GEEL C

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GEEL C
SILENCE ET PLAISIRS
Catherine GEEL
L’ensemble d’interventions programmées cet après-midi du 17 novembre s’intitulait, il y a quelque temps
encore « à propos de la théorie sur le design … ». Peut n’importe pas de remplacer « théorie » par « écrits », il en
sera question plus loin, mais importe ici, davantage ce qui est resté : le terme « sur le design » : « sur le » comme
une vision qui viendrait, une couche qui s’ajouterait, se superposerait… à une discipline et immédiatement,
instinctivement l’en éloignerait, comme un silence s’y glisserait… Simplement alors, peut-être, « écouter » Paul
Cézanne qui dans une lettre de décembre 1905 à Emile Bernard écrit « je vous dois la vérité en peinture et je
vous la dirai. ». Si théorie et vérité ont à voir nous verrons, mais c’est ce « en peinture », relevé par Derrida, qui
ici m’intéresse. C’est-à-dire lire, écouter, en ce sens participer de ce que Cézanne peut me dire « en peinture ».
De la même façon qu’il importe, me semble-t-il, davantage de lire « en design » que seulement « sur le ».
Or Cézanne est peintre, et des plus importants… en peinture.
1. Pourquoi les textes de designers
C’est donc vers les contrées où les textes des designers existent que nous nous dirigeons. Des textes,
que le temps ne nous permettra pas, ici, de classifier ou de hiérarchiser. Mais il s’agit bien toutes sortes de
textes†: manifestes, lettres ouvertes, textes au ton programmatique, technique, politique, poétique, écrits divers,
théories variées, motivées par la responsabilité, la passion, les enjeux de pouvoir ou de territoires,
l’enseignement, la réflexion, la pratique… Les vérités des uns et celles des autres… Cézanne écrivait sur des
morceaux de papiers qu’il chiffonnait dans sa poche, Donald Judd avait choisi la voie de presse ou imprimée en
général et Duchamp allait bien au-delà des bons mots avec des bon mots… tous les trois ont écrit, et théorisé
leurs pratiques sous des formes textuelles diverses. Les designers aussi. Et ce sont bien ces textes-là qu’ils
convient aujourd’hui d’aller voir pour deux raisons, au moins :
re
1 raison : les histoires.
Ces textes forment aussi bien l’histoire, qu’une partie des histoires ( c’est le titre générique de cette
journée) ayant trait au design. Le cours que je donne, parce qu’il concerne de jeunes ou de futurs designers ou
de futurs enseignants ‡ de futurs designers ne peut, pour cette raison, se contenter des écrits « sur le » et il est
essentiellement basé sur la relation, la mise en perspective de textes des designers, avec ceux d’autres
domaines, histoire de l’art, pensées, etc.… que tous (les jeunes et les futurs) sachent enfin de quoi il retourne
« au niveau » des textes, donc des contextes et des formes. Car aborder le texte c’est aborder nécessairement
aussi ces différentes dimensions!
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2 raison : Le silence...
Le silence théorique des designers d’aujourd'hui est éloquent. Et vient un moment, à bien y réfléchir, ou
ce silence gêne, aussi bien les chercheurs ou les journalistes, pour écrire « sur le » design. Dans le cadre d’une
transmission, qui est l’exercice auquel je me livre à l’École normale supérieure de Cachan, il importe de
communiquer aux futurs ou jeunes designers la vérité des textes avant la glose ou l’exégèse, si je veux qu’un
jour, ils disent, me disent, ou écrivent «en design ».
Il est révélateur à cet égard que ce soient parfois les designers de ma génération, qui soulèvent ce qu’ils
croient être des silences, une lacune: le manque supposé d’écrits ou de textes critiques. Mais il me semble, à
l’instar de l’analyse discutée lors d’une table ronde précédente avec Christine Colin sur ce thème, que, dans ce
cadre, les designers, du fait des phénomènes de communication, entendent souvent davantage, la critique
comme processus de légitimation due aux nécessités de ladite communication. Que ceux qui écrivent « sur »
n’aient pas envie d’être seulement à cet endroit semble légitime, mieux salutaire. Si je suis une de celles qui sont
censées écrire « sur le » design comme Christine Colin, Constance Rubini, Alexandra Midal ici présentes, ou
d’autres, nous le faisons, « sur », au sein des publications animées par les unes ou les autres ou des expositions
dont nous sommes les commissaires. Oserais-je dire, que l’appel à l’énonciation par d’autres à la place de
l’énonciation par soi-même - la légitimation - me semblerait à la longue contribuer à l’éloignement, à la distance…
à une perte. C’est-à-dire qu’à force d’être en référents constant les uns envers les autres, certains artistes, mots
employés ici à propos, en ayant appelé aux critiques dans le processus décrit plus haut, deviennent, en ce qu’ils
produisent des œuvres critiques en réponse à la Critique, dépendant parfois seulement du regard critique… ce
qui semble être, à l’arrivée, une perte d’autonomie pour beaucoup.
