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Anne Paty, Collège au cinéma ; Ridicule ; 02/04/2014
D’ombres et de Lumières
Rhétorique de l’image et du son
PLAN :
1/ Le film, l'équipe du film
2/ Les contextes historiques
3/ Les références picturales revendiquées
4/ Figures de rhétorique
1 / LE FILM, L’EQUIPE DU FILM
Ridicule, sorti en 1996, est le seul film de commande réalisé par Patrice Leconte à ce jour.
Il a fait l’ouverture du festival de Cannes 1996 et obtenu de très nombreuses récompenses.
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César du meilleur film
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César du meilleur réalisateur - Patrice Leconte
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César des meilleurs décors - Ivan Maussion
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César des meilleurs costumes - Christian Gasc
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Prix Lumières du meilleur film
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Nomination : Oscar du meilleur film étranger
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David di Donatello (Meilleur film étranger)
•
BAFTA (Meilleur film étranger)
Combien de fois le mot « Ridicule » est prononcé dans le film ?
De façon négative ou positive ?
Patrice Leconte est autant un cinéaste qu’un plasticien. Auteur de bande dessinée, il a
collaboré au journal Pilote en tant qu'auteur et dessinateur de 1970 à 1975. Il a réalisé plus d’une
centaine de films publicitaires et il considère cette activité comme son laboratoire expérimental pour
sa production filmique personnelle. Très attaché aux qualités visuelles de ses films, c’est lui qui le plus
souvent tient la caméra.
J’ai toujours eu « une culture de l’œil », d’où l’envie de ne pas déléguer, de tenir moi-même la
caméra, de choisir le cadre.
Il est plus épatant de suggérer que de montrer.
Patrice Leconte ; conférence à Tours, 2010
Un film à costumes
A propos d’un film comme « Ridicule », on ne dit pas, « c’est un film d’époque », on emploie cette
terminologie curieuse de « film à costumes ». Pour la reconstitution du XVIII°, je ne voulais surtout
pas m’encombrer d’hyper-réalisme, ni être emprisonné par le carcan des références historiques. Je
crois qu’à trop vouloir faire dans le vrai, on perd une part de ses émotions et sans doute aussi une
part de son âme. (…) Je n’ai pas voulu entrer dans la machine à remonter le temps, mais,
simplement, partir de documents exacts apportés par des collaborateurs de talent, le créateur des
costumes, le décorateur, le coiffeur etc., pour ancrer le film dans son époque tout en gardant la liberté
de m’échapper avec eux au gré de notre imagination. (…)
Voir : Ruptures
Pour la scène du bal, par exemple, je me suis demandé quelles pouvaient être les fantaisies de la
Comtesse de Blayac – une courtisane sans doute terriblement snob – quand elle décide de donner un
bal qui fera date à la cour ? De même, aujourd’hui, quel style de soirée donnerait Jean-Paul Gaultier
pour faire courir le tout Paris branché ? A partir de là, on peut très bien imaginer une « Fête de
l’automne » au cours de laquelle on ne va pas lancer des confettis mais des feuilles mortes, chacun
portant une espèce de perruque bleue d’un mètre de haut !
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Les coiffures étaient justement le détail qui me préoccupait. Dans les films de cette époque, les
perruques ont souvent l’allure de bouses blanches posées sur les têtes. On gagne en effet musée
Grévin, mais on perd en humain ! J’ai demandé au coiffeur d’inventer des perruques qui respectent la
teinte de cheveux des acteurs. Je voulais avoir le sentiment de filmer de véritables personnes et non
pas des gens costumés pour un carnaval cinématographique.
La photo
Thierry Arbogast est un opérateur dont j’admire passionnément le travail. Je lui ai proposé de faire la
lumière de ce film en lui précisant que c’était à l’opérateur de « Nikita » et de « Léon » que je
m’adressais, et non pas à celui du « Hussard sur le toit ». (…) Je ne voulais pas que la lumière de
Ridicule soit fatalement respectueuse de l’époque ou en référence à la peinture du XVIIIème. Je
préférerais une photo composée en fonction du caractère des scènes. Ce n’est pas de ma part une
provocation, ni un quelconque comportement iconoclaste par rapport à une époque dont on pourrait
penser qu’elle ne me concerne pas, mais j’avais simplement le désir d’éclairer, et là je ne parle pas
simplement de la notion de lumière, d’éclairer le XVIII° avec plus de liberté que de respect, parce que,
de toute façon, le classicisme de chaque plan ne peut jamais disparaître totalement.
Voir « Ruptures »
Patrice Leconte pour la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
L’équipe autour de Patrice Leconte
L’équipe a travaillé en étroite collaboration avec l’idée, selon les souhaits de PL. de ne pas
faire un film « naphtaline », prisonnier du genre historique en costumes et de ne pas subordonner la
forme à une simple illustration des dialogues, certes brillants. Pour les lumières, PL. avait donné
comme consignes qu’elles ne soient pas « chichiteuses » mais à effets et donc signifiantes ; pour le
montage, que le rythme soit plutôt vif et rapide avec quelques ralentis et qu’avec magie, le spectateur
passe de lieux à d’autres lieux.
Antoine Duhamel, compositeur ; Dossier d’Antoine Macarez
Christian Gasc, spécialiste du XVIII° siècle, costumier de théâtre, d’opéra et de cinéma, a
obtenu un César pour les costumes. Il joue dans le film le rôle de Signore Panella.
« ... Fin connaisseur du XVIII° siècle, le costumier apporte une touche personnelle à chacun de ses
projets. « A partir d'une base historique, je prends certaines libertés en tenant compte de la
morphologie par exemple. Il faut que les comédiens soient à l'aise quand ils font du cheval. Le regard
moderne vient aussi du choix des tissus ou d'un détail. Sur Ridicule, de Patrice Leconte, j'avais
demandé à Fanny Ardant d'enlever son tour de cou alors qu'une comtesse comme elle était censée
en porter. Ça tombait bien, elle déteste avoir quelque chose autour du cou. » Avec les comédiens,
Christian Gasc cherche toujours à « établir la confiance dès la première rencontre », à être « courtois
et diplomate » et « ne jamais rien imposer », aux stars comme aux débutants ».
Christian Gasc dans le journal « La dépêche et Bonus DVD
Références picturales
Ivan Maussion, décorateur et réalisateur de cinéma, a obtenu un César pour les décors. Sa
première collaboration avec Patrice Leconte remonte à 1981 avec « Viens chez moi, j’habite chez une
copine » ; ensemble ils ont fait 21 films, jusqu’à «Mon meilleur ami ».
« On a reconstitué cet univers : le XVIII°, la cour de Versailles, dans divers endroits de la région
parisienne. Il a fallu bricoler, c’est un mélange de studio et de décors naturels, de châteaux qu’il a fallu
aménager, remeubler.Sur le grand plateau de Boulogne, qui est aujourd’hui détruit, on a construit
plusieurs intérieurs : la bibliothèque, les bureaux du généalogiste, du gouverneur… et aussi une partie
de la salle de bal de Vaux-le-Vicomte car il fallait faire des raccords après le tournage dans le vrai
château. A Versailles même, il n’y a qu’une seule scène dans le parc.Il y avait une grande énergie
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artistique sur Ridicule, et la lumière de Thierry Arbogast est pour beaucoup dans la qualité
finale. .... »
« Pour cette séquence du dîner, qui a duré deux jours entiers, la consigne de Patrice était : pas un
câble, pas une ampoule dans ce décor. C’était éclairé uniquement à la lumière naturelle de nuit :
bougie et lampe à huile. J’étais d’accord à 100%, cela donne une poésie supplémentaire. Pour le
décor, il fallait en mettre plus que dans la réalité : plus de bougies bien entendu et plus d’éléments,
plus de brillances, plus d’ombres ».
« Je n’ai jamais travaillé avec un ensemblier. Je suis obsédé par l’idée de maîtriser le choix de tout ce
qui est dans l’image, le mobilier, les accessoires, je ne délègue pas du tout leur choix. J’ai une
connaissance naturelle du mobilier, ou plutôt un instinct, une curiosité… et l’impression qu’expliquer à
une personne ce que je recherche sera plus long que de le trouver moi-même ».
« Dans ma bibliothèque, vous trouverez plus de livres sur la peinture que sur la décoration.
Actuellement, je suis en préparation, alors je dors peu et je gamberge. Je me suis réveillé la nuit
dernière en pensant à des soucis de choix de couleurs, de matières. La peinture de Vuillard m’est
revenue à l’esprit. Je dois revoir certaines de ses toiles avant de décider mes propositions de couleur.
Le luxe serait d’avoir le temps d’aller dans les musées voir les toiles elles-mêmes…Ensuite, je fais
des dossiers d’images avec des ambiances, des matériaux, des meubles, que je montre aux
réalisateurs ».
Yvan Maussion, interview pour « Objectif Cinéma »
Références picturales
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Thierry Arbogast, directeur de la photographie et premier assistant réalisateur a été
nominé pour la photographie du film. Il travaille surtout avec Luc besson.
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Joëlle Hache, monteuse, a aussi été nominée ; elle a, à son actif, 19 films avec PL.
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2 / LES CONTEXTES HISTORIQUES
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La France en 1995 et 1996
Ridicule est certes un film en costumes, mais il parle aussi de notre époque.
C’est la fin du deuxième septennat de François Mitterrand caractérisé à la fois par l’esprit de cour et
par le crépuscule d’une époque. Mais la cour n’est pas que politique !
Film d’ouverture du Festival de Cannes 1996 auquel il était un troublant écho, « Ridicule » est en effet
un film d’une troublante modernité dont les personnages pourraient appartenir à des univers
beaucoup plus contemporains que celui de la cour de Louis XVI, qu’ils soient médiatiques, politiques
ou cinématographiques. Jusqu’où aller pour réaliser ses objectifs aussi nobles (dans les deux sens du
terme) soient-ils ? Jusqu’où aller sans compromettre ses principes ni se compromettre ? ... De twitter
et ses phrases lapidaires avec lesquelles certains se réjouissent de faire preuve d’un pseudo bel
esprit, a fortiori, si c’est au détriment d’autrui, des critiques cinématographiques, (qui ont d’ailleurs
tellement et injustement malmené Patrice Leconte), qui cherchent à briller en noircissant des pages
blanches de leur fiel, des couloirs de chaînes de télévision dont l’audience justifie toute concession à
la morale et parfois la dignité, de la Roche de Solutré hier à la Lanterne de Versailles aujourd’hui, de
ces comiques ravis de ternir une réputation d’un mot cruel, prêts à tuer pour et avec un bon mot pour
voir une lueur d’intérêt dans les yeux de leur public roi, que ne ferait-on pas pour briller dans le regard
du pouvoir ou d’un public, fut-ce en portant une estocade lâche, vile et parfois fatale. L’attrait du
pouvoir et des lumières (médiatiques, rien à voir avec celles du XVIII°) est toujours aussi intense,
l’esprit de cour bel et bien là, bien que celle de Versailles ait été officiellement déchu il y a plus de
deux siècles.
