De l`usage prudent des antibiotiques

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De l`usage prudent des antibiotiques
Folia veterinaria
DE L’USAGE PRUDENT DES ANTIBIOTIQUES
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Pas de "magic bullets"
Les antibiotiques ont autrefois été comparés à des "magic bullets" visant spécifiquement les
germes pathogènes1. Tout comme des balles magiques ou quelques projectiles
sophistiqués, ils seraient en mesure d’atteindre et d’anéantir leur cible de manière
absolument infaillible sans pour cela endommager quoi que ce soit d’autre. Ceci s’avéra être
une grave méprise. Ces produits ont souvent peu d’effet direct sur l’organisme et sont pour
cette raison tout à fait fiables, sauf exceptions. Ils diffèrent en ce point de nombreux autres
médicaments qui agissent directement sur les cellules de l’hôte corrigeant ainsi un ou
plusieurs dysfonctionnements. Ils agissent de manière sélective sur les bactéries, souvent
sur quelques grands groupes bactériens.
Néanmoins, et sans compter sur les effets possibles des antibiotiques sur les cellules des
mammifères, ils exercent également une influence importante sur la flore bactérienne
normale, dite commensale2. Même si l’agent pathogène peut dans certains cas faire partie
de cette flore, les autres composantes, très diverses, ne jouent aucun rôle néfaste dans le
processus de la maladie. Au contraire, elles protègent l’organisme contre la colonisation et
l’invasion par des germes pathogènes potentiels. Les composantes de la flore commensale
sont différemment sensibles aux antibiotiques. Certaines sont affectées par la présence des
agents antimicrobiens, aux concentrations atteintes dans les divers compartiments de
l’organisme. D’autres, moins sensibles ou résistantes, sont alors privilégiées en ce sens
qu’elles peuvent prendre la place de leur concurrentes. Les conséquences peuvent être
considérables.
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Cette idée renvoie à Paul Ehrlich (1845-1915), qui utilisa cette comparaison pour illustrer sa grande découverte,
salvarsan, le premier remède effectif contre une infection par une bactérie bien définie, le Treponema pallidum,
agent de la syphilis. Ce produit (ainsi que d’autres produits analogues) était dérivé du très toxique arsenic
(Greiling, W.: Paul Ehrlich. Zijn leven en werk (Sa vie et son oeuvre). Stafleu. Leiden, 1955, p.211).
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On admet que le nombre de germes présents sur les différents épithélium du corps humain est de l’ordre de
1014, tandis que les cellules de l’organisme sont au nombre de 1013.
De manière surprenante, l’inhibition de la croissance de certaines composantes reste souvent
inaperçue à moins que la flore intestinale ne soit à ce point modifiée qu’elle n’engendre une diarrhée
banale3. La flore possède une faculté d’autorégulation et de rétablissement qui est de toute évidence
très grande. On a longtemps exclusivement fixé son attention sur la toxicité sélective de ces produits
pour les pathogènes, sans vraiment se pencher sur l’influence qu’ils exercent sur la flore de
l’organisme. Cette façon de concevoir les choses connaît aujourd’hui un changement certain. La
raison en est la menace toujours grandissante de la résistance aux antibiotiques.
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Résistance aux antibiotiques: naissance et extension
Tout comme les autres organismes vivants, les bactéries disposent de la faculté de résister aux
agressions par des mécanismes divers. Ces mécanismes de résistance font naturellement partie de
leur stratégie de survie, de leur évolution: « the survival of the fittest » (la survie du plus adapté). Ces
mécanismes sont d’ailleurs bien souvent déjà présents dans les micro-organismes qui produisent
l’antibiotique. On comprendra aisément que les résistances qui limitent l’action d’un antibiotique,
s’exerceront de la même manière vis-à-vis des produits analogues qui ne sont pas encore mis sur le
marché, ou qui n’ont même pas encore été développés.
Comment se fait-il que ces résistances ne prennent de l’importance qu’après un temps plus ou moins
long? Ceci s’explique par le fait que c’est moins l’existence de gènes déterminant la résistance, que la
pression de sélection exercée par la présence de l’antibiotique qui assure la propagation de ces
gènes. Deux éléments sont ici de première importance:
1.
la pression de sélection est directement proportionnelle à l’usage de l’antibiotique,
2.
la sélection des souches résistantes est un phénomène très rapide.
C’est certainement une boutade que de dire que l’on peut déduire l’usage de tel antibiotique chez telle
espèce animale dans un pays donné des pourcentages de la résistance, mais elle contient une
grande part de vérité. Il existe des exceptions parfois importantes.
Que la sélection de la résistance puisse avoir lieu très rapidement est à relier au fait que les germes
et, avec eux, les gènes de résistance qu’ils portent, se multiplient incomparablement plus vite que les
mammifères ou les oiseaux. Mais il existe encore un autre phénomène, qui est certainement tout
aussi important. Lorsque l’on administre un antibiotique, l’inhibition de la croissance des souches
commensales sensibles ouvre la voie à la multiplication des souches résistantes, pathogènes ou non.
