Les politiques de prévention des risques industriels face à la

Transcription

Les politiques de prévention des risques industriels face à la
Université lumière Lyon 2
Institut d'Études Politiques de Lyon
Les politiques de prévention des risques
industriels face à la rhétorique de la
participation.
L'exemple de la campagne d'information du public
« Les bons réflexes ».
Hochart Clémentine
Mémoire de Séminaire
Politiques publiques et gestion des risques
Sous la direction de : Gwenola Le Naour
(Soutenu le : 2 septembre 2011 )
Membres du jury : - Gwenola Le Naour - Emmanuel Martinais
Table des matières
Introduction . .
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Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ? . .
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Remerciements . .
Chapitre 1: La prise en compte progressive d'une « norme délibérative » dans les
processus de décision. . .
Une mutation progressive de la réglementation. . .
La délibération comme nouvelle légitimation des politiques publiques? . .
Chapitre 2: La campagne de 2008, un cadre propice à l'ouverture ? . .
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Les campagnes d'information, entre obligation réglementaire et volontarisme des
acteurs. . .
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Organisation et fonctionnement de la campagne: un exemple de concertation
réussi ? . .
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Chapitre 3: Une rhétorique de la participation qui invite les acteurs à modifier leurs
habitudes. . .
L'État et les industriels: des acteurs en quête d'une nouvelle légitimité. . .
Des opportunités d'ouverture qui ne sont pas toujours saisies. . .
Des logiques de conquête face aux opportunités d'ouverture. . .
Les communes et les associations: des acteurs en retrait ? . .
Partie II: Une ouverture qui reste partielle face à certaines résistances. . .
Chapitre 1: Derrière la multiplication des dispositifs de concertation, des rapports de force
qui perdurent. . .
Le maintien d'un réseau malgré l'institutionnalisation de nouveaux espaces de
discussion. . .
Des rapports de force qui persistent. . .
Chapitre 2: La place du citoyen dans la campagne: l'illustration des tensions entre
ouverture et résistance. . .
L'intégration des citoyens: nouvel enjeu des politiques publiques ? . .
L'ambiguïté des stratégies des acteurs dominants . .
Conclusion . .
Bibliographie . .
Ouvrages . .
Revues spécialisées . .
Rapports . .
Site internet . .
Sigles . .
Résumé . .
Mots-clefs . .
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Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
Remerciements
Je souhaite ici remercier l'ensemble des personnes qui m'ont aidé tout au long de ce travail.
Je remercie tout particulièrement Madame Le Naour, en tant que directrice de mémoire, pour
l'aide qu'elle m'a apportée à travers ses conseils et ses recommandations bibliographiques.
Je remercie également Emmanuel Martinais pour avoir accepté de codiriger ce travail ainsi
que pour ses remarques et critiques.
Je remercie les personnes qui ont accepté de me rencontrer lors d'entretiens pour leur temps
et leur sympathie à mon égard.
Enfin, je remercie ma famille et mes proches pour leur soutien, leurs relectures attentives et
surtout leurs encouragements.
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Introduction
Introduction
Lyon, 8 heures du matin, le 22 juin 2011. Suite à un incident technique à la raffinerie Total
de Feyzin, une fuite de dioxyde de souffre est constatée et ressentie sur une grande partie
de l'agglomération. Bien que cette émission ne soit pas toxique, elle entraîne des gênes
olfactives et respiratoires et provoque un vent de panique chez certains habitants. En moins
d'une heure, les services d'incendie et de secours reçoivent près d'un millier d'appels. En
fin de matinée on observe un retour à la normale. Bien que cet incident soit bénin, il est
révélateur de la peur que peuvent provoquer des incidents industriels et des tensions qui
peuvent exister dans des espaces où population et industrie sont amenées à se côtoyer.
En France plusieurs régions sont concernées par les risques industriels. En raison de
1
son histoire, la région Rhône Alpes est la deuxième région industrielle en France . Elle est
considérée comme le leader français dans plusieurs domaines: la chimie, la transformation
des métaux ou encore le plastique. En effet, elle possède une longue tradition industrielle
malgré une perte d'attractivité se traduisant par la suppression d'environ 90 000 emplois
au cours de ces vingt dernières années. L'agglomération lyonnaise constitue également
un pôle industriel important organisé autour du couloir de la chimie. Cette zone, située au
sud de l'agglomération, accueille de nombreuses industries dont certaines ont des activités
reconnues comme potentiellement dangereuses. A cause des risques qu'elle véhicule, la
cohabitation entre exploitations industrielles et espaces urbain ne laisse plus indifférent. En
effet, la présence d'installations classées alimente une certaine peur du risque industriel
chez les individus qui les côtoient.
Le risque est une notion complexe à appréhender puisqu'il n'a pas d'existence propre.
C'est une probabilité, un événement qui peut arriver. C'est lorsque le risque se matérialise
qu'il devient accident. Il est important de saisir les notions qui sous tendent celle du risque.
Tout au long de ce travail nous utiliserons la définition proposée par Olivier Borraz qui définit
le risque comme « le résultat d'un processus social qui n'a pas d'existence en soi et qui
engage plusieurs groupes d'acteurs ».
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Cette définition pose plusieurs constats: le risque n'est pas une chose en soi. Il est
donc le résultat d'une confrontation entre différents acteurs qui peuvent avoir des positions
plus ou moins divergentes. En effet, c'est au travers des interactions entre les acteurs que
le risque va être défini. Nous définirons ici les acteurs comme des individus, des groupes
d'individus ou des institutions identifiables, qui participent à la politique publique.
Ainsi selon le type d'activités, le lieu où est située l'activité et les acteurs en présence,
la définition du risque va différer. Dans nos sociétés, le risque n'est plus uniquement
scientifique ou technique, il devient un processus social. Les termes techniques ou
scientifiques gardent évidemment une certaine importance dans le débat mais ils ne
sont plus les seuls éléments qui peuvent être mobilisés. Il est davantage question du
positionnement des acteurs par rapport à un objet non pas réel mais perçu. Au delà des
aspects pratiques et des aléas qu'il pose, le risque est appréhendé comme un enjeu social.
La remise en cause d'un risque zéro entraîne de fortes crispations qui doivent être prises en
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Après l'île de France.
Borraz, Olivier. Les politiques du risque, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p. 39.
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Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
compte par les différents protagonistes. Mais elle conduit également à un renforcement des
mesures de précaution et des politiques de prévention afin d'assurer un niveau de sécurité
le plus haut possible.
Les risques industriels ont commencé à être intégrés aux politiques publiques à partir
des années 1980, suite à plusieurs accidents en France et en Europe. Toutefois, on ne
peut les considérer comme des phénomènes complètement nouveaux. Ils apparaissent
dès le 19ème siècle lors de l'industrialisation de la France. Le développement de certaines
activités comme l'extraction minière, ou le tissage entraîne l'apparition de nouveaux risques
d'accidents: des accidents du travail liés au transport et à la manipulation de certaines
substances mais aussi des accidents dus aux conditions des infrastructures par exemple.
Dès lors certaines activités humaines sont considérées comme porteuses de risques pour
les individus mais aussi pour les bâtiments publics et la société de manière plus générale.
Les préoccupations liées à la gestion et au contrôle des risques dans les installations
industrielles ne sont donc pas nouvelles.
La gestion actuelle des risques industriels repose sur un ensemble de normes et de
lois qui ont évolué au fil du temps afin d'apporter les réponses les plus adéquates possible.
En effet, les différentes catastrophes technologiques ont souligné certaines carences qui
nécessitaient un encadrement plus strict.
L’explosion d’un stock de nitrate d’ammonium le 21 septembre 2001 sur le site de l’usine
AZF à Toulouse provoque la mort de 30 personnes et entraine plus de 2500 blessés. Cet
accident est perçu comme particulièrement choquant par l'opinion publique, le pouvoir en
place a souhaité réagir en envoyant un signal fort de changement. En prenant en compte
des évolutions antérieures à l'accident, la France adopte le 30 juillet 2003 la loi relative à
la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, dite
« loi Bachelot ». Dans la foulée l’Europe légifère à nouveau et modifie la directive « Seveso
II » via la directive 2003/107/CE.
La loi du 30 juillet 2003 se concentre sur deux axes concernant la prévention et la
gestion des risques industriels majeurs. En bref, il ne s'agit plus seulement de surveiller et de
verbaliser les établissements « à risques » mais de modifier les conditions de surveillance et
d'administration avec un renforcement des actions préventives et une implication plus forte
des industriels. Le but en effet est de développer un contrôle administratif plus consensuel
et plus partenarial.
En parallèle de ce volet traitant de la surveillance des établissements industriels, la loi
de 2003 cherche à renforcer une territorialisation de ces politiques publiques déjà en cours
en intégrant davantage les acteurs locaux. Il s'agit ici d'ouvrir les processus de manière
plus large aux autres acteurs des politiques publiques que sont les collectivités locales,
les riverains, le monde associatif et les salariés et ce tout en maintenant le rôle d'acteurs
classiques: l'État et ses services déconcentrés et les exploitants. La loi de 2003 ne fait
que refléter des évolutions antérieures aux années 2000 et qui ne sont pas spécifiques
aux politiques de prévention des risques industriels: l'État cherche à inscrire ses politiques
publiques dans des logiques plus locales afin de mieux prendre en compte les particularités
des territoires. Dans un sens, la loi de 2003 peut être considérée comme plus pragmatique,
l'approche du risque se fonde davantage sur les compétences techniques des différents
acteurs ainsi que sur les retours d'expérience (en France ou ailleurs).
La loi Bachelot officialise les quatre objectifs complémentaires en matière de risques
industriels: la production de sécurité autour des sites à risques et ce via un encadrement
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administratif strict, une maîtrise de l'urbanisation autour des sites à risques, la mise en place
de secours en cas d'accident ainsi que l'information préventive des citoyens.
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Nous allons nous intéresser plus particulièrement au quatrième volet de ces politiques
publiques à travers des campagnes d'information sur les risques industriels à destination
du public. Afin de mieux comprendre la portée de ces campagnes d'information, il convient
de s'attarder un instant sur les modifications apportées depuis la loi de 2003.
La loi « Bachelot » renforce l'obligation d'une meilleure information préventive pour
les citoyens résidant près d'une installation industrielle, obligation déjà présente dans
la directive européenne « Seveso 2 ». De manière générale, l'État a la responsabilité
d'assurer la sécurité des tiers vis-à-vis des risques industriels. C'est de cette responsabilité
générale que découle l'obligation d'information des citoyens. Cette obligation réglementaire
d'informer les citoyens en cas de risques industriels est aujourd’hui inscrite dans la version
consolidée du code de l'environnement datant de février 2011 à l’article L.125-2:
« Les citoyens ont un droit à l'information sur les risques majeurs auxquels ils
sont soumis dans certaines zones du territoire et sur les mesures de sauvegarde
qui les concernent. Ce droit s'applique aux risques technologiques et aux risques
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naturels prévisibles».
En ce sens, la loi « Bachelot » n'invente rien en la matière et ne fait que compléter le
dispositif réglementaire déjà en place. A travers de nouveaux dispositifs, la loi de 2003
officialise le rôle d'un certain nombre d'acteurs clefs des politiques de prévention des
risques. Nous retiendrons ici quatre collèges d'acteurs, à savoir l'État et ses services
déconcentrés, les industriels, les collectivités territoriales ainsi que les citoyens et la société
civile. Ce découpage peut sembler artificiel mais il nous permettra de mieux comprendre
comment se décident, se mettent en place et fonctionnent les politiques de prévention
des risques industriels. Ces différents groupes d'acteurs ne pèsent pas de façon identique
sur les politiques et n'ont pas non plus les mêmes obligations réglementaires. De plus,
ces acteurs n'ont pas nécessairement les mêmes intérêts en matière de prévention des
risques industriels, ce qui peut ajouter un degré de complexification dans les processus de
concertation.
Avant d'aller plus loin, il convient de présenter de manière succincte et générale leur
rôle réglementaire en matière de prévention des risques industriels. Les citoyens ainsi que
la société civile, ne sont soumis à aucune obligation réglementaire. Ils disposent cependant
d'un droit à l'information sur lequel nous reviendrons plus longuement dans ce mémoire. De
plus, ce groupe d'acteurs bénéficie de nouvelles possibilités: le développement d'un droit à
l'information s'est accompagné de nouvelles opportunités d'expression de leurs positions.
Les exploitants sont les premiers concernés puisqu'ils sont directement responsables
des risques industriels. Ainsi chaque établissement classé « Seveso seuil haut » doit
rédiger une étude de danger (ou analyse des risques), étudiée ensuite par les services
de l'inspection des installations classées. Ce document doit permettre d'analyser la nature
des dangers présents dans l'installation et de définir les mesures à mettre en place pour
réduire ces risques. Cette étude de danger est essentielle pour permettre la mise en place
du Plan d'opération interne (POI), document lui aussi à la charge de l'exploitant ainsi que
3
Martinais, Emmanuel, L'administration des risques industriels: entre renouvellement et stabilité, Regards sur l'actualité, La
Documentation Française, n°328, 2007, p. 25-37
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Article L.125-2 du Code de l’environnement tel que modifié par la loi n°2010-788 du 12 juillet 2010-art. 247.
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Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
du Plan Particulier d'intervention ou PPI, mené sous l'autorité du préfet. De plus, dans le
cadre du droit à l'information dont disposent les citoyens, les exploitants doivent informer
les populations avoisinantes des risques auxquels ils sont soumis.
L'État est omniprésent en matière de prévention des risques industriels, en particulier
au travers de ses services déconcentrés et des préfets. Depuis 2003, le préfet élabore,
en collaboration avec les services déconcentrés de l'État comme la direction régionale de
l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou la direction départementale
des territoires (DDT), et met en œuvre les plans de prévention des risques technologiques,
désignés sous le nom de PPRT. L'État, par le biais du préfet, est également responsable
d'une partie de l'information du public à travers le dossier départemental sur les risques
majeurs (DDRM).
Enfin, les collectivités territoriales ont vu leurs prérogatives fortement augmenter depuis
les années 1980. Elles disposent maintenant de plusieurs leviers d'action en matière de
prévention des risques industriels. Les communes, plus particulièrement, sont devenues
des acteurs majeurs avec lesquelles les industriels sont dans l'obligation de collaborer.
Tant en termes de taxes que d'emplois elles ont intérêt à avoir un site industriel
sur leurs territoires. Et de l'autre côté il faut en subir les conséquences
environnementales, et pour certaines d'entre elles, pour les établissements
5
SEVESO, le risque industriel.
Les communes sont liées aux exploitants puisque, comme l'extrait ci dessus nous le montre,
il existe des enjeux économiques et financiers associés à la présence d'établissements
industriels sur leurs territoires. Il semble donc essentiel pour elles de pouvoir participer aux
processus de décision des politiques de gestion des risques. Mais, à contrario, elles doivent
accepter les risques qui en découlent. D'acteurs spectateurs elles sont devenus acteurs codécideurs qui cherchent à peser sur les décisions prises au niveau national. Actuellement, le
maire est responsable de l'élaboration du Plan local d'urbanisme ou PLU, ce qui lui permet
d'intégrer le risque industriel dans l'aménagement du territoire de sa commune. Dans le
cadre du PPI, il est également chargé d'élaborer un Plan Communal de Sauvegarde. Ce
document détermine les modalités d'alerte, de protection et d'information mises en place
par la commune par rapport aux risques identifiés sur son territoire.
Enfin le maire est chargé du DICRIM, Document d'information Communal aux Risques
Majeurs. Ce document est un instrument pédagogique dans lequel figurent les risques qui
concernent la commune, les mesures prises par cette dernière pour les prévenir ainsi que
les consignes de sécurité à respecter en cas d'incident. Le DICIRM doit être consultable
« sans frais ». Certaines communes font l'effort de l'envoyer aux habitants. Cependant
contrairement aux campagnes d'information, ce n'est pas obligatoire.
Compte tenu de leurs obligations légales et de leurs poids respectifs, la puissance
publique, les industriels et les collectivités territoriales seront ici entendus comme les acteurs
traditionnels ou dominants en matière de prévention des risques industriels.
Les campagnes d'information à destination du public
Il s'agit ici de faire le distinguo entre deux types d'information du public: l'information
fournie soit par les préfets, les DDRM, soit par les maires c'est à dire les DICRIM, et celle
fournie par les exploitants. Les campagnes d'information du public s'inscrivent dans cette
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Annexe 2 : entretien SPIRAL/DREAL
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Introduction
deuxième catégorie. Elles relèvent d'une obligation réglementaire tirée de l'article L 125-2
du code de l'environnement.
La nature de ces documents est précisément déterminée dans le décret n°2005-1358
du 13 septembre 2005 relatif aux plans particuliers d'intervention ainsi que dans l'arrêté
du 10 mars 2006 relatif à l'information des populations. Cette nuance est essentielle pour
comprendre ce que peuvent contenir les campagnes d’information à destination du public :
« Vous avez bien compris que l'information du public concernant les risques
industriels majeurs incombe à l'exploitant. On est dans quelque chose de
différent du DICRIM [Document d'information communal sur les Risques
majeurs], l'information sur les risques majeurs d'ordre général et qui incombe
au maire. Les deux ne sont pas du même niveau, à la fois en termes de précision
et de nombre d'informations à donner et également concernant la manière
6
d'informer. »
Comme souligné dans l'extrait, les informations délivrées doivent être plus précises et
complètes que celles contenues dans les DDRM ou les DICRIM. De plus, l'information
doit être distribuée aux citoyens même si ces derniers ne cherchent pas à l'obtenir.
Contrairement aux DICRIM qui sont « consultables en mairie », l'information fournie par les
exploitants doit arriver directement chez les citoyens, donc dans leurs boites aux lettres.
Dans l'agglomération lyonnaise, les campagnes d'information du public ne sont pas
une nouveauté issue de la loi « Bachelot » puisque les premières campagnes ont été
menées dans les années 1990. Nous allons nous intéresser plus particulièrement à la
campagne d'information menée en 2008 et connue par le grand public sous le nom « Les
bons réflexes ». Il s'agit d'utiliser cette campagne comme un cas pratique afin de mettre en
évidence les avancées en matière de prévention des risques depuis les années 2000 et les
limites qui persistent encore.
Mais, attardons nous un instant sur le contenu de la campagne « Les bons réflexes ».
Afin de mieux positionner la campagne dans son environnement, voici quelques
chiffres:
- la campagne concerne 68 sites industriels de la région dont 64 établissements
industriels Seveso « Seuil haut ».
-les périmètres d'information concernent 186 communes, réparties sur les huit
départements de la région soit une population d'environ 1,2 million de personnes.
Concernant notre terrain d'enquête, à savoir le sud de l'agglomération lyonnaise,
seize sites, installés sur neuf communes, ont été concernés par la campagne. Cependant,
plus d'une vingtaine de communes de l'agglomération lyonnaise situées à proximité d'un
établissement « Seveso seuil haut » ont été visées par la campagne.
Cette dernière recouvre tout un ensemble d'outils de communication (brochures, site
internet, affichettes, magnets...) établis à cette occasion afin d'apporter un certain nombres
de réponses aux questions que peuvent se poser les citoyens concernés par un ou plusieurs
risques industriels mais aussi dans le but de diffuser les mesures à adopter afin d'assurer
leur sécurité en cas d'accident. Chaque foyer concerné par un risque industriel reçoit une
brochure contenant des informations jugées primordiales: les principaux axes de la politique
de prévention des risques sur le territoire, les définitions de certains termes (accidents
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Annexe 2 : Entretien SPIRAL/DREAL
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Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
industriels, établissements classés Seveso, etc.), les modalités d'alertes ainsi que les bons
réflexes à adopter en cas d'accident. En plus de cette partie commune à chaque bassin
de la région, la brochure contient des informations spécifiques à chaque bassin et aux
installations qui y sont installées.
Les relais d'opinion, à savoir les mairies et leurs élus locaux, certains services
publics comme les établissements scolaires, les médias locaux ou encore des médecins
généralistes, reçoivent un dossier d'une vingtaine de pages reprenant de manière plus
complète les informations contenues dans les brochures. De plus, des outils pédagogiques
à destination des collèges et lycées ont été réalisés. Afin de toucher un public le plus large
possible, un numéro vert ainsi qu'un site Internet sont activés.
Une fois ces outils de communication distribués aux citoyens, des réunions publiques
sont organisées dans les différents bassins d'information de Rhône Alpes. A cette occasion,
d'autres documents sont également proposés: un film d'une dizaine de minutes, des
panneaux d'exposition... Les réunions publiques représentent l'occasion pour les citoyens
de poser directement leurs questions aux différents acteurs. En effet, à chaque réunion
étaient présents des représentants de l'État (des membres de la préfecture, de la DREAL
ou de la DDT...), des industriels ainsi que des élus locaux.
Ainsi, la campagne d'information « Les bons réflexes » peut servir d'illustration pour ce
qui concerne les changements et les continuités qui accompagnent les politiques traitant des
risques industriels. Nous l'avons évoqué plus haut, les politiques de prévention des risques
industriels se sont inscrites dans des logiques plus territoriales, avec une importance plus
grande donnée aux acteurs ancrés dans le territoire concerné. La campagne de 2008 s'est
davantage inscrite dans cette territorialisation que les campagnes précédentes.
En effet, l'originalité de la campagne 2008 repose sur sa « régionalité » et sa
mutualisation. A partir des conclusions tirées des campagnes précédentes, il est apparu que
l'information de la population n'était pas toujours strictement conforme à la réglementation
et variait selon les départements.
Organiser une campagne mutualisée, c'est à dire regroupant plusieurs établissements
de nature similaire et se trouvant sur un même territoire, présente plusieurs avantages.
Premièrement, cela permet aux citoyens de disposer d'une information de meilleure qualité
et plus uniforme, les informations et la façon dont elles sont délivrées doivent être les mêmes
pour tous quel que soit le lieu ou l'on se trouve. Notons que les spécificités de chaque
établissement industriel sont néanmoins prises en compte.
Deuxièmement la mutualisation permet aux industriels de réaliser des gains financiers
et humains grâce à des économies d'échelle. Ils sont alors plus enclins à participer à la
campagne plutôt qu'à agir de leur côté. En effet, l'État et les partenaires des exploitants, en
particulier les collectivités territoriales participent financièrement à la campagne.
Enfin, l'information semble plus crédible puisque la campagne n'est pas directement
menée par les industriels mais elle est animée par plusieurs instances collégiales. C'est du
moins ce que devait être la campagne sur le papier. En réalité elle a été fortement encadrée
par son Secrétariat permanent doté d'une forte initiative et d'un pouvoir de proposition sur
lequel nous reviendrons. De manière générale la mutualisation de la campagne permet de
mener des actions allant au delà du cadre réglementaire.
A travers la campagne de 2008, on observe également une volonté de démocratisation
des politiques de prévention des risques avec la multiplication de dispositifs dédiés à une
meilleure information, à davantage de participation et de concertation. Ce bourgeonnement
de nouveaux outils censés favoriser les processus de démocratisation atteste, dans une
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Introduction
certaine mesure, d'une ouverture des politiques de prévention des risques, problématique
sur laquelle nous reviendrons dans la suite de ce travail. De manière plus globale, étudier
la campagne présente un intérêt en ce qu'elle constitue un observatoire des politiques
publiques menées en matière de gestion des risques et des rapports de force qui existent
entre les différents protagonistes.
Problématique
La littérature concernant les risques industriels s'est fortement développée depuis la
fin des années 1980 et elle a eu tendance à augmenter depuis l'accident d'AZF en 2001.
Nombreux sont les ouvrages ou rapports qui proposent des bilans concernant les effets de
la loi de 2003 à la fois sur la façon dont sont appréhendés les risques aujourd'hui mais aussi
sur les relations entre les acteurs des risques industriels.
La loi relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation
des dommages est souvent présentée comme ayant permis un renouveau des logiques
inhérentes à ces politiques publiques. Il est vrai que des modifications non négligeables
dans la façon dont sont menées les politiques de gestion des risques existent aujourd'hui.
Cependant, ces changements puisent leurs origines bien avant la loi « Risques » de
2003. De manière plus générale, les politiques de prévention des risques industriels sont
concernées par un impératif de la participation pour mieux justifier l'action publique. On
observe le développement d'une rhétorique de la participation, qui passe le plus souvent
par la multiplication des lieux de discussion publique. On peut reprendre ici les travaux de
Loïc Blondiaux qui évoque « une valorisation constante et systématique de certains thèmes:
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discussion, débat, concertation, consultation, participation, gouvernance » . On observerait
une volonté de démocratisation des politiques publiques, démocratisation qui passerait par
une participation plus active des acteurs locaux.
Concernant les risques industriels, on retrouve dans la volonté politique de la loi
Bachelot cette valorisation de la participation. La loi « Risques » cherche effectivement
à établir une prévention « élargie » et concertée. Cette prévention passerait par des
collectifs élargis à l'ensemble des acteurs, et non plus uniquement aux services de l'État
ou aux industriels, même si ces derniers continuent à jouer un rôle central. L'émergence
de l'importance de la délibération passe par l'intégration de nouveaux acteurs dans le
processus. On aurait donc une transgression de la frontière opposant savoirs savants et
savoirs profanes avec un « dessaisissement symbolique du monopole des experts sur la
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préparation des décisions collectives »
D’après les travaux de M-G Suraud, l’accident d’AZF aurait créé une rupture dans la
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prévention des risques avec une nouvelle définition de l’accès à l’information.
Il n’est
plus uniquement question de diffuser les consignes de sécurité au plus grand nombre, il
s’agit aussi d'intégrer des principes de démocratisation aux politiques de prévention des
risques industriels en rendant les processus plus transparents et en intégrant davantage les
riverains et le tissu associatif aux décisions.
Nous retiendrons ici une citation d'Emmanuel Martinais pour qualifier en partie les
changements depuis les années 2000 et orienter la problématique de ce mémoire:
7
Blondiaux, Loïc. La délibération, norme de l'action publique contemporaine?, Projet 268, dossier « Décider en politique »,
hiver 2001-2002, p.81.
8
Callon, Michel. Lascoumes, Pierre. Barthe, Yannick. Agir dans un monde incertain. Essais sur la démocratie technique. Seuil,
2001.
9
Suraud, Marie-Gabrielle. La catastrophe d’AZF : de la concertation à la contestation. Paris : La documentation française, 2007.
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Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
« l’action publique se territorialise: de nouveaux acteurs locaux émergent et de nouvelles
10
.
configurations de négociations plus horizontales s'institutionnalisent »
D'autres auteurs s'inscrivent dans cette vision d'une ouverture qui toucherait les
politiques publiques de prévention des risques industriels majeurs. Dans un rapport intitulé
« Ouvrir la concertation sur les risques industriels, la constitution du CLIC de Feyzin
11
(69 »)
, des conclusions similaires sont proposées. La loi du 30 juillet 2003 aurait
encouragé l'élargissement des cercles de décision et la reconnaissance de nouveaux
acteurs. L'emprise du milieu technico-administratif diminuerait au profit d'un accroissement
d'acteurs plus ancrés localement. La campagne « Les bons réflexes » témoigne de cette
ouverture car elle intègre un plus grand nombre de protagonistes dans son fonctionnement.
En plus d'une présence importante des acteurs dominants, on constate, par exemple,
l'inclusion d'associations dans certains groupes de travail.
Cependant, toujours à partir de l'exemple de la campagne 2008 et du rôle qu'ont joué les
différents acteurs, l'ouverture et la démocratisation ne peuvent être applicables à l'ensemble
du processus. En effet, la plupart des décisions sont encore prises dans des cercles très
fermés auxquels seuls les « acteurs traditionnels » ont accès.
En prenant appui sur ces pistes de réflexions, nous tacherons de répondre à la
problématique suivante: En quoi la campagne d'information du public de 2008 reflètet- elle certaines contradictions en matière d'ouverture et de concertation qui existent
dans les politiques publiques de prévention des risques industriels?
Il ne s'agira pas de présenter ce que pourraient être les politiques de prévention des
risques dans un futur proche mais de s'intéresser aux contradictions qui sont apparues ou
qui ont été mises en exergue par la loi Bachelot de 2003.
