Fondements sémantiques de l`acte de langage REPROCHER

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Fondements sémantiques de l`acte de langage REPROCHER
Revue Signes, Discours et Sociétés, n°9
La force des mots : les mécanismes sémantiques de production et d’interprétation...
Fondements sémantiques et réalisations linguistiques
de l’acte de langage REPROCHER
Ana-Maria Cozma, MCF, Université de Turku & CoDiRe - EA4643, Université de Nantes,
[email protected]
Résumé
Dans cet article, nous nous intéressons au contenu conceptuel de l’acte de langage REPROCHER et
au contenu sémantique des lexèmes reprocher et reproche qui servent à le désigner. L’analyse
des deux types de contenus – que nous mènerons dans la perspective de la Sémantique des
Possibles Argumentatifs – nous permettra tout d’abord de mettre en évidence la configuration
d’attitudes modales sur laquelle se fonde l’acte illocutionnaire REPROCHER. Nous montrerons
ensuite que cette représentation de l’acte illocutionnaire, étroitement liée au niveau
sémantique de la langue, peut être mise à profit pour expliquer le fonctionnement des actes
illocutionnaires – fonctionnement qui est habituellement dit relever du niveau pragmatique.
Partant des expressions et des formes linguistiques qui réalisent l’acte de REPROCHE – que cela
soit de manière directe ou indirecte –, nous examinerons leur potentiel de signification, que
nous décrirons, selon les principes de la SPA, en termes d’orientations argumentatives et
d’attitudes modales.
This paper deals with the conceptual content of the speach act REPROACH and the semantic content of
the noun and verb reproach. By analysing these two sorts of content from the perspective of
Galatanu’s Argumentative Probabilities Semantics, we will first define the configuration of modal
attitudes underlying the illocutionary act REPROACH. We will then prove that such a representation of
the illocutionnary act, tightly connected with the semantics of the language, can effectively explain
the way illocutionnary acts function – an issue generaly said to belong to the pragmatic level. We
will examine the linguistic forms and expressions used to accomplish the act of REPROACH – be it
directly or not – in order to highlight the potential of their meaning, in terms of argumentative
orientation and modal attitude, according to the APS principles.
Introduction
Tout acte de langage, qu’il soit menaçant ou rassurant, est susceptible de constituer une menace
pour au moins l’un des interlocuteurs participant à l’échange verbal. Cet aspect essentiel des
interactions verbales a déjà été largement traité par de nombreuses études axées sur les fonctions
contextuelles, pragmatiques et sociales de tout échange (cf. Goffman 1973, 1974 ; Brown et
Levinson 1987 ; Récanati 1981 ; Kerbrat-Orecchioni 1990, 1992, entre autres). Tout en tenant pour
acquises les idées relevant de la philosophie analytique (Austin 1962 ; Searle 1969/1962) et de la
pragmatique, nous allons consacrer la présente étude à la dimension proprement linguistique des
échanges verbaux, en nous intéressant au contenu sémantique des formes linguistiques ayant
vocation de marqueurs illocutionnaires. Nous cherchons donc à rendre compte de ce qui, dans le
fonctionnement des actes de langage, relève de la langue, indépendamment du contexte. En
outre, adhérant à une conception des actes de langage selon laquelle tout acte peut être
représenté par une configuration de modalités illocutionnaires, id est d’attitudes modales qui
sous-tendent l’intention illocutionnaire (Galatanu 1984, 1988, 2000, 2007, 2009b, à paraître a), nous
allons traiter les marqueurs linguistiques en lien avec ces configurations interactionnelles, que
nous aurons identifiées au préalable.
Ce faisant, nous nous inscrivons dans la continuité des travaux menés (ou en cours) au sein du
CoDiRe (équipe de recherche sur la Construction Discursive des Représentations linguistiques et
culturelles), à l’Université de Nantes, notamment le projet de recherche sur les actes
p. 1
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illocutionnaires menaçants et rassurants (Galatanu 2009b, Galatanu et al. à paraître b et c). En
effet, l’article reprend et prolonge les études déjà réalisées sur les actes de langage à l’interface
de la sémantique et de la pragmatique, études qui s’attachent à décrire l’acte illocutionnaire en
inscrivant à un niveau sémantique les attitudes subjectives, intersubjectives et interactionnelles
qui le fondent. Ces études s’appuient sur la Sémantique des Possibles Argumentatifs (voir infra, à
la suite de la figure 1), dont le modèle dynamique de description de la signification lexicale et du
sens discursif vise à rendre compte avant tout du potentiel de signification du lexique de la
langue – potentiel étroitement lié à la charge subjective et modale du lexique, ainsi qu’aux
associations qui le structurent. Pour ce qui est de la description des actes de langage, les aspects
privilégiés par ces études sont :
― la représentation sémantique et conceptuelle de l’acte de langage, avec un accent sur la
dimension essentiellement modale de cette représentation ;
― la réalisation linguistique des actes, avec un intérêt particulier pour les actes directs et leurs
marqueurs linguistiques (verbes performatifs, marqueurs discursifs à fonction illocutionnaire,
etc.) ;
― la distinction entre actes de langage rassurants et actes menaçants, avec une attention
particulière à la menace potentielle qui accompagne les actes dans leur ensemble (« la menace
illocutionnaire générale », dans les termes de Galatanu et Bellachhab 2010 :128) ;
― la dimension culturelle des actes de langage, qui justifie les approches contrastives, avec leurs
applications possibles à la didactique des langues.
Quant aux actes de langage qui ont fait l’objet de descriptions dans cette perspective, nous
pouvons compter jusqu’à présent, notamment, AVOUER (Galatanu à paraître b ; Galatanu et Pino
Serrano à paraître a), S’EXCUSER (Bellachhab 2009), EXPLIQUER (Galatanu et al. à paraître a), FÉLICITER
(Galatanu à paraître a), actes injonctifs (Bellachhab et al. 2010), INSULTER (Galatanu et Bellachhab
2010 ; Galatanu et Pino Serrano à paraître b), MENACER (Galatanu 2009b, à paraître a ; Galatanu et
Bellachhab 2010), PRIER, PROMETTRE (Galatanu 2009b, à paraître a), REMERCIER (Galatanu à paraître a ;
Galatanu et Bellachhab 2011), REPROCHER (Galatanu et Bellachhab 2011)1.
Dans cet article, nous nous attacherons à la description de l’acte de langage REPROCHER et des verbe
et nom reprocher/reproche, avec, pour objectif, de faire la part du niveau sémantique dans la
réalisation de l’acte de langage. Comme point de départ de notre réflexion, nous prendrons le
niveau lexical de la langue, et nous décrirons la signification de reprocher et reproche à l’aide du
modèle de la Sémantique des Possibles Argumentatifs (dorénavant notée SPA), en nous focalisant
sur le contenu modal de ces lexèmes. Ensuite, nous nous intéresserons à la représentation
conceptuelle de l’acte REPROCHER, qui sera également réalisée – à la suite de Galatanu – de manière
à mettre en relief la dimension modale de l’acte. Nous pourrons ainsi, en nous basant sur cette
représentation de l’acte illocutionnaire, nous consacrer à l’analyse des différents marqueurs
linguistiques qui réalisent l’acte de REPROCHE, y compris des formes indirectes de réalisation de
l’acte. L’accent sera donc mis sur les modalités qui interviennent dans la signification lexicale des
marqueurs linguistiques illocutionnaires et dans la représentation conceptuelle de l’acte
illocutionnaire.