Actes du colloque : « Le design en question(s) », Centre Pompidou, novembre 2005
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Je répondrai …sur ce silence présent par le rappel de deux périodes éloquentes – éloquent au sens de
révélateur, parlant - où les designers se sont employés à construire légitimité et autonomie justement, où les
designers se sont employés à produire, au sens ou l’entend Benjamin, des textes ! C’est-à-dire des textes visant
à la transformation de leur auteur !
Et dans la pratique, dans ma pratique telle que je la définis, je peux écrire ou dire « sur le design » que,
si l’on me dit ou si l’on écrit « en design ».
2. Manifestation et plaisirs des textes
Ces deux périodes récentes nous mènent schématiquement, de la fin des années 40 - 50 aux années
90. Elles concernent l’Allemagne, puis l’Italie et furent prolixes et remarquables en projets, en objets, en réflexion
et en écrits… Elles manifestent un plaisir du texte. Tous ne sont pas lyriques ou poétiques… Mais les écrits de
l’Ecole d’Ulm ou ceux émanant des designers italiens manifestent ce plaisir qui est le mien en les lisant, un plaisir
de la chose à transmettre et à construire.
Le texte ulmien…
Plaisirs, il en était question à l’Ecole d’Ulm, malgré le strict uniforme, cravates et complet noirs – chemise
et blouse blanche qui formait le costume du designer qu’il soit professeur ou étudiant et le désignait d’ailleurs
dans la ville comme « étrange » ou « arrogant ». L’Ecole d’Ulm connaît, derrière cette apparente austérité, une
vie aussi brève qu’agitée et meurt en 1968 après des soubresauts aux résonances financières et politiques. Pas
plus de 12 ans d’existence – 53-54, jusque 67-68 – mais d’une densité certaine.
Nous n’analyserons pas ici ce que le design doit à l’Ecole d’Ulm. Je me contenterai de rappeler que le
projet de Inge Scholl, au sortir de la seconde guerre mondiale (à partir de 1947), était politique : il s’agissait
d’ouvrir une école de sciences politiques. Or c’est une Ecole de design qui advient. Le fait est d’importance. Il
laisse entendre la responsabilité dévolue au designer du fait des questions posées par la société allemande au
sortir, non seulement de la guerre mais de plus de 15 ans de fascisme et d’imagerie de puissance industrielle à
son service. Ulm établit « une ambition » du designer, parce qu’il est citoyen, dans le cadre de la société de
production de masse : Apprendre le métier de designer, c’était à Ulm apprendre à assurer simultanément des
responsabilités sociales et culturelles.
Dans un numéro de Rassegno, revue italienne, consacrée à l’héritage d’Ulm, tous les designers qui
furent étudiants ou professeur de Dominique Julliard à Claude Schnaidt en passant par Herbert Ohl
etc.…rappellent le plaisir et la nécessité de poser par l’écrit, les discussions parfois vives qui opposaient les
ulmiens entre eux et avec d’autres.
Tomas Maldonado, Otl Aicher, Abraham Moles etc.… ont à travers des textes, comprenant aussi bien
les programmes d’enseignements établis au cours des années, les articles dans la revue de l’Ecole ou les
conférences et les interventions construit un modèle, une posture du designer. On lit donc « en design ». J’ajouterai également en français, pour certains, à travers les catalogues de François Burkhardt et du CCI, en
particulier, car on déplore souvent également le manque de traductions de ces textes. Je remarquerai simplement
que de tels ouvrages ont existé et que leurs éditions se raréfient dans les années 90, donc depuis 15 ans. Cette
situation se retrouve pour l’Allemand, et dans une moindre mesure pour l’Anglais et l’Italien. Ce n’est donc pas
qu’un problème français ! -.