Pierre Murat, Télérama
On connaît tant de malheureux qui se damneraient pour un bon mot. Car avoir de l'esprit, même si
l'on est dépourvu d'intelligence, a toujours permis de régner sur les sots. Hélas, l'esprit vous quitte
souvent, dès lors que le temps vous rattrape. Prenez M. de Blayac, par exemple, le triste héros du
prologue de Ridicule. Durant des années, cette vieille chose qui attend la mort dans l'indifférence
générale a régné dans les salons de Louis XV et du jeune Louis XVI. A l'époque, ses mots faisaient
trembler. C'est lui qui, tandis qu'un courtisan maladroit chutait en dansant, s'était écrié : « Mais c'est le
marquis de Patatras ! » Ce Patatras-là avait mis la Cour en émoi. Et en joie. Une joie semblable à
l'humiliation qu'inflige, aujourd'hui, à M. de Blayac sa victime d'hier. Une humiliation sans retour :
Après l'avoir subie, M. de Blayac ne peut que disparaître du film et de la vie. Lui et son pauvre esprit
s'en vont rejoindre le néant qu'ils n'auraient jamais dû quitter. On existe si peu, en fait, quand on est
homme d'esprit. C'est bien ce que pense Grégoire Ponceludon de Malavoy (Charles Berling), noble
provincial et désargenté, qui, dans le Versailles de 1780, s'en vient plaider auprès du roi la cause de
ses paysans mourant les uns après les autres dans les marais insalubres. Pauvre naïf ! Qui se soucie
des autres à Versailles, où tout est jeu, hormis, bien sûr, le « moi je » ? La justice ? Foutaises ! La
générosité ? A condition qu'elle serve les intérêts de celui qui la pratique. C'est dire que tout le monde
se fiche comme d'une guigne des paysans souffreteux de Grégoire Ponceludon. Heureusement pour
lui, cet émule de Candide a deux atouts dans sa manche. Sa bonne mine, ce qui n'est pas rien. Et son
esprit, ce qui est encore mieux. Qui veut la fin veut les moyens. Et si, pour Henri IV, Paris valait une
messe, quel orgueil imbécile empêcherait un idéaliste pur et dur de fréquenter le monde méprisable et
fascinant de la Cour ? Dans le but de faire le bien, évidemment. Mais, aussi, au risque de se perdre...
Tel est le sujet du film de Patrice Leconte : jusqu'où peut-on, faut-il, se compromettre ? Ne nous
laissons donc pas abuser par les costumes, les perruques et les poudres, qui, en apparence, figent
les personnages dans une époque précise, en faisant mine de les éloigner de nous. Ridicule pourrait
parfaitement être joué en complet veston. Ou même en tenue campagnarde, tenez, avec quelques
fidèles et pas mal de traîtres, aidant un monarque républicain à gravir, chaque année, la roche de
Solutré... Ne nous laissons pas abuser non plus par l'aspect « culturel » de la lutte à mort à laquelle
se livrent tous ces êtres, familiers du paraître. C'est vrai : ils se battent à coups d'alexandrins,
d'octosyllabes et de « bouts rimés ». Mais, les mots, ici, sont des épées. Ou des flingues. D'où la
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réflexion de Jean Rochefort à son metteur en scène, lors du tournage : « C'est un western dans lequel
on a remplacé les colts par des mots d'esprit. ». D'où cette scène magnifique où Fanny Ardant (la
comtesse de Blayac) est surprise en train de tricher lors d'une séance de « bouts rimés ». Mais on ne
triche pas dans un western, ni dans une tragédie ! Fuyant, dans un escalier, celui qui a découvert sa
malhonnêteté pour mieux avoir prise sur elle, Ardant lance, impériale, à celui qu'elle craint et qu'elle
commence à aimer, peut-être, cet aveu qui sent déjà la défaite : « Le prix, Monsieur, de votre
discrétion ? » « Que les gens d'esprit sont bêtes ! », disait Beaumarchais dans Le Mariage de Figaro.
Et, à deux siècles de distance, André Maurois d'en rajouter : « Il ne suffit pas d'avoir de l'esprit. Il faut
en avoir assez pour s'abstenir d'en avoir trop. » C'est exactement la mésaventure qui arrive à l'abbé
de Vilecourt (Bernard Giraudeau). L'instant d'avant, l'abbé brillait tel un astre. On ne voyait que lui, on
n'entendait que lui : il était médiatique, en somme. Devant la Cour, il démontrait au roi l'existence de
Dieu. En ces instants, l'abbé était roi ; l'abbé était Dieu. Et puis, soudain, la gaffe ! Un mot d'esprit de
trop ! Ni plus bête, ni plus intelligent qu'un autre ! Emporté par son élan, l'abbé blasphème. Et le roi
s'irrite... « Patatras », comme eût dit feu M. de Blayac. Et les couleurs blafardes de la mort se mêlent
alors aux fards dégoulinant sur le visage de l'abbé de Vilecourt. « Madame, bégaie-t-il devant la
Blayac, sa maîtresse et sa protectrice, le roi semble manquer d'esprit, aujourd'hui, j'espère que vous
saurez plaider ma cause. » Mais pourquoi la Blayac s'encombrerait-elle d'un favori devenu, un instant,
ennuyeux ? « Le trait était spirituel, Madame, je ne comprends pas mon insuccès. » Alors, la réplique
de la comtesse cingle : « L'art, Vilecourt, est de briller en restant à sa place. » On pense, évidemment,
au cynisme de Laclos. Mais les héros des Liaisons dangereuses se réjouissaient d'ourdir, la nuit, des
machinations que le jour ignorait. Les personnages de Patrice Leconte sont des stakhanovistes de
l'esprit qui s'effraient du ridicule qui les effleure, à chaque instant, sans soupçonner celui, plus grave,
qui les englue et un jour les submergera. C'est que, contrairement à Laclos, Patrice Leconte est un
tendre. Il contemple avec une foi à peine teintée d'ironie son couple idéaliste (Charles Berling et
Judith Godrèche), qui s'en va, loin de la Cour, au nom de la science et du progrès, préparer pour les
hommes du futur des lendemains qui chanteront peut-être... Ce qui ne l'empêche pas d'aimer
visiblement Bellegarde (Jean Rochefort), ce témoin inconscient d'un monde qui s'écroule. Bellegarde,
qui, touchant et dépassé, note scrupuleusement sur un carnet toutes les traces de cet esprit auquel il
a consacré sa vie (c'est qu'un « jeu de mots », pour Bellegarde, n'est pas un « paradoxe ». Et une «
allusion piquante » est loin de ressembler à une « saillie drolatique » !). Bellegarde, qui, de son exil
anglais où la Révolution l'a précipité, découvre, charmé, un nouvel art de vivre : l'humour
britannique... Même la comtesse de Blayac et ses machinations ne sont jamais condamnées. Après
tout, c'est le seul moyen qu'elle a de survivre, cette femme ! Être sans pitié dans un monde
impitoyable, n'est-ce pas de la légitime défense ? Et la Blayac est donc abandonnée, isolée dans un
bal, masque ôté, des larmes plein les yeux. Et si Patrice Leconte filme longtemps Fanny Ardant à cet
instant, c'est d'une part parce que « c'est une actrice qui donne envie de ne jamais dire : "coupez !" »,
mais aussi parce que « ce moment de souffrance extrême et intime rend cette femme sublime et
attachante, malgré ce qu'elle a pu faire auparavant, parce qu'il montre qu'elle était capable de souffrir
comme tous les êtres humains ». Dans Ridicule, le film le plus brillant, le plus grave de Leconte, ses
personnages sont des grotesques, pas des monstres. Plutôt des robots qui réciteraient à la lettre la
leçon qu'on leur a apprise. Le plus émouvant, c'est de les voir tous, même les deux porte-parole de
l'avenir, foncer dans le mur, tête baissée. Tête coupée, devrait-on dire, vu que la Révolution rôde en
coulisses, encore somnolente. N'empêche : c'est l'humanisme de Leconte qui rend ridicule et qui rend
ses pantins si drôles. Si tristes ! Et si contemporains ! Pierre Murat, Positif, propos recueillis par Yann
Tobin.
En savoir plus sur http://www.telerama.fr/cinema/films/ridicule,40491.php#veOrxBUmcEkw9cMW.99
Cette fable cruelle et raffinée distille son fiel bien au-delà du cadre velouté des films en costumes.
Dans les ors et les soies de la reconstitution, Patrice Leconte glisse des personnages d'une
dérangeante modernité. La critique — contemporaine — peut toucher le monde du cinéma comme les
coulisses de la politique, partout où le paraître, les faux-semblants, l'esprit courtisan et la vanité
prennent leurs quartiers. Le film exhale une violence sourde, faussement policée : un thriller en
dentelles. Armés de dialogues finement aiguisés, les comédiens font merveille. // Cécile Murry
En savoir plus sur
http://www.telerama.fr/cinema/films/ridicule,40491,critique.php#rL1DvYhZTaqvx6pS.99
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La société du XVIII° siècle
http://colleges.ac-rouen.fr/conches/spip.php?rubrique73
La France est le pays le plus peuplé d’Europe, et ce siècle, contrairement au précédent, marque une
période de paix et de prospérité. La société est profondément inégalitaire et est partagée en trois
ordres.
A- Le clergé, « ceux qui prient » (1% de la population)
Les trois abbés ; l’archevêque
- C’est le 1er ordre privilégié. Il ne paie pas l’impôt. Il a sa propre justice, ses propres tribunaux
(tribunaux ecclésiastiques). Il prélève sur la population un impôt : la dîme (dixième de la
récolte en nature), qui est très impopulaire. Enfin il a de nombreuses terres.
- Il faut cependant distinguer haut clergé (les évêques des cathédrales), issu de la noblesse
(Richelieu), et bas clergé (curés, moines), plus proche du peuple dont il encadre la vie
quotidienne. Le curé de paroisse accompagne la population pour les naissances, baptêmes,
mariages, décès, messes…Ce bas clergé sera aux côtés du peuple lors de la Révolution, il
n’a pas mauvaise réputation.
B- La noblesse, « ceux qui se battent » (2%)
La cour ; le baron de guéret et la famille de Grégoire
- C’est le 2e ordre de privilégiés. Elle tient ses privilèges du roi en échange de quoi elle se bat et
protège le royaume. Elle prélève des impôts sur ses seigneuries (ses terres) sur lesquelles
travaillent des paysans.
- Elle a le privilège des fonctions : les postes lui sont réservés dans l’armée, l’administration…
( un paysan ne pourra jamais être officier militaire avant 1789). Elle peut exercer sa justice sur
sa seigneurie.
- Il faut cependant distinguer haute noblesse (immenses domaines, châteaux, c’est celle qui est
présente à la Cour de Versailles et qui donne les évêques et le haut clergé) ; et petite
noblesse (moins riche, de province ou dans les villes moyennes).
- On est noble par hérédité : c’est une charge qui se transmet de père en fils. On devient noble
grâce au roi (lettres d’anoblissement).
C- Le tiers-état, « ceux qui travaillent » (97%)
Les domestiques ; les paysans des Dombes
- Ils payent des impôts royaux (la taille), seigneuriaux (cens, champart, banalités, péages), et à
l’Église (dîme)
- Au sommet il y a le bourgeois, qui obtient déjà quelques privilèges dès le Moyen - Age. Il
cherche à rallier la noblesse (par les mariages et le mode de vie) et à vivre comme elle. Il a
fait fortune par le commerce (riches marchands, négociants) ou par les offices (fonction que
lui a donné le roi, comme l’intendant). Il devient alors officier du roi et appartient à la
bourgeoisie de robe (avocat, médecin). Il cherche à acheter des terres et des charges
anoblissantes pour intégrer la noblesse. Bien que riche il reste exclu des hauts postes : il
revendique une reconnaissance selon les mérites et non selon la naissance.
- En dessous il y a le peuple des villes et la paysannerie, plus ou moins riche. Ils sont accablés
d’impôts et vivent dans la crainte d’une mauvaise récolte ou d’une augmentation du prix du
pain.