I. La signification des lexèmes reprocher et reproche
Nous ne nous attarderons pas ici sur la théorie de la Sémantique des Possibles Argumentatifs
(SPA), ni sur le modèle de représentation de la signification qui lui est propre, dont il existe de
nombreuses descriptions et illustrations (cf. notamment Galatanu 2004, 2007, 2009a ; Cozma 2009).
Nous nous limiterons à donner les clés nécessaires pour la lecture d’une représentation
sémantique selon ce modèle, et nous le ferons à partir de la représentation du verbe reprocher
lui-même, tel qu’il est décrit par Galatanu et Bellachhab (2011).
1
Nous employons les petites majuscules pour signifier qu’il s’agit d’un acte de langage.
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Noyau
1. X savoir/croire P de Y défavorable à X
DONC
2. X personnellement sensible que P de Y
défavorable
Stéréotypes
DONC P engagement/promesse non tenu(e), être
préjudiciable, nuisible, blessant
DONC déception, frustration, injustice, colère,
désaccord, rancune, manquement, insatisfaction
DONC
3. X éprouver des sentiments négatifs à cause de P
DONC
DONC prise de conscience, permission de se
racheter, se rattraper, culpabiliser, embarrasser,
compréhension/réparation des erreurs
4. X faire savoir / dire 1, 2 et 3
Figure 1. Représentation sémantique de reprocher selon Galatanu et Bellachhab (2011)
Ce que montre la représentation ci-dessus, ce sont les deux premières strates 2 de la signification
du lexème reprocher, dont la première (le noyau) constitue la partie la plus centrale et la plus
stable de la signification, formée d’un ensemble restreint d’éléments, qui sont mobilisés dans leur
totalité lors de chaque occurrence du mot. Les éléments contenus dans le noyau s’accompagnent
d’un ensemble plus étendu d’éléments de signification : les stéréotypes (dans la deuxième
colonne). Cet ensemble est conçu comme un nuage flou et mouvant d’associations gravitant
autour du noyau, associations qui sont mobilisées seulement en partie lors d’une occurrence du
mot, en fonction du contexte discursif de l’occurrence en question (ce qui ne signifie pourtant pas
que la strate des stéréotypes pèse moins dans la représentation de la signification).
Un autre élément important pour la SPA est le lien argumentatif, qui est représenté par DONC,
lorsqu’il est conforme à la norme inscrite dans la langue, et par POURTANT, lorsqu’il la
transgresse : par exemple, étant donné que la norme associe à cher, entre autres, le non achat,
nous pouvons représenter cette idée – qui est donc bien inscrite dans la langue – par les deux
enchaînements c’est cher DONC je te conseille de ne pas l’acheter et c’est cher POURTANT je te
conseille de l’acheter (pour la distinction normatif/transgressif, voir notamment Carel et Ducrot
1999 ; Ducrot et Carel 1999). Ce lien structure la signification lexicale selon les principes posés
par la théorie de l’argumentation dans la langue (Anscombre et Ducrot 1983) et, en tant que tel, il
est constitutif de la signification, à laquelle il donne une orientation. Pour ce qui est du noyau, les
éléments qui le constituent sont reliés entre eux en une chaîne argumentative indissociable (dans
le tableau de la figure 1, lecture de haut en bas), tandis que pour ce qui est des stéréotypes,
l’orientation va du noyau vers l’élément stéréotypique qui lui est associé (lecture sur les deux
colonnes, de gauche à droite). Toute association est donc unidirectionnelle, orientée.
Enfin, quant à la forme que l’on donne aux éléments de signification constitutifs du noyau et des
stéréotypes, si la SPA tend idéalement à les réduire à des primitifs (au sens de Wierzbicka 1996),
les représentations plus complexes ne trahissent pas pour autant l’esprit du modèle, du moment
que les orientations argumentatives représentées respectent le potentiel sémantique de la langue.
Néanmoins, la SPA fait appel à des prédicats abstraits à valeur de primitifs, tels notamment les
prédicats modaux (‹devoir›, ‹savoir›, ‹vouloir›, ‹bien›, ‹utile›, etc. ; prédicats que nous marquons
entre crochets), ainsi qu’à des variables correspondant aux rôles sémantiques (Agent, Patient,
etc.), aux interlocuteurs (locuteur, allocutaire, X, Y, SP, D), au contenu propositionnel, ou à
d’autres notations qui seront mentionnées plus loin le cas échéant.
La représentation de la figure 1 reprise de Galatanu et Bellachhab (2011) est conforme aux
définitions lexicographiques pour reproche et reprocher, qui renvoient à blâme, jugement
défavorable, désapprobation et mécontentement. Nous reprenons ici certaines de ces définitions,
car elles nous serviront dans notre propre description de reprocher/reproche (notons au passage
La troisième strate est celle des « possibles argumentatifs », et la quatrième strate, qui, elle, relève de la manifestation des
sens en discours, est celle des « déploiements argumentatifs ». L’étude que nous menons ici ne nécessitant pas la prise en
compte de ces strates, nous renvoyons à Galatanu 2004 et 2009a pour leur description.
2
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que, pour notre part, nous considérons que la charge sémantique des deux lexèmes reproche et
reprocher est identique et que ce qui distingue le nom du verbe est simplement une appréhension
différente d’un même processus, telle qu’illustrée notamment par Langacker 1991) :
Selon le Petit Robert : Reproche : Blâme formulé à l’encontre de quelqu’un, jugement défavorable
sur un point particulier, pour inspirer la honte ou le regret, pour amender, corriger. / Reprocher :
Représenter (à qqn), en le blâmant (une chose condamnable ou fâcheuse dont on le tient pour
responsable). / Blâmer : Porter, exprimer un jugement moral défavorable sur (qqn, son
comportement).
Selon le Lexis : Reproche : Blâme que l’on adresse à une personne pour lui exprimer son
mécontentement ou pour lui faire honte. / Blâmer : Exprimer à l’égard de quelqu’un ou de
quelque chose un jugement de désapprobation.
Selon le TLFi : Reproche : Parole, écrit ou mimique par lesquels on signifie à quelqu'un sa
désapprobation ou son mécontentement à l'encontre de ce qu'il a fait ou dit. / Reprocher :
Signifier qu'on désapprouve, blâme ou regrette telle action ou telle attitude de celui à qui l'on
s'adresse.
Cependant, afin d’exprimer avec plus de précision les attitudes modales impliquées dans le cas
de reprocher/reproche, nous estimons utile de rendre explicite un élément que les définitions
laissent implicite, à savoir les attentes initiales ou les croyances de celui qui fait le reproche. Car il
nous semble bien que le reproche découle avant tout de ce qui est tenu pour souhaitable,
nécessaire, bien, etc. par celui qui fait le reproche (cette affirmation se base à la fois sur
l’explicitation des définitions lexicographies en remontant le fil de leurs éléments constitutifs, et
sur notre intuition de locuteur de la langue). D’ailleurs, dans la figure 1, nous retrouvons dans une
certaine mesure cette dimension du reproche non explicitée par les dictionnaires, derrière
l’élément numéro 2 de la description sémantique : « X personnellement sensible que P de Y
défavorable ». Mais nous pensons que cette formulation ne laisse pas voir la tension qui prend
forme entre le fait jugé défavorable et les croyances ou la volonté initiale de celui qui le juge ainsi,
alors que nous considérons que cette tension est essentielle au reproche. C’est pourquoi nous
proposons de reformuler l’élément numéro 2 de la figure 1 de manière à faire apparaître la
contrepartie
positive
de
l’acte
considéré
défavorable :
« X croit
qu’il
est
souhaitable/attendu/obligatoire qu’il y ait Q qui soit/est beau / intéressant / bien / utile /
favorable / agréable »3. Nous montrerons plus loin pourquoi il peut être intéressant pour l’analyse
des actes illocutionnaires d’opérer une telle explicitation des attitudes au niveau de la description
sémantique de reprocher/reproche, et pourquoi nous avons souhaité nuancer la représentation de
la figure 1 en faisant apparaître de manière systématique les valeurs modales au niveau des
stéréotypes (voir Figure 2).
