PETITE MARIE

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PETITE MARIE
PETITE MARIE
Marie était une petite fille sage, rêveuse, mais souvent triste.
Assise sur le seuil de la maison de ses parents, son pouce dans la bouche, recroquevillée
sur elle-même, elle s'inventait des histoires où elle était aimée.
Car, si la petite Marie était si triste, c'est qu'elle était persuadée que ses parents ne
l'aimaient pas.
Pourtant, elle, elle les adorait.
Elle aurait voulu que sa maman la prenne dans ses bras, qu'elle lui dise des petits mots
doux, qu'elle lui fasse des gros câlins.
Mais lorsque Marie s'approchait de sa maman pour l'embrasser, celle-ci la repoussait en
disant:
- Je n'ai pas le temps, laisse-moi tranquille!
A 5 ans, on a besoin de la tendresse et de la présence de sa maman.
Mais, c'était vrai qu'elle n'avait pas de temps à perdre avec elle; pauvre petite Marie.
C'était la guerre; la terrible guerre! Et la courageuse jeune femme dont la famille
comptait déjà 4 enfants et que se présentait un cinquième n'économisait pas sa peine afin
de procurer à tous une alimentation correcte.
Chaque jour, elle partait, avant le lever des enfants, pour glaner dans les champs après la
moisson ou ramasser des pommes de terre oubliées par les paysans. Lorsqu'elle rentrait,
c'était pour s'occuper des plus petits et du ménage. Marie se sentait petite elle aussi.
Pourquoi sa maman n’avait-elle pas de temps pour elle?
C'est vrai que de temps en temps, elle avait la charge de ses petits frères et qu'elle pouvait
leur faire des câlins, mais ce qu'elle voulait, c'était les câlins de sa maman.....
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Alors, Marie se créait une autre vie..... Elle rêvait, en suçant son pouce. Elle s'imaginait
entourée de bonnes fées qui lui souriaient, l'entraînaient avec elles dans un tourbillon de
fleurs.
Emportée par ses visions, Marie se levait d'un bond et se mettait à danser, à chanter à tuetête.
Il fallait la voir, les bras arrondis au-dessus de sa petite tête brune, elle tourbillonnait
comme les danseuses étoiles dans les ballets de l’opéra.
Marie était heureuse dans ces moments-là!
Elle n'avait plus rien à voir avec le vilain petit canard, elle rayonnait.
Mais cela ne durait jamais longtemps.
Son grand frère de deux ans son ainé, veillait et se chargeait de la rappeler à l’ordre.
- Tu dois t'occuper des petits lui disait-il d'un ton de commande; Et aussi tu dois laver les
chaussettes. C'est maman qui l'a dit. Elle va bientôt rentrer et si ce n’est pas fait, tu vas
voir tes fesses....
Vite, Marie se mettait à l'ouvrage. Elle ne voulait pas faire de peine à se maman. Alors,
consciencieusement, elle brossait les chaussettes, d'abord à l'endroit, puis à l'envers,
comme on le lui avait appris. La brosse trop grosse pour ses petites mains lui échappait
parfois. Quelque fois aussi, elle se brossait les doigts et faisait la grimace. Quand elle
avait terminé son ouvrage, ses menottes étaient rouges et ratatinées, mais elle était fière
d'avoir épargné ce travail à sa maman.
Et, comme il n'est pas nécessaire de réfléchir beaucoup pour faire cette besogne, Marie
se reprenait à rêver et à chanter
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Son papa était ouvrier dans une verrerie, là où on faisait des bouteilles pour le vin et
aussi des bocaux pour les confitures.
Il travaillait en équipe, soit le matin, soit l'après-midi, soit la nuit et même le dimanche,
même quand c'était Noël ou Pâques.
-Pourquoi tu travailles la nuit, lui demandait les enfants. Elle ne dort pas, la verrerie?
Et papa expliquait que le verre refroidit vite et se réchauffe moins vite et que le temps
perdu dans ce cas, le travail ne se fait pas, et la paie …..
Les enfants ne comprenaient pas grand-chose, mais si papa le disait......
Ce que les enfants comprenaient, c'est que leur papa avait très chaud et que ses mains
étaient toutes brûlées et calleuses. Et aussi qu'il était très fatigué et qu'il voulait du calme
lorsqu'il rentrait à la maison. Il avait besoin de dormir avant de se rendre au jardin ou il
faisait pousser des légumes et aussi quelques fleurs.
Et Marie les aimait ces mains lorsque le samedi venu, sa maman sortait le baquet à
lessive, faisait chauffer de l'eau sur la cuisinière dans la lessiveuse pour le bain
hebdomadaire. Oh! Oui, elle les aimait ces mains qui lui frottaient le dos et le cuir
chevelu et même la plante des pieds, ce qui la faisait rire aux éclats....
Comme elle l'aimait son papa dans ces moments-là.
Pourtant un jour, il lui avait dit:
Que tu es laide ma pauvre fille! Et puis arrête de chanter et de danser comme cela,
c'est pas sérieux. On ne fait pas confiance aux gens qui ne sont pas sérieux.
Marie ne comprenait pas très bien ce que cela voulait dire, mais cela lui fit mal que son
papa lui dise cela.
Elle avait beaucoup pleuré ce jour-là, mais elle s'était fait la promesse qu'elle ferait tout
son possible pour que, lorsque elle serait grande, son papa soit fière d'elle.
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Grâce au courage et à la ténacité de ses parents, Marie et ses frères et ses sœurs ne
manquaient de rien en ces temps de privation.
Ils ne manquaient certes pas de nourriture, comme ses petites camarades qui lui volaient
son goûter, mais Marie souffrait de son manque d'amour.
Malgré cela, on peut dire que Marie menait une petite vie paisible au milieu de sa famille.
Dans le quartier ouvrier où elle habitait, tout le monde se connaissait et se cotoyait, et le soir
avant le couvre-feu, les voisins se réunissait sur le trottoir pour parler .
Parfois on entendait le bruit de la guerre, les avions qui passaient dans le ciel et qui
grondaient. Alors, les sirènes retentissaient, et tout le monde se mettait à courir vers les abris
et les caves. C'était la panique dans ces moments-là. Les adultes tremblant de peur, tentaient
de rassurer les enfants qui pleuraient. Les autres, inconscients, jouaient à se poursuivre. Et
Marie dansait. Elle se disait, quand la guerre sera terminée, maman n'aura plus besoin de
travailler autant. Et alors.....
Alors, elle savait bien que rien ne changerait pour elle. Le ventre de sa maman s'arrondissait
et elle entendait celle-ci dire:
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c'est pour octobre. Vivement, car je n'en peux plus.
Un bébé de plus, moins de temps encore pour Marie.
Quelquefois, on voyait passer sur la route, des soldats qui marchaient en rang en tapant fort le
sol avec leurs talons. Marie se cachait lorsqu' elle les voyait. Ils lui faisaient peur; Ils faisaient
trop de bruit
Et le temps passait; l'été tirait à sa fin et septembre annonçait la fin des vacances. Les jours
étaient plus courts, les matins brumeux et le ciel moins bleu.
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