Il semble aujourd'hui évident que les politiques de prévention des risques sont
concernées, comme la majorité des politiques publiques, par une plus grande ouverture
dans les processus de décision et d'application, et ce à différents niveaux. Nous pouvons
ici nous appuyer sur les travaux de Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe afin
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de souligner l'arrivée de « profanes » dans les politiques publiques . Les profanes sont
entendus de manière générale comme les citoyens, les individus n'ayant pas d'expertise
savante. A travers les controverses et le poids plus important des profanes, on observe
des effets d'apprentissage chez les acteurs jusque là dominants: « [Il est toléré] que les
profanes entrent dans les contenus scientifiques et techniques pour proposer des solutions
[ce qui conduit] les promoteurs à redéfinir leurs projets et à explorer de nouvelles voies de
recherche qui seraient susceptibles d'intégrer des revendications auxquelles ils n'avaient
pas songé ».
13
En plus d'une meilleure intégration des citoyens, les travaux à ce sujet s'accordent pour
mettre en avant une ouverture des politiques de prévention des risques à un plus grand
10
Martinais, Emmanuel, L'administration des risques industriels: entre renouvellement et stabilité, Regards sur l'actualité, La
Documentation Française, n°328, 2007, p.30.
11
Nonjon, Magali. Duchene, François. Lafaye, Françoise (coord.). Martinais, Emmanuel. Ouvrir la concertation sur les risques
industriels: la constitution du CLIC de Feyzin. Programme Risque Décision Territoire, 2007, 107 pages.
12
Callon, Michel. Lascoumes, Pierre. Barthe, Yannick. Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. Paris:
Edition Seuil, septembre 2001. 358 pages.
13
12
Ibid, p. 55
Hochart Clémentine - 2011
Introduction
nombre d'acteurs locaux. Cette ouverture est renforcée par la loi du 30 juillet 2003, mais
elle prend racine dans les premières lois de décentralisation, où, très vite, les collectivités
territoriales s'emparent de sujets jusque là sous le monopole de l'État. Les processus de
décision et de mise en place de ces politiques de prévention des risques industriels se sont
progressivement ouverts aux élus locaux, entraînant une recomposition progressive des
rôles des acteurs. Les années 2000 s'inscrivent dans ce prolongement et constatent une
sortie progressive d'un face à face entre les services de l'État et les industriels. C'est sous
cet angle que l'on peut accepter de parler d'une prévention des risques plus concertée: les
acteurs sont plus nombreux et doivent s'entendre pour proposer un cadre réglementaire
cohérent. Par exemple, l'étude de dangers réalisée par l'exploitant sert de base pour
pouvoir réaliser les POI ainsi que les PPI: les actions menées par chaque acteur doivent se
compléter et non pas se contredire afin d'être les plus fonctionnelles possibles.
Les hypothèses qui ont alimenté ce travail sont les suivantes: la loi Bachelot de 2003
est révélatrice d'une dynamique participative qui entraîne une valorisation des principes de
concertation et de transparence. La mise en pratique de ces principes et, plus généralement
de cette rhétorique participative, passe par une multiplication des acteurs pouvant prendre
part aux processus de décision et d'application des politiques de prévention des risques
industriels. En effet, l'implication d'un grand nombre d'acteurs dans les processus de
14
délibération favorise une meilleure acceptation sociale des décisions.
Cet élargissement de la base des acteurs se traduit par une multiplication des dispositifs
participatifs. Ces derniers permettraient de déboucher sur des politiques plus partenariales,
plus concertées, cela grâce à une redéfinition du rôle des acteurs historiquement présents
dans ces politiques, à savoir l'Etat et ses services déconcentrés, les industriels et les
collectivités territoriales. L'exemple de la campagne « Les bons réflexes » de 2008 illustre
cette multiplication des dispositifs participatifs et le poids que la rhétorique de la participation
peut occuper.
Lors des différents entretiens, les acteurs qui ont participé à la campagne de 2008 ont
insisté sur l'intégration d'associations ainsi que de citoyens dans les débats. Cependant
un fossé apparaît assez nettement entre les acteurs particulièrement actifs concernant les
risques industriels que sont les services de l'Etat, les exploitants et les élus locaux et des
acteurs plus « secondaires », dans le sens où ils ne disposent pas d'un pouvoir de décision
mais d'un pouvoir de contestation. Ainsi, la rhétorique participative n'impacte pas l'ensemble
des procédures et des acteurs de la même façon.
En nous appuyant sur la campagne « Les bons réflexes », nous montrerons que ces
nouveaux dispositifs sont utilisés différemment selon les acteurs en question. Alors que
l'administration et les exploitants ont tendance à les utiliser comme nouvel instrument de
légitimation, ils sont davantage considérés comme des tremplins pour mieux peser sur les
politiques de prévention des risques. Cependant la forme délibérative est aujourd'hui un
impératif que les décideurs doivent prendre en compte afin de légitimer leurs décisions
et leurs prises de position. Dans une certaine mesure les notions de concertation et de
transparence obligent les acteurs dominants à reconsidérer leurs pratiques et, dans certains
cas, à les modifier afin d'éviter de rendre les dispositifs qu'ils mettent en place illégitimes
aux yeux d'autres acteurs et de l'opinion publique.
14
Blondiaux, Loïc. La délibération, norme de l'action publique contemporaine? Projet 268, dossier « Décider en politique »,
hiver 2001-2002, p. 81-90.
Hochart Clémentine - 2011
13
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
A l'image de la campagne de 2008, on retrouve une certaine ambiguïté concernant le
développement de ces nouveaux dispositifs. Entre ouverture et résistance, ils concentrent
un certain nombre de contradictions auxquels les acteurs sont confrontés.
Présentation du terrain d'enquête: l'agglomération lyonnaise
Pour mieux comprendre le choix du terrain, il est important de revenir ici sur les
particularités de l'agglomération lyonnaise. Deux accidents historiques sont à noter: le 4
janvier 1966 à Feyzin, commune située au sud de Lyon, deux sphères de stockage de
propane explosent et provoquent la mort de 18 personnes. 84 autres personnes sont
blessées.
Le 2 juin 1987 dans un dépôt de carburant situé au Port Edouard-Herriot à Lyon une
explosion dans un réservoir d'hydrocarbure produit une « boil over »: une boule de feu de
deux cent mètres s'élève jusqu'à cent mètre de haut entraînant la mort de deux personnes.
On déplore une quinzaine de blessés.
A cause de l'existence du « couloir de la chimie », l’agglomération lyonnaise est
particulièrement concernée par les risques industriels et par leurs incidences parfois
dramatiques. Le couloir de la chimie est une zone d'une dizaine de kilomètres située au sud
de l'agglomération lyonnaise. Y sont implantés pas moins de douze établissements classés
15
« Seveso » . Selon le géographe Jacques Donze, nous serions en présence d'un exemple
de « complexe industriel des années 1960 et 1970, prolongement d'activités apparues dès
16
le XIXe siècle » .
En raison d'une urbanisation rapide de la banlieue lyonnaise après les années 1970,
certaines zones industrielles se trouvent aujourd'hui encastrées dans des zones urbaines.
En effet, la plupart des établissements classés « Seveso » se sont d'abord installés
à distance des centres villes. Suite aux aménagements des territoires et à l'étalement
urbain des Trente Glorieuses, l'usine finit par occuper une place, sinon centrale, du moins
importante au sein de ces zones urbaines. Au delà des préoccupations de sécurité qui
commencent à émerger à la fin des années 1970, l'industrie conserve une certaine légitimité
puisqu'elle contribue au développement économique du territoire dans lequel elle s'inscrit.
Les accidents liés aux risques industriels en France et en Europe, ainsi que le
développement des préoccupations environnementales ont débouché sur une prise de
conscience, et dans certains cas, sur un rejet des nuisances et risques que peut représenter
la présence de ces établissements industriels. La proximité entre industrie et habitations en
région Rhône-Alpes est aujourd'hui moins bien tolérée qu'elle n'a pu l'être.
La vallée du Rhône présente donc plusieurs intérêts: l'urbanisation observée dans
les années 1970 s'est accompagnée d'un développement voire d'une transformation des
activités des établissements installés. Le couloir de la chimie semble être aujourd'hui
un espace trop étroit pour pouvoir marier les intérêts des différents acteurs présents
localement. La proximité entre habitations et établissements Seveso « seuil haut » est
remise en cause par certains élus et par une partie de la population qui ne souhaite plus
être soumise aux risques que peuvent porter ces installations.
15
Nonjon, Magali. Duchene, François. Lafaye Françoise (coord.). Martinais, Emmanuel. Ouvrir la concertation sur les risques
industriels. La constitution du CLIC de Feyzin. Programme Risque Décision Territoire, 2007, page 7.
16
Donze, Jacques. « Le risque: de la recherche à la gestion territorialisée », Géocarrefour, [En ligne], 2007, vol. 82/1-2, mis
en ligne le 14 mars 2008, consulté le 29 mai 2011.
14
Hochart Clémentine - 2011
Introduction
De manière générale, le couloir de la Chimie présente des caractéristiques
sociales et géographiques qui en font un terrain d'enquête relativement homogène. Les
politiques menées en matière de prévention et d'information sur le territoire peuvent être
appréhendées comme un ensemble compréhensible. De plus, la vallée du Rhône est
animée par des logiques et des échelles différentes selon les acteurs concernés. On
observe des logiques territoriales qui valorisent le local tandis que d'autres valorisent le
17
niveau régional, parfois même européen.
Parce le risque s'inscrit dans une histoire longue dans la région mais aussi parce que
le territoire se présente comme un ensemble relativement cohérent à étudier, le couloir
de la Chimie constitue un terrain favorable afin d'étudier les politiques d'information et de
prévention en matière de risques industriels.
Méthodologie
Afin de répondre à la problématique, nous nous sommes penchés sur l'agglomération
lyonnaise dans le cadre de la campagne d'information du public de 2008.
Dans cette perspective, nous avons menés des entretiens semi directifs auprès des
acteurs clefs de cette campagne, en particulier les trois membres principaux du secrétariat
permanent: le secrétaire général du SPIRAL, la secrétaire déléguée du SPPPY , tous deux
fonctionnaires de la DREAL et la secrétaire générale d'APORA.
Mais, afin de prendre en compte les différences d'opinions qui existent entre les
acteurs ayant pris part à la campagne (ou prenant part de manière plus générale aux
politiques de gestion et de prévention des risques), il nous a semblé pertinent de rencontrer
des personnalités représentant plus largement les acteurs principaux des politiques de
prévention des risques industriels.
Nous avons cherché à respecter les différents collèges d'acteurs utilisés dans le cadre
de la campagne à savoir des représentants de la société civile, l'administration ainsi que
des élus ou des personnes chargées des risques dans une commune de l'agglomération
lyonnaise. Ce découpage peu paraître théorique. Cependant, il est apparu particulièrement
pertinent puisque les acteurs eux mêmes se positionnent par rapport à ces catégories.
Sur un plan pratique, les entretiens menés n'ont pas posé de véritables problèmes. Les
acteurs ayant acceptés de nous recevoir sont pour la plupart habitués à s'exprimer sur ces
sujets. Cependant ces entretiens semi-directifs, s'ils sont menés indépendamment, ne sont
pas la méthodologie la plus efficace pour traiter notre problématique. En effet, l'entretien
sociologique relève davantage d'une parole réfléchie, il ne permet pas l'observation des
pratiques des acteurs. Or, les acteurs qui ont participé à la campagne d'information de
2008 ont pris le temps d'analyser leurs actions et la campagne de manière plus globale.
Leur parole est donc « préméditée » et mûrement pesée. Nous retrouvons ici la principale
limite de cette outil méthodologique: l'enquêteur doit démêlé le vrai du faux dans la parole
collectée. Afin de tempérer cette limite, nous avons souhaité combiner plusieurs outils
méthodologiques.
En plus de ces entretiens, plusieurs observations sur le terrain sont menées afin
d'appréhender au mieux les relations qui existent entre les acteurs. Pour cette raison,
les réunions publiques, promues par la campagne, par les services de l'État et les
représentants des industriels, nous sont apparues comme un passage obligatoire afin de
rendre compte des rapports de force qui existent. En parallèle, nous avons assisté au
forum intitulé « Sécurité industrielle et villes durables », organisé à Pierre Bénite (69)
17
Ibid
Hochart Clémentine - 2011
15
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
en avril 2011. Ce forum regroupe des acteurs dont les noms reviennent régulièrement
dans le domaine des risques industriels dans l'agglomération lyonnaise. Il nous était donc
particulièrement intéressant d'y assister. De plus, par l'intermédiaire de ce forum, nous
avons pu rencontrer des personnalités importantes dans les politiques de prévention des
risques qui n'ont par ailleurs pas répondu à nos sollicitations. Ceci est particulièrement
vrai pour les industriels. En effet, le terrain choisi ne pose pas de problèmes spécifiques,
toutefois il nous a été difficile de réaliser des entretiens directement avec les exploitants.
Ces derniers sont particulièrement vigilants quant aux informations qu'ils délivrent : les
exploitants ont mis en place depuis plusieurs années une communication à destination du
grand public fortement contrôlée. Nos demandes d'entretien auprès des établissements
industriels de l'agglomération lyonnaise se sont révélées infructueuses. Nous avons donc
décidé de passer par des représentants des exploitants et ce via l'organisme APORA. Par
l'intermédiaire de ce forum et des dires des autres enquêtés, nous avons taché de mener
une analyse la plus pertinente possible.
Ces observations pratiques, bien que ponctuelles, a permis de donner à nos recherches
une réalité plus concrète à notre terrain.
Afin de se rapprocher le plus possible d'un idéal méthodologique nous avons combiné
à ces entretiens sociologiques et à ces observations, l'utilisation de documents publiés dans
le cadre de la campagne de 2008. Cette dernière est considérée comme une réussite en
termes de communication et d'information à destination du public. Elle est donc fortement
mise en avant par l'ensemble des participants. Sur le site internet www.lesbonsreflexes.com
, de nombreux documents sont disponibles, comme par exemple les lettres d'information sur
les risques industriels majeurs en Rhône-Alpes, le dossier destiné au public « Campagne
d'information du public 2008 », le dossier « Bilan de la campagne 2008 » réalisé en
septembre 2009 et retraçant une partie de la préparation et de la mise en œuvre de la
campagne.
En plus de ces documents officiels et facilement accessibles, plusieurs acteurs nous
ont fournis des dossiers plus informels. Cependant, nous n'avons pu obtenir l'ensemble des
renseignements sur la campagnes, puisque nombre d'entre eux n'ont pas été conservés
par les acteurs concernés. C'est du moins ce qu'ils m'ont répondu. Il manque donc une
partie des documents retraçant les débats et le fonctionnement des groupes de travail.
Il a donc fallu composer avec ces manques. Compte tenu des lacunes et de l'orientation
de certains documents rattachés à la campagne de 2008, l'utilisation des sources de
première main s'est parfois révélée périlleuse puisque les acteurs qui ont rédigé la plupart
des documents de la campagne de 2008 sont parties prenantes. Leur vision n'est donc
pas toujours neutre. Cependant, il nous semblait important de valoriser l'ensemble de ces
sources et de les utiliser pour comparer leurs contenus avec les dires des acteurs et les
observations réalisées sur le terrain.
Globalement, la méthodologie choisie n'a pas particulièrement posé de problèmes.
La plupart des acteurs sont plutôt disposés à s'exprimer sur les problématiques qu'ils
rencontrent quotidiennement dans leur travail et sur les relations qu'ils entretiennent avec
les autres protagonistes. En effet, même si il existe des divergences d'opinions, les relations
entre les acteurs ne peuvent pas être considérées comme conflictuelles.
Annonce du plan
Afin de répondre à notre problématique générale, nous nous attacherons à observer
les modifications constatées depuis les années 2000 dans les politiques de prévention
des risques industriels. A partir de l'organisation et du fonctionnement de la campagne
16
Hochart Clémentine - 2011
Introduction
d'information de 2008, nous montrerons que l'apparition d'une rhétorique de la participation,
qui valorise des notions comme la concertation, la délibération ou encore la gouvernance,
se vérifie en partie concernant les politiques de prévention des risques industriels (Partie 1).
Dans une seconde partie, nous présenterons les limites de cette conception. En effet,
les notions de « concertation » et de « participation » peuvent être utilisée dans une certaine
mesure pour qualifier l'évolution des procédures. Néanmoins il existe des limites qu'il est
essentiel de souligner. L 'importance que peut prendre la participation pousse les acteurs à
modifier leurs façon de faire. Elle ne remet en cause que partiellement l'ubiquité des acteurs
traditionnels. Ces derniers conserve une place centrale dans les politiques de prévention
des risques industriels, malgré la prise en compte progressive de nouveaux acteurs (Partie
2).
Hochart Clémentine - 2011
17
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
Partie I: La campagne « Les bons
réflexes », reflet d'une ouverture à la
rhétorique de la participation ?
Les politiques de prévention des risques sont, à l'image de la plupart des politiques
publiques, traversées par de nouvelles exigences. On observe dans nos démocraties la
valorisation de certaines pratiques et de certaines notions. Ainsi les termes « ouverture »,
« transparence », « concertation » ont été fréquemment utilisés lors des entretiens effectués.
Ces notions désignent de nouvelles formes de participation qui déboucheraient sur des
processus ouverts, incluant une multitude d'acteurs.
La transformation de la législation nationale et européenne souligne l'avènement d'une
société à risque. Cette reconnaissance de l'existence de risques industriels s'accompagne
d'une plus grande suspicion vis-à-vis d'acteurs auparavant reconnus comme détenant une
expertise infaillible.
Les politiques publiques doivent alors faire face à une double crise de légitimité. En plus
de la remise en cause de la légitimité d'acteurs historiquement impliqués dans les politiques
publiques, les modes de production des politiques publiques sont elles aussi sujettes à
caution.
Il est donc important pour une politique publique de s'aligner sur de tels principes
afin de gagner de la légitimité aux yeux des acteurs qui y participent mais également de
l'opinion publique. L'institutionnalisation de nouveaux lieux de débats et la multiplication
des dispositifs de concertation répondent à cette recherche de légitimité. La campagne
d'information du public de 2008 est en ce sens révélatrice de la place que peuvent prendre
ces notions dans la conception et le fonctionnement d'une politique. Les acteurs, qui jusque
là dominaient ces politiques, s'efforcent d'appliquer ces principes afin de légitimer leurs
décisions et leurs actions. La transformation de l'appareil juridique depuis les années 2000
témoigne de cette reconnaissance institutionnelle d'une nouvelle forme de participation dans
18
laquelle sont intégrés de nouveaux acteurs.
Dans cette première partie nous verrons les conséquences de l'apparition d'un impératif
de la discussion et du débat public dans les politiques de prévention des risques industriels.
Sans réellement introduire un changement brutal, l'apparition d'une norme délibérative
dans les processus de décision favorise les processus d'apprentissage et d'adaptation
(Chapitre1). A travers l'exemple de la campagne 2008 « Les bons réflexes » (Chapitre
2), nous nous intéresserons aux stratégies que développent les acteurs traditionnels, à
savoir l'État et ses services déconcentrés, les exploitants et les collectivités territoriales,
afin de préserver au mieux leurs intérêts (Chapitre 3). Nous utiliserons la notion d'acteurs
traditionnels dans le sens où historiquement ces acteurs ont développé une capacité
d'action par rapport aux décisions.
18
Weill, Agnès. « Le débat public: entre médiation et mise en scène. Retour sur le débat public "gestion des déchets
radioactifs" », Les enjeux de l'information et de la communication, 2009/Dossier 2009, p. 51.
18
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
Chapitre 1: La prise en compte progressive d'une
« norme délibérative » dans les processus de
décision.
Les politiques de prévention des risques industriels, en tant que domaine de la sécurité
publique, ont longtemps été soumises à un contrôle absolu de l'État et de ses services
déconcentrés, en particulier les préfets. Mais les accidents industriels ont modifié la
perception qu'avaient les citoyens de ces politiques de prévention. Ces dernières seraient
alors soumises à une double crise: la remise en cause de la légitimité d'acteurs
historiquement impliqués dans ces politiques ainsi que des modes de production de ces
politiques.
Pour répondre à ces nouvelles attentes, les acteurs dominants, en particulier la
puissance publique, se sont vus dans l'obligation d'adapter leurs rôles en matière de
prévention des risques industriels.
Une mutation progressive de la réglementation.
Historique réglementaire: transformation et évolution de la législation.
En France, les politiques publiques de gestion et de prévention des risques ont été
encadrées successivement par quatre textes:
- le décret impérial du 15 octobre 1810 relatif aux manufactures et ateliers qui répandent
une odeur insalubre ou incommode.
- la loi du 19 décembre 1917 relative aux établissements dangereux, insalubres ou
incommodes
- la loi 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de
l’environnement
- la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels
et à la réparation des dommages.
A travers ce décret, l'État cherche à concilier les intérêts des différentes parties. Pour les
sites industriels, il s'agit de limiter les risques et les inconvénients qu'ils dégagent sans trop
restreindre les possibilités de développement. En échange de ces limitations, les habitants
doivent néanmoins accepter un certain nombre de désagréments (odeurs, pollution) liés à
la cohabitation.
Ce décret est ensuite modernisé par la loi du 19 décembre 1917 relative aux
établissements dangereux, insalubres ou incommodes afin de tenir compte des évolutions
de l'industrie et des risques qui l'entourent. La philosophie générale en matière de prévention
des risques reste quasiment identique puisque l'état conserve la mainmise sur l'ensemble
du processus. Cependant, une modification profonde est apportée au cadre réglementaire
de l'inspection des établissements classés. Suite aux plaintes des industriels mais aussi des
habitants par rapport au service délivré, la loi cherche à répondre aux attentes des deux
parties. D'un côté, elle assouplit le système de l'inspection, en supprimant, par exemple,
Hochart Clémentine - 2011
19
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
l'autorisation administrative pour des établissements considérés comme peu dangereux.
19
D'un autre côté, le texte renforce les sanctions en cas de non respect.
La deuxième partie du XX° siècle est synonyme de bouleversement en termes
de législation sur les risques industriels. Plusieurs catastrophes sont à l'origine de la
transformation et du développement de la réglementation en matière de risques industriels.
En France une première prise de conscience s'opère avec la catastrophe de Feyzin
(69). Le 4 janvier 1966 l'explosion de la raffinerie Elf entraine la mort de 18 personnes
et en blesse 88 autres. Les dégâts matériels sont considérables. A cette occasion les
questionnements sur la place des industries à risque dans les villes se multiplient. Alors que
cette problématique est éludée jusque là, l'apparition de la question environnementale dans
l'espace public, conjuguée au choc que représente la catastrophe de Feyzin, interroge la
présence d'industries porteuses de risques dans des zones fortement urbanisées.
La loi de 1917 est alors abrogée et remplacée par la loi 19 juillet 1976 relative aux
20
installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) . Le contrôle relatif
à l’ouverture ainsi qu’au fonctionnement de ces installations classées est renforcé, de
même que les sanctions en cas de non respect des règles. On observe une redéfinition de
l'autorisation administrative: les ICPE et leurs activités s'inscrivent dans une nomenclature.
Selon la dangerosité de leurs activités et les nuisances qu'elles peuvent causer, elles doivent
soit être déclarées avant leur mise en service, soit pour les plus propices aux risques, obtenir
une autorisation préfectorale. Cette loi renforce en partie l'autorité de l'État en matière de
risques industriels au travers d'une hausse des pouvoirs du préfet. Néanmoins la loi ne
résout rien en matière d'urbanisme: l'accent est davantage mis sur la sécurité à l'intérieur
des usines plutôt que dans l'environnement immédiat. De plus, compte tenu des difficultés
économiques, la plupart des communes cherchent à privilégier leur développement. L'heure
21
est davantage à la densification urbaine et à « l'urbanisation des derniers espaces vides » :
la place des industries en milieu urbain n'est pas considérée comme une situation complexe.
La loi de 1976 n’est cependant pas le seul outil par lequel s’effectue la gestion des
risques en France. En 1982 l’Europe légifère via la directive 82/501/CEE ou SEVESO I du
24 juin 1982 suite à l'accident du même nom. La catastrophe du 10 juillet 1976 à Seveso
en Italie où un réacteur chimique de l’usine Icmesa (filiale de Gevaudan) laisse échapper
des vapeurs toxiques de dioxine, cause 20 blessés et oblige des milliers d'italiens à être
évacués. Cet accident a des retombées en Europe et en France et entraîne une prise de
conscience quant au nécessaire renouvellement de la législation européenne.
Cette directive est ensuite retranscrite en France par la loi de juillet 1987 relative à
l’organisation de la sécurité civile et de la prévention des risques majeurs. La loi prolonge
celle de 1976 mais innove en cherchant à favoriser l'information préventive et la maitrise
du risque à la source. Elle clarifie et codifie un certain nombre de pratiques concernant
les collectivités territoriales et l'État et ses services déconcentrés. La loi de 1987 officialise
le rôle de l'État dans une certaine mesure en marquant davantage les responsabilités qui
lui incombent. Par exemple l'État conserve un rôle majeur concernant la définition des
19
Bonnaud, Laure. Martinais, Emmanuel. « Des usines à la campagne aux villes industrielles », Développement durable et
territoires [En ligne] , Dossier 4 : La ville et l'enjeu du Développement Durable, mis en ligne le 04 juin 2005, p.6-7.
20
21
La loi du 19 juillet 1976 est maintenant codifiée aux articles L511 du Code de l'environnement.
Bonnaud, Laure. Martinais, Emmanuel. « Des usines à la campagne aux villes industrielles », Développement durable et
territoires [En ligne] , Dossier 4 : La ville et l'enjeu du Développement Durable, mis en ligne le 04 juin 2005, p. 10
20
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
22
risques. Face à cette affirmation du rôle de l'État et à l'octroi de nouvelles prérogatives
à ses services déconcentrés, la loi de 1987 provoque des réactions de défiance de la part
d' acteurs locaux.
Mais cette loi s'inscrit également dans les processus de décentralisation qui s'opèrent
au début des années 1980. La loi de 1987 clarifie la répartition des compétences entre
les services de l'État et l'échelon « local ». En établissant une distribution plus claire des
compétences de chaque acteur, la loi offre de nouvelles opportunités aux collectivités
territoriales. Le rôle des maires en matière de prévention et d'information concernant les
risques industriels est valorisé. De même, on peut souligner l'importance des compétences
des maires en matière d'urbanisme et de planification du territoire.
Les risques technologiques ne relèvent donc pas uniquement de la législation nationale.
l'Europe est aussi active dans ce domaine. En 1996, la directive SEVESO 1 est complétée
par la directive SEVESO 2. On observe un changement de logique avec la reprise dans
les textes de la notion française de « prévention des risques à la source », présente dans
la loi de 1987. Cette prévention « à la source » passe par une information des acteurs
concernés plus performante, grâce à une meilleure prévention, mais aussi par un contrôle
accru de l'urbanisation. La maitrise du développement urbain autour des sites à risque est
pensée comme une solution pour éviter la multiplication du nombre de personnes vivant
autour d'un établissement à risque tout en permettant des possibilités de développement
pour ces industries.
La directive introduit une nuance concernant la classification des risques industriels:
elle ne vise plus les produits dangereux mais elle touche les établissements utilisant des
substances dangereuses. Seveso 2 donne naissance à une classification selon les quantités
de produits dangereux usitées par l'établissement. C'est l'apparition des seuils « Seveso »
dits « seuil haut » ou « seuil bas ».
La directive SEVESO 2 insiste aussi sur les contrôles à effectuer pour les
établissements classés « Seveso seuil haut » ainsi que les sanctions en cas de non respect
de ces contrôles. Les inspecteurs des installations classées sont chargés du principe de
précaution et ont la capacité de soumettre les industriels à des contrôles et des analyses.
La logique de cette directive européenne repose donc sur trois axes principaux: la
réduction des risques à la source, la maîtrise de l'urbanisation autour des établissements
concernés et le principe d'information pour les riverains et les citoyens concernés par
des risques industriels. La directive Seveso 2 est transposée en droit français par l'arrêté
ministériel du 10 mai 2000. Les critères de la directive ont entrainé une forte hausse du
nombre d'établissements concernés par les seuils « hauts » et « bas ».