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Les Lumières
http://www.rabac.com
Le XVIII° siècle, comme la Renaissance, est marqué par une fièvre de savoir et par un effort
passionné pour libérer l'esprit humain.
Le Développement de L'esprit Critique
Les Philosophes
Les hommes du XVlll° siècle avaient une confiance immense dans la raison. Non contents d'appliquer
la raison aux questions scientifiques, ils voulurent l'appliquer aussi aux croyances religieuses et à
toutes les institutions politiques et sociales. Jusqu'alors la plupart des hommes acceptaient, comme
allant de soi, certaines affirmations: les sujets doivent professer la même religion que leur souverain;
le prince doit être le maître absolu et les sujets n'ont aucun droit; la société doit être fondée sur
l'inégalité; le gouvernement doit diriger l'activité économique; la censure doit interdire certains
ouvrages, etc. Les hommes du XVIIIème siècle discutèrent ces affirmations et, quand elles leur
parurent fausses ou déraisonnables, ils les rejetèrent. Ceux qui appliquèrent ainsi à toutes choses
l'esprit critique se donnèrent à eux-mêmes le nom de Philosophes, c'est-à-dire "amis de la sagesse".
L'oeuvre des Philosophes fut donc surtout une œuvre de combat, une lutte contre les "abus et les
préjugés". Ils étaient persuadés que, dans un monde organisé selon la raison, où le "progrès des
lumières" aurait dissipé les erreurs et les préjugés, les hommes seraient enfin heureux. Faire le
bonheur des hommes, en développant leur raison, en les instruisant de leurs droits et en les libérant
de tous les jougs, telle fut la mission à laquelle ils se consacrèrent avec enthousiasme.
Les Origines du Mouvement Philosophique
Ce mouvement d'idées qu'on appelle le mouvement philosophique a une double origine, française et
anglaise. Dès la fin du XVll° siècle, un protestant français, réfugié en Hollande, Bayle, avait, dans son
Dictionnaire historique et critique (1697), soumis les dogmes du christianisme à l'examen de la
raison. D'autre part, les abus et les fautes du gouvernement de Louis XIV avaient éveillé les critiques
de Vauban et de Fénelon, et suscité leurs projets de réforme. L'exemple de l'Angleterre fut plus
important encore.
Elle offrait le spectacle d'un "pays libre", où le régime de l'absolutisme et de l'intolérance avait été
détruit par deux révolutions successives. Des écrivains, dont le plus célèbre est Locke, avaient justifié
la révolution de 1688: le peuple, disaient-ils, est le véritable souverain; tous les hommes possèdent
des droits naturels que les gouvernements sont tenus de respecter, et la tolérance religieuse doit être
complète. A partir de 1715, les idées anglaises se répandirent largement en France.
Les Principaux Philosophes
Les principaux Philosophes français furent Montesquieu, Voltaire, Diderot et Rousseau.
Montesquieu était un magistrat de Bordeaux. Il publia sous la Régence les Lettres persanes (1721),
spirituelle satire des mœurs et du gouvernement; puis, en 1748, L'Esprit des Lois , où il passait en
revue les différentes formes de gouvernement, leurs qualités et leurs défauts.
Voltaire, au cours de sa longue vie (1694-1778), eut une action plus diverse et plus puissante.
Réfugié en Angleterre, il en revint avec un livre, les Lettres philosophiques (1734), où il exaltait les
libertés dont jouissaient les Anglais. Pendant vingt ans il s'occupa ensuite de science et d'histoire appelé en Prusse par Frédéric II, il y publia Le Siècle de Louis XIV. Puis il s'établit à
Ferney, non loin de Genève, sur la frontière franco-suisse, et, pendant près de trente ans, il exerça sur
l'Europe une souveraineté intellectuelle incontestée. Son activité prodigieuse prit le plus souvent la
forme de pamphlets spirituels et cinglants, vraie pluie de flèches qu'il lançait contre l’Église et contre le
despotisme.
Le 1er philosophe du film par les citations
La grande œuvre à laquelle Diderot attacha son nom fut la publication de l'Encyclopédie (17511772). Cet immense dictionnaire, auquel collaborèrent tous les écrivains et savants connus, fut le plus
puissant instrument de la propagande philosophique.
Pas cité mais projet de Grégoire pour les Dombes.
Enfin Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), plus hardi, plus novateur que ses prédécesseurs, tira de
leurs principes les conséquences devant lesquelles ils avaient parfois reculé. Dans le Discours sur
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l'origine de l'inégalité ; dans le Contrat social , dans l' Émile, il dégagea, avec une éloquence
souvent passionnée, les principes de la souveraineté du peuple et de l'égalité des citoyens.
Naissance et éducation de Mathilde
La Critique des Institutions établies
Les Attaques contre L'église ; plus de religions révélées
la scène de l’Abbé De V.
La confiance dans la science et dans la raison devait pousser les hommes du XVIII° siècle à rejeter le
surnaturel, donc toutes les religions révélées. Voltaire, surtout, en de courts écrits, irrévérencieux,
d'une verve impitoyable, se plut à tourner en dérision les dogmes, les clergés et les pratiques
religieuses. Une de ses formules favorites était: "Écrasons l'infâme", et par ce mot il entendait
l'intolérance religieuse. Toute sa vie il lutta pour la liberté des cultes et dans cette lutte, le terrible
railleur se haussa jusqu'à l'indignation. Mais, si les Philosophes rejetaient les religions révélées, ils
n'allaient point en général jusqu'à l'athéisme. Ils se ralliaient à ce qu'on appelle la religion naturelle,
c'est- à- dire la croyance à l'existence de Dieu, à l'immortalité de l'âme et à une morale qui ordonne
les vertus traditionnelles.
Mesures en faveur des Protestants.
La propagande des Philosophes en faveur de la tolérance profita aux protestants français. Ceux-ci
avaient été durement persécutés dans le Languedoc vers 1750, mais l'opinion publique réprouvait ces
violences. Vers 1770, les derniers protestants emprisonnés pour cause de religion furent libérés; des
prêches purent se tenir ouvertement dans les campagnes; en 1776, un Genevois protestant, Necker,
put devenir, en fait sinon officiellement, ministre des finances de Louis XVI. L’Édit de tolérance de
1787 ne permit pas encore aux Protestants d'exercer les charges de l’État, il ne leur accorda même
pas officiellement la liberté du culte public; il leur permit du moins de déclarer devant un magistrat civil
les naissances, les mariages, les décès (alors que, jusque-là, il leur fallait les déclarer au curé). Ainsi
le protestantisme était-il de nouveau reconnu en France. Mais s'il formait peut-être le cinquième de la
population en 1600 et encore plus du dixième en 1685, il n'en formait plus, en 1789, qu'environ le
cinquantième.
Les Attaques contre La Monarchie Absolue
Même scène, la chute
Adversaires du surnaturel et de l'intolérance, les Philosophes le furent aussi de la monarchie absolue.
Ils rejetèrent le principe que le roi est le maître de ses sujets et qu'il peut gouverner comme il lui plaît.
Mais, quand il leur fallait proposer un nouveau régime politique, ils différaient d'opinions.
Pour Voltaire, assez timide sur ce point, l'idéal était le despotisme éclairé, c'est-à-dire un
gouvernement ou le prince, pénétré des idées philosophiques, a en vue non sa gloire, mais le bienêtre de ses sujets. Pour atteindre ce but, il aura plein pouvoir.
Montesquieu voulait un gouvernement aristocratique : I'autorité royale serait limitée par une
constitution, par les États provinciaux et par les parlements; les pouvoirs locaux jouiraient d'une large
autonomie et les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire seraient séparés, au lieu d'être réunis dans
les mains du roi.
Rousseau.
Son idéal était la démocratie, c'est à dire un régime ou le peuple fait les lois; pour les appliquer, le
peuple se choisit un gouvernement et des fonctionnaires, et il les contrôle sans cesse. Un tel idéal
avait pu se réaliser dans le cadre restreint de la cité antique, car il était alors possible de réunir tous
les citoyens. Dans un grand État, il faut avoir recours à des députés. Or Rousseau, influencé par
l'exemple du Parlement anglais, s'en défiait. Deux idées de Rousseau surtout enthousiasmèrent ses
lecteurs: la souveraineté du peuple et l'égalité des droits.
Mably et Condorcet
L'abbé Mably exposait sa conception de la monarchie républicaine: une monarchie dont le chef ne
serait que le délégué de la nation à l'exécutif, tandis que le pouvoir législatif, devenu le pouvoir
prépondérant, appartiendrait à une assemblée de représentants du peuple. Enfin, Condorcet
définissait les droits de l'homme en s'inspirant des déclarations que venaient de voter les républicains
des États-Unis. En général, les partisans des droits de l'homme et de la souveraineté du peuple ne
croyaient pas possible d'appliquer intégralement les principes égalitaires et d'appeler le peuple entier
8
à la vie politique. Sur ce point, ils étaient d'accord avec les républicains d'Amérique qui avaient
réservé le droit de vote aux citoyen aisés. Il leur paraissait nécessaire de maintenir les masses en
tutelle.
Égalité et Liberté
Mathilde et Grégoire ; projet des Dombes, les sourds-muets
Séparés sur la forme de gouvernement, les "Philosophes" étaient du moins d'accord pour demander
la suppression des privilèges, I'égalité des citoyens devant la loi et devant l'impôt et la possibilité pour
chacun d'accéder à toutes les fonctions s'il en était digne.
Ils revendiquaient aussi toutes les libertés: d'abord la liberté personnelle, en vertu de laquelle un
citoyen ne peut pas être arrêté sans raison. Ils voulaient d'ailleurs une réforme profonde de
l'organisation judiciaire, la rédaction d'une code unique et surtout la suppression de la torture. Voltaire
mena une vive campagne contre les erreurs des tribunaux et la férocité des mœurs judiciaires. Les
"Philosophes" exigeaient la suppression de la traite et de l'esclavage. Ils demandaient aussi la pleine
liberté de la presse et la liberté des cultes.
L'instruction Publique
L’enfant enlevé au travail, Instruction des sourds - muets
Enfin les Philosophes poussaient les gouvernements à répandre l'instruction. A leurs yeux, donner
l'enseignement était l'attribut essentiel de l'État, qui doit créer lui-même des écoles et y nommer des
maîtres. Ainsi apparaissait, pour la première fois en France, I'idée de l'instruction publique.
L'éducation du peuple était, dans beaucoup de régions de la France, très en retard malgré les
efforts déployés par les Frères des Écoles chrétiennes. Les "Philosophes" demandaient que dans
l'enseignement du second degré, comme nous dirions aujourd'hui, on donnât la première place, non
au latin, selon la méthode des Jésuites, mais au français, que l'on insistât sur l'histoire des mœurs et
de la civilisation, enfin et surtout, que l'on fit une large part aux sciences.
Les Économistes pour la liberté économique.
Projet pour les Dombes
Dans le domaine économique aussi, le XVlllème siècle prit pour mot d'ordre la liberté. Jusqu'alors, on
le sait, les gouvernements dirigeaient toute la vie économique, contraignaient les ouvriers à se
grouper en corporations, réglementaient les procédés de fabrication, élevaient des barrières
douanières pour combattre la concurrence étrangère. Or, dès la fin du règne de Louis XIV, certains
industriels et commerçants avaient demandé que l’État renonçât à ce dirigisme, qu'il laissât libre jeu à
l'initiative de chacun et à la concurrence. Ceux qui adoptèrent ces théories reçurent au XVlll° siècle le
nom d' "économistes". Leurs chefs furent en France un commerçant, Gournay, un médecin de Louis
XV, Quesnay, et un intendant, Turgot. Hors de France, le plus célèbre fut l'Écossais Adam Smith. Les
économistes soutenaient qu'il existe des lois naturelles dans le monde économique aussi bien que
dans le monde physique. De là le nom de Physiocratie, c'est-à-dire "toute-puissance de la nature",
donné à leur doctrine et le nom de Physiocrates qui les désigne. Le gouvernement doit donc renoncer
à réglementer la vie économique: plus de corporations, plus de règlements industriels, plus de
douanes, plus d'exclusif à l'égard des colonies. Le mot d'ordre devrait être: Laissez faire (les lois
économiques), laissez passer (les marchandises).
