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pratique
Quand référer aux urgences
un patient présentant des douleurs
abdominales ?
Rev Med Suisse 2010 ; 6 : 1546-9
W.Oulhaci
de Saussure
E. Andereggen
F. Sarasin
Dr Wassila Oulhaci de Saussure
Service de chirurgie viscérale
Département de chirurgie
Dr Elisabeth Andereggen
Pr François Sarasin
Service des urgences
Département de médecine
communautaire et de premier recours
HUG, 1211 Genève 14
[email protected]
[email protected]
[email protected]
When should a patient with abdominal
pain be referred to the emergency ward ?
The following goals must be achieved upon
managing patients with acute abdominal pain :
1) identify vital emergency situations ; 2) detect surgical conditions that require emergency referral without further diagnostic procedures ; 3) in «non surgical acute abdomen
patients» perform appropriate diagnostic pro­
cedures, or in selected cases delay tests and
reevaluate the patient after an observation
period, after which a referral decision is made.
Clues from the history and physical examination are critical to perform this evaluation. A
good knowledge of the most frequent acute
abdominal conditions, and identifying potential severity criteria allow an appropriate
management and decision about emergency
referral.
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Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 25 août 2010
Les objectifs de la prise en charge d’une douleur abdominale
aiguë sont : 1) identifier les situations d’urgence vitale ; 2) re­
connaître les affections chirurgicales pour lesquelles, même
sans examens complémentaires, la nécessité d’une admission
en urgence est évidente et 3) savoir, en cas d’«abdomen non
chirurgical», procéder aux investigations appropriées ou, par­
fois, s’accorder un temps d’observation et revoir le patient
avant de l’orienter vers un service d’urgences. Les éléments
anamnestiques et l’examen clinique sont essentiels pour cette
évaluation. Une bonne connaissance des affections abdomina­
les les plus fréquentes ainsi que la reconnaissance d’éventuels
critères de gravité doivent permettre de choisir la prise en
charge la plus appropriée, ainsi que de décider de l’urgence
d’une hospitalisation.
introduction
«Dois-je adresser mon patient aux urgences ?». Cette question
se pose souvent au praticien de premier recours appelé à
prendre en charge un patient pour une douleur abdominale
aiguë. Avant toute chose, le médecin doit pouvoir identifier
rapidement les situations d’urgence vitale, nécessitant un
transfert rapide à l’hôpital. En dehors de ces situations, il est
pertinent de distinguer les pathologies qui vont de toute manière devoir être prises en charge en milieu hospitalier de
celles qui pourront être investiguées, et parfois traitées, de
manière ambulatoire.
L’anamnèse et l’examen clinique sont les éléments essentiels de l’évaluation
initiale de toute affection abdominale aiguë. Dans bon nombre de cas, une
anamnèse soigneuse permet d’élaborer une hypothèse diagnostique. L’examen
clinique amène des éléments supplémentaires qui renforcent ou, au contraire,
modifient cette hypothèse.
Dans cet article, nous nous limiterons volontairement à la description des affections abdominales aiguës les plus fréquentes.
signes d’alarme : l’urgence vitale
Certaines situations sont des urgences vitales qui, dès qu’elles ont été identifiées comme telles, imposent sans délai un transfert à l’hôpital (en ambulance
médicalisée). Dans ces situations, les patients présentent souvent les signes cliniques d’un état de choc ou peuvent évoluer rapidement vers un état de choc.