Au delà des changements qu'elle entraîne, ladirectivene remet pas en cause la
hiérarchie et le poids des acteurs impliqués jusque là dans les politiques de prévention
des risques industriels. Les exploitants d'établissements « à risque » sont concernés et
continuent de supporter tout ou partie des dépenses concernant la prévention des risques
dans l'enceinte mais également autour de l'établissement. En parallèle, l'État occupe
toujours une place centrale via l'intermédiaire de plusieurs acteurs: le préfet de département
occupe un poste clef et dispose de nombreuses prérogatives qui le placent au cœur du
dispositif; En plus du préfet on peut souligner le rôle important des DREAL (Direction
22
Gilbert, Claude. (sous la direction de). La catastrophe, l’élu et le préfet, Actes du séminaire Catastrophe et gestion de crise,
rôle de l'État et des collectivités locales. Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 1990, p. 25-40.
Hochart Clémentine - 2011
21
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement). Ces dernières sont plus
23
particulièrement chargées de l'inspection des établissements classés.
La Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Dans le
cadre des réformes sur la modernisation des services de l'État le Conseil de modernisation
des politiques publiques à proposer la création d'un service du Ministère de l'écologie,
de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (MEEDDAT) à
l'échelle régionale. Depuis le 1er janvier 2009 les anciennes DIREN (Direction régionale de
l'environnement), DRE (Direction Régionale de l'équipement) et les services environnement
industriel, contrôle technique des véhicules et énergie des DRIRE (Direction Régionale de
l'industrie, de la recherche et de l'environnement) ont fusionné pour donner naissance aux
DREAL, les Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement.
Cette fusion devait permettre de mener des politiques plus cohérentes dans les régions
ainsi que de renforcer la légitimité des services déconcentrés de l'État. Afin de respecter les
engagements pris lors du Grenelle Environnement, les DREAL, sous l'autorité du préfet de
région, sont en charge des politiques de développement durable au niveau régional. Elles
pilotent également les politiques de logement et de la ville. C'est dans ce cadre que s'inscrit
leur mission concernant les risques technologiques et naturels majeurs, mission confiée au
service « Prévention des risques » pour la DREAL Rhône-Alpes. Ce service est chargé d'un
certain nombre d'actions de prévention et de réduction des risques et ce via la production
de données techniques, la collecte et la diffusion d'information. Elles doivent aussi prendre
en compte les risques majeurs dans les politiques d'aménagement du territoire qui sont
menées sur leur territoire.
Enfin, les communes jouent un rôle en matière de prévention des risques industriels
puisqu'elles disposent de compétences en matière de maitrise de l'urbanisation et
d'information des populations.
La législation post-AZF: vers un changement de politique publique?
L'accident d'AZF en septembre 2001 et son nombre important de victimes, entraîne une
nouvelle vague de réformes et conduit à l'adoption de la loi relative à la prévention
des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages du 30 juillet
2003. Comme évoqué dans l'introduction cette loi s'articule autour de quatre objectifs
complémentaires: la production d'une meilleure sécurité autour des établissements porteurs
de risque, le renforcement du contrôle de l'urbanisation autour de ces sites, l'organisation
des secours en cas d'incident ainsi que l'amélioration de l'information préventive. Ces quatre
objectifs font appel à différents acteurs ayant des compétences particulières. Derrière ces
objectifs, le but est de faire coopérer ces différents acteurs afin de délivrer des actions plus
cohérentes et plus pertinentes au niveau du territoire.
Cette évolution progressive qui traverse les politiques en matière de prévention des
risques industriels peut être éclairée à l'aide de l'analyse cognitive des politiques publiques.
D'après l'analyse cognitive des politiques publiques, il y a changement de politique
24
publique lorsque l'on peut constater trois modifications :
-un changement des objectifs de la politique publique,
23
Le texte de référence en la matière est la loi relative aux installations classées pour la protection de l'environnement du 19
juillet 1976 et le décret correspondant, paru le 21 septembre 1977.
24
22
Muller, Pierre. Les politiques publique –8ème édition. Paris: presses universitaires de France, 2009, p. 69.
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
-un changement des instruments,
- un changement des cadres institutionnels qui structurent l'action publique dans le
domaine concerné.
L'analyse cognitive des politiques publiques, en prenant en compte à la fois les
contraintes des structures et des normes et la marge de manœuvre dont disposent les
acteurs, nous permet de comprendre d'où proviennent les changements dans les politiques
publiques. Concernant les politiques de prévention des risques industriels on ne peut
réellement constater une rupture en termes d'objectifs ou d'instruments. On observe malgré
tout des transformations lentes qui tendent à modifier en profondeur certains aspects de
ces politiques publiques.
La réglementation concernant les risques industriels, qu'elle soit nationale ou
européenne, a été progressivement modifiée et approfondie jusqu'à aboutir aujourd'hui à
des objectifs de réduction des risques à la source et de maîtrise de l'urbanisation autour
des zones à risque. On peut néanmoins noter un changement majeur concernant la façon
dont sont envisagés les rapports entre ville et industries. Alors que l'idée de délocaliser
certaines exploitations classées « Seveso » seuil haut en dehors des villes avait jusque là
primé, la loi de 2003 inverse la tendance. Avec les PPRT, l'idée dominante est de créer
autour des sites industriels une « zone-tampon ». Il ne s'agit plus d'amener les industries à la
campagne mais de re-créer la campagne autour des industries. En limitant les possibilités de
construction autour des sites et en développant des procédures permettant l'expropriation
ou la préemption des habitations proches, la loi cherche à développer des espaces nonurbanisés qui permettront à terme de résoudre le problème de la cohabitation ville-industrie.
Cette nouvelle façon de faire comprend donc un changement de méthode radical.
Parallèlement à ces nouveaux objectifs, réapparaît le besoin de plus de transparence
et d'ouverture dans les processus.
Les instruments utilisés par les acteurs traditionnels ne sont pas neutres, ils sont
porteurs à la fois de valeurs et d'objectifs. La mutation de certains objectifs entrainent donc
des modifications dans la forme que prennent ces instruments ainsi que dans l'usage qu'en
font les acteurs.
La rupture, dans la façon d'envisager les rapports entre la ville et l'industrie, que
25
représente la loi du 22 juillet 1987 , entraine l'apparition de certains instruments. Pour faire
face à ces nouveaux cadres d'action, les instruments juridiques sont modifiés ou renforcés.
Par exemple, la loi modifie le Code de l'environnement pour permettre aux collectivités
territoriales d'agir sur l'urbanisation. Suite aux lois de décentralisation, les collectivités
territoriales disposent de nouvelles prérogatives qui leur permettent de jouer un rôle accru
26
dans la maitrise de l'urbanisme via de nouveaux outils.
On observe un phénomène similaire pour les outils étatiques. Ils ont été transformés
pour être en adéquation avec les compétences mais aussi les attentes d'autres acteurs.
Enfin les cadres institutionnels ont peu évolué, les institutions traitant des risques
industriels restent largement stables. Au delà des modifications liées à la modernisation de
l'État, les services déconcentrés en charge des risques industriels restent globalement les
mêmes. Les autres acteurs ayant un rôle clef en terme de prévention des risques, à savoir
25
Loi du 22 juillet 1987 relative à l’organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt contre l’incendie et à la prévention
des risques majeurs.
26
Bonnaud, Laure. Martinais, Emmanuel. « Des usines à la campagne aux villes industrielles », Développement durable et
territoires [En ligne] , Dossier 4 : La ville et l'enjeu du Développement Durable , mis en ligne le 04 juin 2005, p. 11.
Hochart Clémentine - 2011
23
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
les exploitants ainsi que les collectivités territoriales (en particulier les communes), sont des
acteurs historiquement impliqués dans ces politiques publiques.
Les critères proposés par l'analyse cognitive des politiques publiques nous permettent
de montrer que les politiques de prévention des risques industriels, même si elles ont subi
un certain nombre de modifications au cours du temps et des accidents, n'ont pas fait
face à un changement radical depuis l'accident d'AZF. Nous sommes davantage dans une
transformation lente des politiques publiques en matière de prévention et d'information sur
les risques industriels qui trouve ses origines bien avant les années 2000.
En dépit des transformations, plusieurs acteurs dominants apparaissent: l'État et
ses services déconcentrés, les exploitants et dans une moindre mesure les collectivités
territoriales, en particulier les communes. Ces acteurs disposent de la capacité, plus ou
moins importante, d'influer sur la décision et les processus dans lesquelles elle est prise.
La délibération comme nouvelle légitimation des politiques
publiques?
L'apparition de la norme délibérative dans les politiques publiques sur les
risques industriels.
La loi relative à la prévention des risques technologiques et naturels de juillet 2003 innove
dans plusieurs domaines, en particulier sur l'information et la prévention. Elle s'inscrit
dans un mouvement plus global d'ouverture et de transparence des politiques publiques
à des acteurs qui en étaient exclus jusque là. L'accident d'AZF est, en effet, révélateur
d'une défiance des citoyens et d'associations à l'égard de l'expertise provenant du monde
industriel mais aussi des services de l'État. La loi Bachelot est animée par la volonté
politique de réaffirmer la légitimité de la puissance publique dans les politiques de prévention
des risques industriels. C'est pourquoi elle cherche à promouvoir « l'élargissement des
27
cercles de décision et la reconnaissance de nouveaux acteurs » . Cette tendance à la
participation n'est cependant pas nouvelle, elle s'inscrit dans une transformation progressive
de l'action publique et de la manière dont elle est conçue et mise en œuvre. L'essor de cette
tendance est à replacer dans un contexte où les contestations et les mouvements sociaux
se développent sur des thématiques comme l'environnement, l'urbanisme ou encore les
transports, ce qui questionne la place du citoyen dans la conception et la mise en œuvre
des politiques publiques.
Plusieurs auteurs considèrent que cette suspicion du public pour des acteurs
auparavant considérés comme omniscients et infaillibles (savants, experts...) n'est pas
28
propre aux politiques publiques de prévention des risques industriels. A partir de la fin
des années 1960 apparaît progressivement une remise en cause d'un système dans lequel
l'État, et ses services déconcentrés, est au centre des processus et contrôle la totalité
de la politique publique. D'après Cyril Lemieux et Yannick Barthe, les années 2000 voient
l'émergence d'une « nouvelle donne configurationnelle dans les rapports entre État et
27
Nonjon, Magali. Duchene, François. Lafaye, Françoise (ccord.). Martinais, Emmanuel. Ouvrir la concertation sur les risques
industriels. La constitution du CLIC de Feyzin. Programme Risque Décision Territoire, 2007, p. 13.
28
Callon, Michel. « Des différentes formes de démocratie technique » in Risque et démocratie: savoirs, pouvoir, participation,
vers un nouvel arbitrage ? (dir) Institut des Hautes Etudes de le Sécurité Intérieure. Paris: Les cahiers de la sécurité intérieure, 1999,
n°38, p. 37-54.
24
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
29
gestion des risques collectifs » . La remise en cause de l'omniscience de l'État entraine
une plus grande fragilité des instruments scientifiques et techniques utilisés jusque là par
les services administratifs pour justifier leurs actions (ou l'absence d'action). Ce scepticisme
du public mais aussi de certaines collectivités territoriales face aux instruments utilisés et à
l'expertise proposée s'est accompagné d'une montée en puissance des controverses.
L'État et ses services, soumis à de nouvelles exigences d'efficacité, sont plus
susceptibles d'être sujets aux critiques de la part de citoyens qui sont devenus à la fois
contribuables et clients. Ainsi, la remise en cause de l'omniscience de l'État entraine un
affaiblissement de la légitimité de ses actions: la référence à l'intérêt général n'est plus un
critère suffisant pour légitimer une action publique. Les compétences des acteurs autrefois
porteurs de cet intérêt général sont remises en cause. L'apparition de controverses dans
l'espace public accentue également le changement de la perception de la place dominante
de l'État dans la société. Les citoyens, à travers la multiplication de ces controverses,
s'impliquent davantage dans la fabrique des politiques publiques afin de défendre leurs
intérêts, qu'ils soient personnels ou collectifs.
Pour revenir aux risques industriels, l'accident d'AZF est révélateur de cette défiance
citoyenne ainsi que des controverses qui peuvent apparaître dans l'espace public. Par
exemple, la catastrophe a réactualisé le problème de l'information des citoyens. Pour
répondre aux critiques d'associations et d'élus sur les carences existantes, le thème est
revenu sur le devant de la scène.
Face aux expertises produites par les industriels ou par les services de l'État, se
développent des mouvements de contestation. Ceci est d'autant plus vrai lorsque ces
acteurs, pourtant chargés d'assurer la sécurité sur et autour des exploitations industrielles,
se montrent incapables de prévoir et de maitriser certains évènements.
Cette défiance s'explique aussi par un changement de paradigme. Les politiques de
prévention des risques industriels se sont longtemps inscrites dans une perspective de
« risque zéro » où la maîtrise de l'État était totale. Or, les accidents industriels sur le
territoire français et à l'étranger qui ont marqué ces dernières décennies ont montré que la
proximité entre équipements industriels de grande taille et tissu urbain dense, sans devoir
être complètement remise en cause, pose question.
Afin de répondre aux contestations sur la place de l'industrie en milieu urbain et de
redonner une légitimité aux actions menées par ses services, l'État a légiféré pour mettre
en place des procédures qui visent à élargir le cercle des acteurs pouvant y participer. Ces
procédures, qui instaurent des espaces publics de débat, doivent contribuer à enrichir les
interventions des pouvoirs publics.
Là encore ce mouvement d'ouverture n'est pas propre aux risques industriels. Mais
l'introduction de nouvelles procédures incluant davantage d'acteurs dans des processus
jusque là très fermés entraîne une lente évolution dans la conception de l'action publique
en matière de risques industriels.
De plus, cette nouvelle façon de concevoir l'élaboration et la mise en œuvre des
politiques publiques « contribue à brouiller les frontières habituelles entre spécialistes et
29
Lemieux, Cyril. Barthe, Yannick. « Les risques collectifs sous le regard des sciences du politique. Nouveaux chantiers,
vieilles questions », Politix, n°44, 1998, p. 15.
Hochart Clémentine - 2011
25
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
30
non-spécialistes » . On aurait donc des politiques publiques légitimées par la construction
d'espaces publics de discussion se présentant sous des formes et des structures diverses.
Avec la multiplication des lieux de discussion, l'autorité publique doit donc apprendre
à mettre en forme et présenter des projets qui sont lisibles. En ce sens on peut
dire que l'apparition d'une rhétorique de la concertation a un effet bénéfique sur les
politiques publiques et leur fonctionnement: en remettant en cause l'ordre hiérarchique et
la domination de certains acteurs, les lieux de discussion permettent de faire émerger de
nouveaux savoirs ainsi que de nouvelles pratiques.
Cette vision optimiste du rôle de ces nouveaux espaces de discussion se heurte
néanmoins à quelques obstacles. En effet selon la façon dont ils sont définis, ces espaces
de concertation sont plus ou moins porteurs d'ouverture ou de démocratisation.
« Délibération », « concertation », « gouvernance »: plusieurs notions pour
une même réalité ?
Avant d'aller plus loin, il semble nécessaire de s'accorder sur le contenu de certaines
notions. Comme nous l'avons évoqué, les thèmes « concertation », « délibération » ou
encore « gouvernance » sont fréquemment utilisés, soit par les « acteurs traditionnels » pour
justifier leurs choix et leurs actions et mettre en avant la légitimité de leurs décisions, soit par
des acteurs plus nouveaux, comme des associations ou des riverains, pour s'opposer aux
décisions ou pour faire valoir leurs droits. Ces notions renvoient chacune à une réalité plus
ou moins bien définie. Le flou maintenu autour de ces notions témoigne de l'opportunisme
de certains acteurs: l'usage de ces termes peut permettre de légitimer des décisions qui
sont présentées comme découlant d'un processus ouvert et concerté.
Ces termes sont identifiés à de nouvelles formes de participation qui consistent en
« l'association croissante d'acteurs non institutionnels (associations, groupes d'intérêts,
citoyens ordinaires) à l'élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques par le
31
biais de procédure plus ou moins innovantes » .
Plus généralement on peut rattacher ces notions à la thématique de démocratie
délibérative, tirée des travaux de Jürgen Habermas. Selon le philosophe allemand, la norme
n'est légitime que si elle repose sur l'intérêt général et qu'elle est adoptée à la suite d'un
processus de délibération auquel l'ensemble des citoyens peuvent participer. D'après cette
définition on peut en déduire que la délibération consiste en une décision collective qui
est issue d'une procédure longue dans laquelle on recherche l'accord et le compromis; la
délibération exige à la fois la participation du plus grand nombre et le consensus entre les
32
participants, ce qui accroit la qualité et la légitimité de la décision .
La concertation quant à elle, est une consultation des parties concernées qui intervient
avant la décision. C'est donc davantage un moyen d'action que la délibération. Elle est
appréhendée comme un moyen « pour anticiper et/ou résoudre des situations de conflits
30
Callon, Michel. « Des différentes formes de démocratie technique » in Risque et démocratie: savoirs, pouvoir, participation,
vers un nouvel arbitrage ? (dir) Institut des Hautes Etudes de le Sécurité Intérieure. Paris: Les cahiers de la sécurité intérieure, 1999,
n°38, p. 46.
31
Halpern, Charlotte. « Concertation, délibération, négociation ». in Dictionnaire des politiques publiques (dir) boussaguet,
ème
Laure. Jacquot, Sophie. Ravinet, Pauline.3
édition actualisée et augmentée. Paris : les presses de Sciences PO, 2010, p.156.
32
Halpern, Charlotte. « Concertation, délibération, négociation ». in Dictionnaire des politiques publiques (dir) Boussaguet,
ème
Laure. Jacquot, Sophie. Ravinet, Pauline.3
édition actualisée et augmentée. Paris : les presses de Sciences PO, 2010, p.157.
26
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
33
dans l'action publique » entre les différentes parties prenantes. En effet, les différents
acteurs prenant part à la concertation ont la possibilité de se faire entendre et de faire valoir
leurs arguments.
C’est le problème de toute concertation, à partir du moment où vous acceptez
la règle du jeu c'est-à-dire j’écoute les autres, j’écoute leur idées, j’accepte
que le fait que je ne vais pas pouvoir faire passer toutes mes idées, je vais
être obligé d’en prendre des autres et les autres devront prendre quelques
unes des miennes, c'est-à-dire on va trouver un accord. Je n’aime pas le terme
34
« compromis » mais c’est dans cet esprit là.
Comme l'extrait ci dessus le montre, il peut exister une certaine confusion entre les
notions de concertation et de délibération qui sont souvent perçues comme assez
similaires, chacune représentant pourtant une conception particulière de la participation.
Les processus de « concertation » et de « délibération » cherchent tous les deux à aboutir
à des solutions acceptées par le plus grand nombre: c'est à dire à atteindre une forme
de consensus autour de l'action publique. Cependant il existe une nuance entre les deux
notions. La « concertation » s'éloigne de l'idée de démocratie délibérative d'Habermas
puisque les acteurs prenant part aux processus de concertation ne sont pas forcément
sur un pied d'égalité, contrairement à la délibération. La puissance publique a souvent le
dernier mot, elle n'est pas dans l'obligation de suivre les recommandations ou demandes
des acteurs.
Ces notions renvoient à des réalités très différentes les unes des autres, ce qui
les rend difficile à appréhender. La loi de 2003 relative à la prévention des risques
technologiques et naturels s'inscrit donc dans cette tendance au débat et à la discussion et
fixe un cadre général dans lequel doivent s'inscrire les différents processus de concertation
et de délibération. La pratique montre cependant que ces processus varient selon les
objets et les lieux, selon leur statut juridique, selon le public concerné ou encore selon
l'importance du processus dans la décision finale. De plus, il convient « de ne pas confondre
communication, diffusion d'information, organisation de débats publics [concertation par
exemple] et participation aux décisions [délibération]. Il s'agit d'activités bien distinctes mais
35
beaucoup de flou opportuniste est entretenu entre elles, le moins laissant croire le plus ».
La gouvernance pour sa part renvoie à une réalité plus floue et plus variable encore.
Elle est décrite par Patrick Le Galès comme les différentes « formes de coordination, de
pilotage et de direction des secteurs, des groupes et de la société, au delà des organes
36
classiques du gouvernement » .
La gouvernance serait alors organisée autour de quatre caractéristiques principales:
Un polycentrisme institutionnel, c'est à dire une grande complexité institutionnelle qui ne
permet pas aux acteurs de distinguer un lieu unique de pouvoir, de décision et d'exécution,
33
34
Ibid, p. 157.
Annexe 2 : Entretien SPIRAL/DREAL
35
Callon, Michel. Lascoumes, Pierre. Barthe, Yannick. Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. Paris :
Editions du Seuil, septembre 2001, p. 311.
36
Le Galès, Patrick. « Gouvernance » in Dictionnaire des politiques publiques. (sous la direction de) Boussaguet, Laurie.
ème
Jacquot, Sophie. Ravinet, Pauline. 3
édition actualisée et augmentée. Paris : les presses de Sciences PO, 2010, p. 299
Hochart Clémentine - 2011
27
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
Une frontière entre le secteur public et le secteur privée floue : les acteurs privés ont
accès à un certain nombre de processus de décision et détiennent un certain pouvoir ce qui
leur permet d'influer sur les choix finaux,
La dimension procédurale occupe une place plus importante que dans les formes
classiques de gouvernement,
Le rapport à la contrainte et à l'autorité est perçu différemment: l'autorité est conçue de
façon plus horizontale et coopérative.
La gouvernance constitue une alternative face à l'incapacité des gouvernements à
faire face aux problèmes contemporains ou à l'évolution de la société. On passe alors par
une forme plus souple de pouvoir politique dans laquelle vont intervenir un grand nombre
37
d'acteurs qui ne sont pas forcément étatiques ni même publics. Alors que les notions de
« concertation » et de « délibération » sont applicables au moins en partie aux évolutions qui
traversent les politiques de prévention des risques, la gouvernance reste encore un concept
vers lequel certains acteurs souhaitent tendre.
Le recours à la concertation et à des procédures plus ouvertes a été systématisé par la
loi Bachelot dans le but de donner plus de légitimité aux décisions prises. Cette concertation
est vue comme un moyen de faire progresser plus rapidement les politiques en matière de
prévention des risques industriels. En forçant les acteurs clefs à se réunir régulièrement la
concertation permet d'instaurer de meilleures relations entre ces mêmes acteurs:
Donc le réseau il existe et les relations honnêtement, elles sont, je trouve, plutôt
très bonnes j'ai envie de dire entre les maires, l'État, les exploitants. Ils se
connaissent depuis longtemps. Il y a aussi ce côté « histoire » qui fait que l'on se
comprend mieux, on s'écoute aussi, et ce n'est pas rien (rires). Au début c’est
comme dans toutes les relations, vous arrivez avec beaucoup d'à priori, vous ne
connaissez pas les gens et puis après un certain nombre d'années cela crée des
38
liens.
L'utilisation de procédures plus concertées, qui poussent les acteurs à coopérer davantage
entre eux, contribue à faire évoluer les politiques mises en place.
Cependant, l'usage extrêmement fréquent de ces notions nous amène à nous interroger
sur la réalité qu'elles désignent. Comme nous l'évoquions, les notions d'ouverture ou de
concertation par exemple sont de nouveaux outils pour l'État et ses services. En mettant
en place des instances plus ouvertes et plus transparentes la puissance publique répond
en partie aux attentes de l'opinion publique: l'essor des dispositifs délibératifs témoignerait
de la bonne volonté des services étatiques à mettre en œuvre cette notion théorique qu'est
la démocratie délibérative. Or la concertation reste une notion difficile à mettre en œuvre.
C'est pour cette raison que l'on observe de grandes disparités tant sur la forme et la portée
juridique de ces dispositifs que sur la situation ou le milieu dans lesquels ils s'inscrivent.
De plus, le flou juridique qui entoure ces notions permet à chaque acteur de les interpréter
et de les utiliser selon des objectifs particuliers et non dans le but de répondre à des
problématiques d'intérêt général.
La loi Bachelot est donc le produit d'une histoire complexe qui cherche à faire cohabiter
des intérêts souvent contradictoires, parfois conflictuels. En inscrivant l'information et la
prévention sur les risques industriels elle s'insère dans une tendance visant l'ensemble
37
38
28
Ibid. p. 300-301
Annexe 2 : Entretien SPIRAL/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
de l'action publique. Il s'agit de renforcer les dispositifs de concertation déjà en place et
d'amener plus de transparence dans les processus de décision et de mise en œuvre.
« L'impératif délibératif » est aujourd'hui une réalité à laquelle les « acteurs traditionnels »
doivent s'adapter. A travers l'exemple de la campagne d'information à destination du public
« Les bons réflexes » de 2008, nous verrons dans un second chapitre comment ces
nouveaux outils sont appliqués.
Chapitre 2: La campagne de 2008, un cadre propice à
l'ouverture ?
La loi de 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels présente
l'information du public comme un axe majeur des politiques de prévention des risques
industriels. Les premières campagnes d'information du public sur les risques industriels qui
les entourent apparaissent cependant avant 2003. Néanmoins la loi Bachelot donne une
nouvelle impulsion à ce type de démarche en replaçant l'information du public au cœur
de l'action. La campagne d'information de 2008 s'inscrit dans cette dynamique d'ouverture
et de concertation présentée dans le chapitre précédent. A travers l'organisation et le
poids respectifs des différents protagonistes nous montrerons que la campagne a créé des
opportunités d'ouverture sans réellement bouleverser l'ordre des choses.
Les campagnes d'information, entre obligation réglementaire et
volontarisme des acteurs.
Des campagnes d'information issues de la pratique.
Les campagnes d'information du public sur les risques industriels majeurs découlent d'une
obligation réglementaire. Il est prévu à l'article L. 125-2 de la version consolidée du code
de l'environnement que les citoyens disposent d'un droit à une information sur les risques
naturels et technologiques auxquels ils sont soumis. De ce droit à une information résultent
plusieurs dispositifs dont l'État, les industriels et les élus sont les principaux artisans, chacun
avec ses propres obligations.
Pour une information générale sur les risques industriels qui les entourent les citoyens
peuvent se référer au DICRIM, dossier établi par le préfet ainsi qu'au DDRM, établi pour sa
part par la commune. Ces documents informent les citoyens des risques technologiques et
naturels environnants ainsi que des mesures de prévention qui existent dans le département
et la commune.
En plus de ces dossiers, il existe des documents spécifiques à certains types
d'établissement. Le préfet doit faire établir des brochures d'information aux citoyens
concernés par l'application des Plans Particuliers d'Intervention (PPI). En effet ces PPI ne
concernent que certains établissements industriels (dont les installations classées Seveso
« seuil haut » font parties). Ils doivent permettre à l'administration d'anticiper et de mettre
en œuvre les moyens nécessaires à la protection de la population et de l'environnement
avoisinant en cas d'incident susceptible d'avoir un impact en dehors de l'établissement
SEVESO. Les PPI concernent donc des installations industrielles qui sont particulièrement
Hochart Clémentine - 2011
29
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
soumises aux risques. En ce sens il a été jugé nécessaire de fournir des informations plus
fouillées que celles contenues dans les dossiers d'information départemental ou communal.
La nature de ces documents d'information pour les citoyens résidant dans une zone
39
concernée par un PPI a d'abord été établie par la loi du 22 juillet 1987 qui prévoyait
l'existence d'une brochure d'information publique publiée de manière régulière et aux frais
de l'exploitant.
Cette loi a été abrogée par la loi 2004-811du 13 août 2004 relative à la modernisation
de la sécurité civile. Pour permettre l'application de l'article 15 de la loi de 2004, le décret
n°2005-1158 du 13 septembre 2005 relatif aux plans particuliers d'intervention concernant
certains ouvrages ou installations fixes a été pris.