Quelques mesures libérales.
Sous l'influence des Physiocrates, le gouvernement prit des mesures en faveur des paysans et
l'agriculture devint à la mode. Il autorisa aussi la fabrication jusque là interdite, des toiles de coton
peintes (ou indiennes): c'est alors, vers 1760, qu'Oberkampf fonda à Jouy, près de Versailles, une
manufacture d'étoffes appelées toiles de Jouy, qui connurent une grande vogue. Plus tard, Turgot,
devenu Contrôleur général, proclama l'entière liberté du commerce des grains et l'abolition des
corporations.
La propagande philosophique
Ces idées nouvelles étaient exposées dans des livres et dans les articles de l' Encyclopédie. On en
parlait dans les salons et dans les Académies, c’est-à-dire les sociétés ou, dans chaque ville
importante, les esprits cultivés se rencontraient pour entendre des conférences et discuter sur les
sujets les plus divers. Elles furent ainsi largement diffusées, au moins dans le public éclairé des villes.
Or ces idées n'allaient à rien de moins qu'à renverser toutes les institutions établies, c'est-à-dire à
faire une révolution. La Révolution française de 1789 a emprunté aux "Philosophes" toutes ses
doctrines. Sur les principes qu'ils avaient formulés et qu'elle a appliqués: liberté, égalité, souveraineté
du peuple, s'est fondé et a vécu (au moins jusqu'en 1914) le monde contemporain.
9
Les salons

Le rococo et le néo-classicisme
L’histoire de Ridicule se situe dans cette période historique prérévolutionnaire, instable et s’inscrit
dans le contexte culturel de cohabitation du rococo mourant et du néoclassicisme triomphant. C’est la
force du film de ne pas opposer ces deux visions du monde mais de mettre en scène ce « confus
mélange » en une sorte de dialectique pédagogique.
o
Le scénariste R. Waterhouse s’est inspiré des Mémoires de la Comtesse
de Boigne pour écrire l’histoire, s’est aidé du livre de Norbert Elias « La
société de cour » et de celui de François Gayot de Pitaval “l’art d’orner
son esprit en l’amusant” pour les joutes verbales.
o
Un ouvrage de référence pour comprendre l’esprit de l’époque et du film :
Jean Starobinski, «L’invention de la liberté » ; Skira ; 1994
Le rococo, dont le terme dérive du mot rocaille, prend ses racines dans le baroque tardif à la
fin du règne de Louis XIV et au début de la régence de Philippe d’Orléans en 1715. De 1730 à 1745,
on peut parler d’apogée de ce style. Mais, à partir du début de la deuxième moitié du siècle, émerge
l’esthétique néoclassique qui détrônera définitivement le rococo après la Révolution française.
Cependant, des années 1760 à la fin des années 1780, les deux styles cohabitent, l’un
finissant dans un désenchantement crépusculaire du monde qui annonce le romantisme et l’autre
s’épanouissant dans le sillage de l’esprit révolutionnaire des Lumières. Valeurs morales et bonheur
insouciant des fêtes, primauté du dessin, de la composition claire et théâtrale contre le raffinement
pictural des matières, des couleurs et des clairs-obscurs ! C’est ainsi qu’on a longtemps opposé ces
deux esthétiques en évitant de poser la question de leur interdépendance et de leurs dialogues alors
qu’elles ont été pendant plusieurs décennies les deux faces d’une même pièce.
« Entre le moment des fêtes galantes et l’apparition sur les champs de bataille du drapeau tricolore
portant en devise « La liberté ou la mort », l’histoire du XVIII° siècle peut être regardée comme la
scène sur laquelle un mouvement de liberté fuse, éclate et s’épanouit en un scintillement tragique.
Non que cette liberté aboutisse à l’instauration d’un règne de la liberté : tout au long du siècle, l’idée
de liberté est mise en expérience à la fois dans le caprice abusif et dans la protestation contre les
abus. Le goût de la vie libre prend tantôt l’aspect de la jouissance sans frein, tantôt la forme de l’appel
à une moralité renouvelée, et chez certains (Fielding, Restif), l’on apercevra un confus mélange de
ces deux tendances » (JS p 12)
« Les désastres guerriers du Roi Soleil, les scandales de la Régence, .....marquent le début d’une
époque où les rites majestueux de la souveraineté vont être supplantés par leur simulacre. De la part
du prince comme de ceux qui l’entourent, le cérémonial est éprouvé comme une convention et un
artifice, non plus comme la création magique d’un ordre absolu. La part du jeu, la conscience du
théâtre prévalent. Le faste frivole de la cour, loin de se muer en prestige efficace, va gêner et obérer
administration ; les bureaux constituent un monde séparé, ....Dès lors, le spectacle de la cour ....est
une jouissance abusive qui se donne en spectacle. ...L’on ne voit qu’un homme ennuyé qui cherche à
se divertir en écoutant des opéras, .... Les formes traditionnelles s’artificialisent, ...et se vident de leur
substance ; elles ne sont que le monnayage d’une opulence donnée en spectacle à travers des
signes de convention. Le luxe est la notification décorative du superflu dont on est parvenu à se
rendre possesseur, aux seules fins de le consommer ostensiblement. » (JS p 14 et 15)
« Un état d’esprit révolutionnaire s’encadre, comme toujours, longtemps, dans le milieu qu’il fait
finalement éclater. » (JS p 15)
«En schématisant quelque peu, et en attribuant à chaque groupe social une psychologie particulière,
nous distinguerions un plaisir crépusculaire sur fond de nuit imminente et de désespoir (qui
10
caractérise la conscience aristocratique) et un plaisir optimiste, « auroral », prêt à tout embrigader
sous sa loi (qui sera la norme rêvée par la fraction la plus émancipée de la bourgeoisie)......Pour les
uns, c’est le néant, dont l’obsession s’accentuera chez les « sentimentaires » du préromantisme ;
pour les autres, c’est l’espoir d’un monde reconstruit selon la Nature et la Raison ». (JS p 54)
A Tours,
-
Un artiste représentatif : François –André Vincent, entre Fragonard et David
 1746 – 1816 ; rococo, néoclassicisme, préromantique

« La leçon de dessin » ; 1774 ; H/T ; 61,4 x 74 ; collection
particulière
 scène galante, atmosphère raffinée et véritable leçon de
peinture ; lumières, couleurs et matières, facture
personnelle

« la leçon d’agriculture » ; 1798 ; H/t ; 213 x 313 ; Musée des BA
Bordeaux
 Peinture d’histoire, valeur éducative, clarté descriptive,
primauté du dessin et facture impersonnelle
11
3 / LES RÉFÉRENCES PICTURALES REVENDIQUÉES
Puisque le film, se présente comme une galerie de portraits, Joshua Reynolds et William
Gainsborough sont les artistes qui ont directement influencé la visuelle du film ; cependant, au détour
des costumes et des décors, les œuvres de Jean-Honoré Fragonard, d’Antoine Watteau et de
Francesco Guardi sont également présentes à notre mémoire.
Christian Gasc, Yvan Maussion et Thierry Arbogast disent s’être inspirés, paradoxalement, pour un
film sous Louis XVI en France, de deux peintres anglais contemporains, Joshua Reynolds et Thomas
Gainsborough dont l’opposition a nourri les débats esthétiques anglais durant la seconde moitié du
XVIII°. Le XVIII°siècle est la grande époque du portrait anglais qui devient un art majeur et dont la
tradition remonte au XVII°, après les séjours d’Holbein et de Van Dyck en Angleterre.
On peut penser que les œuvres de ces deux artistes antagonistes n’ont pas seulement influencé l’art
des parures mais ont aussi nourri l’esthétique figurative du film (cadres, couleurs, lumières, ...) et
qu’elles contribuent à son discours.
Sir Joshua Reynolds (1723 – 1792)
Diapos Portraits & Costumes
Après avoir travaillé dans son Devonshire natal et à Londres, il part pour l’Italie. Il séjourne à Rome,
(1750-52), puis à Florence, Parme, Bologne, et Venise. Sur le chemin du retour, il visite Paris. Il
étudie les chefs-d’œuvre de la sculpture antique et les grandes œuvres de la Renaissance italienne
dont l’influence, qualifiée de « Grand style » nourrira l’ensemble de son œuvre.
De retour à Londres, Reynolds ne tarde pas à s’imposer ; il révolutionne le portrait anglais et son
influence gagne le continent, pour plusieurs raisons.
-
Il sait trouver des solutions idéalisantes et non stéréotypées, pour des commanditaires allant
de l’aristocratie de cour à la bourgeoisie montante ou aux actrices et écrivains à la mode.
-
Il considère pourtant le portrait comme un genre “vulgaire et limité” auquel seule une main
d’exception peut donner de la dignité : il privilégie les portraits à figure entière et de grandeur
réelle, prêtant parfois à ses personnages les traits de personnages empruntés à l’histoire ou à
la mythologie.
-
Son œuvre abondante est donc la première de cette qualité picturale en Angleterre. Il sait
associer vivacité et diversité des compositions, qualité des harmonies chromatiques
(rouges !) et des clairs-obscurs, naturalisme du rendu des matières et économie élégante des
moyens.
-
Il est aussi le premier, dans son pays, à accorder une véritable importance à la personnalité
et à la psychologie de ses modèles ; en même temps il les dote d’une dimension intemporelle,
en simplifiant, pour les costumes par exemple, les attributs trop datés ou anecdotiques.
Vers la fin de sa vie, il évolue vers un art inspiré de la littérature et des jeux théâtraux (modèles
vivants associés à personnages de fiction) puis vers une esthétique du sublime, spécifiques du rococo
tardif : « Mrs Siddons en muse tragique », 1784).
Pourtant, en sa qualité de premier président, il tient quinze “Discours sur l’art” aux étudiants de
l’Académie royale, résumant et synthétisant les théories de l’art élaborées de la Renaissance au
Classicisme et anticipant l’esthétique néo-classique du siècle suivant.
o
« Un peintre d’histoire peint l’homme en général ; un portraitiste peint un individu et
par conséquent un modèle imparfait ».
o
Cette citation de JR peut aussi éclairer la galerie des portraits que constitue le film
« Ridicule ».
12
Thomas GAINSBOROUGH (1727 – 1788)
Diapos , Portrait Famille & Nature
Il est né dans le Suffolk et, vers 1740, sa famille l’envoie en apprentissage chez le graveur français
Gravelot, diffuseur du style rococo en Angleterre. Il n’y reçoit pas une véritable formation de peintre
(métier) et n’ira jamais parti en Italie !
Il retourne en 1746 dans sa région et acquiert vite une clientèle parmi la bourgeoisie et la noblesse
locales grâce à son talent de portraitiste. En même temps, il peint ses premiers paysages, genre qui
aura toujours sa préférence mais qui n’est pas « commercial ».
Il s’installe à Bath en 1759, où il devient le portraitiste à la mode, grâce à la virtuosité qu’il a
développée pour saisir les ressemblances et pour intégrer les corps dans l’espace à la fois naturel et
pictural.
