Entretien avec Jean

Transcription

Entretien avec Jean
HISTCOM.2
Histoire interne de la Commission européenne 1973-1986
Entretien avec
Jean-Pierre LENG
par Angel Viñas
à Bordeaux le 11 juillet 2011
Transcription révisée par Jean-Pierre LENG
Coordonnateur du projet :
Université catholique de Louvain (UCL, Louvain-la-Neuve),
dans le cadre d’un financement de la Commission européenne.
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Entretien avec Jean-Pierre LENG (11.07.2011)
AV: Angel Viñas
JPL: Jean-Pierre-Leng
AV: Merci, Jean-Pierre, de ton accueil amical et chaleureux. Parlons s’il te plaît tout d’abord
des circonstances de ton recrutement.
JPL: C’est facile. Je travaillais à Paris dans le privé dans une affaire de publicité. Un jour en
1959 j’ai rencontré chez des amis un garçon qui avait fait partie de l’équipe qui avait négocié
le Traité de Rome. Il s’agissait de Jean François Deniau. A l’époque je ne militais dans aucun
mouvement européen mais je croyais déjà à l’intégration de l’Europe et suivais avec attention
ses progrès. J’étais un européen de conviction. Deniau, en causant, me dit que la Commission
européenne était en train de s’établir à Bruxelles, qu’elle était appelée à devenir le
gouvernement de l’Europe, qu’il allait y travailler lui-même en tant que directeur et qu’il
serait intéressant pour un jeune homme comme moi d’y être aussi dès le début. Il s’agissait
d’un travail passionnant où l’on pouvait exercer de grandes responsabilités. Evidemment, cela
m’a intéressé fortement. J’ai démissionné du privé et sans savoir ce que j’allais gagner ni les
fonctions que j’aurais je suis allé à Bruxelles.
À l’époque le recrutement était facile. Il se faisait sur titres. J’ai présenté mon doctorat en
Economie de l’Université de Poitiers et ai subi toute une série d’entretiens avec plusieurs
directeurs. Ils n’étaient pas nombreux. Je me rappelle notamment le chef de cabinet du
Président Hallstein, Monsieur Von Staden, un Allemand hautain au visage sabré d’une grande
cicatrice. Il m’a renvoyé voir d’autres collègues. Un des directeurs m’a pris et m’a envoyé
chez un de ses chefs de division, un diplomate belge de la vielle école, diplomate jusqu’au
bout des ongles, M. de Baerdemaeker.
Il m’a dit qu’il s’occupait entre autres de l’OECE à Paris qui allait vite se transformer en
OCDE avec l’entrée des Américains et des Canadiens. Il lui fallait un jeune fonctionnaire qui
puisse suivre le processus de transformation, y représenter la Commission européenne et
s’assurer que celle-ci en tant que nouvelle autorité serait mentionnée. J’étais très jeune et très
inexpérimenté et je ne pouvais pas me douter que quelques années plus tard j’y représenterait
la Commission en tant qu’Ambassadeur.
J’étais basé à Bruxelles, avenue de la Joyeuse Entrée. On avait un balcon qui donnait sur le
garage et on y voyait le Président Hallstein partant à Bonn tous les week-ends à bord de sa
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Mercedes 600 décapotable conduite à grande vitesse par un chauffeur petit et gros du nom de
Johnny !
AV: Quels sont les point de repère de ta carrière en terme de promotions?
JPL: Bon, mon point de départ a été mon travail en tant qu’observateur à Paris. Je n’avais pas
beaucoup d’instructions mais à Bruxelles on m’avait dit ce que l’on espérait de moi. La
Commission était intéressé à améliorer son statut à l’organisation. Au lieu d’y être un
observateur la Commission voulait avoir un statut de “participant aux travaux” de l’OCDE.
Ce n’est pas la même chose. En tant qu’observateur on n’a pas beaucoup de droits. En tant
que participant on assiste aux réunions du Conseil et des groupes de travail et on peut parler.