Je rappellerai aussi que le rapport au texte à Ulm existait sous une forme bien spécifique dans cette
problématique de l’écrit, que sur les quatre départements : design de produits, communication visuelle,
construction, le dernier s’intitulait : Information, je cite ici un extrait des programmes HfG-Info de 1955/56 : « La
qualité des informations dispensée par la presse, la radio, le cinéma et la télévision participe de façon
déterminante à la définition de l’ordre social. (…) La section Information s’attache à promouvoir l’usage d’une
langue claire et compréhensible dans les communiqués de presse, les messages publicitaires, les textes
scientifiques, la critique d’art, etc. Ce travail est un complément nécessaire aux efforts de la section
Communication visuelle car il existe un rapport étroit entre le texte et le message visuel. » Ce point nous
intéresse au moment, où « en design », l’image seule prime parfois sur le message visuel ou textuel. L’écrit est
donc un enseignement en soi, avec les mêmes visées que celles plus connues des autres départements.
Actes du colloque : « Le design en question(s) », Centre Pompidou, novembre 2005
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Enfin dernier point, à travers l’analyse des textes et de l’écrit ulmien, ressort la position critique envers
l’activité même de designer, d’architecte ou d’urbaniste. Une sorte de critique permanente envers soi-même, un
positionnement sur le fil du rasoir émerge…
Les formes des textes en Italie.
Le texte est également primordial pour le mouvement radical italien et d’autant plus… Il ne se détermine
plus seulement comme écrit réflexif ou programmatique mais peut prendre place à l’égal du projet ou comme
partie intégrante du projet ou comme projet à part entière… Continuant une tradition nationale depuis les années
30, les designers ou leurs amis et partisans ont souvent le contrôle rédactionnel des journaux d’architecture et de
décoration tel que Casabella, Domus, etc. Ils assurent ainsi la diffusion de leurs propres théories et ont bien
compris qu’elle passe désormais par le circuit de l’information et de la communication. Les formations
intellectuelles solides de cette génération finissent de fonder l’importance de l’écrit pour les designers italiens.
•
Casabella fut fondé en 1928. Il fut dirigé entre 1970 et 1976 par Alessandro Mendini et fut le diffuseur
privilège des idées radicales. C’est Tomas Maldonado qui lui succéda. Domus naquit également en
1928, fondé par Gio Ponti. Dans les années 60 Lisia Licitra Ponti et Cesra Casati le dirige. En 1980, il
est repris par…Alessandro Mendini. (in casa calda).
Si Ettore Sotssas peut dire en 1954 : « Quand Charles Eames designait/dessinait une chaise, il ne
designait pas une chaise, mais une façon de s’asseoir, il ne réalisait pas un design pour une fonction, mais il
designait une fonction. », nous pouvons affirmer qu’à partir du début des années 60, les designers italiens
pouvaient se servir du texte de la même manière. Il n’est qu’à énumérer rapidement la masse critique des écrits
proposés par les designers radicaux, les manifestes des premières expositions, les scenarii de Superstudio, ou
l’entreprise historiographique de Andrea Branzi etc… Les Italiens au travers des groupes, des projets manifestes
et une liaison permanente textes-objets, textes-projets travaillaient par là à construire l’autonomie de leur
discipline. …établir le designer comme seul capable d’imposer le récit, donc la forme…
Nous avançons donc ici, en regardant la façon dont l’écrit est pratiqué. Si les designers ulmiens se
servent du texte comme d’un instrument d’élaboration d’un design de collaboration et d’espoir, les designers
italiens avançant l’idée de l’autonomie de la discipline vont, aussi ou en plus, se servir du texte comme une forme
même et donc emprunter et jouer avec cette forme.
L’utilisation du langage plastique du pop des premiers projets d’Archizoom par exemple, est un emprunt,
un réfèrent de départ à la position naïve et assumée d’un artiste comme Richard Hamilton au début des années
60. En ce sens, il n’est qu’un préalable. Moins de dix ans après, l’installation réalisée par les mêmes membres
d’Archizoom au MOMA, en 1972, pour l’exposition « Italy, A New Domestic Landscape », dont Emilio Ambasz est
le commissaire, est une pièce grise et atone - évacuation du langage plastique - et le texte rempli l’espace. Il est
dit par une voix d’enfant, sortant d’un unique haut-parleur à la forme d’un micro…Dans le catalogue, tous les
designers ou les groupes invités écrivent des textes qui forment un corpus de 190 pages. C’est à la fin de
l’ouvrage que se situent les 64 pages de textes des critiques, et non des moindres, comme Germano Celant. Je
finirai cette partie de mon intervention en ajoutant ces deux choses: Alessandro Mendini, y écrit comme critique, il
n’est pas encore tout à fait un designer, mais y viendra… Et Enzo Mari radical inclassable décline la proposition
de l’installation et choisit d’écrire un essai (selon la terminologie anglo-saxonne)…
3. Les textes discutent…
De ce rappel, on voit comment la question des écrits en design peut trouver un de ses fondements dans
l’histoire récente du design, quand les écrits sont le fait des designers. On notera, et cela va dans le sens du
silence, que pas un seul designer ne fait ces jours-ci de communication ou de conférences, il s’agit toujours de
dialogues ou de tables rondes.