La représentation sémantique que nous proposons pour les lexèmes reproche et reprocher est la
suivante4 :
Les éléments de signification constitutifs du noyau et des stéréotypes peuvent prendre une forme plus ou moins abstraite
(prédicats abstraits exprimés par l’infinitif du verbe, le singulier du nom, sans prédéterminants, etc.). Nous donnons en
annexe une formulation plus lisible des représentations sémantiques et conceptuelles que nous proposons dans les
figures 2 et 3.
3
Nous avons fait le choix d’employer des numéros pour les éléments des deux strates, uniquement dans un but pratique,
afin de pouvoir y référer plus aisément. Les éléments du noyau sont numérotés par un chiffre seul ; les éléments des
stéréotypes par un chiffre et une lettre, de manière à faire voir à quel élément du noyau ils sont enchaînés (en réalité, les
associations ne sont pas si cloisonnées et rien n’exclut qu’un stéréotype soit relié à plusieurs éléments du noyau).
4
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1.
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Noyau
Stéréotypes
‹X croire/savoir› ‹être
souhaitable / attendu /
obligatoire› ‹Q qui est bien /
beau / utile / favorable /
intéressant / agréable›
DONC ‹X vouloir/désirer› être Q DONC ‹X vouloir› Y/Z faire être
Q (1a.)
2.
ET
‹X croire/savoir› P non
conforme à Q
3.
ET
‹X croire/savoir› être P en
raison de Y
DONC ‹X croire› ‹Y savoir› ‹être souhaitable / attendu /
obligatoire› ‹Q qui est bien / beau / utile / favorable /
intéressant / agréable› (1b.)
DONC ‹X faire savoir à Y› ‹Q être souhaitable / attendu /
obligatoire / axiologique+…› (1c.)
DONC ‹X croire/savoir› ‹P être défavorable/axiologique-...› (2a.)
DONC ‹X croire/savoir› ‹Y être axiologique négatif› (2b.)
DONC ‹X croire/savoir› ‹P être erreur / faute /…› (2c.)
DONC ‹X croire/savoir› ‹Y être responsable de Q› (3.)
DONC
4.
‹X éprouver des sentiments
négatifs envers Y› à cause de P
DONC déception, frustration, injustice, colère, désaccord,
rancune, insatisfaction de X (4a.)
DONC
5.
‹X vouloir› ‹Y/Z savoir› ‹X
penser› ‹P de Y être mal / laid /
inutile / défavorable /
inintéressant / désagréable›
DONC ‹Y savoir› ‹P être mal/laid/…› : prise de conscience,
compréhension des erreurs (6a.)
DONC ‹Y croire› ‹P de Y être mal/laid/...› : culpabiliser (6b.)
DONC
6.
‹X faire savoir à Y/Z› ‹X penser›
‹P de Y être mal / laid / inutile /
défavorable / inintéressant /
désagréable›
DONC ‹Y savoir› ‹X penser› ‹P mal/laid/…› DONC ‹Y éprouver
mal-être / sentiments négatifs (envers X ou soi-même)› : vexer,
embarrasser (6c.)
DONC ‹X vouloir/accepter/espérer› ‹P être corrigé› : réparation
des erreurs, permission de se racheter, incitation à se rattraper
(6d.)
Figure 2. L’explicitation des attitudes modales dans la représentation sémantique de
reprocher/reproche
X représente la personne qui réalise le reproche, Y la personne à qui l’on fait le reproche, et la
variable Z (en 5 et 6) permet de rendre compte des situations où les reproches ne sont pas
formulés devant la personne qu’ils visent. Toujours par souci de rendre compte de tous les sens
de reprocher/reproche, nous avons retenu ‹X faire savoir à Y/Z› (en 6), qui est plus général que ‹X
dire à Y/Z›. Les variables P et Q désignent tout dire, action ou fait : P renvoie à un acte ou dire
réalisé par Y ou pour lequel Y est tenu responsable par X, tandis que Q relève des attentes de X
ou des normes sociales, etc.
Nous utilisons les crochets pour marquer et délimiter les attitudes modales, qui nous intéressent
tout particulièrement dans cette étude. Les variables X, Y, Z, P, Q apparaissent à l’intérieur des
crochets, dans la mesure où elles remplissent des rôles sémantiques auprès de la modalité (pour
cette question, voir Cozma 2009 : 67-72) ; d’ailleurs, la description gagnerait sans doute à spécifier
systématiquement les rôles sémantiques – ou cas profonds – des variables, par exemple à l’aide
d’une notation telle XAgent, XSiège, YPatient, PThème, etc. Certes, si cette représentation des modalités
permet de bien mettre en évidence chaque valeur modale, elle est insatisfaisante, dans la mesure
où, en les démarquant les unes des autres, on ne représente pas comment ces modalités
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s’emboîtent et s’enchaînent les unes aux autres. Cette imperfection est due au fait que nous
n’avons pas voulu charger inutilement la description sémantique, comme ces surmodalisations ne
nous paraissent pas indispensables pour ce que nous visons à démontrer ici ; néanmoins, pour
que la description sémantique soit complète, les surmodalisations devraient être également
marquées.
Dans notre description de la figure 2, tout en gardant la plupart des stéréotypes proposés par
Galatanu et Bellachhab (2011), nous avons complété leur strate – strate par définition ouverte et
non finie – par un certain nombre de stéréotypes qui sont directement liés aux attitudes modales
contenues dans le noyau. Nous avons représenté ces stéréotypes en veillant à mettre en évidence
les modalités sous-jacentes, et cela de manière quasi-systématique (nous ne l’avons pas fait pour
les sentiments « déception, frustration, injustice, etc. » – liées à l’élément 3 du noyau – mais cela
reste envisageable). Ceci en raison du fait que nous pensons qu’il est particulièrement important
de suffisamment détailler le niveau des stéréotypes aussi, si l’on veut pouvoir rendre compte de
toute la complexité de l’acte REPROCHER lui-même. Comme nous le montrerons dans la section
suivante, les stéréotypes des lexèmes reproche/reprocher – du niveau sémantique, donc – jouent
un rôle non négligeable dans le cas de l’acte illocutionnaire REPROCHER lui-même – autrement dit au
niveau illocutionnaire. D’ailleurs, ce qui rendra possible d’expliquer bon nombre d’actes de
REPROCHE indirects, c’est l’intégration dans la structure de l’acte illocutionnaire de ces éléments
stéréotypiques.
II. Les attitudes modales de l’acte de langage
REPROCHER
Selon l’approche sémantico-conceptuelle que nous avons adopté pour la description des actes de
langage, REPROCHER renvoie à un ensemble articulé d’attitudes modales subordonnées à une
intention communicative ‹vouloir dire›, attitudes qui ne sont pas sans lien avec le contenu
sémantique des lexèmes reprocher et reproche qui désignent l’acte de langage. La représentation
que nous proposons ici de l’acte REPROCHER reprend les éléments modaux identifiés par Galatanu et
Bellachhab (2011), tout en les réorganisant et en les complétant sur la base de la description
sémantique que nous venons de donner dans la section précédente.