Il est stipulé à l'article 9 du décret 2005-1158 du 13 septembre 2005 les choses
suivantes:
En liaison avec l'exploitant, le préfet fait établir les documents d'information
des populations comprises dans la zone d'application du plan. Ces documents
sont composés au minimum d'une brochure et d'affiches. La brochure porte
à la connaissance de la population l'existence et la nature du risque, ses
conséquences prévisibles pour les personnes, les biens et l'environnement, les
mesures prévues pour alerter, protéger et secourir. Les affiches précisent les
40
consignes de sécurité à adopter en cas d'urgence.
Contrairement au DICRIM et au DDRM, ces documents d'information sont à la charge de
l'exploitant tant pour l'édition que pour la distribution aux habitants. En effet, il est indiqué que
des documents d'information doivent être délivrés aux habitants sans que ceux ci n'aient à
faire la demande ni à se déplacer. Cependant, l'existence d'une campagne d'information à
l'échelle de la région n'est nullement indiquée dans les textes.
L'article 9 du décret du 13 septembre 2005 prévoie que les modalités d'élaboration et
de diffusion des documents ainsi que le contenu seront fixées dans un arrêté conjoint des
ministres chargés de la sécurité civile, de la défense, de la santé et de la prévention des
risques majeurs; c'est chose faite avec l'arrêté du 10 mars 2006 relatif à l'information des
populations.
C'est dans ce cadre réglementaire que s'inscrivent les campagnes d'information à
destination du public menée depuis les années 1990 en région Rhône-Alpes.
Jusqu'à la campagne de 2008 à l'échelle de la région, l'information délivrée était
alors disparate selon les zones concernées et variait fortement selon l'implication et la
bonne volonté des acteurs. Une première tentative de mutualisation de l'information a été
menée au printemps 2003. Les préfets des départements de l'Isère et du Rhône Face ont
souhaité fédérer leur moyens et mener conjointement une campagne d'information dans les
deux départements. Le SPIRAL, secrétariat permanent pour la prévention des pollutions
industrielles et des risques dans l'agglomération lyonnaise, et le SPPPY, secrétariat
permanent pour la prévention des pollutions et des risques dans la région grenobloise
(anciennement CIRIMI, Comité pour l'information sur les risques industriels majeurs dans le
département de l'Isère) ont été chargés de mettre en œuvre et de coordonner la campagne.
Au total 53 établissements industriels Seveso « seuil haut » ainsi que 142 communes ont
été concernées par la campagne conjointe.
39
40
30
relative à l'organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt contre l'incendie et à la prévention des risques majeurs
Article 9 du décret n°2005-1158 du 13 septembre 2005 tel que modifié par le décret 2011-220 du 25 février 2011
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
Les secrétariats permanent pour la prévention des pollutions industrielles (SPPPI) Le
SPIRAL est l’un des treize SPPPI créés en France. Ce sont des structures administratives
dont le rôle est défini à l'article D 125-36 du Code de l'environnement: ils servent de relais
de l'information de l'administration et de lieux de concertation. Les deux premiers SPPPI
voient le jour au début des années 1970 dans les Bouches du Rhône et en Basse-Seine
pour gérer des situations de crise où, face à un essor industriel exponentiel, les plaintes
des riverains se multiplient. Ces derniers se mobilisent pour préserver leurs conditions de
vie qu'ils considèrent menacées par le développement de l'industrie. Ce n'est qu'à partir
des années 1990 que se développent les autres SPPPI, dont le SPIRAL en Région Rhône
Alpes. Le SPIRAL est une structure locale d'information et de concertation qui réunit des
représentants des acteurs locaux concernés par l’environnement industriel divisés en
quatre collèges: les administrations d’État: des représentants de la préfecture du Rhône
ainsi que l'ensemble des services déconcentrés départementaux et régionaux ayant des
compétences en matière d'environnement comme la DREAL et la DDT, les collectivités
territoriales: la région, le département, le Grand Lyon ainsi que des villes de l'agglomération
concernées par les risques (Lyon, Feyzin, Saint Fons...) les industriels: le Groupement des
Industries Chimiques et Connexes Rhône-Alpes (GICCRA), l'association des entreprises
de Rhône-Alpes pour l'environnement industriel APORA, la Chambre de commerce et
d'industrie du Rhône, le groupement des industriels lyonnais etc. les associations de
consommateurs ou de protection de l’environnement comme la Fédération Rhône-Alpes
de Protection de la Nature et des personnalités qualifiées. Son organisation comprend
notamment une Commission Permanente présidée par le Préfet du Rhône qui pilote
l’ensemble des travaux du SPIRAL et des groupes de travail de composition multipartite
qui œuvrent sur des thèmes spécifiques : air, eau, déchets, risques industriels, transports
des matières dangereuses... Le groupe de travail SPIRAL Risques industriels a été crée en
1991 dans le but de promouvoir une culture du risque industriel dans l'agglomération. Il a
une force de propositions pour améliorer la maitrise des risques et l'information préventive
du public, de mener des actions de sensibilisation et d'information mais aussi de favoriser le
retour d'expérience et l'échange de bonnes pratiques. Compte tenu du peu de formalisme
et de contrainte qui existe, le SPIRAL a très rapidement su intégrer différents acteurs, en
particulier les industriels qui se sont fortement investis dans le groupe de travail « Risques
industriels ». Le CIRIMI, devenu SPPPY depuis le 30 avril 2010, a été crée le 29 mars
1999. Cette transformation doit permettre à la structure de développer ses actions non plus
uniquement sur les risques industriels mais sur les problématiques environnementales et
de répondre aux critiques sur une information plus complète et une meilleure concertation.
Le SPPPY répond aux mêmes missions que le SPIRAL à savoir le développement
d'échanges d'information et de concertation, la production ainsi que la coordination des
actions d'information des populations. A la différence du SPIRAL il se structure autour
de cinq collèges: les services de l’État, les acteurs économiques, les représentants des
salariés, les élus locaux et les représentants des collectivités territoriales, et les membres
d’associations pour la protection de l’environnement.
Malgré l'importance de la mobilisation, la campagne d'information de 2003 n'a pas
été un franc succès. L'enquête publique menée après-coup par le SPIRAL et le SPPPY,
censée témoigner de l'impact de la campagne auprès du public, et dans une certaine
mesure, légitimer les efforts et le rôle des acteurs ayant œuvré pour la campagne, a révélé
de nombreuses lacunes concernant la connaissance des risques industriels ainsi que des
consignes à tenir en cas d'accident. Au delà des consignes la campagne de 2003 n'a pas
Hochart Clémentine - 2011
31
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
trouvé son public, puisque un an après la campagne 74% des personnes interrogées n'en
41
n'avaient pas de souvenir.
Un volontarisme des acteurs qui passe par l'échelon régional.
Face au semi-échec des campagnes précédentes, en particulier celle de 2003, plusieurs
constats se sont imposés aux différents acteurs. Une des premières modifications qui
est apparue comme essentielle concerne l'impact de la campagne auprès du public. La
mutualisation des moyens au niveau régional permet de donner plus de lisibilité aux
actions des différents acteurs que sont l'État, les industriels et les collectivités territoriales.
Cependant il est important que l'information sur les risques soit considérée comme fiable
afin d'être bien reçue par les citoyens. En ce sens sa source d'émission doit être crédible.
Or il existe un certain scepticisme autour de l'information délivrée par les exploitations
industrielles. En effet ces dernières peuvent ne pas apparaître aux yeux du grand public
comme les plus à même pour délivrer une information impartiale sur les risques qui existent
au sein de leur établissement.
C'est pourquoi la campagne de 2008 s'appuie sur l'expérience du SPIRAL et du
SPPPY, à l'époque CIRIMI, deux structures collégiales qui réunissent en leurs seins
différents acteurs clefs en matière de prévention des risques industriels. Cette collégialité
doit permettre de gagner en objectivité et en crédibilité aux yeux du grand public.
En comparaison avec les actions menées en 2003, l'organisation d'une campagne
d'information régionale a permis un meilleur respect des obligations réglementaires mais
la mutualisation a aussi autorisé les acteurs à mener des actions allant au delà du cadre
réglementaire, et ce en proposant des supports plus diversifiés.
Pour résumer nous pouvons trouver trois raisons principales qui expliquent l'idée d'une
campagne régionale.
Une campagne régionale permet de dispenser une information complète et homogène
sur l'ensemble du territoire. L'idée sous-jacente est de développer un discours unique
malgré une pluralité d'acteurs et donc d'accroître l'impact de la campagne et la lisibilité des
informations délivrées:
L’information est respectable puisqu’elle est délivrée par plusieurs acteurs
comme les gens de l'État, les industriels, les maires etc. Tout le monde met sa
signature en bas du document. C’est un peu la preuve que l’information est
validée par tous, on fait passer le message « on valide ce qu’il y a là dedans ».
Ça permet de donner plus de portée auprès du public, ça donne une information
plus complète, validée par différents points de vue. On a donc donné plus de
puissance au message diffusé et fait plus que ce que prévoit la loi puisque on a
42
l’intégration d’autres acteurs que uniquement l'État ou les industriels.
Deuxièmement cela permet une mutualisation des moyens humains et financiers, ce qui
représente un avantage considérable pour les industriels. En effet, mutualiser les moyens
permet de réaliser des gains d'échelles. Les industriels participent financièrement en
fonction des risques qu'ils produisent produisent et du territoire qui les concernent:
41
Spiral, Cirimi. [En ligne]Enquête de perception de la campagne 2003 d'information du public sur les risques industriels
dans les départements du Rhône et de l'Isère. Juin-juillet 2004 [page consultée le 4 juillet 2011] http://www.irma-grenoble.com/PDF/
actualite/articles/resume_enquete_campagne_2003.PDF
42
32
Annexe 3 : Entretien CIRIMI/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
[…] il y a une règle de répartition en fonction du rayon, du nombre de communes
concernées, du nombre d'habitants. Un gros établissement qui touche beaucoup
de population va payer plus cher qu'un petit qui ne touche qu'une partie d'une
43
commune de 2000 habitants. Ce qui est un peu normal.
Ce mode de fonctionnement au prorata permet un équilibre en terme de participation
financière entre les établissements industriels. De plus, compte tenu de la portée régionale
de la campagne, d'autres acteurs (en particulier les collectivités territoriales) ont participé
au financement. La campagne de 2003 a couté environ 500 000 euros tandis que les
dépenses pour celle de 2008 se sont élevées à presque 809 000 euros. La répartition des
financements pour la campagne de 2003 était la suivante: les industriels ont participé à
hauteur de 75%, l'État et les collectivités territoriales à 12,5 %. Proportionnellement, on
observe une baisse de la participation financière des industriels en 2008 (69,55%) tandis
que la participation de l'État ne varie que très légèrement (11,66%). L'effort financier revient
aux collectivités territoriales qui par le biais de subventions ont fortement contribué au
financement: leur participation financière s'élève à environ 18,5 % des dépenses totales.
On peut noter que les dépenses liées à la distribution des documents, normalement sous la
responsabilité des exploitants ont été prises en charge par les communes. Ces dépenses
ne sont pas chiffrées dans le bilan de la campagne 2008.
Enfin, la mutualisation, en augmentant le nombre d'acteurs participant financièrement à
la campagne, a permis d'augmenter le budget disponible pour mener à bien les obligations
réglementaires mais aussi pour pouvoir aller parfois au delà.
L'échelon régional semble être en mesure d'offrir un cadre d'action satisfaisant pour la
plupart des acteurs. En effet, les acteurs engagés dans la campagne sont, pour la plupart,
déjà structurés en réseaux, qui pour la plupart opèrent au niveau régional. En s'appuyant
sur les réseaux existants comme ceux du SPIRAL ou du CIRIMI, l'échelon régional est
apparu comme le plus pertinent pour permettre la diffusion d'une information homogène.
Les industriels sont par exemple déjà structurés au niveau régional, on peut citer ici l'Union
des Industries Chimiques (UIC) Rhône Alpes. Il en va de même pour les associations qui
participent à la campagne comme la FRAPNA: en plus de ses antennes départementales
l'association s'organise autour d'une fédération régionale.
La campagne d'information du public 2008 représente une réelle avancée en terme
d'information du public. Bien que les campagnes s'inscrivent dans un cadre réglementaire
strict, rien n'oblige les acteurs à se réunir pour produire un travail collectif. L'importance et
la forme qu'a revêtit la campagne de 2008 sont donc à souligner:
Normalement la loi oblige la publication de plaquettes et d’affichage public. Avec
la campagne de 2008 on a fait plus que les plaquettes et les affichages publics
car on a travaillé avec des nouveaux relais: on a eu des activités avec l’éducation
nationale, on a distribué des dossiers d’informations aux relais d’opinion et puis
il y a eu le site Internet. C’est un outil essentiel pour plus de visibilité et plus de
44
diffusion du message.
Cette collégialité est souvent mise en avant pour mieux valoriser la campagne mais aussi
les acteurs, en particulier leurs efforts en terme de transparence et d'ouverture. Pour pouvoir
témoigner d'une réelle ouverture et d'effort de délibération, il convient de s'attarder sur
l'organisation et le fonctionnement de cette campagne.
43
Annexe 4 : Entretien APORA
44
Annexe 3 : Entretien CIRIMI/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
33
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
Pour pouvoir confirmer ou infirmer cette hypothèse, il nous semble nécessaire de nous
attarder sur l'organisation et le fonctionnement pratique de cette campagne. Les succès
de la campagne ont été mis en avant par ses producteurs aussi bien sur le plan de la
communication avec le grand public que sur les innovations en matière de concertation et
de transparence.
Organisation et fonctionnement de la campagne: un exemple de
concertation réussi ?
L'organisation théorique de la campagne d'information 2008: entre
collégialité et concertation.
L'organisation et le fonctionnement théoriques de la campagne témoignent d'une ouverture
des processus de décision à « l'impératif délibératif » évoqué dans le chapitre précédent. En
effet la campagne régionale de 2008 est articulée autour de deux instances décisionnelles:
le Comité de pilotage (« Copil ») et la Commission régionale. A travers elles, de nombreux
acteurs ont été intégrés.
Le Copil regroupait des industriels, plusieurs représentants des services de l'Etat
(DREAL, Service interministériel de défense et protection civile, le SID-PC), ainsi que
du Spiral, un représentant d'AMARIS (Association nationale des communes pour la
maitrise des risques technologiques majeurs), un représentant de l'éducation nationale, un
représentant d'association ainsi qu'un représentant de l'institut des risques majeurs (IRMA):
Au niveau du comité de pilotage c'était beaucoup plus éclectique, on a essayé
de mettre les représentants de chaque département mais on a plutôt vu des
industriels et des gens de la préfecture. Au niveau du comité de pilotage
c'est sûr on aurait pu faire encore mieux. C'est vrai, il y a eu peu d'associatifs
mais il faut aussi comprendre que cela pose un réel problème de temps. Les
associations n'ont pas le temps, on ne les finance pas, enfin elles n'étaient pas
subventionnées ou indemnisées. Ça pose des problèmes, elles ne disposent pas
non plus d'assez de permanents en tout cas pas pour ces domaines là. On n'a
45
pas pris non plus de représentants des salariés. Après on était une vingtaine.
Lorsque l'on regarde l'organisation théorique de la campagne, le Copil peut être considéré
comme la clef de voute du système. En effet, ce dernier est chargé de définir les actions,
de prendre les décisions et de vérifier la faisabilité opérationnelle ainsi que financière des
opérations. Le Copil doit rendre compte de l'avancée des actions et de la campagne devant
la commission régionale.
Cette dernière, quant à elle, réunit six groupes d'acteurs identifiés comme tels: le
secrétariat de la campagne, les industriels, l'administration et services de secours, les
élus et collectivités, l'éducation nationale et les associations. En réaction aux présentations
du Copil, les membres de la commission doivent valider les orientations en terme
d'organisation, d'actions et de budget. Les membres de la commission sont aussi chargés
de relayer la démarche et les actions menées à leurs échelles pour permettre une meilleure
appropriation de la campagne sur l'ensemble du territoire.
45
34
Annexe 1 : Entretien SPIRAL/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
Autour de ces deux instances décisionnelles gravite un Secrétariat de la campagne
chargé de faciliter la coordination des actions et la diffusion d'information entre le Copil et la
commission régionale mais aussi avec les groupes de travail. Pour clore sur l'organisation
de la campagne, il est nécessaire d'évoquer ces groupes, à géométrie variable et constitués
selon les besoins du Comité de pilotage. Ces groupes sont chargés de travailler à partir des
objectifs définis par le Copil et de mettre en œuvre des actions concrètes: la définition du
champ de la campagne, l'élaboration des documents, l'information des communes et des
industriels... Ce sont de petites structures qui fonctionnent sur le principe du volontariat:
Q:Les groupes de travail c'était vraiment sur le principe du volontariat ?
R: Oui c'est ça, le principe du volontariat. Il y avait des groupes de travail pour les
différents documents que l'on a produit. Donc il y avait un groupe sur les plaquettes, un sur
les affichettes, un sur les films, un sur les actions pédagogiques, et puis je ne sais plus trop
46
mais il y en avait un certain nombre...
Cette présentation de l'organisation de la campagne reprend celle qui a été faite
aux différents acteurs en janvier 2008, soit peu de temps après que la campagne ait été
acceptée par les différents acteurs. Elle permet de constater de réels efforts d'ouverture et
de concertation, définie comme la consultation des parties concernées intervenant avant
une décision.
Cependant la mise en place de la campagne et la pratique des acteurs ont quelque peu
bouleversé cette organisation. En croisant les différents témoignages recueillis il apparaît
très clairement que les instances décisionnelles à savoir le Copil et la commission régionale
n'ont joué qu'un rôle secondaire. Ce constat est particulièrement pertinent pour le premier.
Alors qu'il devait être le moteur de l'action et la force de proposition, le comité de pilotage
a vu son rôle se transformer pour devenir une Commission régionale « bis ». Il disposait à
l'origine de réelles compétences en matière d'initiative et de proposition, par exemple pour
la formation des groupes de travail qui devaient être constitués d'après ses besoins.
Cette transformation du Copil a profité à un organe en particulier: le Secrétariat
permanent de la campagne, composé de trois membres, un représentant pour chaque
SPPPI, le SPIRAL et le SPPPY (tous deux rattachés à la DREAL) ainsi qu'un membre
d'APORA, l'association des entreprises de Rhône-Alpes pour l'environnement industriel.
Cet organe est donc devenu la « cheville ouvrière », c'est à dire la pièce la plus active sur
laquelle repose une grande partie du bon fonctionnement de la campagne:
Enfin, la structure c'était elle qui prenait les décisions au sens noble du terme.
En dessous il y avait des groupes de travail par thèmes et puis autour il y avait
le secrétariat, c'est lui qui a fait l'essentiel du boulot. Clairement c'est lui qui
impulse. Mais on fait valider par le comité de pilotage. Après il peut y avoir des
idées qui émergent du comité, ça peut arriver, ou même des groupes de travail
mais c'est plutôt rare. Le comité de pilotage il est là pour valider et entériner, ou
modifier à la marge ou dire non. Mais tout le boulot, la petite main ce n'est pas lui.
47
C'était le secrétariat et on n’était pas nombreux à faire ça (rires).
Cette modification pratique sur le plan organisationnel remet quelque peu en cause les
principes de collégialité mis en avant dans le bilan de la campagne. Alors que la Commission
régionale et, dans une moindre mesure, le Comité de pilotage peuvent être considérés
46
47
Annexe 4 : Entretien APORA
Annexe 1 : Entretien SPIRAL/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
35
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
comme des lieux de concertation et de discussion il n'en est pas de même pour le Secrétariat
permanent.
Comme nous l'avons rappelé, les deux SPPPI fonctionnent autour de plusieurs collèges
afin d'assurer une représentation la plus complète des acteurs jouant un rôle dans les
politiques de prévention des risques industriels. Le problème de la représentativité se pose
concernant les personnes faisant partis des SPPPI: l'idéal délibératif évoqué par Jürgen
Habermas n'est envisageable que dans des situations où les participants ont les mêmes
niveaux d'information, la même capacité à s'exprimer, la même maîtrise des dossiers traités
ou de la législation. Or ces questions ne peuvent être que difficilement résolues.
Cependant il est globalement admis par les acteurs que les SPPPI, du moins le SPIRAL
et le SPPPY, représentent assez largement les différents acteurs impliqués. Par exemple,
dans l'agglomération lyonnaise, la légitimité du SPIRAL n'est que rarement remise en cause
par l'ensemble des protagonistes.
R: On a considéré que les autres étaient représentés dans les SPPPI. Le secrétariat ça
a été la cheville ouvrière, on a beaucoup travaillé, je ne dis pas que les autres ne l’ont pas
48
fait ! (Rires). On a considéré que les secrétaires des SPPPI représentent la société civile.
Cette quasi unanimité concernant les deux SPPPI peut expliquer l'importance de leurs
représentants dans l'organisation de la campagne. Les deux membres des SPPPI, présents
dans le secrétariat permanent de la campagne sont censés représenter leurs instances
et, par conséquent, l'ensemble des acteurs participant aux groupes de travail « risques
industriels ». Il est assez aisé de percevoir la faille dans ce raisonnement.
Selon cette logique, les deux représentants sont censés porter plusieurs casquettes:
celle de Secrétaire de leur SPPPI et donc à ce titre celle de fonctionnaire de la DREAL
ainsi que celle de représentant des différents collèges de leur SPPPI . Cette vision de la
représentativité s'éloigne en partie des principes de concertation et de participation élargie
qui pouvaient caractériser la Commission régionale ou le Comité de pilotage.
La présence d'APORA, l'association d'industriels, par le biais d'un troisième membre
s'explique pour des raisons plus pragmatiques. Tout d'abord, rappelons-le, la diffusion de
l'information incombe aux industriels. Il semble donc logique de les impliquer fortement.
De plus l'association APORA fonctionne comme le maitre d'ouvrage de la campagne. En
effet c'est par son biais que le Secrétariat permanent peut récupérer un certain nombre de
49
subventions . Les SPPPY étant rattachés à l'administration, n'ont ni structure juridique, ni
le statut d'association. Ils ne peuvent donc collecter des subventions. Au delà du budget la
présence d'APORA au sein du Secrétariat permanent a permis de faciliter l'embauche de
chargés de mission, puisque les recrutements par les SPPPY s'inscrivent quant à eux dans
le cadre des recrutements de la fonction publique.
APORA, l'association des entreprises de Rhône-Alpes pour l'environnement industriel Apora
est une association loi 1901 créée en 1972. Elle regroupe deux catégories de membres à
savoir des établissements industriels (environ 300) ainsi que des structures représentant
ces industriels. APORA fonctionne au niveau de l'échelon régional, ce qui lui permet
d'offrir à ces membres un réseau important. On distingue deux missions principales :
l'information et le conseil. APORA propose notamment des informations et conseils en lien
avec l'arsenal réglementaire qui concerne ses membres. Cependant, et c'est ce qui nous
48
49
36
Annexe 3 : Entretien CIRIMI/DREAL
Les subventions représentent une part importante du budget de la campagne 2008.
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
intéresse ici, APORA occupe aussi un rôle d'interlocuteur de l'État, en particulier auprès
des services de la DREAL Rhône-Alpes. Son rôle de représentant des industriels dans
plusieurs structures lui permet de jouer un rôle de relais entre les industriels et les autres
acteurs participant aux politiques de prévention des risques. En tant que représentant d'un
grand nombre d'établissements industriels concernés par le périmètre de la campagne
de 2008, l'association fait partie du Secrétariat Permanent et assure la maîtrise d'ouvrage
déléguée. A ce titre, elle a géré le financement de l'opération (provenant essentiellement
des entreprises mais aussi des subventions de collectivités territoriales). APORA est
donc un acteur structurant des politiques de prévention des risques industriels dans
l'agglomération lyonnaise, notamment à travers son rôle d'interlocuteur privilégié de l'État.
En plus de ces trois membres représentant largement les deux acteurs déjà en
position dominante concernant les risques industriels, c'est-à-dire l'Etat et les industriels,
des chargés de mission ont été embauchés afin d'assurer une communication de bonne
qualité avec les élus locaux. Ces derniers jouaient davantage un rôle de relais entre les
communes concernées et les décisions prises dans le cadre de la campagne.
Se pencher au plus près sur le fonctionnement de la campagne permet de corréler
théories et pratiques. Alors que nous évoquions l'apparition d'une rhétorique de la
concertation et de la délibération de plus en plus fréquente dans le domaine qui nous
intéresse, la campagne d'information du public de 2008 semble au premier abord confirmer
cette évolution. Néanmoins la transformation des rôles des différents organes de la
campagne nuance cette vision quelque peu idyllique.
Une mise en pratique qui pose problème.
L'organisation sur le papier de la campagne nous permet d'observer des progrès en terme
d'ouverture avec l'intégration d'acteurs jugés plutôt « secondaires » comme les associations
de protection de l'environnement ou des représentants de l'éducation nationale dans les
instances décisionnelles mais aussi dans les groupes de travail. Ces acteurs disposent donc
non seulement d'un droit de regard sur les actions futures, mais aussi de la possibilité de
faire entendre leurs arguments.
On se rapproche de la définition de la concertation comme espace ou chacun peut
écouter et se faire écouter par les autres.
Il ne faut cependant pas prendre la campagne pour ce qu'elle n'est pas: un lieu
de délibération. En effet, et c'est ce qui différencie la concertation de la délibération, on
reste dans des situations où les acteurs ne sont pas sur un pied d'égalité: une personne
travaillant pour le service « Risques technologiques et miniers » de la DREAL dispose
de plus de moyens, de connaissances, qu'un représentant d'une association de protection
de l'environnement. L'idée derrière la concertation n'est cependant pas la recherche d'une
égalité pure et parfaite entre les acteurs mais l'existence de processus capables de réunir
les acteurs et de produire des décisions consensuelles.
De plus, on constate que le nombre d'élus ou de représentants de collectivités est
important, ce qui témoignerait d'une intégration réussie des collectivité territoriales aux
processus de décision et de mise en place. La mise en place d'instances collégiales
représenterait la fin d'une gestion technocratique des risques, avec la remise en cause des
experts en tant qu'arbitres et la multiplication des acteurs ayant la possibilité d'intervenir.
L'organisation de la campagne s'est aussi voulue plus transparente. La campagne a
bénéficié d'une plus grande publicité à destination du grand public, que ce soit sur son
Hochart Clémentine - 2011
37
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
contenu ou sur la façon dont elle a opéré. Compte tenu de la mutualisation et des efforts
des acteurs pour délivrer un même message, elle n'a donc pas connu le même sort que
celle de 2003.
50
Un document intitulé « Bilan de la campagne 2008 » a été publié un an après la
campagne afin de permettre au grand public de mieux comprendre son fonctionnement.
Certes, ce document contribue au processus de légitimation de la campagne en insistant
sur ses réussites et ses avancées, il n'en reste pas moins qu'il concoure à la rendre plus
transparente aux yeux des citoyens.
En interne des actions jusqu'à là menées de façon informelle ont fait l'objet d'une
publicité renforcée au travers des groupes de travaux, des dossiers d'information fournis
aux communes ou des présentations du Secrétariat permanent:
Souvent le secrétariat présentait l’avancement des groupes de travail. Le COPIL
décidait ce sur quoi travailler, savoir si on allait lancer telle ou telle action ou si
on allait travailler sur telle ou telle problématique. Le secrétariat, lui était un peu
partout, on rendait compte au COPIL de l’avancement du travail et des suites
51
envisagées.
Les membres du Comité de pilotage disposent donc d'un droit de regard sur ce qui est
produit à la fois par les groupes de travail et par le Secrétariat permanent. La campagne s'est
inscrite dans un planning proposé par les préfets de département et validé par les industriels
afin de lui donner une lisibilité plus grande. Il ne s'agit plus pour chaque acteur de mener
des actions indépendantes les unes des autres mais d'apprendre à travailler ensemble afin
de favoriser l'échange et le retour d'expérience. L'établissement d'un calendrier établi en
amont représente aussi une nouvelle possibilité pour les acteurs n'ayant pas forcément une
emprise directe sur le dossier, de suivre l'évolution de la campagne et dans la mesure du
possible, d'y participer.
En ce sens on peut affirmer que la campagne s'inscrit dans une dynamique plus
partenariale et plus collégiale.
