The Shanghai Gesture - Ciné-club Ulm

Transcription

The Shanghai Gesture - Ciné-club Ulm
CINÉ-CLUB
NORMALE SUP’
Mardi 16 mai 2000
The Shanghai Gesture
- Joseph von Sternberg -
F I L M A M É R I C A I N . 1941. 98 M I N . N B
R E A L ISA T ION : J O S E P H V O N S T E R N B E R G
SC É N A R IO : J O S E P H V O N S T E R N B E R G ,
JULES FURTHMAN
P H O T O G R A PH IE : PA U L IV A N O
M U S I Q U E : R IC H A R D H A G E M A N
PR O D U C T IO N : A R N O L D PR E S S B U R G E R
AVEC :
G E N E T I E R N E Y (P O P P Y S M I T H )
V I C T O R M A T U R E (D R O M A R )
W A L T E R H U S T O N (S I R G U Y C H A R T E R I S )
O N A M U N S O N (M O T H E R G I N S L I N G )
E R I C B L O R E (L E C O M P T A B L E )
Un univers onirique
a mystérieuse Mother Gin Sling tient la plus
grande maison de jeu de Shanghai. Cette maison à l'atmosphère trouble et fascinante est notamment fréquentée par le Dr Omar, "poète de Shanghai
et de Gomorrhe, docteur en rien",
dont une jeune femme, Poppy, tente
désespérément de capter l'attention.
Celle-ci est en fait la fille de sir
Guy, dont Mother Gin Sling, pour
de mystérieuses raisons, cherche à
se venger en la dépravant. Le
dénouement du drame est d'avance
fixé par Mother Gin Sling ellemême au Nouvel An chinois où,
selon la coutume, chacun doit payer
ses dettes...
L
"On sent planer l'esprit du mal", murmure Poppy,
fascinée, lorsqu'elle pénètre pour la première fois
dans la maison de jeu de Mother Gin Sling, "comme
une réminiscence de cauchemars oubliés". Le climat
trouble et vénéneux d'un
Shanghai cosmopolite et de son
casino plonge les personnages
dans un univers qui semble
proche de celui du rêve.
L'atmosphère étouffante et sulfureuse du drame est rendue
presque palpable par des prises de
vue qui montrent toujours les personnages à travers un léger
brouillard ou un voile de fumée.
Les protagonistes semblent
n'avoir aucune prise sur la réalité
et le déroulement de l'action, impression encore accentuée par le foisonnement des personnages, au casino ou
dans les rues encombrées de
Shanghai. Emportés par les tourbillons de la foule, ils sont, comme
dans un cauchemar, les spectateurs
impuissants de leur propre chute.
Cet univers trouble sur lequel pèse
une menace latente est traversé par
des figures impénétrables qui sourient
d'un air narquois. Le grand coolie,
sans qu'on le voie jamais arriver, est
soudain là, avec son air d'en savoir
long. La présence de Mother Gin
Sling surtout plane sur le casino. Son
entrée, déjà attendue, au moment le
plus dramatique, l'installe de façon
magistrale dans le rôle d'impératrice.
Annoncée par un coup de gong et
précédée d'un serviteur qui écarte les
rideaux derrière lesquels elle se
tenait, elle s'avance, les lèvres serrées,
tenant tout le monde sous son regard
dur et impénétrable. Mains griffues,
tête de Gorgone (ses cheveux sont
coiffés de sorte à rappeler des serpents qui se tordent), elle est la figure
de la mauvaise fée. Lors du Nouvel
An chinois, c'est elle qui préside,
triomphante, aux scènes hallucinatoires des filles en cage ou des figurines représentant les invités, dont
l'une a symboliquement la tête cassée.
U ne impression de claustration
L'atmosphère de The Shanghai
Gesture est une atmosphère lourde,
étouffante. L'histoire se déroule
essentiellement en intérieur, le plus
souvent dans la salle de jeu surpeuplée. Le casino se présente comme
une arène, dont les balustrades dessinent des cercles concentriques qui
rappellent l'Enfer de Dante. Dans les
rares scènes en extérieur, on étouffe
aussi : la fumée, la presse donnent
une impression d'agoraphobie. La
volonté de Sternberg de ne tourner
qu'en studio, dans des décors reconstitués, n'y est sans doute pas étrangè-
re.
La petite société que constituent
les Occidentaux résidant à Shanghai
est aussi un monde clos. Tous s'y
connaissent, restant toujours avec les
mêmes personnes et fréquentant les
mêmes endroits. Ces personnages
sont enfermés dans leurs vices,
oppressés par le poids du passé.