A partir de 1774, il retourne s’installer à Londres et va vraiment être en concurrence avec Reynolds et
les représentants de l’Académie royale qui lui reprochent son dédain de la grande tradition italienne.
Contrairement à eux, il n’est pas sensible à la littérature ou au théâtre mais à la musique et il n’a
aucun intérêt pour la peinture d’histoire ou narrative. Cela ne l’empêche pas de voir ses succès
grandir. Les choix de Gainsborough sont, en effet, radicalement différents de ceux de Reynolds et
prennent parfois des airs de rivalité personnelle.
Ses premiers portraits sont influencés par le style de Hogarth (satire sociale !) mais son style évolue
très vite. Ses personnages s’intègrent au paysage, et il recherche avant tout le naturel et la
vraisemblance ; il traite également, dans un souci de psychologie directe et d’intimité, les
personnages, grandeur nature, avec l’élégance et l’aisance de la touche qui s’accompagnent d’une
gamme chromatique de plus en plus douce et d’un allègement de la texture. Les enfants et les
animaux, les hommes et les femmes, et tout ce qui danse, chatoie, respire, soupire et chante,
semblent naturels dans le monde enchanté de Gainsborough, de sorte que la “nature” finit chez lui par
englober non seulement des forêts, des mares et des papillons, mais aussi des étoffes de soie et de
satin, des plumes d’autruche et des chevelures poudrées.
L’attention portée à l’homogénéité de l’espace pictural est une révolution en Angleterre et elle n’est
pas la seule innovation de Gainsborough. Il esquisse d’abord ses œuvres dans la pénombre pour les
achever en pleine lumière (de l’équilibre des masses aux finitions en rehauts) ; il rend les matières
avec des séries de hachures ou de points rapidement exécutés. Il n’idéalise jamais ses personnages
(« la ressemblance est la beauté et l’intérêt principal d’un portrait ») et les peint en vêtements
contemporains.
Vers la fin de sa vie, ses portraits vont se charger d’un « halo de mélancolie » comme signe expressif
de l’éden perdu.
La véritable vocation de l’artiste le pousse toutefois vers la peinture de paysage. Son intérêt pour le
paysage va passer du pittoresque et du naturel, au sublime et à l’imaginaire. Nourri de Rubens, Van
Dyck, Véronèse ou Titien, il intègre ses modèles dans un paysage “sensible” : enveloppante, la nature
participe au contentement social ou à la mélancolie de la pose. Ce sentiment du paysage qui est un
trait distinctif du peintre annonce aussi le développement d’un genre qui connaîtra un prodigieux
succès dans l’Angleterre de la période romantique. Ces caractères font donc de Gainsborough un des
précurseurs du romantisme.
Antoine Watteau (1684 – 1721)
Diapos, Embarquement pour Cythère ; Gilles
De son vrai nom Jean-Antoine Watteau, est né à Valenciennes le 10 octobre 1684 et est mort à
Nogent-sur-Marne le 18 juillet 1721, de la tuberculose.
Il est le peintre qui incarne le rococo.
En 1709, il tente le prix de Rome mais n'y obtient que la seconde place, ce qui lui ôte le privilège
d'aller parfaire ses connaissances dans l'Académie de France à Rome. Découragé, il se remet au
travail. Trois ans plus tard, en 1712, il devient membre de l’Académie. Mais ce n'est qu’en 1717, après
cinq années de travaux, qu’il présente son morceau de réception, Le Pèlerinage à l’île de Cythère.
13
L’Académie crée un genre spécialement pour lui : la « fête galante ». Il connaît dès lors un succès
immédiat et sans égal chez ses contemporains.
Malgré une carrière brève d'une quinzaine d'années, il a laissé une œuvre considérable, des milliers
de dessins (c’est un excellent dessinateur) et plus de deux cents tableaux. Ses peintures les plus
célèbres sont un Pierrot (anciennement intitulé Gilles) et ses deux Pèlerinages à l'île de Cythère.
Inspiré par la commedia dell’arte, son véritable sujet est la peinture d’une humanité oisive, futile et
théâtrale. Même si Watteau semble condenser dans ses toiles l’esprit de la Régence, ses tableaux
sont loin de se caractériser uniquement par une frivolité qui serait propre aux « fêtes galantes ». Un
sentiment de la futilité de la vie, une douce mélancolie de la nature et du paradis perdu, le traitement
« évanescent » des paysages et des personnages, la délicatesse des couleurs et de la touche, font de
son œuvre un univers de grâce et de poésie.
Les critiques d’art s’accordent à voir en Watteau un précurseur du romantisme et de
l’impressionnisme.
Jean Honoré Fragonard (1732 – 1806)
Diapos, Escarpolette, Lectrice, Autoportrait
Né à Grasse dans les Alpes Maritimes en 1732, mort à Paris en 1806
Élève de Chardin, puis dans l’atelier de Boucher : peinture Rococo, scènes de genre galantes et
chromatisme clair et délicat.
En Italie de 1756 à 1761, il étudia à Rome villa Mancini
En 1752, à l’âge de 20 ans, il remporte le Grand prix de l’Académie royale de peinture (prix de Rome)
et il entre à l'École royale des élèves protégés alors dirigée par le peintre Carle Van Loo (1705-1765).
En 1756, il part pour l’Académie de France à Rome (villa Mancini) et y restera jusqu’à 1761. Après un
périple par les villes italiennes de Florence, Bologne et Venise, il rejoint Paris. La peinture du maître
vénitien Tiepolo exercera sur lui une profonde influence, ainsi que le style baroque de Pietro da
Cortona (Pierre de Cortone).
Dès son retour en France, Fragonard est accueilli comme un peintre confirmé ; il obtient la
reconnaissance de la Cour, des commandes publiques et un atelier au Louvre. Il parvient à une
aisance financière que les troubles politiques de la fin du siècle n’affecteront guère. Mais 1767 marque
sa dernière participation au Salon, car il ne cherche pas, comme Boucher, à mener une carrière
officielle ; il se consacre délibérément à une clientèle d’amateurs d’art, ce qui lui permet une liberté de
création rare à cette époque.
La mode et le monde sont en train de changer ! Fragonard, avec un peu de retard, s'adapte à partir de
1780 aux nouveaux goûts d'un public redevenu sérieux et vertueux, évoluant dans un sens néoclassique dont La Fontaine de l'Amour est l'un des exemples les plus frappants.
Sa virtuosité, son chromatisme délicat et la matérialité affirmée de la touche large et nerveuse, son
goût pour l’évocation de « scènes volées » et de la nature font de Fragonard un précurseur de
l’impressionnisme. Son œuvre en apparence frivole offre d'inattendus arrière-plans historiques et
philosophiques : odes à la liberté, un à l’énergie vitale, et au plaisir apollinien.
Francesco Guardi (1712 – 1793)
Il est né à Venise le 5 octobre 1712 et y est décédé le 1er janvier 1793. Il est considéré, avec
Canaletto et Bellotto, comme l'un des représentants les plus significatifs du « védutisme » italien (ou
peinture de paysages urbains).
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Pour en revenir au film
Effectivement, les costumes, sans être des copies serviles sont tout à fait dans l’esprit de ceux des
portraits du XVIII° : couleurs raffinées, chatoiement des étoffes et des nuances chromatiques.
Gasc parle justement de « chatoyant de noirs » pour le costume de deuil de la comtesse de Blayac et
de sa volonté de créer une musique des couleurs et un symbolisme chromatique qui désignent et
approfondissent le caractère des personnages : noir et rouge pour la comtesse, jaune pour Mathilde,
noir pour l’Abbé, ....
Il y a une gradation des noirs-bleus du costume de deuil à des rouges de plus en plus saturés au fur et
à mesure que la Comtesse s’éloigne du deuil et aime Ponceludon.
Par exemple ,la tenue d’écuyère de la Comtesse de Blayac est celle inspirée du tableau “l’Écuyère “
de Joshua Reynolds. L’éclatante clarté de son costume de bal dit sa passion dévorante et accentue le
tragique de son échec face à Mathilde. C’était une veuve joyeuse, en noir, et une amoureuse
dévastée de douleur en rouge-passion.
Diapos Reynolds
Les couleurs des costumes se répondent également : Le « violet délavé » du costume du marquis de
Bellegarde est la réponse vieillie à celui, bleu vif de Ponceludon ; les deux mêmes hommes à trente
ans d’intervalle !
Elles sont également nourries de symbolisme :
Ponceludon est en bleu quand Mathilde est en jaune (au jardin, à la cour, au bal), tout comme Werther
et Charlotte. Mathilde n’est-elle pas, justement, promise à un autre homme ?
Rouge et noir : couleurs crépusculaires ; jaune et bleu vif rappellent les Lumières.
On retrouve le portrait de couple dans le paysage, à la façon de Gainsborough, lorsque Mathilde et
son futur époux posent dans le parc.
Il en est de même pour les perruques, dont on retrouve l’esprit, dans celles des hommes et dans les
coiffures de la Comtesse, de la Reine ou des dames de la Cour. Par contre, la coiffure simple et la
frange de Mathilde s’inspirent des personnages féminins de Watteau et de Fragonard.
Reynolds & Gainsborough
Ponceludon rappelle l’autoportrait de Fragonard par sa franche robustesse.
Pour la scène de bal, les masques à la cruauté d’« oiseau de proie » ne sont pas sans évoquer les
scènes masquées de Guardi.
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4 / FIGURES DE RHÉTORIQUE
Pour la structure du film, on peut répertorier les figures de style mises suivantes :
- Figures de répétition, de parallélisme et de gradation : scènes qui se répètent, situations
analogues, en général avec une amplification (le prologue et le bal )
- Figures d’analogie, d’allégorie ou de personnification : Mathilde et Ponceludon incarnent
les Lumières, l’Abbé le bel esprit gratuit et tricheur de la cour,
- Figures d’exagération, d’hyperbole, d’ironie et de caricature : à la fois le caractère des
personnages et la façon de les filmer (Abbé de Vilecour), la chevauchée de Ponceludon
- Figures d’atténuation, de litote, de prétérition, d’euphémisme et d’antiphrase : amour entre
Mathilde et Ponceludon
- Figures de construction : anacoluthe, antithèse, oxymore (saillies de lumière dans
l’obscurité), asyndète (montage cut), polysindète (raccords, liaisons)
Cependant, l’ensemble de ces figures peut se synthétiser en trois catégories :
A / Figures de rupture
B / Figures en spirale
C / Figures d’opposition
Ces figures sont souvent mises en œuvre conjointement ex : la chute de l’Abbé de Vilecour ou celle
de Ponceludon
Éléments d’analyse repris dans le dossier réalisé par Chantal PAPON – Danielle HAFNER – Nicole PAVONI
A / Figures de rupture
- Rupture avec les conventions du genre
- Rappels des interviews ou lecture de morceaux choisis
- dès le prologue, affirmer les ruptures, manifester de l’esprit (frondeur), aller au–delà
d’une subordination ou d’une illustration des dialogues.
Analyse du prologue, rôle de la mise en scène
Cadrages : plans serrés pour l’essentiel
Points de vue (subjectif, plongée et contre-plongée). Au départ, identification de la caméra et du
spectateur avec le chevalier ; puis recul et rupture, le spectateur revient à sa place pour assister à une
vengeance et « un meurtre ».
Mouvements de caméra : travelling à l’épaule, réajustement, fixe
Le Chevalier en mouvement, le Comte immobile !