Le rôle prépondérant joué par le secrétariat permanent, en particulier par les
représentants de la DREAL, tempère le caractère collégial et concerté de la campagne sans
pour autant le réduire à néant. Mais la pratique et les changements qu'elle a occasionnés, en
particulier sur le fonctionnement de la campagne, témoignent d'une difficulté à laquelle sont
confrontés les acteurs dominants: il s'agit de trouver un équilibre entre les efforts d'ouverture
qu'ils consentent et leurs souhaits de conserver une certaine main mise sur ces nouveaux
dispositifs.
Évoquons ici les groupes de travail. Même si le Secrétariat Permanent dispose d'un
pouvoir de proposition prépondérant, d'autres acteurs doivent pourvoir intervenir par le biais
des groupes de travail. Ces derniers ont en effet la possibilité de proposer des actions au
Comité de pilotage. Dans un sens, ces groupes de travail permettent à la campagne de
conserver une certaine collégialité dans la production des actions. Néanmoins, on peut noter
que la question de la représentativité est éludée, les groupes de travail fonctionnent sur le
principe du volontariat. Comme nous l'avons évoqué, les collèges les plus représentés dans
les instances décisionnelles ou dans les groupes de travaux restent ceux de l'administration
et des industriels. En effet, ces deux groupes disposent de ressources humaines et
financières qui leur permettent d'assurer une présence continue.
50
51
38
Disponible sur le site internet http:///www.lesbonsreflexes.com
Annexe 3 : Entretien CIRIMI/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
De plus, le Comité de pilotage ne jouant plus son rôle de lieu de débats, les questions
compliquées sont souvent renvoyées vers ces groupes de travail où les industriels et les
services de l'État sont majoritaires. Ce fonctionnement neutralise les débats et verrouille le
processus de décisions qui, in fine, revient aux « acteurs traditionnels ».
Ainsi la pratique a contribué à transformer l'organisation de la campagne. De concertée
et transparente, elle est devenue un lieu où les acteurs « traditionnels », en particulier
l'État et les exploitants, continuent à être majoritaires. Malgré la perpétuation de ce système
souvent bicéphale, on ne peut nier que les exigences nouvelles en matière de démocratie
participative ont impacté les acteurs et leurs comportements.
Chapitre 3: Une rhétorique de la participation qui
invite les acteurs à modifier leurs habitudes.
Ces dynamiques d'ouverture et de concertation sont aujourd'hui théoriquement bien
acceptées par la plupart des acteurs « traditionnels ». Nous montrerons que la campagne
d'information constitue un moyen de mettre en avant les progrès effectués par ces
acteurs depuis les années 2000 et de valoriser leur rôle. En effet, les acteurs traditionnels
tâchent d'intégrer ces notions dans leurs actions afin de légitimer ces dernières. La norme
délibérative, évoquée dans le Chapitre 1, est prise en compte à différents niveaux par les
acteurs, ce qui impacte leur manière de faire.
L'État et les industriels: des acteurs en quête d'une nouvelle
légitimité.
Des acteurs face à la contrainte du changement.
La norme délibérative a pointé son nez dans les politiques de prévention des risques. Ce
mouvement vers une plus grande participation des citoyens mais aussi des représentants
de la société civile, rappelons le, ne peut être uniquement imputé à la loi Bachelot. Il provient
d'un processus qui s'ancre dans le temps. D'une situation conflictuelle entre les principaux
acteurs, on serait passé à des relations non pas dénuées de toutes tensions, mais plus
consensuelles, impliquant de façon plus poussée les différents acteurs:
Voilà on peut faire le parallèle, l'attitude qu'avait l'industrie chimique il y a trente
ans c'est à peu près l'attitude du nucléaire tout à fait récemment. Après deux ou
trois accidents dans le genre de Fukushima on va commencer à se dire qu'il faut
52
peut être aussi communiquer, informer et écouter les autres.
Pour mieux comprendre comment s'effectue ce changement, il est essentiel de prendre
en compte les rapports qu'entretiennent les acteurs les uns avec les autres. L'analyse
cognitive peut en ce sens se révéler pertinente puisqu'il s'agit de prendre en compte les
marges de manœuvre dont ces acteurs disposent. Ces possibilités d'agir au delà de la
norme entrainent des adaptations qui varient fortement selon le territoire et les acteurs
concernés. La campagne d'information de 2008 constitue une illustration pertinente des
52
Annexe 2 : Entretien SPIRAL/DREAL
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39
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
apprentissages des acteurs. Les services administratifs ainsi que les industriels, au travers
de leurs représentants au Secrétariat permanent de la campagne, tendent à modifier leurs
pratiques afin que celles ci correspondent davantage aux enjeux actuels. Néanmoins, on
constate que, comme dans tous processus d'apprentissage, les acteurs inventent à partir
de ce qu'ils ont l'habitude de faire.
De plus, sans remettre en cause la pertinence de l'approche cognitive, il convient de
considérer les contraintes réglementaires ou pratiques que font peser un certain nombre de
structures sur les acteurs. Une approche pertinente consisterait à prendre en compte non
seulement l'influence que peuvent avoir les stratégies des autres acteurs et la « référence
53
à un ensemble familier de modèles moraux ou cognitifs » mais aussi les contraintes des
structures qui pèsent sur l'action des acteurs et donc qui diminuent leur liberté d'action.
On définira les structures comme des « systèmes d'interaction durables concernant
différents sous-système sociaux, ne dépendant pas directement de l'action d'agents
identifiables et s'exprimant dans des institutions et des cadres d'interprétations du monde
54
stabilisés » . Ce sont ces systèmes d'interaction qui caractérisent en partie les intérêts des
acteurs et leurs façon d'agir.
Les acteurs des politiques de prévention des risques n'ont pas les mêmes réactions
face à cette contrainte du changement. L'adaptation à des situations nouvelles et le
changement passent donc par une combinaison entre habitudes et innovations.
Cette contrainte du changement qui pèse fortement sur les politiques des risques
industriels s'explique en partie par l'impact des accidents industriels dans l'esprit collectif. Il
est en effet intéressant de noter que les catastrophes ont entraîné des modifications dans la
législation. Les acteurs traditionnels, sous la pression de l'opinion publique et des nouvelles
obligations en terme de législation, se sont engagés dans une réforme informelle concernant
leurs pratiques.
Ça se passe comme ça parce que tout le monde est un peu sorti de la vision
blanc ou noir. Ce n'est jamais comme ça. « C'est un patron c'est un salaud,
c'est un maire c'est forcément le messie ». On a encore des gens comme
ça cependant. Mais on est majoritairement sortis de cette vision là. Avec la
formation, la concertation qui est plus importante et puis la culture. Ce qui se
passait il y a trente ans, et ce comportement est reconnu par les entreprises,
ce qui se passait à l'intérieur les industriels ne voulaient pas que ça se sache à
l'extérieur. C'était l'écran total, en plus il y avait cette vision que de toute façon
les autres n'y comprendront rien et que ce sont les industriels qui sont le plus
à même pour gérer, c'est eux qui savent faire. Quelques accidents après on est
55
revenu sur cette position... « Oui, ils savent faire, enfin... »
Cet extrait d'entretien valide l'hypothèse d'un changement antérieur à la campagne 2008.
Cette dernière n'est que le reflet d'une dynamique déjà installée. Mais les acteurs jusque la
secondaires dans les processus de décision, ont bénéficié à travers une organisation plus
collégiale et plus transparente de la campagne, de certaines opportunités d'ouverture.
53
Hall Peter. Taylor Rosemary. « La science politique et les trois néo-institutionnalismes », Revue française de science politique,
[En ligne] vol. 47, n°3-4, 1997, p. 492.
54
Muller, Pierre. « Esquisse d'une théorie du changement dans l'action publique », Revue française de science politique [en
ligne], vol. 55, n°1, 2005, p. 158.
55
40
Annexe 2 : Entretien SPIRAL/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
L'Etat et les industriels, entre ouverture et résistance.
Attardons nous d'abord sur l'État. La campagne présente l'occasion rêvée pour l'État
mais aussi pour les industriels de se présenter sous un nouveau profil. Ces deux acteurs
perçoivent les demandes des citoyens mais aussi des acteurs avec qui ils ont l'habitude
de coopérer.
L'organisation de la campagne, nous l'avons montré, fait la part belle aux instances
collégiales. Mais cette organisation reste largement théorique puisque les différents collèges
(État, industriels, collectivités territoriales et associations et personnalités qualifiées) ne
disposent pas de la même représentativité ni de la même capacité à peser sur les processus.
La campagne présente plusieurs avantages pour les services de l'État. Elle permet d'assurer
la pérennité du contrôle de l'État sur plusieurs pans des politiques de prévention des risques.
Ainsi, et c'est en ce sens qu'elle représente une opportunité pour l'État, la campagne
de 2008 et les documents qui s'y rattachent sont de bons instruments de légitimation de
l'action de la puissance publique. La campagne est en effet utilisée par l'État comme un outil
d'acceptabilité et de justification du travail réalisé par ses services. Elle est exploitée à deux
niveau: au niveau « interne » c'est à dire les cercles de décision et las acteurs pouvant y
participer et au niveau « externe » correspondant au grand public.
La campagne est donc un instrument de communication destiné aux membres du
réseau, c'est à dire aux services de l'État mais aussi aux acteurs fortement impliqués dans
son fonctionnement et son organisation. En se mettant en scène dans un rôle d'arbitre
entre différents intérêts (les intérêts des industriels, ceux des communes ou encore l'avis
d'associations), ce dernier cherche à gagner en puissance. En effet, ce rôle de médiateur
ou de garant de la représentativité des différents intérêts est important pour la puissance
publique puisqu'il lui permet d'imposer certaines de ses vues dans la décision finale. En
se prêtant au jeu de l'ouverture et de la transparence vis-à-vis des autres acteurs tout en
conservant la main-mise sur la plupart des décisions, la stratégie de l'administration peut
illustrer l'adage « donner d'une main, retenir de l'autre ». La puissance publique offre de
nouvelles possibilités aux autres acteurs sans pour autant se dessaisir du sujet et renoncer
à jouer un rôle clef.
La campagne de 2008 est également, comme son nom l'indique, un outil de
communication externe, c'est à dire destiné à être diffusé aux citoyens concernés par des
risques industriels.
C'est davantage à ce niveau qu'elle présente des avancées par rapport aux productions
précédentes. Malgré des manques en terme de collégialité, elle vise à retranscrire la bonne
volonté des acteurs en matière d'ouverture et de transparence. Les documents à destination
56
du public publiés une fois la campagne achevée retracent globalement la préparation en
amont de la campagne ainsi que sa mise en œuvre concrète. Une fois la campagne clôturée,
il est donc possible pour tout un chacun de consulter l'ensemble des outils de communication
conçus pour la campagne, ou plus intéressant son bilan financier. Bien que ce droit de regard
des citoyens ne soit possible qu'une fois la campagne achevée, il constitue un premier pas
vers une plus grande lisibilité des actions menées par les différents acteurs.
Ces documents sont les outils adéquats pour permettre la valorisation des efforts des
acteurs en terme de concertation, d'ouverture et de transparence. Il semble même que c'est
là le but premier des « documents post-campagne ». Ces derniers ne peuvent être utilisés
56
Le document « Bilan de la campagne 2008. Information du public sur les risques industriels majeurs en Rhône-Alpes » a
été publié en septembre 2009.
Hochart Clémentine - 2011
41
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
comme des sources fiables et objectives, permettant de rendre compte en toute impartialité
du déroulement de la campagne, de sa conception sur le papier à sa réalisation. C'est
pourquoi on peut dire que ce sont des instruments de légitimation des actions menées.
Réalisés par les membres du Secrétariat permanent, ces documents valorisent les efforts
de concertation et la bonne volonté des services administratifs mais aussi des industriels.
Ils s'inscrivent donc dans une version quelque peu aseptisée de la campagne, celle ci étant
présentée comme une procédure consensuelle et concertée, où les oppositions et conflits
entre acteurs n'existent pas.
« Au niveau de l'organisation il faut constater que la concertation soutenue entre
les différents acteurs des risques industriels a été très productive pour faire émerger,
57
partager et financer les divers supports et actions de la campagne » . Cet extrait du
bilan de la campagne, publié un an après, atteste de la valorisation de certains thèmes
(ici la concertation). Ces documents cherchent à présenter la campagne comme un lieu
d'échanges, une possibilité pour les acteurs de participer pleinement à l'ensemble des
décisions sous l'égide de la puissance publique. Sans être mensongé, le bilan est inexact:
les rapports de force qui existent entre acteurs et la sur représentation de l'intérêt de l'État
et des industriels sont absents de cette vision.
A travers cette campagne et la place primordiale qu'il joue dans sa préparation, l'État
donne de bonnes leçons mais un mauvais exemple: la concertation, la transparence ainsi
que la collégialité pourtant présentées comme des notions clefs de la campagne sont
fortement minimisées par une position parfois ambigüe de la puissance publique.
Concernant les exploitants, la campagne est l'occasion de renouveler l'image de leurs
industries et des risques qu'elles véhiculent:
Beaucoup de personnes ne savent pas ce que permet la chimie et en ont une
image négative. Mais je pense qu'il s'agit plus d'une incompréhension que d'une
58
hostilité envers la chimie de la part de ces personnes.
La campagne témoigne d'une certaine ambivalence dans la position des exploitants: faire
une campagne de prévention sur les risques industriels revient à accepter l'existence, ou
du moins, la possibilité d'un risque.
Dans des campagnes de grande ampleur comme celle ci, une partie de l'information
concerne les risques qui existent dans les différentes installations classées Seveso. La
campagne est l'occasion de parler de ces risques et des accidents qu'ils peuvent causer.
C'est à ce niveau là que repose le paradoxe pour les exploitants: ils financent une campagne
qui, en parlant d'accident, contredit leur « gestion au quotidien » des risques. En effet, les
exploitants insistent énormément sur les mesures de sécurité qui existent au sein de leurs
exploitations afin d'éviter tous accidents :
Il y a un aspect sur lequel les industriels sont toujours réticents. Cela concerne
les accidents. On fait des campagnes sur les risques industriels et on est donc
obligé de parler du risque d’accident or les industriels insistent toujours sur les
mesures prises pour éviter ces accidents : « mais on fait tout pour qu’il n’y en ai
pas ». En effet parler d’accident cela revient à remettre en cause leur gestion au
quotidien et c’est quelque chose qu’ils ne souhaitent pas. Dans la diffusion de
57
58
Bilan de la campagne 2008: information du public sur les risques industriels majeurs en Rhône-Alpes. Septembre 2009, p. 20.
Forum « Sécurité industrielle et villes durables » du 21 avril 2011. J-J Gillot, Délégué général UIC Rhône-Alpes. Notes
personnelles.
42
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
l’information ils sont toujours très vigilants et tiennent à ce que soient préciser
59
les mesures qui sont prises pour éviter les accidents.
Au delà de cette ambivalence qu'ils doivent accepter, la campagne est, comme pour l'État,
une réelle possibilité pour les industriels de changer la perception du grand public sur leurs
activités ainsi que sur les relations qu'ils entretiennent avec le grand public et des acteurs
comme les communes ou les associations.
Cette volonté d'être plus transparents, plus accessibles s'inscrit dans une dynamique
antérieure à 2008. Néanmoins la campagne « Les bons réflexes » offre de nouvelles
opportunités aux industriels. Par exemple, en participant activement aux groupes de travail
les industriels sont amenés à coopérer plus intensément avec les communes ou l'État, ce
qui contribue à l'amélioration des relations et de la façon dont ils sont perçus par les autres
acteurs. Les industriels se sont longtemps vus reprochés leur gestion assez secrète de leurs
activités. En acceptant de communiquer avec leurs partenaires, en particulier les communes
sur lesquelles leurs installations sont implantées, ils apparaissent comme des partenaires
plus fiables, avec lesquels de bonnes relations sont possibles:
C'est vrai que l'on a besoin l'un de l'autre pour fonctionner, en termes
d'information à la population mais aussi lorsqu'il y a des incidents. Souvent avant
lorsqu'il y avait des incidents en interne la raffinerie ne prévenait pas la mairie. Or
lorsque les gens appelaient à la mairie parce qu'ils avaient remarqué de la fumée
ou une odeur inhabituelle il y avait l'incapacité d'apporter des réponses. Depuis
longtemps maintenant la raffinerie nous informe lorsqu'il y a des événements
inhabituels. On est davantage dans le partage d'information c'est sûr. Vous
en avez vous même la preuve, on a une ligne directe entre mon service et la
raffinerie. C'est un plus dans l'établissement de bonnes relations, sans aucun
60
doute.
Néanmoins ce n'est pas la seule amélioration. La campagne est un outil à double niveau
pour les industriels. Au delà des acteurs appartenant à ce « réseau risques industriels », elle
permet aux exploitants de présenter une nouvelle image au grand public. Les industriels et
leurs représentants ont, par exemple, été très présents tout au long des réunions publiques
organisées au cours de l'année afin de pouvoir présenter leurs activités mais aussi afin
de répondre directement aux inquiétudes ou aux questions des personnes présentes.
Toutefois, on peut noter qu'ils restent en retrait et font preuve de réserve sur un certains
nombre de sujet par rapport aux représentants de l'État. Mais on sort d'une situation où les
exploitants maintenaient une certaine « opacité » autour de leurs activités:
Pour les industriels déjà c’est une bonne chose. Participer à cette campagne,
leur participation donne une image d’ouverture qui cherche à aller contre l’image
d’opacité qui leur est souvent associée. Mais pour nous et pour les citoyens
c’est aussi un avantage car ils sont obligés de participer beaucoup plus et
d’en dire beaucoup plus que ce qu’ils n’auraient dit si ils avait fait leur propre
61
communication.
La campagne de 2008 représente donc une opportunité, pleinement saisie par les
industriels, de s'imposer comme un partenaire clef de l'État et des communes. En effet,
59
Annexe 3 : Entretien CIRIMI/DREAL
60
Annexe 6 : Entretien Ville de Feyzin
61
Annexe 2 : Entretien SPIRAL/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
43
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
il existe une forte indépendance entre les membres de ce réseau, nous reviendrons sur
ce point par la suite. A travers la campagne les exploitants se sont aussi appliqués à
mettre en avant leurs efforts notamment en terme de transparence vis-à-vis du grand public.
Participer à la campagne permet aux industriels de mettre en avant les investissements
réalisés pour aboutir à davantage de transparence. Mais une forte participation dans les
différents organes de la campagne, en particulier le Secrétariat permanent et les groupes
de travail, leur permet de garder un certain contrôle sur ce qui est dit. La régionalisation
de la campagne a contribué à obtenir davantage d'information sur les établissements et
les mesures de sécurité, c'est certain. Il n'empêche que les informations délivrées restent
fortement sous leur contrôle, en particulier via l'intermédiaire d'APORA. De plus, lors des
rencontres avec les citoyens pendant les réunions publiques, les représentants de l'Etat
ainsi que les exploitants tendent à monopoliser les discussions. Ce sont les deux collèges
qui disposent d'une compétence scientifique (et également réglementaire pour les services
de l'Etat) qui fait souvent défaut aux autres acteurs. Ces deux acteurs, en dominant les
groupes de travail et les instances décisionnelles, verrouillent le processus et tendent à
limiter la participation des autres membres du réseau.
Ainsi face à la contrainte du changement, l'État et les industriels utilisent la campagne
comme un outil de légitimation. Pour la puissance publique, l'information du public et les
différentes formes qu'elle prend, offre la possibilité de se présenter comme garant de l'intérêt
général face aux diverses réclamations.
Pour les industriels, la campagne est une occasion à ne pas manquer. En participant le
plus activement possible ils répondent à deux objectifs: d'abord, établir de bonnes relations
avec les acteurs de réseau, directement ou par l'intermédiaire de l'association APORA.
Ensuite, améliorer l'image, souvent négative, qu'ils véhiculent dans l'opinion publique.
Des opportunités d'ouverture qui ne sont pas toujours
saisies.
La campagne de 2008 est, à l'image d'autres dispositifs d'information comme par exemple
62
les CLIC (Comités Locaux d'information et de concertation ) sur lesquels nous reviendrons,
un espace offrant de nouvelles possibilités, pour les acteurs traditionnellement ancrés dans
les processus de décision mais également pour des acteurs cherchant à se faire une place
dans les différentes étapes des procédures.
Des logiques de conquête face aux opportunités d'ouverture.
Globalement, la prolifération de dispositifs de discussion et de concertation permet à des
acteurs normalement exclus du processus de jouer un rôle. En multipliant le nombre
d'acteurs ayant une légitimité à s'exprimer sur le sujet on dépasse une discussion axée
autour du clivage profane/experts. Ce relativisme de l'expertise est cependant à nuancer.
Dans les domaines relativement complexes, on observe encore une frontière entre les
acteurs détenant un savoir technique, les non-spécialistes et les acteurs possédant une
62
44
Depuis la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010, les CLIC sont devenus des Commissions de suivi des sites (CSI).
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
63
expertise interactionnelle , c'est à dire ceux dont les compétences, les capacités d'expertise
sont issues de l'expérience personnelle. Ce type d'expertise s'acquiert par apprentissage
mais aussi au travers d'un ancrage local et des connaissances qui en découlent. Elle se
différencie de l'expertise scientifique en ce qu'elle est individuelle et tirée de l'expérience:
les savoirs mobilisés sont donc différents. Cependant, contrairement aux non-spécialistes,
les individus détenteurs d'une expertise interactionnelle maitrise le langage du domaine (les
termes techniques par exemple). Ils peuvent donc devenir « experts » au même titre que
les techniciens, seule l'origine de leur expertise peut alors les différencier.
Plutôt que de parler d'une suppression de la distinction experts/profanes, il semble plus
pertinent d'envisager une extension de la notion d'expertise.
Cette extension de la notion d'expertise peut poser problème à l'heure où les modes
de décision « classiques » sont fortement remis en cause. La question se pose alors: où
trouver la meilleure expertise ? La puissance publique a tenté de répondre en ouvrant les
cercles de décision, c'est à dire en légitimant de nouveaux savoirs et donc de nouvelles
expertises. C'est donc à ce titre là que de nouveaux acteurs peuvent intervenir dans les
processus. Néanmoins les acteurs possédant une expertise savante continue à dominer
ce genre de processus. On peut ici s'attarder sur les réunions publiques concernant les
risques industriels, organisées dans le cadre des CLIC, des campagnes d'information ou de
l'élaboration des PPRT. Ces réunions permettent la rencontre entre une expertise formelle,
provenant de l'administration et des industriels et une expertise plus informelle. Certains
membres d'association ou certains citoyens possèdent une capacité interactionnelle. Ils sont
alors à même de s'exprimer et de dialoguer avec les acteurs habituellement répertoriés
comme les « sachants ».
Ces lieux de discussion doivent permettre aux acteurs habituellement maintenus en
dehors des processus de décision de participer aux discussions. Les citoyens sont ici
particulièrement visés. Mais l'extension de la notion d'expertise permet aussi à des acteurs
déjà inscrits dans le réseau de renforcer leur présence et d'affirmer leurs compétences
comme certaines communes ou même des associations.
Les communes et les associations: des acteurs en retrait ?
Alors que des acteurs comme les services de l'État et les industriels utilisent pleinement
les possibilités que les dispositifs de concertation leur proposent, certains acteurs semblent
être plus en retrait dans l'utilisation de ces nouveaux outils. Les communes ont su saisir
certaines opportunités qui sont apparues depuis la fin des années 1980, jusqu'à devenir
un acteur incontournable en matière de prévention des risques. En dehors de ce trio, les
acteurs semblent avoir des difficultés à faire valoir leur rôle. C'est, par exemple, le cas de
la société civile.
Les dispositifs de concertation sont investis par les communes et leurs représentants,
le plus souvent par les maires. Mais cette présence reste souvent plus faible que celle des
industriels ou de l'administration. Les représentants des communes se positionnent en tant
qu'administrateur d'un territoire. Leur ancrage local prend donc ici toute son importance. Ces
derniers utilisent les dispositifs existants pour faire passer certaines de leurs réclamations
auprès des industriels mais aussi auprès des services de l'État. Néanmoins les dispositifs
de concertation ou de discussion permettent aux communes de renforcer les liens qu'ils
63
Collins, Harry. Evans, Robert. « The Third Wave of Science Studies: Studies of Expertise andExperience », Social Studies of
Science, 2002, Vol. 32, n° 2, p. 235-296.
Hochart Clémentine - 2011
45
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
entretiennent avec les industriels présents sur leur territoire. Elles sont considérées par
les autres acteurs, en particulier par les services administratifs comme des acteurs à
part entière des politiques de prévention des risques industriels sur un territoire donné.
L'apparition de nouveaux dispositifs de discussion représente un moyen de faire pression
sur leurs partenaires, en particulier lorsque le dispositif prend la forme d'une réunion
publique. Les discussions se déroulent alors devant un public, qui souvent est domicilié
dans la commune où a lieu le dispositif, ce qui constitue un avantage.
Pour les communes, ces nouveaux lieux de débats ne servent que peu souvent à
dénoncer la place de l'industrie: il n'est que très rarement question de remettre en cause
la présence des exploitations sur leur territoire. Les communes ont pour la plupart accepté
la présence d'exploitations classées Seveso sur une partie de leur territoire. En effet,
même si ces industries sont porteuses de risques qui entraînent un certain nombre de
désagrément pour les communes, elles apportent des avantages économiques et financiers
aux communes:
Q: Les mairies ne sont-elles pas dans un dilemme par rapport à la présence
d'établissements SEVESO ? R: Oui c'est un peu le jeu « je te tiens, tu me
tiens par la barbichette » puisque d'un côté les mairies sont faces à des enjeux
économiques. Tant en termes de taxes que d'emplois elles ont intérêts à avoir
un site industriel sur leurs territoires. Et de l'autre côté, il faut en subir les
conséquences environnementales, et pour certaines d'entre elles, pour les
64
établissements SEVESO, le risque.
Les mairies sont actuellement fortement mobilisées autour des enjeux portés par les PPRT.
Les tensions qui peuvent exister entre les acteurs ne sont pas tellement entre les industriels
et les communes mais davantage entre l'administration et les communes. Ces dernières se
voient imposées par les services de l'État et de la préfecture un certain nombre d'action à
réaliser, plus ou moins coûteuses.
Par contre là où les relations sont plus compliquées c’est entre l’administration
de l'État et les communes. Et je peux vous dire ça pour l’avoir vécu dans les deux
sens. On a eu plusieurs fois le cas où on l’on a du imposer des outils, surtout
dans la distribution d’outils de communication. Or, c’est assez frustrant pour
les communes puisque ce sont elles qui doivent assumer la distribution des
enveloppes par exemple. Or, cette démarche est imposée par les services de
65
l'État et elle n’est pas forcément anticipée par les collectivités.
Sans être particuliers aux politiques de prévention des risques, ces rapports de force entre
collectivités territoriales, en particulier les communes, et l'État sont à prendre en compte
dans l'analyse. Les dispositifs qui créent de nouveaux espaces publics de discussion sont
alors un moyen pour elles de manifester leurs inquiétudes ou leurs mécontentements. Afin
d'avoir le plus d'impact possible, les communes concernées par les risques Seveso se
sont fédérées autour d'AMARIS, l'association nationale des communes pour la maitrise des
risques technologiques majeurs. Cette association peut être comparée à l'association des
industriels en ce qu'elle se présente comme un interlocuteur de référence à la fois pour les
services de l'État et pour les industriels. Elle joue un rôle structurant pour les communes
ainsi que pour les autres acteurs. En s'efforçant d'être présent lors de toutes les négociations
64
Annexe 2 : Entretien SPIRAL/DREAL
65
Annexe 5 : Entretien Chargée de mission (campagne 2008)
46
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
avec les services administratifs et les exploitants, AMARIS développe une expertise propre
aux communes, ce qui leur permet de gagner en indépendance et en légitimité.
L'expertise d'AMARIS s'apparente davantage à une expertise interactionnelle: les
collectivités membres de l'association connaissent des situations assez différentes les
unes des autres. En favorisant l'échange et le retour d'expérience, l'association cherche
à développer une expertise fondée en partie sur l'expérience locale de ses membres.
