Défis développementaux et transitions chez les adolescents atteints

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Défis développementaux et transitions chez les adolescents atteints
Dossier
Défis développementaux et transitions
chez les adolescents atteints
de maladies chroniques
Vanessa Michaud
Marie Leblond
Dre Marie Achille
Psychologue
Vanessa Michaud est
candidate au doctorat
en psychologie à
l’Université de
Montréal.
Marie Leblond est
candidate au doctorat
en psychologie à
l’Université de
Montréal.
La Dre Achille est
professeure agrégée
au Département
de psychologie
de l’Université de
Montréal.
L’adolescence est une période de nombreux changements qui se caractérise par le
développement de l’indépendance, l’expérimentation, les préoccupations identitaires,
la contestation de l’autorité et la prise de risques. La fin de l’adolescence et la préparation du passage vers la vie adulte s’accompagnent de transitions importantes telles
que la recherche d’emploi, le départ de la maison familiale et le début des études
postsecondaires. En cheminant vers l’âge adulte, les jeunes, en quête d’autonomie,
sont confrontés à de multiples préoccupations, qui sont souvent intensifiées chez les
adolescents atteints de maladies chroniques. Compte tenu qu’en moyenne un
adolescent sur quatre est atteint d’une maladie chronique (Van der Lee, Mokkink,
Grootenhuis, Heymans et Offringa, 2007), il est important de saisir la réalité de ces
jeunes, qui doivent inévitablement faire face à des transitions additionnelles,
notamment le transfert de milieux de soins pour ceux dont la condition physique
nécessitera un suivi continu à l’âge adulte.
Défis développementaux des adolescents
atteints d’une maladie chronique
À l’adolescence, l’identification aux pairs et la construction
de l’identité prennent toute leur importance, et les amis,
ainsi que le cercle social, sont au premier plan (WilliamsCato, 2003). Dans ce contexte, les adolescents souffrant d’une
maladie chronique doivent, tout comme les adolescents en
santé, relever les défis de l’adolescence afin de bâtir les fondations d’une vie adulte saine. Ils font cependant face à des défis
additionnels, notamment une impression d’avoir deux identités distinctes, l’une d’individu « malade » et l’autre d’individu
« en santé », qui leur apparaissent souvent difficiles à concilier.
La maladie chronique devient dérangeante pour les adolescents qui désirent s’identifier à leurs amis et se percevoir
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o
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comme étant normaux. Ces adolescents devront accepter
la place que prend la maladie dans leur vie, mais également
la place de celle-ci dans leur définition de soi (Nicholas,
Picone et Selkirk, 2010). Pour permettre la consolidation de leur
identité, les adolescents souffrant d’une condition chronique
devront réussir à s’approprier la maladie et à la concevoir
comme faisant partie intégrante du soi, ce qui exige au préalable une acceptation de leur condition (Suris, Michaud et
Viner, 2004).
Le développement identitaire chez les adolescents atteints
d’une condition chronique se fait donc progressivement et peut
mener à une identité consolidée, mais celle-ci sera atteinte
plus tardivement dans certains cas (Seiffge-Krenke, 1998).
Plusieurs jeunes accuseront un retard social, psychosexuel et
aussi sur le plan du développement de l’autonomie. Ces retards
font en sorte qu’ils risquent d’avoir une moins bonne qualité
de vie à l’âge adulte et davantage de problèmes émotionnels
(Grootenhuis, Stam, Last et Groothoff, 2006). L’image du corps
et le développement de l’identité sexuelle peuvent également
être affectés. Cela s’explique, entre autres, par le fait que la
maladie et le traitement laissent souvent des traces sur le
corps (c.-à-d. des cicatrices, la perte ou la prise de poids ou des
changements pileux). Les problèmes liés à l’image corporelle
peuvent entraîner des difficultés importantes à l’âge adulte,
telles que des dysfonctions sexuelles ou des comportements
sexuels à risque (Suris, Michaud et Viner, 2004).
De plus, les exigences du traitement peuvent avoir un
impact important sur le cheminement scolaire des jeunes.
Ceux qui doivent s’absenter régulièrement de l’école peuvent
se sentir isolés, avoir des difficultés à maintenir leurs liens
d’amitié et accuser des retards d’apprentissage (Nicholas,
Picone et Selkirk, 2010). Ces retards scolaires peuvent
cependant être surmontés grâce au soutien parental. Le
développement de l’autonomie, pour sa part, est compliqué
par l’apprentissage des habiletés de gestion des exigences
médicales. Enfants, ces jeunes pouvaient compter sur leurs
parents, mais ils doivent désormais acquérir les habiletés
nécessaires pour devenir autonomes au quotidien. Parmi les
facteurs qu’ils évoquent pour expliquer leur difficulté à acquérir de l’autonomie, la surprotection parentale semble jouer un
rôle important (Tong, Morton, Howard et Craig, 2009).
La normalité et l’adhésion au traitement :
compatibles ou inconciliables ?