Notre objectif ultime est de faire voir le lien qui existe entre, d’une part, la représentation
conceptuelle de l’acte illocutionnaire REPROCHER et, d’autre part, la signification et le fonctionnement
discursif des expressions linguistiques qui servent à réaliser cet acte : les marqueurs
illocutionnaires des actes directs, mais aussi les situations d’indirection. Pour atteindre cette fin,
nous faisons appel au modèle de description sémantique de la SPA et nous prenons appui sur les
valeurs modales qui peuvent être identifiées aussi bien au niveau des lexèmes et des formes
linguistiques, qu’au niveau de l’acte de langage lui-même.
Pour l’acte de REPROCHE, nous proposons la représentation conceptuelle suivante :
XAgent vouloir dire à YPatient :
‹XSiège croire/savoir› ‹être souhaitable / attendu / obligatoire› ‹être Q qui est bien / beau / utile / favorable /
intéressant / agréable›
ET
‹XSiège croire/savoir› P être non conforme à Q
ET
‹XSiège croire/savoir› être P en raison de YSource
DONC
‹XSiège éprouver des sentiments négatifs envers YThème› à cause de P
DONC
‹XSiège vouloir› ‹YSiège savoir› ‹XSiège penser› ‹P de YSource être mal / laid / inutile / défavorable / inintéressant /
désagréable›
DONC
‹XAgent faire savoir à Y/Z› ‹XSiège penser› ‹P de YSource être mal / laid / inutile / défavorable / inintéressant /
désagréable›
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DONC
XAgent dire à YPatient :
‹XSiège croire/savoir› ‹être souhaitable / attendu / obligatoire› ‹être Q qui est bien / beau / utile / favorable /
intéressant / agréable›
ET/OU
‹XSiège croire/savoir› P non conforme à Q
ET/OU
‹XSiège croire/savoir› être P en raison de YSource
ET/OU
‹XSiège vouloir/désirer› que Q soit ET/OU ‹XSiège vouloir/désirer› que Y/ZAgent fasse que Q soit
ET/OU
‹XSiège croire/savoir› ‹YSiège savoir› ‹être souhaitable / attendu / obligatoire qu’il y ait Q› ‹qui est bien / beau /
utile / favorable / intéressant / agréable›
ET/OU
‹XAgent faire savoir à YPatient› ‹Q être souhaitable/attendu/…›
ET/OU
‹XSiège croire/savoir› ‹P être défavorable/ axiologique négatif›
ET/OU
‹XSiège croire/savoir› ‹Y être axiologique négatif›
ET/OU
‹XSiège croire/savoir› ‹P être erreur / faute /…›
ET/OU
‹XSiège croire/savoir› ‹Y être responsable›
ET/OU
‹XSiège éprouver des sentiments négatifs envers YThème› à cause de PSource
ET/OU
‹XSiège éprouver déception et/ou frustration et/ou injustice et/ou colère et/ou désaccord et/ou rancune
et/ou insatisfaction›
ET/OU
‹XSiège vouloir› ‹YSiège savoir› ‹XSiège penser› ‹P de YSource être mal / laid / inutile / défavorable / inintéressant /
désagréable›
ET/OU
‹XSiège penser› ‹P de YSource être mal / laid / inutile / défavorable / inintéressant / désagréable›
ET/OU
‹XSiège vouloir› ‹YSiège savoir› ‹P de YSource est mal/laid/…›
ET/OU
‹YSiège savoir› ‹P de YSource est mal/laid/…›
ET/OU
‹YSiège croire› ‹P de YSource est mal/laid/…›
ET/OU
‹YSiège savoir› ‹XSiège penser› ‹P mal/laid/…›
ET/OU
‹YSiège éprouver mal-être / sentiments négatifs (envers X ou soi-même)›
ET/OU
‹XSiège vouloir/accepter/espérer› ‹P être corrigé›
Figure 3. Représentation mentale de l’acte REPROCHER, avec mise en relief des attitudes
modales
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A. Remarques sur la représentation proposée pour
REPROCHER
La représentation conceptuelle de l’acte REPROCHER que nous donnons ici (figure 3) met à profit la
représentation sémantique des mots reprocher/reproche qui désignent l’acte REPROCHER (figure 2).
Si on compare cette représentation aux éléments de signification de reprocher/reproche, nous
avons fait disparaître la variable Z (l’avoir gardée aurait fait basculer la représentation du côté de
l’acte CRITIQUER, par exemple), et nous avons également fait disparaître ‹X faire savoir à Y que› (de
l’élément 6 du noyau), qui se traduit au niveau de l’acte illocutionnaire par ‹X dire à Y›. En outre, le
‹vouloir faire savoir› et le ‹faire savoir›, qui apparaissent dans la représentation sémantique de
reprocher/reproche à la fin de l’enchaînement argumentatif modal (figure 2, éléments 5 et 6 du
noyau), sont extraits de cet enchaînement et – tout en se restreignant à l’action de dire –
remontent dans la représentation de l’acte illocutionnaire REPROCHER pour surmodaliser l’ensemble
de la configuration modale. Ce qui est extrait de la sorte, ce sont les éléments où le sujet parlant X
joue le rôle d’Agent.
En effet, comme tout acte illocutionnaire, l’acte REPROCHER implique avant tout une intention
illocutionnaire (X vouloir dire à Y) qui surmodalise l’ensemble du contenu essentiel à l’acte (X
croit/sait qu’il est souhaitable / attendu / obligatoire qu’il y ait Q, qui est axiologique+ ET X
croit/sait que Q n’est pas conforme à P ET X croit/sait qu’il y a Q en raison de Y DONC X éprouve
des sentiments négatifs envers Y à cause de P DONC X veut que Y sache qu’il pense que P de Y est
axiologique- DONC X fait savoir à Y qu’il pense que P de Y est axiologique-). Ce contenu
correspond, dans le cas de REPROCHER, au noyau des mots reprocher/reproche qui le désignent.
L’intention illocutionnaire vise donc ces éléments dans leur totalité, y compris la configuration
sous laquelle ils apparaissent regroupés, c'est-à-dire leur orientation argumentative.
L’acte locutionnaire (le dire) qui découle de l’intention illocutionnaire (X vouloir dire à Y DONC X
dire à Y) subordonne la totalité des éléments essentiels du noyau de reprocher, ainsi que les
éléments non essentiels des stéréotypes. Plus précisément, cet acte de dire porte sur un ensemble
d’éléments qui peuvent être aussi bien disjoints que conjoints, ce qui est représenté par les
connecteurs ET/OU (qui remplacent le DONC de la description lexicale ; cette représentation
reprend celle proposée par Galatanu et Bellachhab dans Galatanu et al. à paraître c). La
conséquence en est qu’un acte locutionnaire qui mobilise un seul élément de cette représentation
conceptuelle suffit pour réaliser l’acte illocutionnaire REPROCHER. Cela se passe comme si, étant
donné que le ‹vouloir dire› porte sur la totalité de la configuration des éléments essentiels, il suffit
qu’il y ait ‹dire› d’un seul d’entre eux (voire plus, il suffit d’un ‹dire› qui ait dans son potentiel
argumentatif l’un de ces éléments5) pour activer toute la configuration modale, en bloc. D’une
part, cela permet de faire voir les rouages de l’inférence dans le cas des actes de langage,
notamment pour ce qui est des réalisations indirectes de l’acte ; d’autre part, la représentation
disjointe des éléments peut montrer sous un autre jour le cumul des formes dans le cas de la
réalisation de l’acte REPROCHER, ce cumul apparaissant comme une déconstruction-reconstruction de
la configuration attitudinale sous-jacente à l’acte. Cette dé/re-construction consiste à mobiliser
séparément plusieurs attitudes modales de l’acte afin de se rapprocher le plus possible de la
configuration attitudinale de REPROCHER dans sa globalité – configuration qui, a priori, nous semble
être entièrement mobilisée uniquement lors de l’emploi des lexèmes reprocher et reproche et de
certaines « holophrases » qui sont spécialisées dans le marquage du REPROCHE (Tu exagères !).