Enfin l'association est un acteur de référence pour les communes puisqu'elle dispose de
davantage de compétences techniques en matière de risques industriels. Les collectivités
membres peuvent donc se reposer en partie sur l'action d'AMARIS dans un certain nombre
d'instances de concertation.
Même si les communes semblent être plus en retrait dans les nouvelles instances
de concertation et de discussion, elles restent vigilantes lorsqu'il s'agit de défendre
leurs intérêts. Toutefois, elles ne sont pas forcément les acteurs les plus enthousiastes
concernant le développement de ces nouveaux lieux de débats et la multiplication d'outils
de communication à destination du public. Les communes contribuent financièrement et
de façon importante au financement de ces dispositifs, participation qui tend à augmenter
avec le retrait de l'État. Par exemple, les collectivités territoriales ont financé une partie de
la campagne de 2008 de manière plus importante que l'État. Compte tenu des difficultés
économiques auxquelles elles doivent faire face, la multiplication des postes de dépenses
n'est pas toujours accueillie avec la plus grande sérénité. De plus, les communes sont
directement confrontées au mécontentement des citoyens. La multiplication de dispositifs
visant à informer les riverains sur les risques qui les entourent, alors que le risque industriel
a tendance à être moins bien accepté qu'il ne l'était auparavant, n'est pas perçue comme
extrêmement positive pour l'image de la commune:
Il y en a qui partent de principes, d'ailleurs tout à fait honorables: est ce que ça
vaut le coup de faire peur au public ? Il y avait des interrogations comme ça. Est
ce qu'il faut faire tout un foin là dessus ? Est ce que le problème il est vraiment
là ? Est ce que le problème c'est vraiment l'information du public ? Est ce que le
problème ce n'est pas plutôt l'État qui a la charge de contrôler ces entreprises et
qui doit faire mieux son boulot de manière à ce qu'il n'y ait pas de risque. Ce sont
des interrogations qui ne sont pas dénuées de sens, elles sont pleines de bon
66
sens. Il y avait aussi ça comme réactions.
Malgré certaines précautions face à ces dispositifs, on peut globalement affirmer que les
communes se sont plutôt bien saisies de ces nouveaux dispositifs et de leurs débouchés
et ce, en se structurant afin de peser davantage dans les discussions. Les dispositifs de
discussion qu'ils soient publics ou contenus dans des cercles plus restreints ne représentent
que très rarement l'occasion pour les communes de mettre en cause la présence de
l'industrie sur leur territoire. Néanmoins elles profitent de ces nouveaux espaces de
discussion pour faire valoir leur arguments auprès des industriels mais surtout auprès de
l'État et de ses services.
Enfin, afin de compléter notre propos, il convient d'évoquer une dernière catégorie
d'acteurs, la société civile. Les acteurs traditionnels, que sont les services de l'État, les
exploitants et les collectivités territoriales ont, de manière générale, su saisir les opportunités
que le développement de nouveaux espaces de discussion leur a offert. Ces acteurs
sont particulièrement actifs dans les politiques de prévention des risques et participent
66
Annexe 2 : Entretien SPIRAL/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
47
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
à l'ensemble du processus. Les dispositifs d'information qui se sont particulièrement
développés après la loi de 2003 constituent un outil de plus pour ces acteurs.
Par contre, la société civile se trouve dans une situation particulière. Les associations
n'ont été que très tardivement intégrées aux procédures. Précisons qu'il n'existe que peu
d'associations de défense du cadre de vie des riverains. Les associations jouant un rôle en
matière de risques industriels sont surtout des associations de défense de l'environnement.
Concernant la région Rhône-Alpes, la structure citée par la plupart des acteurs est la
FRAPNA, Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature, reconnue d'utilité publique
depuis 1984.
La Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature La FRAPNA est une des
associations de protection de la nature présente dans l'agglomération lyonnaise. Créée
en 1971, elle est reconnue d'utilité publique en 1984. Organisée au niveau régional,
l'association est composée de huit antennes dans chaque département de la région Rhône
Alpes ainsi que d'un bureau de coordination au niveau régional. La Frapna fait également
partie d'un réseau d'associations fédérées autour de la FNE [France Nature Association].
L'antenne départementale du département du Rhône est une des associations les plus
actives dans le domaine des risques industriels. Elle regroupe une vingtaine d'associations
membres et emploie quinze salariés. En tant que représentante de la société civile, la
FRAPNA Rhône est présente au SPIRAL et participe régulièrement aux groupes de travail.
A l'origine ces associations ne souhaitaient pas être intégrées aux procédures afin que
le public et leurs adhérents ne pensent pas qu'elles cautionnent les risques. Mais cette
position s'est vite montrée peu productive, les associations étaient alors dans l'incapacité
d'avoir une force de proposition ou même un droit de regard.
Et les associations, la FRAPNA en particulier, ont beaucoup évolué là dessus.
Au début ils refusaient de parler de risques, d’aller voir les riverains en se disant
« on ne veut pas cautionner ». Ils en étaient encore au stade de dire : « si il y
a un risque nous n’avons pas à l’exploiter tel quel, c’est à l’exploitant de tout
assumer ». L’idée c’était « on peut comprendre le risque mais nous n’avons pas
à le cautionner ». Cette position c’était il y a longtemps, au début et puis ils ont
évolué parce qu’ils ont trouvé que ce n’était pas constructif. Alors qu’en étant
67
dedans ils font plus.
Néanmoins les risques industriels ne constituent généralement qu'une partie des thèmes
traités par les associations. La participation aux dispositifs relevant de la prévention des
risques industriels s'inscrit souvent dans le cadre d'une objectif plus général, souvent la
protection de l'environnement. Dans l'agglomération lyonnaise la FRAPNA est parmi les
associations les plus actives concernant les risques industriels. Cependant l'association
s'intéresse plus globalement à la défense de l'environnement. Sa participation aux différents
dispositifs est donc conditionnée aux thématiques abordées.
Une autre raison qui peut expliquer le retrait de la société civile sur de telles questions
est le manque de sollicitation directe de la part des acteurs traditionnels :
Q: Par rapport aux services de l'État ou même les industriels, vous êtes
régulièrement sollicités pour participer à des groupes de travail ou aux
préparations des décisions ? R: C'est nous qui faisons la demande par rapport
67
48
Annexe 2 : Entretien SPIRAL/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
Partie I: La campagne « Les bons réflexes », reflet d'une ouverture à la rhétorique de la
participation ?
aux services de l'État. Mais de manière générale on n'a pas de sollicitation directe
68
de l'État.
La campagne 2008 intègre davantage la société civile dans les différentes instances et
les groupes de travail. Par exemple, la FRAPNA a eu la possibilité, par l'intermédiaire du
SPIRAL, de prendre part à différents groupes de travail concernant l'information du public.
Cette participation représente un progrès pour ce genre d'association qui peut désormais
participer de l'intérieur. D'un rôle de spectatrice la société civile passe progressivement à un
rôle d'actrice. Néanmoins la main mise des services administratifs ainsi que des industriels
et le verrouillage qui existe concernant certains sujets est perçu par les participants:
On a fait des recommandations mais elle ne sont pas prises en compte. Les
bénévoles sont assez frustrés. Ils n'ont pas l'impression d'être dans une instance
de concertation. Ils n'ont pas accès aux documents ou à la même info que les
autres participants, surtout les services administratifs. Enfin de manière générale
69
on peut dire que c'est quand même pas très satisfaisant.
Ainsi les associations qui sont impliquées dans ces lieux de débats institutionnalisés
critiquent la gestion par l'autorité administrative du déroulement des débats et discussions.
En effet les dispositifs fonctionnent, en grande partie, sous l'autorité de la puissance
publique. Les procédures, les temps de parole sont maîtrisés par cette dernière. Derrière
la volonté d'ouverture, ces nouveaux dispositifs se révèlent porteurs de nombreuses
contraintes, qui aux yeux des associations, ne favorisent pas l'établissement d'un débat
constructif.
Comme la campagne 2008 l'atteste, la société civile est, de manière générale,
davantage représentée dans les différents dispositifs de concertation. Cependant elle
doit faire face à plusieurs difficultés. Les premières concernent l'utilisation des moyens
humains et financiers: la plupart des associations sont de petites structures qui ne disposent
pas nécessairement du temps et de l'argent pour pouvoir s'impliquer autant qu'elles
le souhaiteraient. Contrairement aux acteurs dominants qui disposent de nombreuses
ressources, les associations n'ont pas forcément les moyens de participer à toutes les
procédures de discussion et de concertation.
De plus, les structures associatives ne disposent pas nécessairement des compétences
techniques suffisantes pour développer leur propre expertise. Sans expertise indépendante,
ces structures manquent de crédibilité aux yeux des autres acteurs. Enfin, nous l'avons vu,
le développement des structures de concertation se fait sous l'œil attentif de la puissance
publique. Celle ci veille à ce que les dispositifs qu'elle met en place n'échappe pas à un
certain contrôle.
La multiplication de dispositifs de concertation entraine donc des stratégies de conquête
et de résistance de la part des acteurs traditionnellement ancrés dans les politiques de
prévention des risques. Ces acteurs utilisent ces nouveaux instruments afin de valoriser
leurs images et leurs action vis-à-vis des autres acteurs mais aussi (et surtout ?) vis-à-vis
du grand public. Face à cette omniprésence de l'État, des industriels et, dans une moindre
mesure, des collectivités territoriales, la société civile peine souvent à se faire une place.
****
68
Annexe 7 : Entretien FRAPNA
69
Annexe 7 : Entretien FRAPNA
Hochart Clémentine - 2011
49
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
A travers cette première partie nous avons pu constater une transformation de la
réglementation française afin de mieux répondre aux attentes et aux besoin des différents
protagonistes. L'exemple de la campagne d'information « Les bons réflexes » de 2008
montre que les problématiques « d'ouverture », de « concertation » sont de plus en plus prise
en compte par les acteurs dominants. Cependant, ces notions ne sont pas toutes entendues
de la même façon: entre possibilités de légitimation et contraintes, elles impactent les
politiques de prévention des risques industriels et la façon de faire des acteurs. Nous
avons évoqués plus particulièrement l'Etat et ses services mais aussi les industriels et
les collectivités territoriales afin de montrer dans quelle mesure ils intègrent ces nouvelles
exigences. Nous allons dans une seconde partie nous intéresser aux rapports de force
qui perdurent entre ces acteurs. Malgré l'importance croissante des problématiques de
« concertation » et de « participation », les politiques de prévention des risques continuent
d'être dominées par un trio composé de l'Etat, des industriels et des collectivités territoriales.
Face à cette situation, quelles sont les possibilités d'évolution à la fois pour ces acteurs
dominants mais également pour les citoyens? En d'autres d'autres termes comment, face
à des logiques de résistance et de conquête, les politiques de prévention des risques
évoluent-elles ?
50
Hochart Clémentine - 2011
Partie II: Une ouverture qui reste partielle face à certaines résistances.
Partie II: Une ouverture qui reste
partielle face à certaines résistances.
L'apparition d'un impératif participatif amène les acteurs traditionnels à se repositionner
et à transformer leurs habitudes. Ces modifications s'accompagnent néanmoins de
mouvements de résistance. Des rapports de force, entre les acteurs traditionnels mais
aussi entre ces derniers et les citoyens, continuent d'exister malgré une remise en cause
partielle de l'ubiquité des acteurs dominants, en particulier de la puissance publique.
Cette dernière a réussi à intégrer, au moins en partie, les problématiques actuelles qui
traversent les politiques de prévention des risques industriels sans pour autant renoncer à
ses prérogatives. On observe un phénomène similaire pour les industriels et les communes,
pour qui il est important de conserver une place centrale.
Ce maintien de rapports de force malgré les dynamiques participatives est rendu
possible grâce à l'existence d'un réseau, historiquement constitué. Après avoir caractérisé
ce réseau, nous montrerons comment il structure les relations entre les différents acteurs
(Chapitre 1). Nous nous intéresserons ensuite à la place des citoyens dans la campagne. En
effet, le rôle que sont amenés à jouer ces derniers suscite de nouvelles interrogations chez
les acteurs mais il alimente également les travaux de nombreux chercheurs. Entre possibilité
de démocratisation ou dispositifs vitrines, nous chercherons à savoir quels impacts la
place des citoyens, et de manière plus générale, l'intégration plus poussée de l'impératif
participatif, peuvent avoir sur une transformation des politiques de prévention des risques
industriels (Chapitre 2).
Chapitre 1: Derrière la multiplication des dispositifs de
concertation, des rapports de force qui perdurent.
Les communes, la DREAL, les industriels... Compte tenu de leur histoire commune, ces
acteurs ont pris l'habitude de fonctionner ensemble. C'est donc progressivement qu'un
réseau centré autour de ces trois catégories s'est formé. Après avoir défini ce que nous
entendons par « réseau », nous verrons comment il structure les relations et les rapports de
force entre les acteurs. Loin de nuire à la stabilité du réseau, la multiplication des espaces
de débat public est en partie utilisée par les acteurs dominants pour le renforcer.
Le maintien d'un réseau malgré l'institutionnalisation de nouveaux
espaces de discussion.
L'approche par les réseaux d'action publique: éléments de définition.
Hochart Clémentine - 2011
51
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
Malgré un affaiblissement relatif de l'État et de ses outils d'intervention, l'administration
continue à être prépondérante dans les politiques publiques. Son action a été fortement
remise en cause depuis les lois de décentralisation, qui ont permis aux collectivités
territoriales de développer de nouvelles compétences sur leur territoire. En effet, les années
1980 sont synonymes de territorialisation de l'action publique. L'État central doit recomposer
les missions de ses services déconcentrés, non plus par le haut mais par le bas, en
tenant compte des territoires sur lesquels s'inscrivent les services. Pour faire face à ces
modifications, l'État a taché de mettre en place « une institutionnalisation de l'action
70
collective » : l'ajustement des acteurs à l'action publique ne se fait plus en aval mais
en amont de la décision. La définition du contenu de la politique publique, la priorisation
des enjeux ou encore la répartition des rôles entre les acteurs sont autant de choses sur
lesquelles ces derniers doivent s'entendre.
Si l'on peut considérer que la décentralisation et l'institutionnalisation de l'action
publique ont entraîné un recul de l'État, elles ne traduisent pas non plus une disparition de
celui-ci. Face aux modifications entraînées par la décentralisation et la transformation de
l'action publique, la puissance publique a joué un rôle pivot en apportant un cadre d'action
durable, et donc une certaine stabilité.
Cette présence permanente des services de l'État dans les politiques de prévention
des risques s'explique par le rôle structurant que joue l'administration dans le maintien de
réseaux. La société est traversée par une pluralité de groupes qui représentent chacun
des intérêts particuliers. Pour mieux comprendre les politiques publiques, il est essentiel de
prendre en compte ces différents intérêts et groupes qui pèsent sur la politique publique.
Afin de permettre aux politiques publiques de retrouver une légitimité et de répondre
aux demandes de la société civile ainsi que des citoyens, on observe la création d'espace
de discussion plus ou moins poreux. L'organisation de ces espaces de discussion comporte
certains avantages pour l'État. En essayant d'intégrer les représentants des différents
intérêts dans ces espaces, l'administration limite les risques de contestation autour de ces
décisions. La pluralité des groupes d'intérêt participant aux discussions permet d'assurer
une pérennité aux politiques mises en place.
De plus, par ce biais les services administratifs et le préfet continuent à jouer un
rôle essentiel et à être dans une position de domination. Ils structurent les débats et les
discussions, en particulier si les groupes autour sont en concurrence ou en désaccord. Ainsi,
à travers son rôle d'arbitre, la puissance publique continue d'être prépondérante.
La notion de réseau s'est développée en réaction aux analyses qui présentent l'État
comme un tout, une entité. A travers les réseaux, les politiques publiques sont analysées
comme le résultat de coopération, d'échanges et de discussion entre des services de l'État
et d'autres groupes de pression ou organisations mais aussi entre les différents niveaux de
pouvoir (local, régional, national voire européen).
D'après l'approche par les réseaux de politique publique, un réseau « résulte de la
coopération plus ou moins stable […] entre des organisations qui se connaissent et se
reconnaissent, négocient, échangent des ressources et peuvent partager des normes et
70
Duran, Patrice. Thoenig, Jean-Claude. « L'Etat et la gestion publique territoriale », Revue Française de science politique, 1996,
n°4, p.580-623.
52
Hochart Clémentine - 2011
Partie II: Une ouverture qui reste partielle face à certaines résistances.
71
des intérêts » . Les réseaux jouent donc un rôle clef dans les décisions et la mise en place
des politiques publiques. Ils présentent plusieurs caractéristiques :
Les membres des réseaux sont interdépendants: ils vont s'échanger des ressources,
qu'elles soient financières, humaines ou informationnelles, afin de mener à bien des actions
et des projets. Ces échanges créent une interdépendance, parfois contraignante, mais ils
permettent aussi de porter des projets qui ne seraient pas viables s'ils émanaient d'un seul
acteur.
Les réseaux sont généralement stables dans le temps. Compte tenu du temps qu'il faut
parfois pour que les acteurs apprennent à se connaître et à échanger, ils ont tout intérêt à
le maintenir le plus longtemps possible. De plus, comme ils finissent par partager du sens
pour des intérêts communs, le réseau est amené à durer.
Les réseaux, sont souvent des espaces plus ou moins clos, accessibles aux acteurs
organisés en groupe de pression. Pour pouvoir accéder à un réseau il est souvent
nécessaire de s'organiser en groupe de pression. Mais tous les groupes de pression ne
sont pas forcément pris en compte par l'État.
La distinction public/privé n'est pas toujours nette. L'interdépendance des acteurs
contribue à flouter cette distinction. Nous avons montré que les acteurs finissent par partager
un certain nombre d'intérêts. Ainsi les acteurs publics et privés peuvent défendre les mêmes
causes : l'industriel n'a pas intérêt à ce que son exploitation connaisse des défaillances, pas
plus que la commune sur laquelle elle est installée.
Les politiques publiques concernant les risques industriels sont, elles aussi, concernées
par ces réseaux. On retrouve la plupart de ces caractéristiques dans le fonctionnement des
acteurs et les relations qu'ils entretiennent:
Concernant votre question sur les relations, si vous avez commencé à bosser
sur les risques majeurs et en particulier sur les risques industriels, très vite
vous allez vous apercevoir que le réseau il existe déjà depuis longtemps. A
la limite vous faîtes plusieurs colloques ou forums et vous allez revoir les
mêmes personnes. C'est compréhensible. On a un réseau qui est beaucoup plus
72
restreint. Et puis il est déjà organisé.
Les acteurs dominants ont progressivement appris à fonctionner ensemble et se sont
constitués en un réseau plutôt hermétique, pour mieux défendre leurs intérêts. En effet,
le fonctionnement en réseau comporte des avantages pour les services de l'État mais
aussi pour les autres acteurs. Le réseau va apporter des gages de stabilité en poussant
les différents membres à s'accorder et à coopérer sur un certain nombre de points. Les
caractéristiques évoqués ci dessus aident à mieux comprendre pourquoi l'administration,
les industriels et les communes ont intérêts à s'entendre.
On peut, à titre d'exemple, citer le budget de la campagne de 2008. Les campagnes sont
normalement à la charge de l'exploitant. Or les industriels ont proportionnellement moins
participé à la campagne 2008 qu'ils ne l'avaient par exemple fait en 2003. La participation
des collectivités territoriales et de l'État leur a permis de ne pas financer l'intégral de la
campagne. En revanche, ils ont du fournir davantage de données aux communes ou encore
participer à des réunions publiques au côté de l'administration ou des élus locaux, ce que
71
Le Galès, Partick « Les réseaux d'action publique entre outil passe-partout et théorie de moyenne portée » in Le Galès,
Partick. Thatcher, Mark.(dir.) Les réseaux de politiques publiques, Paris, L'Harmattan, 1995, p. 14.
72
Annexe 2 : Entretien SPIRAL/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
53
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
beaucoup n'avaient pas fait en 2003. L'interdépendance qui découle d'un fonctionnement en
réseau oblige ces acteurs à fonctionner ensemble, ce qui les pousse parfois à se rapprocher
et à partager un certain nombre d'intérêts. Il n'est pas rare que des acteurs auparavant
opposés sur un grand nombre de sujet finissent par partager des bénéfices communs.
Ainsi, l'action en réseau permettrait aux acteurs de gagner en flexibilité. Néanmoins il
nous semble important de nous attarder sur un des critères présentés plus haut: les réseaux
sont caractérisés par un hermétisme, plus ou moins prononcé, aux autres acteurs. Cette
fermeture relativement importante permet d'expliquer pourquoi le contrôle des acteurs sur
les espaces de discussion continue d'être aussi important.
Une multiplication des espaces de discussion qui ne rend pas le réseau plus
accessible.
Le réseau qui existe dans le monde des risques industriels est considéré comme fortement
hiérarchisé autour de trois groupes d'acteurs principaux, la puissance publique, les
exploitants et les communes. Ce sont ces trois groupes d'acteurs qui structurent les
politiques de prévention des risques. Sur un territoire donné, l'interconnaissance entre les
acteurs est donc importante.
Cette fermeture relativement importante s'explique en partie par des barrières à l'entrée.
La constitution d'un réseau et de groupes de pression au sein de ce réseau est en effet lié à
la nature des risques industriels. Premièrement, ces risques relèvent de la responsabilité de
plusieurs acteurs: des exploitants, tout d'abord, qui sont chargés de la sécurité à l'intérieur
de leurs exploitations, des services de l'État, ensuite, qui doivent assurer le contrôle de ces
établissements, et des communes, enfin, qui sont chargées de la direction des opérations
de secours. Il semble donc logique que ces acteurs disposent de certaines prérogatives par
rapport aux autres acteurs qui n'engagent par leurs responsabilités lorsqu'ils s'expriment
ou agissent.
De plus, les risques industriels sont souvent considérés comme un domaine
relativement technique. La plupart des acteurs qui traitent des risques industriels ont une
formation d'ingénieur ou gèrent au quotidien les problématiques liées à ce type de risques.
Ils maîtrisent donc le vocabulaire technique propre aux risques industriels. Malgré une
remise en cause de la distinction entre « sachant » et « profane », certaines compétences
techniques sont nécessaires pour pouvoir comprendre les risques des installations classées
mais aussi les solutions qui sont réalisables d'un point de vue pratique. Cette technicité force
les nouveaux entrants à combler leurs lacunes mais elle incite aussi les membres du réseau
à se regrouper pour mieux comprendre, pour mieux agir mais aussi pour mieux revendiquer:
Q: Sur votre site internet j'ai vu que la ville s'était entourée d'experts en 2002.
C'était pour avoir vos propres connaissances concernant les risques industriels?
R: C'était effectivement pour que la ville ne soit pas trop dépendante des autres
acteurs. Avant les informations nous venaient soit de l'État soit des industriels,
la commune n'avait pas les moyens de présenter sa propre version ou même de
contester ce qui était proposé par l'un ou l'autre des acteurs. Avec cette expertise
communale on peut maintenant participer et coopérer avec les services de l'État
et la raffinerie. Ça permet aussi à la ville de pouvoir conseiller ses habitants
en matière de risques, de zonages mais aussi sur des aspects plus techniques
73
comme la résistance des bâtiments par exemple.
73
54
Annexe 6 : Entretien Ville de Feyzin
Hochart Clémentine - 2011
Partie II: Une ouverture qui reste partielle face à certaines résistances.
En plus de connaissances techniques, les acteurs membres du réseaudoivent donc
posséder leur propre expertise pour pouvoir être en capacité de discuter et de peser sur
les décisions. Or, se doter de telles compétences représente un coût financier mais aussi
en terme de temps. Alors qu'il est possible pour certaines communes de faire appel à des
services extérieurs pour former ses agents, cette expertise peut constituer un obstacle pour
certains acteurs qui ne disposent pas de ces capacités financières. De plus, pour des petites
structures associatives il est parfois difficile de trouver le temps nécessaire pour former ses
membres, salariés ou bénévoles.
La stabilité du réseau et la forte hiérarchisation qui existe autour des services
administratifs, des exploitants et des communes, est alimentée par ces obstacles qui limitent
l'entrée et l'intégration de nouveaux membres.
La portée de la multiplication des lieux de discussion ouverts à tous, est donc relativisée
par l'importance que peut avoir le réseau dans les relations entre les acteurs et le poids
que représentent ces barrières à l'entrée pour des citoyens ou certaines associations.
L'influence du réseau est également alimentée par les acteurs eux mêmes, plus ou moins
volontairement. En effet, les membres du réseau sont conscients de leur appartenance
à un espace fermé à certains groupes. Pour mieux préserver leurs intérêts, les différents
acteurs ont plutôt tendance à limiter, ou au moins encadrer, l'arrivée de nouveaux entrants.
L'organisation des lieux de débats est souvent révélatrice de ces pratiques.
Prenons l'exemple des réunions publiques organisées dans le cadre de la campagne
d'information du public de 2008.
Les acteurs qui mettent en place les débats, que ce soit la préfecture, la DREAL
ou la DDT, les communes ou encore le SPIRAL, sont particulièrement vigilants quant à
la forme que peuvent revêtir ces réunions publiques. Plus que des lieux de concertation
où il existe une égalité de temps de parole, elles sont des relais d'opinion à travers
lesquels les acteurs, plus particulièrement l'État et les exploitants, sont amenés à mieux
comprendre les citoyens. Toujours dans un souci de légitimation, il est important que la
réunion publique s'organise selon un mode pacifié. Les acteurs vont chercher à prévenir
la contestation afin que la réunion publique garde un esprit « bon enfant ». Ainsi des
participants considèrent que certaines imperfections relatives à la forme du débat, au temps
de parole, à la possibilité d'intervention sont pensées comme telles par les organisateurs
pour prévenir tous débordements. On aurait alors des débats fortement policés pour que les
réunions publiques se déroulent de manière à mettre en avant les acteurs « traditionnels ».
Les réunions publiques, en tant que dispositifs participatifs sont alors davantage perçues
comme des « alibis grâce [auxquels l'État, les communes et les industriels] se refont une
74
légitimité sans compromettre leur monopole décisionnel » .
On peut comprendre cette position: les acteurs qui dominent une situation ont souvent
intérêt à maintenir un statut quo afin de ne pas perdre certains de leurs avantages. Dans
le domaine des risques industriels, ouvrir le réseau à d'autres groupes de pression ou aux
riverains reviendrait à remettre en cause une situation qui apporte de nombreux bénéfices
aux participants actuels. Il n'est pas rare que plusieurs acteurs trouvent un terrain d'entente
afin de porter conjointement des réclamations auprès d'un autre acteur. Dans le cadre des
politiques de prévention des risques industriels, cette collusion entre les protagonistes existe
le plus souvent entre les collectivités territoriales et les industriels qui opèrent parfois des
échanges d'information afin de mieux faire pression sur les services de l'État.
74
Rui, Sandrine. Villechaise-Dupont, Agnès. « Les associations face à la participation institutionnalisée: les ressorts d'une
adhésion distanciées », Espaces et sociétés, 2006/1, n°123, p.25.
Hochart Clémentine - 2011
55
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
C'est pour cette raison que la multiplication des dispositifs participatifs se fait de manière
plus ou moins contrôlée afin que les acteurs dominants ne se retrouvent pas « débordés ».
L'exemple des exploitants illustre relativement bien la position des acteurs dominants. Nous
l'avons vu, ils participent, plutôt activement d'ailleurs, à ces espaces de discussion afin de
présenter une image positive de l'industrie et de leurs activités. En effet, ils disposent d'un
temps de parole relativement important par rapport à la durée de la réunion publique, temps
de parole qui est souvent utilisé pour présenter l'exploitation et les actions « responsables »
menées par l'exploitant. Leur participation permet aussi de contrôler ce qui est dit durant
les réunions publiques. Il est important pour eux que les discours les plus virulents soient
contenus autant que possible afin d'éviter que l'ensemble des participants ne repartent avec
une vision négative.