Il peut s’agir d’un choc hémorragique (hémorragie intrapéritonéale), dont les
causes classiques sont la rupture d’anévrisme de l’aorte abdominale et la grossesse extra-utérine rompue. D’autres affections, moins fréquentes, peuvent parfois être en cause (rupture d’une tumeur hépatique sous-capsulaire, rupture de
rate en deux temps…). Il faut être particulièrement vigilant lorsqu’un patient
présente l’association «malaise orthostatique et douleurs abdominales».1
Il peut s’agir d’un choc septique. Si celui-ci est dû à une perforation digestive, on
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retrouve souvent dans l’anamnèse une douleur de début
brutal, parfois de localisation assez précise. Le tableau clinique évolue rapidement vers une péritonite localisée,
puis généralisée : contracture musculaire de la paroi abdominale (défense), parfois décrite comme «ventre de bois»,
douleur au moindre ébranlement (détente), bruits digestifs souvent absents. L’angiocholite (ou cholangite) peut aussi
évoluer rapidement vers un choc septique. Il s’agit d’une
infection des voies biliaires en amont d’un obstacle (souvent un calcul). La triade de Charcot (état fébrile, douleur de
l’hypocondre droit et ictère), décrite il y a plus de 100 ans,
garde toute sa valeur diagnostique.
Plus rarement, chez un patient avec un trouble du ryth­
me, des facteurs de risque cardiovasculaire ou un antécédent d’accident ischémique, il faut évoquer le diagnostic
d’infarctus mésentérique. Le tableau classique est une douleur
abdominale très intense avec, initialement, un abdomen
souple.
l’urgence chirurgicale
Le médecin de premier recours doit connaître la présentation clinique et la prise en charge des pathologies
abdominales aiguës les plus fréquentes (figure 1).2,3 Certaines affections, qui ne représentent pas d’emblée une
urgence vitale, vont néanmoins nécessiter une hospitalisation pour une prise en charge spécifique.
L’iléus (occlusion mécanique) se présente comme un arrêt des gaz et des matières, généralement accompagné de
vomissements (qui peuvent être tardifs, voire absents en
cas d’occlusion colique), d’un ballonnement abdominal et
de douleurs. Que le traitement soit conservateur ou chirurgical, le patient devra être hospitalisé.
Hypochondre droit
ou épigastre
Epigastre
•Gastrite
• Ulcère gastrique/
duodénal
•Pancréatite
• Douleur biliaire simple
•Cholécystite
• Migration calculeuse
Région péri-ombilicale
•Pancréatite
• Appendicite débutante
Fosse illiaque
droite
Région
hypogastrique
Fosse illiaque
gauche
Appendicite
Pathologie
gynécologique
Diverticulite
Figure 1. Affections abdominales les plus fréquentes,
en fonction de la localisation de la douleur
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Les douleurs biliaires posent un problème particulier
puisqu’il s’agit de distinguer une douleur biliaire simple
(lithiase vésiculaire symptomatique) d’une douleur biliaire
compliquée (migration de calcul ou cholécystite). Bien que
la vésicule biliaire soit située dans l’hypocondre droit, les
douleurs siègent souvent dans l’épigastre. Une douleur inhabituellement intense ou prolongée peut être le signe
d’une complication. Une cholécystite aiguë doit être suspectée si la douleur dure plus de six heures, si elle s’accompagne d’un état fébrile et d’un signe de Murphy. Les tests
hépatiques sont normaux. Le diagnostic est échographi­
que et le traitement de choix est la cholécystectomie pratiquée dans les 72 heures qui suivent le début des symptômes.4
Une douleur abdominale, initialement péri-ombilicale
et migrant secondairement en fosse iliaque droite, associée à un état subfébrile, est fortement évocatrice du diag­
nostic d’appendicite, surtout lorsqu’elle survient chez un hom­
me jeune. Malheureusement, la présentation n’est souvent
pas aussi typique et les examens biologiques ne sont pas
forcément contributifs 5 (la protéine C-réactive (CRP), par
exemple, peut être normale, surtout si elle est dosée précocement). Le CT low-dose est actuellement d’une aide appréciable pour le diagnostic.6
Il faut toujours examiner les orifices herniaires chez un
patient qui présente un abdomen aigu. La hernie étranglée
reste, en effet, un diagnostic non exceptionnel, en particulier chez le patient âgé.
qui investiguer avant d’envoyer
aux urgences ?
