Jacques Séguéla : « Il faut un nom porteur, chantant » Alcalins

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Jacques Séguéla : « Il faut un nom porteur, chantant » Alcalins
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POLITIQUE P
Q MARDI 3 NOVEMBRE 2015
RÉGION GRAND FORMAT Baptiser la nouvelle entité
Trois régions…
mais quel nom ?
Quel nom pour la nouvelle région ? Pour l’instant, on se contente d’ACAL, acronyme peu séduisant qui reprend la première
lettre de chacune des trois régions, par ordre alphabétique s’il vous plaît, afin de ne froisser personne.
O
n évoque « Austrasie »,
royaume mérovingien
plein de la fureur et du
fracas du Moyen Âge,
connoté historique, ou encore
« Grand Est » assez neutre et à
portée géographique, ou encore
« terre d’est », qui évoque le
territoire, ou « Porte d’Europe »
qui affiche son ambition… Pour
ne citer que ceux-ci. Tout dépend en fait du storytelling, de
l’histoire, que les élus voudront
raconter…
Ça, c’est le préalable ». Il poursuit, « Les élus vont-ils penser le
nom en termes de stratégie de
développement à l’extérieur ou
seulement de problématique interne, c’est-à-dire d’adhésion de
la population à ce projet ? ». Une
fois le nom choisi, on verra quelle est la logique politique de cette nouvelle région.
Un acte politique
Le nom et la chose
La question du nom est en effet
sensible et plus épineuse qu’il
n’y paraît. Trouver un nom pour
nommer la chose sera en effet
une des premières tâches du
nouveau conseil régional. Et selon la manière dont il s’y prendra, avec ou sans consultation
de la population, en recourant à
un cabinet de marketing territorial, ou sur inspiration divine
des conseillers… on pourra déjà
en tirer certaines conclusions.
C’est qu’en effet, il y a des gens
qui ne font que cela, réfléchir
aux noms, aux slogans, aux
images, et au sens qu’une identité véhicule.
Partagé par les habitants
Une ville, c’est une marque comme le disent les experts en « city
INFOGRAPHIE ER
branding » ! Une région aussi.
Alors il ne faudra pas se louper
lorsqu’on baptisera la région qui
rassemble la Champagne-Ardenne, la Lorraine et l’Alsace !
Car le nom a une valeur symbolique majeure à l’intérieur comme
à, l’extérieur de ce qu’il définit.
Boris Maynadier, chercheur à
l’université de Toulouse, est un
Alcalins ?
Grands-Orientaux ?
d’existence. Quand l’être humain veut désigner quelque chose, il le nomme. Un nom ne doit
pas être clivant. Une région ne
doit pas en écraser une autre.
R
Jacques Séguéla : « Il faut un nom
porteur, chantant »
« Les Alcalins ne s’userontils que si on s’en sert ? », rit
Sophia Huynh-Quan-Chiêu,
« nameuse » indépendante
strasbourgeoise.
L’affaire du nom des nouvelles régions amuse et intéresse beaucoup Jacques
Séguéla. En vrai « fils de
pub », il a son idée sur la
question. Si le nouveau
président de la région venait
le trouver pour lui demander
de plancher sur le sujet, que
lui dirait -il ?
« QUAND ON ENTEND ALCA ou
ACAL, on pense plutôt à des
noms de médicaments. Mais
dès qu’on glisse sur le nom
que prendraient les habitants
de la grande Région, c’est la
référence aux piles Wonder
qui s’impose. Or, le gentilé
doit être au cœur de la réflexion sur le choix du nom »,
estime la créatrice de noms de
marques et de produits, qui
officie sous le nom « SHQC » :
« C’est plus facile de s’identifier si on peut dire “Je suis…
alsacien/breton/auvergnat”…
Si la région s’appelle Grand
Est, on appellera les habitants
les Grands-Orientaux ? Les
Grands-Estiens ? » Et
d’ailleurs, ils s’appellent
comment les habitants de
PACA ?
Les acronymes ALCA et ACAL
paraissent « assez naturels,
on est dans la prononciation
la plus simple. Ça a le mérite
de mettre tout le monde d’accord et de ménager les susceptibilités. Mais à entendre ça
n’est pas très élégant », poursuit Sophia HQC.