Le grand désir de ces jeunes d’apparaître normaux aux yeux
de leurs amis mène parfois à des comportements susceptibles de nuire à leur santé et à leur traitement (Tong, Morton,
Howard et Craig, 2009). L’adhésion au traitement, qui est une
problématique centrale chez les adolescents atteints d’une
maladie chronique, est fréquemment déficitaire. On estime
qu’un patient sur trois ne suivra pas les recommandations
liées à son régime médical (LeBlanc, Goldsmith et Patel, 2003),
ce qui peut avoir des conséquences sérieuses. Par exemple,
chez les adolescents épileptiques, la non-adhésion à la
médication augmente le risque de nouvelles crises. En retour,
l’augmentation de la fréquence des crises peut générer de
hauts niveaux d’anxiété (Kyngäs, Kroll et Duffy, 2000). Parmi les
adolescents diabétiques, certains – surtout les filles – omettront de prendre leur insuline pour éviter de prendre du
poids, ce qui peut mener à un mauvais contrôle glycémique
et à des complications cardiométaboliques (Colton, Olmsted,
Daneman, Rydall et Rodin, 2004).
L’adhésion est influencée par trois facteurs distincts : les
caractéristiques du traitement (p. ex. son implantation dans
la vie quotidienne et son maintien), les caractéristiques de
la maladie (p. ex. les symptômes, la trajectoire de la maladie
et l’âge du jeune au moment de sa survenue) et le contexte
familial ( p. ex. l’absence de conflit, la cohésion, le contrôle
parental et le soutien ) (LeBlanc, Goldsmith et Patel, 2003).
La capacité d’adhésion est également étroitement liée à la
capacité d’autonomie. Cependant, l’adolescent en développement n’acquiert pas cette autonomie du jour au lendemain
(Sawyer et Aroni, 2005). Il peut se sentir coincé dans un tournant important de sa vie, alors que le développement de l’identité et l’identification aux pairs lui apparaissent prioritaires.
De plus, certains jeunes se rangeront du côté de la nonadhésion dans le but d’atteindre un sentiment de congruence,
de ne pas avoir à intégrer la maladie à leur identité et de se sentir
normaux (Tong, Morton, Howard et Craig, 2009).
La transition de milieux de soins
Les jeunes atteints de conditions chroniques qui nécessitent un
suivi continu doivent faire face à une transition additionnelle
au moment d’atteindre l’âge adulte, soit le transfert d’un milieu
de soins pédiatrique à un milieu de soins adulte. Apprendre à
naviguer dans le système de soins de santé adulte, plus fragmenté, est un processus qui exige du temps, de la préparation
et du soutien. Les jeunes doivent quitter l’équipe pédiatrique
qui assurait leur suivi depuis souvent plusieurs années et en
laquelle ils avaient confiance. Leurs rendez-vous deviennent
plus bousculés et orientés presque exclusivement sur la
maladie plutôt que sur eux en tant qu’individus, comme c’était
le cas en milieu pédiatrique (Fegran, Hall, Uhrenfeldt, Aagaard
et Ludvigsen, 2014). En milieu adulte, ils se perçoivent souvent
comme différents des patients plus âgés, dont la présence les
confronte à un pronostic peu réjouissant. Ces changements
peuvent fragiliser les jeunes lors de la transition et ils risquent
de se désengager du nouveau milieu de soins et de manifester
une moins forte adhésion au traitement, ce qui peut avoir de
graves conséquences (Harden et coll., 2012).
Pour pallier cette période de vulnérabilité et assurer une
continuité des soins, de plus en plus de milieux ont mis sur pied
des initiatives telles que des cliniques spécialisées de transition
ou des cliniques de jeunes adultes. Ces initiatives privilégient
le partenariat entre les milieux de soins dans le but d’améliorer la communication et la cohésion. Ce partenariat permet
aux jeunes de faire plus rapidement confiance à leur nouvelle
équipe soignante (Lugasi, Achille et Stevenson, 2011). Contrairement aux cliniques adultes régulières, les cliniques de transition tiennent compte des besoins psychosociaux particuliers
des jeunes patients, par exemple leur préférence pour une
approche informelle, personnalisée et souple (Lugasi, Achille
et Stevenson, 2011). Puisque les milieux adultes requièrent une
plus grande autonomie de la part du jeune, il est important de
soutenir chaque jeune à devenir progressivement autonome
par rapport à sa prise en charge et à ses compétences de soins
afin de l’aider à apprivoiser son nouvel environnement et de
favoriser une transition réussie.
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Les initiatives en transition misent sur le soutien à l’autonomie, sur l’éducation thérapeutique, sur la préparation tôt en
milieu pédiatrique et sur la communication entre les milieux.
L’autonomie peut être encouragée par l’utilisation de la technologie pour faire des rappels (p. ex. médication et rendez-vous)
et par l’offre de suivis plus fréquents qui tiennent compte
de tous les aspects de la vie du patient (Pape et coll., 2013).
Le soutien entre les pairs atteints d’une condition similaire et
qui ont déjà passé à travers les mêmes étapes peut également
faciliter la transition en permettant aux jeunes d’être plus à
l’aise de discuter de leurs craintes, de partager des expériences
entre eux et de réduire l’anxiété en lien avec le transfert de
milieux de soins (Patterson et Lanier, 1999).
En somme, l’adolescent atteint d’une maladie chronique fait
face à un double parcours où il est confronté aux enjeux
typiques de l’adolescence et aux défis additionnels de l’acceptation de la maladie et de son traitement. Vu l’ampleur des
enjeux auxquels il est confronté, il convient d’en tenir compte
dans la planification et la gestion des soins et de mettre à sa
disposition les ressources nécessaires. Les efforts investis
pour améliorer les services offerts devraient considérer les
défis en lien à la fois avec le développement normal et avec
la condition de santé.
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