Ainsi, dans la scène finale, Mother
Gin Sling empêche tour à tour chacun
de ses hôtes de sortir, grâce à ce qu'elle sait d'eux. Tous sont contraints de
rester dans la salle, malgré l'envie
qu'ils ont de partir.
Le non-dit
Le spectateur, perdu dans les
dédales psychologiques qui aboutissent finalement à la découverte du
secret monstrueux, a constamment
l'impression que certains personnages
en savent plus que lui-même et que
les protagonistes. Les sourires énigmatiques du coolie, les regards en
coin du Dr Omar laissent supposer
qu'ils sont en partie dans les secrets de
Mother Gin Sling. Celle-ci et, dans
une moindre mesure, le poète Omar,
sont des figures de sphinx. Qui est au
juste le Dr Omar? Qu'est-ce qui le lie
à Mother Gin Sling? D'où lui vient ce
titre, puisqu'il déclare lui-même n'être
"docteur en rien"? On ne l'apprendra
jamais. Plus mystérieuse encore est
Mother Gin Sling, avec ce nom de
"Mother", surprenant pour une
femme jeune, et qui semble annoncer
de façon prophétique le dénouement.
Pendant tout le film, le spectateur
est conduit à s'interroger sur le rôle et
le pouvoir de chacun. Le pouvoir est
ici directement lié au savoir. Plus on
sait de choses sur les autres, plus on a
de pouvoir sur eux ; moins on laisse
filtrer de renseignements sur son
propre compte, moins on offre de
prise. Mother Gin Sling semble
connaître seule le dessous des cartes.
Elle dirige le casino, lieu où se jouent
les destins et où l'on tire les ficelles
(que l'on songe au plan symbolique
où l'on voit monter le panier de billets
de banque vers une officine haut perchée où un employé tire les ficelles
qui mettent en mouvement la nacelle). Mother Gin Sling sera finalement
elle aussi rattrapée par son passé, et la
révélation d'un secret qu'elle ne
soupçonnait pas rendra caduque sa
vengeance, en la retournant contre
elle.
La roue de la Fortune
Le thème de la déchéance, cher à
Sternberg, parcourt le film de part en
part. Le cadre du casino avec la roue
qui tourne, au milieu des cercles
concentriques de la salle, nous place
d'emblée dans l'univers du jeu, avec
ses pertes et ses gains. La descente de
Poppy, de plus en plus bas, dans les
cercles de la salle de jeu, symbolise sa
dégradation et l'aggravation de sa
triple dépendance par rapport au jeu,
à l'alcool et à Omar.
A l'inverse, Mother Gin Sling,
autrefois déchue, est devenue l'impératrice de l'endroit. Son titre de
"Mother" en fait la mère de toute
chose, la matrice des activités du casino, une sorte de divinité qui trône au
sommet de la roue de la Fortune sur
laquelle sont juchés les personnages.
Mais elle-même est finalement le
jouet du sort, car une chute en entraîne une autre : la déchéance de Poppy,
qu'elle a voulue pour faire tomber sir
Guy, provoque sa propre perte. Et le
film s'achève sur l'image de la roue
qui tourne dans le casino.
Frédérique Fleck
Actualités Ciné-Club
La semaine prochaine : Salonique, nid d'espions (Mademoiselle Docteur) de
G. W. Pabst. France. NB. 1936. 95 min. Avec Dita Parlo, Pierre Fresnay,
Louis Jouvet.
Alors que la Première Guerre Mondiale fait rage, les services d'espionnage et de contre-espionnage français et allemands rivalisent d'ingéniosité et
d'audace. A Salonique, les représentants des Alliés s'apprêtent à négocier
dans le plus grand secret une paix séparée avec la Bulgarie. Les services allemands envoient sur place leur meilleur agent, la célèbre "Mademoiselle
Docteur". Sa mission sera compliquée par la présence d'un traître, et les sentiments qui naissent entre elle et un jeune officier français (Pierre Fresnay).
Sans aucun doute l'un des plus beaux films d'espionnage. A ne pas manquer!
Dans quinze jours (mardi 30 mai) : Un pianiste en salle Dussane
Projection d'un film muet, Le Journal d'une fille perdue, de G. W. Pabst (avec
Louise Brooks), accompagné au piano. Un événement exceptionnel : pensez
à vous réserver cette date!
http://www.eleves.ens.fr/COF/cineclub/
[email protected]