Après plusieurs années faisant ce travail, en 1968 Deniau m’a appelé à Bruxelles et m’a pris
dans son cabinet. Je me rappelle que j’ai raté à Paris la révolte du mois de mai. Travailler avec
Deniau a été un des points marquants de ma carrière. C’était très formateur. Deniau était un
homme brillant, très compétent, il connaissait les détails de ses dossiers et avait une grande
vision politique. A l’époque mes tâches dans le cabinet n’avaient pas une grande importance.
Deniau s’occupait surtout de l’aide au développement mais aussi, en tant que résidu, de ses
compétences de l’élargissement. Dès que l’adhésion du Royaume Uni, l’Irlande, le Danemark
et la Norvège est devenue une possibilité, je me suis trouvé au cœur des négociations. C’était
une tâche épuisante, des nuits entières de négociation. J’ai été un des témoins du processus
d’adhésion au plus haut niveau. J’ai accompagné Deniau voir le premier ministre britannique,
Edward Heath, plusieurs fois aux Chequers. Nous sommes allés visiter son homologue
norvégien. Bref, c’était très intéressant.
L’adhésion accomplie, Deniau est rentré à Paris en tant que secrétaire d’Etat et a été remplacé
à la Commission par Claude Cheysson. A ce moment-là le poste de conseiller commercial à la
Délégation de Washington est devenu libre et j’ai postulé. J’ai passé plusieurs années aux
États-Unis. Mon chef de délégation était aussi un homme très remarquable, un ancien premier
ministre danois, Jens Otto Krag . J’ai eu la chance de travailler aussi avec son successeur, un
hombre très aimable, Européen de cœur, fils de Paul-Henri Spaak, Fernand Spaak. Je suis
devenu son adjoint en remplaçant M. Heidenreich, qui a été notre premier ambassadeur à
Ottawa.
Au fil du temps, les années à Washington ont commencé à me peser un peu. Tu connais
l’esprit des fonctionnaires de la Commission qui ne veulent pas rester longtemps sur le même
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poste. A ce moment-là, Roy Denman, devenu le nouveau directeur général à la DGI, m’a
appelé pour me dire que le poste de chef de délégation à l’OCDE se libérait et m’a demandé si
je voulais y aller. Tu imagines? Avoir dans ton propre pays un statut diplomatique en tant
qu’ambassadeur, c’est un rêve. Tous mes amis à Paris m’enviaient. J’y suis resté quatre ans à
peu près et me sentais parfaitement heureux.
En 1982 Tokyo est devenu libre. Le vice-président Haferkamp m’a offert le poste mais j’ai dit
non. Je ne voulais pas quitter Paris à cause de raisons personnelles. Le Président Ortoli m’a
appelé et m’a dit que si je refusais d’aller à Tokyo je pourrais considérer que ma carrière à la
Commission était terminée. Pouvais-je imaginer que j’y irais volontiers dix ans plus tard.
Après cet épisode dramatique du point de ma carrière, un de mes amis à Bruxelles, Horst
Krenzler, a laissé son poste de négociateur principal aux textiles. On me l’a offert. Je ne
pouvais plus le refuser même si je ne m’y connaissais pas dans ce domaine. Grâce à mes
collaborateurs et en particulier au chef de division Guillaume Hofman, qui était un grand
expert et avait travaillé avec Tran Van Thinh et Krenzler, nous avons mené à bout la
négociation de l’accord multifibre et tous les accords bilatéraux y afférents.
C’est dommage qu’Hofman ne soit pas devenu directeur. Il est resté tout le temps chef de
division mais était un homme remarquable. Je me rappelle qu’il s’agissait de 80 ou 90
accords. Je n’ai jamais signé tant d’accords dans ma vie. Toutes les feulles devaient aussi être
paraphées. Une corvée mais un travail très formateur aussi.
AV: Et après?
JPL: Bon, Alex Schaub qui était le chef de cabinet du vice-président De Clercq m’a remplacé
aux textiles et moi j’ai remplacé Raymond Phan Van Phi en tant que directeur pour les Etats
Unis, le Japon, le Canada et l’Australie/Nouvelle Zélande.