De ces deux moments, qui font symptômes :
Design de collaboration (Ecole d’Ulm)
Design autonome identitaire (Radical design).
On voit que la pratique de l’écrit accordé à l’objet est « en design » les bases d’une théorisation par les
designers eux-mêmes et doit continuer à l’être…
Les anciens sont les modernes et les modernes ….
Actes du colloque : « Le design en question(s) », Centre Pompidou, novembre 2005
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Mais ces deux périodes se chevauchent, construisent, formulent, systématisent… Leur observation nous
donne bonheurs et plaisirs « sur » cette discipline que vous venez, questionner ces jours-ci. Nous pouvons
aujourd’hui, Egalement, les regarder, se regardant.
J’établis avec plaisir un dialogue contrasté, opposé mais évident entre les tenants de la Gestalt théorie
et ceux du radicalisme italien. N’en déplaise à certains qui n’aiment pas voir les conceptions dites modernes de
celles dites post-modernes, se rapprocher. A partir du début des années 60, le mouvement radical, puis le
nouveau design, qui ont construit un des primats historiques du design italien, discutent, me semble-t-il, les
conceptions défendues par l’Ecole d’Ulm. Entre les langages élaborés par les uns et les autres, les mots et les
choses. L’emploi des mots et la forme des choses. Si les uns ne valent pas forcément explication pour les autres,
tous deviennent passionnants dans un jeu d’éclairages réciproques, et je parle ici sous le regard, je l’espère
bienveillant, de Andrea Branzi.
Sur des positions et des conceptions à bien des égards antagonistes, en particulier sur l’idée que la
modernité, dans son corrèlera capitaliste et libéral, qui loin d’engendrer l’ordre privilégie la formation d’un chaos
ou d’un désordre, il n’en reste pas moins que les designers ulmiens et les designers radicaux, partagent le fait
qu’être designer c’est avant tout adopter une posture : être designer sur le mode de l’engagement, même si les
modes opératoires diffèrent :
•
« C’est le terme utilisé dans la recherche pour désigner l’attitude du chercheur par rapport à ses
objets de recherche. » interview de Yves Lugimbh¸ directeur de recherche au CNRS, par Christine
Colin in Azimuts, revue de design et de recherche, 25, juin 2005, IRDD, St Etienne. P94/95. Truc
vachement bien : si texte = projet alors plus de projets et la post - modernité n’arrive peut-être pas à
aller jusqu’à :
Ce qui est commun :
Les ulmiens et radicaux partagent deux faits d’importance :
- Ces deux mouvements partagent une vision politique de gauche, qui ne condamne pas la société de
consommation. A Ulm, c’est le designer qui cherche à intégrer des éléments scientifiques dans les méthodes afin
de n’offrir que des produits de qualité. Pour les designers radicaux, elle est soutenue par le fait que le désordre
engendré par le système capitaliste entraîne une baisse de qualité… De cette qualité faible ou diffuse il faut faire
un levier libératoire.
- L’idée de former des généralistes et non des spécialistes a la même importance. A Ulm, le designer est un
collaborateur scientifique et un coordinateur critique dans le système productif industriel, connaissant les
domaines de la recherche. Pour les Italiens, le designer devenu autonome sera à même de déterminer lui-même
le projet.
L’idée que je retiens, est donc celle de ne pas former des spécialistes subordonnés à la conception
de produits, mais bien des généralistes.
A Ulm, c’est à ce titre que les designers, professeurs et praticiens théorisants, veulent délivrer un
enseignement critique attribuant au designer le rôle d’un « collaborateur scientifique » et d’un
« coordinateur critique » dans le système productif industriel connaissant les domaines de la recherche,
de la technique, du marketing et de l’esthétique.
