Texte 4 : La Mort du roi Tsongor, Laurent Gaudé (p152, chapitre IV
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Texte 4 : La Mort du roi Tsongor, Laurent Gaudé (p152, chapitre IV
Texte 4 : La Mort du roi Tsongor, Laurent Gaudé (p152, chapitre IV « L'oubliée ») 1 5 10 15 20 25 30 35 « - Que veux-tu ? demanda-t-elle. - Tu le sais bien, Samilia. Regarde-moi. Tu le sais, n'est-ce pas ? » Elle le sut, en effet, à l'instant où elle croisa à nouveau ses yeux. Il était venu pour elle. A travers les tentes ennemies, il s'était faufilé jusqu'ici pour la posséder. Elle le sut et il lui sembla évident qu'il devait en être ainsi. Oui. Il était venu à elle, la veille de sa mort, et elle sut que ce qu'il voulait, elle le lui donnerait. Le désir, jamais, ne l'avait quittée. Depuis ce jour où elle l'avait vu pour la première fois et malgré le choix qu'elle avait fait de rejoindre Sango Kerim, quelque chose la poussait à céder devant Kouame. Elle avait choisi Sango Kerim par devoir. Pour rester fidèle à son passé. Mais lorsqu'elle le voyait, elle savait qu'elle appartenait à Kouame. Malgré elle. Malgré la guerre qui ne permettrait jamais leur union. C'était ainsi. Elle ne bougeait pas. Il s'approcha d'elle. Elle pouvait sentir son souffle sur sa poitrine. « Je mourrai demain. Mais peu m'importe si je connais d'ici là la saveur que tu as. » Elle ferma les yeux et sentit la main de Kouame lui enlever ses habits. Ils tombèrent sur sa couche et il la prit, là, dans la sueur de cette nuit sans vent, au milieu des voix du campement ennemi, des allées et venues des soldats et du crépitement des feux de garde. Il la prit et elle coula de plaisir pour la première fois. Elle s'écarquilla tout entière, mordant les coussins pour ne pas risquer de hurler. Le long de ses cuisses, de longs tremblements humides venaient étancher la soif de Kouame qui restait penché sur elle, la tête enfouie dans ses cheveux. Il lava son âme des blessures du combat. Il s'enivra, une dernière fois, de l'odeur de la vie. La tente s'emplissait du parfum lourd de leurs étreintes et chaque fois qu'il faisait mine de se lever, elle le rappelait à elle et l’entraînait à nouveau dans le tréfonds de son corps où il glissait de plaisir dans un vertige sucré. Avant que le soleil ne se lève, Kouarne quitta la couche de Samilia pour se faufiler à travers le campement ennemi et rejoindre la cité. Samilia lui caressa le visage. Il la laissa faire. Cette main sur sa joue lui disait adieu. Elle lui disait : Va. Il est temps de mourir maintenant. » Lorsqu'il eut disparu, elle resta longtemps immobile. Depuis qu'elle avait adopté le camp de Sango Kerim, quelque chose en elle était mort. Elle était là. Au milieu de ces hommes qui se battaient pour elle. Elle était là. Sans passion. Attendant simplement l'issue de la guerre. Pour qu'il n'y ait plus de souffrance et que le cours de la vie reprenne. La venue de Kouame avait tout fait chavirer. « Je n'ai pas su choisir, pensa-t-elle. Ou je me suis trompée. J'ai choisi le passé et l'obéissance. J'ai fait taire le désir que j'avais en moi. Et j'ai rejoint Sango Kerim, par fidélité. Mais la vie exigeait Kouame. Non. Ce n'est pas cela. Si j'avais choisi Kouame, je serais en train de pleurer sur Sango Kerirn. Ce n'est pas cela. Il n'y a pas de choix possible. J'appartiens à deux hommes. Oui. Je suis aux deux. C'est mon châtiment. Il n'y a pas de bonheur pour moi. Je suis aux deux. Dans la fièvre et le déchirement. C'est cela. Je ne suis rien que cela. Une femme de guerre. Malgré moi. Qui ne fait naître que la haine et le combat.»