Ce dernier phénomène a lieu à une vitesse incroyable. Les bactériologues qui ont suivi l’évolution des
germes visés au sein d’un groupe d’animaux traités, ont été plus d’une fois stupéfaits de constater
que les bactéries résistantes, qui ne formaient qu’une petite minorité juste avant le début du
traitement, avaient entièrement pris la place des germes sensibles après à peine un jour. Souvent,
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Chez certaines espèces animales, l’effet sur la flore intestinale de certains antibiotiques, administrés oralement
mais aussi par d’autres voies, peut prendre des proportions plus inquiétantes. La plupart de ces risques sont bien
connus. L’effet thérapeutique éventuel de l’administration de bactéries dites « régulatrices de la flore intestinale »,
sous diverses formes médicamenteuses ou nutritionnelles, reste du domaine de la spéculation, même s’il obtint
certains succès dans le domaine de la médecine humaine (Hentges, D.J. Gut flora and disease resistance. In:
Fuller, R. (ed;). Probiotics. The scientific Basis, Chapman, Londres, 1992, p.105). L’effet en est, en toute
probabilité, inexistant ou marginal sur le développement de résistances, sujet abordé par la suite.
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cela n’est pas très grave, à condition que les « nouveaux » germes émergents ne soient pas ou moins
pathogènes que les précédents.
Cependant, l’espace laissé par les souches sensibles se repeuple souvent de germes du même type
mais résistants aux antibiotiques. S’il s’agit de bactéries aussi pathogènes que les premières, un
échec thérapeutique peut s’ensuivre. Dans tous les cas, la flore est profondément remaniée du fait de
la pré-existence et de la sélection des souches les plus résistantes sans que le thérapeute n’en
prenne conscience.
En réalité, on devrait être conscient du fait que, chaque fois que l’on prend ou que l’on administre un
antibiotique, c’est une profonde révolution qui agite une grande partie de la flore. Ceci est à
rapprocher du fait que l’antibiotique n’agit pas seulement sur le germe visé mais également sur de
nombreux autres germes qui sont contenus dans le spectre d’activité du médicament et qui sont aussi
présents, éventuellement en plus grand nombre, chez les animaux traités. La conséquence de
l’antibiothérapie n’est pas la naissance d’un « vide bactériologique » mais un glissement au sein de la
flore vers un état de sensibilité amoindrie. Lorsqu’il s’agit de pathogènes devenus résistants
(résistance acquise) et contre lesquels les médicaments ont été précisément mis au point pour en
limiter les effets néfastes, nous ne sommes plus en mesure de les affronter. Le rôle des germes
commensaux dans la propagation des résistances ne doit pas être négligée au sein des populations
animales et humaines.
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Résistance: où?
Dans le fascicule ‘Substances antimicrobiennes’ du Répertoire Commenté des Médicaments à Usage
Vétérinaire, (voir aussi Folia Veterinaria 2002 no 1) la situation de la résistance est reprise à titre
indicatif dans quelques tableaux. Néanmoins, le principal problème rencontré lorsqu’on utilise ce type
de tableaux est que le médecin traitant lui-même ne connaît pas quel est le germe responsable de
l’affection, et encore moins quelles sont ses résistances.
La résistance aux antibiotiques n’est heureusement pas systématiquement un problème majeur. En
général, on peut admettre qu’elle apparaît surtout chez les individus élevés en groupe et chez les
jeunes animaux. Les résistances surviennent également davantage chez les animaux de rente que
chez les animaux de compagnie, mais là aussi ce sont les facteurs précités qui restent
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déterminants ... Dans le domaine de la médecine humaine, de sérieux problèmes sont rencontrés en
milieu hospitalier, chez les enfants et les personnes âgées. Pour l’instant, la situation en médecine
vétérinaire n’est pas aussi critique mais est en cours de le devenir. Malheureusement, autant chez
l’homme que chez les animaux, ce sont les catégories où le pourcentage de résistance est le plus
élevé qui ont le plus besoin d’être traitées par des antibiotiques. L’un résulte assurément de l’autre.
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Cette règle n’est cependant pas encore basée sur des documentations solides en ce qui concerne
un certain nombre d’espèces animales. La meilleure illustration de la règle est à trouver dans l’élevage
bovin.
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Conclusion
On utilisera les antibiotiques avec circonspection et en toute connaissance de cause, non pas selon
une vague « bonne intention », mais dans le souci d’une thérapie ciblée et responsable. Les
antibiotiques font partie des médicaments les plus efficaces, avec pour conséquence une utilisation
facilement abusive.
Pour le formuler de manière caricaturale, il peut être facile de suivre cette attitude: “Pour être tout à
fait sûrs, nous allons tout de même donner un tout petit peu d’antibiotique, parce qu’on ne sait jamais,
il y a peut-être un germe quelque part, à l’affût...”
Lorsque un germe pathogène résistant doit être éliminé, la solution réside souvent dans son
identification et la détermination de ses sensibilités pour traiter la maladie de manière raisonnée. La
prévention sans recours aux antibiotiques doit être privilégiée. Il est faux de penser que de traiter un
animal porteur d’un pathogène résistant avec un antibiotique inefficace n’a aucune conséquence si ce
n’est l’échec thérapeutique individuel. Le renforcement des résistances engendrées par ce ‘petit peu
d’antibiotique’ hypothèque les possibilités thérapeutiques à long terme puisqu’en général les
pourcentages de résistance ne diminuent que lentement après l’arrêt de la prise d’antibiotique.
Il y eu un temps où des catégories toujours nouvelles d’antibiotiques faisaient leur apparition sur le
marché permettant de contourner les problèmes de résistance existants. Au cours des deux dernières
décennies, les nouveaux produits ont été le plus souvent dérivés de plus anciens avec lesquels ils
présentent une résistance croisée.
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