En dehors des situations où le tableau clinique est suffisamment typique pour que le patient soit d’emblée adres­
sé aux urgences, la réalisation d’examens complémentaires
est souvent indiquée pour confirmer un diag­nostic et décider ensuite si l’hospitalisation est nécessaire.7
Une douleur biliaire non compliquée ne nécessite en
principe pas une hospitalisation. La migration d’un calcul
biliaire doit toutefois être suspectée si le patient a présenté
une crise douloureuse d’intensité inhabituelle. Il convient
alors de doser les tests hépatiques (qui seront perturbés)
et de prévoir une investigation de la voie biliaire principale suivie, si nécessaire, d’une désobstruction (ERCP) et,
obligatoirement, d’une cholécystectomie.
Les pathologies ulcéreuses se manifestent plus rarement
sur un mode très aigu, sauf si elles sont compliquées (perforation). Elles doivent être investiguées par une endo­
scopie. Un traitement d’épreuve peut parfois être envisagé
à la condition qu’il amène à une résolution rapide et complète des symptômes.
La pancréatite aiguë est le plus souvent d’origine biliaire
ou éthylique. Le diagnostic est confirmé par une élévation
de la lipase et par le scanner. Ce diagnostic impose pratiquement toujours une hospitalisation.8
La diverticulite concerne des patients de plus en plus
jeunes. La confirmation du diagnostic se fait par un scanner
qui permettra aussi de déceler une éventuelle complication (en particulier un abcès). Un traitement ambulatoire
peut être envisagé lors d’une poussée légère. Sur la base
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de la clinique seule, le diagnostic différentiel peut être
difficile à faire avec une colite aiguë (d’étiologie infectieuse,
inflammatoire ou ischémique), bien que dans cette situation des diarrhées soient souvent présentes. Le diagnostic
de colite pseudomembraneuse doit être évoqué chez un patient
récemment traité par antibiotiques.
Il faut penser à la possibilité d’une affection gynécologique
et, chez la femme en âge de procréer, la réalisation d’un
test de grossesse devrait être faite de principe.
Certaines affections enfin, tout en constituant un motif
assez fréquent de consultation en urgence, ne présentent
aucun critère de gravité (tableau 1).
Dans un certain nombre de situations, en particulier si
le tableau clinique est peu inquiétant, une période d’observation avec prescription d’un traitement symptomati­
que peut être envisagée. Cette attitude impose cependant
de revoir le patient dans un délai court (12 à 24 heures).
En revanche, il ne faut pas hésiter à adresser le patient
aux urgences si on est en présence de signes de gravité
cliniques (fièvre élevée, signes d’irritation péritonéale) ou
biologiques (leucocytose avec forte déviation gauche, CRP
très élevée, signes d’insuffisance organique). Il faut aussi
garder un seuil d’alerte élevé lorsqu’il s’agit de patients
dont les réponses à l’infection sont potentiellement altérées (par exemple diabétique, patient âgé, patient sous
corticoïdes ou autre traitement immunosuppresseur…).
La figure 2 résume le processus de prise en charge de
la douleur abdominale aiguë.
«pièges diagnostiques»
Il faut aussi se souvenir que des affections aiguës extraabdominales peuvent se manifester avec, comme plainte prin­
cipale, une douleur abdominale. Certains de ces «pièges
diagnostiques» sont classiques (tableau 2).
Tableau 1. Causes fréquentes, non urgentes, de
douleurs abdominales
Tableau 2. Affections extra-abdominales qui peuvent
se manifester par une douleur abdominale aiguë :
«pièges diagnostiques» classiques
Affections
Adénite mésentérique
Fréquente chez l’enfant ou le jeune
adulte, accompagne souvent une
infection virale des voies aériennes
supérieures
Gastroentérite infectieuse,
iléite infectieuse
Diarrhées habituellement présentes
«Mittelschmerz»
Douleur aiguë d’apparition brutale,
en milieu de cycle
Kystes ovariens
fonctionnels
Risque de torsion si taille L 4 cm
Thorax
•Syndrome coronarien aigu
•Dissection de l’aorte
•Pneumonie
Rétropéritoine
•Affections urologiques (lithiasiques, infectieuses,
ischémiques)
•Anévrisme de l’aorte abdominale symptomatique
Organes pelviens/
scrotum
Coprostase
•Globe vésical
•Prostatite
•Torsion testiculaire
•Epididymite
Paroi abdominale •Zona
•Hématome pariétal (cave : hématome du muscle
grand droit chez le patient anticoagulé !)