L'existence d'un réseau historiquement constitué est un frein au développement des
dispositifs de concertation et à l'intégration de nouveaux acteurs. La longévité du réseau
incite les acteurs membres à rester dans une situation de statu quo. En effet, les acteurs
ont appris à fonctionner les uns avec les autres, les dispositifs participatifs servent d'abord
à renforcer ces relations qui existent entre les « acteurs traditionnels ». La multiplication de
nouveaux espaces de discussion est davantage utilisée pour présenter un front commun et
promouvoir les bonnes relations qui existent au sein du réseau. Elle ne remet en cause que
très partiellement les rapports de force qui existent entre les membres de ce réseau.
Des rapports de force qui persistent.
Le binôme préfecture /mairie, un couple indémodable ?
Parmi les acteurs phares des politiques de prévention des risques, notre propos serait
incomplet si nous n'évoquions pas le rôle de deux institutions: la mairie et la préfecture.
Dès les premières lois sur la prévention et l'information des risques industriels, ces deux
acteurs sont apparus sur le devant de la scène. Les nombreuses modifications apportées
depuis ne remettent pas en cause leur place prépondérante. Cependant, on observe depuis
la loi Bachelot de 2003 certaines transformations: l'apparition d'une norme délibérative et
la place importante qu'elle tend à occuper amènent ces institutions à des adaptations tant
dans l'utilisation de leurs prérogatives que dans les rapports qu'elles entretiennent l'une
avec l'autre.
Le préfet, en tant que représentant de l'État sur un territoire intervient, directement
ou par l'intermédiaire des services déconcentrés comme la DREAL et la DDE, dans les
quatre domaines des politiques de prévention des risques évoqués dans l'introduction: la
production de sécurité autour des sites à risques, la maîtrise de l'urbanisation autour des
sites à risques, la mise en place des secours en cas d'accident ainsi que l'information
75
préventive des citoyens . Le préfet est chargé de veiller à l'application de la législation sur
son territoire dans chacun de ces domaines. La loi Bachelot, en consolidant la production
de sécurité autour des installations, a en partie renforcé les prérogatives de la préfecture.
En effet, depuis la loi de 1976 relative aux installations classées pour la protection de
l'environnement, le contrôle des exploitations classées Seveso est sous la houlette du
préfet. La loi de 2003 est souvent citée comme un outil permettant le retour de l'État en
la personne du préfet. En renforçant les contrôles administratifs, elle contribue à valoriser
75
Martinais, Emmanuel, L'administration des risques industriels: entre renouvellement et stabilité, Regards sur l'actualité, La
Documentation Française, n°328, 2007, p. 25-37.
56
Hochart Clémentine - 2011
Partie II: Une ouverture qui reste partielle face à certaines résistances.
certaines des prérogatives de la préfecture en matière d'aménagement du territoire. Par
exemple, les PPRT, au cœur de la loi « Risques » de 2003, donnent un rôle central au préfet.
76
Chaque préfet de département dispose également d'un SID-PC , composé
exclusivement de fonctionnaires de l'État. Ce service est compétent dans les domaines
de défense et de sécurité civile. Au sein du cabinet préfectoral, le SID-PC assiste le
préfet dans les domaines de prévention et de gestion des risques mais également en cas
de crise. Il possède un rôle d'animateur et effectue son travail en coordination avec les
services administratifs en charge des risques industriels et les collectivités territoriales.
Avec ce service, la préfecture renforce ces capacités techniques et son expertise, qualités
indispensables pour être reconnue comme un acteur pertinent et fiable.
Enfin concernant l'information du public, rappelons que la préfecture est en charge
du DDRM. Ce document contient une liste des communes concernées par des risques
technologiques ou naturels, le type de risques auxquels les citoyens sont soumis dans ces
communes ainsi que les mesures prises pour y faire face. Les acteurs locaux observent
également un retour de l'Etat, toujours à travers la préfecture également dans ce domaine:
les CLIC, qui sont eux aussi une innovation de la loi Bachelot, placent également le préfet
au cœur du processus.
L'apparition des dispositifs de concertation et la création de nouveaux lieux de débats
se sont accompagnées d'un renforcement des prérogatives de la préfecture. Cependant, du
moins dans l'agglomération lyonnaise, on ne peut pas dire qu'il se soit fait au détriment de
son partenaire, la mairie. En effet, la préfecture cherche à garder le contrôle sur l'ensemble
de la procédure. Mais son but n'est pas de faire table rase du passé. Il s'agit davantage de
s'adapter au mieux aux attentes de ses partenaires, la mairie mais aussi les industriels. La
préfecture, et plus généralement la puissance publique, ne souhaite pas nécessairement
retrouver l'hégémonie qu'elle avait dans les années 1960. Au contraire, forte de son rôle
d'arbitre entre différents acteurs et intérêts, la puissance publique cherche à perpétuer
cette organisation en réseau afin de satisfaire au moins en partie ses partenaires mais
également afin de faire valoir ses intérêts. Alors que la préfecture est souvent en charge
de l'organisation des réunions publiques, elle est régulièrement critiquée. Comme l'extrait
suivant le montre, on lui reproche régulièrement d'utiliser ces réunions publiques comme
« des vitrines » permettant aux acteurs traditionnels de valoriser leurs rôles, sans laisser
de place aux échanges:
C'était une réunion, une caricature de ce qu'il ne faut pas faire. Elle était
organisée par une préfecture avec des groupes de travail qui devaient présenter
ce qu'ils avaient fait dans une optique de « concertation ». Et puis quand vient
le temps des questions... il n'y avait qu'un micro posé dans l'allée centrale. Il
fallait donc se lever, se déplacer jusque dans l'allée et enjambant les personnes
assises. Le micro lui était posé sur un trépied qui ne se relevait pas il fallait
donc se pencher pour parler face aux acteurs présents sur la scène. C'était juste
scandaleux. On aurait du prendre des photos de la scène. Au final il n'y a eu que
77
peu de questions.
Quant à la mairie, compte tenu de ses prérogatives étendues en terme de prévention et
d'information des risques, elle forme un binôme avec la préfecture. Elle a vu son rôle se
développer depuis les lois de décentralisation: ses pouvoirs de police, dans lesquels s'inscrit
76
77
Les SID-PC ont été crées par l'article 8 du décret du 20 avril 1983.
Annexe 2 : Entretien SPIRAL/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
57
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
la sécurité publique, ont été élargis. De plus, la mairie joue un rôle important en matière
d'urbanisme puisqu'elle est responsable de l'octroi des permis de construire. Concernant
l'information du public, la mairie joue un rôle en complémentarité avec la préfecture puisque
elle est chargée de la publication du DICRIM. Ce dernier représente en quelque sorte
l'équivalent du DDRM à l'échelle de la commune.
La loi de 2003 n'apporte pas de bouleversements concernant les compétences de la
mairie en matière de prévention et d'information sur les risques industriels. En revanche,
elle entraine une redéfinition des relations mairie-préfecture. Néanmoins, il faut là encore
revenir à la notion de réseau. Même si ces deux institutions ne portent pas les mêmes
valeurs ou les mêmes projets, on ne peut pas qualifier les relations qu'elles entretiennent de
« conflictuelles ». Elles sont plus ou moins bonnes selon les personnalités mais les maires et
les différents préfets ont compris qu'elles étaient nécessaires. En d'autres termes, le couple
préfecture/mairie en raison de son histoire et sa capacité d'adaptation, est encore amené
à durer. En effet, les acteurs ont su s'adapter aux modifications apportées par l'apparition
de la « norme délibérative » dans les politiques publiques de prévention des risques. La
plupart du temps, la répartition des rôles entre mairie et préfecture s'effectue, non pas de
manière conflictuelle, mais de façon pragmatique. Le préfet ne représente pas forcément la
figure politique la plus légitime pour s'occuper de certains sujets, en particulier auprès de
la population. Ce pragmatisme l'invite donc à ne pas trop empiéter sur les prérogatives des
communes afin de maintenir un équilibre qui est positif pour les deux institutions. Néanmoins
il ne faut pas perdre de vue les tensions qui peuvent exister entre les communes et le
représentant de l'État sur le territoire:
Même si les relations sont plutôt bonnes avec la préfecture, il existe des tensions
entre l'administration et les communes. On est parfois soumis à des fortes
pressions de la part des services de l'État qui nous demandent des documents
ou qui en imposent certains à la dernière minute. Les dépenses, surtout en ce
moment, sont importantes pour les communes. Or avec ce genre de démarche,
78
un peu à la dernière minute, c'est difficile d'anticiper.
Compte tenu des difficultés économiques actuelles et de restrictions budgétaires, les
communes se trouvent dans des situations financières moins favorables que par le passé.
Il est important pour elles de contrôler l'état de leurs finances. Comme nous l'avons
évoqué dans la première partie, des tensions peuvent apparaître entre communes et
préfecture: cette dernière est souvent critiquée pour imposer certaines actions coûteuses
aux collectivités territoriales sans leur laisser de marge de manœuvre. Toutefois ces
relations, parfois chaotiques, dépendent largement des personnalités en jeu.
L'industrie, entre acteur économique et éco-citoyenneté.
La stabilité du binôme préfecture/mairie peut laisser croire à un retrait des industriels.
Cette position est inexacte. L'industrie s'est pendant longtemps présentée comme un acteur
économique dont le but était la recherche de rentabilité et de profit. Les préoccupations
environnementales ainsi que les interrogations sur la place de l'entreprise dans la société
ont transformé cette vision. L'industrie n'est plus perçue comme une entreprise fonctionnant
en dehors de la société mais comme un membre du territoire sur lequel elle se situe. Les
industriels seraient devenus des éco-citoyens. Le préfixe « éco » rajoute une dimension à
la notion de citoyen. En plus des responsabilités incombant aux citoyens, les entreprises
auraient des responsabilités par rapport à leur milieu. Les rendements économiques ne sont
78
58
Annexe 6 : Entretien Ville de Feyzin
Hochart Clémentine - 2011
Partie II: Une ouverture qui reste partielle face à certaines résistances.
plus la seule finalité, même si ils demeurent essentiels. L'entreprise doit prendre en compte
les situations environnementales et sociales de son cadre de vie.
Cette transformation induit de nouveaux devoirs pour l'industrie. Ainsi, les exploitations
industrielles doivent faire preuve de davantage de responsabilité vis-à-vis de leur
environnement dans leurs activités et dans leurs relations avec leurs partenaires. C'est ce
qui peut expliquer le changement d'attitude de l'industrie, en particulier celui de la chimie
dans l'agglomération lyonnaise. Être responsable implique davantage de transparence visà-vis de l'extérieur. Avec l'apparition de la notion d'éco-citoyenneté dans le monde de
l'industrie, les exploitants sont entrés dans l'ère de la communication. Après avoir longtemps
refusé de parler du risque, ils cherchent maintenant à valoriser les efforts qui sont fait en
matière de sécurité mais aussi les avantages que peuvent apporter leurs industrie:
« La chimie est une activité d'accompagnement. Elle aura d'ailleurs un rôle clef
dans la mise en œuvre des actions de développement durable avec les énergies
renouvelables par exemple. Le paradoxe de l'industrie, c'est qu'elle est à la fois
79
source de problème et source de solutions »
Par rapport aux collectivités territoriales et à l'État, les industriels vont être tentés de saisir
toutes les opportunités pour faire valoir une nouvelle image. Mais, contrairement à ces deux
acteurs, ils ont encore besoin de se vendre auprès du public. En effet, même si les industriels
pèsent de manière importante sur les politiques et sont largement représentés dans les
différentes instances de concertation, ils ne disposent pas de la même légitimité auprès de
l'opinion qu'un élu local par exemple. Mais l'ouverture dont font preuve les industriels a des
conséquences positives. Les industriels sont dans un rapport de force avec les collectivités
territoriales et les services de l'État qui leur est globalement favorable:
Quand vous êtes dans un système en tant que presque expert, finalement vous
connaissez, vous faites partis des « sachants ». C'est le cas même pour les
élus finalement qui finissent par rentrer dans ce jeu là. Les élus sont presque
systématiquement plus du côté des exploitants que du coté de la population.
L'administration c'est aussi pareil. Même si elle contrôle les exploitants et, de
temps en temps elle met des PVs, elle est plutôt du coté de l'exploitant. Ce n'est
pas bien de dire ça, « du côté de l'exploitant » mais on se retrouve comme vous
80
dites dans la même mouvance.
Ce fonctionnaire de l'État témoigne de cette connivence entre les trois catégories d'acteurs,
qui est à l'avantage des industriels. En tant que membre du réseau il est important pour eux
de maintenir un cet équilibre afin de continuer à faire valoir leurs intérêts. En un sens, on
peut dire que la loi Bachelot, en introduisant de la concertation entre les acteurs, pousse
également les industriels à « se vendre » davantage auprès de leurs partenaires. Il apparaît
que les relations entre collectivités territoriales et industriels posent étrangement moins de
problème que celles entre collectivités et puissance publique. Se présenter comme une
entreprise responsable et soucieuse de l'environnement dans lequel elle évolue, contribue à
l'amélioration des relations. Ainsi communes et industries peuvent tendre vers des objectifs
environnementaux ou sociaux communs. L'attitude des industriels joue énormément sur
les rapports de force qu'ils entretiennent avec leurs partenaires. En effet, ces derniers
79
Forum « Sécurité industrielle et villes durables » du 21 avril 2011à Pierre Bénite. Daniel Marini, directeur des affaires
économiques de l'UIC. Notes personnelles.
80
Annexe 2 : Entretien SPIRAL/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
59
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
reconnaissent les efforts fournis et sont plus à même de présenter un front commun face
aux autres acteurs, les riverains en particulier.
Face au développement de la délibération et de la concertation, les acteurs traditionnels
oscillent entre ouverture et résistance. Parce qu'ils sont constitués en un réseau
relativement hermétique, les acteurs dominants continuent de jouer un rôle structurant. Mais
la place du citoyen est désormais une problématique sur laquelle ils doivent se pencher.
Entre inclusion et exclusion, nous allons maintenant, à travers l'exemple de la campagne de
2008, nous intéresser aux rôles des citoyens dans les politiques de prévention des risques.
Chapitre 2: La place du citoyen dans la campagne:
l'illustration des tensions entre ouverture et
résistance.
Les efforts d'ouverture et de transparence sont une conséquence de la perte de légitimité à
laquelle doivent faire face la puissance publique et ses partenaires. Le choc des affaires du
sang contaminé dans les années 1980 et de l'amiante dans les années 1990 ont remis en
cause la gestion technocratique des risques. Concernant les politiques de prévention des
risques, l'accident d'AZF a particulièrement marqué l'opinion public. La loi qui découle de
la catastrophe cristallise ces dynamiques d'ouverture. A travers l'exemple de la campagne
de 2008, plus particulièrement de certains dispositifs participatifs, nous verrons comme
l'intégration des citoyens est devenu un double enjeu pour la puissance publique. Entre
citoyen actif et citoyen passif, son intégration représente un nouvel enjeu pour les acteurs
traditionnels puisqu'elle permet une meilleure acceptabilité sociale du risque.
L'intégration des citoyens: nouvel enjeu des politiques publiques ?
Acceptabilité sociale du risque et citoyens.
Les activités porteuses de risques susceptibles d'impacter la vie des citoyens se trouvant
à proximité sont sujettes à cette notion d'acceptabilité du risque. L'acceptabilité du risque
n'est pas uniquement liée au niveau de connaissances et aux compétences dont disposent
les individus. Elle varie selon des facteurs professionnels, sociaux et culturels mais aussi
selon la perception qu'on les citoyens de la maîtrise du risque. Si les mesures de sécurité
dans et en dehors de l'établissement sont importantes, le risque est potentiellement plus
acceptable pour les citoyens. Paradoxalement, si l'exploitation investie fortement en matière
de sécurité afin de faire des progrès, le risque sera souvent mieux accepté même si le niveau
de protection n'est pas aussi élevé que dans une entreprise qui fera moins de dépenses.
L'activité productrice du risque est aussi un facteur à prendre en compte. Selon le type
d'activité et les bienfaits qu'elle peut apporter à la société ou aux riverains en terme de bien
être ou d'emplois par exemple, elle sera plus ou moins bien acceptée. De plus, l'acceptabilité
d'un risque dépend aussi du rapport entre la probabilité, l'intensité et la gravité de l'accident.
L'acceptation d'un risque est donc définie par le niveau de tolérance que la société et les
individus vont avoir par rapport aux possibilités d'occurrence du risque.
Pour résumer on peut trouver trois critères qui l'explique:
60
Hochart Clémentine - 2011
Partie II: Une ouverture qui reste partielle face à certaines résistances.
les caractéristiques personnelles comme la situation socio-économique d'une
personne, le vécu, le capital culturel...
les connaissances que l'on a à disposition sur le risque c'est-à-dire l'expertise
disponible, les informations distribuées par les pouvoirs publics ou par les exploitants,
l'avancée de la recherche...
les actions de protection et les mesures de sécurité prises par la puissance publique
et les exploitants pour prévenir le risque.
La place du citoyen est au cœur de notre propos puisqu'elle favorise l'acceptabilité
sociale du risque. Cette notion est encore très discutée; nous l'entendrons ici comme
« le produit de délibération dans lesquels des acteurs entreprennent de se rapprocher
de produire des connaissances partagées de prendre des engagements et d'apprendre à
81
se faire confiance » . L'acceptabilité sociale des risques industriels repose à la fois sur
la valorisation de l'utilité sociale de l'industrie dans l'agglomération et sur la constitution
d'espace de délibération entre les divers acteurs. Il est effectivement essentiel de présenter
les bénéfices que peuvent apporter la présence et l'activité des entreprises productrices
de risques. Démontrer l'utilité sociale des exploitations permet d'introduire une logique plus
pragmatique dans la gestion des risques. En bref, il s'agit de dépassionner les relations
qu'entretiennent les acteurs avec les risques.
Nous l'avons montré, les acteurs traditionnels, en tant que membres d'un même réseau,
s'entendent le plus souvent. La plupart des communes ne remettent plus en cause la
présence de l'industrie sur leur territoire. L'acceptabilité sociale du risque pose davantage
problème au niveau de la population. En effet, les citoyens sont ici dans une position
plus complexe que ne peuvent l'être les exploitants ou les salaries. Pour ces derniers,
les avantages que procure l'exploitation sont relativement faciles à comprendre. L'industrie
offre un statut professionnel à ces individus, elle est donc source de revenus. Les citoyens,
plus particulièrement les riverains sont les acteurs qui subissent souvent les inconvénients
sans percevoir les avantages que peut leur apporter l'exploitation. Démontrer l'utilité sociale
de l'industrie revient alors à faciliter sa présence. Prenons l'exemple de la chimie dans
l'agglomération lyonnaise. Les industries de la chimie, en particulier à travers l'action de
l'union des industries chimiques (UIC) Rhône-Alpes, valorisent le rôle qu'elles jouent dans la
promotion du territoire de l'agglomération, dans son dynamisme économique... Cette vision
n'est pas uniquement portée par les industriels mais également par des élus locaux:
[…] l'industrie contribue au développement national et international, c'est
un véritable facteur de développement. Le tertiaire progresse dans nos pays
82
développés mais l'industrie ça reste crucial
Cet extrait montre que si l'utilité sociale de l'industrie est reconnue par ses partenaires, il est
important de rappeler aux individus son importance dans la production de biens quotidiens
(plastique, produits pharmaceutiques ou cosmétiques).
On veut pas du risque près de chez soi, c'est pas que l'on en veut pas du tout. Le
matin il y a eu une présentation sur l'utilité des produits. On a besoin de certains
produits, sans certains produits on serait tout nu, on vivrait à l'age de pierre.
81
Borraz, Olivier. Salomon, Danielle. « Reconfiguration des systèmes d'acteurs et construction de l'acceptabilité sociale: le
cas des épandages des boues d'épuration urbaines » in Claude Gilbert (dir.), Risques collectifs et situations de crise. Apport de la
recherche en sciences humaines et sociales, Paris, L'harmattan, 2002, p. 145.
82
Forum « Sécurité industrielle et villes durables » du 21 avril 2011.Christiane Demontès, sénatrice du Rhône, Maire de
Saint-Fons. Notes personnelles.
Hochart Clémentine - 2011
61
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
Donc il faut accepter, si on veut un produit qu'il soit fabriqué. Le matin c'était un
peu pareil de la part des chimistes qui montraient l'utilité de leurs produits. On
a pas des usines pour avoir des usines. Si il y a des usines c'est pour fabriquer
des produits. La difficulté avec la chimie c'est que l'on ne voit pas forcément le
produit final. Avec une entreprise de confiture on va avoir des fruits et puis hop!
des confitures. Les entreprises de chimie sont complémentaires. Il y en a une qui
83
va faire le plastique, l'autre qui va faire l'encre. Le stylo ne sort pas tout fait !
APORA, en tant que représentante des industriels, se positionne de façon identique:
l'industrie produit un certain nombre de biens utilisés par les citoyens, si on utilise ces biens
il est alors nécessaire d'accepter les risques que leurs productions engendrent. Présenter
l'utilité de l'industrie chimique pour tout un chacun et montrer qu'elle est utilisée dans la vie
de tous les jours permet de prévenir les critiques des citoyens.
Faire accepter le risque par les citoyens est plus évident lorsque ces derniers disposent
d'un droit de regard ou d'un droit de parole. C'est en partie ce qui explique la constitution
d'espace de débat. Intégrer les citoyens aux politiques publiques de manière générale
permet en règle général de désamorcer une partie des conflits et de répondre à certaines
réclamations. La multiplication des dispositifs auxquels les citoyens peuvent participer
répond à cette logique. C'est un moyen pour rendre les décisions plus légitimes. De manière
plus générale, la participation des citoyens permet de rendre le risque plus acceptable. C'est
donc une manière de limiter les contestations.
De plus, l'ouverture de nouveaux espaces de discussion permet aux pouvoirs publics de
reconnaître l'existence de points de vue et de préoccupations différentes selon les individus
et la fonction qu'ils occupent. L'objectif final de ces dispositifs reste celui de faire adhérer
l'ensemble de la population aux politiques décidées. Cependant ce n'est pas forcément
l'effet le plus attendu. L'organisation de réunions publiques, de lieux de discussions permet
aux citoyens de mieux connaître les acteurs, de mieux comprendre. En instaurant des
procédés compréhensibles par les citoyens, les pouvoirs publics permettent de restaurer la
confiance que ces derniers leur portent. On revient ici à l'idée de légitimité évoqué dans la
partie précédente. L'intérêt de ces dispositifs est donc double: faire accepter socialement le
risque et faire accepter les mesures qui l'entourent.
Une intégration limitée et encadrée.
Pour que ces deux objectifs soient réalisables il est important que les dispositifs fonctionnent
correctement. Les processus de discussion et de débats doivent permettre d'atteindre un
nouveau compromis entre l'ensemble des protagonistes afin de maintenir cette acceptabilité
du risque. Toutefois ces dispositifs ne remplacent pas les procédés officiels. Ils sont conçus
comme des processus visant à compléter et renforcer ce qui existe déjà. La multiplication de
ces nouveaux espaces de débat pose la participation comme un nouveau principe dans la
fabrique et la mise en œuvre des politiques publiques. Cependant il faut bien distinguer deux
niveaux: la délibération et la concertation qui peuvent exister entre les membres du réseau
et la participation avec les citoyens. Si ces outils participatifs sont largement acceptés par
les acteurs traditionnels, l'opposition entre participation et décision demeure. En effet, la
plus grande intégration des citoyens par l'intermédiaire de ces nouveaux espaces publics
ne coïncide pas nécessairement avec une plus grande participation aux prises de décision.
83
62
Annexe 4 : Entretien APORA
Hochart Clémentine - 2011
Partie II: Une ouverture qui reste partielle face à certaines résistances.
C'est pour cette raison que l'on peut dire que l'intégration des citoyens aux politiques
de prévention des risques, si elle existe, reste très largement limitée. La « concertation »,
la « délibération » ne concernent pas l'ensemble de la fabrique d'une politique publique.
Ces espaces de discussion ouverts aux public, même lorsqu'ils sont institutionnalisés, ne
coïncide pas avec les lieux où sont pris la décision politique.
Ici encore nous allons utiliser l'exemple de la campagne 2008 pour illustrer notre
propos. La campagne « Les bons réflexes » a été lancée par les préfets début octobre
2008. C'est uniquement à partir de cette date que les réunions publiques, c'est à dire la
rencontre avec le grand public, étaient prévues. Si l'on regarde l'organisation générale de la
campagne, cette participation tardive du public peut s'expliquer. Le planning général prévoit
l'information régulière des CLIC de Rhône-Alpes concernant les démarches entreprises
et l'avancée des actions, dès le début de l'année 2008 (soit près de neuf mois avant le
lancement de la campagne). Ces derniers, par l'intermédiaire des différents collèges, sont
considérés comme représentatifs de la société civile ainsi que des citoyens. Cependant, il
n'est nullement question d'intégrer les CLIC aux processus de décision. De plus, d'après
les dires d'un membre du Secrétariat permanent de la campagne, les CLIC n'ont pas été
associés à la campagne par manque de temps, mais aussi par manque de moyens humains
et financiers:
Il y a un truc que l'on n'a pas fait mais ce n’est pas évident puisqu'il faut
du temps. Ça concerne les CLIC, les Comités Locaux d'information et de
concertation, qui sont des instances faîtes pour écouter surtout les riverains. Oui
il faut être clair ce n'est pas fait pour l'État, ni pour les industriels et pas non plus
pour les élus locaux c'est surtout pour les riverains. Les salariés on ne les voit
pas. Les CLIC peuvent faire des observations. Dans leurs rôles et leurs missions
on les informe de ce qui ce fait en matière d'information et ils peuvent faire des
remarques et des observations. Et ça nous ne l'avons pas utilisé. Ça nécessite
du temps et des moyens: du temps humains et puis des « pépettes ». […] Il faut
réunir le CLIC et c'est hyper « procédurié » et ça demande un certain temps. Or
en période de préparation de campagne on n'a pas vraiment le temps. On ne peut
pas tout faire dans la vie où alors il faut embaucher. « Allo mon directeur est ce
qu'on pourrait embaucher quelques nouvelles personnes? ».(Rires) Ce n’est pas
84
tout à fait possible en ce moment.
Réunir les CLIC nécessite d'engager une procédure qui, compte tenu du rythme de la
campagne, peut sembler en décalage. Cependant on peut également poser la question
du manque de volonté des acteurs. Toutefois l'absence de représentants de citoyens ou
de riverains dans la conception et la mise en œuvre de la campagne témoigne de cette
séparation entre les lieux où sont pris les décisions et les lieux où peuvent participer les
citoyens.
L'ambiguïté des stratégies des acteurs dominants
Cette séparation entre espaces de discussion accessibles aux public et espaces de décision
ouverts à un nombre réduit d'acteurs pose question. Les notions de délibération et de
concertation, valorisées par les pouvoirs publics ne s'appliquent finalement qu'aux acteurs
déjà parties intégrantes du réseau.
84
Annexe 2 : Entretien SPIRAL/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
63
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
Les discours sur l'ouverture de nouveaux espaces de débats sont soumis à une
contradiction. Ces dispositifs participatifs sont censés favoriser la concertation. Mais, si
concertation il y a, concerne t-elle réellement tous les protagonistes ? La réponse semble
évidente.
Une intégration qui pose problème: quelle place donner aux citoyens ?
Une des avancées de la loi Bachelot concerne l'impulsion qu'elle a donnée aux phénomènes
de concertation. Les riverains disposent actuellement d'opportunités pour rencontrer
directement les exploitants, leurs élus locaux et les représentants de l'État en charge de
la prévention des risques industriels. Que ce soit pendant les campagnes d'information,
par l'intermédiaire des CLIC ou dans le cadre de la procédure d'élaboration d'un PPRT, les
citoyens sont amenés à participer et à poser leurs questions. Car c'est bien de cela qu'il
s'agit. Les acteurs traditionnels ne sont pas hostiles à l'idée de rencontrer ces derniers, de
discuter et de débattre sur différents thèmes. Il n'est cependant pas question de les associer
aux prises de décision.
Or, la portée des réunions publiques n'est pas toujours claire pour ceux qui y participent.