La pratique, elle, donnera l’image d’un designer ulmien très avancé dans les applications des méthodes
de recherches, reconnu comme un véritable partenaire au sein de ces équipes mais devant laisser très vite son
bagage critique. L’analyse des conséquences de la pratique de la création industrielle envers la société n’aura
pas lieu à Ulm, et c’est une de ses grandes défaites, dont le mouvement radical italien s’emparera. La
responsabilité qu’ils (les designers ulmiens) s’attribuaient était finalement celle de la qualité de l’environnement
artificiel nous entourant (et ce faisant la naissance du modèle ulmien portait en gestation la crise suivante :
l’hégémonie des sciences sur le design, qui reste d’une certaine façon un débat actuel, je pense que ces
journées le montreront également.). Et là ce sont les silences, ce dont les textes ne parlent pas, qui,
rétrospectivement, nous éclairent.
Est-ce trop s’avancer que de dire que les designers et les mouvements radicaux en Italie, qui émergent
au début des années 60 et jusqu’au milieu des années 80, vont prendre au vol cette position, celle d’un
« designer critique », pour permettre d’asseoir et de fonder d’autant plus fortement la situation du designer, dans
ce qu’Andrea Branzi a appelé la 2de modernité.
Actes du colloque : « Le design en question(s) », Centre Pompidou, novembre 2005
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La pratique, à nouveau, donnera l’image d’un designer radical théâtralisant dont l’expressivité formelle
des objets qu’il produit, surgit par le biais de la mass médiatisation. Pour le nouveau design, c’est à ce titre que le
designer, « collaborateur extérieur à l’entreprise », mais « jouant un rôle important dans la transformation
intérieure du marché des meubles industriellement produits » en particulier devient autonome. Il ne doit donc
plus en passer forcement par le rapport aux autres arts fussent-ils beaux ou majeurs après leur confrontation
avec l’architecture. Avec la propension de l’industrie culturelle (institutions, musées, médias) à les ériger en
mouvement expérimental, en avant-garde, ils portent depuis lors seulement au fait culturel. J’ajoute : si l’on ne
prend pas garde au texte. Car le design radical est politique. Il pose en permanence la politique comme une part
de la culture.
Ecrits, théorie et vérité :
On voit donc que de deux périodes contemporaines qui fondent la conception et le métier de designer
aujourd’hui et les débats encore valables et ouverts, le texte joue un rôle important en tant qu’il est donné par
celui qui pratique. Or Emile Bernard dit de Cézanne : « Son mode d’étude était une méditation le pinceau à la
main ». Une forme de silence, de contemplation même de sa pratique à l’œuvre comme la définition première de
théorie : science de la contemplation. – rare avant le XVII - de the Ùrien (gr) : observer. (Théorie : 1496) (Pt
Robert) -. C’est donc bien pour cela que Cézanne peut « dire » en peinture. », qu’il peut même énoncer, d’une
façon qui pourrait sembler présomptueuse, mais qui bien évidemment, ne l’est absolument pas : « je vous dois la
vérité en peinture et je vous la dirai… ». C’est donc bien pour cette raison, que le silence se lie ici indéfiniment au
plaisir. Celui du regard et de l’observation, que ceux qui écrivent « sur » peuvent porter, que ceux qui pratiquent
« en » savent porter. Les designers sont les plus extraordinaires regardeurs du quotidien, comme certains artistes
ou cinéastes. Et si aujourd’hui les designers ont une propension au silence, soulignons, qu’il est aussi bien textuel
que formel. Je conclurai sur cet autre silence, bien qu’il ne soit pas notre sujet aujourd’hui et que j’écris comme
cette étrange propension à un design à la qualité muette mais non « diffuse » ou faible, au contraire…A la
question des textes des designers répond peut-être, à moins que ce ne soit le contraire, la profusion de deux
types de formes, d’un côté des formes blanches et énigmatiques élégantes ou volumineuses très présentes, dont
les qualités pourraient être analogue à l’oxymore du « silence assourdissant » et de l’autre ces reprises
fréquentes de formes déjà connotées parlant d’un passé rassurant. Des redites, comme un retour à des récits
intimes et personnels où se joue également la question d’une technique que l’on réfugie dans des formes
mémorielles déjà obsolescentes comme des silences, des vérités silencieuses… Tous ces silences puissent-ils
être davantage le signe d’une intense méditation que d’un malaise qui serait alors plus général. Les designers
doivent et nous doivent donc leurs réflexions. Ils les doivent surtout aux designers qui les suivront, qu’ils les
disent, même par lettre, en écrivant aux autres designers…
…vient ….Extrait Lettres au designers d’Ettore Sottsass Jr. 1990.
Catherine Geel est chargée de cours à l’École normale supérieure de Cachan, Commissaire associé à la Villa
Noailles, Centre d’art.
Conférence du 16/11/05, 14h30
Actes du colloque : « Le design en question(s) », Centre Pompidou, novembre 2005
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