein, Bunuel or Antonioni alone, or even – for it takes all
sorts – by Carné, Vidor, Aldrich or Hitchcock, nor too eclectic, like immature individuals who lose all sense of
discernment and hail genius whenever a blue sky is sky blue, or the light red of Cyd Charisse’s gown stands
out against the deep red of Robert Taylor’s settee. They did not lack taste. They were highly prejudiced
against the so-called serious cinema, which led them to be even more enthusiastic about movies which were
not uninteresting despite having this label (but, still, they would say, what a load of shit Marienbad is!), and
they harboured an almost excessive liking for westerns, thrillers and American comedies, and for those
amazing adventures filled with lyrical flights of fancy, with lavish images, with dazzling and almost inexplicable
beauty, such as, for instance – and they had never forgotten them – Lola, The Bad and the Beautiful,
Bhowani Junction and Written on the Wind.
They hardly ever went to concerts, and even less often to the theatre. But they would run into each other
unexpectedly at those little local cinemas, those unattractive and ill-equipped showrooms, whose only patrons
seemed to be a motley crowd of unemployed people, Algerians, old bachelors, and cinema-goers, and which
screened appallingly-dubbed versions of those unknown masterpieces they had kept in mind since they were
fifteen, or those films reputed to be outstanding, the list of which they knew by heart, and which they had
been trying to see for years in vain.
Exemple de bonne copie :
There was, above all, the cinema. And it probably was the only realm in which their sensitivity
had learnt everything. For that matter they owed nothing to models. Due to their age and background,
they belonged to this first generation for which the cinema was, more than an art, something obvious;
they had always known it, and not as an incipient medium, but from the start, with its masterpieces and
its mythology. They sometimes had the impression that they had grown up together and that they
understood it better than anyone else before them had ever been able to.
They loved movies. It was their main passion and they indulged in it every evening, or almost so.
They loved pictures, provided they were beautiful, provided they carried them away, ravished them,
fascinated them. They loved the conquest of space, of time, of movement; they loved the bustling
streets of New York, the torpor of the tropics, the violence of the saloons. They were neither too
biased, like those narrow-minded people who dismiss everyone but the one Eisenstein, Bunuel or
Antonioni, or else – the world needs a variety of tastes – Carné, Vidor, Aldrich or Hitchcock, nor too
eclectic, like some childish people who lose every ounce of critical sense and hail somebody as a
genius merely because a blue sky is sky blue or because the light red of Cyd Charisse’s dress sharply
contrasts with the dark red of Robert Taylor’s sofa. They did not lack good taste. They were strongly
biased against so-called serious cinema, so that they found even more beautiful the works which,
despite this qualifier, were still valuable (but then, all the same, they said, Marienbad, that is real
crap!) ; they had an almost inordinate liking for westerns, for thrillers, for American comedies and for
these baffling adventures, teeming with lyrical speeches, gorgeous pictures and transient and almost
unexplainable beauties, such as, for instance – they still remembered them – Lola, la Croisée des
destins, les Ensorcelés, Ecrit sur du vent.
They hardly ever went to concerts, even less to the theatre. But they would meet, without having
planned it, in those small round-the-corner cinemas, those plain, ill-equipped rooms, which seemed to
welcome but a heterogeneous group of unemployed people, Algerian people, bachelors and cinema
lovers, and which showed, in horrendous non-original versions, those unknown masterpieces which
they had remembered since the age of fifteen, or else those allegedly great movies of which they bore
the list in mind and which for years, they had been striving to watch, in vain.
Rapport rédigé conjointement par Shirley BRICOUT, Félicie PASTORE, Nathalie PIERRET et Bertrand
RICHET
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