Si l’on revient à la représentation mentale de REPROCHER proposée par Galatanu et Bellachhab
(2011), la principale modification que nous avons apportée est d’avoir introduit dans notre
représentation de l’acte illocutionnaire les éléments correspondant aux stéréotypes lexicaux. Le
fait d’introduire dans la représentation de l’acte de langage REPROCHER les attitudes figurant comme
stéréotypes des mots reproche/reprocher, cela permet, par exemple, de faire apparaître
l’exigence de réparation de l’erreur (‹X veut / accepte / espère que P soit corrigé›) en tant
qu’expression possible du reproche. Il nous semble qu’il y a beaucoup à gagner d’une telle
Par exemple, si l’on prend le savoir de Y qui est souvent invoqué dans les reproches (comme dans les énoncés du type Tu
savais bien que…), il n’est pas difficile d’imaginer un énoncé qui, dans un contexte approprié, ait comme orientation
argumentative ce savoir de Y (Tu as été à l’école ou À quoi t’a servi l’école ?, par exemple, dans la mesure où l’enchaînement
école DONC savoir fait bien partie du potentiel de signification du mot école). Autrement dit, a priori, pour qu’un énoncé
fonctionne comme reproche, il suffirait qu’il y ait dans son orientation argumentative un élément modal de la représentation
conceptuelle de l’acte, et le reproche se réalise dans ce cas par inférence, sur la base de la configuration modale
subordonnée au <vouloir dire>.
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La force des mots : les mécanismes sémantiques de production et d’interprétation...
modification de la représentation de l’acte illocutionnaire. Cependant, vu que la représentation
conceptuelle de REPROCHER proposée dans la figure 3 n’a pas été validée auprès de locuteurs
francophones, nous l’avançons pour le moment à titre d’hypothèse ; sa validation reste donc à
faire si les résultats de cette étude s’avèrent convaincants.
B. La configuration attitudinale modale de
REPROCHER
Ainsi détaillée, la représentation de l’acte REPROCHER comprend les valeurs modales suivantes (voir
Galatanu 2000 et 2002 pour une description de l’ensemble des classes modales dans le cadre de
la SPA) :
a) valeurs absolues (qui ne sont pas référées à X ou Y) :
‹possible› (‹ne pas devoir ne pas être›) et ‹obligatoire-permis› (‹devoir être› et ‹ne pas devoir ne
pas être›) : il est souhaitable, attendu, obligatoire qu’il y ait Q ;
‹axiologiques positives› (‹éthique-morale+›, ‹esthétique+›, ‹pragmatique+›, ‹intellectuel+›,
‹hédonique-affectif+›) : Q est bien, beau, utile/favorable, intéressant, agréable/heureux ;
b) valeurs relatives à l’état de choses P :
‹axiologiques négatives› (‹éthique-morale-›, ‹esthétique-›, ‹pragmatique-›, ‹intellectuel-›,
‹hédonique-affectif-›) : P est mal, laid, inutile/défavorable, inintéressant, désagréable/malheureux ;
c) valeurs relatives au sujet parlant X :
‹doxologique› et ‹épistémique› : X croit/sait… ;
‹hédonique-affective négative› : X éprouve des sentiments négatifs ;
‹volitives› : X veut, forcément6, faire savoir à Y… et X veut forcément dire… ;
‹volitives-désidératives› : X veut éventuellement qu’il y ait Q, ou que Y fasse en sorte qu’il y ait Q ; X
veut/désire éventuellement que l’erreur soit corrigée ;
d) valeurs relatives à Y, à qui X adresse le reproche :
‹épistémique› et ‹doxologique› : Y sait ce que X pense, que P est négatif, que Q est positif, qu’il est
souhaitable que Q ; Y croit que P est négatif ;
‹hédonique-affective négative› : Y éprouve des sentiments négatifs envers lui-même ou envers X.
Nous voyons donc que la quasi intégralité du champ de la modalité (des valeurs les plus
objectives aux plus subjectives) est mobilisé lors de la réalisation d’un acte de REPROCHE :
― la modalité aléthique : ‹possible› ;
― la modalité déontique : ‹obligatoire› et ‹permis› ;
― la modalité épistémique : ‹certitude› (relative à Y et, dans une moindre mesure, à X) ;
― la modalité doxologique : ‹croire/penser être› (relative à X et, dans une moindre mesure, à Y) ;
― la modalité éthique-morale : ‹bien› (absolu) et ‹mal› (selon X) ;
― la modalité esthétique : ‹beau› (absolu) et ‹laid› (selon X) ;
― la modalité pragmatique : ‹utile/favorable› (absolu) et ‹inutile/défavorable› (selon X) ;
― la modalité intellectuelle : ‹intéressant› (absolu) et ‹inintéressant› (selon X) ;
― la modalité hédonique-affective : ‹agréable/heureux› (absolu) et ‹désagréable/malheureux›
(relative à l’état des choses P, selon X, d’une part, et, d’autre part éprouvé forcément par X et
éventuellement par Y) ;
― la modalité volitive : ‹vouloir faire› (relative à X) ;
― la modalité désidérative : ‹désirer être› (relative à X).
Le REPROCHE fait intervenir les valeurs ontologiques absolues ‹possible›, ‹obligatoire› et ‹permis›, en
tant que garants du reproche. Il fait également intervenir, dans une large mesure, les valeurs de
jugement ‹savoir être› et ‹croire être› ; ces valeurs sont relatives aussi bien à X qu’à Y, avec cette
différence que X semble apparaître de manière plus accentué en tant que Siège du ‹croire être› et
Nous utilisons ici « forcément » pour souligner ce qui est nécessairement réalisé à travers l’acte de reproche, et
« éventuellement » pour ce qui n’est pas nécessairement réalisé.
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La force des mots : les mécanismes sémantiques de production et d’interprétation...
Y davantage en tant que Siège du ‹savoir être›. Les deux pôles des valeurs axiologiques (négatif et
positif) sont mobilisés en tant que système de valeurs : soit absolues (pour le pôle positif), soit
relatives aux croyances de X (pour le pôle négatif) ; et la modalité ‹hédonique-affective négative›
intervient également en ayant au moins X comme Siège (et éventuellement Y aussi : ce sont les
sentiments négatifs éprouvés en situation de reproche). Enfin, la modalité volitive-désidérative
prend comme Siège le sujet parlant X (qui veut dire ou faire savoir, mais aussi, éventuellement,
qui veut/désire que Y fasse en sorte qu’il y ait Q, etc.).
Dans la réalisation linguistique de l’acte de REPROCHE, ces valeurs modales peuvent être à l’œuvre
ou non, en fonction du contenu de l’acte locutoire qui peut impliquer un élément modal ou un
autre. De même, selon la valeur modale qui est explicitement évoquée, le reproche apparaîtra
comme se focalisant sur le sujet parlant X (Siège d’états doxologiques ou épistémiques, de
sentiments négatifs, ou encore d’états volitifs-désidératifs), sur la personne qui est visée par le
reproche, Y (Siège d’états épistémiques ou doxologiques, ou de sentiments négatifs), ou sur
l’objet du reproche P (lorsque seul le Thème de la valeur axiologique est manifeste).