De cette période je n’oublierai jamais deux négociations très difficiles avec les Etats-Unis. La
première a pris des années et des années et que je sache elle continue toujours. Il s’agît de
l’importation de bœuf aux hormones. Les tensions étaient très hautes dès le début. On a tout
de même essayé de la résoudre par une idée brillante que quelqu’un a eue. Je ne me rappelle
plus qui. Il s’agissait de continuer à interdire l’entrée de la viande traitée aux hormones que
les Américains considéraient comme de la protection et notamment de la protection française.
C’est pour cela qu’ils prenaient des mesures de rétorsion contre plusieurs produits français
tels que le Camembert, le cognac, etc. Mais nous avons établi qu’il existait au Texas des
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quantités énormes d’animaux qui n’étaient pas traités aux hormones. Leur viande pouvait
donc être importée sans problème et on démontrerait aux Etats-Unis que notre souci n’était
pas la protection commerciale mais la protection de la santé de nos consommateurs. L’ idée
était excellente mais n’a pu être réalisée car les abattoirs américains n’étaient pas en mesure
de pouvoir faire la distinction entre les animaux traités et ceux non traités.
La deuxième négociation a concerné les restrictions sur l’acier, c’est-à-dire les limitations à
nos propres importations. On a travaillé dur.
La vie est curieuse. Au beau milieu des négociations le poste de Tokyo est devenu à nouveau
disponible. Le vice-président Frans Andriessen m’a appelé et me l’a offert. Je dois dire que
pour des raisons familiales (mes parents étant déjà trop âgés) je n’étais pas très chaud mais ai
demandé une période de réflexion. Je me suis entretenu avec plusieurs collègues pour
examiner les pros et les cons. Un d’entre eux, Hugh Richardson, qui avait été l’assistant de
Fielding à Tokyo et parlait couramment le Japonais m’a convaincu. Il disait que le Japon était
un pays très intéressant. Il envoyait lui-même ses enfants à une école japonaise pendant les
vacances. J’y suis finalement allé mais un peu à contrecœur. Quatre ans plus tard j’ai quitté le
Japon aussi à contrecœur.
La délégation avait était dirigée avant moi par Fielding, Brinkhorst et Van Agt, un ancien
premier ministre hollandais. Après moi il y a eu Keck, Jorgensen et Richardson lui-même. Ma
période a commencé avec la solution du problème du niveau d’accréditation. Van Agt avait
été accrédité au niveau du premier ministre. Lorsqu’il est parti pour Washington, il a été
accrédité auprès du Président. Les Japonais ont voulu attendre que la question soit résolue
avant de décider du niveau de mon accréditation. Delors m’a fait patienter deux ou trois mois
à Bruxelles. Finalement j’ai présenté mes lettres de créance auprès de L’Empereur, une
cérémonie très émouvante.
Je me rappelle que la première chose que j’ai faite en tant qu’Ambassadeur était comme on dit
en français un peu “culottée”. J’ai rendu visite au Gaimusho au directeur pour les Affaires
Européennes qui allait être mon interlocuteur habituel et lui dit qu’une visite du Président
Delors au Japon serait plus qu’appropriée. Il m’a répondu que l’on avait beaucoup de visites
et m’a récité une longue liste. Tu peux imaginer qu’il y avait beaucoup de hautes
personnalités dont les présidents de plusieurs républiques Africaines que je ne nommerai pas,
mais du point de vue de la Commission parfaitement négligeables. J’ai raisonné que la visite
du Président Delors aurait beaucoup de conséquences positives sur les relations entre la
Communauté européenne et le Japon et finalement on a trouvé un créneau.
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Je suis donc rentré à Bruxelles et ai informé Delors que j’étais en train d’organiser sa visite. Il
en a été surpris car il ne l’avait prévue. Je suis parvenu à le convaincre. On a établi par la suite
un système de consultations à haut niveau entre la Communauté et le Japon qui a été mené à
bien par la Commission. Un succès!
J’ai quitté le Japon avec tristesse.
AV: Et après?
JPL: Un jour Sir Léon Brittan m’a appelé et m’a proposé de remplacer Tran Van Thinh à
Genève. Il était là depuis dix ou onze ans. Je crois me rappeler qu’un des membres de son
cabinet qui avait fait l’ENA et qui parlait français couramment et remarquablement bien a mis
mon nom sur la table, c’était Robert Madelin. L’occasion était propice car le GATT était
devenu l’OMC. Le changement de nature serait accompagné d’un changement
d’ambassadeur. Il ne faut pas oublier que la Commission était un des partenaires essentiels du
GATT et par là même de l’OMC.