Lumières : en extérieur, claires et descriptives ; en intérieur, clair-obscur avec saillies comme des
lames de rasoir, (mains du comte ; jet d’urine)
Couleurs d’assez froide à chaude sans progressivité
Chinoiseries pour les portraits de profil ; le comte comme un oiseau de proie au départ
Montage : plans très courts, en cut, sans liaison
- Mise en scène de ruptures
La mise en scène devait résoudre ce problème :
Comment créer du dynamisme dans un film où les dialogues sont nombreux ?
Pour garder le rythme, le réalisateur associe des plans très courts, joue d’échelles de plans très
nombreuses et de mouvements de caméras, souvent très discrets, même pendant les joutes verbales,
à l’intérieur d’une même séquence. Par contre, certaines scènes,qui constituent des ruptures, sont
construites avec un rythme plus lent, des cadrages plus larges et une caméra apaisée. Le montage
est essentiellement linéaire ou parallèle.
Par exemples,
- Après un dialogue champ/contrechamp, le travelling avant est très rapide lorsque
Ponceludon quitte la Dombes pour se rendre à Versailles.
- La chevauchée de Ponceludon
- Lors de la première apparition de Ponceludon à la cour, (séq 6), la caméra ne cesse de
recadrer les « duellistes »
- La scène intime avec Mathilde ; la séance de pose.
- Le duel ; rythme très lent et théâtral ! (voir après)
16
Le montage est essentiellement en cut et les transitions sont rares.
L’ensemble de ces ruptures peut être comparé aux figures de l’anacoluthe et de chiasme
Le duel
Rupture dans le film (comme un insert ou encart) et dans l’ascension de Ponceludon
Scène traitée de façon non conventionnelle, comme un simulacre ou une représentation théâtrale
Rythme très lent, hiératique par rapport aux scènes précédentes
Lumière irréelle du petit matin , brume, couleurs délavées
Musique
Appropriation et détournement : LE PASSE REINTERPRETE :
Instruments anciens pour composition contemporaine
Thème de la gavotte et thème
Costumes et décors modernisés d’après des modèles picturaux (voir ci-dessus)
- Les chutes : équilibre rompu ; tragédie et triomphe de la morale
- La chute de l’Abbé de Vilecour
Face à l’assemblée du roi et de la cour, l’abbé se livre à son jeu favori : briller par son esprit. Ainsi il
démontre l’existence de Dieu. Étrange entreprise pour un homme d’église, mais homme de cour de
surcroît libertin, épris des pouvoirs temporels conférés par son talent d’orateur.
Le triomphe l’égare. Une parole imprudente suffit à sa disgrâce. Parole blasphématoire et sacrilège : il
prétend pouvoir “ démontrer le contraire ”, l’inexistence de Dieu.
La séquence est construite sur l’opposition, le contraste entre l’ascension éblouissante de l’abbé et sa
chute fracassante.
Éléments d’analyse
a) – l’ascension :
Zoom avant, plongée sur l’abbé, nimbé de lumière, comme “ éclairé ” par Dieu qui lui inspirerait son
prêche. Abbé en adéquation parfaite avec la monarchie absolue de droit divin.
Étrange semblant : l’abbé prêche … dans un salon ( !), devant un parterre de courtisans réunis autour
du roi. Il s’empare de l’espace qu’il traverse pour mieux impressionner son public venu assister au
spectacle. Car c’est bien de théâtre dont il s’agit. Le voilà, pris en contre-plongée, tout à son affaire.
Champs-Contrechamps alternent et nous montrent : le public ébahi, subjugué par le Verbe et
l’action pris à son propre jeu. L’abbé se mire dans un miroir.
Gros plan (vertige) : il se voit magnifique. Son reflet l’abuse. Effets de manches de l’orateur.
Les gestes se joignent à la parole. Tout son être participe à sa jouissance.
L’alternance des Gros plans et des Champs – Contrechamps nous dévoile l’habilité de
l’acteur, les effets de la vivacité de son esprit sur un public médusé et satisfait. L’on commente, l’on
s’émerveille. Les femmes se pâment. La salle tout entière apparaît conquise.
L’assistance nombreuse est charmée par l’abbé dont les paroles résonnent jusqu’au fond de
la salle alors qu’il gesticule bien loin, dans la profondeur de champ, tout à fait à l’arrière plan.
“ C’est lui, c’est bien Dieu ! ” s’esclaffe encore l’abbé comme dans une ultime révélation.
Plan rapproché sur sa jubilation extrême.
Triomphe. “Bravo Vilecourt, c’est lumineux !” commente le roi qui applaudit. Rires émerveillés
auxquels répond le rire de l’abbé. Rire déplacé qui appelle la parole imprudente...
Le visage épanoui de la Comtesse se fige. Le sourire la quitte. Un instant d’hésitation, … déjà elle
devine : il est trop tard.
“ Mais je pourrais tout aussi bien démontrer le contraire ”. Démontrer le contraire ?
17
b – la chute
Le roi se lève, outré. La salle frémit. “ Tu finiras à la Bastille, j’y veillerai ” profère le roi avant
de disparaître, face à la caméra, effaçant l’image même de l’abbé : lourde menace.
La salle se vide dans une rumeur dont la tonalité grave tranche singulièrement avec les éclats
de la voix de l’abbé un moment avant. Quelques commentaires tombent, accablants :
“ quelle impiété ! devant le roi ! ”, “ philosophe fanfaron ”, “ échouer si près du but ! ”.
Gros plan sur le visage de l’abbé déconfit qui prend soudain conscience des conséquences
(funestes) de son audace. Clouée sur place, la Comtesse de Blayac n’y croit pas
encore. Son comparse et amant s’est trahi alors que tout lui souriait.
Elle se retire. L’abbé lui court après et plaide sa cause. En vain. “ L’art, Vilecourt, est de briller
tout en restant à sa place ”. Elle le quitte, elle aussi.
L’abbé est lâché, même par celle qui depuis toujours lui donnait la réplique. Quelle chute !
Un accompagnement sonore très sourd se fait l’écho du malaise de l’abbé filmé en plan rapproché
doublé d’un zoom avant. Le voilà pitoyable.
La porte se referme ; en hors champ son bruit claque comme la porte d’une prison. L’abbé est
exclu de la scène où tout à l’heure il brillait ; exclu d’un espace où il est désormais indésirable. Banni
définitivement. Personne pour l’aider à se sortir de là.
Fin tragique et ridicule.
Danielle HAFNER, Ridicule - Bestof
– La chute de Grégoire
Plus prosaïque, mais non moins ridicule !
Au terme d’un duel dont il est sorti vainqueur, Grégoire a choisi de rejoindre Mathilde et de quitter sa
maîtresse, la Comtesse de Blayac, sans même prendre la peine de la revoir. Grégoire et Mathilde
sont invités à se rendre à un bal masqué.
Éléments d’analyse
Plans rapprochés sur Grégoire et Mathilde qui entrent au bal. Mathilde noue le masque de Grégoire.
Circule aussitôt de bouche et bouche une menace dont seuls le spectateur et les auteurs du complot
sont avertis : “ C’est le bec rouge ”.
Grégoire et Mathilde s’avancent vers l’espace central.
Plan d’ensemble sur les danseurs en perruque. Ensemble raffiné, luxueux dont la musique souligne la
parfaite harmonie. Une pluie de pétales rouges ajoute au tableau une touche presque surréaliste.
Plan descriptif qui ménage le suspense : d’où viendra l’attaque ? Quelle sera-t-elle ?
La Comtesse invite Grégoire à danser. Sourire gracieux, respect des règles de convenance :
“ Vous permettez ? ”
“ Le croc en jambe maintenant ”. La caméra complice avertit le spectateur d’un mauvais coup
imminent et de la duplicité de la Comtesse dont le sourire n’est que de façade.
Gros plans et ralentis sur Grégoire, la Comtesse, ses acolytes.
La caméra joue tour à tour à dévoiler le visible et le caché. Le masque, l’illusion ; la réalité sous le
masque. Haut des corps ; bas des corps (pieds). Tout est dit.
Plan rapproché sur les pieds de Grégoire (danse des pieds = Grégoire inconscient du danger).
Croc en jambe = attaque soudaine.
Cri de Grégoire et ralenti sur sa chute qui semble interminable. La musique reste suspendue.
Plongées, contre-plongées alternées sur Grégoire, à terre, encore étourdi ; sur les visages des rieurs
penchés au-dessus de lui. Points de vue internes qui ajoutent une densité dramatique à la chute de
Grégoire lequel évalue l’ampleur du désastre tandis qu’on le regarde“ de haut ” : les rires fusent.
- “ Acceptez le titre de marquis des Antipodes ” … “ Il danse la tête en bas … ” “ Nous finirons bien par
savoir qui vous êtes ! … ”.
- “ Ne vous donnez pas cette peine ”.
Grégoire se démasque.
Silence figé. Grégoire a surpris son auditoire par son courage et sa sincérité. “ Qui sera la prochaine
victime ? Qui recevra un trait si spirituel qu’une famille tombera dans la précarité ?
- Monsieur, ôtez votre masque. Chacun ici voudrait connaître l’auteur de “ Marquis des
Antipodes ”.
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L’Autre abaisse son masque et le spectateur découvre surpris, “ le marquis de patatras ”, celui-là
même qui s’était vengé de l’humiliation reçue du Comte de Blayac. La chute finale de Grégoire nous
ramène à l’ouverture du film. La boucle est bouclée. Mais curieusement l’humiliation subie n’a pas
rendu la victime plus humaine, plus “ éclairée ” sur la bassesse humaine, plus encline à la
mansuétude. La victime a rejoint le clan des bourreaux.
“ Je retourne dans mon pays pourri, Madame… Je monterai des digues. Je creuserai la vase de mes
mains s’il le faut ” lance Grégoire indigné.
Sortie de Grégoire et de Mathilde la tête haute, les espoirs envolés, mais ensemble pour défendre
leur cause.
La musique, jusqu’alors suspendue, rythme à nouveau la danse comme si de rien n’était. Mais
l’accompagnement sourd et discordant qui avait commenté le malaise de l’abbé obscurcit cette fois la
tonalité de la fête.
Le visage en gros plan de la Comtesse révèle sa douleur. Douleur visible, mais pour le spectateur
seul, attentif avec la caméra à son amère victoire.
Bas les masques. Qui a gagné ?
La musique, une autre musique nous entraîne, à la séquence suivante, sur une autre rive, dans un
autre espace, où souffle un vent de liberté, d’humour ”.
La Révolution française entre temps a mis fin à la mascarade ; L’Ancien régime est tombé. Les
aristocrates, exilés.
Les Dombes, asséchées.
Grégoire (et Mathilde) ont triomphé.
C’est d’Angleterre que vient un modèle possible de démocratie. C’est d’elle dont on se tourne
pour regarder vers l’Europe.
Bilan
Deux chutes en construction presque inversées : rupture et opposition , répétition et boucle
1 – ascension et chute de l’abbé.
2 – chute de Grégoire, mais retournement de situation :
Grégoire sort, mais c’est la Comtesse qui est vaincue. Doublement vaincue car balayée par l’Histoire.
Ce sont les idées et les valeurs de Grégoire et Mathilde qui triomphent avec les Lumières.
Un monde nouveau s’ouvre, porteur d’espoir en l’humanité, en sa capacité à plus de justice, d’égalité,
de fraternité, de liberté. Jamais le champ n’aura été si largement ouvert et la profondeur de champ si
illimitée sur “ l’espace des possibles … ”.
La tragédie joue comme une étape nécessaire au progrès de l’humanité.