Dans une démarche onomasiologique, il devrait être possible de prendre comme point de départ
chacune de ces modalités constitutives (nécessairement ou facultativement) de l’acte
illocutionnaire REPROCHER et remonter aux formes linguistiques susceptibles de le réaliser. Par
exemple, pour la modalité ‹possible›, nous pouvons remonter à des réalisations telles Tu aurais pu
faire autrement, Je ne t’ai pourtant pas demandé l’impossible ; pour la modalité ‹déontique›, Ce
n’est pas ce qu’il fallait faire !, Tu ne peux pas dire ça !, ; pour la modalité ‹désidérative›, Je voudrais
que tu tiennes ta promesse la prochaine fois. Idéalement, la description de l’acte illocutionnaire
REPROCHER devrait être suffisamment précise pour permettre que l’on remonte aux énoncés
susceptibles de réaliser cet acte. Or, cela exige un tel niveau de perfection de la description de
REPROCHER que, pour l’atteindre, il est indispensable de passer d’abord par l’examen des formes
linguistiques qui réalisent cet acte, dans une démarche sémasiologique.
III. Les formes linguistiques qui réalisent l’acte de
REPROCHE
Comme nous l’avons dit plus haut, la représentation conceptuelle de la figure 3 permet de rendre
compte du cumul des formes, qui est très fréquent dans le cas de REPROCHER. Mais elle permet
également – et c’est ce qui nous intéresse le plus ici – de rendre compte des différentes formes et
expressions linguistiques qui réalisent l’acte de REPROCHER :
― le verbe reprocher et le nom reproche (Ce que je te reproche, c’est… ; J’ai un reproche à te
faire :…) ;
― les verbes modaux pouvoir, devoir, falloir au conditionnel passé ou à l’imparfait (Tu aurais dû…,
Il fallait…) ;
― marqueurs discursifs illocutionnaires (ou « holophrases », dans les termes de Galatanu (1997) :
Tu exagères !, Voyons !) ;
― lexèmes porteurs de valeurs modales dans leur signification (inadmissible, mauvaise idée, faute,
avoir tort, etc.) ;
― etc. (pour les formes linguistiques, voir Galatanu et al. à paraître c).
C’est cette idée que nous développerons dans ce qui suit, à travers une série de remarques qui
n’épuiseront pas cette problématique, mais qui visent à mettre en évidence la manière dont la
langue (la signification linguistique, plus précisément) intervient dans la détermination des effets
illocutionnaires d’un acte de langage – effets que nous ne considérons donc pas comme relevant
de la pragmatique, ou du moins pas d’une pragmatique contextuelle, conçue indépendamment du
niveau sémantique de la langue.
Si l’on adopte une perspective sémasiologique, nous pouvons envisager une analyse des
différents énoncés qui réalisent un acte de REPROCHE de manière à en dégager les éléments de
signification responsables de cet effet illocutionnaire. Un énoncé comme Je veux que tu saches que
je n’apprécie pas du tout ta manière d’agir mobilise plusieurs valeurs modales (volitive,
épistémique, hédonique-affective négative, et axiologique négative), qui entrent toutes dans la
configuration d’attitudes modales sous-jacente à REPROCHER. L’illustration que nous venons de
donner est très claire du point de vue des modalités qu’elle mobilise, mais nous considérons qu’il
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Revue Signes, Discours et Sociétés, n°9
La force des mots : les mécanismes sémantiques de production et d’interprétation...
est possible d’analyser sur ce modèle quasiment tout énoncé ou toute expression qui réalise un
acte illocutionnaire.
Par exemple, certaines réalisations font apparaître des surmodalisations, comme c’est le cas
d’énoncés du type Je tiens à te dire… (valeur ‹vouloir faire›), Laisse-moi te dire… (‹ne pas devoir
ne pas faire›), Je dois te dire… (‹devoir faire›). Si le premier énoncé explicite le ‹vouloir dire› qui
domine la représentation conceptuelle de l’acte REPROCHER, les deux suivants amènent d’autres
modalités : ‹X pouvoir faire› et ‹X devoir faire›. Ce sont donc des surmodalisations qui amènent
éventuellement (et en l’occurrence c’est le cas) d’autres attitudes modales que celles présentes
dans l’acte : ‹permettre/accepter› et ‹nécessité/obligation›. Nous pouvons en conclure que les
surmodalisations soit explicitent et renforcent les attitudes modales de l’acte illocutionnaire, soit
elles en ajoutent d’autres.
Dans le cas de l’acte illocutionnaire REPROCHER, les réalisations linguistiques n’actualisent de
manière directe qu’une partie des attitudes modales qui fondent cet acte. Reprocher/reproche,
comme nous l’avons vu dans la section I., mobilisent explicitement la totalité des attitudes modales
de l’acte illocutionnaire REPROCHER. Il en est de même dans le cas de certains marqueurs discursifs
illocutionnaires (Dostie 2004), ou « holophrases » dans les termes de Galatanu (1997), dans la
mesure où, lorsqu’ils sont spécialisés dans le marquage de l’acte de REPROCHER, ils activent
l’ensemble de la configuration modale, en bloc (Tu exagères !).
Dans le reste des cas, les réalisations linguistiques explicitent une partie de la configuration
modale subordonnée au ‹vouloir dire› dans la figure 3 (c’est le cas du conditionnel passé, des
verbes modaux), ou simplement un ou plusieurs des éléments subordonnés au ‹dire›.
Ainsi, pour ce qui est des réalisations qui font apparaître des verbes modaux au conditionnel
passé ou à l’imparfait (Tu aurais pu…, Tu n’aurais pas dû…, Il fallait…, etc.), elles mobilisent les
toutes premières attitudes modales de la représentation conceptuelle (‹X croire/savoir› ‹être
souhaitable / attendu / obligatoire Q› ‹qui est beau / intéressant / bien / utile / favorable / agréable›
ET ‹X croire/savoir› P être non conforme à Q ET ‹X croire/savoir› être P en raison de Y ; parmi
lesquelles les valeurs ‹possible›, ‹devoir›, ‹permis›), et non pas le reste, qui est néanmoins amené
par les premières grâce à l’enchaînement argumentatif de la configuration attitudinale.
Dans le cas des énoncés qui comprennent des mots à charge axiologique négative (tels Ce que tu
as fait n’est pas bien), c'est-à-dire en situation de modalisation d’énoncé, l’élément modal mobilisé
correspond aux stéréotypes 2a, 2b ou 4a de la signification lexicale et relève de l’acte locutoire
‹dire› ; la réalisation de l’acte illocutionnaire se fait donc par inférence. Nous retrouvons ici, à
partir de la représentation modale, la focalisation sur l’une ou l’autre des entités impliquées dans
l’acte de reproche (P qui est ce sur quoi porte le reproche, Y à qui est adressé le reproche, et X
qui fait le reproche) : appréciation négative de P (pas bien, inadmissible, mauvaise idée, faute),
appréciation négative de Y (sale caractère), sentiments négatifs de X (déçu, déception).