Les 17 réunions organisées dans la région Rhône-Alpes dans le cadre de la campagne
n'ont eu lieu qu'une fois celle-ci mise en place. Les citoyens/riverains disposent alors d'un
lieu où poser leurs questions et non d'un espace de proposition par rapport à la campagne.
La portée de ces réunions publiques est limitée à un espace où les citoyens peuvent obtenir
des réponses à leurs interrogations.
Les dispositifs de concertation et de débats mis en place avec les CLIC ou les PPRT
sont des lieux qui mobilisent davantage. Néanmoins les pouvoirs publics laissent souvent
planer un flou autour de l'impact réel de ces derniers:
C'est vrai que l'on doit faire mieux, c'est trop descendant je l'admet. Mais après
il faut réfléchir à comment mieux organiser, comment organiser différemment
et qu'est ce que ça va apporter surtout. Parce qu'il ne faut pas non plus, et ça
c'est la pratique de réunions publiques, laisser croire aux gens qu'ils ont tout
le pouvoir alors qu'en réalité ils n’en ont aucun. Pratiquement aucun dans ces
domaines. Moi j'ai horreur de ça, c'est de la démagogie pure. C'est le parfait
démagogue qui dit « je vous écoute » alors que [la personne] sait qu'elle ne
85
bougera pas une virgule à son papier.
On peut reprendre l'expression utilisée par Callon, Lascoumes et Barthe dans leur
ouvrage « Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique »: « beaucoup
86
de flou opportuniste est entretenu […], le moins laissant croire le plus » . A cet égard on
peut parler d'instrumentalisation de la participation.
Les réunions publiques, en tant que dispositifs participatifs sont utilisées par l'État et les
élus locaux afin de servir au mieux leurs intérêts. On observe un cadre fortement verrouillé
dans lequel les acteurs traditionnels conservent le premier rôle. Lors de la campagne de
2008, les réunions publiques étaient organisées par les services de la préfecture, souvent
par l'intermédiaire des représentants de la DREAL qui animent le Secrétariat permanent.
85
Annexe 2 : Entretien SPIRAL/DREAL
86
Callon, Michel. Lascoumes, Pierre. Barthe, Yannick. Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. Paris :
Editions du Seuil, septembre 2001, p. 311.
64
Hochart Clémentine - 2011
Partie II: Une ouverture qui reste partielle face à certaines résistances.
Dans la plupart des cas, la mairie de la commune qui accueille la réunion est associée à
l'organisation.
Les intervenants sont particulièrement nombreux. Les services de l'État restent, comme
dans la plupart des dispositifs mis en place, très largement représentés. Les préfets ou leurs
représentants, en tant que dépositaire de l'autorité de l'État dans le département, présentent
la campagne et les intervenants. La DREAL, la DDE mais aussi le SID-PC de la préfecture
87
ainsi que le Service départemental d'incendie et de secours sont présents et interviennent
plus ou moins longuement. Les responsables des exploitations industrielles, accompagnés
des personnes qu'ils jugent compétentes, sont également présentes. Compte tenu de
l'importance donnée aux actions éducatives, un représentant de l'éducation nationale est
souvent convié. Enfin l'un des membres du secrétariat permanent de la campagne, le plus
souvent un fonctionnaire de la DREAL anime la réunion publique.
L'organisation et le déroulement de la plupart des réunions publiques sont révélatrices
de cette mise en scène dont nous parlions. La plupart des réunions se sont déroulées sur
le modèle suivant:
Accueil des élus locaux avec une intervention du maire.
Une introduction générale sur les risques industriels dans la région et dans le périmètre
concerné par un représentant de la préfecture.
Une présentation de la campagne ( le cadre réglementaire, les supports, les bassins
concernés...) avec une diffusion du film de la campagne.
Une présentation de la part de chaque exploitant de son établissement industriel: les
caractéristiques, les risques occasionés par le production, les mesures de sécurité au sein
de l'établissement...)
Enfin une partie « Questions/réponses » avec le reste de la salle.
L'État et les élus locaux maitrisent donc l'ordre du jour ainsi que les acteurs invités. Ces
réunions publiques participent à une reproduction du pouvoir en place et à une légitimation
du rôle de chaque acteur. La partie réservée au débat et à la discussion n'arrive qu'en toute
fin de réunion. L'organisation même de la réunion publique, comme expliqué ci-dessous,
ne favorise pas l'échange entre les intervenants et les personnes qui assistent à la réunion
publique:
Il y a des sujets qui s'y prêtent et d'autres pour lesquels cela semble beaucoup
plus difficile puisqu'il faut avoir le même socle minimal de culture ou au moins de
connaissance. Donc on est obligé dès le départ de faire des « mises à niveaux ».
ça paraît normal à une réunion publique sur les risques d'une entreprise X, que
cette entreprise explique ce qu'elle fait. Ça paraît normal que le service en charge
du contrôle de l'entreprise X, ici la DREAL, dise aussi ce qu'il fait. Alors après
on peut discuter. Nous on est allé un peu au delà puisque nous avions déjà tout
formaté, la campagne elle même ainsi que les outils et les relais d'information.
88
Une fois qu'on avait exposé ça on leur demandait « bon posez vos questions. »
La main-mise de la préfecture et des fonctionnaires de l'administration sur les réunions
publiques nous ramène à l'hypothèse d'une recherche de légitimité de la part de ces acteurs.
87
Le SDIS est un établissement public chargé de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies. Il participe
également à l'évaluation et à la prévention des risques technologiques (et naturels) ainsi qu'aux secours d'urgence.
88
Annexe 1 : Entretien SPIRAL/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
65
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
Il s'agit aussi de convaincre les gens que leur participation est utile et précieuse alors qu'elle
ne l'est pas réellement.
Cependant, les réunions publiques organisées en 2008 sont des semi-échecs tant
sur la forme qu'elle revêtent que sur le nombre de personnes qu'elles ont mobilisées. Au
total environ 1400 personnes ont assisté à au moins une réunion, une donnée qui paraît
relativement faible sur les 1,2 millions de personnes concernées. Cette faible mobilisation
amène les acteurs à se remettre en question quant au fond et à la forme que peuvent prendre
ces réunions. L'association des citoyens reste donc un enjeu pour les acteurs traditionnels.
Les réunions publiques illustrent parfaitement le fossé qui existe encore entre
les acteurs particulièrement actifs concernant les risques industriels et les acteurs
« secondaires ». Les dispositifs de concertation permettent aux citoyens de faire valoir un
pouvoir de contestation et non un pouvoir de co-décision. Or cette distinction n'est pas
toujours clairement signifiée à l'ensemble des participants.
Des dispositifs qui n'ont pas vocation à se substituer aux acteurs
compétents.
Les réunions publiques organisées dans le cadre de la campagne de 2008, comme une
majorité de dispositifs de concertation et d'information mis en place depuis 2003, n'ont pas
vocation à devenir de nouveaux lieux de décision. Ces dispositifs représentent davantage
l'occasion pour les acteurs dominants d'apprendre à mieux travailler ensemble et à mieux
appréhender les rapports de force qui caractérisent les politiques de prévention des risques
plutôt qu'une réelle possibilité d'ouverture pour des acteurs jusqu'à la secondaires dans les
prises de décisions. Ce sont également des moments où les acteurs dominants prennent
conscience des positions d'une partie de la population. Et c'est là l'un des intérêts principaux
de ce genre de dispositifs puisque la rencontre entre citoyens et l'administration permet à
cette dernière de mieux comprendre comment les politiques décidées sont reçues par les
populations.
La multiplication des espaces publics de débat répond aux attentes des citoyens et
certains élus locaux et non à un souhait de la puissance publique. Toutefois ces nouveaux
instruments peuvent apporter de nombreux avantages aux acteurs dominants. Ce sont des
outils de légitimation des politiques mises en œuvre, de l'action et de la répartition des rôles
des différents services administratifs et aussi du rôle de la puissance publique. En apprenant
à mieux fonctionner mais aussi à mieux comprendre les citoyens, l'action publique peut être
plus efficace et légitime.
Mais de manière plus générale, l'intégration des citoyens dans les politiques publiques
pose la question de leur rôle. Longtemps confisquées par les services administratifs,
les politiques de prévention des risques ont du intégrer un nombre croissant d'acteurs.
L'intégration des citoyens représente une nouvelle difficulté pour les acteurs dominants
puisque ceux-ci sont porteurs d'intérêts plus nombreux et plus localisés. Ils ne défendent pas
nécessairement l'intérêt général. Il est donc plus difficile de prendre en compte l'ensemble
des opinions véhiculées par les citoyens.
Leur place reste un enjeu particulièrement important puisqu'ils sont à la fois
contribuables et utilisateurs. Les revendications qui existent actuellement paraissent
d'autant plus justifiées que les citoyens financent en grande partie la politique en question.
En tant qu'utilisateurs, ils sont aussi à même de donner leurs avis sur les actions mises
en place. Or, ces derniers dénoncent souvent le peu d'information dont ils disposent, les
difficultés pour obtenir ces informations mais aussi la fiabilité de celles ci. Le fonctionnement
66
Hochart Clémentine - 2011
Partie II: Une ouverture qui reste partielle face à certaines résistances.
concret de ces procédures montre que de les dispositifs participatifs ont encore du mal à
atteindre leurs objectifs.
On peut à cet égard évoquer les comités locaux d'information et de concertation (les
CLIC). Mis en place avec la loi de 2003 dans le but de participer au développement de la
concertation et de la délibération dans les politiques de prévention des risques industriels
et de permettre le développement d'une culture du risque chez les citoyens, ces comités
illustrent parfaitement les ambiguïtés qui existent dans de tels dispositifs.
Créées par le préfet, ces instances ont pour but d'améliorer l'information et la
concertation entre les différents protagonistes sur les risques technologiques. D'après
l'article D125-31 du Code de l'environnement, le CLIC devait avoir pour mission la création
« d'un cadre d'échange et d'informations entre les différents représentants des collèges
énoncés à l'article D125-30 sur les actions menées par les exploitants des installations
classées, sous le contrôle des pouvoirs publics, en vue de prévenir les risques d'accidents
majeurs que peuvent présenter les installations ». Selon la plupart des acteurs interrogés,
les CLIC sont des outils crées spécialement pour les citoyens. L'enjeu des CLIC est d'offrir
à ces derniers un lieu où s'exprimer et obtenir informations.
Cinq collèges d'acteurs « aussi équilibrés que possible » ont été mis en place: un
collège administration (préfecture, DREAL, DDE, SID-PC, SDIS), un collège exploitants,
un collège collectivités territoriales, un collège riverain (associations locales, particuliers,
établissements publics, entreprises c'est à dire les personnes concernées par les risques
dans leur environnement immédiat et personnalités qualifiées) et un collège salarié.
Pourtant censés être des lieux de débats et de concertation, les CLIC sont devenus des
commissions de suivi des sites (CSS).
Or le changement de sémantique auquel doivent faire face ces comités révèle leur
« vraie nature »: ce nouveau nom pose question sur la concertation qui existe au sein des
CLIC. La transformation des CLIC en CSS à la fin de l'année 2010 témoigne d'une certaine
remise en cause du rôle de ces dispositifs. En effet, comme l'affirme ce fonctionnaire de la
DREAL, le fonctionnement des CLIC ne s'inscrivait pas dans une optique de concertation
et de débat:
Maintenant c’est le pôle gouvernance du SPIRAL qui s’occupe des CLIC, ce sont
les Comités Locaux d’information et de concertation, qui eux d’ailleurs ne sont
pas très concertation mais plutôt consultation. D’ailleurs la loi Grenelle les a
transformés en commission ou comité, je ne sais jamais, Commission de suivi de
site. En effet on a cherché à ce qu’au niveau de la sémantique cela se rapproche
plus de la réalité. Il n’y avait pas de concertation dans les CLIC. Avec la nouvelle
89
appellation on se rapproche de ce qu’ils sont vraiment.
Les CLIC sont à l'image des dispositifs de discussion qui sont apparus depuis une dizaine
d'année. Leur rôle et leur portée restent équivoques et dépendent souvent de l'utilisation
que des protagonistes. Ils sont en grande partie soumis à la bonne volonté des « acteurs
traditionnels ». La participation et l'implication de ces derniers sont en effet nécessaires au
bon fonctionnement de ce genre de dispositifs. L'implication des citoyens est aujourd'hui
ressentie comme une pression nécessaire. Cependant les modalités pratiques restent sont
très variables selon les dispositifs.
Intégrer les citoyens dans les processus de décision pose problème puisque cela
revient à remettre en cause, au moins partiellement, certains principes de démocratie
89
Annexe 2 : Entretien SPIRAL/DREAL
Hochart Clémentine - 2011
67
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
représentative. De plus, cela pose le problème de la représentativité des citoyens eux
mêmes. Or l'intégration des citoyens, pour qu'elle soit suffisamment importante, n'est
possible que si ces derniers sont constitués en groupe de pression. Contrairement aux
associations d'industriels ou de défense de l'environnement, les associations de riverains
sont rares et souvent très localisées. Le terme « association » est entendue ici comme un
regroupement et non comme l'entité juridique. Elles s'inscrivent donc davantage dans la
défense d'intérêts très localisés, parfois même personnels. Cette localité est alors utilisée
par un certain nombre d'acteurs pour délégitimer les demandes qui émanent de ces
« associations » de riverains comme l'exprime cette représentante des industriels:
Après les associations, il y en a qui confondent les intérêts individuels et les
intérêts collectifs. Surtout lorsque ce sont des petites associations, les discours
sont plutôt: « je ne veux pas de bruit, je ne veux pas de fumée près de chez moi ».
Alors que souvent c'est le riverain qui est venu habiter près de l'usine qui, elle,
90
est là depuis 100 ans. On l'oublie trop souvent.
La place des citoyens dans les politiques de prévention de risques industriels, même si
elle est reconnue comme nécessaire et, souvent légitime, n'est pas encore inscrite dans la
réalité. L'État et les élus locaux sont souvent favorables à la mise en place de dispositifs
participatifs si ces derniers restent sous une tutelle relativement importante. Enfin, lorsque
les riverains font valoir certaines revendications, le caractère souvent localisés de ces
demandes est parfois utilisé par les acteurs pour ne pas donner suite.
De manière plus générale, la multiplication des espaces de discussion publique est
un phénomène largement pris en compte dans les sciences sociales. Mais leurs impacts
sur les politiques publiques restent encore largement discutés. L'exemple de la campagne
d'information de 2008 illustre les désaccords que ces nouveaux outils suscitent. En effet,
la multiplication de ces dispositifs relève d'une certaine ambiguïté puisque leurs rôles
restent encore incertains. D'une part, ces dispositifs participatifs contribuent à l'amélioration
des relations entres les acteurs puisqu'ils les forcent à se rassembler autour d'une table
et à discuter et décider ensemble. En ce sens, on peut considérer qu'ils contribuent à
renforcer l'existence d'un réseau déjà solidement ancré. D'autre part, ils offrent de nouvelles
possibilités à l'ensemble des acteurs.
L'étude des différents dispositifs participatifs et de la campagne d'information de
2008 permet de constater que, même si la concertation n'entraîne pas une remise en
cause profonde du rôle des acteurs dominants, elle contribue à introduire davantage de
démocratie. Le nombre important de ces dispositifs témoignent d'un certain engouement de
la part des acteurs dominants mais également de la part de la société civile et des citoyens.
Les notions de concertation et de participation sont aujourd'hui acceptées par la plupart des
acteurs, ce qui, en soi, constitue déjà une avancée importante.
Toutefois, il est important de faire la distinction entre espaces où peuvent intervenir
tous les protagonistes et les processus de décisions. Confondre les deux amènerait à croire
que davantage de concertation entre les acteurs dominants signifie davantage d'ouverture
pour des acteurs souvent secondaires comme les associations ou les riverains. En effet,
les notions de concertation et de transparence affectent l'ensemble de la politique, de sa
conception à sa mise en œuvre. Elles concernent donc l'ensemble des acteurs étudiés.
Or, nous l'avons vu, elles ne revêtent pas la même signification selon les instances
observées. On observe toujours une séparation assez nette entre les espaces où se
décident politiquement les actions à mener et les espaces dits « de discussion ».
90
68
Annexe 4 : Entretien APORA
Hochart Clémentine - 2011
Partie II: Une ouverture qui reste partielle face à certaines résistances.
Par exemple, la campagne de 2008 valorise ces notions: son organisation, sa
conception auraient été plus « concertées », plus « transparentes ». Il est ici question des
procédures mises en place en amont du lancement de la campagne. Les acteurs concernés
sont donc les acteurs disposant déjà d'une certaine influence par rapport aux décisions.
A l'inverse, les espaces de participation où peuvent intervenir un grand nombre de
protagonistes comme les CLIC ou les réunions publiques n'ont finalement que peu d'impact
sur les décisions finales. Ici, la multiplication des dispositifs participatifs relèvent d'abord
et avant tout d'une nécessité de légitimer les actions menées, légitimation d'autant plus
efficace que la participation est acceptée par tous. Rares sont les acteurs qui dénoncent
l'apparition de davantage de discussion et de transparence.
Cette recherche de légitimité porte préjudice à la portée de ces dispositifs. Les
exemples des CLIC devenus CSS ou du peu de passion que déclenchent les réunions
publiques en témoignent. En effet, des critiques trop virulentes des actions menées par les
acteurs dominants ne sont pas compatibles avec le besoin de légitimation qui pousse les
pouvoirs publics à valoriser la participation. Cette recherche de légitimité l'emporte souvent
face à la demande de participation. Le caractère participatif et la possibilité d'établir des
réunions réellement concertées sont donc limités par le souci d'efficacité qui sous-tend
l'action des services administratifs.
Les dispositifs participatifs n'ont que partiellement remis en cause la gestion
technocratique qui existe dans les politiques de prévention des risques. L'action étatique
continue d'être prépondérante par le biais des services administratifs dans la région et le
département ainsi que par l'action du préfet.
Ainsi pour un certain nombre de chercheurs, la multiplication d'espaces de discussion
s'inscrit davantage dans une légitimation des rapport de pouvoirs qui existent. La
participation et la concertation ne seraient pas uniquement une modalité de l'action publique
parmi d'autres. Elles seraient des instruments de légitimation des actions menées mais
91
aussi des acteurs prépondérants.
Pour d'autres, les dispositifs participatifs peuvent être considérés comme de
nouvelles possibilités pour des acteurs largement dominés dans la fabrique de politiques
publiques. Les dispositifs de participation sont perçus comme potentiellement porteurs de
démocratisation pour différentes raisons. D'abord, parce qu'ils permettent la prise en compte
de nouveaux acteurs jusque là ignorés. Ensuite, parce qu'ils entrainent une modification
des rapports qui existent entre les acteurs dominants. Ces modifications, même si elles
sont parfois à la marge, permettent d'introduire de nouvelles idées et actions, auxquelles
les acteurs dominants n'avaient auparavant pas songé.
De manière générale, les acteurs dominants ont tendance à présenter leurs efforts
comme des éléments révolutionnant leurs habitudes et leurs façons de faire. Or l'étude plus
approfondie de différents dispositifs participatifs permet de nuancer ces dires. Bien souvent,
les notions de « concertation » ou de « participation » sont utilisées de façon excessive ou
de manière floue afin de laisser espérer les acteurs secondaires. Mais cet excès de zèle
dans l'utilisation de la sémantique ne signifie pas pour autant que ces notions ne recouvrent
pas une certaine réalité. Elles contribuent à un lent renouvellement des politiques publiques
de prévention des risques en poussant les acteurs dans des processus d'adaptation et
d'apprentissage. En forçant les acteurs dominants à se mettre en scène, à se plier au jeu de
91
Fassin, Didier. « L'essentiel c'est de participer. Démocratie locale et santé communautaire dans les villes du tiers-monde »,
Annales de la Recherche Urbaine, 1996, n°73, p. 4-13.
Hochart Clémentine - 2011
69
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
la participation, l'utilisation de ces notions permet de déboucher sur des procédures moins
technocratiques et, finalement, plus concertées.
****
Comme tout discours idéologique, la rhétorique de la participation doit être soumise à un
examen critique afin de mettre à jour les logiques qui l'animent. L'étudier permet également
de comprendre les pratiques et les actions qui s'en réclament. Bien qu'elle reste parfois
marginale dans les faits, cette nécessité participative est à l'origine d'un certain nombres
de changement dans les pratiques des acteurs. Elle ne remet pas en cause le rôle central
des acteurs traditionnels mais elle les invite à adapter leurs comportements aux nouvelles
attentes. En ce sens, on ne peut la considérer uniquement comme une chimère. Elle est
davantage le reflet d'une dynamique d'ouverture qui tend à prendre de l'importance.
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Hochart Clémentine - 2011
Conclusion
Conclusion
Ce travail s'inscrit pleinement dans les problématiques qui traversent actuellement les
politiques publiques. Éloignée de la gestion technocratique des années 1960, l'action
publique s'inscrit désormais dans une rhétorique de la participation. Celle-ci semble être
un thème inévitable pour remédier à la défiance des citoyens à l'égard des institutions, des
représentants de l'autorité ou encore des experts. L'ouverture des politiques publiques à
un ensemble plus large d'acteurs est perçu comme une réponse à la crise de légitimité à
laquelle doivent faire face les acteurs traditionnels des politiques de prévention des risques
industriels, en particulier l'Etat et les élus locaux.
Cette rhétorique participative entraîne de nouvelles exigences qui obligent l'ensemble
des protagonistes à repenser leurs façon de faire. A travers l'exemple de la campagne
d'information du public « Les bons réflexes », nous avons vu comment les acteurs
dominants, tous porteurs d'enjeux en termes politiques, se saisissent de ces nouveaux
impératifs afin de mieux faire valoir leurs intérêts. Cette nouvelle conception de l'action
publique, en obligeant ces différents acteurs à discuter et à travailler ensemble, entraîne
une remise en cause des procédures de décisions. Celles ci prendraient progressivement
corps dans des processus de négociations et de concertations entre les différentes parties
prenantes. La question du degré de participation et d'intégration des différents acteurs
se pose néanmoins. On peut ici distinguer une participation passive, où les acteurs sont
simplement informés des actions qui vont être menées, d'une participation active où les
acteurs vont participer au projet.
Par ce travail, nous avons tenté de démontrer que les acteurs dominants s'emparent
de ces notions afin de légitimer leurs actions. Mais les pouvoirs publics doivent alors faire
face à un dilemme. D'une part, intégrer un plus grand nombre d'acteurs et, in fine, les
citoyens dans les processus de décision permet de créer un soutien aux actions menées.
D'autre part, cette extension du nombre de protagonistes revient à mettre en cause un mode
de fonctionnement historiquement établi, donc à repenser la distribution des prérogatives
actuelles. Or les acteurs traditionnels ne semblent pas avoir l'intention d'y renoncer. Étudier
la campagne d'information du public « Les bons réflexes » permet de mettre à jour les
stratégies et les jeux d'acteurs. De manière plus générale, la campagne de 2008 peut être
utilisée comme un miroir des rapports de force qui existent entre les acteurs.
Ces rapport de pouvoirs entre les acteurs sont relativement importants puisqu'ils soustendent l'action de ces derniers. La prise en compte progressive de cet impératif délibératif
évoqué par Blondiaux transforme les politiques de prévention des risques industriels: elle
entraîne de nombreuses indécisions pour les acteurs tout en leur offrant de nouvelles
opportunités qui leur permettent de maintenir leur légitimité en tant qu'acteur dominant.
Dans de nombreux cas, la rhétorique de la participation est utilisée uniquement dans le
but d'asseoir cette légitimité. Les dispositifs alors mis en place sont à l'image de l'ordre déjà
établis. La participation d'un plus grand nombre d'acteurs, et du public plus particulièrement,
ne sert qu'à gagner un appui. Cependant, une vision plus optimiste est possible, et c'est celle
ci que nous avons choisi de défendre. En introduisant des notions comme la concertation ou
la participation, on observe une lente transformation des politiques publiques de prévention
des risques industriels. Les acteurs traditionnels, même s'ils ne sont pas ses supporters
Hochart Clémentine - 2011
71
Les politiques de prévention des risques industriels face à la rhétorique de la participation.
les plus acharnés, ont intégré cet impératif. C'est de manière progressive que ce dernier
contribue à faire évoluer les intérêts des acteurs dominants, mais également la perception
qu'ils ont du « public ».
Cette vision optimiste d'une intégration progressive d'un plus grand nombre d'acteurs
ne doit pas éluder le maintien d'un réseau organisé autour de l'administration, des industriels
et des communes. C'est en son sein que continuent à se décider et à s'organiser les
politiques de prévention des risques. Ces dernières sont alors tiraillées entre l'intégration « à
tout prix » de la rhétorique participative, qui débouche souvent sur une forme de démagogie,
et la conservation d'un mode de fonctionnement qui apporte de nombreux avantages aux
parties prenantes mais qui repose sur l'exclusion d'autres acteurs. Cette contradiction
72
Hochart Clémentine - 2011
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Ouvrir la concertation sur les risques industriels. La constitution du CLIC de Feyzin,
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Site internet
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Sigles
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APORA: Association des entreprises de Rhône-Alpes pour l'environnement industriel
CIRIMI: Comité pour l'information sur les risques industriels majeurs dans le
département de l'Isère
CLIC: Comité locaux d'information et de concertation
CSS: Commission de suivi de site
DDRM: Dossier départemental sur les risques majeurs
DDT: Direction départementale des territoires
DICRIM: Document d'information communal sur les risques majeurs
DREAL: Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement
FRAPNA: Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature
PCS: Plan communal de sauvegarde
PLU: Plan local d'urbanisme
POI: Plan d'opération interne
PPI: Plan particulier d'intervention
PPRT: Plan de prévention des risques technologiques
SDIS: Service départemental d'incendie et de secours
SID-PC: Service interministériel de défense et de protection civile
SPIRAL Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles et des
risques dans l'agglomération lyonnaise
SPPPI: Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions et des risques
industriels.
SPPPY: Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions et des risques dans
la région grenobloise
Résumé
Résumé
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Bibliographie
Les politiques de prévention des risques industriels sont traversées par de nouvelles
exigences. La loi « Bachelot » du 30 juillet 2003 vise à prévenir de nouveaux accidents
industriels après la catastrophe d'AZF à Toulouse. Elle introduit de nouveaux principes pour
renforcer la prévention autour des établissements classés Seveso. En parallèle on assiste
au développement d'une rhétorique de la participation qui concerne la plupart des politiques
publiques et qui conduit à une ouverture, plus ou moins étendue, de ces politiques.
A partir de l'exemple de la campagne d'information du public « Les bons réflexes »,
lancée en 2008, nous montrerons comment ces dynamiques impactent les acteurs
dominants des politiques de prévention des risques: l'Etat et ses services déconcentrés, les
industriels et les collectivités territoriales. A partir d'entretiens semi-directifs, d'observations
sur le terrain et de documents de la campagne, ce travail démontre comment ces acteurs se
saisissent de ces nouvelles problématiques en modifiant leurs habitudes afin de conserver
leur autorité en tant qu'acteur incontournable des politiques de prévention des risques.
Mots-clefs
Campagne d'information du public « Les bons réflexes »; risque industriel; prévention;
concertation; participation; réseau d'action public; agglomération lyonnaise; SPIRAL.
Abstract
Abstract
In France, the management of industrial risk is going through new exigences that deeply
modify it. The « Loi Bachelot » voted on July 30, 2003 aims to prevent industrial accidents
after the disaster of AZF in Toulouse, which claimed thirty lives. The law introduces new
principles so as to strengthen prevention around « Seveso high threshold » installations. In
addition, the policies are affected by the development of a rhetoric of participation.
Based on the exemple of the public information campaign from 2008 intituled « Les
bons réflexes » (the right reactions ), this paper will demonstrate the impacts of these
transformations upon the main actors of this policies i.e. the administration, the industrialists
and local authorities. Using semi-directive interviews and documents from the awareness
campaign in addition with field-based observations, we will show how these actors catch the
new problematics so as to maintain their leadersip.
Key-words
Public information campaign « Les bons réflexes »; industrial hazard; prevention;
dialogue; participation; network; Lyon and its suburbs, SPIRAL.
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