Evidemment, je savais ce qu’était le commerce international mais ne connaissait pas
l’atmosphère de Genève. Dans la Commission il y avait des spécialistes éminents.
Heureusement j’ai eu des collaborateurs remarquables. Je me rappelle en particulier mon
adjoint Hervé Jouanjean, qui avait été avec moi dans l’équipe textile.
Genève, c’était l’OMC à 80-90 pour cent. Il y avait aussi le UNHCR auquel la Commission
donnait une forte aide financière. À l’époque il était dirigé par une Japonaise, Madame Ogata.
Avec Emma Bonino nous avons développé nos relations. Il y avait aussi le HCDH, l’OMS et
l’OIT. C’étaient des organisations qui demandaient une certaine présence mais le plus
substantiel de mes efforts a été concentré sur l’OMC, la seule organisation internationale de
premier rang où la Commission était devenue le chef de file par excellence. Elle était partout,
même dans les négociations en coulisse que ce soit dans les petits groupes de travail, dans la
Green Room où dans le bureau du Directeur Général. Pour ceci il fallait développer une
grande confiance avec les représentants de nos Etats membres. Sans elle, on était perdus.
C’est sur la confiance que le rôle de la Commission s’établit et peut se développer. Si la
confiance existe, tout peut se faire.
J’ai pris ma retraite à Genève. J’aurais aimé pouvoir rester en active beaucoup plus
longtemps.
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AV: Dis-moi, tu as passé la plupart de ta carrière en tant que fonctionnaire en dehors du siège.
Comment as-tu vu l’essor des délégations?
JPL: Ça ne s’est trop mal passé. La Commission n’avait pas les moyens d’un service
diplomatique de qualité. Il y avait bien sûr des gens de qualité mais aussi beaucoup
d’amateurs. Nous manquions d’un système de formation et de carrière. Regarde en
comparaison les Britanniques qui sont passés maîtres véritables dans la matière. Nous avons
fait des progrès tout en improvisant. Le hasard a aussi joué un rôle. Il n’y avait pas beaucoup
de cohérence. La plupart du temps ça marchait mais parfois on a fait l’expérience que les
personnes choisies n’étaient pas les plus appropriées.
AV: Et quels ont été tes rapports avec les représentants de nos Etats membres?
JPL: Contrairement à ce que l’on peut dire, les rapports sur place avec les diplomates de nos
Etats membres ont été bons dans la mesure où la Commission s’occupait de ses affaires et ne
se mêlait pas des choses qui ne l’étaient pas. Dans ma carrière les principaux sujets dont nous
avions à nous occuper c’était le commerce et l’agriculture. Les Etats membres étaient tout à
fait satisfaits que nous nous en occupions. Par exemple, à Washington les Danois ont eu pas
mal de problèmes avec quelques-unes de leurs exportations. Pour eux que la Commission
défende leurs intérêts était très bienvenu. La Communauté pouvait jouer d’un poids qu’ils
n’avaient pas.
Mais naturellement personne n’était à l’abri des positions anti-Européennes que des
diplomates de nos Etats membres parfois affichaient. Ou des mauvaises relations
personnelles.
AV: Et lorsque l’on a développé la CPE? As-tu trouvé des difficultés?
Non. Je ne me suis jamais mêlé des questions que je ne connaissais pas. Nous en prenions
notes, on en informait à Bruxelles mais la Commission ne prenait pas de position. Je ne
parlais qu’à titre purement personnel. Il ne correspondait pas à la Commission de tenir le haut
du pavé pour ainsi dire. Par contre, je n’aurais pas accepté que l’on se mêle des affaires qui
revenaient à la Commission. Ils en étaient d’ailleurs parfaitement conscients.
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Par exemple j’ai donné pas mal d’interviews à la télévision japonaise chaque fois qu’il y avait
des problèmes commerciaux. Les Japonais venaient me voir et personne n’a fait d’objection.
AV: Lorsque tu es rentré à Bruxelles, as-tu trouvé beaucoup de changements?