Troubles fonctionnels
intestinaux
•Dyspepsie
•Colopathie fonctionnelle
Métabolique
Décompensation diabétique acidocétosique
Douleurs abdominales aiguës
Non
Présence de signes d’alarme ?
Suspiscion clinique
d’affection chirurgicale ?
Faible ou moyenne
Oui : urgence vitale
Penser aux «pièges
diagnostiques» (tableau 2)
Elevée : urgence chirurgicale
?
Hospitalisation
Examens complémentaires
Traitement d’épreuve
Revoir à 12-24 heures
Traitement ambulatoire
Figure 2. Algorithme de prise en charge de la douleur abdominale aiguë
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conclusion
Les douleurs abdominales aiguës ont des causes multiples. En pratique, il importe surtout de reconnaître les situations d’urgence vitale, imposant un transfert rapide à
l’hôpital avec une prise en charge préhospitalière adéquate. En dehors de ces situations de gravité immédiate,
une bonne connaissance des pathologies les plus fréquen­
tes permet, dans la majorité des cas, de décider de l’approche la plus appropriée, c’est-à-dire admission aux urgences d’emblée ou investigations ambulatoires, suivies
ou non d’une hospitalisation. Parfois, l’attitude à adopter
se précisera après une brève période d’observation.
Implications pratiques
> Dans l’évaluation d’une douleur abdominale aiguë, le premier
objectif doit être d’identifier les situations d’urgence vitale
qui imposent un transfert immédiat à l’hôpital
> Une anamnèse clinique soigneuse, complétée par un examen
clinique ciblé, permet souvent d’envisager une hypothèse
diag­nostique et, par conséquent, de déterminer la nécessité
ou non d’adresser le patient aux urgences
> En l’absence de signes de gravité (cliniques et/ou biologiques)
et s’il n’y a pas d’évidence qu’il s’agit d’une affection chirurgicale, des investigations ambulatoires sont envisageables. Elles
peuvent parfois aboutir secondairement à une hospitalisation
> Dans certaines situations (anamnèse suggérant une affection
bénigne et/ou tableau clinique peu inquiétant), une période
d’observation peut être envisagée. Il est alors nécessaire de
revoir le patient dans un délai assez bref (l 24 heures)
Bibliographie
1 Assar AN, Zarins CK. Ruptured abdominal aortic
aneurysm : A surgical emergency with many clinical
presentations. Postgrad Med J 2009;85:268-73.
2 ** Flasar MH, Cross R, Goldberg E. Acute abdominal pain. Prim Care Clin Office Pract 2006;33:659-84.
3 * Martinez JP, Mattu A. Abdominal pain in the elderly. Emerg Med Clin N Am 2006;24:371-88.
4 Strasberg SM, Linehan DC, Hawkins WG. Acute
0
calculous cholecystits. NEJM 2008;358:2804-11.
5 Paulson EK, Kalady MF, Pappas TN. Suspected appendicitis. NEJM 2003;348:236-42.
6 Poletti PA, Andereggen E, Rutschmann O, et al. Indications au CT low-dose aux urgences. Rev Med Suisse
2009;5:1590-4.
7 Cartwright SL, Knudson MP. Evaluation of acute
abdominal pain in adults. Am Fam Physician 2008;77:
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 25 août 2010
971-8.
8 Frossard JL, Steer ML, Pastor CM. Acute pancreatitis. Lancet 2008;371:143-52.
* à lire
** à lire absolument
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