Danielle Hafner (propos en italique)
B / Figure en spirale
- Boucles avec gradation ascendante ou descendante :
- Évolution de la dramaturgie et associées aux autres figures
Exemples :
- les masques
- la comtesse qui se farde, se masque pour sa première apparition et qui enlève son
masque à la fin, montrant ainsi son « vrai visage ».
- Des lieux que l’on retrouve avec des différences
- les Dombes : de la séquence 3 à la 12, aggravation sociale, lumières et couleurs encore
plus sales, plus sombres, la victoire de la mort.
–
l’escalier au début et à la fin de la scènes des bouts rimés. Grégoire monte derrière
son coach (infériorité) mais, à la fin, c’est la comtesse qui descend l’escalier rattrapée par Ponceludon
qui la domine. Défaite et triomphe inversés par rapport aux attendus du début de la scène.
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- Joute Grégoire-Abbé de Vilecourt
Si nous avons choisi cette séquence comme objet d’étude, c’est parce qu’elle nous a semblé par son
architecture, sa mise en espace esthétique, et son statut narratif, une séquence-pivot : celle de
l’entrée victorieuse de Grégoire dans un univers jusque là hostile ou pour le moins méprisant.
Le travail fait en classe a été celui, classique, de l’analyse avec grilles (grilles-plans et grillesséquences) mais compte tenu de la longueur de la séquence (3’28 ‘’) et donc du nombre de plans
qu’elle comporte, nous en avons privilégié quelques uns et avons insisté sur les différents bilans ( voir
annexes). Cet article ne présente donc que la synthèse de ce travail :
- L’architecture de la séquence
- La mise en espace de la joute
- Le statut narratif
- Annexe : Études avec grilles
L’architecture de la séquence.
La joute elle-même, c’est-à- dire l’affrontement de deux adversaires en un duel de bel esprit,
est encadrée par deux sous-séquences qui se font écho mais présentent aussi quelques dissonances.
D’égale durée - vingt-huit secondes - ce que nous avons appelé le prologue et l’épilogue se déroulent
en un même lieu : l’escalier monumental d’accès au salon. La séquence étant bien délimitée, l’unité
du lieu bien respectée, les personnages vont pouvoir évoluer ou se débattre comme dans une nasse.
Les personnages , deux chaque fois, Grégoire et Monsieur de Bellegarde pour le prologue, Grégoire
et la comtesse de Blayac pour l’épilogue, parlent ainsi à l’abri des yeux et des oreilles des autres
personnages – ce qu’ils ont à se dire ne souffrant d’ailleurs aucune indiscrétion – sauf pour le
spectateur placé alors en régime de savoir spectatoriel inquiet puis jubilatoire. A la mise en garde et à
la stratégie initiales de M. de Bellegarde : «Méfiez-vous de l’abbé, c’est un serpent» d’ entrée de jeu
dramatisantes, répond le trait final de Grégoire : «Votre procédé ne sera pas éventé !» propre à
rassurer la comtesse comme le spectateur. La comédie, certes grinçante reprend ses droits avec la
mise en phase de la diégèse et du spectateur.
Cependant, si échos et correspondances font le pont entre prologue et épilogue, enjambant le
duel, dissonances et dissemblances se sont installées, témoignant qu’effectivement de l’eau a coulé
sous ce pont-là. Le traitement filmique du lieu, des personnages, l’utilisation de la bande-son
inscrivent les différences.
L’escalier, frontière entre l’intérieur et le supérieur, l’extérieur et l’intérieur, monté au prologue
par les deux hommes, est descendu par la Comtesse à l’épilogue. D’abord arrière-plan bruissant de
voix, de rires , de bruits de pas, il abrite au bas de sa rampe les deux comploteurs ; véritable cœur
vivant, coulisses joyeuses, œuvre d’art qui déploie ses fresques, cet escalier-là donne accès à la
scène, celle où l’on se montre. En clôture, déserté dans un silence où les voix résonnent trop
cyniquement, figé dans une lumière blanche où le masque de la comtesse, blafard lui aussi, ne peut
échapper à cette froideur, il est le théâtre même de l’ultime scène entre les deux protagonistes. De
décor proclamé - où il faut paraître - il s’est mué en adversaire de la comtesse, contrainte à en
descendre les marches une à une, égrenant son humiliation. Au contraire, il soutient le triomphe de
Grégoire, placé sur les degrés supérieurs, dominant jusqu’à sa fuite la comtesse. Lieu décoratif
devenu lieu narratif, lieu transitoire devenu lieu essentiel, l’escalier métaphorise un trajet.
Quant aux personnages, toujours associés deux à deux, ils changent d’identité et de rôle. Le
prologue voit les deux comploteurs à l’œuvre : seule leur voix permet de les identifier car même s’ils
sont au premier plan et en cadrage serré, c’est en silhouette qu’ils apparaissent, voire « en ombres
chinoises ». Profils noirs, face à face, M. de Bellegarde légèrement au-dessus de Grégoire, ils ne sont
vus ni entendus de personne, bien que le tourbillon auprès d’eux ne cesse. Ombres statiques ou
presque, seules les lèvres et les mains très agiles de M. de Bellegarde expliquent, soulignent ; ces
deux-là ne sont pour l’instant que des figurants cherchant à se préserver de la lumière. Cet aparté très théâtral - qui les isole de tous, installe ainsi le spectateur dans la confidence, voire la complicité,
mais surtout dans l’attente.
A l’épilogue : changement de distribution : M. de Bellegarde est resté au salon, Grégoire s’est
précipité à la suite de la comtesse - conviée au « chocolat du Comte d’Artois » dans le fameux
escalier. Grégoire, toujours placé au-dessus de la comtesse, prend l’avantage spatial, psychologique
et narratif. Elle, déjà descendant les marches, tente de garder la face en se retournant vers lui en
pleine lumière et en lui jetant son marché à la tête mais contrainte à consommer sa défaite, humiliée
par Grégoire, elle se résout à la fuite, disparaissant alors dans l’ombre en bas. Grégoire reste seul au
dernier plan, debout au haut de l’escalier, le visage éclairé. Celui qui au prologue n’était qu’une ombre
non identifiée, reléguée derrière un décor, se tient plus tard en pleine lumière, posté. Mais seul.
20
Enfin, dernier élément de dissemblance, la bande-son sculpte différemment les deux scènes.
Au prologue, le bruitage domine, sans couvrir toutefois les voix au premier plan - code
cinématographique oblige. L’environnement sonore ancre la conversation privée dans un lieu de
passage, dans une atmosphère vivante avec le brouhaha des voix, l’aigu des rires, le claquement des
pieds sur le pavé. Mais cet environnement diégétique ne fait que mieux ressortir les paroles des deux
hommes, participant à la cohue verbale et s’en démarquant nettement. Ces bruits référentiels
soulignent ainsi la fièvre de cet avant et exacerbent l’attente - celle des personnages et celle du
spectateur. Mais ils sont aussi l’arrière-plan sonore marqueurs de la singularité des deux amis : eux
ne plaisantent pas, ne rient pas. Ils parlent sérieusement.
Le silence de l’épilogue contraste fortement avec cette présence sonore. Mais un élément
nouveau est intervenu faisant un lien entre les deux lieux, le salon et l’escalier : la musique
extradiégétique, accompagne la sortie de la Comtesse comme d’une scène d’opéra. Lyrique, dans un
registre presque tragique, elle parle pour le personnage, disant sa honte et sa douleur publiques. Elle
cessera dès que l’échange avec Grégoire prendra le relais. Puis le silence retombera, avec la
disparition de la Comtesse, suivie des yeux par le jeune homme.
La mise en espace de la joute
Un grand salon est le théâtre de cette joute : dans cet espace-là, c’est la place qu’occupent
simultanément puis tour à tour les deux adversaires, Grégoire et l’abbé, qu’il nous a semblé
intéressant de mettre en valeur.
Ce sont tout d’abord deux couples qui se partagent cet espace, et de façon inégalitaire : le
couple Comtesse-abbé s’oppose au couple M. de Bellegarde-Grégoire. Placés face à face, sur une
ligne qui traverse le salon, les courtisans autour d’eux, ils sont présentés deux à deux. Pour les deux
couples, même échelle de plan (rapproché), même angle (plat), même plan fixe, même point de vue,
mais quelle différence ! Les premiers, très à l’aise, murmurent en un aparté que nul ne surprendra,
défient l’assistance, se rengorgent. Le rouge (pour la comtesse) et le noir (pour l’abbé) de leurs
vêtements attirent le regard : inclus dans cet espace-là qui s’accorde à leurs valeurs, nul doute qu’ils
se sentent en complet accord, en conjonction. Ils triomphent déjà ! En face d’eux, Grégoire et M. de
Bellegarde ne disent mot, mais le visage grave du jeune homme, le sourire crispé de son protecteur,
leur observation inquiète de l’auditoire, et jusqu’aux couleurs ternes de leurs costumes dénoncent le
malaise ; eux, Grégoire surtout , n’appartiennent pas à ce monde superficiel du paraître où les coups
pour être biaisés n’en sont pas moins brutaux. La disjonction sujet-espace marquée rapidement n’en
est pas moins criante.
Quelque plans plus loin, après la ruse de l’éventail, l’entrée en scène de l’abbé ne fait que confirmer
cette relation à l’espace, déjà observée .Le plan d’ensemble qui ouvre le bout-rimé,le travelling arrière
qui élargit encore le champ, la place centrale qu’y prend immédiatement le personnage marquent déjà
le triomphe . En ce lieu, orné comme une scène d’opéra ou de théâtre, devant ce public suspendu à
ses lèvres, l’abbé avance majestueusement, se fait admirer en une savante rotation, accorde ses
gestes (il mange, il boit) à son propos. Le salon est une piste de cirque avec son tapis circulaire, ses
tentures rouges, ses spectateurs rangés en cercle ; placé au centre, dès les premiers mots, l’abbé
s’offre en représentation , joue et gagne. Il entend bien écraser son adversaire en public : le gros plan
final sur le visage glacé et menaçant de l’abbé, ses paroles : « A vous, Baron ! » transforment le salon
en lice. Le jeu aristocratique où il excelle devient un duel et l’adversaire mondain un ennemi ( le point
de vue interne marqué par la légère contre-plongée indique que Grégoire l’a bien compris). Dans cette
conjoncture, y a-t-il place pour un autre « bel esprit » ?
Déjà disjoint de cette espace-là, Grégoire ne peut qu’être amoindri après la victoire de l’abbé .
Pourtant, c’est par un coup de théâtre, spatial d’abord, qu’il inaugure son entrée. En effet, le plan qui
montre Grégoire se levant de son siège ne sera pas raccordé avec la fin du mouvement mais avec un
travelling avant en ocularisation interne sur la comtesse ; le jeune homme « fond » littéralement sur sa
proie, que l’on voit se défaire au fur et à mesure de cette arrivée foudroyante. La rapidité de l’attaque
a annulé l’espace entre Grégoire et Mme de Blayac ; le jeune homme a envahi le territoire de ses
adversaires, leur espace intime, et par des propos en apparence anodins sur la provenance de
l’éventail a marqué un premier point. « Le procédé est éventé » comme il le dira plus tard à la
comtesse. Son entrée en lice ensuite n’est pas celle de l’abbé : la prise de possession d’un espace
connu et familier. Le plan d’ouverture du bout-rimé, en demi-ensemble, la légère contre-plongée ( les
yeux de l’abbé l’observent), le panoramique pour le recadrer- l’emprisonner - entre ses deux
adversaires montrent qu’il n’a pas sa place. Le champ restreint masque le public, les plans de coupe
sur les trois autres personnages dramatisent le jeu, le resserrement sur Grégoire le banalise : tout est
possible, mais surtout la chute… A celle-ci, victorieuse, l’espace s’unit : au dernier plan, Grégoire est
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filmé au centre du salon, du tapis, avec l’ensemble du décor et des participants. La plongée, discrète
énonciation, souligne la vastitude du lieu et l’ampleur du triomphe. C’est Grégoire qui a pris la place
de l’abbé, mais il l’a conquise.