JPL: Oui, forcément, mais je pense que dans l’ensemble (je suis peut-être un peu naïf) tout au
long de ma carrière j’ai toujours rencontré vivant l’esprit européen. Je me rappelle que l’on
disait qu’un tel commissaire était anti-européen mais au fil du temps on voyait comment il
changeait et défendait les positions de la Commission, des positions européennes et comment
il devenait très attaché au système d’intégration supranationale de la Commission. Cela se
passait de même avec les fonctionnaires nationaux. Donc c’était très intéressante cette fusion
de nationalités différentes au service d’une idée commune. Je n’ai jamais être choqué par
exemple par le comportement de Sir Léon Brittan, ou M. Van den Broek ou M. Matutes. Je
me rappelle d’ailleurs le temps passé au cabinet Deniau. Nos plus grands problèmes étaient
avec Paris.
AV: Quelles sont les personnalités les plus marquantes que tu as rencontrées pendant ta
carrière?
JPL: Bon, si l’on commence par le début je dirais que Jean François Deniau.
Incontestablement. Le plus brillant. Aussi Raymond Barre, avec une vision des choses très
claire et une grande hauteur de vues. Puis, Emile Noël, impressionnant, froid, glacial, avec un
sourire qui rappelait une guillotine, mais d’un dévouement extrême et d’une énorme capacité
d’analyse. Sans oublier Sicco Mansholt, bien sûr. Et parmi les hauts fonctionnaires, le DG de
l’Agriculture, Rabot et Edmond Wellenstein bien entendu.
Puis, si l’on descend dans le temps je dirais Sir Christopher Soames. Il avait d’ailleurs un chef
de cabinet remarquable, David Hannay, et aussi un collaborateur que j’ai beaucoup aimé,
Adrian Fortescue. Il est mort dans des circonstances atroces. Hannay a fait une carrière
brillante pour le Royaume Uni mais son esprit communautaire était indéniable.
Naturellement, il faut mentionner Delors. Sans le moindre doute. Un homme de peu de mots,
mais dont la présence se faisait sentir dès qu’il entrait dans une réunion. On sentait son poids.
Cela portait énormément.
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En tant que négociateur je me rappelle Crispin Tickell, un garçon brillant, chef de cabinet. Il a
aussi fait une belle carrière.
En tant que négociateur très fin et très bon je dois mentionner Sir Léon Brittan et Étienne
Davignon. On ne peut pas l’oublier. Sans doute je laisse beaucoup de noms de côté. La
Commission a eu la grande fortune de pouvoir compter sur des hommes politiques et de hauts
fonctionnaires d’une grande qualité qui ont souvent fait de belles carrières soit dans la
Commission soit dans leurs Administrations nationales.
Regarde par exemple le cas de Renato Ruggiero. Il était le chef de cabinet de Malfatti. Puis il
est devenu le représentant permanent de son pays auprès de la Communauté. Finalement, et la
vie est drôle quand-même, il a été directeur général à l’OMC lorsque j’y étais Ambassadeur.
En tant qu’Européen. Et ce n’était pas donné d’avance. Après tout le premier directeur général
du GATT a été un Britannique, puis un Suisse, suivi d’un ex commissaire Peter Sutherland,
qui a été le premier à la tête de l’OMC récemment établie. Après lui l’éventail était tout
ouvert. On parlait d’un Mexicain, d’un Africain mais lorsque Renato a manifesté son intérêt
après avoir été ministre du commerce extérieur de l’Italie il a eu gain de cause. J’ai fait
beaucoup campagne en sa faveur lorsque j’étais à Genève.
JPL: J’ai vu dans le questionnaire qu’il y a avait des questions concernant la socialisation à
Bruxelles et l’appartenance à des organisations syndicales.
Evidemment j’ai fait beaucoup d’amis parmi les collègues même si ma carrière m’a emporté
loin de Bruxelles, mais pour les questions syndicales franchement je n’ai pas eu beaucoup de
temps. J’ai toujours été pris par le boulot.
AV: Une petite question tout de même. Tu n’as jamais été fonctionnaire en France. Est-ce que
cela t’a porté préjudice à la Commission?