Pour les énoncés dépourvus de mots axiologiques (id est dépourvus de mots qui sont positifs ou
négatifs de par leur noyau), leur capacité à réaliser un acte illocutionnaire de REPROCHE nous oblige
à regarder de plus près le potentiel argumentatif et modal de leur signification, qui est à calculer
sur la base des expressions mobilisées. Afin de rejoindre les analyses proposées pour les
réalisations linguistiques précédentes, nous avançons l’hypothèse que ces énoncés ont dans leur
potentiel argumentatif et modal au moins un des éléments qui se trouvent subordonnés à l’acte de
‹dire› dans la représentation conceptuelle de l’acte illocutionnaire REPROCHER (à savoir un élément
quel qu’il soit de la représentation conceptuelle). Si cette hypothèse s’avère juste, il faudrait
transposer ce principe dans une perspective onomasiologique, également, de manière à pouvoir
non seulement justifier la réalisation du REPROCHE à travers telle ou telle forme, mais aussi prédire,
sur la base de la représentation conceptuelle de l’acte illocutionnaire, quelles seraient les
réalisations possibles. Pour cela, il faudrait en outre améliorer la représentation conceptuelle, qui
ne peut être qu’incomplète tant qu’elle n’est pas testée sur un grand nombre de réalisations de
l’acte illocutionnaire REPROCHER.
L’hypothèse qui pose le lien entre le potentiel argumentatif des éléments constitutifs de l’énoncé,
d’une part, et la représentation conceptuelle de l’acte illocutionnaire réalisé par cet énoncé,
d’autre part, aurait besoin d’être largement testée, elle aussi, mais nous devons nous contenter ici
d’une brève illustration. Si l’on considère le reproche réalisé à l’aide de l’énoncé Tu n’as pas fait
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Revue Signes, Discours et Sociétés, n°9
La force des mots : les mécanismes sémantiques de production et d’interprétation...
tes devoirs !, il est possible d’y voir une orientation argumentative liée au potentiel de signification
de devoir : ce qui doit être fait, ce qu’il est attendu que l’on fasse) ; cette orientation peut se résumer
à ne pas faire ses devoirs DONC ne pas faire ce qui était attendu/obligatoire. L’attitude modale qui
est manifeste dans cet énoncé, par le biais du potentiel de signification de devoirs, est ‹X
croire/savoir que P est non conforme à Q›, où Q est souhaitable, attendu, obligatoire et/ou
axiologique positif. Cette orientation argumentative de devoirs est suffisamment forte pour que
l’on ait du mal à concevoir un reproche derrière l’énoncé contraire Tu as fait tes devoirs ! (sauf
situation inédite, où le potentiel lexical de la langue est transgressé, du genre « Le gentil petit
diable »). Toutefois, on peut imaginer un contexte plus large, par exemple Oh, tu as déjà fait tes
devoirs… Tu ne m’as pas attendu !, où un autre fragment du discours réalise le reproche (ce qui
peut accessoirement charger l’occurrence devoirs en valeurs axiologiques négatives). Dans ce
nouveau contexte, le reproche est réalisé par la partie concernant l’attente. Comme le nom
devoirs, le verbe attendre implique dans l’énoncé, de par sa signification même, des valeurs
modales déontique et volitive (‹devoir faire› et ‹ne pas vouloir ne pas faire›) ; la définition du Petit
Robert le montre clairement : attendre : se tenir en un lieu où une personne doit venir, une chose
arriver ou se produire et y rester jusqu’à cet événement. Dans ce cas aussi, ne pas attendre équivaut
à un acte non conforme. Toujours en restant dans le champ du devoir, imaginons un contexte où
l’on fasse à quelqu’un le reproche d’avoir fait son devoir : Tu as fait ton devoir ! ou Tu n’as fait que
ton devoir ! (cela peut être un reproche fait à quelqu’un qui en faisant son devoir à négligé
quelqu’un ou quelque chose, par exemple en réponse à J’aurais tellement aimé être avec vous.
Mais j’ai dû… Je ne pouvais pas faire autrement). L’acte illocutionnaire REPROCHER est motivé dans ce
cas par le déploiement argumentatif faire son devoir DONC accepter de faire DONC être
responsable, qui débouche, de manière plus indirecte que pour les exemples précédents, sur
l’attitude modale ‹X croire/savoir que Y est responsable›.
On pourrait nous faire l’objection qu’il est toujours possible de forcer l’interprétation et de
retrouver une orientation argumentative et modale qui nous convienne pour chaque énoncé qu’il
faudrait ainsi expliquer. Et il est bien entendu possible de trouver des exemples qui semblent
résister à une explication en termes de potentiel argumentatif des expressions qui réalisent le
REPROCHE. Tel nous paraît être l’énoncé Tu as vu l’heure qu’il est ?, pour lequel il est moins facile de
remonter aux attitudes modales qui en font un acte de reproche, sans une analyse sémantique
minutieuse ; bien que l’on puisse formuler d’emblée quelques orientations de cet énoncé (voir
DONC savoir, l’heure oblige/contraint : heure DONC devoir/pouvoir faire, le ‹ne pas savoir être›
présupposé par l’interrogation). Il faudrait d’ailleurs élargir l’analyse lexicale de la SPA pour
rendre compte d’autres expressions qui apparaissent souvent dans la réalisation des reproches et
qui auraient besoin d’être intégrées dans la description sémantique : les questions (Pourquoi… ?,
Comment as-tu pu… ?, Comment oses-tu… ?, y compris les questions indirectes : Je me demande
comment…), les adverbes de fréquence (toujours, jamais), les connecteurs marquant une
opposition (quand même, mais), la négation, etc. – éléments pour la description desquels la
sémantique argumentative dispose déjà d’outils (voir notamment les « opérateurs », les
« modificateurs réalisants et déréalisants », les « internalisateurs » (Ducrot 1995, 2000, 2001)).
Cependant, nous pensons qu’une analyse suffisamment fine de l’acte illocutionnaire REPROCHER,
ainsi que de la signification des formes et expressions qui interviennent dans les énoncés qui
réalisent cet acte, devrait donner accès à une grande partie des motivations linguistiques,
sémantiques des effets illocutionnaires des énoncés. Par ailleurs, dans les situations que nous
venons d’illustrer, à travers l’acte de reproche, ces énoncés se chargent d’une évaluation
axiologique négative, sous l’influence du contexte discursif ; or, cette influence est déjà prévue et
décrite dans la SPA en tant que moteur du cinétisme de la signification (voir, entre autres,
Galatanu 2004, 2009a).
Conclusion
Notre description conceptuelle de l’acte illocutionnaire REPROCHER vise à rendre compte de la
configuration d’attitudes modales sous-jacente à l’acte dans toute son étendue ; cette
configuration, une fois établie, devrait rendre possible de prédire quels sont les énoncés, formes
et expressions linguistiques susceptibles de réaliser l’acte de REPROCHE, y compris les réalisations
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indirectes. De ce point de vue, la représentation que nous avons proposée dans la figure 3 n’est
sans doute pas exhaustive et nécessite d’être améliorée, selon une double démarche
onomasiologique et sémasiologique, par un va-et-vient entre production et interprétation.