Que la région qui naîtra le
1er janvier n’ait toujours pas
de nom, « ça ne m’étonne pas
spécialiste du marketing territorial justement. « Le nom, c’est la
première chose qui va être partagée par les habitants. Donner
un nom c’est le premier acte
L’exemple de PACA (ProvenceAlpes-Côte d’Azur) illustre bien
la complexité de la tâche qui
attend l’ALCA. PACA, a priori, ça
n’évoque pas grand-chose, surtout hors des frontières. Mais
dès qu’on dit Provence, ou Côte
d’Azur, en Chine ou à Moscou,
immédiatement l’imaginaire se
met en route, on entend les cigales, on voit du bleu. Les spécialistes du marketing territorial
ont même trouvé mieux, c’est
« Riviera » pour évoquer cette
région à l’étranger.
Le nom de notre région sera
donc riche en sens. Il devra être
une signature. Il sera un élément d’identité pour les habitants, même si à lui seul il ne va
pas déterminer leur destin. Il va
porter en lui tout ce que la nouvelle Région signifie. Faudra-il
lui adjoindre un blason, imaginer un logo, un drapeau ? Loin
d’être anecdotique le choix du
nom sera un acte politique et
stratégique.
MONIQUE RAUX
(L’EST RÉPUBLICAIN)
« PARLONS d’abord stratégie.
Sophia Huynh-Quan-Chiêu, "nameuse".
PHOTO DNA - FIONA
CHRISTMANN
vraiment. Le nom « Pôle emploi », par exemple, a été
choisi au dernier moment,
même s’il concernait des
millions de personnes. Parce
qu’on sait qu’un nom nouveau, même s’il heurte
l’oreille quand il apparaît, les
gens s’y habituent très vite.
Au bout de six mois, personne
n’y fait plus attention. »
La grande Région, poursuit la
« nameuse », a juste besoin
d’un nom à mettre sur son
logo. Créer une identité de
marque serait superflu : « La
Champagne ou l’Alsace ont
déjà des identités touristiques
très établies, et il n’y a pas de
raison de vouloir plaquer
dessus une entité administrative. Regardez, Ceylan est
devenu le Sri Lanka mais on
boit toujours du thé de Ceylan. Les identités peuvent se
superposer. »
Et puis, quoi qu’il en soit,
« les gens se sentiront toujours Alsaciens, Lorrains,
Ardennais ou Champenois. Ce
n’est pas un nom administratif qui leur fera perdre leur
identité. »
ANNE-CAMILLE BECKELYNCK
R
Les pays sont des marques.
Les nouveaux pays sont les
régions. Demain, les régions
françaises compteront presque plus que la France, car
l’Europe sera un peu comme
les États américains, les grandes régions traiteront entre
elles, et vont entrer dans une
compétition économique et
donc de communication sans
appel. Émergeront et sortiront
du lot celles qui auront le
mieux communiqué. D’où
l’importance du nom ! Il faut
un nom porteur, chantant.
Déjà, on voit que des villes
sont des marques. Lyon, Marseille, Paris… Rendez-vous
compte Paris, c’est une des
plus grandes marques du
monde, derrière Google, Apple, et Coca-Cola ! C’est pourquoi pour l’Ile-de-France,
Bartolone tient à adjoindre le
nom de Paris.
Une marque existe parce
qu’elle a un nom qui la personnifie. Quand le nom est
Jacques Séguéla, vice-président d’Havas Advertising, pose, le
30 janvier 2002 au siège de l’entreprise à Levallois-Perret.
PHOTO AFP – PHILIPPE DESMAZES
bien choisi, il représente l’ADN
de la marque. Dans les régions, y’a du bon et du moins
bon. « Centre Val-de-Marne »,
c’est pas terrible, Centre c’est
un mot fourre-tout, ça fait
ventre mou. « Occitanie »,
pour Roussillon Midi Pyrénées
c’est le plus réussi, c’est géographique, romantique, teinté
d’histoire, il y a de la culture,
des racines. Pas-de-Calais, je
sais qu’ils hésitent entre France du Nord, Nord de France et
Haut de France. Le dernier est
un joli mot. Il y a du lyrisme
là-dedans. C’est exactement ce
que votre région doit faire…
La question qui se pose c’est
de savoir ce qui réunit vos
trois régions. À part l’Est… je
ne vois pas grand-chose. En
tous les cas, une chose est
sûre, la plus belle marque
chez vous, c’est Champagne.
Pourquoi pas Champanie !
Faut frapper les esprits, et en
finir avec les Clochemerleries
qui paralysent le futur. ! Et
surtout, les acronymes, c’est à
bannir !
M.R.
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TTE-RTE 02