JPL: Non. D’ailleurs je ne me plains pas. J’ai eu une belle carrière. Je dirais qu’elle a été plus
longue car j’ai dû suivre toute la chaîne depuis A7 jusqu’`a A2. Mais je ne jamais ressenti de
préjudices. S’il y en a eu, c’est plutôt pour ceux qui ont été parachutés dans la Commission.
AV: Tu as eu beaucoup d’expérience dans la DGI, DG Commerce, DG Relex. Comment as-tu
vu évoluer son rôle au fil du temps?
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JPL: Tout d’abord le rôle de la DG était de s’occuper du commerce. Les relations extérieures
au sens large (et en particulier les politiques et diplomatiques, relations entre États)
n’existaient pas pour la Commission. Petit à petit nos compétences se sont pourtant élargies.
On a dû parler coopération au développement, par exemple. Les Britanniques nous ont
rapprochés de l’Asie. Les Espagnols de l’Amérique Latine. On a dû continuer à parler acier,
textiles mais on a aussi dû parler d’autres choses. Le dialogue s’est donc établi à des niveaux
différents de ceux du commerce. Tout a changé.
Lorsque j’étais à Genève on a dû s’occuper des réfugiés du Rwanda. La Commission finançait
des projets pour eux et donnait des moyens au Haut-Commissaire. Forcément on a dû agir sur
de nouveaux domaines et engager un dialogue politique. L’évolution va sans doute continuer
dans ce sens.
Une chose qui m’a frappé, c’est que tu n’a pas posé de questions sur la taille de l’Union. Pour
moi, le problème fondamental c’est si une structure très logique mais pensée pour six
continuera à être valable ou non lorsque l’on sera à 30 membres. A-t-on pensé à ce
qu’adviendra lorsque la Bosnie-Herzégovine ou la Serbie prendront leurs responsabilités au
titre de la présidence tournante de l’Union? Le système était d’une grande logique mais nous
vivons déjà dans une Union très large et qui s’élargira davantage. Le rêve de la Pologne est
bel et bien faire rentrer l’Ukraine ou le Belarus dans l’Union. Quand va-t-on arrêter?
On a fait une réforme mais je crains fort qu’elle n’est pas suffisante. Évidement tout ceci ne
rentre pas dans le cadre de notre entretien.
AV: Jean-Pierre, je te remercie très sincèrement de ton amabilité. Je vais m’efforcer de te
faire parvenir aussi rapidement que possible la transcription de cet entretien pour ton feu vert
avant de le passer à l’Université.
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Entretien avec Jean-Pierre LENG (11.07.2011)
Index des noms de personnes
Andriessen, Frans, 6
Barre, Raymond, 9
Bonino, Emma, 7
Brinkhorst, Laurens-Jan, 6
Brittan, Leon, 7, 9, 10
Cheysson, Claude, 4
Davignon, Étienne, 10
de Baerdemaeker, Adolphe, 3
Delors, Jacques, 6, 7, 9
Deniau, Jean-François, 3, 4, 9
Denman, Roy, 5
Fielding, Leslie, 6
Fortescue, Adrian, 9
Haferkamp, Wilhelm, 5
Hallstein, Walter, 3
Hannay, David, 9
Heath, Edward, 4
Hofman, Guillaume, 5
Jorgensen, ?, 6
Jouanjean, Hervé, 7
Keck, Joern, 6
Krag, Jens Otto, 4
Krenzler, Horst, 5
Madelin, Robert, 7
Malfatti, Franco, 10
Mansholt, Sicco, 9
Matutes, Abel Juan, 9
Noël, Émile, 9
Ogata, ?, 7
Ortoli, François-Xavier, 5
Phan Van Phi, Raymond, 5
Rabot Louis George, 9
Richardson, Hugh, 6
Ruggiero, Renato, 10
Schaub, Alexander, 5
Soames, Christopher, 9
Spaak, Paul-Henri, 4
Sutherland, Peter, 10
Tickell, Crispin, 10
Tran Van Thinh, Paul, 5, 7
Van Agt, Dries, 6
Van den Broek, Hans, 9
Von Staden, Berndt, 3
Wellenstein Edmund, 9
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