Ainsi, dans la perspective onomasiologique, si l’on prend par exemple comme point de départ les
valeurs modales de jugement (‹savoir être› et ‹croire être›) : pour ‹YSiège savoir›, nous pouvons
remonter à des énoncés comme Tu sais bien qu’il faut…, Tu sais bien qu’il vaut mieux… (que notre
représentation dans la figure 3 prédit effectivement) ; pour ‹YSiège croire›, nous pouvons remonter à
des énoncés comme Tu penses bien que ce que tu as fait… (prévus par notre représentation grâce
à ‹Y croire que P de Y est axiologique négatif›), ou comme Qu’est-ce que tu t’imagines ? (non prévu
et devrait probablement être introduit dans la représentation). De la même manière, la
perspective sémasiologique devrait permettre d’affiner la représentation que nous avons
proposée ici ; elle nous a d’ailleurs servi durant l’établissement de la figure 3 : par exemple,
lorsque, voulant interpréter un énoncé comme C’est à cause de toi !, nous avons constaté que la
représentation que nous avions à ce moment-là pour l’acte illocutionnaire REPROCHER n’autorisait pas
cette interprétation, raison pour laquelle nous avons décidé de scinder en deux l’élément prévu
initialement (‹X croit/sait que P de Y est non-conforme à Q› a été remplacé par : ‹X croit/sait que P
est non-conforme à Q› ET ‹X croit/sait qu’il y a P en raison de Y›).
La réalisation linguistique de l’acte illocutionnaire REPROCHER peut ne se baser que sur un seul des
éléments modaux constitutifs de la représentation conceptuelle de l’acte. Pour cette raison, un
énoncé tel J’espère que ça ne va plus se répéter, qui semble plus apte à exprimer un SOUHAIT, peut
tout aussi bien réaliser un REPROCHE, vu que la représentation de cet acte explicite une attitude
modale ‹X vouloir/espérer que P soit/sera corrigé›. C’est ce qui explique la grande variété
d’effets illocutionnaires qu’un énoncé peut créer selon le contexte (généralement, cette variété
est bien le fruit du potentiel argumentatif et modal de la langue, telle qu’elle est mobilisée par les
énoncés). Or, ce fait soulève la question des frontières de REPROCHER et, d’autant plus, de la
distinction entre des actes rapprochés comme DÉSAPPROUVER, ATTIRER L’ATTENTION, S’INDIGNER, BLÂMER,
ACCUSER, CRITIQUER, etc. Par conséquent, il nous semble indispensable, pour rendre l’étude de
REPROCHER plus complète, de relier la description de l’acte REPROCHER à celle des autres actes de
langage, et de rendre manifeste la manière dont ces actes tissent des relations en fonction des
configurations attitudinales modales qui les sous-tendent chacun.
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Annexes
Annexe 1
Explicitation de la représentation sémantique des lexèmes reprocher et reproche (voir la figure 2
pour la représentation en termes de prédicats abstraits) :
Noyau
X croit/sait qu’il est
souhaitable / attendu /
obligatoire qu’il y ait Q, qui
soit/est bien / beau / utile /
favorable / intéressant /
agréable
ET
X croit/sait que Q n’est pas
conforme à P
ET
X croit/sait qu’il y a Q en raison
de Y
Stéréotypes
DONC X veut/désire que Q soit DONC X veut que Y/Z fasse que Q soit
DONC X croit que Y sait qu’il est souhaitable / attendu / obligatoire qu’il
y ait Q, qui soit/est bien / beau / utile / favorable / intéressant /
agréable
DONC X fait savoir à Y que Q est souhaitable/attendu/…
DONC X croit que P est défavorable
DONC X croit que Y est axiologique négatif
DONC X croit/sait que P est une erreur / faute /…
DONC X croit/sait que Y est responsable de Q
DONC
X éprouve des sentiments
négatifs envers Y à cause de P
DONC X éprouve de la déception, frustration, injustice, colère,
désaccord, rancune, insatisfaction de X
DONC
X veut que Y/Z sache qu’il
pense que P de Y est mal /
laid / inutile / défavorable /
inintéressant / désagréable
DONC Y sait que P est mal/laid/… : prise de conscience,
compréhension des erreurs
DONC Y croit que P de Y est mal/laid/… : culpabiliser
DONC
X fait savoir à Y/Z… qu’il pense
que P de Y est mal / laid /
inutile / défavorable /
inintéressant / désagréable
DONC Y sait que X pense que P est mal/laid/… DONC Y éprouve du
mal-être / des sentiments négatifs (envers X ou soi-même) : vexer,
embarrasser
DONC X veut/accepte/espère que P soit corrigé : réparation des
erreurs, permission de se racheter, incitation à se rattraper
p. 14
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Annexe 2
Explicitation de la représentation conceptuelle de l’acte illocutionnaire
figure 3 pour la représentation en termes de prédicats abstraits) :
REPROCHER
reproche (voir la
X veut dire à Y que
X croit/sait qu’il est souhaitable / attendu / obligatoire qu’il y ait Q qui est bien / beau / utile / favorable /
intéressant / agréable
ET
X croit/sait que P n’est pas conforme à Q
ET
X croit/sait qu’il y a P en raison de Y
DONC
X éprouve des sentiments négatifs envers Y à cause de P
DONC
X veut que Y/Z sache que X pense que P de Y est mal / laid / inutile / défavorable / inintéressant /
désagréable
DONC
X fait savoir à Y/Z que X pense que P de Y est mal / laid / inutile / défavorable / inintéressant / désagréable
DONC
X dit à Y que :
X croit/sait qu’il est souhaitable / attendu / obligatoire qu’il y ait Q qui est bien / beau / utile / favorable /
intéressant / agréable
ET/OU
X croit/sait que P n’est pas conforme à Q
ET/OU
X croit/sait qu’il y a P en raison de Y
ET/OU
X veut/désire qu’il y ait Q ET/OU X veut/désire que Y/Z fasse qu’il y ait Q
ET/OU
X croit/sait que Y sait qu’il est souhaitable / attendu / obligatoire qu’il y ait Q, qui est bien / beau / utile /
favorable / intéressant / agréable
ET/OU
X fait savoir à Y que Q est souhaitable/attendu/…
ET/OU
X croit/sait que P est défavorable, etc. (évaluation négative de P)
ET/OU
X croit/sait que Y est mauvais, etc. (évaluation négative de Y)
ET/OU
X croit/sait que P est une erreur / faute /…
ET/OU
X croit/sait que Y est responsable
ET/OU
X éprouve des sentiments négatifs envers Y à cause de P
ET/OU
X éprouve de la déception et/ou frustration et/ou injustice et/ou colère et/ou désaccord et/ou rancune
et/ou insatisfaction
ET/OU
X veut que Y/Z sache que X pense que P de Y est mal / laid / inutile / défavorable / inintéressant /
désagréable
p. 15
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ET/OU
X fait savoir à Y/Z que X pense que P de Y est mal / laid / inutile / défavorable / inintéressant / désagréable
ET/OU
X veut que Y sache que son P est mal/laid/…
ET/OU
Y sait que son P est mal/laid/…
ET/OU
Y croit que son P est mal/laid/…
ET/OU
Y sait que X pense que P est mal/laid/…›
ET/OU
Y éprouve du mal-être / des sentiments négatifs (envers X ou envers soi-même)
ET/OU
X veut/accepte/espère que P soit/sera corrigé
Références bibliographiques
ANSCOMBRE, J.-C., DUCROT, O. (1983) : L’argumentation dans la langue, Bruxelles, Pierre Mardaga.
AUSTIN, J. L. (1962) : How to Do Things With Words, Oxford, Oxford University Press.
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Pour citer cet article
Cozma Ana-Maria. Fondements sémantiques et réalisations linguistiques de l’acte de langage
reprocher. Signes, Discours et Sociétés [en ligne], 9. La force des mots : les mécanismes
sémantiques de production et l’interprétation des actes de parole "menaçants", 30 juillet 2012.
Disponible sur Internet : http://www.revue-signes.info/document.php?id=2878. ISSN 1308-8378.
p. 18