Peut-il pour autant se retrouver en conjonction avec cet espace, avec ces valeurs ? Pour
l’instant oui. Et la sortie de la comtesse en témoigne. Installant donc Grégoire au centre de ce
dispositif spatial, le bout-rimé lui assigne également une place narrative nouvelle.
- L’attente :
plan N°3 : l’abbé et la comtesse assis (5’’)
plan N°4 : Grégoire et M. de Bellegarde assis (6’’)
plan N°6 : la ruse de l’éventail (3’’)
- Le bout-rimé de l’abbé :
plan N°14 : l’entrée en scène de l’abbé (7’’)
plan N°22 : la sortie de l’abbé : « A vous baron » (2’’)
grille-séquence : le bout rimé de l’abbé
plans N°25 et 26 : le coup de théâtre (la ruse de l’éventail est
démasquée) (2 plans)
- Le bout-rimé de Grégoire
plan N°32 : l’entrée en scène de Grégoire
plan N°38 : le final de Grégoire (3’’)
grille-séquence : le bout-rimé de Grégoire
l’épilogue : Grégoire et la comtesse dans l’escalier (28 » »)
« Il ne suffit pas d’avoir de l’esprit. Il faut en avoir assez pour s’abstenir
d’en avoir trop » André Maurois
Ridicule, Bestof
- Les scènes d’humiliation
le prologue qui se rejoue, en sens contraire lors du bal
la scène se répète mais l’humiliation suggérée et rappelée dans le prologue est montrée avec un
réalisme expressionniste (« cruauté des oiseaux de proie » PL.). La vengeance du chevalier est
double, en privé dans la chambre du comte, publiquement au bal. Son triomphe est définitif dans le
prologue car il aboutit à la mort de l’humiliateur mais à double détente à l’issue du bal car le bel esprit,
moral, de Ponceludon le ridicule et annonce la défaite de la monarchie et de la cruauté de ses mœurs.
- Autres scènes d’humiliation qui se répètent et nous font passer de la farce à la tragédie :
Dans la séquence 8, le baron de guéret, imbu de ses titres, pérore au repas, sans se rendre
vraiment compte de son ridicule et des moqueries dont il est l’objet. La séquence 10 met en scène
l’ultime humiliation, jusqu’au suicide.
- Autres scènes en boucles (scènes en réponse) : répétitions et gradation(s)
 Les chevauchées
 La promesse et le retour dans les Dombes : de l’enthousiasme à
l’échec puis la réussite pour l’épilogue
 Séq 6 et Séq 8 : salons et joutes d’esprit ; la victoire renforcée et
inquiétante de Ponceludon puis le dîner où il échoue
 Le départ de Paul et son retour dans le film (Abbé de l’Épée)
 La science : les expériences de Mathilde et l’abbé.
22
C / Figures d’opposition
Plus souvent d’oxymore (clair-obscur) que d’antithèse
o
-
INTERIEUR ET EXTERIEUR
 Enfermement, puissance vitale et liberté associées
 Succession des scènes : exemples prologue, séq.2, 3, 4, etc...
 Une scène commencée en intérieur finit en extérieur et
inversement
Prologue : extérieur en pleine lumière puis intérieur sombre
Promesse de Ponceludon : 2 types d’extérieur et de lumières ; Dombes (brun, sale,
oppressant), chevauchée et château de Blayac lumière vive, franche en extérieur
Gens de cour : 2 intérieurs et 2 effets différents ; contre-jour chez la comtesse ; obscurité
de la chambre mortuaire, étouffante ;
Déconvenues : extérieur forêt pour l’attaque suivi de l’intérieur séjour du marquis de
Bellegarde. Lumière et couleurs opposées à celle du château de Blayac ; comme si se
différenciaient deux mondes (ancien et nouveau ; rococo et néoclassicisme)
o
ARCHITECTURE MUSICALE ET MISE EN SCENE (Forme)


Mode mineur : rococo finissant ; ancien régime, monde finissant
Mode majeur : néoclassicisme ; Lumières, nouveau monde

Antithèse dans la succession des séquences et
le récit
 Oxymore quand les contraires sont associés
dans la même image, la même scène
 Chiasme dans l’inversion des valeurs, des rôles
La mise en scène, comme figure d’opposition, correspond donc assez bien à cette description de Jean
Starobinski : «En schématisant quelque peu, et en attribuant à chaque groupe social une psychologie
particulière, nous distinguerions un plaisir crépusculaire sur fond de nuit imminente et de désespoir
(qui caractérise la conscience aristocratique) et un plaisir optimiste, « auroral », prêt à tout embrigader
sous sa loi (qui sera la norme rêvée par la fraction la plus émancipée de la bourgeoisie).... Pour les
uns, c’est le néant, dont l’obsession s’accentuera chez les « sentimentaires » du préromantisme ;
pour les autres, c’est l’espoir d’un monde reconstruit selon la Nature et la Raison ». (JS p 54)
La mise en scène repose également sur une articulation d’oppositions, de contrastes
En ce sens, elle fluidifie la compréhension du récit (les lieux, les personnages,
les joutes, les événements...) et donne chair à sa complexité métaphysique,
(la victoire et l’inquiétude, l’énergie et La mélancolie).
Par exemple, lors de la scène des bouts rimés et celle du triomphe puis de la déchéance de l’Abbé de
Vilecour, (voir plus haut) et pour celle avec l’Abbé de l’Épée.
o
LA COULEUR (musicale) et visuelle




Les tonalités chaudes et froides
Lumières expressives : obscurités intérieures et lumière plein
jour
Des saillies lumineuses ou colorées (saillies visuelles)
Complémentarité et gradation : symbolique des couleurs (voir
après)
23
o
GALERIE DE PORTRAITS
Ridicule, le film, se présente aussi comme une galerie de portraits (voir plus haut)
Des personnages d’ombres et de lumières (oxymore et rédemption)
Tous les personnages
Abbé, figure de la caricature ; la comtesse du triomphe au désespoir
Ponceludon, esprit libre et moderne, devient courtisan
o
COMEDIE ET TRAGEDIE

L’esprit et la chair ; les pieds et le bel esprit
1 – Empreintes laissées par les pieds poudrés de la comtesse : image de l’artifice et de la
séduction extrême.
2 – bottes crottées de Grégoire venu assister à la veillée funèbre de M. de Blayac : saisissant
contraste entre une coquette bien en cour et un intrus bien rustique. Prémisses d’une rencontre, d’un
affrontement irréductible ?
3 – Souliers à boucle de Grégoire : manifeste concret du trajet parcouru et de sa nécessaire
adaptation au nouvel Espace à conquérir et qu’il conquiert d’un trait d’esprit
4 – Pied du courtisan endormi dans l’Antichambre du roi et dont on a volé la chaussure alors
qu’il était sur le point d’être enfin reçu par le roi. Bas troué qui laisse apparaître le besoin
pressant d’aide. L’un arrive (3), l’autre s’en va : tout le cynisme d’un monde où tous les coups sont
permis, y compris les coups bas. “ Arbre pourri qui ne peut donner de bons fruits ”.
5 – Les mocassins de l’indien face aux ballerines de satin bleu du roi : cocasse rencontre de
deux mondes où le représentant du monde “ civilisé ” doit se percher
sur la pointe des pieds pour se hausser à la hauteur d’un représentant du monde dit “ sauvage ”.
Prétentions bien trompeuses que l’Histoire ne tardera pas à balayer.
6 – Pieds du pendu : pour l’heure, l’homme humilié en 4 meurt du ridicule subi.
7 – Pas du futur mari de Mathilde (souliers noirs) venu avertir Grégoire d’une invitation à un repas
chez la Comtesse. Instrument de la Comtesse ? froide mécanique du destin ? Avertissement d’un duel
imminent ?
8 – Pied de la Comtesse qui quitte son escarpin rouge, sous la table, pour abuser Grégoire et le
perdre. l’arme de la belle n’est autre que ce pied qui trouble Grégoire au point de lui faire perdre la
joute verbale à laquelle il est convié. Arme imparable d’un jeu érotique pervers. Grégoire, couvert de
ridicule, quitte la cour sans avoir pu mener à bien sa mission.
9 – Les pieds de l’enfant mort : enfant mort de mauvaise fièvre, enfant mort de l’insalubrité des
marais. L’échec de Grégoire, c’est l’échec de son entreprise. C’est la mort particulièrement choquante
et injuste que celle d’un enfant. Métaphore du peuple oublié et impuissant à combattre ses misères.
10 – Les pieds et jambes habillées de rouge de Grégoire : bal masqué où se rend Grégoire en
compagnie de Mathilde et où il suffit d’un ridicule croc-en-jambe pour causer sa perte et celle de ses
espoirs de conduire à bon terme son projet. Mais bas les masques ! Cette fois est la dernière qui voit
Grégoire définitivement exclu de la Cour.
BILAN
Nous constatons donc que les plans 1 à 5 jouent des contrastes avec humour. Ils situent l’espace
social des personnages, leurs attentes, leurs ambitions, leurs parcours.
Les plans 6 à 10 nous jettent dans l’effroi. Au-delà du ridicule des seuls personnages, c’est l’humanité
souffrante qui est piétinée. Le spectateur, averti, souffre et compatit avec le personnage abusé plus
qu’il ne jouit et profite de l’avance de savoir que la caméra, complice, lui octroie.
Les plans de pieds révèlent un engrenage cruel, une mécanique impitoyable aux conséquences
tragiques.
Qu’est-ce qu’un pied si ce n’est ce sur quoi l’on s’appuie pour être et demeurer en équilibre ? Pied
fragile : si le soc vacille, le déséquilibre entraîne la chute. Chute de l’Ancien régime mis à bas par les
attaques des révolutionnaires.
Pied encore, qui ne se remarque pas mais qui est révélateur des coups bas d’une société pervertie
par le jeu féroce de la fausseté ; Pied, objet d’une perfection poussée à l’extrême ; policé, brillant,
symbole d’un monde d’apparence et d’apparat. Monde voué à la chute.
Ridicule, Bestof
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Ambiguïtés, compromissions et rédemption :
o La morale des personnages
o Celle de l’h/H/istoire
Film moral en conclusion !
Liste des scènes étudiées
-
Prologue : refuser les conventions ; boucle
Les Dombes : opposition avec la cour, intérieur et extérieur, PR à PE,
o La chevauchée : tournage, trajet et énergie de Grégoire pour réussir ; Fragonard
Madame la comtesse : image, lumière, le masque ; boucle
1ère apparition à la cour de Grégoire : cadrage, mouvements, rythme
Arrivée de Mathilde : image, lumière, cadrages et mouvements
o Séance de pose, Mathilde et Montalieri : référence à Gainsborough, le prix à
payer ; Gainsborough
Bouts-rimés : boucle, opposition et rupture, analyse détaillée
Plus près du roi : figures de styles, cadrages, points de vue et mouvements, montage
Treize à table : Grégoire perd l’esprit à cause du pied de la Comtesse
La chute de la comtesse : Reynolds
La chute de l’abbé : analyse détaillée
Le duel : Analyse détaillée, surtout musicale ; deux musiques
La scène du bal : analyse détaillée, boucles et dramaturgie ; Ridicule ?
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